Kierkegard Nietzche
Kierkegard Nietzche
Kierkegard Nietzche
l'existentialisme contemporain
Objekttyp: Article
Heft 2
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KIERKEGAARD ET NIETZSCHE
PÈRES DE L'EXISTENTIALISME CONTEMPORAIN1
1
Leçon finale d'un cours professé à l'Université de Lausanne au semestre
d'été 1948. Nous lui avons laissé son caractère d'exposé oral.
80 ÉTUDES DE LETTRES
écarter les voiles trompeurs que les hommes aiment à jeter sur la vie
pour la justifier. Ils ont l'un et l'autre une égale horreur du faux
optimisme et des contentements faciles. La découverte qu'ils font du
tragique de l'existence et de la médiocrité, de la bassesse humaine, les
remplit d'un égal effroi, d'un égal dégoût : mais ils savent que leur
tâche est de surmonter ce sentiment, de le vaincre sans fermer les
yeux sur la réalité. Blessés, comme le héros d'une célèbre légende de
la Genèse, dont Delacroix a fait un tableau, ils mènent, chacun selon
ses moyens et sur sa voie, la lutte avec l'ange. Quel spectacle d'assister
à ce double combat Tua res agitur.
J'ai dit que nous trouvons chez Nietzsche et chez Kierkegaard
même dégoût de la médiocrité de la vie et des hommes — et de soi :
« Le tout de la vie m'est une peste, surtout moi... », lisons-nous dans
le Journal de Kierkegaard. Et Nietzsche: « Vous n'avez point encore
souffert comme j'ai souffert; vous n'avez pas souffert en l'humanité
(ich litt am Menschen) » (Also sprach Zarathoustra). Et dans la
Généalogie de la morale (§§ 12, 13) Nietzsche demande : « Qu'est-
ce qui cause aujourd'hui notre dégoût de l'homme (Widerwille gegen
den Menschen)? » C'est la lamentable médiocrité prônée comme
une vertu, la peur de tout ce qui est fort et de ce qui blesse. « Le
spectacle de l'homme produit aujourd'hui une lassitude : qu'est-ce
que le nihilisme (dont Nietzsche, disciple émancipé de Schopenhauer,
a senti les atteintes), si ce n'est cette lassitude »
Contre ce dégoût, Kierkegaard — après un stage dans la vie de
bohème et un essai avorté de vie bourgeoise — ne voit d'autre
remède que la foi chrétienne, la foi en l'Incarnation. Mais il ne
demandera pas à la théologie chrétienne de lui expliquer le monde
et l'humanité. Il pense que le dogme ne satisfait pas la raison, bien
au contraire : il est pur paradoxe, et c'est précisément en tant que
paradoxe qu'il peut être accepté : nous devons faire le saut dans la
foi et croire que tout est possible à Dieu, même la restitution du
temps passé dans une éternité qui restaure l'être et le porte à cette
perfection qu'est la réconciliation avec Dieu et avec les hommes :
la béatitude.
Il y eut une curieuse évolution chez Kierkegaard après la rupture
de ses fiançailles avec Régine. Il fit, selon la remarque de Jean Wahl,
« une tentative infructueuse pour dire oui au réel en passant par
Dieu » h Comme pour Abraham prêt à sacrifier Isaac — dont
Kierkegaard parle dans Crainte et Tremblement — comme pour Job au
1
Introduction à l'édition française de Crainte et Tremblement, p. XXIII,
Aubier, 1935.
KIERKEGAARD ET NIETZSCHE 81
1
Op. cit., p. XXIV.
2
Op. cit., pp. XXI-XXII.
82 ÉTUDES DE LETTRES
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II faut pas l'oublier, lorsqu'on songe d'autre part à l'insupportable per-
ne
sonnalisme mégalomane du Nietzsche des dernières œuvres qui préludent, par la
surtension dont elles témoignent, à l'effondrment dans la folie.
KIERKEGAARD ET NIETZSCHE 83
1
II la conçoit non comme un temps prolongé, mais comme un condensé de
tout le passé et de tout le futur en un instant qui est présence éternelle. Instant
« qualitatif », diront les commentateurs, vocable qui ne répand pas la moindre
clarté sur cet étrange amalgame verbal qui définit l'obscur par le contradictoire,
car le futur, étant le non encore « arrivé », ne peut être pensé comme présent,
c'est-à-dire, si les mots ont un sens, comme étant en train d'arriver : il posséderait
alors et ne posséderait pas la structure du possible, du non encore arrivé dont on
ne peut affirmer catégoriquement qu'il arrivera.
KIERKEGAARD ET NIETZSCHE 85
une doctrine arrêtée une fois pour toutes et marquée d'un caractère
sacré, parce qu'elle entretient une forme de culpabilité — de mauvaise
conscience — qui est celle de l'enfant conscient d'avoir enfreint
l'ordre donné par l'autorité paternelle (ou de toute autorité qui joue
ce rôle). L'homme parvenu à sa majorité sait en effet qu'il est juge
en dernier ressort et que les ordres de l'autorité ont à se justifier
devant une instance dernière qui est le sens du Bien, tel qu'il a pu
se former en son esprit.
On ne saurait trop engager philosophes et théologiens à méditer
sur le cas d'un Nietzsche ou d'un Kierkegaard. Ils seront ainsi amenés
à se poser (une fois de plus, s'ils ne l'ont déjà fait) la question
cruciale que soulève le fait des impasses où théologiens et philosophes
se sont trouvés bloqués lorsque, en usant des concepts à l'emporte-
pièce que nous fournit le sens commun, tels que : l'homme et Dieu,
le temps, l'espace et la causalité, l'éternité, etc., ils ont cru pouvoir
résoudre le problème de la destinée humaine sans avoir soumis ces
concepts à un examen critique concernant leur signification et leur
portée 1.
Henri-L. Miéville.
Cette critique des langages et des concepts, Nietzsche l'a esquissée, mais au
1