L’eau
On ne sait trop ce qu’il se passe, puisque nous sommes à hauteur de chat. Mais l’eau déferle, monte, tempête, se retire violemment. Rupture d’un barrage, catastrophe climatique, tsunami, déluge immémorial… peu importe finalement la cause, il faut faire face, nous dit Gints Zilbalodis.
Les humains ont disparu. Restent les ruines d’une maison d’un.e humain.e ami.e des chats, une Venise en ruines, des temples aux airs asiatiques…Le film nous invite donc à envisager la catastrophe climatique d’un point de vue qui ne soit pas anthropocentré. Les personnages animaux ne sont pas anthropomorphisés, et donnent plutôt une impression de réalisme saisissant. Les animaux eux aussi font face à des catastrophes naturelles.
Le collectif
Une drôle d’arche de Noé sans Noé se met en place sur un frêle esquif. Autour du chat, qui vit une sorte d’apprentissage de la survie, va se rassembler toute une petite troupe d’êtres étranges. D’abord une sorte de castor punk, qui pue, dort et, flegmatique, ne se soucie de rien. Mature mais indifférent. Puis un oiseau protecteur, cruellement mutilé pour avoir dérogé à une règle de solidarité envers sa seule espèce. Aristocrate romantique qui voit loin, il hésite à accueillir la meute, et s’éloigne pour une mort mystique.
Puis revient le labrador, enfantin, toujours happé par le conditionnement du jeu. Le singe sauvage n’est est pas pour autant plus libre, fasciné qu’il est par les restes humains : maniaque, il est de ceux qui veulent garder les objets inutiles du passé. Comme les paysages, ils sont tous deux marqués par l’humain, dans leurs comportements.
Et puis il y a le monstre, baleine-coelacanthe, dans une altérité radicale, incompréhensible, et qui pourtant semble agir dans l’intérêt du groupe. Autant d’attitudes animales qui peuvent nous amener à commencer à repenser les difficultés et fragilités d’un collectif post-apo, dont l'une des caractéristiques est de faire voler en éclat les traditionnelles assignations territoriales. Dans l'Arche de Noé, on ne choisit pas ses voisin.es.
La question morale : accueillir et sauver les « méchants »
Une vraie question se pose par deux fois, lorsqu’il s’agit d’agréger une meute de chiens à la petite troupe. Ils peuvent montrer les dents : ils sont potentiellement dans le rapport de force. Et l’on verra lors de la dernière péripétie qu’ils privilégient (par instinct?) leur intérêt à celui du groupe.
Ils sont ceux dont l’accueil brise l’harmonie, ceux dont le sauvetage manque d’entraîner des morts. Brutaux, ingrats, nombreux, inconstants… ils ne font pas l’unanimité - mais l'humanité. Ils font partie de l’Arche.
Apocalypse
Il n’y aura pas de terre promise. Après l’inondation, il faut vivre, et d’abord avec le trauma du retour de la catastrophe. Le chat a peut-être apprivoisé l’eau, mais il a intégré la terreur de son déferlement. Après l’inondation, il faut aussi survivre et voir disparaître certains camarades, les plus fragiles n’étant pas ceux que l’on croit. Certains adaptations sont trop coûteuses, voire impossibles.
Le motif qui peu à peu se tisse est celui du miroir. L’eau est un premier miroir, celui que nous tend notre environnement. Puis vient l’objet, enjeu d’un narcissisme compulsif et aveuglant. Reste enfin le regard des autres, empreint d’émotion, agressive ou compassionnelle. Le film est finalement le dernier miroir tendu, celui de l’art : où en sommes-nous de nos relations à l’environnement et aux autres ? Faudra-t-il attendre la catastrophe pour que nos natures soient révélées?