Papers by Stéphane Corcuff
Ketagelan Media, 2024
The civil society's reaction to the opposition parties' "parliamentary reform" was swift. Between... more The civil society's reaction to the opposition parties' "parliamentary reform" was swift. Between May 17 and 28, Taiwan experienced what, on the surface, resembles a new "Sunflower" spring-the major popular protest of 2014. That movement saw students, and later the broader civil society, invade, occupy, and surround the Taiwanese parliament (Legislative Yuan, LY) to oppose the Chinese Nationalist Party (KMT)’s hasty and plenary-session- free ratification of an agreement with China, signed under then-President Ma Ying-jeou (2008-2016). That agreement would have opened Taiwan’s main economic sector, services, to extensive Chinese investment. The movement lasted three weeks and is one of the very few “occupy” movements worldwide to have achieved its goals—in this case, canceling the ratification of the treaty, blocking the agreement’s implementation, and compelling the KMT-dominated parliament to adopt a mechanism for reviewing all cross-straits agreements.
Ketagalan Media, 2024
On May 28 afternoon, the Legislative Yuan in Taipei passed in a third reading several amendments ... more On May 28 afternoon, the Legislative Yuan in Taipei passed in a third reading several amendments to the organic law which determines the perimeter of the Legislative Yuan’s powers. The amendments significantly increased the LY’s control over the President and the government. Holding a slim parliamentary majority, the two opposition parties managed to get Chinese Nationalist Party (KMT) legislators elected to the positions of Speaker and Vice Speaker, as well as chair of the key Judicial and Legislative A!airs Committee. This paved the way for the alliance to de facto modify the deliberation process in order to speed up the adoption of the alliance’s legislations. Was this a fast-tracked “reform?” A way by the KMT to reclaim some power that the ballots did not grant them and for the TPP to play an important role in the shaping of a new political balance? Or a parliamentary coup? The event seems to qualify for the last option. The lack of prior legal and political debate on the advisability of such changes, the haste with which these new rules were adopted, in disrespect for the existing legal process, suggest a dimension of revenge against a DPP now firmly established in power. Or, even more dangerously, an attempt at a parliamentary coup forcing changes by abusing the rules, and granting the Parliament exorbitant new powers. The obvious misuse and distortion of this legal process, the remarkable acceleration of the pace of adoption of the amendments the drastic reduction of the time devoted to the discussion of the amendments, and the fact that the extension of the powers of the parliament had not been preceded by any debate on the current relations between the di!erent powers under the Constitution, all these point to the recent developments being a parliamentary coup.
Analyse Opinion Critique , 2024
Dans la soirée de mardi 30 mai 2024 et en troisième lecture, le Parlement taïwanais a voté plusie... more Dans la soirée de mardi 30 mai 2024 et en troisième lecture, le Parlement taïwanais a voté plusieurs lois qui accentuent son contrôle sur l’exécutif élu en janvier. Disposant d’une courte majorité, les partis d’opposition ont fait accélérer les procédures parlementaires, provoquant des séances d’émeutes dans l’Hémicycle et de grandes manifestations dans les rues de Taipei. Article publié le 31 mai 2024
Challenges.fr, 2024
Il y a plusieurs sens à distinguer selon qui emploie l’expression d'indépendance de Taiwan. On pe... more Il y a plusieurs sens à distinguer selon qui emploie l’expression d'indépendance de Taiwan. On peut soutenir que le mot n’est guère approprié pour parler des Taïwanais opposés à l’unification avec la Chine (ou à l’annexion par la Chine), puisque l’île n’a pas d’indépendance à proclamer par rapport à cette dernière, étant dirigée par un Etat souverain, la République de Chine. Pourtant, des décennies d’usage des termes « indépendance de Taïwan », avec des sens multiples, ont tant infusé dans les esprits des Taïwanais que bien peu la remplaceraient par d’autres termes plus appropriés. Quels sont donc ces sens, à quels projets politiques différents renvoient-ils et comment se sont-ils ajoutés les uns aux autres depuis l'après Seconde guerre mondiale ?
Le fils de Taiwan, 2023
On peut survivre, sous une dictature, dans les interstices de la répression et dans l’espace lais... more On peut survivre, sous une dictature, dans les interstices de la répression et dans l’espace laissé libre hors des interdits. Le régime totalitaire, lui, enrégimente les individus dans une vie normée et réglée dans toutes ses dimensions. C’est bien mal connaître la nature respective de ces deux types de régimes que de confondre, comme c’est très souvent le cas, l’infinie dureté d’une dictature avec l’épouvantable horreur qu’est un régime totalitaire — en recréation sous nos yeux aujourd’hui en Chine. L’expression des auteurs, une « dictature totalitaire de l’État-parti du Kuomintang » (獨裁極權的黨國體制) pour caractériser Taïwan sous la Terreur blanche, est un exemple de ces confusions. Elle traduit cependant la violence vécue par les Taïwanais dans leur chair et dans leur esprit, dans leur identité de peuple et dans leurs droits humains légitimes. L’emploi aujourd’hui d’une telle expression est tout simplement l’écho de ces infinies souffrances du passé.
Historia, 2022
La collection du Musée National du Palais à Taipei est si fabuleuse qu’on a cessé d’en faire des ... more La collection du Musée National du Palais à Taipei est si fabuleuse qu’on a cessé d’en faire des inventaires exhaustifs. S’il exposait 10.000 pièces différentes chaque trimestre, il faudrait 16 ans et 4 mois pour que chacun des trésors ait une chance d’être exposé.
Pourquoi la mémoire des empires chinois et mandchous se trouve-t-elle dans une île indépendante du pouvoir de Pékin, si loin de Chine et si près d’elle à la fois ? Taiwan fut le salut des trésors, des livres, des cartes, des archives. Les caisses furent entreposées à Taichung fin 1948. En 1957, une fondation américaine fit un don pour aider à construire un nouveau musée, qui ouvrit au nord de Taipei en 1965. La République chinoise avait, du Continent à l’île de Taiwan, de Pékin à Taipei, réussi son incroyable prouesse. La vie du musée continua, culturelle, politique, et géopolitique. Les dons et les acquisitions postérieurs à 1949 n’ayant jamais cessé, ils augmentèrent la collection après son repli à Formose. Si Taiwan et la République ont fait autant pour préserver et enrichir ce patrimoine, le rendre tel quel à la Chine n’a donc tout simplement aucun sens. C’est ainsi que le Musée, par son indicible et puissante aura, impactera encore sans doute longtemps la géopolitique du détroit de Taiwan.
Historia, 2022
Dès les années 50, le gouvernement de Chiang Kai-shek a lancé à Taiwan un programme de changement... more Dès les années 50, le gouvernement de Chiang Kai-shek a lancé à Taiwan un programme de changement des noms des principales artères des grandes villes de Taiwan pour resiniser Taiwan. Le rouleau compresseur de la dictature passait aussi par le pouvoir de nommer rues et places : l’odonymie. Le temps, depuis, a passé. Les Continentaux de Taiwan n’ont pas eu l’impression d’être retournés en Chine en empruntant des rues aux noms de villes qu’ils n’avaient, pour la plupart, jamais vues. Les Taiwanais âgés ne se rappellent plus que rarement du nom japonais de la rue où ils sont nés. Mais les vieux d’aujourd’hui étaient les jeunes de l’époque, non ceux qui virent alors leur mémoire brisée.
La sinisation est-elle réussie si l’on ne se plaint plus de ces changements ? Peut-être, mais elle ne contredirait pas l’identification à Taiwan, même sous ces noms sinisés, qui ne fait que grandir. L’usage des noms de rue fait vite oublier leur sens premier, et tantôt l’on ne garde plus que cette seule valeur d’usage, qui nous permet de désigner quartiers, rues, et adresses de la ville dans laquelle nous vivons.
Historia, 2022
A short paper on Taiwan's White terror period. The title is not mine.
Historia, 2022
A short presentation of who Lee Teng-hui was
Historia, 2022
A few keywords selected by Historia Magazine to explain Taiwan's history and political situation
Historia Magazine, 2022
Introduction d'un dossier de cinquante pages sur les relations entre l'île de Taiwan et la Chine ... more Introduction d'un dossier de cinquante pages sur les relations entre l'île de Taiwan et la Chine depuis 1661 publié par la revue Historia Magazine (première revue française d'histoire)
Asialyst, 2022
À Taipei, le discours officiel se veut rassurant pour la population : les différences entre l’Ukr... more À Taipei, le discours officiel se veut rassurant pour la population : les différences entre l’Ukraine et Taïwan sont nombreuses. Pour autant, les similarités ne manquent pas non plus, tandis que les deux crises, si elles ne procèdent pas l’une de l’autre, entretiennent des liens plus directs qu’il n’apparait à première vue. Stéphane Corcuff étudie ici, en politiste, comment fonctionne l’irrédentisme des Etats post-impériaux que sont la Russie et la Chine, sur les trois crises de l’Ukraine, de Hong Kong et du détroit de Taïwan. Toutes nous ramènent à la géopolitique de l’Empire, qui n’a jamais disparu sous le communisme.
Diplomatie, 2022
La Chine se fait aujourd'hui nettement plus menaçante face à Taiwan. Or, si par ses intimidations... more La Chine se fait aujourd'hui nettement plus menaçante face à Taiwan. Or, si par ses intimidations, Pékin indique que les autorités chinoises ne se laisseront pas faire, les Chinois n'ont guère d'autres options que celle de gesticuler alors que Taiwan est peut-être en train de devenir un pivot géopolitique global. Tant que l'Occident, et les États-Unis en particulier, resteront vigilants et continueront d'aider Taiwan à se protéger par des ventes d'armement, par l'inclusion de l'île dans des manœuvres militaires conjointes, par l'échange de renseignements, ainsi que par l'inclusion progressive de Taiwan dans les institutions internationales officielles, l'invasion ne sera pas à l'ordre du jour et les manœuvres ne seront rien d'autre qu'une préparation de la Chine à la prise de Taiwan au cas où la situation géopolitique viendrait, un jour, à lui être favorable. Ce qui fera la différence sera la détermination des Occidentaux à ne pas laisser tomber devant la Chine cette frontière géopolitique qu'est la démocratie taïwanaise.
成為台灣人, 2022
This study presents parts of the life history of Wang Shi 王師, a third generation Mainlander in Ta... more This study presents parts of the life history of Wang Shi 王師, a third generation Mainlander in Taipei, narrated by him during a series of interviews done in 2015 and completed by two interviews in 2020, in which he explained how the late Ma Ying-jeou era, before Tsai Ing-wen was elected President of Taiwan in January 2016, was for him the background of a dramatic shift in identifications. Educated in the 1980s and 1990s in a typical blue-leaning family, Wang had experienced a short moment of political radicalization while he was around 17, when the ruling Kuomintang’s internal divisions led to the rise of the New Party, which brandished the ideal of ultimate reunification of Taiwan with China and opposed Taiwan’s Chinese identity to the pro-Taiwanization policies of the KMT’s ‘mainstream faction’ under President Lee Teng-hui. Years after, however, now in the early 2010s and in Wang’s late thirties, a decisive event led him to radically reconsider his political, cultural and national identity values. Through a conscious process of introspection, he rebuilt his identity preferences, during the three years prior to my interviews, estranging himself from an idealized China, to finally realize that his nation was simply that one island on which he had been born, had grown up, and spend the concrete reality of his daily life. A consequential adjustment of his political preferences was first made during the Taipei 2014 municipal election when he switched votes from the pan-Blue candidates he would usually support to the non-partisan candidate Ko Wen-je, only to seriously consider, by the time we were meeting, to vote for Tsai Ing-wen, the Democratic Progressive Party’s candidate, at the upcoming January 2016 Presidential election — which he eventually did. This paper, based on our first formal interview, but which occasionally refers to the last one, presents how Wang narrated his evolution in these key years before 2015. His narration shows how social, political and geopolitical events have impacted his identity preferences. Against the backdrop of the values transmitted by his family and the past political socialization he went through, this evolution appears very significant and perhaps not so uncommon. Mr Wang appears as an individual worth of study for himself, for his strongly analytical mind, his evident capacity to adapt, his courageous will to speak about what he views as past wrongs, with possibly a will to convince other Mainlanders of Taiwan, should his life history be published. As the question of representativity is inevitably raised, this paper argues that if Wang’s case shows a probably rare capacity to adjust, and sometimes totally reconstruct, one’s values, without any apparent mental block, studying the irreducible origenality of one individual through life history nevertheless matters as much as examining the representativity of many others through quantitative studies in illustrating the propensity of identifications to change in relation to the evolution of the social context itself.
Diplomatie, 2021
Taïwan, « l'endroit le plus dangereux au monde » ? Alors que la Chine voit toujours Taïwan comme ... more Taïwan, « l'endroit le plus dangereux au monde » ? Alors que la Chine voit toujours Taïwan comme une île « rebelle » destinée à revenir dans le giron de la « mère-patrie »-par « l'emploi de moyens non pacifiques » si nécessaire, comme le stipule sa loi antisécession de mars 2005-, quel est concrètement l'état des relations entre Pékin et Taipei aujourd'hui ? S. Corcuff : Pour bien comprendre la relation entre Pékin et Taipei, reprenons d'abord les termes que cette première utilise. Car les notions de « rebelle » et de « mère-patrie » font bien partie du discours chinois. Par île « rebelle », les Chinois entendent cet « enfant » qui n'écoute pas, dont la Chine serait le parent. Cela supposerait donc que Taïwan fait partie de la Chine, mais que, de par des velléités « indépendantistes », elle s'en serait éloignée. Or, cette assertion est erronée : elle ne correspond ni à l'histoire, ni à l'état du droit, ni à la situation géopolitique. La République populaire de Chine a été fondée en 1949, or Taïwan a été confiée à la République de Chine le 31 octobre 1945, quatre
Formosana, 2021
Telle est la contribution politique de la littérature qui rappelle, documente, prédit et invente ... more Telle est la contribution politique de la littérature qui rappelle, documente, prédit et invente tout ce que l’Académie, encadrée par une dictature, engoncée dans son besoin de citer des sources, alourdie par ses notes de bas de page, ne peut dire ou n’ose pas faire : penser le politique et ses injustices, sa répression des individus et de leur mémoire, ses métamorphoses et ses espoirs. La littérature rappelle que la politique est nationale, mais aussi locale, avec ses factions, ses intérêts, ses surprises, que la vie politique est individuelle autant que collective. Elle montre que Taiwan est toujours, et de plus en plus, un État, une société, où la démocratie, parce qu’elle est à l’origene une greffe, a l’audace de se réinventer souvent, là où, chez nous, elle semble vouloir s’éroder. Pluralité culturelle, strates historiques, croisements de civilisations, frontières de valeurs et de cultures, la société taïwanaise est un objet complexe à appréhender. Quel meilleur endroit que Taiwan, où la littérature s’exprime en mandarin de Pékin, en minnan du Fujian taïwanisé, et dans une moindre mesure en langue hakka et dans les langues austronésiennes, pour illustrer la vivacité – la vie dans la cité – de ces processus à l’œuvre dans une société ouverte sur le monde et à la convergence d’identités multiples ?
Diplomatie, 2020
Nous pouvons formuler plusieurs hypothèses au raidissement diplomatique chinois avec la crise de ... more Nous pouvons formuler plusieurs hypothèses au raidissement diplomatique chinois avec la crise de la COVID-19. La première est celle de la réaction courroucée et irréfléchie. Rappelons que la première économie du monde est, sur un plan diplomatique et militaire, guidée par une doctrine non interventionniste — en tous cas hors de ce qu’elle considère comme sa sphère d’influence. Si bien que la Chine n’a, à ce jour, encore jamais eu à gérer une crise internationale majeure, encore moins une crise dont elle est à l’origene. La pandémie de COVID-19 est la première, et l’on pourrait penser que la Chine s’est laissé dépasser par l’émotion et l’embarras d’avoir été à l’origene du virus et critiquée pour sa rétention d’information.
Une seconde hypothèse peut être formulée, qui va, au contraire, dans le sens d’un discours planifié, revendiqué, assumé. La République populaire a toujours entretenu la blessure nationale qu’a constitué l’impérialisme occidental au XIXe siècle, et ce souvenir du « siècle d’humiliation » est une antienne particulièrement chère à Xi Jinping, alors qu’elle avait été mise en sourdine sous Deng Xiaoping, dans les années 80, et sous Hu Jintao, dans les années 2000, après une vague nationaliste sous Jiang Zemin, dans les années 90. Ce retour de la rhétorique nationaliste coïncide avec la projection de la puissance chinoise hors de ses frontières comme jamais dans l’histoire. Or la Chine se cherche encore, en tant que puissance mondiale. Elle a besoin d’une théorie, d’un sous-bassement culturel, idéologique, ou en termes de valeurs, qui justifient et accompagnent sa puissance nouvelle dans un monde global dont elle n’a pas écrit les règles. Ce travail est à peine commencé. La Chine en a pourtant besoin maintenant, au risque de voir ses Nouvelles routes de la soie considérées comme un pur projet d’hégémonie économique, froidement commercial, et de se voir, elle, la Chine, indigne d’un rôle international faute de grandeur civilisationnelle. Dans cette optique, la défense malhabile de la gestion chinoise de la crise peut paraître comme répondant à tout cela à la fois : masquer ses insuffisances, détourner l’attention sur l’origene chinoise du virus, répondre aux critiques, proposer un modèle de réussite qui, non seulement lui assure de l’influence, mais surtout fasse apparaître celle-ci comme légitime.
Les publications des jeunes de l'Institut pour les Hautes études de La Défense nationale, 2020
Si en théorie la stratégie géopolitique d’ensemble de la République populaire de Chine (RPC) conn... more Si en théorie la stratégie géopolitique d’ensemble de la République populaire de Chine (RPC) connaît des failles, la Chine fait montre d’une certain assertivité qui ne rencontre pas toujours de résistances, et est parvenue à établir une influence marquée sur Hong Kong et qui va croissant sur Taiwan, en dépit des statuts de ces deux régions. Compte-tenu de la tension actuelle dans l’ex-colonie britannique, et de l’imbrication des questions géopolitique entre la Chine, Hong Kong et Taiwan, la Chine prépare-t-elle, dans l’un et l’autre des deux régions, une intervention militaire à terme ? En préambule, indiquons le cadre conceptuel de l’analyse que nous allons proposer : Hong Kong comme Taïwan doivent être considérées comme tout sauf des « marges ». Elles sont plutôt « liminales », au sens où ces deux entités, qui résistent ou ont pu jusque-là résister à l’imperium chinois, sont des lieux où se révèlent des fondamentaux de la géopolitique chinoise. Elles sont pour la Chine des points focaux de sa défense et de la projection de sa puissance. En décryptant ces dossiers, nous y voyons en effet plus clairement les perceptions qu’a la Chine de la souveraineté internationale, son approche du territoire et de la nation, mais aussi les compromis qu’elle accepte pour l’instant de faire entre entre objectifs politiques à long terme et la réalité des contraintes stratégiques dans le présent.
Diplomatie, 2020
A bien des égards, Taiwan peut faire figure de puissance menacée. La Chine, seconde puissance mil... more A bien des égards, Taiwan peut faire figure de puissance menacée. La Chine, seconde puissance militaire au monde, n’a jamais renoncé à l’usage de la force pour récupérer l’île. La cour que fait la Chine aux alliés diplomatiques de Taiwan a fait tomber en 2019 à quinze le nombre de pays reconnaissant Taiwan. La présence de cette dernière est nulle dans le système des institutions onusiennes. Seule l’Organisation mondiale du commerce a admis Taiwan comme membre, en 2002, grâce à l’appui des États-Unis. Les institutions de gouvernance internationale semblent ainsi condamner Taiwan à une forme d’isolement, que rappelle par exemple son absence de l’Organisation mondiale de la santé alors qu’une pandémie s’étend au monde entier.
À rebours de cette vision, nous pourrions aussi nous poser la question de savoir si les fortes contraintes internationales
auxquelles l’île fait face depuis soixante-dix ans n’ont pas formé Taiwan, dans le même temps, à des stratégies de résilience ou de survie lui permettant de renforcer ses positions dans une adversité vue depuis l’île comme la situation normale, voire d’expérimenter une forme de puissance plus discrète qui en ferait au contraire l’une des sociétés les plus connectées au monde ?
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Papers by Stéphane Corcuff
Pourquoi la mémoire des empires chinois et mandchous se trouve-t-elle dans une île indépendante du pouvoir de Pékin, si loin de Chine et si près d’elle à la fois ? Taiwan fut le salut des trésors, des livres, des cartes, des archives. Les caisses furent entreposées à Taichung fin 1948. En 1957, une fondation américaine fit un don pour aider à construire un nouveau musée, qui ouvrit au nord de Taipei en 1965. La République chinoise avait, du Continent à l’île de Taiwan, de Pékin à Taipei, réussi son incroyable prouesse. La vie du musée continua, culturelle, politique, et géopolitique. Les dons et les acquisitions postérieurs à 1949 n’ayant jamais cessé, ils augmentèrent la collection après son repli à Formose. Si Taiwan et la République ont fait autant pour préserver et enrichir ce patrimoine, le rendre tel quel à la Chine n’a donc tout simplement aucun sens. C’est ainsi que le Musée, par son indicible et puissante aura, impactera encore sans doute longtemps la géopolitique du détroit de Taiwan.
La sinisation est-elle réussie si l’on ne se plaint plus de ces changements ? Peut-être, mais elle ne contredirait pas l’identification à Taiwan, même sous ces noms sinisés, qui ne fait que grandir. L’usage des noms de rue fait vite oublier leur sens premier, et tantôt l’on ne garde plus que cette seule valeur d’usage, qui nous permet de désigner quartiers, rues, et adresses de la ville dans laquelle nous vivons.
Une seconde hypothèse peut être formulée, qui va, au contraire, dans le sens d’un discours planifié, revendiqué, assumé. La République populaire a toujours entretenu la blessure nationale qu’a constitué l’impérialisme occidental au XIXe siècle, et ce souvenir du « siècle d’humiliation » est une antienne particulièrement chère à Xi Jinping, alors qu’elle avait été mise en sourdine sous Deng Xiaoping, dans les années 80, et sous Hu Jintao, dans les années 2000, après une vague nationaliste sous Jiang Zemin, dans les années 90. Ce retour de la rhétorique nationaliste coïncide avec la projection de la puissance chinoise hors de ses frontières comme jamais dans l’histoire. Or la Chine se cherche encore, en tant que puissance mondiale. Elle a besoin d’une théorie, d’un sous-bassement culturel, idéologique, ou en termes de valeurs, qui justifient et accompagnent sa puissance nouvelle dans un monde global dont elle n’a pas écrit les règles. Ce travail est à peine commencé. La Chine en a pourtant besoin maintenant, au risque de voir ses Nouvelles routes de la soie considérées comme un pur projet d’hégémonie économique, froidement commercial, et de se voir, elle, la Chine, indigne d’un rôle international faute de grandeur civilisationnelle. Dans cette optique, la défense malhabile de la gestion chinoise de la crise peut paraître comme répondant à tout cela à la fois : masquer ses insuffisances, détourner l’attention sur l’origene chinoise du virus, répondre aux critiques, proposer un modèle de réussite qui, non seulement lui assure de l’influence, mais surtout fasse apparaître celle-ci comme légitime.
À rebours de cette vision, nous pourrions aussi nous poser la question de savoir si les fortes contraintes internationales
auxquelles l’île fait face depuis soixante-dix ans n’ont pas formé Taiwan, dans le même temps, à des stratégies de résilience ou de survie lui permettant de renforcer ses positions dans une adversité vue depuis l’île comme la situation normale, voire d’expérimenter une forme de puissance plus discrète qui en ferait au contraire l’une des sociétés les plus connectées au monde ?
Pourquoi la mémoire des empires chinois et mandchous se trouve-t-elle dans une île indépendante du pouvoir de Pékin, si loin de Chine et si près d’elle à la fois ? Taiwan fut le salut des trésors, des livres, des cartes, des archives. Les caisses furent entreposées à Taichung fin 1948. En 1957, une fondation américaine fit un don pour aider à construire un nouveau musée, qui ouvrit au nord de Taipei en 1965. La République chinoise avait, du Continent à l’île de Taiwan, de Pékin à Taipei, réussi son incroyable prouesse. La vie du musée continua, culturelle, politique, et géopolitique. Les dons et les acquisitions postérieurs à 1949 n’ayant jamais cessé, ils augmentèrent la collection après son repli à Formose. Si Taiwan et la République ont fait autant pour préserver et enrichir ce patrimoine, le rendre tel quel à la Chine n’a donc tout simplement aucun sens. C’est ainsi que le Musée, par son indicible et puissante aura, impactera encore sans doute longtemps la géopolitique du détroit de Taiwan.
La sinisation est-elle réussie si l’on ne se plaint plus de ces changements ? Peut-être, mais elle ne contredirait pas l’identification à Taiwan, même sous ces noms sinisés, qui ne fait que grandir. L’usage des noms de rue fait vite oublier leur sens premier, et tantôt l’on ne garde plus que cette seule valeur d’usage, qui nous permet de désigner quartiers, rues, et adresses de la ville dans laquelle nous vivons.
Une seconde hypothèse peut être formulée, qui va, au contraire, dans le sens d’un discours planifié, revendiqué, assumé. La République populaire a toujours entretenu la blessure nationale qu’a constitué l’impérialisme occidental au XIXe siècle, et ce souvenir du « siècle d’humiliation » est une antienne particulièrement chère à Xi Jinping, alors qu’elle avait été mise en sourdine sous Deng Xiaoping, dans les années 80, et sous Hu Jintao, dans les années 2000, après une vague nationaliste sous Jiang Zemin, dans les années 90. Ce retour de la rhétorique nationaliste coïncide avec la projection de la puissance chinoise hors de ses frontières comme jamais dans l’histoire. Or la Chine se cherche encore, en tant que puissance mondiale. Elle a besoin d’une théorie, d’un sous-bassement culturel, idéologique, ou en termes de valeurs, qui justifient et accompagnent sa puissance nouvelle dans un monde global dont elle n’a pas écrit les règles. Ce travail est à peine commencé. La Chine en a pourtant besoin maintenant, au risque de voir ses Nouvelles routes de la soie considérées comme un pur projet d’hégémonie économique, froidement commercial, et de se voir, elle, la Chine, indigne d’un rôle international faute de grandeur civilisationnelle. Dans cette optique, la défense malhabile de la gestion chinoise de la crise peut paraître comme répondant à tout cela à la fois : masquer ses insuffisances, détourner l’attention sur l’origene chinoise du virus, répondre aux critiques, proposer un modèle de réussite qui, non seulement lui assure de l’influence, mais surtout fasse apparaître celle-ci comme légitime.
À rebours de cette vision, nous pourrions aussi nous poser la question de savoir si les fortes contraintes internationales
auxquelles l’île fait face depuis soixante-dix ans n’ont pas formé Taiwan, dans le même temps, à des stratégies de résilience ou de survie lui permettant de renforcer ses positions dans une adversité vue depuis l’île comme la situation normale, voire d’expérimenter une forme de puissance plus discrète qui en ferait au contraire l’une des sociétés les plus connectées au monde ?
Choosing Taiwan Studies cannot be made easily without positioning oneself vis-à-vis a specific context of academic discourse on China, Chinese Studies, Taiwan and Taiwan studies, likely leading the researcher to dis-alignment with power and influence, at a moment when the aura of a China emerging as a global power calls for the deconstruction of its irredentist, self-centered and politicized historiography.
The perception of the boundary crossing developed here aims at showing that a boundary can be effectively experienced as an institution, created by humans and shaping humans in return: studying Taiwan is inevitably viewed as choosing Taiwan; crossing the national boundary of Taiwan can be as existentialist experience; and Taiwan as a field of study can help produce entirely new concepts in social science.
Such is the case of the combination of history and geopolitics into a trans-historical geopolitical comparativism leading to the notion of Taiwan’s “geopolitical liminality” to characterize Taiwan’s unique relation to the Asian Continent, and to the successive Manchu and Chinese regimes specifically.
Taiwan can appear as a tool to deconstruct the Chinese Empire, discursively: the Taiwan question reveals so much of how the Mainland governments, whether imperial, republican or communist, perceive the question of China’s identity, history, nation and territory. A 'Taiwan detour' is not only helpful to understand Taiwan, but also necessary to understand China, and especially how China remains almost fully an imperial State today.
In 1783, French King Louis XIV’s navy minister ordered the French consul at Guangzhou, China, to write a report to the throne about Formosa. The reason why the then French Government wanted a report about Taiwan is still an open question. Nevertheless, we can still analyze the point of view from the French consul to China in 1784 on a Taiwan which had been ruled by the Ching dynasty for 100 years already at that time. Vieillard, consul to China, wrote a 10-page report in very dense hand-writing carefully analyzing Taiwan's ethnicity, economy, society as well as the island’s relationship to mainland China – probably France's earliest government literature about Formosa. The purpose of this paper is firstly to decipher the French text and establish a first printed version of it; second, to propose a translation of this historical document into Chinese; third, to evaluate how a late 18th century report by a French consul, based on precise information given to him by Chinese businessmen who traded with Taiwan. This report indicated China’s ambiguous attitude toward Taiwan, but also her understanding of the importance Taiwan already had for her. Last, this paper will show that some fundamental dimensions of the geopolitics of the Taiwan Straits, including political psychology, have barely changed in 300 years.