Bombe H
La bombe H (aussi appelée bombe à hydrogène, bombe à fusion ou bombe thermonucléaire) est une bombe nucléaire dont l'énergie principale provient de la fusion de noyaux légers.
Plus puissante et plus complexe qu'une bombe à fission nucléaire, dite « bombe A », une bombe H est divisée en deux étages :
- le fonctionnement du premier étage est celui d'une bombe atomique à fission « classique » au plutonium ;
- le deuxième étage est constitué des combustibles de fusion, les isotopes de l'hydrogène que sont le deutérium et le tritium ; c'est son fonctionnement qui constitue l'explosion thermonucléaire proprement dite.
Historique
[modifier | modifier le code]Dès 1940, le physicien nucléaire hongro-américain Edward Teller entrevoit la possibilité d'utiliser l'énorme puissance thermique (permettant d'atteindre une température de 108 K, soit cent millions de kelvins, ou de degrés Celsius[1]) produite par l'explosion d'une bombe A pour déclencher le processus de fusion nucléaire. En 1941, Teller rejoint le projet Manhattan, qui a pour objectif de développer la bombe à fission.
Après des travaux préliminaires à Chicago avec Enrico Fermi et à Berkeley avec Robert Oppenheimer, Teller se rend au laboratoire national de Los Alamos pour travailler sur la bombe atomique sous la direction d'Oppenheimer. Mais au vu de la difficulté à réaliser une bombe à fusion, la piste de la bombe H n'est pas suivie, à la grande déception de Teller.
En 1949, après que les Soviétiques ont fait exploser leur propre bombe à fission le , les analyses des services de renseignements américains démontrent que c'est une bombe utilisant le plutonium. Le monopole des États-Unis n'existe alors plus et la nouvelle cause un choc psychologique considérable. En effet, les Américains pensaient conserver le monopole de l'arme nucléaire durant une dizaine d'années. Ils s'engagent alors dans une nouvelle aventure, celle de la recherche d'une bombe encore plus puissante que la bombe à fission : la bombe à fusion.
Le président des États-Unis Harry S. Truman demande ainsi au laboratoire national de Los Alamos de développer une bombe fonctionnant grâce à la fusion des noyaux. Oppenheimer est contre cette décision, considérant qu'elle n'est qu'un autre instrument de génocide. Teller est alors nommé responsable du programme. Cependant, son modèle, bien que raisonnable, ne permet pas d'atteindre le but visé.
Le mathématicien polono-américain Stanislaw Marcin Ulam, en collaboration avec C. J. Everett, réalise des calculs détaillés qui montrent que le modèle de Teller est inefficace. Ulam suggère alors une méthode qui sera retenue. En plaçant une bombe à fission à une extrémité et le matériel thermonucléaire à l'autre extrémité d'une enceinte, il est possible de diriger les ondes de choc produites par la bombe à fission. Ces ondes compressent et « allument » le combustible thermonucléaire.
Au début, Teller infirme l'idée, puis il en comprend tout le mérite. Il suggère alors l'utilisation des radiations plutôt que des ondes de choc pour comprimer le matériel thermonucléaire. La première bombe H, Ivy Mike, explose sur l'atoll de Eniwetok (près de l'atoll de Bikini, dans l'océan Pacifique) le , et ce à la satisfaction de Teller, malgré le désaccord d'une majeure partie de la communauté scientifique. Cette bombe était d'une puissance de 10,4 Mt.
L'« implosion par radiation » est maintenant la méthode standard pour créer les bombes à fusion. Les deux créateurs, Ulam et Teller, ont d'ailleurs breveté leur bombe H.
Bombe H de type « Teller-Ulam »
[modifier | modifier le code]Structure
[modifier | modifier le code]Un engin thermonucléaire typique comprend deux étages, un étage primaire, où l'explosion est initiée, et un secondaire, lieu de l'explosion thermonucléaire principale :
- la partie haute, ou partie primaire, est une bombe à fission (de type bombe A) qui, en explosant, entraîne une très forte augmentation de la température. Les États-Unis utiliseront en particulier le primaire Tsetse ;
- la partie basse, ou partie secondaire, est le matériau qui va fusionner, ici du deutérure de lithium, accompagné d'un cœur de plutonium et d'une enveloppe d'uranium 238. Cette partie est entourée d'une mousse en polystyrène qui permettra une montée très haute en température ;
- enfin, il est possible d'utiliser un troisième étage, du même type que le deuxième, pour produire une bombe à hydrogène beaucoup plus puissante. Cet étage supplémentaire est beaucoup plus volumineux (en moyenne dix fois plus) et sa fusion est amorcée par l'énergie dégagée par la fusion du deuxième étage. On peut donc fabriquer des bombes H de très grandes puissances en ajoutant plusieurs étages.
La puissance de l'étage primaire, donc sa capacité à provoquer l'explosion du secondaire, est augmentée (dopée) par un mélange de tritium, qui subit une réaction de fusion nucléaire avec du deutérium. La fusion émet une grande quantité de neutrons, lesquels augmentent substantiellement la fission du plutonium ou de l'uranium hautement enrichi présent dans les étages[2]. Cette approche est utilisée dans les armes modernes pour assurer une puissance suffisante malgré une diminution importante de la taille et du poids[3]. Une telle bombe à fission-fusion-fission est dite d'architecture Teller-Ulam.
La bombe est elle-même entourée d'une structure qui permet de retenir l'apport massif de rayons X produits par l'explosion de la bombe à fission. Ces ondes sont alors redirigées afin de comprimer le matériau de fusion et l'explosion totale de la bombe peut alors commencer.
Déroulement de l'explosion
[modifier | modifier le code]Les réactions impliquant la fusion peuvent être les suivantes (2
1D étant un noyau de deutérium 2H, 3
1T un noyau de tritium 3H, n un neutron et p un proton, 3
2He et 4
2He indiquant des noyaux d'hélium 3 et d'hélium 4 respectivement) :
- 1. 2
1D + 3
1T ⟶ 4
2He + 1
0n + 17,6 MeV ; - 2. 2
1D + 2
1D ⟶ 3
2He + 1
0n + 3,3 MeV ; - 3. 2
1D + 2
1D ⟶ 3
1T + 1
1p + 4,0 MeV ; - 4. 3
1T + 3
1T ⟶ 4
2He + 2 1
0n ; - 5. 3
2He + 2
1D ⟶ 4
2He + 1
1p ; - 6. 6
3Li + 1
0n ⟶ 3
1T + 4
2He ; - 7. 7
3Li + 1
0n ⟶ 3
1T + 4
2He + 1
0n.
La première de ces réactions (fusion deutérium-tritium) est relativement facile à amorcer, les conditions de température et de compression étant à la portée d'explosifs chimiques de haute performance. Elle est par elle-même insuffisante pour démarrer une explosion thermonucléaire, mais peut être employée pour doper la réaction : quelques grammes de deutérium et de tritium au centre du cœur fissible produiront un flux important de neutrons, qui augmentera significativement le taux de combustion du matériau fissible. Les neutrons produits ont une énergie de 14,1 MeV, ce qui est suffisant pour provoquer la fission de l'Uranium 238, conduisant à une réaction fission-fusion-fission. Les autres réactions ne peuvent se dérouler que lorsqu'une explosion nucléaire primaire a produit les conditions nécessaires de température et de pression[4].
L'explosion d'une bombe H se déroule dans un temps très court : 6 × 10−7 s, soit 600 ns. La réaction de fission réclame 550 ns et celle de fusion 50 ns.
- Après l'allumage de l'explosif chimique, la bombe à fission se déclenche.
- L'explosion provoque l'apparition de rayons X, qui se réfléchissent sur l'enveloppe et ionisent le polystyrène qui passe à l'état de plasma.
- Les rayons X irradient le tampon qui compresse le combustible de fusion (6LiD) et l'amorce en plutonium qui, sous l'effet de cette compression et des neutrons, commence à fissionner.
- Comprimé et porté à de très hautes températures, le deutérure de lithium (6LiD) déclenche la réaction de fusion. On observe généralement le type de réaction de fusion suivant :
- Lorsque le matériau de fusion fusionne à plus de cent millions de degrés, il libère énormément d'énergie. À une température donnée, le nombre de réactions augmente en fonction du carré de la densité : ainsi, une compression mille fois plus élevée conduit à la production d'un million de fois plus de réactions.
- La réaction de fusion produit un large flux neutronique qui irradie le tampon. Si celui-ci est composé de matériaux fissibles (comme 238U), une réaction de fission se produit, provoquant une nouvelle libération d'énergie, du même ordre de grandeur que la réaction de fusion.
Puissance et effet de l'explosion
[modifier | modifier le code]Les bombes thermonucléaires ont des effets qualitativement semblables aux autres armes nucléaires. Cependant, elles sont généralement plus puissantes que les bombes A, donc les effets peuvent être quantitativement beaucoup plus importants.
Une valeur « classique » de l'énergie dégagée par l'explosion d'une bombe à fission est d'environ 14 kt de TNT (soit 14 000 t), une tonne de TNT développant 109 cal, soit 4,184 × 109 J. De par leur conception, la valeur maximale ne dépasse guère 700 kt.
En comparaison, les bombes H seraient théoriquement au moins 1 000 fois plus puissantes que Little Boy, la bombe à fission larguée en 1945 sur Hiroshima. Par exemple, Ivy Mike, la première bombe à fusion américaine, a dégagé une énergie d'environ 10 400 kt (10,4 Mt). L'explosion la plus puissante de l'histoire est celle de la Tsar Bomba soviétique de 57 Mt de puissance, qui devait servir de test à des bombes de 100 Mt. Ce fut une bombe de type « FFF » (fission-fusion-fission) mais « bridée », le 3e étage étant inerte. Khrouchtchev expliqua qu'il s'agissait de ne pas « briser tous les miroirs de Moscou ».
L'énergie maximale dégagée par une bombe à fusion peut être augmentée indéfiniment (du moins sur le papier). La Tsar Bomba dégagea 2,84 × 1017 J.
Autres bombes H
[modifier | modifier le code]Bombes russes
[modifier | modifier le code]La structure de certaines bombes H soviétiques puis russes utilise une approche différente, en couches au lieu des composants séparés, ce qui a permis à l'URSS de mettre au point les premières bombes H transportables, donc aptes à être utilisées en bombardement. La première explosion de bombe H soviétique s'est produite le , au cours du test RDS-6s (nommé Joe 4 par les Américains), qui était plutôt une bombe A « dopée ». L'URSS a par la suite utilisé le concept Teller-Ulam, (re)découvert par Andreï Sakharov[5],[6]. La Russie est également à l'origene de l'explosion nucléaire la plus puissante jamais réalisée, celle de la TSAR, atteignant 57 mégatonnes.
Bombes des autres pays
[modifier | modifier le code]Les Britanniques n'ont pas eu accès à la technologie américaine pour concevoir leur bombe à fusion et ont tâtonné jusqu'en 1957 pour réussir à produire une bombe de plusieurs mégatonnes.
La république populaire de Chine (1967) et la France (1968) ont construit et testé des bombes « H » mégatonniques. À cause du secret qui entoure les armes nucléaires, la structure Teller-Ulam a été « réinventée » (en France par Michel Carayol).
L'Inde prétend avoir fait de même, mais plusieurs experts, en se référant aux enregistrements sismographiques, contestent ce résultat.
La Corée du Nord a affirmé avoir conçu et testé avec succès, le , une bombe H. L'Institut américain de géologie (USGS) et l’agence de météorologie sud-coréenne ont détecté un séisme d’une magnitude située entre 4,2 et 5,1 : trop faible selon les experts pour authentifier une bombe thermonucléaire[7]. Ce pays affirme également avoir testé le une bombe H, semble-t-il avec succès, diverses agences gouvernementales ayant détecté des séismes artificiels importants[8]. La magnitude estimée de ce séisme était de 6,3.
Bombe H « propre »
[modifier | modifier le code]Les militaires parlent de bombe H « propre » lorsque moins de 50 % de son énergie totale provient de la réaction de fission. En effet, la fusion seule ne produit directement aucun composé radioactif[9]. Les retombées radioactives d’une bombe H « propre » seraient donc a priori moins importantes que celles d’une bombe A classique de même puissance, alors que les autres effets restent tout aussi dévastateurs. La différence provient de la conception de l'étage de fusion. Si le tampon est en uranium, alors il fissionnera, libérant ainsi la moitié de la puissance de la bombe, mais provoquant 90 % des retombées radioactives. En le remplaçant par un tampon en un autre métal lourd, mais non fissible, comme le plomb, la bombe perdra la moitié de sa puissance, mais avec des retombées bien plus faibles. Toutefois, la grande quantité de neutrons libérée sera absorbée par la matière environnante qui deviendra radioactive.
Bombes à fusion « célèbres »
[modifier | modifier le code]- Ivy Mike, une bombe américaine, est la première bombe H à être testée. Elle a explosé sur l'atoll d'Eniwetok (dans les îles Marshall) le . Elle avait une puissance de 10,4 Mt.
- Castle Bravo est la plus puissante bombe H testée par les États-Unis. D'une puissance de 15 Mt, l'explosion a eu lieu sur l'atoll de Bikini, dans les îles Marshall en Océanie, le .
- Tsar Bomba est la bombe H la plus puissante de toute l'histoire, une bombe H à trois étages développée par l'Union soviétique. D'une puissance estimée de plus de 50 Mt, 57 Mt selon plusieurs sources, elle a explosé le au-dessus de la Nouvelle-Zemble, archipel russe dans l'océan Arctique (sur le « site C » de Soukhoï Nos 73° 51′ N, 54° 30′ E), lors d'une démonstration de force. Il s'agit de la plus puissante explosion nucléaire d'origene humaine de l'Histoire.
- Canopus est la première bombe H testée par la France, le au-dessus de l'atoll de Fangataufa, en Polynésie française. Elle atteint une puissance de 2,6 Mt.
Parmi les accidents impliquant des bombes H opérationnelles, deux ont été particulièrement célèbres :
- l'accident nucléaire de Palomares a eu lieu près du village de Palomares près d’Almería dans le Sud de l'Espagne le . Un Boeing B-52 de l'US Air Force, emportant quatre bombes H, a explosé après une collision en vol avec un avion ravitailleur. Trois bombes sont tombées sur la côte, dont deux ont été détruites à l'impact, disséminant de la matière radioactive (leur parachute de secours ne s'est pas ouvert), une a été récupérée intacte et la dernière retrouvée intacte en Méditerranée, à 869 mètres de profondeur, après plusieurs semaines de recherche[10] ;
- l'accident de Thulé a eu lieu près de la base aérienne américaine homonyme, dans le Nord-Ouest du Groenland le . Un B-52 transportant quatre bombes H s'est écrasé après un incendie à bord. Les quatre bombes ont été détruites dans l'explosion et leur contenu radioactif s'est échappé[11],[12].
Cependant, le caractère thermonucléaire de ces bombes n'intervint pas dans ces accidents, l'allumage correct de l'étage secondaire étant impossible dans des circonstances accidentelles.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Aux hautes températures, les échelles Kelvin et Celsius se confondent, car l'écart entre les deux échelles (273,15 K ou °C) est alors négligeable.
- (en) Richard E. Rowberg, Clifford Lau, The Department of Energy's Tritium Production Program, 1997.
- (en) Federation of American Scientists, Nuclear Weapon Design.
- (en) Donald McIntyre, « Lithium 6 for thermonuclear weapons » [PDF].
- (en) The Soviet Nuclear Weapons Program, section « The Soviet Thermonuclear Weapons Program (Part 2): 1954-1955 ».
- (en) « The Soviet Nuclear Weapons Program », sur nuclearweaponarchive.org (consulté le ).
- Enora Ollivier, « Essai nucléaire en Corée du Nord : qu’est-ce qu’une bombe H ? », lemonde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le ).
- « La Corée du Nord annonce avoir testé une bombe H », Le Monde, (lire en ligne).
- Indirectement, les neutrons ionisent la matière et peuvent « activer » les éléments stables, en produisant des éléments radioactifs, par capture neutronique.
- Article.
- « La bombe nucléaire américaine du Groenland n'a jamais existé », Le Monde, .
- Conclusions sur le site du DIIS, .
Annexes
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Arme à fusion pure
- Bombe A
- Bombe à neutrons
- Bombe EMP
- Missile nucléaire
- Physique nucléaire
- Procédé COLEX
- Prolifération nucléaire
Liens externes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Richard Rhodes, Dark sun : the making of the hydrogen bomb, New York, Simon & Schuster, , 731 p. (ISBN 978-0-684-80400-2 et 978-0-684-82414-7, lire en ligne).
- Bernhard Bröcker (trad. de l'allemand), Atlas de la physique atomique et nucléaire, Paris, Librairie générale française, coll. « Livre de poche », , 254 p. (ISBN 978-2-253-13029-1).
Liens externes
[modifier | modifier le code]
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :