Interaction sociale
En sciences sociales une interaction fait référence à toutes les actions réciproques entre deux ou plusieurs individus au cours desquelles des informations sont partagées ; l'acheteur, par exemple, discutera avec le vendeur et ils interagiront dans un contexte préalable et connu des deux protagonistes : l'échange marchand[1].
L'interaction est dite sociale car non seulement elle produira du sens, mais aussi parce qu'elle s'inscrit dans un contexte qui influence les actions de chacun. Une interaction durable est considérée comme étant une relation (au sens de relation interpersonnelle).
L'analyse de ces actions par la psychologie sociale est à l'origene d'une théorie de l'interaction élaborée par les sociologues américains Goffman, Sacks et Schegloff, à partir d'approches ethnométhodologiques.
Définition sociologique
[modifier | modifier le code]Pour la sociologie, une interaction sociale représente un échange élémentaire, de courte durée. Une relation est une suite d'interactions entre les mêmes personnes au cours du temps[1].
L'interaction sociale est à la fois vue comme une unité d'action, mais aussi comme un processus au cours duquel des histoires et du sens sont produits. En plus d'être productrices de sens, les interactions s'influencent mutuellement et tendent à restreindre la possibilité de chacun d'agir librement : « Comme au jeu d'échecs, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contre-coup d'un autre individu (sur l'échiquier social, il s'agit en réalité de beaucoup de contrecoups exécutés par beaucoup d'individus) limitant la liberté d'action du premier joueur »[2].
Une relation est une histoire d'interactions sociales; elle diffère de l'interaction sociale en durant et par la multitude des liens qui unissent deux entités sociales. Les histoires sont aussi porteuses de liens, qui peuvent aller jusqu'à passer d'interaction sociale à relation : « une relation entre deux personnes est ainsi constituée des nombreuses histoires qui mettent en scène des interactions ou des liens entre ces deux personnes. En un sens, comprendre une relation requiert de prendre en compte une pluralité de points de vue narratifs[3] ».
Erving Goffman, un sociologue canadien, dans son ouvrage La Mise en scène de la vie quotidienne, propose de reprendre les mots du théâtre pour expliquer l'interaction sociale. Il l'assimile au terme rencontre. L'interaction est l'influence réciproque que des partenaires exercent sur leurs actions lorsqu'ils sont en présence physique immédiate et continue. Au cours de cette interaction, une représentation est l'activité d'une personne dans le but d'influencer les autres. Ces autres peuvent s'appeler public de la représentation, ou observatrices, ou partenaires ; ces autres réalisent eux-aussi des représentations, selon l'ordre de l'interaction en cours. Un rôle, ou routine, est un modèle d'action développé pendant cette interaction ; ce modèle peut être utilisé plusieurs fois, dans la même interaction ou dans des occasions différentes. L'acteur, l'actrice peut présenter ses rôles dans toute une palette d'interactions sociales. Si une personne joue couramment un même rôle pour un même public dans des interactions différentes, alors il s'attache à elle un « social role »[4], autrement dit un rapport social. À ce « social role » s'attache un statut social, avec droits et devoirs[5].
Avec quelle conviction une personne joue-t-elle son rôle social ? Dans quelle mesure y croit-elle elle-même ? Entre la sincérité et le cynisme il y a toute une gamme de pratiques. Avec cynisme, un médecin pourra se montrer convaincu par l'efficacité d'un placebo que son patient lui aura demandé ; réciproquement, des malades se comporteront quelquefois en conformité avec le diagnostic de leur médecin, de façon à s'en faire une sorte d'allié. Mais ces apparences cyniques sont souvent faites dans la croyance sincère que leurs tromperies sont utiles au public de l'interaction. La personne, alors, de cynique devient sincère. Peut-être est-ce la raison de l'origene du mot personne, qui vient du grec masque. Par ces rôles, qui peuvent s'assimiler à des masques, non seulement nous connaissons les autres, nous sommes en interaction avec les autres, mais encore nous nous connaissons nous-mêmes. Ainsi il arrive que des paysans, ayant ouvert un hôtel, adoptent pendant le temps de leur service une allure bourgeoise pour convenir à leurs clients ; au bout de quelques années, ils finissent par intégrer leurs simulacres, et se considérer eux-mêmes, en toute sincérité, comme adoptant le mode de vie bourgeois[6].
On va aussi de la conviction au cynisme au cours de sa vie, pour un même rôle social. C'est souvent le cas, par exemple, des professionnels du domaine religieux ; ce n'est pas tant parce qu'avec le temps un curé perdrait ses convictions et aurait conscience de tromper son public, mais c'est surtout que par cette évolution il prend de la distance et se protège dans ses émotions. Dans un autre domaine, une étudiante en médecine ayant entrepris ses études par idéal pourra se trouver contrainte par la compétition pour la réussite de s'intéresser plus au savoir médical et moins aux malades ; après ses études, elle retrouvera son premier idéal. Souvent une personne se maintiendra dans un milieu prudent, entre sincérité et mensonge, ni tout à fait convaincue d'elle-même, ni tout à fait cynique, oscillant d'une position à une autre, toujours sans changer ses apparences sociales. C'est le cas des chamans : délivrant à leurs clientèles leurs pieux mensonges, truquant en toute conscience leur magie, ils n'en vont pas moins consulter, eux aussi, d'autres chamans[7].
Définition psychologique
[modifier | modifier le code]Il est possible de définir l'interaction sociale chez les humains comme une « relation interhumaine par laquelle une intervention verbale ou une attitude, une expression significative ou une action provoquent une action en réponse, qui retentit sur l'initiateur (échanges) »[8]. Celle-ci est fondamentale pour les individus et favorise les processus de neurogenèse[9].
Le terme d'interaction est souvent utilisé comme une contraction d'interaction sociale. Selon Edmond Marc et Dominique Picard (Vocabulaire de la psychosociologie, Erès, 2016[10]), il ne fait pas l'objet d'une définition unique « mais présente au contraire une certaine dispersion sémantique » : il désigne tantôt un processus, tantôt un objet, tantôt un point de vue (notamment dans la perspective interactionniste) pour appréhender des phénomènes relationnels. Selon les auteurs, l'interaction reste l'objet privilégié de la psychosociologie et de la psychologie sociale.
Les interactions sont verbales ou non verbales (gestes, regard, attitudes…).
Les interactions peuvent être :
- positives : coopération, participation, adaptation, intégration, émulation et coopétition…
- négatives : conflit, lutte, rivalité, ségrégation, discrimination, insulte…
- ambivalentes : compétition, concurrence.
Les interactions ont à leur base des actions, qui peuvent être intrapersonnelles ou interpersonnelles[11].
Les actions intrapersonnelles peuvent être :
- actions directes : décision cognitive suivie par des actions pragmatiques : « J'ai décidé que c'est mieux pour moi de quitter mon petit ami, et je lui ai dit ça », ou décision affective suivie d'une action expressive : « J'aime ma copine et je lui ai toujours montré » ;
- actions croisées : décision cognitive suivie d'une action expressive : « Aujourd'hui, j'ai décidé que c'est mieux pour moi de rompre avec ma copine, mais demain, je crois que je vais aller me présenter devant sa porte pour lui dire que je l'aime », ou décision affective suivie par une action pragmatique : « J'ai adoré mon copain et j'ai toujours voulu être avec lui, mais finalement je l'ai laissé aller, parce que c'était mieux pour nous deux ».
Les actions interpersonnelles peuvent également être:
- directes : réaction cognitive à l'action pragmatique d'une autre personne: « Ma copine veut se réconcilier avec moi, et je suis d'accord, parce que c'est mieux pour nous deux », ou réaction affective à l'action expressive de l'autre : « Mon petit ami montre ses sentiments pour moi, et je réponds de la même manière » ;
- traversées : réaction affective à l'action pragmatique de l'autre : « Mon partenaire veut m'acheter une maison, et donc je suppose qu'il / elle m'aime », ou réaction cognitive à une action expressive d'une autre personne : « Il dit qu'il / elle m'aime, et je me demande pourquoi est ce qu'il / elle me dit ça ? ».
La vigueur et la valeur d'un groupe se mesure au nombre et mais aussi à la qualité des interactions et à leur harmonieuse répartition. La qualité de ces interactions est différente selon la maturité d'un groupe.
L'interaction comme signification vécue
[modifier | modifier le code]La signification d'une interaction ne lui est pas inhérente, elle traduit l'interprétation de l'individu et engage son comportement. Par exemple, le « behaviorisme » analyse nos actions sociales en termes de stimulus/réponse.
Le langage est un instrument essentiel de la mise en signification du monde. Le monde est le produit de la permanente activité des individus.
On distingue une interaction focalisée d'une interaction non-focalisée.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Alain Degenne, « Types d’interactions, formes de confiance et relations », sur REDES- Revista hispana para el análisis de redes sociales http://revista-redes.rediris.es, (consulté le ).
- Norbert Élias in La Société de cour, p. 152-153.
- Michel Grossetti et Frédéric Godart, « Harrison White : des réseaux sociaux à une théorie structurale de l'action. Introduction au texte de Harrison White Réseaux et histoires », SociologieS, Association internationales des sociologues de langue française (AISLF), (ISSN 1992-2655, lire en ligne)
- Ce terme n'a pas de traduction connue satisfaisante.
- Erving Goffman (trad. Alain Accardo), La présentation de soi, Paris, Les Éditions de Minuit, , 251 p. (ISBN 2-7073-0014-4, BNF 37496128), p. 23.
- Erving Goffman (trad. Alain Accardo), La présentation de soi, Paris, Les Éditions de Minuit, , 251 p. (ISBN 2-7073-0014-4, BNF 37496128), p. 25.
- Erving Goffman (trad. Alain Accardo), La présentation de soi, Paris, Les Éditions de Minuit, , 251 p. (ISBN 2-7073-0014-4, BNF 37496128), p. 29.
- Alex Mucchielli, Rôles et communications dans les organisations : connaissance du problème, applications pratiques, Paris, Esf Editeur, , 125 p., p. 81
- (en) Draganski et al. "Temporal and Spatial Dynamics of Brain Structure Changes during Extensive Learning", The Journal of Neuroscience, June 7, 2006, 26(23):6314-6317
- Jacqueline Barus-Michel, Eugène Enriquez et André Lévy (dir.), Vocabulaire de psychosociologie, Éditions Érès, coll. « Questions de société », , 640 p. (présentation en ligne), « Interaction », p. 191-198.
- (en) Tapu, Codrin S. (2001) Hypostatic Personality: Psychopathology of Doing and Being Made. Premier
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Christian Chevandier, dir., Travailler ensemble ? Des disciplines aux sciences sociales, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2014.
- Edmond Marc et Dominique Picard, "Interaction", Vocabulaire de la psychosociologie, Erès, 2016.
- Louis Quéré, « Sociabilité et interactions sociales », Réseaux, vol. 6 « L'interaction communicationnelle », no 29, , p. 75-91 (lire en ligne)
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
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- Ressource relative à la santé :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :