Vies Des Dames Galantes Avec Des Remarqu PDF
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VIES
DAMES GALANTES
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IMRI3. — TTP. DONDEI-DDPRÉ, RÜB SAINT-LOGIS ,
VIES
DAMES GALANTES
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LE SEIGNEUR DE BRANTOME
NOUVELLE ÉDITION
BEVUE ET CORRIGÉE SUR L'ÉDITION DE 1740
PARIS
GARNIER FRÈRES, ÉDITEURS
HUE DES SAINTS-PÈRES, 6, ET P ALAIS-ROTAL, 215
1837
A MONSEIGNEUR
LE DUC
D'ALENÇON, DE BRABANT
ET COMTE DE FLANDRES,
MONSEIGNEUR,
MONSEIGNEUR,
Votre très-humble et très-obéissant sujet
et très-affectionné serviteur,
DE BOÜRDEÍF.LE.
DAMES GALANTES.
DISCOURS PREMIER.
Sur les damos r|u¡ Ion I l'amour et leurs maris rocus (IJ.
.D'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du co-
cuage, et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu
meltre ce discours parmi ce livre des Dames, encore que je parle-
ray autant des hommes que des femmes. Je sçay bien que j'entre
prends une grande œuvre, et que je n'aurois jamais f;iit si j'en
voulois monstrer la fin, car tout le papier de la chambre des comp
tes de Paris n'en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs
histoires, tant des femmes que des hommes ; mais pourtant j'en
escriray ce que je pourray, et quand je n'en pourray plus, je quit-
teray ma plume au diable, ou à quelque bon compagnon qui la re-
prenilra ; m'excusant si je n'observe en ce discours ordre ny demy,
car de telles gens et de telles- femmes le nombre en est si grand,
si confus et si divers, que je ne sçache si bon sergent de bataille
qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.
Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce
mois d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus : je dis
des branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les
mois et saisons de l'an. Or de ce genre de cocus, il y en a force de
(1) Dans cet outrage, l'auteur qualifie telle dame rie belle et Кап-nette, dont pourtant
Uparle comme d'une fieffée p ; mais lorsqu'il ajoute, comme il fait quelquefois
vertueuse ¡i belle et htmnesle, il insinue par là que la dime éloit sage et ne l'aisoi
pomi parler d'elle.
1.
6 VIES DES DAMES GALANTES.
diverses espèces ; mais de toutes la pire est, et que les dames crai
gnent et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bi
zarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants el ombrageux, qui
frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour
le faux, tant le moindre soupçon du inonde les rend enrages ; et
de tels la conversation est fort à fuir, el pour leurs femmes el pour
leurs serviteurs. Toutefois j'ay cogueu des dames et de leurs servi
teurs qui ne s'en sont point soucié; car ils estoient aussi mauvais
que les autres, et les dames esloicnl courageuses, tellement que si
le courage venoil à manquer à leurs serviteurs, le leur remettoient;
d'aulaul que tant plus loute entreprise est périlleuse et scabreuse,
d'autant, plus se doit-elle faire et exécuter de grande générosité.
D'auires telles dames ay-je cngneu qui n'avoieut nul cœur ny am
bition pour altenier choses hautes, et ne s'amusoienl du tout qu'à
leurs dioses basses : aussi dit-on lasche de cœur comme une pu
tain.
— J'ay cogiieu une honnesle dame, et non des moindres, la
quelle, en une bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la jouis
sance de son amy, et luy remonstrant à elle l'inconvénient qui en
adviendrait si le тагу qui n'estoit pas loin les surprenoit, n'en ш
plus de cas, et le quitta là, ne i'esiimaut hardy amant, ou bien
pour ce qu'il la dédit au besoin : d'autant qu'il n'y a rien que h
dame amoureuse, lors que l'ardeur et la fantaisie de venir-là luy
prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup
pour quelques divers empeschements, haïsse plus el s'en dépile. Il
faut bien louer celte dame de sa hardiesse, et d'autres aussi ses
pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien
qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne (ait un soldat
ou un marinier aux plus hasardeux périls de la guerre ou de la mer.
— Une dame espagnole, conduite une fois par un gallaiii caval-
Her dans le logis du Boy, venant à passer par un ceitiiu recoing
caché et sombre, le cavallier, se mettant sur son respect et discré
tion espagnole, luy dit : Smora, buen lugar, sino fuera vuessa
merced. La cianie luy respomlit seulement : Si buen lugar, st no
fuera vuessa merced; c'est à-dire : « Voici un beau lieu, si c'es-
» luit une aulre que vous. — Ouy vraiment, si c'esioil aussi un
aulre que vous. » Par là l'arguant el inculpant de coúar.lise, pour
n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloil et »-lin dési-
roit ; ce qu'eusl fait un autre plus hardy ; et, pour ce, oucques
plus ne Гаута el te quillla.
DISCOURS I. 7
— J 'ay on y parler d'une fort belle et honneste darae, qui donna
assignation à son amy de coucher avec elle , par tel si qu'il ne la
toucherait nullement et ne viendrait aux prises; ce que. l'autre ac-
complit, demeurant tonte la nuict en granJ'siase, lentation et con
tinence, dont elle lui en sceut si bon gré, que quelque temps après
lus en donna jouissance, disant pour ses raisons qu'elle »voit voulu
espronver sou amour en- accomplissant ce qu'elle luy avail com
mandé : et, pour ce, l'en ayma puis après davantage, et qu'il pour-
roil faire toute autre chose une autre fuis d'aussi grande adventure
que celle-là, qui est des plus grandes. Aucuns pourront louer rette
discretion ou lascheté, autres non : je m'eu rapporte aux humours
et discours que peuvent tenir ceux de l'un et de l'autre party en
cety
— J'ay cogneu une dame assez grande qui, ayant donné une as
signation à son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint
tout appresté, en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant
que c'estoit en hyver, il eut si grand froid en allant, qu'estant cou
ché il ne put rien faire, et ne songea qu'à se réchauffer : dont la
dame l'en haït et n'en fit plus de cas.
— Une autre -dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il
luy dit, entre autres propos, que s'il estoit couché avec elle, qu'il
entreprendroit faire six postes la nuict, tant sa beauté le ferait
bien piquer. « Vous vous vantez de beaucoup, dit-elle. le vous
» assigne donc b une telle nuict. » A quoy il ne faillit de compa-
TO'.slre ; mais le malheur fut pour luy qu'il fut surpris, estant dans
le lict, d'une telle convulsion, refroidissement et retirement de nerf,
qu'il ne put pas faire une seule poste; si bien que la dame luy dit :
« Ne voulez- vous faire autre chose? or vuidez de mon lict , je ne
» le vous ay pas preste, comme un lict d'bosiellerie, pour vous y
» mettre à voslre aise et reposer. Parquoy vuidvz. и Et ainsi le
renvoya, et se moqua bien après de luy, l'haïssanlplus que peste. Ce
gentilhomme fusl esté fort heureux s'il fust esté de la complexion
du grand prolenolaire Baraud, et aumosnierdu roy François, -que,
quand il couchoit avec les dames de la Cour, du moins il alloil à la
douzaine, et au mutin il disoit encore : « Excusez moi, madame,
» si je n'ay mieux fût, car je pris hier médecine. » Je l'ay veu de
puis, et l'appeloil on le capitaine Barauil, gascon, et avoit laissé
Ь robbe, et m'en a bien coulé, à mon advis, nom par nom. Sur ses
vieux ans, cette virile et vénéreique vigueur luy défaillit, et estoit
pauvre, encore qu'il eust tiré de bons brins que sa pièce luy avoit
t
t VIES DES DAMES GALANTES.
valu; mais il avoit tout brouillé, et se mita escouler et distiller
des essences : « Mais, disoit-il, si je pouvois, aussi bien que de
» mon jeune sage, distiller de l'essence spermatique, je ferois bien
a mieux mes affaires et m'y gouvernerais mieux. »
— Durant cette guerre de la' ligue, un honneste gentilhomme,
brave certes et vaillant, estant sorty de sa place dont il estoit gou
verneur pour aller à la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heur
en sa garnison, il passa chez une belle et fort honneste et grande
dame veufve, qui le convie de demeurer à coucher céans; ce qu'il
ne refusa, car il estoit las. Après l'avoir bien fait souper, elle lui
donne sa chambre et son lict, d'autant que toutes ses autres cham
bres estoient dégarnies pour l'amour de la guerre, et ses meubles
verrez, car elle en avoit de beaux. Elle se relire en son cabinet,
où rile y avoit un lict d'ordinaire pour le jour. Le gentilhomme,
après plusieurs refus de celte chambre et ce lict, fut contraint par
la prière de la dame de le prendre : et, s'y estant couché et bien
endormy d'un Ires-profond sommeil, voicy la dame qui vient tout
bellement, se coucher auprès de luy sans qu'il en sentist rien n y de
toute la nuict, tont il estoit las et assoupy de sommeil; et rep
jusques au lendemain matin grand jour, que la dame s'oslani pr
de luy qui s'accommençoit à esveiller, luy dit : « Vous n'avez
» dormy sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu
» vous quitter toute la part de mon lict, et par ce j'en ay joui de
» la moilié aussi bien que vous. Adieu : vous avez perdu une oc-
> casion que vous ne recouvrerez jamais. » Le gentilhomme, mau
gréant et détestant sa bonne fortune faillie ( c'estoit bien pour se
pendre), la voulut arrester et prier; mais rien de tout cela, et fort
dépitée contre luy pour ne l'avoir contentée comme elle vouloit, car
elle n'estoit là venue pour un coup, aussi qu'on dit : « Un seul
» coup n'est que la salade du lict, et mesmes la nuict, » et qu'elle
n'estoil là venue pour le nombre singulier, mais pour leplurier, que
plusieurs dames en cela ayment plus que l'autre. Bien contraires
à une très-belle et honneste dame que j'ay cogneu, laquelle ayant
donné assignation à son amy de venir coucher avec elle, en un rien
i il fit trois bons ar sauts avec elle ; et puis, voulant quarter et para
chever et multiplier ses coups, elle luy dit, pria et commanda de
se découcher et retirer. Luy, aussi frais que devant, luy représente
le combat, et promet qu'il feroit rage toute celte nuict là avant le
jour venu, et que pour si peu sa force n'estoit en rien diminuée.
Elle luy dit : « Contentez-vous que j'ay recogneu vos forces, qui
DISCOURS I. 9
D sont bonnes et belles, et qu'en temps et lieu je les sçauray mieux
D employer qu'à sl'heure ; car il ne faut qu'un malheur que vous el
p moy soyons descouverts; quemón тагу le sçache, me voilà per-
• due. Adieu donc jusques à une plus seure et meilleure commodité,
» et alors librement je vous employeray pour la grande bataille, et
» non pour si petite rencontre. » 11 y a force dames qui n'eussent
eu ce'.te considération, maisennivrées du plaisir, puisque tenoient
déjà dans le camp leur ennemy, l'eussent fait combattre jusques au
clair jour.
— Cette honneste dame que je dis de paravant celles cy, estoitde
telle humeur, que quand le caprice lui prenoit, jamais elle n'avoit
peur ny appréhension de son тагу, encore qu'il eust bonne espée
et fust ombrageux; et nonobstant elle y a esté si heureuse, que
ny elle ny ses amants n'ont pu guières courir fortune dé vie, pour
n'avoir jamais esté surpris, pour avoir bien posé ses gardes et bon
nes sentinelles et vigilantes : en quoy pourtant ne se doivent pas
fier les dames, car il n'y faut qu'une heure malheureuse, ainsi qu'il
arriva il y a quelque temps à un gentilhomme brave et vaillant, qui
fut massacré, allant voir sa maîtresse, par la trahison et menée
d'eUe mesme que le тагу lui avoil fait faire (l) : que s'il n'eust eu
si bonne présomption de sa valeur comme il avoit, certes il eust
bien pris garde à soy et ne fust pas mort, dont ce fut grand dom
mage. Grand exemple, certes, pour ne se fier pas tant aux femmes
amoureuses, lesquelles, pour s'esehapper de la cruelle main de
leurs niarys, jouent tel jeu qu'ils veulent, comme tit celte-cy qui eut
la vie sauve, et l'amy mourut.
— Il y a d'autres marys qui tuent la dame et le serviteur tout
ensemble, ainsi que j'ay oüy dire d'une très-grande dame de la
quelle son тагу estant jaloux, non pour aucun effet qu'il y eust
certes, mais par jalousie et vaine apparence d'amour, il fit mourir
sa femme de poison et langueur, dont fut un très-grand dommage,
ayant paravant fait mourir le serviteur, qui estoit un honneste
homme, disant que le sacrifice estoit plus beau et plus plaisant de
tuer le taureau devant et la vache après. Ce prince fut plus cruel
à l'endroit de sa femme qu'il ne fut après à l'endroit d'une de ses
filles qu'il avoit mariée avec un grand prince, mais non si grand
(I) Lisez Mdtfp.iie, ; c'est conv.no les anciens appelaient cette ville, dont le nom
moderne dans iloreri eslJlfefe<in, en l..tii> Mulniia, Лят l'Arménie, sur l'Eunbrale.
IS VIES DES DAMES GALANTES.
pour en abbreuver ainsi le monde; mais, dans son âme, il sçavoit
bien que vouloil dire cela, sa femme avoit eslé ainsi trouvée avec
son amant; si que possible luy avoit-elle donné celle assignation et
celle commodité ; car, en cela, quand la femme veut et désire, il ne
faut point que l'amant se soucie d'cxcogiler des сшито liiez, car
elle en trouvera pins en une heure que tous nous autres sçaurioni
faire en cent ans, ainsi que dit une dame de par lernende, queje
sçoy, qui dit à son amant : « Trouvez moyen seulement de m'en
» faire venir l'envie, car d'ailleurs, j'en trouvcray prou pour en ve-
» nir là. » César aussi scavoit bien combien vaut l'aune de ces cho
ses-là, car il os: oit un fort grand ruIGan, 1 1 l'appeloit-on le coq atóa
les poules, el en (il force cocus en sa ville, lesmoing le sobriquet
que luy donnoienl ses soldats à son triomphe : Romani, sérvate
vxores, mœchum adducimus calvum, c'est-à-dire,« Romains,
» serrez bien vos femmes , car nous vous amenons ce grand
» paillard et adultere de César le chauve, qui vous les repassera
» toutes. » Voilà donc comme César, par cette sage response qu'il
fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de cocu qu'il
faisoit porter aux autres ; mais, dans son âme, il se senloit bien
touché.
— Octavie César répudia aussi Scribonia pour l'amour de sa
paillardise sans autre i:ho-e, et ne luy fit autre mal, bien qu'elle
eust raison de le hire cocu, à cause d'une intinilé de dames qu'il
enlrelenoit; et devant leurs marys publiquement les prenoilà ta
ble aux Ce- lins qu'il leur faisoit, el les emnienoit en sa chambre,
et, après en avoir fait, les renvoyoit, les cheveux défaits un peu
el deslorlillez, avec les oreilles rouges : grand signe qu'elles en ve-
noieui, lequel je n'avois ony dire propre pour descouvrir que l'on en
vient ; ouy bien le visuge, mais nun l'oreille. Aussi luy donna t-on
la réputation d'estre fort paillard ; mesnies Marc-Antoine le luy re
procha : mais il s'excusoil qu'il n'enlreienoit point tant les dames
pour la paillardise, que pour descouvrir plus facilement les secrets
de leurs marys, desquels il se mesfioil. J'aicogneu plusieurs grandi
el autres, qui en onl luit de im:-nm et ont recherché les dames
pour ce mesme sujet, dont s'en sont bien trouvez; j'en nom merois
bien aucuns : ce qui est une bonne linesse, car il en sort double
plaisir. La conjuration de Caiilina fut ainsi descouverte par une
dame de joye.
— Ce mesme Octavie, à sa fille Julia, femme d'Agrippa, pour
avoir eslé une très-grande putain, et qui luy faisoit grande honte
DISCOURS I. 19
(car quelques-fois les filles font a leurs pères plus de déshonneur
que les femmes ne font à leurs marysj, fut une fois en délibération
de la l'aii'« mourir ; mais il ne la lit que bannir, In v oster le vin
et l'usage des beaux habillements, el d'user des parures, pour très-
grande punition, et la fréquentation des hommes: grande punition
pourtant pour les famines de cette condition, de les priver de ces
deux derniers points!
— César Ca'igula, qui estoil un fort cruel tyran, ayant eu opi
nion que sa femme Livia Hostilia lui avoit déroba quelques coups
en robe, et donné a son premier тагу С. Piso, duquel il l'avoit
ostée par force, et à luy encore vivant, luy faisoit quelque plaisir
et gracieuseté de son gentil corps cependant qu'il estoil absent en
quelque voyage, n'usa point en son endroit de sa cruauté accous-
tuméi;, ¡uns la bannit de soy seulement, au bout de deux ans qu'il
l'eust o>tée à son тагу Piso et espousée. Il en fit de mesme à 'ini
tia Paulina, qu'il avoit ostée à son тагу С. Meminiu.s: il ne la fit
que chasser, mais avec défense expresse de n'user nullement de ce
mestier doux, non pas seulement à son тэгу : rigueur cruelle pour
tant de n'eu donnera son тагу! J'jy ouy parler d'un grand prince
chreslien qui fit cette défense à une dame qu il entreteuoît, et à
son тагу de n'y toucher, tant il estoit j.iloux.
Claudius, fils de Drusus Germanicus, répudia tant seulement sa
femme Plantía Herculalina, pour avoir esté une signalée puiain, et,
qui pis est, pour avoir entendu qu'elle avoit attenté snr su vie ; et,
tout cruel qu'il esloit, encor que ces deux raisons fussent a-sez
bastantes pour la faire mourir, il se contenta du divorce. Davan
tage, combien de temps porta-t-il les fredaines et sales bourdel-
leries de Valí ria Messalma, son autre femme, laquelle ne se
coniemoit pas de le faire avec l'un et l'autre, dissolument et indis
crètement, mais faisoit profession d'aller aux bourdeaux s'en faire
donner, comme la plus grande bagasse de la ville, ju«ques-là,
comme «il Juvenal, qu'ainsi que son тагу estoit couché avec elle,
se déroboit tout bellement d'auprès de luy le voyant bien endurmy,
et se dégiiisoit le mieux qu'elle pouvoit, el s'en alloit en plein
bourdeau, et là s'en faisoit donner si très-tant, et jusques qu'elle
en parloil pluslosl lasse que saoule et rassasiée, et faisoit encore
pis : pour mieux se satisfaire et avoir cette réputation et contente
ment en soy d'eslre une grande pnlain et bagasse, se fuisoil payer,
et taxoil ses coups et ses chevauchées, comme uu commissaire qui
va par pays jusqu'à la dernière maille.
20 VIES DES DAMES GALANTES.
— J'ay ou; par'cr d'une dame de par le mondo, d'assez cbère
étoffe, qui quelque temps lit celte vie, et alla ainsi aux bourdeaux
déguisée, pour en essayer la vie et s'en faire donner ; si que le
guet de la ville, en luisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en
a d'autres qui font ces coups, que l'on sçait bien.
Bocace, en son livre des Illustres Malheureux, parle de celte
Messaline gentiment, et la fait alléguant ses excuses en cela, d'au
tant qu'elle «sloit du tout née a cela, si que le jour qu'elle naquist
ce fut en certains signes du ciel qui l'embrasèrent et elle et
autres. Son тагу le sçavoit, et l'endura long-temps, jusques à ce
qu'il sceut qu'elle s'estait mariée sous bourre avec un Caïus Silios,
l'un des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que c'estoit une
assignation sur sa vie, la fit mourir sur ce sujet, mais nullement
pour sa paillardise, car il y estoit tout accoustumé à lavoir, la sça-
voir et l'endurer. Qui a veu la statue de ladite Messaline trouvée
ces jours passez en la ville de BourJeaux, advouera qu'elle avoit
bien la vraye mine de foire une telle vie. C'est une médaille anti
que, trouvée parmy aucunes ruines, qui est très-belle, et digne de
la garder pour la voir et bien contempler. C'estoit une fort grande
femme, de très-belle líame taille, les beaux traits de son visage, et
sa coelfure tant gentille à l'antique romaine, et sa taille très-huuie,
démonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit : car, à ce que je
tiens de plusieurs philosophes, médecins et physionomistes, les
grandes femmes sont à cela volontiers inclinées, d'autant qu'elles
sonthommasses;et, estant ainsi, participent des chaleurs del'homme
et de la femme; et, jointes ensemble en un seul corps et sujet,
sont plus violentes et ont plus de force qu'une seule ; aussi qu'à
un grpnd navire, dit-on, il f.iut une grande eau pour le soutenir.
Davantage, à ce que disent les grands docteurs en l'art de Vénus,
une grande femme y est plus propre et plus gente qu'une petite.
Sur quoi il me souvient d'un très-grand prince que j'ai cogneu :
voulant louer une femme de laquelle il avoit eu jouissance, il dit
ces mots : « C'est une très-belle putain, grande comme madame
ma mère. » Dont ayant esté surpris sur la promptitude de sa pa
role, il dit qu'il ne vouloit pas dire qu'elle fust une grande putain
comme madame sa mère, mais qu'elle fust de la taille et grande
comme madame sa mère.
— Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, quel
quesfois aussi sans y penser l'on dit bien la vérité. Voilà donc
comme il fak meilleur avec les grandes et baúles femmes, quand ce
DISCOURS I. 13
Л lay pardonna et la prit et l'embrassa , et la remit au lict, et se
déshabillant soudain, se coucha avec elle, referma la porte ; et la
femme le contenta si bien par ses doux attraitset mignardises (pensez
qu'elle n'y oublia rien), qu'entin le lendemain on les trouva meil
leurs amis qu'auparavant, et jamais ne se firent tant de caresses :
comme fit Ménélaüs, le pauvre cocu, lequel l'espacede dix ou douze
ans menassanl sa femme Heleine qu'il la tueroit s'il la tenoit jamais,
et mesme luy disoit du bas de la muraille en haut ; mais, Troyë
prise, et elle tombée entre ses mains, il fut si ravy de sa beauté
qu'il luy pardonna tout, et l'ayma et caressa mieux que jamais.
Tels marys furieux encor sont bons, qui de lions tournent ainsi
en papillons; mais il est mal aisé à faire une telle rencontre que
celle-cy.
— Une grande, belle el jeune dame du règne du roy François I,
mariée avec un grand seigneur de France, et d'aussi grande mai
son qui y soit pointi se sauva bien autrement, et mieux que la pre
cedente ; car, fust ou qu'elle eust donné quelque sujet d'amour à
son тагу, ou qu'il fust surpris d'un ombrage ou d'une rage sou
daine, et fust venu à elle l'espée nue à la main pour la tuer, dé
sespérant de tout secours humain pour s'en sauver, s'advisa sou
dain de se vouer à la glorieuse Vierge Marie, et en aller accomplir
son vœu à sa chapelle de Loretle, si elle la sauvoit, à Sainct Jean
de Mauverels, au païs d'Anjou. Et sitost qu'elle eut fait ce vœu
mentalement, ledit seigneur tumba par terre, et luy faillit son es-
pée du poing ; puis tanlost se releva, et, comme venant d'un
songe, demanda à sa femme à quel sainct elle s1 estoit recommandée
pour éviter ce péril. Elle luy dit que c'esioit à la Vierge Marie, en
sa chapelle susdite, et avoit promis d'en visiter le saint lieu. Lors
il luy dit : « Allez y donc, et accomplissez votre voeu ; » ce qu'elle
fil, et y appendit un tableau contenant l'histoire, ensemble plu
sieurs beaux et grands vœux de cire, à ce jadis accoustumez, qui
s'y sont veus long-temps après. Voyla un bon vœu, et belle escapade
inopinée. Voyez la cronique d'Anjou.
— J'ay ouy parler que le roy François une fois voulut aller
coucher avec une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son тагу
l'espée au poing pour l'aller tuer; mais le Roy lui porta la sienne
a la gorge, et luy commanda, sur sa Vie, de ne luy faire aucun mal,
et que s'il luy faisoil la moindre chose du inonde, qu'il le tueroit,
ou qu'il luy feroit trancher la tesle ; et pour ceste nuict l'envoya
dehors, et prit sa place. Celte dame estoit bien heureuse d'avoir
2
1* VIES DES DAMES GALANTES.
trouvé un si bon champion et prolecteur de son c..; car oncqnes
depuis le ir.ary ne luy osa sonner mol, ains luy laissa du lodl faire
à :a guise. J'ai ou>y dire qae non seulement celte dame, mais
plusieurs autres, oblindreni pareille sauve garde du Boy. Comme
plusieurs font en guerre pour sauver leuis ierres et y mettent les
armoiries du Roy sur leurs portes, comme (uni ces femmes, relies
de ces grands roys, au bord el au dedans de leur c.., si bien que
leurs murys ne leur osoient dire mot, qui, sans cela, les eussent
passez au lil de l'espée.
— J'en ay eogneu d autres dames, favorisées ainsi des rovs et des
grands, qui porioyent ainsi leurs passeports parlent : toutefois, si
en avoil-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys,
n'osant y apporter le couteau, s'ayiloienl des poisons el morts ca
chées et secreties, faisant accroire que c'esloyent calherres, apo
plexie et mort subile : et tels marys sont détestables, de voir à
leurs coslez coucher leurs belles femmes, languir et tirer à la mort
de jour en jour et mérilenl mieux la mort que leurs femmes ; ou bien
les font mourir en Ire deux murailles, en chartre perpétuelle,
comme nous en avons aucunes croniques anciennes de France et j'en
ai sceu un grand de France, qui lit ainsi mourir sa femme, qui es-
loit une fort belle et honnesle dame, el ce par arrest de la cour,
pr. n^nt son petit plaisir par celte voye à se faire déclarer cocu. De
ces forcenez el furieux maris de cocus sont volontiers les vieillards,
lesquels se défilant de leurs forces et chaleurs, et s'asseurant de
celles de leurs femmes, mesme quand ils ont esté si sols de les es-
JKHISIT jeunes el belles, ils en sont si jaloux et si ombrageux, tant
l'ar leur naturel que l^urs vieilles pratiques, qu'ils ont traînées
eux mêmes autrefois ou veu traicter à d'autres, qu'ils meinem si
misérablement ces p:iuvres créatures, que leur purgatoire burse-
roit plus doux que non pas leur autorité. L'Espagnol dit : El dio
bolo sabe mucho, porque es viejo, c'est-à-dire que « le diable
sçail beaucoup parce qu'il est vieux : » de mesmes ces vieillards,
par leur aagc et anciennes routines, sçavent force choses. Si sont
ils grandement à blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent
contiiiler les femmes, pourquoi les vont- ils épouser? et les fem
mes aussi bel 'es et jeunes ont grand tort de les aller esponser,
sous l'ombre ues biens, en pensant jouir après leur mort, qu'elles
anémient d'heure à autre ; cl cependant se donnent du bon temps
avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes d'elles en palis
sent griefremeut.
DISCOURS I. 15
— J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fail, son
mari, vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus
d'un an et vint seiche comme bois; et le шагу l'alloit voir sou
vent, else plaisoit en celle langueur, et eu rioii, et disoit qu'elle
n'avoit que ce qu'il luy falloit.
— Une autre, son тагу l'enferma dans une chambre et la mit
au pain et à l'eau, et bien souvent la faisoit ciespouiller tout« nue
et la fuuelloit son saoul, n'ayant compassion de celte belle char-
nure uue, ni non plus d'émotion. Voyla le pis d'eux, car, estant
dégarnis de chaleur et dépourveus de tentation comme une statue
de marbre, n'ont pitié de nulle beauté, et passent leurs rages par
de cruels marlyres, au lieu qu'estaus jeu'nes la passeroyenl possi
ble sur leur beau corps nud, comme j'ay dit cy devant. Voyla
pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels vieillards bizarres ;
саг, енсог que la veue leur baisse et vienne a manquer par l'aage,
si en ont ils toujours prou pour espier et voir les fiasques que
leurs jrunes femmes leur peuvent faire.
— Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul
sameely fut sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul
vieillard sans être jaloux ; et lout procede pour la débojezze de ses
forces. C'est pourquoy un grand prince que je sçay disoit (¡u'il
voudrait ressembler le lion, qui, pour vieillir, ne blaiich.il jamais ;
leshige, qui tant plus il le fait tant plus il le veut luire; le cliieu
tant plus il vieillit son cas se grossit ; et le cerf, que tant plus il
est vieux taut mieux il le fuit, et les biches vom plusiôl à luy
qu'aux jeunes. Or, pour en parler franchement, ainsi que j'ay
ouy dire à un grand personnage, quelle raison y a-t-il, ni quelle
puissance a-l il le тагу si grande, qu'il doive et puisse tuer sa
femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny du sa loy, ny île son
saint Kvangile, sinon delà répudier seulement? Il ne s'y parle
point de meurtre, de sang, de mort, de lourmenis, de poison, de
prisons ni de cruauiez. Ah! que nostre Seigneur Jésus-Christ nous
a bien remonslré qu'il y a voit de grands abus en ces façons de bin:
et eu ces meurtres, et qu'il ne les approuvai! guières, lors
qu'on luy amena cette pauvre femme accusée d'adultère pour jeler
sa sentence de punition ; il leur dit en escrivant en terre de son
doigt : « Celui de vous autres qui sera le plus net el le plus sim-
» pie, qu'il prenne la première pierre et commence à la lapider; »
ce que uul n'osa faire, se senians atteints par telle sage el douce
reprehension. Mostré Créateur nous appreooil à tous de n'eslre si
f fi VIES DES DAMES GALANTES.
légers à condamner et faire mourir les personnes, mesmes siir ce
sujet, cognoissant les fragilitez de noslre nature et l'abus que plu
sieurs y commettent; car tel fait mourir sa femme qui est plus
adultère qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes,
se faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien
y en a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultère est aussi
punissable que la femme.
— J'ay ouy parler d'un très-grand prince de par le monde, qui,
soubçonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, ¡1 le
fit assassiner sortant an soir de son palais, et puis la dame, la
quelle, un peu auparavant à un tournoy qui se fit à la Cour, et elle
fixement arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se
mit à dire : « lion Dieu ! qu'un tel pique bien 1 — Ouy , mais il
» pique trop haut ; » ce qui l'estonna, et après fut empoisonnée par
quelques parfums ou autrement par la bouche.
— J'ay cogueu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa
femme, qui estoit très-belle el de bonne part et de bon lieu, en
l'empoisonnant par sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et
bien faite avoit esté ¡celle poison, pour espouser une grande dame
qui avoit espouse un prince, dont en fut en peine, en prison et en
danger sans ses amis : et le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas,
et en fut trompé et fort scasdalisé, et mal veu des hommes et des
dames. J'ai veu de grands personnages blasmer grandement nos
roys anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel, pour avoir fait
mourir leurs femmes : l'une, Marguerite, fille de Robert, duc de
Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin, comte de Bourgo
gne : leur metíanla sus leurs adultères ; et les firent mourir cruel
lement entre quatre murailles, au Chasteau Gaillard : et le comte
de Foix en fit de mesme à Jeanne d'Arloys. Surquoy il n'y avoit
point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient à croire;
mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient à
sus ces belles besognes, et en espousèrent d'autres.
— Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa
femme Anne de Boulan, et la décapiler, pour en espouser une au
tre, ainsi qu'il estoit fort sujet au sang et au change de nouvelles
femmes. Ne vaudroit-il pas mieux qu'ils les répudiassent selon la
parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir ? Mais il leur
en faut de la viande fraîche à ces messieurs, qui veulent tenir table
à part, sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes fem
mes qui leur apportent des biens après qu'ils ont mangé ceux de
DISCOURS I. 21
ne seroit que pour la belle grâce, la majesté qui est en elles ; car,
en ces choses, elle y est aussi requise et autant aimable qu'en
d'autres actions et exercices, ny plus ny moins .que le manège d'un
beau et grand coursier du règne est bien cent fois plus agréable et
plaisant que d'un petit bidet, et donne bien plus de plaisir h son
escuyer; mais aussi il faut bien que cet escuyer soit bon et se lienne
bien, et monstre bien plus de force et d'adresse: de mesme se faut-il
porler it l'endroit des grandes et baúles femmes; car, de cette
taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus haut que les autres,
et bien souvent font perdre l'estrier, voire l'arçon, si l'on n'a bonne
lenuë, comme j'ay ouy conter à aucuns cavalcadours qui les ont
montées; et lesquelles font gloire et grand mocquerie quand elles
les font sauter et tomber tout à plat : ainsi que j'en ay ouy parler
d'une de cette ville, laquelle, la première fois que son serviteur
coucha avec elle, luy dit franchement : « Embrassez-moy bien, et
» me liez à vous de bras et de j;imbes le mieux que vous pourrez,
» et tenez- vous bien hardiment, car je vays haut, et gardez bien
» de tomber. Aussi, d'un costé, ne m'espargnez pas ; je suis assez
» forte et habile pour soutenir vos coups, tant rudes soient ils ; et
« si vous m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pour-
» quoy à beau jeu beau retour, a Mais la femme le gaigna. Voila
donc comme il faut bien adviser a se gouverner avec telles femmes
hardies, joyeuses, renforcées, charnues et proporlionnées ; et, bien
que la chaleur surabondante en elles donne beaucoup de contente
ment, quelquesfois aussi sont-elles trop pressantes pour estre si
chaleureuses. Touiesfois, comme l'on dit, de toutes tailles bons lé
vriers : aussi y a-t-il de petites femmes naboltes qui ont le geste,
la grâce, la façon en ces choses un peu approchante des autres, ou
les veulent ¡miter, et si sont aussi chaudes et aspres a la curée,
voire plus : je m'en rapporte aux niaistres en ces ans. Ainsi qu'un
petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand, et, comme
diso't un honneste homme, que la femme ressembloit à plusieurs
animaux, et principalement à un singe, quand dans le licl elle ne
fait que se mouvoir et remuer. J'ay fait cette digression; en me
souvenant il faut retourner à nostre premier texte.
— Et ce cruel Néron ne fit aussi que répudier sa femme Octa
via, fille de Claudius et Mrssalina, pour adultère, et sa cruauté
s'abstint jusques-là.
— Don litian fit encore mieux, lequel répudia sa femme Domitia
Long in a parce qu'elle estoit si amoureuse d'un certain comédien et
22 VIES DES DAMES GALANTES',
basteleur nommé Paris, et ne faisoit tout le jour que paillarder
avec luy, sans tenir compagnie à sou mar; ; mais, au bout de pea
de temps, il la reprit encore et se repentit de sa séparation ; pen
sez que ce basieleur luy avoit appris des tours de souplesse et de
maniement dont il croyoit qu'il se trouveroil bien.
— IVriiu.ix en lit de mesnie à sa femme Flavia Sulpitiana, non
qu'il la répudiait ni qu'il la repris! , mais la sachant faire l'amour
à un chantre cl joueur d'instruments, et s'adonner du tout à luy,
n'en lit autre compte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de
son costé à une Cornificia estant sa cous ne germaine; suivant en
cela l'opinion d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde
plus beau que la conversation de ses parents et parentes. 11 y en a
force qui out fail tels eschanges que je sçay, se fondans sur ces
opinions.
— Aussi l'empereur Severus non plus se soucia de l'honneur de
sa femme, laquelle estoit putain publique, sans qu'il se souciast
jamais de l'en corriger, disant qu'elle se nommoil Jullta, et, pour
ce, qu'il lu lalloit excuser, d'autant que toutes celles qui pur-
toient ce nom de toute ancienneté esloieut sujettes d'estre très-
grandes putains et faire leurs marys cocus : ainsi que je connois
beaucoup de dames porlans certains noms de notre christianisme,
que je ne veux dire pour la révérence que je dois à nostre saiucte
religion, qui sont coustumièrement sujettes à estre pulles et à
hausser le devant plus que d'autres porlans autres noms, et n'en
a-t-on veu guères qui s'en soient esi happées.
Or je n'aurois jamais fait si je voulois alléguer une infinité d'an
tres grandes dames et emperieres romaines de jadis, à l'endroict
desquelles leurs marys cocus, et très-cruels, n'ont usé de leurs
cruautez, auloritez et privilèges, encore qu'elles fussent très-dé-
bonlées ; et croy qu'il y eu a peu de prudes de ce vieux temps,
comme la description de leur vie le manifeste : mesmes, que l'on
regarde bien leurs effigies et médailles antiques, on y verra tout à
plain, dans leur beau visage, la mesme lubricité toute gravée et
peinte ; et pourtant leurs marys cruels la leur pardonnaient, et ne
les fuisoient mourir, au moins aucuns : et qu'il faille qu'eux payens,
ne connaissais Dieu, ayent esté si doux et benings à l'endroit de
leurs femmes et du genre humain, et la pluspart de nos roys, prin
ces, seigneurs et autres chrétiens, soyent si cruels envers elles par
un tel forfait 1 ,
— Encore faut-il louer ce brave Philippe Auguste, nostre roj
DISCOURS I. 88
de France, lequel, ayant répudié sa femme Angerberge, sœur do
Canut, roy de Danemarck^qui esloit sa seconde femme, sous pré
texte qu'e.le estoil sa cou ine en iroisiesme degré du costé île sa
première femme babel (autres disent qu'il la soubçonnoii défaire
l'amour), néanfmoins ce roy, forcé par censures ecclésiastiques,
qaoy qu'il (ust remarié d'ailleurs, la reprit, et l'emmena derrière
luy tout à cheval, sans le sceu de l'assemblée du Soissons faite
pour cet eflt-l, et trop séjournant pour en décider. Aujourd'liuy
anean de nos grands n'en font de mesmes; mais la moindre punition
qu'ils font à leurs femmes, c'est les mettre en chartre perpétuelle,
au pain et à l'eau, et là les faire mourir, les empoisonnent, les
tuent, soit de leur main ou de lu justice. Et s'ils ont tant d'envie
de s'en défaire et espouser d'autres, comme cela advient sou
vent, que ne les répudient-ils, et s'en séparent honnestement, sans
anuo mal, et demandent puissance au pape d'en espouser une au
tre, encor que ce qui est conjoint l'immme ne le doit séparer ?
Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du roy Charles
huit et de Louis douze, nos roys; sur quoy j'ay ouy discourir un
grand théologien, et c'esloit sur le feu roy d'Espagne Philippe,
quiavoit espouse sa niepce, mère du roy d'aujonrd'huy, et ce par
dispense, qui disoit : « Ou du tout il faut ad vouer' le Pape pour
» lieutenant général de Dieu en terre, et absolu, ou non : s'il l'est,
a comme nous autres catholiques le devons croire, il faut du tout
» confesser sa puissance bien absolue el inlinie en terre, et sans
» bornes, et qu il peut nouer et desnouer comme il luy plaist ;
» mais, si nous ne le tenons te!, je le quille pour ceux qi.i sonl en
»telle erreur, non pour les Ions catholiques, et par ainsi nostre
» Père saincl peut remédier à ces dissolutions de mariages, et à
» de grands inconvénients qui arrivent pour cela entre le тагу
» ella femme, quand ils font tels mauvais ménages. » Certaine
ment les femmes sont fort bhsmables de trainer ainsi leurs ma-
rys par leur foy violée, que Dieu leur a tant recommandée;
mais pourtant de l'autre coste, il a bien défendu le meurtre, et luy
eel grandement odieux de quelque costé que ce soit : et jamais
gnieres n'ay je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de
leurs femn.es, qui n'eu ayenl payé le debte, el peu de gens aimant
le sang ont bien finy ; car plusieurs femmes pécheresses ont obtenu
et gaigné miséricorde de Dieu, comme la Madelaine. Enfin, ces
pauvres femmes sonl créatures plus ressemblantes à la Divinilé que
nous autres a canse de leur beauté ; car ce qui est beau est plus
îi VIES DES DAMES GALANTES:
approchant de Dieu qui est tout beau, que le laid qui appartient
au dkible.
— Ce grand Alpbonse, my de Naples, disoit que la beauté es-
toit une vraye signifiance de bonnes et douces mœurs, ainsi coin me
est la belle fleur d'un bon et beau fruit : comme de vray, en ma
vie j'iiy veu force belles femmes toutes bonnes ; et, bien qu'elles
tissent l'amour, ne faisoyent point de mal, ny autre qu'à songer à
ce pl-iisir, et y meltoyeut tout leur soucy sans l'applicquer ailleurs.
D'autres aussi en ay-je veu très-mauvaises, pernicieuses, dange
reuses, crueles et fort malicieuses, nonobstant songer à l'amour et
au mal tout ensemble. Sera t-il doncques dit qu'estant ainsi su
jettes à l'humeur voilage et ombrageuse de leurs marys, qui méri
tent plus de punition cent fois envers Dieu, qu'elles soient ainsi
punies ? Or de telles gens la complexion est autant fascheuse comme
est la peine d'en escrire.
— J'en parle maintenant encore d'un autre, qui esloit un sei
gneur de Dalmatie, lequel ayant tué le paillard de sa femme, la
contraignit de coucher ordinairement avec son tronc mort, charo-
gneux et puant ; de telle s:>rle que la pauvre femme fut suffoquée
de la mauvaise senteur qu'elle endura par plusieurs ¡ours.
— Vous avez,, dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Na
varre, la plus belle et triste histoire que l'on sçauroit voir pour ce
sujet, de celle belle dame d'Allemagne que son тагу contraignoit
à boire ordinairement dans le test de la tesle de son amy qu'il y
avuit tué; dont le seigneur Bernage, lors ambassadeur en ce pays
pour leroy Charles huicliesme, en vit le pitoyable spectacle, et en
fil l'accord.
— La première fois que je fus jamais en Italie, passant par Ve
nise, il me fut fait un compte pour vray d'un certain chevalier al
banais, lequel, ayant surpris sa femme eu adultère, tua l'amou
reux, et de despit qu'il eut que sa femme ne s'estoit contentée de
luy; car il esloit un gallant cavallier, et des propres pour Vénus,
jusques à entrer en jouxte dix ou douze fois pour une nuict : pour
punition il fut curieux de rechercher par-tout une douzaine de bons
compagnons, et fort ribauls, qui avoient la réputation d'eslre bien et
grandement proportionnez de leurs membres, et fort adroits et
chauds à l'exécution ; et les prit, les gagea et luua pour argent, el
l.'.s serra dans la chambre de sa femme, qui c.-toit très-belle, el U
leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur devoir, avec dou
ble paye s'ils s'en acquittoient bien : et se mirent tous après elle, le«
DISCOURS I. 25
nos après les antres, et la menèrent de telle façon qu'ils la rendi
rent шопе, avec un très-grand contentement, du тагу; à laquelle
il luy reprocha, tendante à la mort, que, puis qu'elle avoit tant
aymé cette douce liqueur, qu'elle s'en saoulast, à mode que dit
Semiramis (I) à Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de
sang. Voila un terrible genre de mort 1 Cette pauvre dame ne fust
ainsi morte, si elle eustesté de la robuste complexion d'une garce
qui fut au camp de César en la Gaule, sur laquelle on dit que deux
légions passèrent pardessus en peu de temps, et au partir de là
fit la gambade, ne s'en trouvant point mal.
— J'ai ouy parler d'une dame françoise de ville, et damoiselle,
et belle : en nos guerres civiles ayant esté forcée, dans une ville
prise d'assaut, par une infinité de soldats, et, en estant échappée,
elle demanda à un beau père si elle avoit péché grandement :
après luy avoir conté son histoire, il lui dit que non, puisqu'elle
avoit ainsi été prise par force, et violée sans sa volonté, mais y
répugnant du tout. Elle répondit : « Dieu donc soil loué, que je
» m'en suis une fois en ma vie saoulée sans pécher ni offenser
» Dieu! »
— Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barthé-
lemy, ayant été ainsi forcée, et son тагу mort, elle demanda à un
homme de sçavoir et de conscience si elle avoit offensé Dieu, et si
fe\\e n'en seroit point punie de sa rigueur, et si elle n'avoit peint
fait tort aux mânes de son тагу qui ne venoit qu« d'estre
frais tué. Il lui respondit que, quand elle esloit en celte be-
sogn •, si elle y avoil pris plaisir, certainemeni elle avoii péché;
mais si elle y avoit eu du dégoust, c'éloit tout un. Voila une bonne
sentence 1
— J'ay bien cogneu une dame qui estoit différente de cette opi
nion, qui disoit qu'iln'y avoit si grand plaisir en cette affaire que '
quand elle estoit à deiny forcée et abattue, et mesme d'un grand ;
d'autant que, tant plus on fait de la rebelle et de la refusante,
d'autant plus on y prend d'ardeur et s'efforce- t-on : car, ayant une
fois faussé sa brèche, il jouit de sa victoire plus furieusement et
rudement, et d'autant plus on donne d'appétit à sa dame, qui con
trefait pour tel plaisir la demi- morte et pasmée, comme il semble,
mais c'est de l'extrême plaisir qu'elle y prend : mesme ce disoit
cette dame, que bien souvent elle dounoit de ces venues et altères
(1) Sixle V.
(2) Le carjinal de Lorraine, du Perron et autres, avoient été représentes de mcire
avec Catherine de Sté'icis, Marie Stuart et la duchesse de Guise, dans deux ta
bleaux dont il est piulé d-ins la Légende du cardinal de Lorraine, folio 24, et
dans le Reveille-ma! in des Français, pages II et Г.23. Voyez ci-dessins ," a la lin
du VII' livre, la description d'un pareil livre de ligures, cl les mauvais ellcts qu'il
produisit.
DISCOURS I. 20
ce, aucunes fermoient les yeux en beuvanl ; les autres moins
verçogneuses point ; qui en avoient ouy parler du mestier, lanl
dames que filles, se mettoyent à rire sous bourre ; les autres
en crevoient tout à trac. Les unes disoient, quand on leur deman-
doil qu'elles avoient à rire et ce qu'elles avoient veu, disoienl
qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour ceîa
elles n'y birroient à boire une autre fois. Les autres disoienl :
« Quant à moy, je n'y songe point à mal ; la veue et la peinture
» ne souillent point l'âme. » Les unes disoient : « Le bon vin est
» aussi bon leans qu'ailleurs. » Les autres affermoient qu'il y
faisoit aussi bon boire qu'en une autre coupe, et que la soif s'y
passoit aussi bien. Aux unes on faisoit la guerre potirquoy elles ne
fermoient les yeux enbeuvant ; elles respondoient qu'elles vou-
loient voir ce qu'elles beuvoient, craignant que ce ne fust du vin,
mais quelque me ecine ou poison. Aux autres on demandoit à
quoy elles prenoient plus de plaisir, ou à voir ou à boire; elles res
pondoient : « A lout. » Les unes disoient : « Voila de belles
« groiesques ; » les autres : « Voilà de plaisantes nommories ; »
les »nés disoient : « Voilà de beaux images ; » les autres : « Voilà
» de I eaux miroirs; » les unes disoient : « L'orfèvre esloil bien
» à loisir de s'amuser à faire ces faJezes ; » les autres ¡lisoicnt :
« Et vous, monsieur, encore plus d'avoir achepté ce beau lianap. »
Aux unes on dcmandoit si elles senloient rien qui les picquasl au
milan du corps pour cela : elles respondoient que nulle de ces
drolleries y avoit eu pouvoir pour les picquer : aux autres on de-
man'loitsi eues n'avoient point senty le vin chaut et qu'il les eust
escliaußees, encore que ce fuslen hyver; elles respondoient qu'elles
n Vivaient garde, car elles avoient beu bien froid, qui les avoit bien
rafraiseliies : aux unes on demandoit quelles images de toutes celles
elles voudraient tenir en leur lict ; elles re.=pondoient qu'elles ne su
pouvoient oster de là pour les y Iransporter. Bref, cent mille bro
cards et sornettes sur ce sujet s'enlre-doiinoient les gentilshommes
et dames ainsi à table, comme j 'a y veu que c'estoit une très-plai
sante gausserie, et chose à voir et ouyr ; mais surtout à mon gré,
le plus et le meilleur estoit à contempler ces filles innccentes, ou
qui feignoient l'eslre, et autres dames nouvellement venues, à tenir
leur mine froide riante du bout du nez et des lèvres, ou à se con
traindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en fai-
uoient de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de
soif, les sommelliers n'eussent osé leur donner à boire en une autre
30 VIES DES DAMES GALANTES.
coupe n; verre. Et, qui plus u-t, aucunes juraient, pour faire bon
minois, qu'elles ne tourneroieni jamais à ces fcsiins; mais elles ne
laissoient pour cela à y tourner souvent, car ce prince estoit très-
splendide et frian.l. D'autres disoienl, quand 011 les conviott :
« J'ir.-iy, mais en prolesiaiion qu'on ne nous Ij.iillcra point à boire
« dans la coupe ; » et quand elles y esloienl, elles y lieu voient pías
que jamais. Enfin elles s'y anezèrent si bien, qu'elles ne tirent plus
de scrupule d'y boire ; et si limit bien mieux aucunes, qu'elles
se servirent de telles visions en temps et lieu, et, qui, plus est,
aucunes s'en débauschert-nt pour en Taire l'essay; car louie per
sonne d'esprit veut essayer tout. Voilà les effets de celle belle coupe
si bien historiée. A quuy se faut imaginer les autres discours, les
songes, les minis et les paroles que telles dames disoient et fai-
soieiit entr'elles, à part ou en compagnie. Je pense que telle coupe
«slcit bien différente à celle dont parle M. de Ronsard en Tune de
ses premières odes, dédiée au feu Roy Heury, qui se commence
ainsi :
Mais en celle coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les
personnes au vin : car les unes beuvoienl en riant, et les autres
beuvoient en se ravissant ; les unes se compissoieuten beuvant, et
les autres beuvoient en se compissant: je dis i. 'autre chose queda
pissai. Bref, cette coupe la ¡sou de terribles effets, lanl y estoient
pénétrantes ces visions, images et perspeciives : dont je me sou
viens qu'une fois, en une gallerie du comiede Cliasieaurilain, dit le
seigneur Adjacei, une troupe de dames avec leurs serviteurs es
tant allés voir celte belle maison, leur viue s'addressa sur ue beaux
et rares tableaux qui esloienl en bdite «allerte. A elles se présenta
un tableau beau, où estoient représentées force bc les dames nues
qui estoienl aux bains, qui s'entre touchoieni, se palpoienl, seraa-
uioienl et froltoient, s'entre-mesloieut, se tasloiiiioienl, et. qui
plus est, se faisoient le poil tant gcntimeul et si proprement en
monstrant tout, qu'une froide recluse ou hermite&'en fustescliauffée
et csmeue; et c'est pourquoy une grande dame, doutj'ay ouy par
ler et cogneue, se perdant en ce tableau, dit à sou serviieur en se
DISCOURS I. 3l
tournant vers luy, comme enragée de cette rage d'amour : « C'est
» trop demeuré icy : montons en carrosse promptement, et allons
« eu n .on logis, car je ne puis plus conienir cette ardeur; il la faut
aller с 'teindre : c'est trop bruslé. » Et ainsi parti!, et alla avec son
serviteur prenure de celte bonne eau qui est si douce sans sucre,
que son serviteur lui donna du sa petite burette
Telles peintures et tableaux (orient plus de nuisance à une nme
fragile qu'on ne pense; comme en estoit un là mesme d'une Vénus
toute nue, coucliée et regardée de son fils Cupidon ; l'autre d'un
Mars couché avec sa Vénus, l'autre d'une Léda coucliée avec son
cygne. Tant d'aalres y a-t-il, et là et ailleurs, qui sunt un peu plus
modestement peints et voilez mieux que les ligures de l'Arelin;
mais quasi loul vient à un, et en approchant de nostre coupe dont
je viens de parler, laquelle a voit quasi quelque sympathie, par
antinomie, de la coupe que trouva Renault de Montauban en ce
cbasteau dont parle l'Arioste, laquelle à plein descouvroi; les pau
vres cocus, et celle-ey les faisoil; mais l'une porloit un peu irop
de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et celle-cy point.
Aujourd'buy n'en est besoin de ces livres ni de ces peintures, car
les marys leur en apprennent prou : et voilà que servent telles es-
choles de marys.
— J'ai cogneu un bon imprimeur vénitien à Paris, qui s'appel-
loit messer Bernardo, parent de ce grand Aldus Manuliusde Ve
nise (l), qui leuoil sa boutique en la rue de Sainct-Jai ques, qui
médit et jura une fois qu'en moins d'un an il avoil vendu (dus de
cinquante paires de livres de l'Aretin à force gens mariés et
non mariés, et à des femmes, dont il me nomma trois île par le
monde, grandes, que ¡e ne nommeray point, et les leur bailla à
elles-mesmes, el u es -bien reliés, sous serment preste qu'il n'eu
sonnerait pas mot. mais pourtant il me le dist, et me dist davan
tage qu'une autre dame lui en ayant demandé au bout de quelque
temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu en
tre les m.¡ins d'une de ces trois, il luy respondit : Signara, si, e
peggio, et soudai» argent en campagne, les achepiant tons au
poids de l'or. V'oi'à une lolle curiosité pour envoyer son mari faire
un voyage à Cornette près de C:vita-Vecchia.
Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que
«ainctliierosniedit : « Qui se monstre (Auslöst débordé amoureux
JO Bernardin Turisan, qui avait («tir enseigne b deyisedee Maaucef, sef parent!»
82 VIES DES DAMES GALANTES.
» de sa femme que тагу, est adullère et pèche. » Et parce qu'au
cuns docteurs ecclésiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefve-
ment en mots latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont voulu dire
en françois. Excessus, disent-ils, conjugum fit, quando uxor
cngnosntur ante rétro stando, sedendo in latere, et mulier fupcr
virum ; comme un petit quolibet que j'ay leu d'autrefois ,
qui dit :
(I) Arilfitinmasif.
(•!} Voyez Uénagc, Dia, Пут. , an mol UASCAEET.
40 VIES DES DAMES GALANTES.
bras emporté d'un coup de canon en un combat qu'il Cl sur
mer. Le malheur pour luy fut qu'il fut pris des corsaires, et mené
en Alger. Son maistre , qui le teuoit esclave , esloit le grand-
presiie de lu mosquée de là , qui avoit une ires-belle femme qui
vint à s'amouracher si fort dudit Sanzay , qu'elle luy commanda
de venir en amoureux plaisir avec elle, et qu'elle luy feroit très-
bon traitlemenl, meilleur qu'à aucun de ses autres esclaves, mais
surtout elle lui commanda très-expressément, et sur la vie, ou
une prison très-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule
goutte de sa semence, d'autant, disoil-elle, qu'elle ne vouloit
nullement estre polluée ny contaminée du sang clirestien , dont
elle penserait offenser grandement et sa loy et son grand prophète
îlaliomt'l; et de plus luy commanda qu'encore qu'elle fust en
ses chauds plaisirs , quand bien elle luy commanderait cent fois
d hasarder le pacquet tout à trac, qu'il n'en fist rien, d'autant
que ce serait le grand plaisir duquel ella estoit ravie qui luy
ferait dire , et non pas la volonté de l'âme. Leilict Sanzay , pour
moir bon traittement et plus grande libcné, encor qu'il fust
clirestien, ferma les yeux pour ce coup à sa loy: car un pauvre
esclave rudement traillé el misérablement enchaisné peut s'ou
blier bien quelquefois. 11 obéil à la dame , el fut si sage et si
alsiraint a son commandement, qu'il commanda forl bien à son
plaisir , et moulloit au moulin de sa dame tousjours très-bien ,
sans y faire couller d'eau ; car, quand l'escluse de l'eau vouloil
se rompre et se déborder, aussitost il la relirait, la resserroit
et la faisoit escouler où il pouvoit; dont cette femme l'en ayma
davantage, pour esire si abstrahlt à son esiroit commandement,
encor qu'elle luy criast : « Laschez , je vous en donne loute per-
» mission. » Mais il ne voulut one, car il craignoit d'eslr« battu
à la turque , comme il voyoit ses autres compagnons devant
soy. Voilà une terrible humeur de femme ; et pour со il semble
qu'elle faisoil beaucoup, et pour son âme qui esloit turque , et
pour l'autre qui esloit chreslien , puisqu'il ne se deschargeoit
nuuemenl avec elle : si me jura-l-il quien sa vie il ne fut en telle
peine. Il me fit un autre compte , le plus plaisant qui est pos
sible , d'un trait qu'elle luy flt; mais d'aulant qu'il est trop
sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreille's chastes. Du
depuis ledict Sanzay fut acheplé par les siens, qui Sont gens
d'honneur et de bonne maison en Bretagne , et qui appartiennent
à beaucoup de grands , comme à monsieur le connestable, qui
DISCOURS I. 41
jymoit fort son frère aisné , et qui luy avila beaucoup en cette dé
livrance, laquelle ayant eue, il vint à lu cnur, et nous en coropia
fort à monsieur d'Eslrozze et à moy de plusieurs chose:-, , et en
trautres il nous lit CPS comptes.
Que dirons-nous maintenant d'aucuns marys qui ne se conten
tent de se donner du contentement et du plaisir paillard de leurs
femmes, mais en donnent de l'appétit, soit à leurs compagnons
et amis, soit à d'autres, ainsi j'en ai cogneu plusieurs qui leur
louent leurs femmes, leur disent leurs beautez, leur figurent leurs
membres et parties du corps, leur représentent leurs plaisirs qu'ils
ont avec elles, et leurs follatreries dont elles usent envers eux, les
leur font -baiser, toucher, taster, voire voir nues? Que méritent-ils
ceux-là, sinon qu'on les face cocus bien à point, ainsi que fit Gygès,
par le moyen de sa bague, au roy Candaule, roy des Lydiens, le
quel, sot qu'il estoit, lui ayant loué la rare beauté de sa lémme,
comme si le silence luy faisoit tort et dommage, et puis la luy ayant
monstrée toute nue, en devint si amoureux qu'il en jouit tout à son
gré et le fit mourir, et s'impatronisa de son royaume. On dit que
la femme en fut si désespérée pour avoir esté représentée ainsi,
qu'elle força Gygès à ce mauvais tour, en lui disant : « Ou celuy
» qui t'a pressé et conseillé de telle chose, laut qu'il meure de la
» main, ou toy, qui m'as regardée toute nue, que tu meures de la
» main d'un autre. » Certes, ce roy estoit bien de loisir de donner
ainsi appétit d'une viande nouvelle, si belle et bonne, qu'il devoit
tenir si chère.
— Louis, duc d'Orléans, tué à la porte Barbette (t) à Paris, fit
bien au contraire, grand desbaucheur des dames de la Cour, et
tousjours des plus grandes; car, ayant avec luy couché une fort
belle et grande dame, ainsi que son тагу vint en sa chambre pour
luy donner le bon-jour, il alla couvrir la teste de sa dame, femme
de l'autre, du linceul, et luy descouvrit tout le corps, luy faisant
voir tout nud et toucher à son bel aise, avec défense expresse sur
la vie de n'osterle linge du visage ny la descouvrir aucunement, à
quoy il n'osa contrevenir; luy demandant par plusieurs fois ce qui
luy sembloit de ce beau corps tout nud : l'autre en demeura tout
esperdù et grandement satisfait.
Le duc luy bailla congé de sortir de la chambre, ce qu'il fit sans
avoir jamais pu cognoistre que ce fust sa femme. S'il l'eust bien
(I) Dans ce proverbe, la fureltc est prise p.«r l'hermine, qui, dit-on, aine mirui
ic laisser preudre que de se salir.
J
DISCOURS I. 49
(laut qu'il estoit en la salle du bal et en faisoit son triomphe, elle
s'habilla de dépit , en homme , et alla trouver son amant et lui
porter pour un moment son cas , tant elle en estoit si amoureuse
qu'elle en mouroit.
— J'ai cogneu un honneste gentilhomme, et des moins deschi-
rez de la Cour, lequel ayant envie un jour de servir une fort belle
et honneste dame s'il en lut oneques, parce qu'elle luy en donnoit
beaucoup de sujets de son costé, et de l'autre il faisoit du retenu
pour beaucoup de raisons et respects; celle dame pourtant y ayant
mis son amour, et à quelque hasard que ce lust elle en avoit jette
le dé, ce disoit-elle; elle ne cessa jamais de l'attifer tout à soy par
les plus belles paroles de l'amour qu'elle peut dire, dont entr'au-
tres estoit celle-cy : « Permettez au moins que je vous ayme si
в vous ne me voulez aymer, et ne arregardez à mes mérites, mais
» à mes affections et passions, » encore certes qu'elle emportast le
gentilhomme au poids eu perfections. La-dessus qu'eust pu faire
le gentilhomme, sinon l'aymer puis qu'elle l'aymoit, et la servir,
puis demander le salaire et récompense de son service, qu'il
eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu'on le paye?
J'alleguerois une infinité de telles dames plustost recherchantes
que recherchées. Voilà donc pourquoy elles ont eu plus de coulpe
que leurs amants ; car si elles ont une lois entrepris leur homme,
elles ne cessent jamais qu'elles n'en viennent au bout et ne l'at
tirent par leurs regards attirans, par leur beautez, par leurs gen
tilles grâces qu'elle s'estudient à façonner en cent mille façons, par
leurs fards sublillemenl appliqués sur leur visage si elles ne l'ont
beau, par leurs beaux artilfets, leurs riches et gentilles coiffures et
tant bien accommodées, et leurs pompeuses et superbes robes, et sur
tout par leurs paroles friandes et à demy lascives, et puis par leurs
gentils et follastres gestes et privautez, et par présents et dons; et
voilà comment ils sont pris, et estant ainsi pris, il faut qu'ils les
prennent ; et par ainsi dit-on que leurs marys doivent se venger sur
elles.
D'autres disent qu'il se faut prendre qui peut sur les hommes,
ny plus ny moins que sur ceux qui assiègent une ville; car ce sont
eux qui premiers (ont faire les chamades, les somment, qui pre
miers recognoissent, premiers font les approches, premiers dressent
gabionnades et cavalliers et font les tranchées, premiers font les
batteries ou premiers vont à l'assaut, premiers parlementent : ainsi
dit-on des amants.
. 50 VIES DES DAMES GALANTES.
Car comme les plus hardis, vaillants et résolus assaillent le fort
de pudicité des daines, lesquelles, après toutes les formes d'assail-
lement observées par grandes iinportunités , sont contraintes de
faire le signal et recevoir leurs doux eunemys dans leurs forte
resses : en quoy me semble qu'elles ne sont si coulpables qu'on
diroit bien ; car se défaire d'un importun est bien mal aisé sans y
laisser du sien: aussi que j'en ay veu plusieurs qui, par longs ser
vices et persévérances, ont jouy de leurs maistresses, qui dès le
commencement ne leur eussent donné, pour manière de dire, leur
cul à baiser; les contraignant jusques-lb, au moins aucunes, que,
la larme à l'œil, leur donnoient de cela ny plus ny moins comme
l'on donne à Paris bien souvent l'aumosne aux gueux de l'hostière,
plus par leurimportunité que de dévotion ny pour l'amour de Dieu :
ainsi font plusieurs femmes, plustost pour estre trop importunées
que pour estre amoureuses, et mesmes à l'endroit d'aucuns grands,
lesquels elles craignent et n'osent leur refuser à cause de leur au
torité, de peur de leur desplaire et en recevoir puis après de l'es-
candale, ou un affront signalé, ou plus grand descriement de leur
honneur, comme j'en ay veu arriver de grands inconvénients sur
ces sujets.
Voylà pourquoy les mauvais marys, qui se plaisent tant au sang
et au meurtre et mauvais traitements de leurs femmes, n'y doivent
estre si prompts, mais premièrenjent faire une enqueste sourde de
toutes choses, encore que telle cognoissauce leur soit fort fascheusc
et fort sujette à s'en gratter la teste qui leur en démange, etmesme.'
qu'aucuns, misérables qu'ils sont, leur en donnent toutes les occa
sions du monde.
— Ainsi que j'ai cogneu un grand prince estranger qui avoil
espouse une fort belle et honneste dame ; il en quitta l'entretien
pour le mettre b une autre femme qu'on tenoit pour courtisane
de réputation, d'autres que c'estoit une dame d'honneur qu'il,
avoit débauschée ; et ne se contenlant de cela, quand il la faisoil
coucher avec luy, c'estoit en une chambre basse par dessous celle
de sa femme et dessous son lict ; et lorsqu'il vouloit monter sur
sa maistresse, ne se contentant du tort qu'il luy faisoit, mais, par
une risée et moquerie, avec une demye pique il frappoit deux ou
trois coups sur le plancher, et s'escrioit à sa femme : « Brindes,
» ma femme. » Ce desdain et mespris dura quelques jours, el
fascha fort à sa femme, qui, de desespoir et vengeance, s'accosta
d'un fort honnête gentilhomme à qui elle dit un jour privement ;
DISCOURS I. 5t
к Un tel, je veux que vous jouissiez de moi, autrement, je scay
• • un moyen pour vous ruiner. » L'autre, bien content d'une si
belle adventure, ne la refusa pas. Parquoy, ainsi que son тагу
ivoil sa mie entre les bras, et elle aussi son amy, ainsi qu'il lui
crioit brindes, elle luy respondoit de mesmes, et may à vous, ou
, bien, je m'en vais nous pleiger. Ces brindes et ces paroles et
' responses, de telle façon et mode qu'ils s'accommodoient en leurs
montures, durèrent assez longtemps, jusques à ce que ce prince,
fin et douteux, se douta de quelque chose ; et y faisant (aire le
guet, trouva que sa femme le faisoil gentiment cocu, et faisoit
brindes aussi bien que luy par revange et vengeance. Ce qu'ayant
bien au vray cogneu, tourna et changea sa comédie en tragédie;
et l'ayant pour la dernière fois confiée à son brindes, et elle luy
ayant rendu sa response et son change, monta soudain en haut,
et ouvrant et faussant la porte, entre dedans et luy remonstre
son tort; et elle de son costé luy dit : « Je sçay bien que je suis
» morte : tue-moi hardiment ; je ne crains point la mort, et la
» prens en gré puisque je me suis vengée de toy, et que je t'ay
» fait cocu et bec cornu, toy m'en ayant donné occasion, sansla-
« quelle je ne me fusse jamais Ibrfailte, car je t'avois voué toute
» fidélité, et je ne l'eusse jamais violée pour tous les beaux su-
» jets du monde : tu n'estois pas digne d'une si honneste femme
« que moy. Or tue-moi donc à st'heure; et, si tu as quelque pi-
» lié en la main, pardonne, je te prie, à ce pauvre gentilhomme,
» qui de soy n'en peut mais, car je l'ay appelé à mon ayde pour
» ma vengeance. » Le prince par trop cruel, sans aucun respect
les tue tous deux. Qu'eust fait là dossus cette pauvre princesse
sur ces indignitez et mespriz de mai y, si-non, à la desesperado pour
le monde, faire ce qu'elle fit? D'aucuns l'excuseront, d'autres
l'accuseront, et il y a beaucoup de pièces et raisons à rapporter
là-dessus.
— Dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, y a celle
et très-belle de la reyne de Naples, quasi pareille à celle-cy, qui
de mesme se vengea du Roy son тагу; mais la fin n'en fut si tra
gique.
— Or laissons là ces diables et fols enragés cocus, et n'en par
lons plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d'autant que je
n'fturois jamais fait si je voulois tous descrire, aussi que subject
n'en est beau ny plaisant.
Parlons un peu des gentils cocus', et qui sont bons compagnons
52 VIES DES DAMES GALANTES.
de douce humeur, d'agréable fréquentation et de sainle patience,
débonnaires, trailladles, fermant les yeux, et bons hommenas.
Or de ces cocus il y en a qui le sont en lierbe, il y en a qui le
sçavenl avant se marier, c'est-à-dire que leurs dames, reulves et
demoiselles, ont fait le saull; et d'autres n'en sçavent rien, mais
les espouseut sur leur foy, et de leurs pères et mères, et de leurs
parents et amys.
— J'en ay cogneu plusieurs qui ont espouse beaucoup de fem
mes et de filles qu'ils sçavoient bien avoir été repassées en la
monstre d'aucuns rois, princes, seigneurs, gentilshommes et plu
sieurs autres; et pourtant, ravys de leurs amours, de leurs biens,
de leurs joyaux, de leur argent, qu'elles avoient gaigné au mestier
amoureux, n'ont aucun scrupule de les espouser. Je ne parleray
point à sl'heure que des filles.
— J'ai ouy parler d'une fille d'un très-grand et souverain,
laquelle estant amoureuse d'un gentilhomme, se laissant aller à
luy de telle façon qu'ayant recueilli les premiers fruits de son
amour, en fut si friande qu'elle le tint un mois entier dans son
cabinet, le nourrissant de restaurents, de bouillons friands, de
viandes délicates et rescaldatives, pour l'allambiquer mieux et en
tirer sa substance ; et ayant fait sous luy son premier apprentis
sage, continua ses leçons sous luy tant qu'il vesquit, et sous d'au
tres : et puis elle se maria en l'âge de quarante-cinq ans à un
seigneur (i) qui n'y trouva rien à dire, encor bien-aise pour le
beau mariage qu'elle luy porta.
— Bocace dit un proverbe qui couroit de son temps, que
bouche biisée, d'autres disent fille /'...., ne perd jamais sa for-
twic, mais bien la renouvcll?, at«>t que fuit la trinr; et ce pro
verbe allegue-t-il sur un conte qu'il (ait de celle fille si belle du
sullan d'Egypte, laquelle passa et repassa par les piques de neuf
divers amoureux, les uns après les autres, pour le moins plus de
trois mille fois. Efifin elle fut rendue au roy Garbe toute vierge,
cela s'entend prétendue, aussi bien que quand elle lui fut du com
mencement compromise, et n'y trouva rien à dire, encor bien aise;
le conte en est très-beau.
— J'ay ouy dire à un grand qu'entre aucuns grands, non pat
tous volontiers, on n'arregarde à ces filles-là, bien que trois ou qua=
(I) Brantínnt! vcul l'Cul'Clrfi parler ici dû Murgiiorilc di: Franco, saur de Henri II,
qui avait ccl àgc-là lorsqu'elle épousa le duc de Savoie.
S T. SS
Ire Íes ayent passé par les mains et par les piques avant leur estre
mnrjs et disoit cela sur un propos d'un heigneur qui estoit gran
dement amoureux d'une grande dame, et un peu plus qualifiée
que lui, et elle l'aimoit aussi ; mais il survint empeschement qu'ils
lie s'esponsèrent comme ils pensoient et l'un et l'autre, siirquoy
ce gentilhomme grand, queje viens de dire, demanda aussi-tost:
« A-t-il monté au moins Sur la petite bête? » Et ainsi qu'il lui fust
respondu que non à son ndvis, encor qu'on le tinst : « Tant pis,
» réplii|ua-l-il , car au moins et l'un et l'autre eussent eu ce
» contentement, et n'en fust esté autre chose. » Car parmy les
grands, on n'arregarde à ces reiglcs et scrupules de pucelage ,
d'autant que pour ces grandes alliances il faut que tout passe ;
enceres trop heureux sont-ils les bons marys et gentils cocus en
herbe.
— Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laissé
en unu bonne ville que je nommerois bien une fille dont venoit
d'accoucher une tille de très-bonne maison ; si fut donnée en
gnrde à une pauvre femme de ville pour la nourrir et avoir soin
d'elle, et luy f.. t avancé deux cents écus pour la nourriture. La
pauvre femme la nourrit et la gouverna si bien, que dans quinze
>ns elle devint très-belle et s'abandonna : car sa mère oncques puis
n'en lit cas, qui dans quatre mois se maria avec un très-grand.
Ah 1 que j'en ai cogneu de tels et telles où l'on n'y a advisé en
rienl
— J'onys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand sei
gneur d'Andalousie ayant marié une sienne sœur avec un autre
fort grand -seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage
fut consomné il luy dit : « Señor hermano, agora que soys
» cazado con my hermana, y l'haveys bien godida solo, jo le
» Aajo saber que siendo hija, tal y tal gozaron d'clla. De lo
» passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del futuro guar
» date, que mas y mucho a vos tota (l). » Comme voulant dire
que ce qui est fait est l'ait, il n'en faut plus parler, mais qu'i
faut se garder de l'advenir, car il touche plus à l'honneur que If
passé.
11 y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien
54 VIES DKS DAMES GALANTES.
cocus par licrle comme par la gerbe, en quoy il y a de l'appa
rence.
— J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur estranper, lequel
ayant une fille des plus belles du monde, et estant recherchée en
mariage d'un autre grand seigneur qui la méritait bien, luv fut
accordée par le père ; mais avant qu'il la laissasl jamais sortir
de la maison, il en voulut taster, disant qu'il ne vouloit laisser
si aisément une si belle monture qu'il a voit, si curieusement éle
vée, que premièrement il u'eust monté dessus et sceu ce qu'elle
scauroit faire à l'avenir. Je nesçay s'il est vray, mais je l'ay ouy
dire, et que non seulement luy en fit. la preuve, mais bien1 un autre
beau et brave gentilhomme; et pourtant le тагу par après n'y
trouva rien amer, sinon que tout sucre.
— J'ay ouy parler de mesme de force autres pères, et sur-tout
d'un très-grand, à l'endroit de leurs filles, n'ei. faisant non plus
de conscience que le cocq de la fable d'Esope, qui ayant esté ren
contré' par le renard et menacé qu'il le vouloit faire mourir, dont
súrcete cocq, rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde,
et surtout de la belle et bonne poulaille qui sorloil de luy ; « Haï
» dit le renard, c'est-là où je vous veux, monsieur le gallant, ear
» vous estes si paillard que vous ne faites difficulté de monter sur
» vos filles comme sur d'autres poules; » et pour ce le fil mourir.
Voila un grand justicier et plitiq.
Je vous laisse donc à penser que peuveut faire aucunes filles avec
leurs amants ; car il n'y eut jamais fille sans avoir ou désirer un
amy, et qu'il y en a que les pères, frères, cousins et parents ont
fait de mesme.
— De nos temps, Ferdinant, roy de Naples, cogneut ainsi par
mariage sa tante, fille du roy de Castille, à l'âge de treize à qua
torze ans, mais ce fut par dispence du pape. On faisoit lors dif
ficulté si elle se devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pour
tant son empereur Caligula, qui débauscha et repassa toutes ses
sœurs les unes après les autres, par-dessus lesquelles ut sur toutes
il ayma extresmenient la plus jeune, nommée Drusille, qu'estant
petit garçon il avoil dépucellée; et puis estant mariée avec un
Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la luy enleva et
l'entretint publiquement, comme si ce fust esté sa femme légi
time; tellement qu'estant une fois tombé malade, il la fit héri
tière de tous ses biens, voire de l'empire. Mais elle vint à mou
rir, qu'il regretta si très-tant, qu'il en fit crier les vacations de
DISCOURS I. 55
la justice et cessation de tous aulres œuvres, pour induire le
peuple d'en faire avec luy un deuil public, et en porta long
temps longs cheveux et longue harlie ; et quand il liaranguoit le
sénat, le peuple et ses genres de guerre, ne juroit jamais que par le
nom de Urusille.
Pour quant à ses autres sœurs, après qu'il en fut saoul, il les
' prostitua et abandonna à de grands pages qu'il avoit nourrys et
cogneus fort vilainement : encor s'il ne ne leur eust fait aucun
mal, passe, puisqu'elles l'avoient accouslumé et que c'estoit un mal
plaisant, ainsi que je l'ay veu appeler tel à aucunes ûlles estant
dévirginées et à aucunes femmes prises à force ; mais il leur fit
mille indignités : il les envoya en exil, il leur esta toutes leurs ba
gues et joyaux pour en faire de l'argenl, ayant brouillé et dépendu
fort mal-à-propos tout le grand que Tibère lui avoit laissé ; encor
les pauvrettes, estants après sa mort retournées d'exil, voyant le
corps de leur frère mal et fort pauvrement enterré sous quelques
molles, elles le Brent désenterrer, le brusler et enterrer le plus hon-
nestement qu'elles purent : bonté certes grande de sœurs à un
frère si ingrat et dénaturé.
L'Italien, pour excuser l'amour illicite de ses proches, dit que
guando mesxer Bernado Л bacifco slà in colera, el in sua
rabta, non riceve lege, et nnn perdona a nissuna dama.
— Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de
mesme. Mais pour revenir à nostre discours, j'ay ouy conter d'un
qui ayant marié une belle et lionneste demoselle à un sien amy,
et se vantant qu'il lui avoit donné une belle et bonneste monture,
saine, nette, sans sur-psi et sans malandre, comme il dist, el d'au
tant plus luy estoil obligé, il luy fui respondu par un de la compa
gnie, qui dil à pari à un de ses compagnons : « Tout cela est bon
» et vray si elle ne fust esté montée el chevauchée trop tost, dont
» pour cela elle est un peu foulée sur It; devant. »
Mais aussi je voudrois bien sçavoir à ces messieurs de marys,
que si telles montures bien souvent n'avoient un si, ou à dire
quelque chose en elles, ou quelque deiTectuosité ou deffaut ou
tare, s'ils en auraient si bon marché, et si elles ne leur couste-
roienl davantage? Ou bien, si ce n'esloil pour eux, ou enaccom-
moderoil bien d'autres qui le méritenl mieux qu'eux , comme
ces maquignons qui se défont de leurs chevaux tarez ainsi qu'ils
peuveut ; mais ceux qui en sçavent les sys, ne s'en pouvant
deffaire autrement, les donnent à ces messieurs qui n'en sçavent
or, VIES DES DAMES GALANTES.
rteit, d'autant (ainsi que j'ay ouy dire à plusieurs pères) que
c'est une fort belle défaite que d'une fille torée, ou qui com
mence à l'estre, ou a envie et apparence de l'estre.
Que je connois de tilles de par le monde qui n'ont pas porté
leur pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien
instruites de leurs mères, ou autres de leurs parentes et amies,
très-sçavantes maquerelles de faire bonne mine à ce premiei
assaut, et s'aident de divers moyens et inventions avec de:
subtilitez, pour le faire trouver bon à leurs marys et leur mons
trer que jamais il n'y avoit esté fait brèche.
La plus grande part s'aident à faire une grande résistance
et defence à cette pointe d'assaut, et à faire des opiniasires
jusques à l'extrémité : dont il y a aucuns marys qui en sont
très-contents, et croyent fermement qu'ils en ont eu tout l'Iion-
neur et fait la première pointe, comme braves et déterminez
soldats ; et en (ont leurs contes lendemain matin, qu'ils sont
crestez comme petits cocqs ou jolets qui ont mangé force millet
le soir, à leurs compagnons et amys, et mesmé possible à ceu^
qui ont les premiers entré en la forteresse sans leur sceu, qui
en rient à part eux leur saoul, et avec les femmes leurs mais-
tresses, qui se vantent d'avoir bien joué leur jeu et leur avoir
donné belle.
Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mau
vais augures de ces résistances, et ne se contentent point de les
voir si rebelles ; comme un que je sçay, qui, demandant л sa
tomme pourquoy elle faisoit ainsy de la farouche et de la difficnl-
tueuse, et si elle le desdaignoil jusque-là, elle, luy pensant faire
son excuse et ne donner la faute à aucun desdain, luy dit qu'elle
avoit peur qu'il luy fist mal. Il lui respondit : « Vous l'avez donc es-
« prouvé, car nul mal ne se peut connoistre sans l'avoir enduré? »
Mais elle, subtile, le niant, répliqua qu'elle l'avoit ainsi ouv dire
h aucunes de ses compagnes" qui avoient esté mariées, et l'en
avoient ainsi advisee : « Voilà de beaux advis et entretiens, я
. dit-il.
— Il y a un autre remède que ces femmes s'aclvisent, qui est
de monstrer le lendemain de leurs nopces leur linge teint de
gouttes de sang qu'espandent ces pauvres tilles à la charge dure
de leur despucellement, ainsi que l'on fait en Espagne, quien
monstrent publiquement par la feneslre ledit linge, en criant tout
haut : firgen la tenemos. Nous la tenons pour vierge.
DISCOURS I. 57
Certes, encore ay-je ouy dire dans Viterbe cette coustume s'y *•
observe tout de mesme : et d'aulant que celles qui ont passé pre
mièrement par les pioques ne peuvent (aire cette monstre par
leur propre sang, elles se sont advisees, ainsi que j'ay ouy dire,
el que plusieurs courtisanes jeunes à Rome me l'ont assuré
ellcs-inesmes, pour mieux vendre leur virginité, de teindre le .lit
linge de gouttes de sang de pigeon, qui est le plus propre de tous :
el le lendemain le mary le voit, qui en reçoit un extrême contente
ment, et croit fermeiiient que ce soit du sang virginal de sa femme,
el lui semble bien que c'est un gallant , mais il est bien trompé.
Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentilhomme, lequel
ayant eu l'esguillette nouée la première nuict de ses nopces, et
la mariée, qui n'estoil pas de ces pucelles très-belles et de bonne
part, se doutant bien qu'il dust l'aire rage, ne faillit, par l';idvis
de ses bonnes compagnes, matrosnes, parentes et bonnes amies,
d'avoir le petit linge le'iit : mais le malheur fut tel pour elle,
que le mary fut tellement noué qu'il ne put rien faire, encore
qu'il ne tinst pas à elle b luy en faire la monstre la plus belle et
se parer au montoir le mieux qu'elle pouvoil, et au coucher
beau jeu, sans faire de la farouche ny nullement de la diablesse,
ainsi que les spectateurs, cachés à la mode accouslumée, rappor-
toient, afin de cacher mieux son pucellage dérobé d'ailleurs ;
mais il n'y eut rien d'exécuté.
Le soir, à la mode accoustumée, le réveillon ayant esté porté,
il y eut un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces,
comme on fait communément, de dérober le linge qu'on trouva
joliment teint de sang, lequel (ust monstre soudain et crié haut
en l'assistance qu'elle n'estoit plus vierge, et que c'estoil ce coup
que sa membrane virginale avoit esté forcée el rompue : le mary,
qui estoit assuré qu'il n'avoit rien fait, mais pourtant qui faisoit
du gallant et vaillant champion, demeura fort estonné et ne sceut
ce que vouloit dire ce linge teint, si-non qu'après avoir songé
assez, se douta de quelque fourbe et astuce putanesques, mais
pourtant n'en sonna jamais mot.
La mariée et ses confidentes furent aussi-bien fascbées et es-
tournées de quoy le mary avoit lait faux-leu, et que leur affaire
ne s'en portoit pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun
semblant jusques au bout de huict jours, que le mary vint à avoil
l'esgmlleite desnouée, et fit rage et feu, dont d'aise ne se sou
venant de rien, alla publier à toute la compagnie que c'eetoit à
58 VIES DES DAMES GALANTES.
bon escient qu'il avoit fait preuve de sa vaillance et fait sa femme
wave femme et bien damée ; et confessa que jusques alors il
avoit esté saisi de toute impuissance : de quoy l'assistance sur
ce subject en üt divers discours, et jetta diverses semences sur
la mariée qu'on pensoit estre femme par son linge teinture; et
s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien cause
proprement, mais son тагу, qui par sa débolesse, flaquesse et
mollitude, se gasta luy-mesme.
— H y a aucuns marys qui cognoissent aussi à leur première
nuicl le pucelage de leurs femmes s'ils l'ont conquis oui ou non
par la trace qu'ils y trouvent; comme un que je cognois, lequel,
ayant espouse une femme en secondes nopces, et luy ayant fait
accroire que son premier тагу n'y avoit jamais touché par son
impuissance, et qu'elle estoit vierge et pucelle aussi bien qu'au
paravant estre mariée, néanmoins il la trouva si vaste et si co
pieuse en amplitude, qu'il se mit à dire : « Hé comment ! estes-
» vous cette pucelle de Marolle, si serrée et si estroile qu'on me
, » disoit ! Hé I vous avez un grand empand, et le chemin y est
» tellement grand et batlu que je n'ay garde de m'esgarer. » Si|
fallut-il qu'il passât par-là et le beust doux comme laict ; car si:
son premier тагу n'y avoit point touché comme il estoit vray, il
y en avoit bien eu d'autres.
Que dirons-nous d'aucunes mères, qui, voyant l'impuissance
de leurs gendres, ou qui ont I'esguilleUe nouée ou autre défec
tuosité, sont les maquerelles de leurs filles, et que, pour gai
guer leur douaire, s'en font (donner à d'autres, et bien souvent
engraisser, afin d'avoir les enfants héritiers après la mort du père?
J'en cognois une qui conseilla bien cela à sa tille, et de fail
n'y espargna rien ; mais le malheur pour elle fut que jamais
n'en put avoir. Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire :
sa femme, attira un grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour
coucher et dépuceler sa femme en dormant, et. sauver son h
neur par-là ; mais elle s'en aperçeut et le laquais n'y fit rien,
qui fut cause qu'ils plaidèrent long-temps : finalement ils se déma
rièrent.
— Le roy Henry de Castille en fit de mesme, lequel, ainsi
que raconte Baptisla Fulquosius (i), voyant qu'il ne pouvoit
(I) Bjplisla FnJgosiu!, dont Ira Foclorum et Dictorum тетогаЫНит libri II
ont île imprimes diverses fois. Ce fait particulier se trouve daui le chapitre 3 d«
IX'' livre. •
DISCOURS I. . &9
•
faire d'enfant à sa femme, il s'aida d'un beau et jeune gentil
homme de sa Cour pour lui en (aire, ce qu'il fit ; dont pour sa
peine il lui fit de grands biens et l'advança eu des ho ineurs,
grandeurs et dignitez .: ne faut douter si la femme ne l'en ayma
tts'en trouva bien. Voilà un bon cocu.
— Pour ces esguilletes nouées, en fut dernièrement un procès
en la cour du parlement de Paris, entre le sieur de Bray, tréso
rier, et sa femme, à qni il ne pouvoit rien faire ayant eu l'esguil-
lette nouée, ou autre défaut, dont la femme, bien marrie, l'en ap
pela en jugement. 11 fut ordonné par la Cour qu'ils seroient visitez
eux deux par grands médecins experts. Le тагу choisit les siens
et la femme les siens, dont en fut fait un fort plaisant sonnet à la
Conr, qu'une grande dame me list elle-mesme, et me donna ainsi
queje disnois avec elle. Ondisoit qu'une dame l'avoit fait, d'au
tres un homme. Le sonnet est tel :
SONNET.
Entre les médecins renommés à Paris
En sçavoir, en espreuve , en science, en doctrine.
Pour juger l'imparfait de h coulpe androgyne,
Par de Biay et sa. femme ont esté sept choisis.
De Bray < en pour luy IPÍ trois de moindre prix,
le Court, l'Endormy, Piètre; et sa femme, plus fine,
Les quatre plus experts en l'un de médecine,
Le Grand, le Gros, Dnret et Vigoureux a \ ris.
On pent par-là juger qui des deux galguera,
Et si le Grand du Court victorieux sera ,
Vigoureux d'£ndormy, le Gros, Durci de Piètre.
Et de Bray n'ayant point >ces deux de son costé,
Estant tant imparfait que тагу le peut cslrev
A faute de bon droit en sera débouté.
»-* -J'ay ouy parler d'un autre тагу, lequel la première nuict
tenant embrassée sa nouvelle espouse, elle se ravit en telle joye
et plaisir, que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de
faire un petit mobile tordion de remuement non accoustumé
de faire aux nouvelles mariées; il ne dit autre chose sinon :
« Ah ! j'en ay ! » et continua sa route. Et voilà nos cocus en
herbe, dont j'en sçai une milliasse de contes ; mais je n'aurois
jamais l'ait; et le pis que je vois en eux, c'est quand ils espousent
la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils les prennent toutes
60 VIES DES DAMES GALANTES.
Comme UD que je sçay, qui, s'eslant marié avec une fort belle
et Iionueste demoiselle, par la faveur et volonté de leur prince e\
seigneur, qui aymoit fort ce gentilhomme et la luy avoit fait
espouser, au bout de huit jours elle vint à estre cogneuë grosse,
aussi elle le publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'es-
toit (ousjours bien douté de quelques amours entre elle et un au
tre, lui dit : « Une telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour et ,
» l'heure de vos nopces; quand on les affrontera à celuy et celle
» de vostre accouchement, vous aurez de la honte. » Mais elle,
pour ce dire, n'en til que rougir un peu, et n'en fut autre chose,
si-non qu'elle teir il toujours mine de dona da ben»
Or il y a d'aucunes filles qui craignent si :ort leur père et mère,
qu'on leur arracherait plustot la vie du corps que le boucon puceau,
tes craignant cent ('. is plus que leurs marys.
— J'ay ouy parler d'-une fort belle et honneste demoiselle,
laquelle, estant fort pourchassée du plaisir d'amour de son ser
viteur, elle lui respondit : я Attendez un peu que je sois aariée,
» et vous verrez comme, sous celte courtine de mariage qui cache
» tout, et ventre enflé et descouvert, nous y ferons à bon escient.»
— Un autre, estant fort recherchée d'un grand, elle luy dit :
« Sollicitez un peu nostre prince qu'il me marie bien-tost avec celui
» qui me pourchasse, et me face vistement payer mon mariage qu'il
» m'a promis; le lendemain de mes nopces, si nous ne nous ren-
» controns, marché nul. »
— Je sçai une dame qui, n'ayant esté recherchée d'amours que
quatre jours avant ses nopces, par un gentilhomme parent de son
niary, dans six après il en jouyt; pour le moins il s'en vanta, et
estoit aisé de le croire; car, ils se nbnstroienl telle privauté qu'on
eust dit que toute leur vie ils avoient estés nourris ensemble;
mesme il en dist des signes et marques qu'elle porloit sur son
corps, et aussi qu'ils continuèrent leur jeu long-temps après. Le
gentilhomme disoit que la privauté qui leur donna occasion de ve
nir là, ce fut que, pour porter une mascarade, s'entrecliangèrent
leurs habillements; car i) prit celui de sa maistresse, et elle celuy de
son amy, dont le тагу n'en fit que rire, et aucuns prindrent sub
ject d'y redire et penser mal.
Il fut lait une chanson à la Cour d'un тагу qui fut marié le
mardy et lut cocu le jeudy : c'est bien avancer le temps.
^ — Que dirons-nous d'une fille ayant esté sollicitée longuement
d'un gentilhomme 4e bonne maison et riche, mais pourtant
DISCOURS I. Cl
nigaud et non digne d'elle, et par l'advis de ses parents, pres
sée de l'espouser, elle fît response qu'elle aymoit mieux mourir
que de l'espouser", et qu'il se déportas! de son amour, qu'on ne
!uy en parlast p'.us ny à ses parents ; car, s'ils la forcoient de l'es
pouser, elle le Ceioit plustost cocu. Mais pourtant fallut qu'elle pas-
jast par-là, car la sentence luy (ut donnée ainsi par ceux et celles des
plus grands qui avoient sur elle puissance, et mesme de ses parents.
La vigille des nopces, ainsi que son тагу la voyoit triste et
pensive, luy demanda ce qu'elle avoit , elle luy respondil toute
en colère : « Vous ne m'avez voulu jamais croire à vous oster
» de me poursuivre ; vous sçavez ce que je vous ay tousjours dit,
» que, si je venois par malheur à estre vostre femme, que je
» -vous ferois cocu, et je vous jure que je le feray et vous tien-
» dray parole. »
Elle n'en (aisoit point la petite bouche devant aucunes de ses
compagnes .et aucuns de ses serviteurs. Asseurez-vous que depuis
elle n'y a pas failli; et luy monstra qu'elle estoitbien gentille femme,
car elle tint bien sa parole.
Je vous laisse à penser si elle ев devoit avoir blasme, puis qu'un
averty en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvrnient où il
tomberait. Et pourquoi ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela,
il ne s'en soucia pas beaucoup.
— Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost après eslre mariées
font comme dit l'Italien : Che la i'acca, che e stata molió tempo
lígala, corre più ehe quellet che hà hmuto sempre piena li
berlà (l).
Ainsi que fît la première femme de Baudouin, roy de Jérusa
lem, que j'av dit ci-devant, laquelle, ayant esté mise en religion
de force par son тагу, après avoir rompu le cloistre et en estre
sortie, et tirant vers Constantinople, mena telle paillardise qu'elle
en dunnoil à tous passants, allants et venants, tant gens-d'armes
que pellerins vers Jérusalem, sans esgard de sa royale condition;
niais le grand jeûne qu'elle en avoit lait durant sa prison eu estoit
cause. .
J'en nomtnerois bien d'autres. Or, voilà donc dq bonnes gens
de cocus ceux-là, comme sont aussi ceux-lii qui permettent à
leurs femmes, quand elles sont belles et recherchées de leur
(I) C'est-à-dire : с Que- 1 1 vache qui a longtemps clé attachée court plut que
» celle 4111 a toujours eu Ы<мпс liberté. ,
0
62 VIES DES DAMES GALANTES.
beauté, et les abandonnent pour s'en ressentir et tirer de la faveur,
du bien et des moyens.
Il s'en voit tort de ceux-là aux cours des grands roys et prin
ces, lesquels s'en trouvent très-bien , car, de pauvres qu'ils au
ront esté, ou pour envasement de leurs biens, ou pour procès,
ou bien pour voyages de guerres sont au tapis, les voilà remon
tez et agrandis en grandes charges par le trou de leurs femmes,
où ils n'y trouvent nulle diminution, mais plustost augmentation;
for en une belle dame que j'ay ouy dire, dont elle en avoit perdu
la moitié par accident, qu'on disoil que son тагу luy avoit donné
la vérole ou quelques chancres qui la luy avoient mangée.
Certes les faveurs et bienfaits des grands esbranlent fort un cœur
chaste, et engendrent bien des cocus.
— J'ay ouy dire et raconter d'un prince eslranger (i), le
quel, ayant esté fait général de son prince souverain et maislre
en une grande expédition d'un voyage de guerre qu'il luy avoit
commandé, et ayant laissé en la Cour de son maistre sa femme,
l'une des belles de la chrestienté, se mit à luy faire si bien l'amour,
qu'il l'esbranla, la terrassa et l'abbaltit , si beau qu'il l'engrossa.
Le тагу, tournant au bout de treize ou quatorze mois, la
trouva en tel estât, bien marry et fasché contr'elle. Ne faut point
demander comment ce fut à elle, qui estoit fort habile, à faire ses
excuses, et à un sien beau-frère.
Enfin elles furent telles qu'elle luy dit : « Monsieur, l'évéue-
» nient de vostre voyage en est cause, qui a esté si mal receu
x de vostre maistre (car il n'y fit pas bien certes ses affaires), et
» en vostre absence l'on vous a tant prestez de charitez pour
» n'y avoir point fait ses besognes, que, sans que vostre sei-
» gneur se mist à m'aymer, vous estiez perdu ; et, pour ne vous
» laisser perdre, je me suis perdue : il y va autant et plus de
» mon honneur que du vostre ; pour votre avancement, je ne
» me suis espsrgnée la plus précieuse chose de moy : jugez donc
» si j'ay tant failly comme vous diriez bien; car, autrement,
и vostre vie, vostre honneur et faveur y fust esté en bransle.
» Vous estes mieux que jamais; la chose n'est si divulguée que la
» tache vous en demeure trop apparente. Sur cela, excusez-moi et
» me pardonnez. »
(I) François de lorraine, duc de Gui«, (né par Poltrot. VOY. Eem, sur le mot
, paje 547 du CalA. d'Esp,, édil, de 1699.
DISCOURS I. 63
Le beau-frère, qui sçavoit dire des mieux, et qui possible avoit
part ii la graisse, y en adjousta autres belles paroles et prégnantes,
si bien que tout servit, et par ainsi l'accord fut fait, et furent
eusemble mieux que devant, vivants en toute franchise et bonne
amitié; dont pourtant le prince leur maistre, qui avoit fait la
débausche et le débat, ne l'estima jamais plus (ainsi que j'ay ouy
dire) comme il eu avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte
a l'endroit de sa femme et pour l'avoir beu si doux, tellement
qu'il ne l'estima depuis de si grand cœur comme il l'avoit tenu
auparavant, encore <,ue, dans son âme, il estoit bien aise que la
pauvre dame ne patist point pour luy avoir fait plaisir. J'ay veu
aucuns et aucunes excuser cette dame, et trouver qu'elle avoit
bien fait de se perdre pour sauver son тагу et le remettre en
faveur.
Oh ! qu'il y a de pareils exemples à celuy-cy, et encore à un
d'une grande darne qui sauva la vie à son тагу, qui avoit esté
jugé à mort en pleine cour, ayant esté convaincu do grandes con
cussions et malles versations en son gouvernement et en sa charge,
dont le тагу l'en ayma après toute sa vie.
— J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant esté
jugé d'avoir la teste tranchée, si qu'estant déjà sur l'eschaflault sa
grâce survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obtenue,
et, descendant de l'eschaflault, il ne dit autre chose sinon : « Dieu
sauve le bon c.. de ma fille, qui m'a si bien sauvé! » 1
— Saint Augustin est en doute si un citoyen chreslien d'An-
tioche pécha quand, pour se délivrer d'une grosse somme d'argent
pour laquelle il estoit estroitement prisonnier, permit à sa femme
de coucher avec un gentilhomme fort riche qui lui promit de
l'acquitter de son deble.
Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc per
mettre à plusieurs femmes, veufves et filles, qui pour rachepter
leurs pères, parents et marjs voire mesmes, abandonnent leur
gentil corps sur force inconvénients qui leur surviennent, comme
de prison, d'esclavitude, de la vie, des assauts et prise de ville,
bref une infinité d'autres, jusques à gaigner quelquesfois des capi
taines et des soldats, pour les bien faire combattre et tenir leurs
partis, ou pour soutenir un long siège et reprendre une place. J'en
conterois cent sujets, pour ne craindre pour eux à prostituer leur
chasteté; et quel mal en peut-il arriver ny escándale pour cela?
mais un grand bien.
CU VIES DES DAMES CALANTES.
Oui dira donc le contraire, qu'il ne face bon eslre quelques
fois cocu, puisque l'on en tire telles commoditez du salut de
vies et de rembarquement de faveurs, grandeurs et dignité/, et
biens, que j'en cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs,
qui se sont bien avaucés par la beauté et par le devant de leurs
femmes?
Je ne veux offenser personne ; mais j'oserois bien dire que je
tiens d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy,
et que certes les valeurs d'aucuns ne les ont tunt .fait valoir
qu'elles.
— Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'ordre
a son тагу, et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de
la chreslienté. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde
(car elle esloit de plaisante compagnie, et renconlroit très-bien) .
« Ha I mon amy, que tu eusses couru long-temps fauvettes avant
que tu eusses eu ce diable que tu portes au col. »
— J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy François,
lequel ayant receu l'ordre, et s'en voulant prévaloir un jour devant
feu M. de la Cliasiaigneraye mon oncle, et luy dit : « Ha ! que vous
» voudriez avoir cet ordre pendu au col aussi bien comme moy ! »'
Mon oncle, qui esloit prompt, haut à la main, et scalabreux s'il en
fut one, lui respondit : « J'aymerois mieux estre mort f]ue de l'avoir
» par le moyen du trou que vous l'avez eu. » L'autre ne luy dit
rien, car il savoit bien à qui il avoit à faire.
— J'ay ouy conter d'un grand seigneur, à qui sa femme ayant
sollicité et porté en sa maison la patente d'une des grandes charges
du pays où il estoit, que son prince lui avoit octroyée par la faveur
de sa femme, il ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il
avoit sceu que sa femme avoit demeuré trois mois avec le prince
fort favorisée, et non sans soupçons. 11 monslra bien par-là sa géné
rosité, qu'il avoit toute sa vie manifestée: toutes (ois il l'accepta,
après avoir fait chose que je ne veux dire.
El voilà comme les dames ont bien fait autant ou plus de cheva
liers que les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien
qu'un autre : n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire escándale.
Et si elles leur ont donné des honneurs, elles leur donnent bien des
richesses.
J'en cognois un qui esloit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme
ä la Cour, qui esloit très-belle; et, en moins de deux ans, ils se
remirent et devinrent fort riches.
DISCOURS I. . - 05
— Encore faut-il estimer ces dames qui eslèveut ainsi leurs
marys en biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble:
ainsi que l'on dit de Marguerite de Pfamur, laquelle fut si sotie
de s'engager et de donner tout ce qu'elle pouvoil a Louis duc
d'Orléans, luy qui esloil si grand et si puissant seigneur, et frère
du Roy, et tirer de son тагу tout ce qu'elle pouvoit, si bien
qu'il en devint pauvre, et fui contraint de vendre sa comté de
Bloys audit M. d'Orléans, lequel, pensez qu'il la luy paya de l'ar
gent et delà substance mesniesque sa sotte femme luy avoit don
née. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoil à plus grand quo
soy: et pensez qu'après il se moqua et de l'une et de l'autre; car
il esloit bien homme pour le faire, tant il esloit volage et peu
constant en amours.
. — Je cognois une grande dame, laquelle estant venue fort
amoureuse d'un gentilhomme de la Cour, et luy par conséquent
jouissant d'elle, ne luy pouvant donner d'argent, d'autant que
son mari luy tenoit son trésor caché comme un prestre, lui donna
la plus grande partie de ses pierreries, qui mouloieni à plus de
• trente mille escus; si bien qu'à la Cour on disoit qu'il pouvoit
bien bastir, puisqu'il avoit force pierres amassées et accumulées;
et puis après, estant venue et escbcue à elle une grande succession,
et ayant mis la main sur quelques vingt mille escus, elle ne les
garda guères que son gallant n'en eust sa bonne part. Et disoit-
on que si cette succession ne luy fust escliuë, ne sachant que luy
pouvoir plus donner, luy eust donné jusques à sa robe et che
mise ; en quoy tels escroi|ueurs et escornitteurs sont grandement ù
blasmer, d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces
pauvres diablesses martelées et encnpriciées ; car la bourse estant
si souvent revisitéc, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni
en son eslre, comme la bourse de devant, qui est toujours en son
mesme estât, et preste à y pcsclier qui veut, sans y trouver à dire
les prisonniers qui y sont entrés et sortis. Ce bon gentilhomme,
qne je dis si J)ien empierré, vint quelque temps après à mourir, et
toutes ses bardes, à la mode de Paris, vindrent à cstre criées et
vendues à l'encan, qui furent appréciées à cela, et recognuè's pour
tes avoir veuës à la dame par plusieurs personnes, non sans grande
lionte de la dame.
— Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste
(lame, fit achepler une douzaine de boutons de diamants très-'
brillants, et proprement mis en œuvre, avec leurs lettres égyp
6.
ев VI ES. DES DAMES GALANTES.
tiennes et hiéroglyfiques, qui conlenoient leur sens caché, dont il
en fit un présent à sadite inaislresse, qui, après les avoir regardées
fixement, lui dit qu'il n'en estoil n;eshuy plus besoin ii elle de lettres
hiéroglj flques, puisque les escritures estoient des-jà accomplies en ire
eux deux, ainsi qu'elles avoient esté entre celte dame et le genlil-
bomuie decy-dessus.
J'ai cogneu иве dame qui disoit souvent à son тагу qu'elle le
rendrait plustost coquin que cocu , mais ces deux mots tenant de
l'équivoque, un peu de l'un de l'autre assemblèrent en elle et en
son тагу ces deux belles qualitez.
— J'ai bien cogneu pourtant beaucoup et une inunité de dames
qui n'ont pas ainsi fait : car elles ont plus tenu serré la bourse de
leurs eseus que de leur gentil corps : car, encor qu'elles fussent
très -grandes dames , elles ne vouloient donner que quelques
bagues , quelques faveurs , et quelques autres petites gentillesses,
manchons ou escbarpes , pour porter pour Гашоиг d'elles et les
faire valoir.
— J'en ay cogneu une grande qui a esté fort copieuse et libérale
en cela ; car la moindre Je ser, escharpes et faveurs qu'elle donnoit
à ses serviteurs estoit de cinq cents escus, de mille et de trois
mille, où il y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enri
chissements, de cliili'res, de lettres biéroglyOques et belles inven
tions, que rien au monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin
que ces présents, après les avoir laits, ne fussent cachés dans des
cuifres ni dans des bourses, comme ceux de plusieurs autres dames,
nais qu'ils parussent devant tout le monde, et que son amy les fist
valoir en les contemplant sur sa belle commémoration, et que tek
présents en argent sentoient plustost leurs femmes communes qui
donnent à leurs rullians, que non pas leurs grandes et honnestes
dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien quelques belles bagues
de riches pierreries ; car ces faveurs et escharpes ne se portent pas
communément, si-non en un beau et bon affaire; au lieu que la
bague au doigt tient bien mieux et plus ordinairement compagnie
à celuy qui la porte.
— Certes un gentil cavalier et de noble cœur doit eslre de celle
généreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les
beautez qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent
en elle.
Quant à moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'bon-
nestes dames, et non des moindres ; mais si j'eusse voulu prendre
DISCOURS I. 67
idles ce qu'elles m'ont présenté, et en arracher ce que j'eusse
pu, je serois riche aujourd'huy, ou en bien, ou en argent, ou en
meubles, de plus de (rente mille escus que je ne suis: mais je me
suis toujours contenté de faire paroistre mes affections, plus par
ma générosité que par mon avarice.
Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne
du sien dans la bourse du devant de la femme, que la femme de
mesme donne du sien aussi dans celle de l'homme,- mais il faut en
cela peseï tout ; car, tout ainsi que l'homme ne peut tant jetler et
donner du sien dans la bourse de la femme comme elle voudrait,
il faut aussi que l'homme soit si discret de ne tirer de la bourse de
la femme tant comme il voudrait, et faut que la loy en soit égale
et mesurée en cela.
. — J'ay bien veu aussi beaucoup de gentilshommes perdre l'a
mour de leurs rnaislresscs par l'importunité de leurs demandes et
avarices, et que les voyans si grands demandeurs et si importuns
d'en vouloir avoir, s'en défaisaient gentimerit et les planloient là,
ainsi iiu'il estoit très-bien employé.
Yoiln pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tenté de
convoitise charnelle que pécuniaire; car quand la dame seroit par
trop libérale de son bien, le тагу, le trouvant se diminuer, en est
plus marry cent fois que de dix mille libéralitez qu'elle feroit de
son corps.
Or, il y a des cocus qui se font par vengeance : cela s'entend que
plusieurs qui haïssent quelques seigneurs, genlilshommes ou autres,
desquels en ont receu quelques desplaisirs et afl'ronts, se vangent
d'eux en faisant l'amour à leurs femmes, et les corrompent en les
rendant gallants cocus.
— J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques
traits de rébellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pou
vant vanger de luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de
sorte qu'il ne le pouvoit aucunement attraper; sa femme estant
un jour venue à sa Cour solliciter l'accord et les affaires de son
тагу, le prince luy donna une assignation pour en conférer un
jour dans un jardin et une chambre là auprès ; mais ce fut pour
lui parler d'amours, desquels il jouit fort facilement sur l'heure
sans grande résistance,, car elle estoit de fort bonne composition :
et ne se contenta de la repasser, mais à d'autres la prostitua,
jusques aux valets-de-chambre ; et par ainsi disoit le prince qu'il
se senloit bien vangé de son sujet, pour luy avoir ainsi repassé
68 . VIES DES DAMES GALANTES.
sa femme et couronné sa teste d'une belle couronne de cornes,
puisqu'il vouloit faire du petit roy et du souverain ; au lieu qu'il
vouloil porler couronne de fleurs de lys (i), il lui en falloit bailler
une belle de cornes.
Ce mcsme prince en fit de mesmes par la suasion de sa mère,
qu'il jouisl d'une fille et princesse: sçachant qu'elle devoit espouser
un prince qui lui avoit fait desplaisir et troublé l'Estat de son
frère bien fort, la dépucella et en jouit bravement, et puis dans
deux mois fut livrée audit prince pour pucelle prétendue et pour
femme, dont la vengeance en lut fort douce en attendant une autre
plus rude, qui vint puis après (î).
— J'ay cogneu un fort bonneste gentilhomme qui , servant une
belle dame et de bon lieu, lui demandant la récompense de ses
services et amours, elle luy respondit Irancliement qu'elle ne luy
en donneroit pas pour un double, d'autant qu'elle estoit très-asseu-
rée qu'il ne l'aymoii tant pour cela, et ne luy portoil point tant d'af
fection pour sa beauté, comme il disoit, sinon qu'en jouissant d'elle
il se vouloit vanger de sou шагу qui luy avoit l'ait quelque desphisir,
et pour ce il en vouloit avoir ce contenteu-ent dans son âme, et
s'en prévaloir puis après ; mais le gentilhomme, luy asseuranl du
contraire, continua à la servir plus de deux ans si fidèlement et de
si ardent amour, qu'elle en prit cognoissance ample et si certaine,
qu'elle luy octroya ce qu'elle lui avoit tousjours refusé, l'asseurant
que si du commencement de leurs amours elle ri'eust eu opinion de
quelque vengeance projeltée en luy par ce moyen, elle l'eust rendu
aussi bien content comme elle fit à la fin; car son naturel estoit
de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame se scent sagemcn'.
commander, que l'amour ne la transporta point à faire ce qu'ell •
desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymasl pour ses mérite
et non pour le seul sujet de vindicte.
— Feu M. de Gua, uu des parfaits et gallants gentilshommes
du monde en tout, me convia à la Cour un jour d'aller disner ave.'
luy; il avoit assemblé une douzaine des plus sçavants de la Cour,
entre autres M. l'esvesque de Dole, de la maison d'Espinay en Bre •
tagne, MM. de Ronsard, de Baïf, Desportes, d'Aubigny (ces deux
sont encore en vie, qui m'eu pourraient démentir), et d'autre*
{IJ Cela pourrait bien regarder H>IHI de Lorraine, duc de Guiso, lue à Elois.
(2) Ce. i [lomio.i encoró mieux regarder Marguerite de Valois, le ici de Navarre,
le duc d'An ou et la Sainl-Barluëlemy.
DISCOURS I. . C9
desquels ne me souviens, et n'y avoit homme d'espée que M, de
Gua et moy. En devisant durant le disner de l'amour et des com-
nioditez et incommoditez, plaisirs et desplaisirs, du bien et du
inal qu'il appnrloit en sa jouissance, après que chacun eut dit
son opinion et de l'un et de l'autre, il conc'ud que le souverain
bien de celte jouissance gisoit en cette vengeance, et pria un
chacun de tous ces grands personnages d'en l'aire un quatrain г ui-
prnmplu ; ce qu'ils firent. Je les voudrais avoir pour les insérer
icy, sur lesquels M. de Dol, qui disoit et escrivoit-d'or, emporta le
prix.
Et certes, M. de Gua avoit occasion de tenir cette proposition
contre deux grands seigneurs que je sçay, leur faisant porter les
cornes pour la haine qu'ils luy porloient; car leurs femmes es-
toient très-belles: mais en cela il en liroil double plaisir, la ven
geance et le contentement. J'ay cogneu force gens qui se sont
revangez et délectez en cela, et si ont eu celle opinion.
— J'ay cogneu aussi de belles et honnesles dames, disant et
affirmant que quand leurs marys les avoient maltrailées el rudoyée.'
et lansées ou censurées, ou ballues ou fait aulres mauvais lours el
outrages, leur plus grande délectation esloit de les faire cornards,
et en les faisant songer à eux, les brocarder, se moquer et rire
d'eux avec leurs amis, jusi)ues-là de dire qu'elles en entroient
davantage en appétit et certain ravissement de plaisir qui ne se
pouvoit dire.
— J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, à laquelle es
tant demandé une fois si elle avoit jamais fail son тагу cocu, elle
respondit: « El.pourquoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais
» balluë ny menacée? » Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un
des deux, son champion de devant en cusí tosí l'ail la vengeance.
— El quanl à la mocquerie, j'ay cogneu une fort belle et hon
neste dame, laquelle eslant en ces doux altères de plaisirs, el
en ces doux bains de délices et d'aise avec son amy, il lui advint
qu'ayant un pendant d'oreille d'une corne d'abondance qui n'estoit
que de verre noir, comme on les porloil alors, il vint, par force de
se remuer et entrelasser el follaslrer, à se rompre. Elle dit à son
amy soudain: ft Voyez comme nature est très-bien prévoyante; car
» pour une corne <;ue j'ai rompue, j'en fais icy une douzaino
» d'aulres à mon pauvre cornard de тагу, pour s'en parer un jour
i d'une bonne feste, s'il veut. »
Une autre ayant laissé son тагу couché et endormy dans le lict,
ГО VIES DES DAMES GALANTES.
vint voir son amy avant se coucher; et ainsi qu'il luy cul demandé
où esloit son тагу, elle luy respondit : « 11 garde le lict et le nid
» du cocu, de peur qu'un autre n'y vienne pondre; mais ce n'est
» pas à son lict, ny à ses linceuls, ny à son nid que vous en voulez,
» c'est à moy qui vous suis venue voir, et Гау laissé là en senli-
» nelle, encore qu'il soit bien endormy. »
— A propos de sentinelle, j'ay ouy faire un conte d'un gentil
homme de valeur, que j'ai cogneu, lequel un jour venant en ques
tion avec une fort honneste dame que j'ay aussi cogneue, il luy
demanda, par manière d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage
à Saint-Mathurin (l). « Ouy, dit-elle ; mais je ne pus jamais en-
» trer dans l'église, car elle estoit si pleine et si bien gardée
» de cocus, qu'ils ne m'y laissèrent jamais entrer : et vous qui
» esliés des principaux, vous estiez au clocher pour faire la senti-
» nelle et advertir les autres. »
J'en conterois mille autres risées, mais je n'aurois jamais fait :
si espère-je d'en dire pourtant en quelque coin de ce livre.
— H y a des cocus qui sont débonnaires, qui d'eux-mesmes
se convient à cette feste de cocuage; comme j'en ai cogneu aucuns
qui disoient à leurs femmes: « Un tel est amoureux de vous, je le
« cognois bien, il nous vient souvent visiter, mais c'est pour l'a-
» mour de vous, mamie. Faites-luy bonne chère; il nous peut faire
» beaucoup de plaisir; son accointauce nous peut beaucoup servir. •
D'autres disent à aucuns : « Ma femme est amoureuse de vous,
» elle vous ayme ; venez la voir, vous lui ferez plaisir ; vous cau-
» serez et deviserez ensemble, et passerez le temps. » Ainsi con
vient-ils les gens я leurs despens.
Comme fit l'empereur Adrian, lequel estant un jour en Angle
terre (ce dit sa. vie) menant la guerre, eut plusieurs advis comme
sa femme, l'impératrice Sabine, faisoit l'amour, à toutes restes à
Rome, avec força gallants gentilshommes romains. De cas de for
tune, elle ayant escrit une lettre de Коте en hors à un gentil
homme romain qui estoit avec l'empereur en Angleterre, se com-
plaignant qu'il l'jvoit oubliée et qu'il ne faisoit plus compte
d'elle, et qu'il n'estoit pas possible qu'il n'eusl quelques amourettes
par dé-là, et que quelque mignone aflettée ne l'eust espris dans les
lacs de sa beauté ; celte lettre d'avanture tomba entre les mains
(I), C'est-à-dire, Ы1 follfi tie son corps, comme on parto, parce qu'on та en pè
lerinage i l'église de ce uiai pour être guéri de la Culie.
DISCOURS I. 71
d'Adrian, et comme ce gentilhomme , quelques jours après, de
manda congé à l'Empereur sous couleur de vouloir aller jusques a
Rome promplement pour les affaires de sa maison, Adrian lay dit,
en se jouant : « Eh bien, jeune homme, allez-y hardiment, car
l'impératrice ma femme vous y attend en bonne dévotion. » Ouoy
voyant le Romain, et <jue l'Empereur avoit deseouvert le secret et
luy en pourroit fort mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit
la nuit après et s'enfuit en Irlande.
il ne devoit pas avoir grand peur pour cela» comme l'Empereur
lay- mesme disoit souvent, estant abreuvé à toute heure des amours
débordes de sa femme : « Certainement si je n'estois empereur, ju
• me serais bientost défait de ma femme ; mais je ne veux mons-
» trer mauvais exemple. » Comme voulant dire que n'importe aux
grands qu'ils soient-là logés, aussi qu'ils ne se divulguent. Quelle
sentence pourtant pour les grands ! laquelle aucuns d'eux ont pra
tiquée, mais non pour ces raisons. Voilà comme ce bon empereur
tssistoit joliment à se faire cocu.
— Le bon Marc Aurele, ayant sa femme Faustine une bonn«
vesse, et luy estant conseillé de la chasser, il respondit : « Si nous
» la quittons, il faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire ; et
» qui ne voudroit estre cocu de mesme pour un tel morceau, voira
» moindre ? в
Son fils Antoninus Verus, dit Commodus, encore qu'il devint fort
cruel, en dit de mesme à ceux qui luy conseilloient de faire mou
rir ladite Faustine sa mère, qui fut tant amoureuse et chaude après
un gladiateur, qu'on ne la put jamais guérir de ce chaud mal, jus-
ques à ce qu'on s'advisast de faire mourir ce maraut gladiateur et
•luy faire boire son sang.
— Force marys ont fait et font de mesme que ce bon Marc
Aurele, qui craignent de faire mourir leurs femmes putains, de peur
d'en perdre les grands biens qui en procèdent, et ayment mieux
estre riches cocus à si bon marché qu'estre coquins.
— Mon Dieu ! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoient
jamais de convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de
venir voir leurs femmes, jusques à leur faire festins pour mieux les y
attirer ; et y estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres,
leurs cabinets , et puis s'en aller et leur dire : a Je vous laisse ma
» femme en garde. »
— J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussiés dit
que toute sa félicité et contentement gisoit à estre cocu, et s'es,
. 7Î VIES DES DAMES GALANTES.
tudioit d'en trouver les occasions , et surtout n'oublioit ce premier
mot : « Ma femme est amoureuse de vous; l'aymez-vous autant
» qu'elle vous aime? » Et quand il vovoit sa femme avec son servi
teur, bien souvent il emmenoit Ы compagnie hors de la chambre
pour s'aller pourmener, les laissant tous deux ensemble, leur
donnant beau loisir de traitler leurs amours ; et si par cas il avoit
à faire à tourner prestement en la chambre, dès le bas du degré il
crioit haut, il deaiandoit quelqu'un, il crachoitou il toussoit, afin
qu'il ne trouvast les amants sur le l'ait; car volontiers, encore
qu'on le sçaclie et qu'on s'en doute, ces vues et surprises ne sont
guières agréables ny aux uns ny aux autres.
Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le
maistre masson luy ayant demandé s'il ne le vouloit pas illustrer de
corniches, il respondit : « Je ne sçay que c'est que corniches ; de-
» mandez-le à ma femme, qui le sçait et qui sçait l'art de géonié-
» trie ; et ce qu'elle dira faites-le. »
— Bien fit pis un que je sçay, qui, vendant un jour une de
ses terres à un autre pour cinquanle mille escus, il en prit qua
rante-cinq mille en or et argent, et pour les cinq restants il prit une
corne de licorne: grande risée pour ceux qui le sceurent. « Comme,
» disoieni-ils, s'il n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjous-
» ter celle-là. »
— J'ay cogneu un très-grand seigneur, brave et vaillant, lequel
vint à dire Ь un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur,
en riant pourtant : « Monsieur un tel, je ne sçay ce que vous avez
» fait à ma femme, mais elle est si amoureuse de vous que jour et
» nuict elle ne me fait que parler de vous, et sans cesse me dit vos
» louanges. Pour toute response je luy dis que je vous eo un ois plus-
» tost qu'elle, et sçay vos valeurs et vos mérites, qui sont grands. »
Qui fut estonné, ce fut ce gentilhomme, car il ne venoit que de
mener celte dame sous le bras a vespres, où la Reyne alloit. Toutes-
lois le gentilhomme s'asseura toutd'uncoup et.luy dit : к Monsieur,
я je suis très-humble serviteur de madame vostre femme, et Ibrt
» redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore
» beaucoup : mais je ne 1цу fais pas l'amour (disoit-il eu boullun-
» nant), mais je luy fais bien la cour par vostre bon advisqne vous
» me donnastes dernièrement: d'aulaut (¡u'elle peut beaucoup à
» l'endroit de ma maistresse, que je puis, espouser par so;i moyen,
в et par ainsi j'espère qu'elle m'y sera aidante. »
Ce prince n'en fit plus autre semblant , si-non que de rire et '
DISCOURS I. 7î
admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais,
ce qu'il fit, estant bien-aise sous ce prétexte de servir une si belle
dame de prince, laquelle luy laisoit bien oublier son autre maislresse
qu'il vouloit espoiiser, et ne s'en soucier guières, si-non que ce
masque bouclioit et déguisoit tout.
Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que
voyant ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au
bras un ruban incaruadin d'Espagne, qu'on avoit apporté par
belle nouveauté à la Cour, et l'ayant taste et manié en causant
avec luy, alla trouver sa femme, qui estoil près du liet de la
Reyne, qui en avoit un tout pareil, lequel il mania et toucha tout
de inesme, et trouva qu'il estoit tout semblable et de la niesme
pièce que l'autre : si n'en sonna-il pourtant jamais mot, et n'en
fut autre chose. El de telles amours il en faut couvrir si bien les
feux par telles cendres de discrétion et de bons advis, qu'elles ne
se puissent r!e;couvrir; car bien souvent l'escandale ainsi dès-
couvert dépile plus les inarys contre leurs femmes, que quand Ite
tout se lait a cachettes, pratiquant en cela le proverbe : Si non
caste, ¡amen caute (i).
— Que j'ay veu eu mon temps de grands escándales et de
grands inconvénients pour les indiscrélions et des dames et de
leurs serviteurs ! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que
rien, mais qu'ils h'sienl bien leurs faits, solio coperíe (2), comme
on disl, et ne lusl point divulgué.
— J'en ay cogneu une qui lout à trac faisoit paroislre ses
amours et ses faveurs, qu'elle déparloit comme si elle n'eusl eu
de тагу el ne fusl eslé sous aucune puissance, n'en voulanl rien
croire l'advis de ses servileurs el amys, qui lui en remonstroienl
les ir conveniente : aussi bien mal luy en a-t-il pris.
Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont
fail ; car elles ont gentiment Iraillé l'amour, et se sont données du>
bon temps sans en avoir donné grand connoissance au monde,
sinon par quelques soupçons légers, qui n'eussent jamais pu
monslrer la vérilé aux plus clairvoyants ; car elles accosloienl leurs
servileurs devant le monde si dextrement, et les enlrelenoienl si
escorteineni (3) que ny leurs marys ny les espions de leur vie n'y
\
DISCOURS I. 83
De li les théologiens tirent une maxime qui dit que quand
deux préceptes et commandements nous obligent, le moindre doit
céder au plus grand; or est-il que le commandement de garder sa
bonne renommée est plus grand que celui qui concède de rendre
le bien d'auiruy ; il faut donc qu'il soit préféré à celuy-là.
De plus, si la femme révèle cela à son тагу, elle se met en dan
ger d'estre tuée du тагу mesine, ce qui est fort delTendu de se
pourchasser la mort, non pas niesmes est permis à une femme de
se tuer de peur d'estre violée ou après l'avoir esté ; autrement elle
péclieroit mortellement : si-bien qu'il vaut mieux permettre d'estre
violée, si on n'y peut, en criant ou fuyant, remédier, que de se
tuer soy-mesme; car le violement du corps n'est point péché, si
non du consentement de l'esprit. C'est la réponse que fit sainte
Luce au tyran qui la menaçoit de la faire mener au bourdeau.
« Si vous me faites, dit-elle, forcer, ma chasteté recevra double
» couronne. »
Pour cette raison, Lucrèce est taxée d'aucuns. liest vray que
sainte Sabine et sainte Sophonienne, avec d'autres pucelles chres-
tiennes, lesquelles se sont privées de vie afin de ne tomber en
tre les mains des barbares, sont excusées de nos pères et docteurs,
disant qu'elles ont fait cela pour certain mouvement du Saint-
Esprit.
Par lequel Saint-Esprit, après la prise de Cypre, une damoi-
selle cypriotte nouvellement chrestienne, se voyant emmener es
clave avec plusieurs autres pareilles dames, pour estre la prove des
Turcs, mit le feu secrètement dans les poudres de la gallere, si-bien
qu'en un moment tout lut embrazé et consumé avec elle, disant :
« A Dieu ne plaise que nos corps soient poilus et cogneus par ces
» vilains Turcs et Sarrasins ! » Et Dieu sçait, possible, qu'il avoit
esté desja poilu, et en voulut ainsi faire la pénitence; si ce n'est
que son maistre ne l'avoit voulu toucher, afin d'en tirer plus d'ar
gent la vendant vierge, comme l'on est Irland de taster eu ces pays,
voire en tous autres, un morceau intact.
Or, pour retourner encor à la garde noble de ces pauvres fem
mes, comme j'ay dit, les eunuques ne laissent à commettre adul
tère avec elles, et faire leurs marys cocus, réservé la procréation
à part. .
— J'ay cogneu deux femmes en France qui se mirent à aymer
deux chastre/. gentilhommes, afin de n'engroisser point ; et pourtant
en avoient plaisir, et si ne se scandalisoient. Mais il y a eu des marjs
v
I
84 VIES DES DAMES GALANTES.
si jaloux en Turquie et en Barbarie, lesquels s'estants a;pperceus
de cette fraude, ils se sont advisez de faire cliastrer tout à trac
leurs pauvres esclaves, et leur couper tout net, donl , à ce que di
sent et escrivent ceux qui ont pratiqué la Turquie, il n'en reschappe
deux de douze ausquels ils exercent cette cruauté, qu'ils ne meu
rent; et ceux i;ui en eschappent, ils les ayment et adorent comme
vrays, seurs et chastes gardiens de la cliastelé de leurs lern i. es et
garantisseurs de leur honneur.
Nous autres Chrestiens n'usons point de ces vilaines rigueurs et
par trop horribles; mais au lieu de ces chastrez, nous leur donnons
des vieillards sexagénaires, comme l'on fait en Espagne et mes'.nes
à la Cour des Reynes dé-là, lesquels j'ay veu gardiens des (¡Iles de
leur cour et de leur suite : et Dieu sgait, îl y a des vieillards cent
fois plus dangereux à perdre filles et femmes que les jeunes, et
cent lois plus inventifs, plus chaleureux et industrieux à les gai-
gni r et corrompra.
Je croy que telles gardes, pour eslre chenues et à la teste et au
menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, et les vieilles
femmes non plus: ainsi comme une vieille gouvernante espagnole
conduisant ses tilles et passant par une grande salle et voyant des
membres naturels peints à ('advantage, et fort gros et desmesurez,
contre la muraille, se prit à dire : Mira que tan bravos no los
pintan estos hombres, como quien no los cognosciesae. Et ses
filles se tournèrent vers elles, et y prindrent avis, fors une que
j'ay cogneu, qui, contredisant de la simple, demanda à une de
ses compagnes quels oiseaux estoient ceux-là : car il y ев avoit
aucuns peints avec des ailes. Elle by respond! t цие c'esloient oi
seaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en peinture: et
Dieu sçait si elle n'en avoit point veu jamais ; mais il lalloil qu'elle
en fist la mine.
Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes ;
car il leur semble que, pourveu que leurs femmes soient entre les
mains des vieilles, que les unes et les autres appellent leurs mères
pour litre d'honneur, qu'elles sont très-bien gardées sur le devant:
et de belles il n'y en a point de plus aisées à suborner et gaigner
qu'elles; car de leur nature, estant avaricieuses comme elles sont,
en prennent de toutes mains pour vendre leurs prisonnières.
D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui sont
tousjours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en
amours, que la pluspart du temps elles dorment en un coin do che
DISCOURS I. 8',
minée, qu'en leur présence les cocus se forgent sans qu'elles y
prennent garde ny n'en sçachenl rien.
— J'ai cogneu une dame qui le ût une fois devant sa gouver
nante si subtilement, qu'elle ne s'en apperçeut jamais.
Une autre en fit de mesme devant son шагу quasy visiblement,
ainsi qu'il jouoit a la prime.
D'aulres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre
au grand trot leurs dames, qu'avant qu'elles arrivent au bout
d'une allée, ou d'un bois, ou d'un cabinet, leurs dames ont dérobé
leur coup en robbe, sans qu'elles s'en soient apperceues, n'ayant
rien veu, débiles de jambes et basses de la veuë.
D'aulres vieilles et gouvernantes y a-t-il qui, ayant pratiqué le
meslier, ont pitié de voir jeusner les jeunes, et leur sont si débon
naires, que d'elles-mesmes elles leur en ouvrent le chemin, et les
en persuadent de l'en suivre, et leur assistent de leur pouvoir.
Aussi l'Arelin disoit que le plus j;rand plaisir d'une dame qui a
passé par-là, et tout son plus grand contentement, est d'y l'aire
passer une autre de mesme.
Voilà pourquoy quand on se veut bien aider d'un bon ministre
pour l'amour, on prend et s'adresse-t-on plustost à une vieille
maquerelle qu'à une jeune femme. Aussi tiens-je d'un fort gallant
homme qu'il ne prenoit nul plaisir, et le défendoit à sa lemme
expressément, de ne hanter jamais compagnies de vieilles, pourestre
trop dangereuses, mais avec de jeunes tant qu'elle voudrait; et
en alléguoit beaucoup de bonnes raisons que je laisse aux mieux
discourans discourir.
El c'est pourquoy un seigneur de par le inonde, que je sçay,
confla sa femme, de laquelle il esloil jaloux, b une sienne cousine,
fille pourlanl, pour lui servir de surveillante; ce qu'elle fit très-
b'ien, encor que de son costé elle retinsl moilié du nalurel du
chien de l'orlo'.lan, d'aulant qu'il ne mange jamais des choux du
jardin de son maistre, et si n'en veut laisser manuer aux autres ;
mais celle-cv en mangeoit, et n'en vouloit point faire manger à sa
cousine : si est-ce que l'autre pourtant lui desroboit tousjours
quelque coup en colle, dont elle ne s'en appercevoil, quelque fine
qu'elle lust, ou fei^noil de s'en appercevoir.
— J'allé^uerois une infinité de remèdes dont usent les pauvres
jaloux cocus, pour brider, serrer , gesner, et tenir de court leurs
femmes qu'elles ne lassent le saut; mais ils ont beau pratiquer
tous ces vieux moyens qu'ils ont ouy dire, et d'en excogiler
8
86 VIES DES DAMES GALANTES.
de nouveaux, car ils y perdent leur escrime : car quand une
fois les femmes ont mis ce ver-coquin amoureux dans leuiV
testes, les envoyent à toute heure chez Guillot le Songeur (i),
ainsi que j'espère d'en discourir en un chapitre, que j'ay à
demi fait , des ruses et astuces des femmes sur ce point ,
que je confère avec les strata^esmes et astuces militaires des
hommes de guerre (s). Et le plus beau remède, seure et douce
¿arde, que le тагу jaloux peut donner à sa femme, c'est de la
laisser aller en son plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire à un
gallant homme marié, estant le naturel de la femme que, tant
plus on luy défend une chose, tant plus elle désire le faire, et
surtout en amours, où l'appétit s'eschaufle plus en le defendant
qu'au laisser courre,
— Voicy une autre sorte de cocus, dont pourtant il y a question,
a sçavoir mon, si l'on à joui d'une femme a plein plaisir durant
la vie de son тагу cocu, et que le тагу" vienne à décéder, et .
que ce serviteur vienne après à espouser celte femme veufve, si,
l'ayant espousée en secondes nopces, il doit porter le nom et titre
de cocu, ainsi que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs, et de
grands.
Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy-
mcsme qui en a fail la faction, et qu'il n'y aye aucun qui Гауе fait
cocu que lui-mesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme.
Toutes fois, il y a bien des armuriers qui font des espées des
quelles ils sont tuez où s'entretuent eux-mesmes.
Il y en a d'autres qui disent l'estre réellement cocu, et de fait,
en herbe pourtant • ils en allèguent force raisons; mais, d'autant
que le procès en est indécis, je le laisse à ïuider à la première
audience qu'on voudra donner pour cette cause. '
Si diray-je encore celtuy-cy d'une bien grande, mariée encore,
laquelle s'est compromise encore en mariage à celuy qui l'entretient
encore, il y a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu
et souhait'é que son тагу mourust. Au diable s'il a jamais pu
mourir encore à son souhait ; si bien qu'elle pouvoit bien dire :
« Maudit soit le тагу et le compagnon, qui a plus vescu que je
» ne vou!ois ! » De maladies et indispositions de son corps il en a
eu prou, mais de mort point.
()) On a appelé Gnillot le SonReiir tout homme soogcard , du chevalier Ли Изо
le Pensif, l'un de? p"isnnn:i£cs de \' Amadis.
(2) Ou n'a jwiul ce «liscours ou ch 44111:,
1 .
.
DISCOURS I. X7
Si bien que le roy Henry troisième, ayant donné la survivance
' de Testât beau et grand qu'avoit ledict тагу cocu, à un fort hou-
nesle et brave gentilhomme, disoit souvent : « II y a deux per-
i sonnes en ma Cour auxquelles moult tarde qu'un tel ne meure
» bientost : à l'une pour avoir son estât, et à l'autre pour espouser
» son amoureux : mais l'un et l'autre ont esté trompez jusques
» icy. »
Voilà comme Dieu est sage et provident de n'envoyer point
ce que l'on souhaitte de mauvais : toutesfois l'on m'a dit que
depuis peu sont en mauvais ménage, et ont bruslé leur pro
messe de mariage de futur, et rompu le contrat, par grand dépit
de la femme et joye du marié prétendu, d'autant qu'il se vouloit
pourvair ailleurs et ne vouloit plus tant attendre la mort de l'autre
тагу, qui,. se mocquant des gens,' donnoit assez souvent des
allarmes qu'il s'en alloit mourir; mais enfin il a survescu le тагу
prétendu.
Punition de Dieu, certes ; car il ne s'ouyt jamais guères parler
d'un mariage ainsi fait; qui est un grand cas, et énorme, de faire
el accorder un second mariage, estant le premier encor en son
entier.
J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre
que je viens de dire, laquelle, estant pourcbassée d'un gen'.ilhomme
par mariage, ellel'espousa, non pour l'amour qu'elle luv portoit, mais
parce qu'elle le voyoit maladif, atténué et allanguy, et mal disposé or
dinairement, et que les médecins lui disoient qu'il ne vivroit pas un
an, et mesme après avoir cogneu cette belle femme par plusieurs
fois dans son lict : et, pour ce, elle eu esperoit bientost la mort, et
s'accommoderoit tost après sa mort de ses biens et moyens, beaux
meubles et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage : car
il estait très-riclie et bien-aisé gentilhomme. Elle fut bien trom
pée ; car il vit encore, gaillard, et mieux disposé cent fois qu'avant
qu'il l'espousast ; depuis elle est morte. On diet que ledict gentil
homme contrefaisoit ainsi du maladif et marmiteux, afin que
connois:ant cette femme très-avare, elle fust émue à l'espouser
sous espérance d'avoir tels grands biens : mais Dieu là-dessus
disposa tout au contraire, et fit brouster la chèvre là où elle estoit
attachée en despit d'elle.
One dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courti-
sannes qui ont esté très-fameuses , comme l'on fait assez couslu-
mièrement en l-'rance , mais surtout en Espagne et en Italie, les
88 VIES DES DAMES GALANTES.
quels se persuadent de gaigner les œuvres de miséricorde , por
librar una anima Christiana del infierno (t), comme ils disent,
en la sainte voye.
Certainement, j'ai veu aucuns tenir cette opinion et maxime, que
s'ils les espousoient pour ce saint et bon sujet, ils ne doivent tenir
rang de cocus ; car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit
pas eslre converty en opprobre : moyennant aussi que leurs fem
mes, estant remises en la bonne voye, ne s'en estent et retournent
à l'autre; comme j'en ay veu aucunes en ces deux pays, qui ne se
rendoienl plus pécheresses après estre mariées, d'autres qui s'en
pouvoient corriger, mais retournoient broncher dans la première
fosse.
— La première fois que je Tus en Italie, je devins amoureux
d'une fort belle courtisanne à Rome, qui s'appeloit Fâusline; et
¿'autant que je n'avois pas grand argent, et qu'elle estoit en trop
liaut prix de dix ou douze escus pour nuict, fallut que je me conten
tasse de la parole et du regard. Au bout de quelque temps, j'y re
tourne [tour la seconde fois, et mieux garny d'argent: je l'alloy
voir en son logis par le moyen d'une seconde, et la trouvoy mariée
avec un homme de justice, en son niesme logis, qui me recueillit
de bon amour, et me contant la bonne- fortune de son mariage, et
me reje:ant bien loin ses folies du tenfps passé, auxquelles elle
avoil dit adieu pour jamais. Je luy monslroy de beaux escus fran-
çois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut
tentée et m'accorda ce que voulus , me disant qu'en mariage
taisant elle avoit arresté et concerté avec S"n uiary sa liberté en
tière, mais sans escándale pourtant ny déguisement, moyennant
une grande somme, afin que tous deux se pussent entretenir en
grandeur, et qu'elle estoit pour les grandes som)nes, et s'y laissoit
iller volontiers, mais non point puur les petites. Celuy-là estoit
bien cocu en herbe et gerbe.
— J'ai ouy parler d'une dame de parmy le monde, qui, en ma
riage laisaut, voulut el arresta que son тагу la laissas! à la Cour
pour faire l'amour, se reservant l'usage de sa forest de Mort-Bois
ou Bois-Mort, comme luy plairait; aussi, en récompense, elle lui
donnoit tous les mois mille francs pour ses menus plaisirs, el M
se soucioit d'autre chose qu'à se donner du bon temps.
Гаг ainsi, telles femmes qui ont esté libres, volontiers ne se peu-
(О Л qui on demandolt.
(?) i'.'t >i','i iliri- : l'amour ne se siirmonlc que par le dcJain.
DISCOlli'.S I. 95
deux eourtisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus gran
des délices et amyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le
recherchas! avec tous les honneurs, amiliez et révérances conjuga
les qu'elle pouvoit ; niais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny
embrasser de bon cœur, et de cent nuicts il ne luy en départoît
pas deux. Qu'eust-elle (ait la pauvrette là-dessus, après tant d'in-
dignitez, si-non de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre lict vac
ant, et s'accoupler avec une autre moitié, et prendre ce qu'elle en
vouloit?
Au moins si ce тагу eust fait comme un autre que je sçay, qui
estoit de telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoil très-
belle, et prenant plaisir ailleurs, lui dit franchement : « Prenez vos
» contentements ailleurs, je vous en donne congé. Faites de voslre
» costé ce que vous voudrez faire avec un autre : je vous laisse
» en vostre liberté ; et ne vous donnez peine de mes amours, et
» laissez-moy faire ce qu'il me plaira. Je n'empescheray point vos
y> aises et plaisirs : aussi ne m'empeschez les miens. » Ainsi, cha
cun quitte dé-là, tous' deux mirent la plume au vent ; l'un alla à
dexlre et l'autre à senesire, sans se soucier l'un de l'autre; et
voilà bonne vie.
J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, goûteux,
que j'ay cogneu, qui dist à sa femme, qui estoit très-belle, et ne la
pouvant contenter comme elle le desiroit, un jour : « Je sçay bien,
» m'aime, que mou impuissance n'est bástanle pour voslre gail-
» lard âge. Pour ce, je vous puis être beaucoup odieux, et qu'il
» n'est possible que vous me puissiez être alfedioimée femme,
» comme si je vous faisois les offices ordinaires d'un тагу fort et
»robuste. Mais j'ai advisé de vous permettre et de vous donner
» totale liberté d« faire l'amour, et d'emprunter quelque autre qui
» vous puisse mieux contenter que moy; Mais, surtout, que vous
» en élisiés un qui soit discret, modeste, et qui ne vous escandalise
» point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple de
» beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens
» propres ; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont
» vrays et légitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques
» forces assez vigoureuses, et les apparences de mou corps sufïisun-
» tes pour faire paroir qu'il sont miens. » ,
Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise
d'avoir cette agréable, jolie petite remontrance, et licence de
jouir de cette plaisante liberté, qu'elle pratiqua si bien, qu'en
96 VIES DES DAMES GALANTES. •
II) CPU* ii'mmc ressemble assez à cette Godarde de Blois, huguenote, pcodu
pour adultère tu 1&C3.
9
98 VIES DES DAMES GALANTES.
dire sons une potence du Marché Vieex, sans qtfefle en fist an
seal brait ny autre refus ; mais , demandant seulement le mot
du presche , fes recevoit les nns après les autres courtoisement,
comme ses vrays frères en Christ. Eue continua envers eux celle
anmosne long temps, et jamais eue n'en voulut préster pour un dou
ble à un papiste : si en eut-il néantmoins plusieurs papistes qui.
emprunlans de leurs compagnons huguenots le mot et le jargon de
leur assemblée , en jouirent. D'autres alloient an presche exprès,
et contrefaisoient les Réformez, pour l'apprendre, afin de jouir
de cette belle femme. J'estois lors à Poitiers jeune garçon estu-
diant, que plusieurs bons compagnons, qui en avoient leur part,
me le dirent et me le jurèrent : mesme le bruit estoit tel en la ville.
Voilà une plaisante charité, et contcientieuse iemme, faire aiusi
choix de son semblable en la religion !
11 y a une autre forme de charité qui se pratique, et s'est pra
tiquée souvent , à l'endroit des pauvres prisonniers qui sont es
prisons, et privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres
et les femmes qui en ont la garde , ou les castellanes qui ont
dans les chasleaux des prisonniers de guerre, en ayant pitié, leur
font part de leur amour, et leur donnent de cela par charité et
iniséricorde ; ainsi que dit une fois une courtisanne romaine à sa
fille de laquelle un gallant estoit extresmenent amoureux, et ne
luy en vouloit pas donner pour un double. Elle luy dit : E da gli
al manco per misericordia (i).
Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traitlent leurs pri
sonniers, lesquels ¿ bien qu'ils soient captifs et misérables, ne
laissent à sentir les picqueures de la cliair, comme au meilleur
temps qu'ils poiirroient avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe :
« L'envie en vient de pauvreté ; » et aussi bien sur la paille et sur
la dure niesser Priape hausse la teste, comme dans le lict du monde
le meilleur et le plus doux. Voila pourquoy les gueux et les pri
sonnier«, parmy leurs hospitaux et prisons, sont aussi paillards que
les roys, les princes et les grands, dans leurs beaux palláis et licts
royaux et délicats.
l'our en confirmer mon dire, j'allégueray un conte que me fit
un jour le capitaine Beaulieu, capitaine de galleres, duquel j'aj
parlé quelquefois. 11 esloit à feu M. le grand-prieur de France,
de la maison de Lorraine, et estoit fort ауше de luy : l'allant un
(I) On accusa b comtesse de Scnizon de l'avoir fait évader, el OD lui en (il UD«
¿Ihm.-.
DISCOURS I. 101
doute-li : car il se peut présumer. Mais quand bien elles eussent
continué le mestier et quille pour quelque temps, elles le purent
reprendre ce coup-là, n'estant rien si aisé et si facile a faire; et
peul-estre aussi qu'elles y cogneurent et reoeurent encore quelques
uns de leurs bons amoureux, de leurs vieilles connoissances, qui
leur avoient autres'ois sauté sur le corps, et leur en voulurent en-
cor donner sur quelques vieilles erres, ou du tout : aussi que,
parmi les prisonniers, elles y en purent voir aucuns i ucogneus qu'elles
n'avoient jamais veu que cette fois, et les trouvoient beaux, bra
ves et vaillants, de belles laçons, qui méritoient bien la charité
tout entière, et pour ce re leur espargnanl la belle jouissance de
leur corps, il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque façon
que ce fust, ces bonnesles daines méritoient bien la courtoisie que
la république romaine leur Dt et recogneul, car elle leur lit rentrer
en tous leurs biens, et en jouirent aussi paisiblement que jamais;
encor plus, leur firent à sçavoir qu'elles demandassent ce qu'elles
voudraient, elles l'auroienl: et pour en parler au way, si Tile-Live
ne l'usl eslé si abslraint, comme il ne drvoit, n la vérécondie et
modestie, if devoil franchir le mot toul à trac d'elles, et dire qu'elles
ne leur avoient espargné leur geni corps ; et ainsi ce passage d'his
toire fust esté plus beau et plaisant à lire, sans aller l'abbréger, et
laisser au bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voilà ce que
nous en discourusmes pour lors.
— Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plu
sieurs faveurs de la comtesse de Salsberiq, et si bonnes, que, ne
Ь pouvant oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoil donnés,
qu'il s'en retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.
— D'autres dames y a-t-il <iui sont plaisantes en cela pour
certain poincl de conscienlieuse charité ; comme une qui ne vou-
bit permettre à son amant, lai:l qu'il rouchoil avec elle, qu'il
Ь baisasl le moins du monde à la bouche, alléguant par ses rai
sons que sa bouche avoil l'ail le serment de foy et de ÎMélilé à
son тагу, et ne la vouloil point souiller par la bouclie i|ui l'a-
voil fait et preste : mais quanl :i celle du venire, qui n'en avoit
point parlé ni rien promis, lui laissoil faire ii son hon plaisir, et
ne aisoil point de scrupule <le la préster, n'estant en puissance
delà bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny celle du
bas pour celle du haut non plus ; puisque la couslume du droit
onloiinoit de ne s'obliger pour aulruy sans consentement et parole
de l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout en cela.
9.
l »! VIES DES DAJÏES GALANTES.
— 1>ве autre eonscentieuse et scncpelense, donnant à soe aerr
jouissance de sen corps, elle vouloit toujours faire le dessus, et
sons-Biettre à soy son homme, sans passer d'un seul iota cette
règle ; et, l'observant estroitement et ordinairement, disoit-elte que
si son тагу on autre lui demaedoit si во tel luy avoit fait eeb,
qu'elle pust jurer et renier, et seurement protester, sans oöenser
Dieu, que jamais il ne luy avoit fait ny monté sur elle. Ce serment
sceut-elle si bien pratiquer , qu'elle contenta son магу et autres
par ses jurements serrez en leurs demandes, et la ereurent, vea ce
qu'elle disoit, « mais n'eurent jamais l'advis de demander, ce
» disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus, surquoy m'eussent
» bien mespris et donner à songer, я Je pense en avoir encor parlé
су-dessus ; mais on ne se peut pas toujours souvenir de tout ; et
aussi il y en a cettuy-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.
— Coustumiérement , les dames de ce mestier sont grandes
menteuses, et ne disent mot de vérité ; car elles ont tant appris et
accousturoé à mentir (ou si elles font autrement sont des sottes,
et mal leur en prend ) à leurs marys et amants sur ces sujets et
changements d'amour, et à jurer qu'elles ne s'adonnent à autres
qu'à eux, que, quand elles viennent à tomber sur autres sujets de
conséquence, ou d'affaires, ou discours, jamais ne font que mentir,
çt ne leur peut-on croire.
D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler , qui ne don-
noyent à leur amant leur jouissance, si-non quand elles estaient
grosses, afin de n'engroisser de leur semence ; en quoy elles fai-
soient grande conscience de supposer aux marys un fruit qui n'es-
toit pas à eux, et le nourrir, alimenter et élever comme le leur
propre. J'en ay encore parlé су-dessus. Mais, estant grosses une
fois, elles ne pensoient point offenser le тагу, ву le faire co«n,
en se prostituant. Possible aucunes le iaisoient pour les mesnies
raisons que faisoit Julia, fille d'Auguste, et femme d' Agrippa, qui
fut en son temps une insigne putain, dont son père en enrageoit
plus que le тагу. Luy estant demandé une fois si elle n'avoit
point de crainte d'engroisser de ses amys, et que son тагу s'en
aperceust et ne l'affolast, elle responda : « J'y mets ordre, car je
» ne reçois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non
» quand il est chargé et plein.
Voicy encore une autre sorte de cocus ; mais ceux-là sont
Vrays martyrs, qui ont des femmes laides comme diables d'enfer,
qui se veulent mesler de taster de ce doux plaisir aussi ¡нем que
DISCOURS I. ЮЗ
les belles, ausquelles le seul privilège est den, comme dit le pro
verbe : Les beaux Iiommes au gibet, et les belles femmes au bour-
deau (l): et, toutesfois, ces laides charbonnières (ont la folie comme
les autres, lesquelles il faut excuser, car elks sont femmes comme
les autres, et out pareille nature, mais uon si belle. Toutesfois, j'ai
veu des laides, au moins en leur jeunesse, qui s'apprécient tant
pourtant comme les belles, ayant opinion que femme ne vaut au
tant, si-non ce qu'elle se veut faire valloir et se vendre ; aussi qu'en
un bon marché toutes denrées se vendent et se dépositeut (2), les
unes plus, les autres moins, selon qu'on en a à faire, et selon
l'heure tardive qae l'on vient au marché après les autres, et selon
le bon prix que l'on y trouve; car, comme l'on dit, l'on court tou
jours au meilleur marché, encore que l'eslofTe ne soit la meilleure,
mais selon la faculté du marchand et de la marchande. Ainsi est-il
des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes, qui, ma foy, estoient
si chaudes et lubriques, et duites a l'amour aussi bien que les
plus belles, et se mettoyent en place marchande, et vouloienl s'a
vancer et se faire valloir tout de mesmes. Mais le pis que je vois en
elles, c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, cel-
les-cy laides prient les marchands de prendre et d'achepter de leurs
denrées, qu'elles leur laissent pour rien et à vil prix : mesmes font-
elles mieux ; car le plus souvent leur donnent de l'argent pour
s'accoster de leurs chalanderies et se faire fourbir à eux ; dont
voilà la pitié : car pour telle fourbissure, il n'y faut petite somme
d'argent; si bien que la fourbissure couste plus que ne vaut la
personne, et la lexive que l'on y met pour bien la fourbir , et ce
pendant monsieur le тагу demeure cocu et coquin tout ensemble
d'une hide, dont le morceau est bien plus difficile à digérer que
d'une belle; outre que c'est une misère exlresme d'avoir à ses cos-
lez un diable d'enfer couché, au lieu d'un ange. Sur quoy j'ay ouy
souhailter à plusieurs galants hommes une femme belle et un peu
patnin, piuslost qu'une femme laide et la plus chaste du monde ;
car en une laideur n'y loge que toute misère et desplaisir , et nul
brin de félicité. Eu une belle , tout plaisir et félicité y abonde , et
bien peu de misère, selon aucuns. Je m'en rapporte à ceux qui ont
battu celle sente et chemin. Л aucuns j'ay ouy dire que, quelques
(I) Proverbe qui maïque le peu île liaison qu'il y a entre les dons de la nature
(I IPS (pi:)1 i u:s «le 1'Лте.
('.') De l'italien (lispcisitare; c'esl-a-ilire qu'on dispose et trouve à se défaire
<h's pieirerics comme des meilleures dcnrLVS.
104 VIES DES DAMES GALANTES.
fois, pour les marys, il n'est si besoin ainsi qu'ils ayent leurs fem
mes si chastes ; car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui out
ce don très-rare, que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer,
non leurs marys seulement, mais le ciel et les astres : voire qu'il
leur semble, par telle orgueilleuse chasteté, que Dieu leur doive du
retour. Mais elles sont bien trompées; carj'ay ouy dire à de grands
doclHurs que Dieu ayme plus une pauvre pécheresse, humiliante et
contrite (comme il fit la Magdelaine), que non pas une orgueilleuse
et superbe qui pense avoir gagné le paradis, sans autrement vou
loir miséricorde ny sentence de Dieu.
— J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse ¡tour sa chasteté
qu'elle vint tellement à mépriser son шагу, que, quand on lui de-
mandoit si elle avoit couché avec son тагу : « Non, disoit-elle,
» mais il a bien couché avec тру. » Quelle gloire! 4e vous laisse
donc ¡i penser comme ces glorieuses sottes lémmes chastes gour-
mandent leurs pauvres n-arys , d'ailleurs qui ne leur sçauroient
rien reprocher, et comme font aussi celles" qui sont chastes et ri
ches, d'aulant que cetle-cy, chaste et riche du sien, fait de l'olim-
brieuse, de l'allière, de la superbe et de l'audacieuse, à l'endroit de
son тагу : tellement que, pour la trop grande présomption qu'elle
a de sa chasteté et de son devant tant bien gardé, ne la peut rele-
nir qu'elle ne fasse de la femme emperiere, qu'elle ne gourmande
son тагу sur la moindre faute qu'il (era, comme j'en ay veu aucu
nes, et sur tout sur son mauvais ménage. S'il joue, s'il dépend.
Ojj s'il dissipe, elle crie plus, elle tempeste, fait que sa maison pa-
roist plus un enter qu'une noble famille : et s'il faut vendre de son
bien p 'Ur subvenir à un voyage de cour ou de guerre, ou à ses
procès, nécessitez, ou à ses petites folies et despenses frivolles, il
n'en laut pas parler ; car la lemme a pris telle impériosité sur lui,
s'appuyant et se fortiGant sur sa pudicité, qu'il faut que le тагу
passe par sa sentence, ainsi que dit fort bien Juvenal en ses sa
tyres.
Animus uxnris si deditus uni ,
Nil unquam invita dnnabis cf>»juye vendes.
Нас obstante nikil Itcee si nnlif emetur (1).
(1) Bardot, synonyme d'âne. Ici, passer par bardai, se dit des vieilles qui son
réduites à laisser passer pour bardot l'amaul qui les carcs:e.
(2) Escharse.
DISCOURS î. 107
pas nommer) il y eut un тагу, et de qualité grande, qui estoit
vilainement espris d'un jeune homme qui aimoit fort sa femme,
et elle aussi luy : soit on que le тагу eust gaigné sa femme, on
qne ce fusl une surpris^ k l'improviste, les prenant tons deux
coadiés et accouplés ensemble, menaçant le jeune homme s'il
ne Iny complaisoit, l'investit lout couché, et joint et collé sur sa
femme, et eu jouit ; dont sortit le problème, comme trois »manu
lurent jouissants et contents tout à un tnesme coup ensemble.
— J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esperdument amoureuse
d'oa honneste gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory,
Itiy se craignant que le тагу luy feroit et à elle quelque mauvais
tour, elle le consola, lui disant : « N'ayez pas peur ; car il n'oseroit
» rie« faire, craignant que je l'accuse de m'aveir voulu user de
» l'amère-Vénus, dont il en pourroit mourir si j'en disois Je
« moindre mot et le déclarais я la justice. Mais je le tiens ainsi en
» eschec et en aliarme; si bien que, craignant mon accusation, il
ч ne m'ose pas rien dire. » Certes telle accusation n'eust pas porté
moins de préjudice à ce pauvre тагу que de la vie : car tes légistes
disent que la sodomie se punit pour la volonté ; mais possible q«e
)a dame ne voulut pas franchir le mot tout à trac, et qu'il n'eusl
passé plus avant sans s'arrêter à la volontés
— Je me suis laissé conter qu'un de ces ans un jeune gentil
homme françois, l'un des beaux qui fust esté veu à la coui- long
temps, estant allé à Rome pour y apprendre les exercices, comme
autres ses pareils, fut arregardé de si boij œil, et par si grande
admiration de sa beauté, tant des hommes que des femmes, que
quasi on l'eust couru à force : et là où ils fe sça voient aller à
la messe, ou autre lieu public et de congrégation, ne failloient,
ry les uns, ny les autres, de s'y trouver pour le voir ; si bien
que plusieurs marys permirent à leurs femmes de lui donner as
signation d'amours en leurs maisons, afin qu'y estant venu et
surpris, fissent eschange, l'un de sa femme, et l'autre de luy:
dont luy en fut donné advis de ne se laisser aller aux amours et
volonlez de ces dames, d'autant que le tout avoit esté lait et
apposté pour l'attrapper; enquoy il se fit sage, et préféra son
honneur et sa conscience à tous les plaisirs détestables, dont Ц
en acquist une louange très-digne. Enfin , pourtant , son es-
сиуст le tua. On en parle diversement pourquoy : dont ce fut
très-grand dommage, car c"estoit un fort honneste jeune homme,
4e bon lieu, et qui promettoit beaucoup de luy, autant de sa
108 VIES DES DAVES GALANTES.
physionomie, poor ses actions Dobles, que pour ce beau et noble
trait : car, ainsi que j'ay ouy dire à un fort gallant homme de
mon temps, et qu'il est aussi vay, nul jamais b n'y bar-
dascb, ne fui brave, vaillant et généreux, que le grand Jules
César ; aussi que par la grande permission divine telles gens
abominables sont rédigés et mis ;i sens reprouvez : en c|uoy je
m'estonne que plusieurs, que l'on a veu Uicliés de ce niéchnnt
vice, sont esté continuez du ciel en grands prospéritez ; mais Dieu
les attend, et à la fin on eu voit ce que doit estre d'eux.
Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs
marys en sont esté atteints bien au vif: car, mallieureux qu'ils
sont et abominables, ils se sont accommodez de leurs femmes plus
par le derrière que par le devant, et ne se sont servis du devant
que pour avoir des enfants : et traînent ainsi leurs pauvres
femmes, qui ont toule leur chaleur en leurs belles parties de la
devanliére. Sont-elles pas excusables si elles font leurs »:arys
cocus, qui aymenl 1. urs ordes et salles parties de derrière?
Combien y a-t-il de femmes au mo< de, • ne si elles estoient
visitées par des sages femmes, médecins et chirurgiens experts,
ne se trouveraient non plus pucelles par le derrière yue par le
devant, et qui feraient le procès à leurs mars à l'instant; les
quelles le dissimulent, et ne l'osent découvrir, de peur d'es-
candaliser, et elles et leurs marys ou possible qu'elles y prennent
• quelque plaisir plus grand que nous ne pouvons penser; ou bien,
pour le dessein que je viens de dire , pour tenir leurs maris
en telle sujection, si elles (ont l'amour d'ailleurs, mesir.es ци'аи--
cuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut
rien.
— Summa Benedict! dit que si le тагу veut recognoistre sa
partie ainsi contre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement ;
et s'il veut maintenir qu'il peut disposer de sa loin i e comire
il luy plaist, il tombe en détestable et vilaine hérésie d'aucuns
Juifs et mauvais rabins, dont ou dit que duabus mulieribus apud
synagogant conqueslis se fuisse à viris suis cognilu sodonn-
quo cognilis, responsum est ab illis rabinis. «rum esse uxoris
dominum, proinde posse uli ejus utcunque libuerit, non aliler
quàm is gui piscem émit : ille enim, tam anlerioribus quàm
posterioribus partibits, ad arbilrmm resci polest. J'ay mis cela
en latía sans le traduire en Irancois, car il sonne très-mal à des
oreilles bien Lonnesles et chastes. Abominables qu'ils sont I laisser
•
* i
L
DISCOURS I. 109
mi« belle, pure et concédée partie, pour en prendre une villaine,
salle, orde it défendue, et mise en sens réprouvé 1
Et si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis à еПе
se séparer de luy, s'il n'y a autre mojen de le corriger : et pourtant,
dit-il encore, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais consentir,
ains plustost doivent crier à la force, nonobstant l'escandale qui
pourrait arriver en cela, et le déshonneur ny la crainte de mort ;
car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal.
Et dit encor ledit livre une chose que je trouve fort estrange :
qu'en quelque mode que le тагу connoisse sa femme, mais qu'elle
en puisse concevoir, ce n'est point péché mortel, combien qu'il
puisse estre véniel : si y a-t-il pourtant des méthodes pour cela
lort salles el villaines, selon que l'Arétin les représente en ses
figures, et ne ressentent rien la chasteté maritale ; bien que, comme
j'ay dit, il soit 'permis à l'endroit des femmes grosses, et aussi
de celles qui ont l'haleine forte et puante, tant de la bouche que
du nez : comme j'en ay cogneu et ouy parler de plusieurs femmes,
lesquelles baiser et alleiner auta'nt vaudroit qu'un anneau de re
trait; ou bien comme j'ai ouy parler d'une très-grande dame, mais je
dis très-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son halleine
sentoit plus qu'un pot-à-pisser d'airain ; ainsi m'usa-t-elle de ces
mots : un de ses amis fort privé, et qui s'approchoit près d'elle,
mêle confirma aussi : si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'âge.
Là-dessus que peut faire un тагу ou un amant, s'il n'a re
cours à quelque forme extravagante, mais surtout qu'elle n'aille
point à l'arrièfe-Vénus? J'en diréis davantage, mais j'ai hor
reur d'en parler : encore m'a-t-il fasché d'en avoir tant dit;
mais si faut-il quelquefois descouvrir les vices du monde pour
s'en corriger,
— Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs
ont eue et ont encores de la cour de nos roys, que les filles e
femmes y bronchent fort, voire coustmièrement : en quoy bien
souvent sont-il trompez, car il y en a de très-chastes, honnestes
et vertueuses, voire plus qu'ailleurs, et la vertu y habite aussi-
bien, voire mieux qu'en tous autres lieux, que l'on doit fort
priser pour estre bien à preuve. Je n'allégueray que ce seul
exemple de madame la grande duchesse de Florence d'aujour-
d'huy, dé la maison de Lorraine, laquelle estant arrivé à Florence
le soir que le grand-duc l'espousa, et qu'il voulut aller
coucher avec elle pour la dépuceler, il la 6t avant pisser dans
10.
110 VIES DES DAMES GALANTES.
un beau urinai de cristal, le plus beau et le plus clair qu'il put,
et en ayant vue l'urine, il la consulta avec son médecin , qui es-
toil un très-grand et très-savant et expert personnage, pour sa
voir de luy par celle inspection si elle estoit pucelle, ouy ou
non. Le médecin l'ayant bien fixement et doctement inspicée,
il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du ventre de
sa mère, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit point
le chemin nullement ouvert, frayé ni battu ; ce qu'il fit, et en
trouva la vérité telle ; et puis, le lendemain en admiration, dit:
« Voilà un grand miracle, que celte fille soit ainsi sortie pu
celle de cette cour de France ! » Quelle curiosité et quelle
opinion ! Je ne sçai s'il est vrai, mais il me Га ainsi esté asseuré
pour véritable. Voilà une belle opinion de nos cours; mais ce
w'zst d'aujourd'huy, ains de long-lemps, qu'on tenoit que tontos
les dames de Paris et de la cour n'estoient si sages de leur corps
comme celles du plat pays, et qui ne bougeoienl de leurs mai
sons, 11 y a eu des bommes qui estaient si consciencieux de
n'espouser que des filles et femmes qui eussent fort payse, et veu le
monde tant soit peu. Si bien qu'en notre Guyenne, du temps de
mon jeune aage, j'ay ouy dire à plusieurs gallants hommes et
veu jurer qu'ils n'espouseroient jamais fille ou femme qui auroit
passé le port de Pille, pour lirer de longue vers la France.
Pauvres fats qu'ils estoient en cela, encor qu'ils fussent fort ha
biles et gallants en autres choses, de croire que le cocuage ne se
logeast dans leurs maisons, dans leurs foyers, dans leurs cham
bres, dans leurs cabinets, aussi bien, ou possible mieux, selon la
commodité, qu'aux palais royaux et grandes villes royales! car
on leur alloit suborner, gagner, abattre et rechercher leurs
femmes, ou quand ils alloient eux-mesmes à la Cour, a la guerre,
à la chasse, à leurs procez ou л leurs promenoirs, si bien qu'ils ne
s'en appercevoyent ; et estoient si simples de penser qu'on ne leur
osoil entamer aucun propos d'amour, si-non que de mesnageries,
de leurs jardinages , de leurs chasses et oiseaux ; et, sous cette
opinion et legere créance, se faisoienl mieux cocus qu'ailleurs;
car, partout, toute femme belle et habile, et aussi tout homme
lionnesle et gallant, sçait faire l'amour, et se sçai l accommoder.
Pauvres fats et idipls qu'ils estoient! El ne pouvoienl-ils pas penser
que Vénus n'a nulle demeure prelisse, comme jadis en Cypre, en
Patos et Amalóme, et qu'elle hahite par-tout jusques dans les ca-
baues des pastres et girons des bergères, voire des plus simplettes ?
DISCOURS I. Ill
Depuis quelque temps en ça, ils ont commencé a perdre ces
solles opinions ; car, s'estant apperceu que par-tout y avoit du
danger pour ce triste cocuage, ils ont pris femmes partout où il
leur a plu et ont pu ; et si ont mieux fait : ils les ont envoyées
ou menées à la Cour , pour les faire valoir ou parestre en leurs
beautez, pour en faire venir l'envie aux uns ou aux autres, afin
de s'engendrer des cornes. D'autres les ont envoyées, et menées
playder et solliciter leurs procez , dont aucuns n'en avoient
nullement , mais faisoient à croire qu'ils en avoient ; ou bien
s'ils en avoient , les ailonpeoient le plus qu'ils pouvoient , pour
allonger mieux leurs amours. Voire quelquefois les marys lais-
soient leurs femmes à la garde du palais, et à la galerie et salle,
puis s'en alloient en leurs maisons, ayant opinion qu'elles fe-
roient mieux leurs besognes, et en gaigneroient mieux leurs
causes : comme de vray, j'en sçay plusieurs qui les ont galguees
mieux par la dextérité et beauté de leur devant, que par leur
bon droit, dont bien souvent en devenoient enceintes ; et, pour
n'estre escandalisces (si les drogues avoient failly de leur vertu
pour les en garder ) , s'encouroient vislenient en leurs maisons à
leurs marys, feignant qu'elles alloient quérir des tillres et piè
ces qui leur faisoient besoin, ou alloient faire quelque enqueste,
ou que c'estoit pour attendre la Sainct Martin, et que, durant
les vacations, n'y pouvant rien servir, alloient au bouc, et voir
leurs mesnages et leurs marys. Elles y alloient de vray, mais bien
enceintes. Je m'en rapporte à plusieurs conseillers, rapporteur»
et présidents, pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des fern
nies des gentilshommes.
— Il n'y a pas long-temps qu'une très-belle, honneste et
grande dame que j'ay cogneue , allant ainsi solliciter son procez
à Paris, il y eut quelqu'un qui dit : « Qu'y va-t-elle faire ?
» Elle le perdra ; elle n'a pas grand droit. — Et ne porte-t-elle
» pas son droit sur la beauté de son devant, comme César por-
« toit le sien sur le pommeau et sur la pointe de son espée ? »
Ainsi se font les gentilshommes cocus au palais, en récompense
de ceux que messieurs les gentilshommes font sur mesdames les
présidentes et conseillères : dont aussi aucunes de celles-là ay-je
теи, qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames,
damoiselles et femmes de seigneurs, chevaliers et grands gentils
hommes de la Cour, et autres.
— J'ay cogneu une dame grande, qui avoit esté très-belle,
llî VIES DES DAMES GALANTES.
mais la vieillisse l'avoit eüV.cée. Ayant nn proee/. à Ры-is, el
»nvant que sa beauté n'estoit plus pour ayder à solliciler el gai-
gner sa cause, elle mes» avec elle une sienne voisine, jeune et belle
dame ; et pour ce l'appointa d'une bonne somme d'argent, jus-
ques à dix mille escus : et , ce qu'elle ne put ou eust bien
voulu faire e'!e-mesme, elle se servit de cette dame, dont elle s'en
trouva fort bien, et la jeune aussi : et tout en deux bonnes façons.
>vy a pas long-temps que j'ay. veu une dame mère y mener une
de ses liDes, biea qu'elle fnsl mariée, pour luy ayder à solliciter
son procez, n'y ayant antre aflaire ; et de fait elle est très-belle, et
nut bien la sollicitation.
Il est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage;
car enfin mes longues paroles, tournoyées dans ces rirofoudes eaux
et ces grands torrents, seroient noyées, et n'aurois jamais fait, ny
n'en sçaurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe
qui fust autresfois, encore que j'eusse le plus long et le plus fort
fillet du monde pour guide et sage conduite. Pour fin je conclura;
que si nous faisons des maux, donnons des tourments, des martyres
et des mauvais tours à ces pauvres cocus, nous en portons bien la
folle enchère, comme l'on dit, et en payons les triples interests ; car
la plupart de leurs persécuteurs et faiseurs d'amour, et de ces da-
meretz, en endurent bien autant de maux ; car ils sont plus sub
jects à jalousies, mesmes qu'ils en ont des marys aussi bien que de
leurs corrivals : ils portent des martels, des capriches, se met
tent aux hazards en danger de mort , d'estropiemenls, de playes,
d'affronts, d'offenses , de querelles, de craintes, peines et mort ;
endurent froidures, pluycs, vents et chaleurs. Je ne conte pas la
vérole, les chancres, les maux 'et maladies qu'ils y gaignent, aussi
bien avec les grandes que les petites ; de sorte que bien souvent
ils acheplent bien cher ce qu'on leur donne, et la chandelle n'en
vaut pas le jeu. Tels y eu avons-nous veu misérablement mourir,
qu'ils esloient battants pour conquérir tout un royaume , tesinoin
SI. de Bussi, le nompair de son temps, et force autres. J'en allé-
guerois une infinité d'autres que je laisse en arrière, pour finir et
dire, et admonester ces amoureux qu'ils pratiquent le proverbe de
l'Italien qui dit : Che molió guadagna chi putaña perde (l).
— Le comte Aîné second disoit souvent : « En jeu d'armes cl
a d'amours, pour une joie cent doulours ; » usant ainsi de ce
(1] 0 trop dure loi de l'honneur, pourquoi понз interdis-tu ce i ijtioi nous excite
la nMiiro? Ello nous accorde aussi abondamment c|ti« liliér&lernenl , ainsi <|ч'я tons
les animaux, l'usage de l'amour. Mais l'homme, trompeur cl peilii i( ne connais
ant que trop bien la vigueur do nos reins, a établi celte loi plein d'erreur pour
cacher aiusi la faiblesse des siens.
DISCOURS I. 1 17
ces mots : geminas commütere cunnos. El puis s'escriant, il dit
et donne à songer et deviner cette énigme par ce vers latin :
(I) C'ost-A-tlirc : me baisnil cl me foisail pilmrr <tc plaisir. Alentir, dans îiicot,
j uil ue la ilonleur, ou des forces qui diminuent ou su rcloiilitiieut.
DISCOURS 1. 119
communes ; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas long-temps qu'elles
s'en sont meslées, mesme que la façon en a esié portée d'itulie par
une dame de qualité que je ne nommeray point.
— J'ay ouy conter à feu M. de Clermont-Tallard le jeune, qui
mourut a La Rochelle, qu'estant petit garçon, et ayant l'honneur
d'accompagner M. d'Anjou, depuis noslre roy Henry Iroisiesme,
en sou estude, et estudier avec lui ordinairement, duquel M. de
Gournay esloit précepteur, un jour, estant à Tlioulouse , estu-
diaot avec son dit maislre dans son cabinet, et estant assis dans
un coin à part, il vid, par une petite feule (d'autant que les cabi
nets et chambres estoient de bois, et a voient esté faits à l'im-
provisle et ¡i la haste, par la curiosité de M. le cardinal d'Armai-
gnac, archevesque de là, pour mieux recevoir et accommoJer le
Roy et toute sa cour), dans un a, .ire cabinet, deux fort grandes
dames, toutes retroussées et leurs caleçons bas, se coucher l'une
sur l'autre, s'entrebaiser en (orme de colombe, se frotter, s'enlre-
friquer, bref, se remuer fort, paillarder, et imiter les homines;
et dura leur esbiltement près d'une bonne heure, s'estant si
très-lort escbaulfées et lassées, qu'elles en demeurèrent si rouges
et si en eau, bien qu'il fist grand froid, qu'elles n'en peurent
plus et furent contraintes de se reposer autant; et disoit qu'il
veid jouer ce jeu quelques autres jours, tant que la Cour fut là,
de mesme façon ; et oncques plus n'eut-il la commodité de voir
cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoil en cela, et
aux autres il ne put. H m'en contoit encore plus que je n'en ose
escrire, et me nommoit les dames. Je ne sçay s'il est vray ; mais
il me l'a juré et affirmé cent l'ois par bons serments: et, de fait,
cela est bien vray-semblable ; car telles deux dames ont bien eu
tousjours cette réputation de faire et continuer l'amour de cette
façon et de passer ainsi leur temps.
J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont traité de mesmes
amours, entre lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le
monde, qui a esté fort superlative eu cela, et qui aimoit aucunes
dames, les honorait et les servoit plus que les hommes, et leur
faisoit l'amour comme un homme à sa maistresse ; et si les pre-
noit avec elle, lés enlretenoit à pot et à leu, et leur donrîbib-ce
qu'elles vouloient. Son тагу en estoit très-aise et fort content;
ainsi que beaucoup d'autres marvs que j'ay veus, qui esloient
fort aises que leurs femmes menassent ces amours plutost que
telles des hommes (n'en pensant leurs femmes si folles nv pu
120 VIES DES DAMES GALANTES.
tains]. Mais je croy qu'ils sont bien trompez, car ce petit exer
cice, à ce que j'ay ouy dire, n'est qu'un apprentissage pour ve
nir à celuy grand des hommes; car après qu'elles se sont
escbaufTées et mises bien en rut les unes les autres, leur chaleur
ne se diminuant pour cela, faut qu'elles se baignent par une eau
vive et courante, qui raffraiscbist bien mieux qu'une eau dor
mante , ainsi que je tiens de bons chirurgiens , et veu que , qui
veut bien panser et guérir une playe, il ne faut qu'il s'amuse à la
médicamenter et nettoyer alentour ou sur le bord, mais il la faut
sonder jusques au fond, et y mettre une sonde et une tente bien
avant.
Que j'en ay veu de ces Lesbiennes, qui, pour tontes leurs frica-
relles et entre-frottements, n'en laissent d'aller aux hommes ! mesme
Sapho, qui en a esté la maistresse, ne se mit-elle pas à aymer son
grand amy Phaon, après lequel elle mouroit? Car, enfin, comme
j'ay ouy racontera plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et
que de tout ce qu'elles prennent avec les autres femmes, ce ne sont
que des tirouers pour s'aller paistre de gorges-chaudes avec les hom
mes : et ces fricarelles ne leur servent qu'à faute des hommes ; que
si elles les trouvent à propos et sans escándale , elles lairroient bien
leurs compagnes pour aller à eux et leur sauter au collet.
J'ay cogneu de mon temps deux belles et honnestes damoiselles
de bonnes maisons, toutes deux cousines, lesquelles ayant couché
ensemble dans un mesme lit l'espace de trois ans, s'accoustumèrent
si fort à celte fricarelle , qu'après s'estre imaginées que le plaisir
esloit assez maigre et imparfait au prix de celuy des hommes, se
mirent à le taster avec eux, et en devinrent très bonnes putains, et
confessèrent après à leurs amoureux que.rien ne les avoit tant des-
bauchées et esbranlées à cela que cette fricareile, la détestant pour
en avoir esté la seule cause de leur desbauche : et, nonobstant,
quand elles serencontroyent, ou avec d'autres, elles prenoient tous-
jours quelque repas de cette fricarelle, pour y prendre tousjours
plus grand appétit de l'autre avec les hommes. Et c'est ce que dit
une fois une honneste damoiselle que j'ay cogneue, à laquelle son
serviteur demandoit un jour si elle ne faisoit point celle fricarelle
avec sa compagne, avec qui elle couchoit ordinairement. «Ah ! non,
dit-elle en riant, j'ayme trop les hommes; » mais pourtant elle
faisoil Tun et l'autre.
Je sçay un honneste gentilhomme, lequel, désirant un jour à la
Cour pourchasser en mariage une fort honneste damoiselle, ou de->
DISCOURS I. 121
mambí i'advis à une sienne párenle. Elle luy dit franchement qu'il
yperdroit son temps; « d'autant, me dit-elle, qu'une telle dame,
» qu'elle me nomma , et de qui j'en savois des nouvelles, ne per-
i mettra jamais qu'elle se marie. » J'en cogneus soudain l'en-
cloüeure, parce que je sçavois bien qu'elle lenoit cette damoi-
selle en ses délices à pot et à feu, et la gardoit précieusement
pour sa bouche. Le gentilhomme en remercia sa dite cousine de
cebón advis, non sans lui faire la guerreen riant, qu'elle par-
bit ainsi en cela pour elle comme pour l'autre; car elle en tiroit
quelques petits coups en robbe quelquesfois : ce qu'elle me nia
pourtant. Ce trait me fait ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des
putains à eux qu'ils ayment tant, qu'ils n'en feroient part pour
tous les biens du monde, fust à un prince, à un grand, fust à
leur compagnon, ni a leur amy, tant ils eu sont jaloux, comme
un ladre de son barillet ; encore le présente-t-il à boire à qui en
veut. Mais cette dame vouloit garder cette damoiselle toute pour
soy, sans en départir à d'autres : pourtant si la faisoit-elle cocue
à la dérobade avec aucunes de ses compagnes.
On dit que les belettes sont touchées de cet amour, et se plai
sent de femelle à femelle à s'entreconjoindre et habiter en
semble ; si que par lettres hiéroglyfiques les femmes s'entr'ai
mantes de cet amour esjoient jadis représentées par des belettes.
J'ay ouy parler d'une dame qui en nourrissoit tousjours, et qui
se mesloit de cet amour, et prenoit plaisir de voir ainsi ses pe
tites bestioles s'entre-liabiter.
Voici un autre poinct, c'est que ces amours féminines se
traînent en deux façons, les unes par friquarelle, et par, comme
dit ce poète, geminos commiltere connos.
Cette façon n'apporte point de dommages, ce disent aucuns,
comme quand ou s'aide d'instruments façonnés de , mais
qu'où a voulu appeler des g (l).
J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant de deux dames
de sa cour qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si ЫРП qu'il
les surprit, tellement que l'une se trouva saisie et accommodée
d'un gros entre les jambes, gentiment attaché avec de petites
bandelettes à l'eu tour du corps, qu'il sembloit un membre naturel.
Elle en fut si surprise qu'elle n'eut loisir de l'oster; tellement que
ce prince la contraignit de luy raonstrer comment elles deux se le
11
lane it bs ¿ив-, £ ь'т os ни i и ¿s ятжва qn i
i itïi*. и urna на яяалеьс, «ш а осг, вш явт bras ji^Je-
TbiC jiîiie ut {atraer ев on}*. Кш ля, tes itumjal, k*.r dit :
* ^t *У1& —i—jt lau *' ji- biobj'».1* CL . i-'^ t-u>; q £ ш^л оь iroïs.
•ni »HA »enii'ji: ваш, a ce queje w», il n'j en a pas
. v, lit it *UJL г С1-, tue; que aûcrt cet bk, ii y a '.* bit
tu inn insu* fcn i; •«,, iu» efJe i*3 faliort iïTW bai^'llf
à ieœ» «^ LMjn^Julilff_ elles Taupaiicñm, BOU [»or le «om
bre, кш for Ь tele, çu cou bii <t alai »• roblrairr JISP-
El я ledk naiiatre JtiT. ot Mus ùujur erlies qai sont de
[¿'.t pules, je trocee <^i ii ies Ьы |!и»1гЫ b>Ler et exaller
/ID ciel, d'ïCULl que в e.its br .síeiil »i arJeiini-eiil daos
le C'jrps et dans ¡'amt, el, ne venant poinl au\ effets, fout pares-
tre lenr Ttnu, leur con-lanoe rt Ь generusiiè de leur cœur,
unían! p'usUsl brnsler et se oonsnmer daiis leurs propres feiix
et flaiiiines, comme no phénix rare, que de foliaire ni souiller
bur boDoeur, et comme Ь Uanciie berniine, qui arne mieux
HiOarir que de se souiller [ derise d'une ires-grande dame que j'ay
t»;Tieoe, mais mal d'elle pratiquée ]K)urljnl ) , puisqu'eslant en
leur puissance d'y pouvoir remédier, se commandent si géué-
reasemem, et puisqu'il n'y a plus belle vertu ny victoire que de
se commander el vaincre soy-mesme. Nous en avons une his
toire ires-belle dans les Cent .Vourelles de ¡a fieyne de Naiarre,
de celle hoimesle dame de Pampelunp, qui, estant dans sou aine
el de volonté pute, et bruslanl de l'amour de M. d'Avanes, si
beau prince, elle aynia mieux mourir dans son feu que de cher
cher son remède, ainsi qu'elle luy sceul bien dire en ses der
niers propos de sa mort. Celte hoimesle et belle dame se dou-
noil bien la mort lrès-iniquea:ent et injustement ; et, comme
j'ouys dire sur ce passage à un honneste homme et honneste
dame, cela ne (ut poinl sans oDenser Dieu, puisqu'elle se pou-
voit délivrer de la mort; et se la pourchasser el avancer ainsi,
cela s'appelle proprement se tuer soy-mesme ; ainsi plusieurs de
ses pareilles qui, par ces grandes continences el abstinences de
ce plaisir, se pro'urent la mort, et pour l'âme el pour le corps.
— Je liens d'un ires-grand médecin ( et pense qu'il en a donné
telle leçon el instruction à plusieurs honnestes dames ) que les
corps humains ne se peuvent jamais guieres bien porter, si tous
leurs membres et parlies, depuis les plus grandes jusqu'aux plus
я, ne (ont enseiublement lours exercices et fonctions, que '
DISCOURS I. 1 27
la sage nature leur a ordonné pour leur santé, et n'en fassent
une commune accordance, comme d'un concert de musique,
n'eslanl raison qu'aucunes desdiles parties et membres travail
lent, et les antro* cliuiiinent. Ainsi qu'en une république il faut
que tous ofliciers, artisans, manouvriers et autres, fassent leur
besogne unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns
sur les autres, si l'on veut qu'elle aille bien, et que son corps de
meure sain et entier : de mes ne est le corps humain. Telles
belles daines, putes dans l'âme et cliastes du corps, méritent
d'éternelles louanges: mais non pas celles qui sont froides
connue marbre, lasches et immobiles plus qu'un rocher,
et ne tiennent de la chair, n'ayant aucuns sentiments ( il n'y en
a guieres pourtant ) , qui ne sont point ny belles ny recherchées,
et, connue dit le poète,
chaste qui n'a jamais été priée. Sur quoy je cognois une grande
dame i,ui disoil à aucunes de ses compagnes qui estoient belles :
« Dieu m'a fait une grande grâce de quoy il ne m'a fait belle
» comme vous autres, mrsJames ; car aussi bien que vous j'eusse
» fait l'amour, et fusse esté pule comme vous. » A cause de quoy
peut-on louer ces belles ainsi chastes, puisqu'elles sont de telle
nature. Dien souvent aussi sommes-nous trompez en telles dames;
car aucunes y en a qu'à les vbir niesme mineuses, piteuses, mar-
mileuses, froides, discrètes, serrées, et modestes en leurs paroles, et
en,leurs habits réformez, qu'on les prendroil pour des saintes et
très-prudes femmes, qui son!, au dedans et par volonté, et au
dehors par bons elfels, bonnes putains. D'autres en voyons-nous
qui, par leur gentillesse et leurs paroles follastres, leurs gestes
' gnys el leurs habits mondains et affectés, on les prendroil pour
fort débauchées, el prestes pour s'adonner anssi-tost: mais pour
tant de leurs corps sont fort femmes de bien devant le monde : eu
cachette, il s'en faut rapporter à la vérité aussi cachée. J'en allé-
guerois force exemples que j'ai veus et sceus ; mais je me conteu-
teray d'allepuer cettuy-ci, que Tite-Live allègue et Docace encore
niieux, d'une gentille dame romaine nommée Claudie Quinliene,
laquelle, paroissant dans Rome par-dessus toutes les autres en ses
babils pompeux et peu modestes, et en ses façons gayes et libre.-;,,
Ш VIES DES DAMES GALANTES.
mondaine plus qu'il ne le falloit, acquit très-mauvais brait touchant
son honneur ; mais, le jour venu de la réception de la déesse
Cybelle, elle l'esleignil du lout : car elle eut l'honneur et la gloire,
pardessus toutes les autres, de la recevoir hors du bateau, la tou
cher et la transporter à la ville ; dont lont le monde en demeura
estonné : car il avoit esté dit que le plus homme de bien et la plus
femme de bien estoient dignes de cette charge. Voilà comme le
monde est fort trompé en plusieurs de nos dames. L'on doit pre
mièrement fort les cognoistre et examiner avant que de les juger,
tant d'une que de l'autre sorte.
V Si faut-il, avant que fermer ce pas, que je die une autre belle
vertu et propriété que porte le cocuage, que je tiens d'une fort
honnesle et belle dame de bonne part, au cabinet de laquelle
estant un jour entré, je la trouvay sur le point qu'elle venoit
d'achever d'escrire un conle de sa propre main, qu'elle me mons-
tra fort librement, car j'estois de ses bons amis, et ne se cachoit
point de moy : elle estoit fort spirituelle et bien disante, et fort
bien duite à l'amour ; et le commencement du conte esloit tel :
» II semble, dit-elle, qu'entr'autres belles propriétez que le
» cocuage peut apporter, c'est ce beau et bon sujet par lequel on
» peut bien connoistre combien gentiment l'esprit s'exerce pour
» le plaisir et contentement de la nature humaine, d'autant que
» c'est luy qui veille, et qui invente et façonne l'artifice néces-
» saire à y pourvoir sans que la nature y fournisse que le désir et
» l'appétit sensuel, comme l'on peut cacher par tant de ruses et
» astuces qui se pratiquent au mestier de l'amour, qui est celuy
qui imprime les cornes ; car il faut tromper un тагу jaloux,
soupçonneux et colère ; il faut tromper et voiler les yeux des
plus prompts à recevoir du mal, et pervertir les plus curieux
de la connoissance de la vérité ; faire croire de la fidélité là
où il n'y a que toute déception ; plus de franchise là où il n'y
a que dissimulation et crainte, et plus de crainte là où il n'y
a plus de licence : bref, par toutes ces difficultez, et „pour
venir dessus ces discours, ce ne sont pas actes à quoy la verlu
naturelle puisse parvenir ; il en faut donner l'advanluge à l'es-
» prit, lequel fournit le plaisir et bastit plus de cornes que le
» corps qui les plante et cheville. » Voilà les propres mois du
discours de cette dame, sans les changer aucunement, qu'elle
fait au commencement de son conte, qui se l'aisoit d'elle-mesme ;
mais elle l'adombroit par d'autres noms ; et puis, poursuivant
DISCOURS I. 1S9
les amours de la dame et du seigneur avec qui elle avoit à faire,
et pour venir là et à la perfection, elle allègue que l'apparenee
de l'amour n'est qu'une apparence de consentement. Il est du
tout sans forme jusqu'à son entière jouissance et possession, et
bien souvent l'on croit qu'elle soit venue à celte extrémité, que
l'on est bien loin de son compte, et, pour récompense, il ne
reste rien que le temps perdu, duquel l'on porte un extrême re
gret ( il faut bien peser et noter ces dernières paroles, car elles
portent coup, et de quoy à blasonner). Pourtant il n'y a que la
jouissance en amour et pour l'homme et pour la femme, pour ne
regretter rien du temps passé. Et pour cette honneste dame, qui
escrivoit ce conte, donna un rendez-vous à son serviteur dans un
bois, où souvent s'alloit pourmener en une fort belle allée, à
l'entrée de laquelle elle laissa ses femmes, et le va trouver sous un
beau et large chesiie ombrageux ; car c'estoit en esté ! « Là où,
dit la dame en son conte par ces propres mots, il ne faut point
douter la vie qu'ils démenèrent pour un peu, et le bel autel
qu'ils dressèrent au pauvre тагу au temple de Céraion , bien
qu'ils ne fussent eu Délos, qui estoit fait tout de cornes : pensez
que quelque bon compagnon l'avoit fondé. » Voilà comment
celte dame se moquoit de son тагу , aussi bien en ses escrits
comme en ses délices et effects : et qu'on note tous ses mots, ils
portent de l'efficace, estans prononcés mesmes et escrits d'une si
babile et honneste femme.
Le conte en est très-beau, que j'eusse volontiers ici mis et
inséré; mais il est trop long, car les pourparlers, avant que de
venir là, sont fort beaux et longs aussi, reprochant à son servi
teur, qui la loiioit extrêmement, qu'il y avoit en luy plus d' œu
vre de naturelle et nouvelle passion qu'aucun bien qui fust en
elle , bien qu'elle fust des belles et honnestes ; et , pour vaincre
cette opinion, il fallut au serviteur faire de grandes preuves de
. son amour, qui sont fort bien spécifiées en ce conte : et puis estant
d'accord, l'on y voit des ruses, des finesses et tromperies d'amour
en toutes sortes, et contre le тагу et contre le monde, qui sont
certes fort belles et très-fines. Je priay cette honneste dame de me
donner le double de ce conte ; ce qu'elle tist très-volontiers, et ne
voulust qu'autre le doublas! qu'elle, de peur de surprise. Cette
dame avoit raison de donner cette vertu et propriété au cocuage ;
car avant que se mettre à l'amour, elle estoit fort peu habile ; mais
l'ayant traité, elle devint l'une des spirituelles et habiles femmes de
130 VIES DE3 DAMES GALANTES.
France, tant pour ce sujet que pour d'antres. El de fait, ce n'est
pas la seule que j'ay veue qui s'est habililée pour avoir Ira'ué
l'amour, car j'en ay ven une infinite très-soltes et mal-habile» à leur
commencement ; mais elles n'avoienl demeuré un an à l'académie de
Cupidon et Vénus madame sa mère, qu'elles en sorloienl très-ha
biles et Irès-honnesles femmes en tout ; et quant a nioy je n'ay vea
jamais pulain qui ne fust très-habile et qui ne levasl la paille.
— Si leray-je encor cette question ; en quelle saison de l'an
née se fait [dus de cocus, et laquelle est plus propre à l'amour,
tt à esbranler une fille , une femme ou une veuve? Certai
nement la plus commune voix est qu'il n'y a pour cela que le
printemps, qui esveille les corps et les esprits endormis de l'hy-
ver fasclieux et mélancolique; et puisque tous les oiseaux et
animaux s'en réjouissent et entr.-nt tous en amours, les personnes
qui ont autres sens et sentiment s'en ressentent bien davantage,
et surtout les femmes (selon l'opinion de plusieurs philosophes
et médecins), qui entrent lors en plus grande ardeur et amour
qu'en tout autre temps, ainsi que je l'ay ouy dire à aucunes hon-
nesles et belles dames, et mesmes à une grande qui ne failloit
jamais, le printemps venu, en estre plus touchée et picquée
qu'en autre saison ; et disoit qu'elle sentoit la pointe de l'herbe
et bannissoil après comme les juments et chevaux, et qu'il fal-
loit qu'elle en tastast, autrement elle s'amaigrirait ; ce qu'elle
fuisoit, je vous en asseure, et devenoit lors plus lubrique. Aussi,
trois ou quatre amours nouvelles que je luy ay veu faire en sa
vie, elle les a faites au printemps, et non sans cause ; car de tous
les mois de l'an, avril et may sont les plus consacrez et dédiés à
Vénus, où lors les belles dames s'accommencenl , plus que de
vant, à s'accommoder, dorloter, et se parer gentiment, se couler
follastrement, se vestir légèrement ; qu'on dirait que tous ce'
nouveaux changements, et d'habits et de façons , tendent tous à
la lubricité , et à peupler la terre de cocus, marchant dessus, .
aussi bien que le ciel et l'air en produisent de volants en avril et
en may. De plus, ne pensez pas que les belles femmes , filles ou
veuves, quand elles voient de toutes parts en leurs pourmenades
de leurs bois, de leurs forests, garennes, parcs, prairies, jardins,
borages et autres lieux récréatifs, les animaux et les oiseaux
s'enlrefaire l'amour et lascivement paillarder, n'en ressentent
d'esiranges piqueures en leur chair, et n'y veulent soudain rap
porter leurs remèdes j et c'est l'une des persuasives renion-
DISCOURS I. 131
«trances qu'aucuns amants et aucunes amontes s'entrefont ,
s'entrevoyants sans chaleurs , ny flamme, ny amour, en leur
remonstrant les animaux et oyseaux, tant des champs que des
maisons, comme les passereaux et pigeons domestiques et lascifs,
et ne (aire que paillarder, germer, engendrer, et Ibissonner jus
qu'aux arbres et plantes: et c'est ce que sceut dire un jour une
gente dame espagnole à un cavalier l'roid ou trop respectueux :
А« , gentil caraller'i, mira como lox amores de lud'is suertes se
traían y trionfan en esle verntio, y V. S. qwda flaco y aba-
trido ! C'est-à-dire : « Voici (i), gentil cavalier, comme sor-
» tes d'amours se mennent et triomphent en celte prime ; et vous
» demeurez flac et abattu. » Le printemps passé fait place à
l'esté , qui vient après et porte avec soy ses chaleurs : et ainsi
qu'une chaleur amène l'autre, la dame par conséquent double la
sienne; et nul rafraischissement ne la luy peut oster si bien qu'un
bain chaud et trouble de sperme vénériq : ce n'est pas contraire
par son contraire et guérir, ains semblable par son semblable; car,
bien que tous les jours elle se baijnast , se plongeast dans la plus
claire et fraische fontaine de tout un pays , cela n'y sert, ny quel
ques légers habillements qu'elle puisse porter pour s'en donner
fraischeur, et qu'elle les retrousse tant qu'elle voudra, jusques à
laisser les calessous, ou mettre le vertugartin dessus eux, sans les
mettre sur le cotillon, comme plusieurs le font; et là c'est le pis,
car, en tel estât, elles s'arregardent, se ravissent, se contemplent
à la belle clarté du soleil, que , se voyant ainsi belles, blanches,
caillées, poupines et en bon point, entrent soudain en rut et
tentation ; et, sur ce, faut aller au masle ou de tout brusler toutes
vives, dont on en a veu fort peu ; aussi seroient-elles bien sottes :
et si elles sont couchées dans leurs beaux lits ne pouvants endurer
ny couvertes, ny linceux , se mettent en leurs chemises retroussées
à deiuy nues, et le matin , le soleil levant donnant sur elles, et
venants à se regarder encore mieux à leur aise de tous costea et
toutes parts, souhaitent leurs amys, et les attendent : que si par
cas ils arrivent sur ce point, sont aussitost les bien venus, pris et
embrassés; « car lors, disent-elles, c'est la meilleure embrassade
et jouissance d'aucune heure du jour; d'autant, disoit un jour
une grande, que le c.. est bien conlit, à cause du doux chaud et
ieu de la nuict, qui l'a ainsi cuit et confit, et qu'il eu est beau-
(I) Tojfei.
132 VIES DES DAMES GALANTES.
coup meilleur et savoureux. » L'on dit pourtant par un proverbe
ancien : Juin et juillet, la bouche mouillée et le v. . sec ; encor
met-on le mois d'aoust : cela s'entend pour les hommes, qui
sont en danger quand ils s' échauffent par trop en ces temps; et
mesme quand la chaude canicule domine, à quoy ils y doivent
adviser; mais s'ils se veulent brusler à leur chandelle, à leur dam.
Les femmes ne courent jamais ceste fortune, car tous mois, toutes
saisons, tous temps, tous signes leur sont bons. Or les bons
fruits de l'esté surviennent , qui semblent devoir rafraischir ces
bounestes et chaleureuses dames. A aucunes j'en ay veu manger
peu, et à d'autres prou. Mais pourtant on ny a guieres veu de
changement de leur chaleur ny aux unes ny aux autres, pour s'en
aßstenir ny pour en manger; car. le pis est que, s'il y a aucuns
fruits qui puissent rafraischir, il y a bien force autres qui resehauf-
fent bien autant, auxquels les dames courent le plus souvent,
comme à plusieurs simples qui sont en leur vertu et bons et plai
sants à manger en leurs potages et salades, et comme aux asperges,
aux artichaux, aux truffles, aux morilles, aux mousserons et poti
rons , et aux viandes nouvelles , que leurs cuisiniers , par leurs
ordonnances , sçavent très-bien accoustrer et accoustumer à la
friandise et lubricité , et que les médecins aussi leur sçavent bien
ordonner. Que si quelqu'un bien expert et gallant entreprenoit à
desduire ce passage, il s'en acquitteroit bien mieux que moy. Au
partir de ces bons mangers, donnez-vous garde, pauvres amants et
marys. Que si vous n'estes bien préparez, vous voilà déshonorez,
et bien souvent on vous quitte pour aller au change. Ce n'est pas
tout ; car il faut avec ces fruits nouveaux, et fruits des jardins et
des champs, y adjouter de bons grands pastez que l'on a inventez
depuis quelques temps, avec force pistaches, pignons, et autres
drogues d'apoticaires scaldatives, mais sur-tout des crestes et
с de cocq, que l'esté produit et donne plus en abondance
que l'hyver et autres saisons ; et se fait aussi plus grand massacre
en général de ces jolets et petits cocqs, qu'en hyver des grands
cocqs, n'estant si bons et si propres que les petits, qui sont chauds,
ardents et plus gaillards que les autres. Voilà un, entr'aulres, des
bons plaisirs et commoditez que l'esté rapporte pour l'amour. Et
de ces pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et
culs d'artichaux et truffles, ou autres friandises chaudes, en
usent souvent quelques dames que j'ai ouy dire; lesquelles, quand
elles en mangent et y peschent, mettant la main dedans ou avec
DISCOURS I. 133
les fourchettes, et en rapportant et en remettant en la bouche ou
l'artichauli, ou la trulïle, ou la pistache, ou la creste de cocq, ou
autre morceau, elles disent avec une tristesse morne : Бlangue; et
quand elles rencontrent les gentils с de cocq, elles mettent
sous la dent, elles disent d'une allégresse : Bénéfice; ainsi qu'on
fait à la blanqueen Italie, et comme si elles avaient rencontré et
gagné quelque joyau très-précieux et riche. Elles en ont cette
obligation à messieurs les petits cocqs et jolets, que l'esté produit
avec la moitié de l'automne pourtant, que j'entremesle avec l'esté,
qui nous donne force autres fruits et petits volatiles qui sont cent
(ois plus chaudes que celles de l'hyver et de l'autre moitié de
l'automne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien qu'on les
puisse et doive joindre ensemble , si n'y peut-on si bien re
cueillir tous ces bons simples en leur vigueur, ny autre chose
comme en la saison chaude, encore l'hyver s'efforce de produire
ce qu'il peut, comme les bonnes cardes qui engendrent bien de la
bonne chaleur et de la concupiscence, soit qu'elles soient cuittes ou
crues, jusques aux petits chardons chauds, dont les asnes vivent
et en baudoù'inent mieux, que l'esté rend durs, et l'hyver les rend
tendres et délicats, dont l'on en fait de fort bonnes salades nou
vellement inventées. Et outre tout cela, on fait tant d'autres
recherches de bonnes drogues chez les apoticaires, drogueurs et
parfumeurs, que rien n'y est oublié, soit pour ces pastez, soit pour
les bouillons : et ne trouve-t-on à dire guieres de la chaleur en
l'hyver par ce moyen et entretenement tant qu'elles peuvent;
« саг, disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir
> chaud l'extérieur de nostre corps par des habits pesants et
в bonnes fourrures, pourquoy n'en ferons-nous de mesme à l'in-
» teneur? » Les hommes disent aussi : « Et de quoy leur sert-il
» d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur soye, contre
« la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez cha-
» leureuses, et qu'à toute heure qu'on les veut assaillir elles
» sont tousjours prestes de leur naturel, sans y apporter aucun
» artifice? Qu'y feriez-vous? Possible qu'elles craignent que leur
» sang chaud et bouillant se perde et se resserre dans les
я veines et devienne froid et glacé si on ne l'entretient, ny plus
M ny moins que celuy d'un hermite qui ne vit que de racines. »
Or laissons-les faire : cela est bon pour les bons compagnons ;
car, elles estant en si fréquente ardeur, le moindre assaut d'a
mour qu'pn leur donne, les voilà prises, et messieurs les pauvres
Í3
114 VIES DES DA4ES CALAMES.
marvs cocos et cornus comme satyres. Encor font-elles mieux,
les honnesles dames : elles font queli|uesfois part de leurs bons
postez, bouillons et potages à leurs amants par miséricorde, afin
d'eslre plus braves et n'eslre atténuez par trop quand ce vient à
la besogne, et pour s'en ressentir mieux et prévaloir plus abon
damment ,et leur en donnent aussi des receptes pour en faire
faire en leur cuisine à part: dont aucuns y sont bien trompez,
ainsi que j'ay ouy parler d'un galant gentilhomme, qui, ayaiil
ainsi pris son bouillon, et venant tout gaillard aborder sa maî
tresse, la menaça qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son
bouillon, et mangé son pasté. Elle lui respondit: « Vous ne me
» ferez que la raison ; encore ne sçay-je : » et s'estant embras
sez et investis, ces friandises ne luy servirent que pour deux
opérations de deux coups seulement. Sur uuoy elle luy dit ou
que son cuisinier l'avoit mal servy ou y avoit espar_;né des
drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoil pas pris
tous ses préparatifs pour la grande médecine, ou que son corps
pour lors estoit mal disposé pour la prendre et la rendre : et
ainsy elle se moqua de luy. Tous simples pourtant, toutes dro
gues, toutes viandes et médecines, ne sont propres à tous : aux
uns elles opèrent, aux autres blanque , encore ay-je veu des
femmes qui, mangeant ces viandes chaudes et qu'on leur en l'ai-
soit la guerre que par ce moyen il pourrait avoir du déborde
ment ou de l'extraordinaire ou avec le тагу ou l'amant, ou avec
quelque pollution nocturne, elles disoient, juraient et alûnnoient
que, pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune
manière ; et Dieu sait il falloit qu'elles Ossent ainsi des rusées.
Or les dames qui tiennent le party de l'hiver disent que, pour
les touillons et mangers chauds, elles en sçavent assez de re
ceptes d'en faire d'aussi bons l'hyver qu'aux autres saisons :
elles en font assez d'expérience, et pour laire l'amour le disent
aussi très-propre ; car, tout ainsi que l'hyver est sombre, têué-
breux, quiete, coy, retiré de compagnies et caché, ainsi faut que
soit l'amour et qu'il soit fait en cachette, en lieu retiré et obscur,
soit en un cabinet à part, ou en un coin de cheminée près d'un
bon feu qui engendre bien, s'y tenant de près et long-temps
autant de chaleur venéricque que le soleil d'esté. Comme aussi
fait-il bon en la ruelle d'un lit sombre, que les yeux des autres
personnes, cependant qu'elles sont près du feu à se chauffer,
pénétrent fort mal-aisément, ou assises sur des coures et lits i
DISCOURS I. 1 35
Vescart faisant aussi l'amour, ou les voyant se tenir près les unes
des autres, et pensant que ce soit à cause du froid, et se tenir
plus chaudement ; cependant font de bonnes choses, les flambeaux
à part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur le hülfet. De plus,
qui est meilleur quand l'on est dans le lit? c'est tous les plaisirs
du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser, de s'en-
treserrer et se baiser, s'entre-trousser l'un sur l'autre de peur
de froid, non pour un peu, mais pour un long temps, et s'entre-
eschaulfer doucement, sans se sentir nullement du chaud déme
suré que produit l'esté, et d'une sueur extrême, qui incommode
grandement le dé Juit de l'amour ; car, au lieu de s'entretenir au
large et fort à l'escart : et qi¡i est le meilleur, disent les dames,
par l'advis des médecins, les hommes sont plus propres, ardanls
et déduits à cela l'hyver qu'en l'esté.
— J'ay cogneu d'autres fois une très-grande princesse, qui
avoit un très-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle
se mit un jour à faire des stances a la louange et faveur de l'hy-
тег, et sa propriété pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouvé
pour elle très-favorable et trailable en cela. Elles estoient très-
bien faites, et les ay tenues long-temps en mon cabinet, et vou
drais avoir donné beaucoup et les tenir pour les insérer ici ; l'on
y verroit et remarqueroit-on les grandes vertus de l'hyver, pro
priétés et singularilez pour l'amour.
— J'ay cogueu une très-grande dame et des belles du monde,
laquelle, veulve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son
nouvel liabit et estât, aller les après-soupers voir la Cour, ni le
bal, ni le coucher de la Reine, et n'eslre estimée trop mondaine,
ne bougeoit de la chambre, laissoit aller ou renvoyoit un chacun
ou une chacune à la danse, et son fils et tout, se relirait en une
ruelle ; et là son amant, d'autres fois bien traité, aymé et favo
risé d'elle estant en mariage, arrivoit, ou bien, ayant soupe avec
elle, ne bougeoit, donnant le bonsoir à un sien beau-frère, qui
estoit de grand garde, et là trailoit et renouvelloit ses amours
anciennnes, et en praiiquoit de nouvelles pour secondes noces,
qui furent accomplies en l'esté après. Ainsi que j'ay considéré
depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons
ne fussent esté si propres pour cet hyver, et comme je l'ay ouy
dire a une de ses dariolelles. Or, pour faire lin, je dis et affirme
que toutes saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont
prises à propos, et selon les caprices des hommes et desf eiunies
136 VIES DES DAMES GALANTES.
qui les surprennent : car, tout ainsi que la guerre de Mars se
fait en toutes saisons et tout temps, et qu'il donne ses victoires
comme il luy plaît et comme aussi il trouve ses gens d'armes bien
appareillés et encouragés de donner leur bataille, Vénus en fait
de mesmes, selon qu'elle trouve ses troupes d'amants et d'a
mantes bien disposées au combat : et les saisons n'y font guères
rien, ny leur acception ny élection n'y a pas grand lieu ; nou
plus ne servent guères leurs simples, ny leur fruits, ny leuri
drogues, ny drogueurs, ny quelque artifice que fassent ny leí
unes ny les autres, soit pour augmenter leur chaleur, soit poui-
la rafraischir. Car, pour le dernier exemple, je connois une
grande dame a qui sa mère, dez son petit âge, la voyant d'un
sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout droit au che
min du bourdeau, luy fit user par l'espace de trente ans, ordi
nairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en
France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec
bouillons, fust pour en boire de grandes escüelles a oreilles,
sans autres choses entremeslées ; bref, toutes ses saussee esloient
jus de vinette. Elle eut beau faire tous ces mystères réfrigératiis,
qu'enfin c'a esté une très-grandissime et illustrissime putain, et
qui n'avoit point besoin de ces pastes que j'ay dit pour luy
donner de la chaleur, car elle en a assez ; et si pourtant elle est
aussi goulue à les manger que toute autre, Or je fais fin, bien
que j'en eusse dit davantage et eusse rapporté davantage de rai
sons et exemples ; mais il ne faut pas tant s'amuser à ronger un
mesme os ; et aussi que je donne la plume à un autre meilleur
discoureur que moi, qui sçaura soustenir le party des unes et
des autres raisons : me rapportant à un souhait et désir que fai-
roit une fois une honneste dame espagnole, qui souhaitoit et
désiroit de devenir hyver, quand sa saison seroit, et son ami un
feu, afin, quand elle viendrait s'eschautter à luy par le grand
froid qu'elle auroit, qu'il eust ce plaisir de la chaußer, et elle de
prendre sa chaleur quand elle s'y chaufleroit, et de plus se pré
senter else faire voir à luy souvent et à son aise, et se chauf
fant retroussée, escarquillée, et eslargie de cuisses et de jambes,
pour participer à la vue de ses beaux membres cachés sous son
linge et habillements d'auparavant; aussi pour la rescliauffer
encore mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et sa
chaleur paillarde. Puis désiroit venir printemps, et son amy un
jardin tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle
DISCOURS I. 137
gorge, son beau sein, voire s'y veautrant parmy elles son beau
corps tout nud entre les draps. De mesmes après desiroit deve
nir esté, et par conséquent son amy une claire fontaine ou re
luisant ruisseau, pour la recevoir en ses belles et fraisches eaux
quand elle iroit s'y baigner et esgayer, et bien à plein se faire
voir à luy, toucher, retoucher et manier tous ses membres beaux
et lascifs. Et puis, pour la fin, desiroit pour son automne re
tourner en sa première forme et devenir femme et son шагу
homme, pour puis après tous deux avoir l'esprit le sens et la
raison à contempler et remémorer tout le contentement passé, et
vivre en ces belles imaginations et contemplations passées, et
pour sçavoir et discourir entr'eus quelle saison leur avoit
esté plus propre et délicieuse. Voilà comment ceste honneste
dame départoit et compassoit les saisons ; en quoy je me remets
au jugement des mieux discourants, quelle des quatre en ces for
mes pouvoit estre à l'un et à l'autre plus douce et plus agréable.
— Maintenant à bon escient je me départs de ce discours.
Qui en voudra sçavoir davantage et des diverses humeurs des co
cus, qu'il fasse une recherche d'une vieille chanson qui fut faite
à la Cour, il y a quinze ou seize ans, des cocus, dont le refrain
est:
AUTRE.
DISCOURS SECOND
INTRODUCTION.
ARTICLE PREMIER.
De l'attouchement en amour
(1) Voyez Eayle, Diet, mí-, au mot BURIDAN, vüloo , dans sa ballade de;
temps jadis :
Scmbbblcmcnt où rsl la reine,
Qui commanda que IJcridan
Fust jete en uu «c en Seine?
DISCOURS II. UT
ARTICLE 11.
, De la parole en amour.
(1) La Vieille Courtisanne, fol. 449. B. des OEuor« poil, de loach, du Bellay,
edit, de Í59T :
De la verlu je sçavois deviser,
Et je sçavois tellement cruiser,
Que rico qu'honneur ne sorloit de ma bouche;
Sage au parlor et folasire il U coiicbe.
13.
160 VIES DES DAMES GALANTES.
vérité, si un beau corps n'a une belle âme, il ressemble mieux
son idole qu'un corns humain ; et s'il se veul faire bien aimer,
tant lu: ¡H Miii-il, il faut qu'il se fisse seconder d'une belle aine :
que s'il ne l'a de nature, il la but façonner par ail.
— Les founisannes de Rome se moquent fort des gentilles da
mes de Rome, lesquelles ne sont apprises à la parole comme elles;
et disent que chiavano come cant, ma che sonó quiete délia
bocea como sasst (1).
Et voilà pourquoy j'ai cogneu beaucoup d'iionnestes gentils
hommes qui ont refusé l'accointance de plusieurs dames, je vous
dis très-belles, parce qu'elles estoient idiotes, sans âme, sans
esprit et saris parole, et les ont quittées tout à plat: et disoient
qu'ils aimoienl autant avoir à faire avec une belle statue de quel
que beau marbre blanc, comme celuy qui en aima une à Athènes
jusques à en jouir;
Et pour ce, les esirangers qui vont par pays i:e se mettent à
guiéres aymer les femmes esirangères, ny volontiers s'en caprichenl
pour elles, d'autant qu'ils ne s'enteudent point, ny leur parole
ne leur tombe aucunement au cœur ; j'entends ceux qui n'enten-
deul leur langage : et s'ils s'accostent d'elles, ce n'est que pour
couti nier autant nature, et estcindre le feu naturel bestialement,
et puis dudar in barca (2) ; comme dis! un Italien un jour desem
barqué à Marseille, allant en Esp;igne, et demandant où il y avoit
des femmes. On luy monstre un lieu où se faisoil le bal <!e quel
ques nopces. Ainsi qu'une dame le vint accoster et arraisonne^ il
lui dit : У. S. mi perdonna, non voglin parlare, voglio sola
mente chiavafe, с poi me riandar in barca (3).
Le François ne prend grand plaisir avec une Allemande, une
Suisse, une Flamande, une Angloise, Écoísoise, une Escluvonne
ou autre estrangère, encore qu'elle babillast le mieux du monde,
s'il ne l'entend ; mais il se plaist grandement avec sa dame fran-
i;oise on avec l'Italienne ou l'Esp ignolle, car constumièrement, la
pluspart des François aujourd'hui, au moins ceux qui ont veu un
peu, scavenl parler ou entendent ce langage; et Dieu sait s'il est
a (Telle et propre pour l'amour? Car quiconque aura à faire av.c;
ARTICLE III.
Do la veuë en amour.
" 14
158 VIES DES DAMES GALANTES.
mieux, répîiqna : « Mais (¡¡¡es plusinsi pou:1 l'oiseau de paradis,
» là où i! y a plus de plume que de chair; » la taxant par la
quVlle estoit maigre aucunement: aussi esloil-iî.le fort jov.i-
note pour estre grasse, ne se logeant couslumièremeut qua sur
celles qui entrent dans l'ange, qu'elles commencent à se Ibriifler
et renforcer de membres et ;iu;res choses.
— Un geiitilbomme la donna bonne à un grand seigneur que
je sçay. Tous Heux avoient belles femmes. Ce grand seigneur trouva
Ci-lle du gentilhomme fort bel'e et bien advenante. Il luy dit un
jour : « UD lel, il fjnt que je couche avec voslre femme. » Le
gentilhomme, sans songer, car il disoit très-bien le mot, luy res-
pondil: « Je le veux, mais je couche avec la voslre. » Le seigneur
lui répliqua : « Qu'en ferois-tu? car la mienne est si maigre, que !u
n'y prenilruis nul goust. » Le gentilhomme respondit: к Je la !ar-
deray si menu, queje la rend ray de bon goust. ><
— Il s'en voit tant d'ai!lr?s que leurs visages poupins et genlils
font désirer leurs corps; mais quand on y vient, on les trouve sj
décharnée?, que le pbisir et la tentation en sont bien-tost passez.
Enir'autres , l'on y trouve l'os barré qu'on appelle , si sec
et si décharné, qu il foule et masclic plus tout nud que le
bast d'un mulet qu'il aurait sur luy. A quoy pour suppléer, tel
les dames sont coustumièrt-s de s'aider de putits coussins bien
mollets cl délicats à soutenir le coup et eiu-arder de la roas-
cbeure; ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont ai-,
dées souvent, voire de callesons gentiment rembourez et faits
de satin, de sorte que les ignorants, les venants ;> toucher, n'y'
trouvent rien que lout bon, et croyenl fermement que c'est leur
embonpoint naturel ; car par-dessus ce saljn il y avoit des pe
tits callesons de loue volante et blanche ; si bien que Ранки!,
donnant le coup en robbe, s'en alloil de sa dame si coulent et satis
fait, qu'il l'a lenoit pour très-bonne robbe.
D'aulres y a-t-il encore qui sont de la penu fort mrùVfidées
rt marquetées comme marbre, ou en œuvre à la mosaïque, la-
vi'Hées comme faons de bische, gralteleuses, et subjeolt's à darles
farineuses et fascineust's; bref, gaslées tellement, que la vcuë
n'en est pas guieres plaisante. -
— J'ay ouy parler d'une dame grande, et Pay cogninio. et co-
pnois enrnre, qui est peine, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur
1s rspaul.'S et le long de l'eschine, et à son bas, comme un sauv.ige.
Je vous laisse à penser ce que veut dire cela : si le proverbe est
DISCOURS II. 159
vray, que personne ainei velue est ou riche, oit lubrique, celle-là
a l'un el l'autre , je vous eu asseure, el s'en fait fort bien donner,
;e voir el désirer.
D'auirrs ont la chair d'oifon ou d'estourneau plumé, harée,
brodequinée, el plus noire qu'un beau diable.
D'uulres sont opulentes en teiasses avalées, pendantes plus que
d'une vache allaitant son veau.
Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux telins d'Hélaine,
laquelle, voulant un jour présenter au temple de Diane une coupe
geniille par certain vœu, employant l'orfèvre pour la hiy faire, luy
tu fil prendre le moilelle sur uu de ses beaux lelins, den tilla coup«
d'or blanc, qu'on nesç.'iuroil qu'ailmii'er de plus, ou la coupe ou
la ressemblance du telin sur quoy il avoit pris le patron , qui se
monslruit si gentil tt si poupin, que l'art en p tuvoit faire ue>irer
le naturel. Pline dit c-ecy par grande spécialité, où il truite qu'il y
a de Гог Ы inc. Ce qui est fort estrange est que cette coupe fut
faite d'or blanc.
Qui voudrait faire des coupes d'or sur ces grandes teiasses que
je dis el queje cognois, il faudrait bien fournir de l'or à mo 'sieur
l'orfèvre, et ne serait après s;ms const et prmJ risée, quand on
diroil : « Voilà îles coupes fuites sur le model!« des kMuis de telles
» el i.lles dames. »
. Ces coupes ressembleraient , non pas coupes, mais de vrayes
auges, qu'on voit de bois loutes ron.'es, lionl on donne à manger
aux pourceaux; et d'aulres y a-t-il, que le bout de leur tetin
ressemble à une vraye guiñe pourrie.
D'autres y a-t-il, pour descendre plus bas, qui ont le ventre si
mal poly et ridé, qu'on les prendrait pour de vieilles gibetsières
ridées de sergents ou d'hosleliers; ce qui advient aux femmes qui
on eu des enfants, et qui ne sont esté bien secourues et graissées
de grai.-se de baleine do leurs sages-femmes. Mais d'autres y a-t-il,
qui les ont aussi beaux et polis, et le sein aussi loi. et, comme si
elles esloient encore fillei.
D'autres il y en a, pour venir encore plus bas, qui ont leurs
natures hideuses et peu agréables. Les unes y ont. le poil nullement
frisé, mais si bug et pendant, que vous diriez que ce sont leg
moustaches d'un Sarrasin ; et pourtant n'en oslenl jamais I.i toison,
et se plaisent à la porler telle, d'autant qu'on dit : Chemin j'inchu
et c.. velu sont furl ¡¡ropres pour checa:iclier. J'ay ouy parler de
quelqu'une très-grande qui les porte aiiui.
/
Hesponcr.
Oiiv, vous av.-ï, este vigní- telle, il Testes encore
Et il'amr(.'foi* b:cu eulméV, a*l linin; plus;
l'imr l'amour He la prulo du Ivon ,
Voltio maty De vous cultive plus.
Response du marquis.
A ta vigne фк; vous autres dites
3e soi-; rslé ct'iles, et y rostay tin pen;
JYn 1пч . .iv le pampre et en regardai b vis et le raisin
liais Dieu ne me puisse aider si jamais j'y ay touché !
Par cette griffe de lion ¡1 veut dire le gant! qu'il avoil trouvé es-
gnre entre les linceuls. Voylà encor un l¡on тагу qui не s'ombra
gea pas trop, et se despouill.ini de soubçnn. pardonna ainsi à sa
femme : et certes il y a des d:nties, lesquelles se plaisent tant en
elles-mesmes, qu'elles se contemplent et se regardent nues, de sorte
qu'elles se ravissent se voyans si belles, comme Narcissus. Que
pouvons-nous donc faire les voyant et arrég;<rdant?
— Marianne, femme d'Ilérode, belle et honnesle femme, son
тагу voulant un jour coucher avec elle en plein midy et voir à
plein ce qu'elle porloit, lui ivfusa à plat, ce dit Josephe. Il n'usa
pas de puissance de тагу, comme un grand seigneur que j'ay
cogneu, à l'endroit de sa femme, qui estoil des belles, qu'il assaillit
ainsi en plein jour, et la mil toute nue, elle le déniant fort. Après
il luy renvoya ses femmes pour l'habiller, qui la trouvèrent toute
honteuse et esplorée.
— D'autres dames y a-t-il lesquelles à dessein ne font pas
grand scrupule de faire à pleine veuë la monstre de leur benuii'1,
et se descouvrir nues, alin de mieux encapriciw el martt-ller
leurs serviteurs, et les mieux attirer à elles; mais ne veulent
permettre nullement la touche précieuse , au moins aucunes,
pour quelque temps ; car, ne se voulans arrester en si beau che
min, passent plus outre, comme j'en ay ouy parler de plusieurs,
qui ont ainsi long-temps entretenu leurs serviteurs de si .beaux
aspects. Bien heureux sont-ils ceux qui s'y arresten! aux pa
tiences, sans se perdre par trop en tentation : et faut que ceiuv
soit bien enchanté de vertu, qui, eu voyant une helle femn;c,
ne se gaste point les yeux; ainsi que disoil Alexandre quci-
queslbis à ses amis, que les filles des Perses (aisoient grand mal
DISCOURS II. m
aux .yeux à ceux qui les régardoieni; et, pour ce, tenant les
lilies du roy Darius ses prisonnières, jamais ne les saluoit qu'a
vec les yeux baissez, et encor le moins qu'il pouvoit, de peur
qu'il avoil d't'Sire surpris de leur excellente beauté. Ce n'est
dès-lors seulement, mais d'aujourd'hui, qu'entre toutes les
femmes d'Orient les Persiennes ont le los et le prix d'estre les
plus belles et accomplies en proportions dé leur corps et beauté
naturelle, gentilles, propres en leurs habits et chaussures, mes-
mement, et sur toutes, celles de l'ancienne él royale ville de
Seir.is, lesquelles sont tellement buées en leurs beaùtez, blan
cheurs et plaisantes civililez et bonne grâce, que les Alores, par
un antique et commun proverbe , disent ijuc leur prophète
Mahomet ne voulut jamais al'er à Seiras, de crainte que s'il y
eust veu une fois ces belles femmes , jamais amprès sa mort son
âme ue fust entrée en paradis. Ceux qui y ont esté et en ont es-
crit le disent ainsi; en quoy on noiera l'hypocrite contenance
de ce bon maranlt et rompu prophète, comme s'il ne se trouvoil
pas escril, ce dit Selon, en un livre arabe, intitulé Des bonnes
cousLumes de Mahnmel, le louant de ses forces corporelles, qui
se vanloit de pratiquer et rrpassi-r ces unza femmes qu'il avoit
en une inesme heure l'une après l'autre. Au diidile soit le nia-
rauil! n'en parlons plus : quand tout est dit, je suis bien à loisir
d'en ¡ciller. J'ay veu faire cette question, sur ce trait d'A
lexandre que je viens dédire, et de Scipioit l'Afriquain, lequel
des deux acquist plus grand louange de continence. Alexandre,
se défiant des forces de sa chasleté, ne voulut point voir ces
belles dames persiennes : Scipion, après la prisé cie Carthage la
neufve, v:d celle belle fille espagnole que ses solJals luy ame
nèrent, el luy offrirent pour la part de son butin, laquelle es:oit
si excelli'iiie en beauté el en si bel ange de prise, que p.ir-toul où
elle passoil i-lle animoit el admiroit les yeux de tous à la regar
der, et Scipion niesme; lequel, l'ayant saluée furt courtoisement,
s'enquisi de quelle ville d'Espagne el^e esloil, et de ses parents.
Il luy lut dit, enlr'autres choses, qu'elle esloit accordée à un
jeui.e homme nommé Alucius, prince des Celtibériens, à qui il
la rendit, el à ses père et mère, sans la loucher; dont il obligea
la dame, les parents et le (¡aneé, si bien qu'ils se rendirent de
puis Irès-airecli'jnnez à la ville de Home el à la République. Mais
• que sçait-on si dans son âme celle belle dame nVust point désiré
avoir eile un peu percée et entamée premièrement de Swpion,
178 VIES DES DAMKS GALANTES.
de !uy, dis-je, qui estoit beau, jeune, brave, vaillant et victo
rieux ? Possible que si quelque privé ou privée des siennes et
des siens luv eust demandé en foy et conscience si elle ne l'eust
pas voulu, je laisse à penser ce qu'elle eust respondu, ou fait
quelque petite mine approchant de l'avoir désiré, et, s'il vous
plaist, si son climat d'Espagne et son soleil couchant ne la sça-
voit pas rendre, et plusieurs autres dames d'aujourd'huy et de
cette contrée, belles et pareilles à elle, chaudes et aspres à cela,
comme j'en ay veu quantité. Il ne faut donc point douter si
cette belle et bonneste fille fut esté requise et sollicitée de ce
beau jeune homme Scipion, qu'elle ne l'eust pris au mot, voire
sur l'autel de ses dieux prophanes. En cela ce Scipion a esté
certes loué d'aucuns de ce grand don de continence ; d'autres il
eu a esté blasmé : car en quoy peut monstrer un brave et val-
leureux cavallier la générosité de son cœur, qu'envers une belle
et honneste dame, si-non luy faire parestre par efTet qu'il prise
sa beauté et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces respects,
froideurs, modesties et discrétions, que j'ay veu souvent appeller,
à plusieurs cavalliers et dames, plustost sottises et faillement de
cœur que vertus. Non, ce n'est pas qu'une belle et honneste
dame aime dans son cœur, mais une bonne jouissance, sage,
discrète et secrète. Enfin, comme dist un jour une honneste
dame lisant cette histoire, c'esloit un sot que Scipion, tout brave
et généreux capitaine qu'il fust , d'aller obliger des personnes à
soy et au party romain par un si sot moyen, qu'il eust pu faire
par un autre plus convenable, et mesmes puis que c'esloit un
butin de guerre, duquel en cela on doit triompher autant ou
plus que de toute autre chose. Le grand fondateur de sa ville
ne fit pas ainsi, quand les belles dames sabines furent ravies, à
l'endroit de celle qu'il eust pour sa part, et en fit à son bun
plaisir, sans aucun respect; dont elle s'en trouva bien, et ne
s'en soucia guières, ny elle ny ses compagnes, qui firent leur
accord aussi-tost avec leurs marys et ravisseurs, et ne s'en for
malisèrent comme leurs pères et mères, qui en firent esmouvoir
grosse guerre. 11 est vray qu'il y a gens et gens, femmes et
femmes, qui ne veulent accointance de lout le monde en cette
façon : et toutes ne sont pareilles à la femme du roy Onragoo,
l'un des roys gaulois d'Asie, qui fut belle en perfection; el,
ayant esté prise en sa deflaite par un centenicr romain, et sol
licitée de son honneur, la trouvant ferme, elle qui eut horreur'
DISCOURS II. m
de se prostituer à luy, et à une personne si vile et basse, il la
prit par force et violence, que la fortune et advanture de guerre
lui a voit donné par droit d'esclavitude; dont bieo-tost il s'en
repentit et en eut la vengeance ; car elle luy ayant promis une
grande rançon pour sa liberté, et tous deux estants allez au lieu
assigné pour en toucher l'argent, le fit tuer ainsi qu'il le con-
toit, et puis l'emporta et la teste à son тагу, auquel confessa
librement que celuy-là lui avoit violé véritablement sa chasteté,
mais qu'elle en avoit eu la vengeance en cette façon : ce que
son тагу l'approuva et l'honora grandement. Et depuis ce
temps-là, dit l'histoire, conserva son honneur jusques au der
nier de sa vie avec toute sainteté et gravité : enûn elle en eut
ce bon morceau, fust qu'il vint d'un homme de peu. Lucrèce
n'en fit pas de mesme , car elle n'en tasta point, bien qu'elle fust
sollicitée d'un brave roy : en quoy elle lit doublement de la sotie,
de ne luy complaire sur-le-champ et pour un peu, et de se tuer.
Pour tourner encore à Scipion, il ne sçavoit point encore bien le
train de la guerre pour le butin et pour le pillage : car, à ce que
je tiens d'un grand capilaine des nostres, il n'est telle viande au
monde pour cela qu'une femme prise de guerre, et se mocquoit de
plusieurs autres de ses compagnons, qui recommandoieiit sur
toutes choses, aux assauts et surprises des villes, l'honneur des
dames, mesmes aux autres lieux et rencontres : car elles aiment les
hommes de guerre toujours plus que les autres, et leur violence
leur en fait venir plus d'appétit et puis on n'y trouve rien à redire,
le plaisir leur en demeure, l'honneur des marys et d'elles n'en est
nullement honny ; et puis les voilà bien gastées! et qui plus est,
s uivent les biens et les vies de leurs marys, ainsi que la belle
Euuoe, femme de Bogud ou Bocclius, roy de Mauritanie, à laquelle
César fit de grands biens et à son тагу, non tant, faut-il croire,
pour avoir suivy son party, comme Juba, roy de Bithynie, celuy
de Pompée, mais parce que c'estoit une belle femme, et que César
en eut l'accointance et douce jouissance. Tant d'autres commo-
ditez de ces amours y a-t-il que je passe : et toutesfois, ce disoit
ce grand capitaine, ses autres grands compagnons pareils à luy,
s'amusants à de vieilles routines et ordonnances de guerre, veu
lent qu'on garde l'honneur des femmes, desquelles il faudrait
auparavant sçavoir en secret et en conscience l'ailvis, et puis en
décider : ou possible sont-ils du naturel de notre Scipion, lequel,
ne se contentant tenir de celuy du chien de l'ortolan, lequel, comme
178 MES OES DAMES GALANTES.
j'ay dit су-devant, ne voiibi; t manger des choux du jnrdio.enipesche
que les uu'.res n en mangent. Ainsi qo'il B: Ü Pendrait du pauvre
AIa»siiiis¿a, lequel ayant tant de fuis hnzar.lé sa vie pour luy cl
pour le peuple romain, 'tant peiné, sue et intaîllé pour !i;i acqué
rir gloire el victoire, il luy refusa et osla la bel'erey-e So;.ho:>isb:i,
qu'il avoil prise et choisie pour son principal et prêcietix butin : il h
luy enleva pour l'emoyerä Rom:- h vivre le reste de ses jours en nii-
• sérahle esclave, si Massinissa n'y eusl remédié. Sa gloire en fust
eslé plus beile et plus ample si elle eus! comparu en glorieuse et su
perbe reyne, Femme de llassihissa, et que l'on eusl dit, la voyant pas
ser: « Voilà lune des belles vestiges des conquestes de Scipion ; e car
la gloire certes gist bien plus en l'apparence des choses grandes et
hautes, que des basses, l'onr tin, Scipioii en lout ce discours fit ce
grandes fautes, ou bien il estoit eonemy ùu tout du sexe féminin,
ou du tout impuissant de le contenter, bien qu'on die que sur ses
vieux jours il se mit à faire l'amour a une des servantes de sa
femme : ce qu'elle comporta fort patiemment poui des raisons qui
se pourraient là-dessus alléguer. Or, pour sortir de la digression
queje viens d'en faire, et pour renircr ait plain chemin que j'avois
laissé, je dis, pour faire fin à ce discours, que rien au monde n'est
si beau à voir et regarder qu'une belle femme pompeusement ha
billée, ou délicatement déshabillée et couchée, mais qu'elle soit
saine, imite, sans tare, suros ny mallan !re, comme j'av dit. Le
i-oy François uisoit qVun gentilhomme, tant superbe soit- il, ив
sçauroil mieux recevoir un soigneur, tant graiiJ Soi'.-i!, èil Й
maison ou ciiusteai), mais qu'il y oppnsnsl à sa vue et ßrcmit'rü
tenconire une belle Гетше sienne, un beau cheval et un hew
lévrier : car, en jeiiant Sun œil lantost sur l'an, laniOst sur l'au
tre, et lanlosl sur le liers, il ne se sçauroit jamais lascher en celle
maison ; niellant ces trois choses belles pour très-pbisanies à voir
el a Imirer, et en fuisadt cet exercice très-agréable. La reyne de
Ca'slilio dbûil qu'elle prenoit un très-gf nil plaisir de voir quatre
choses: Sombre (Tannas en canip'û, Obisbopueslo en pontifical,
lindii dama e¡l la cama, y ladrón en la horca. C'est-à-dire :
« Un humilié d'armes sur les champs, un évesque en son [>onti-
u lical, une belle dame dans nu lict, et un larron au gibel. »
J'ay ouy raconter à feu M. le cardinal de Lorraine le Grand,
dernier décédé, que, lorsqu'il alla k Rome vers le p:ipe l'aul IV,
pour rompre la trêve l'aile avec l'Empereur, il passi à Veniír,
où il fut très-honorablement receü, II n'en faut poinl douter, ,
DISCOURS H. . 179
puis qu'il esloit un si grand favory d'u» si grand roy. Tout ce
grand et magnifique sénat alla nu-devant de luy; el, passant par
le grand canal, où toutes les fenestres des maisons estoienl bordées
de toutes les femmes de In ville, et des plus belles, qui esioient là
accourues pour voir cette entrée, il y en eut un des plus grands
qui l'enlrt-tenait sur les affaires de l'Eslat, et luy en parloit 'fort :
mais, ainsi qu'il jeltoil fort les yeux fixement sur ces bejles daines,
il luy dit en son palois langage: « Monseigneur, je crois que vous
» ne m'entendez, et avez raison, car il y a bien plus de plaisir et
» différence de voir ces belles dames à ces feprstres, et se ravir
» en elles, que d'ouyr parler un faspheux vieillard comme moy, et
» parlasi-il (¡e quelque grande conquesie à voslre advantage. »
M. le cardinal, qui n'avoit faute d'espr t et de mémoire, luy res-
pondit de moi à mot à lout ce qu'il avoil dit; laissant ce bon vieil
lard fort satisfait de luy, et en admirable e.-aime qu'il eut de luy
qui, pour s'amuser à la yeuë de ces belles dames, il n'a voit rien
oublié uy obniis de ce qu'il luy avoil dit Qui aura veu la Cour
de nos roys François premier el Henry deu.\iesmt: et autres roys
ses enfants, advouera bien, qgel qu'il soit, et eusl-il veu tout je,
monde, n'avoir rien veu jamais de si beau que nus dames
qui sont estées en leur COUP, et de nos reynes, leurs femmes,
meres et sœurs; mais plus belle chose encore eusl-il ven, ce dit
quelqu'un, si le grand-père de mai.-lre Gonnin eusl vesvu. qui,
pur ses inventions, illusions et sorcelleries et enchantements, les
enst peu représenter deveslnes et nues, comme l'on dil qu'il ¡e
fil une fois en quelque compagnie privée, que le roy Fiauçois
lay commaiiiia; car il esloit un homme fort expert et subtil
en son art; et son petit-Bis, que nous avons veu, n j enlei.doit
rieu au prix de luy. Je pense que celle vcuë seroit aussi plai.-aute
о nime fui jadis celle des dames égyptiennes en Alexandrie à
Г; ccueil et recepiio.i de leur grand dieu Apis, au devanl duquel
i-! es alloienl en tics-grande cérémonie, et levant leurs robbes,
Co1, es et chemises, el les retroussant la plus baut qu'elles
p n, voient, les jambes fort eslargies et escui'quillées, leur mon-
iro enl leur cas toul-à-fail; el puis, ne le revoyant plus, pensez
qu'elles cuidoienl l'avoir bien payé décela. Qui en voudra voir
le coule, qu'il lise /)kxani. ab Alexandra., au sixiesme livre
des Jours jovials. Je pense que telle vruë e:i esloil bien plai-
;-• ..ir, car pour lors les dames d"Alexandrie esioirnl belles, comme
eir.'Or so:,l aujuurj'huy. Si les vieilles el laides faisoieul de mesme,
ISO VIES DES DAMES GALANTES.
passe, car la veuë ne se doit jamais entendre que sur le beau, et
fuir le laid tant que l'on peut.
En Suisse, les hommes et les femmes sont pesie niesle aux bains
et estuves sans faire aucun acte deshonncste, et en sont quittes
en menant un linge devant: s'il est bien délié, encor peut-on voir
chose qui plaist ou desplait, selon le beau ou le laid.
Avant que finir ce discours, si dira y-j к encor ce mot. En quelles
tentations et récréations de veuë pouvoient entrer aussi les jeunes
seigneurs, chevaliers, gentilshommes, plébéans et autres Romains,
le temps passé, le jour que se célébroit la feste de Flora à Rome,
laquelle on dit avoir esté la plus gentille et la plus triomphante
courlisanne qu'oncques exerça le putanisme dans Rome, voire
ailleurs 1 et qui plus la recommandoit en cela, c'est qu'elle estoit
de bonne maison et de grande lignée ; et, pour ce, telles dames de
si grande esloffe volontiers plaisent plus, et la rencontre en est plus
excellente que des autres. Aussi celle dame Flora eut cela de bon
et de meilleur que Lays, qui s'abandonnoit à tout le monde comme
une bagasse , et Flora aux grands ; si bien que sur le seuil de sa
porte elle avoit mis cet escriteau : « Roys, princes, dictateurs, con-
» suis, censeurs, ponlifes, questeurs, ambassadeurs, et autres grands
» seigneurs, entrez, et non d'autres. » Lays se faisoit lousjours
payer avant la main, et Flora point, disant qu'elle faisoit ainsi avec
les grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle comme grands et
illustres, et aussi qu'une femme d'une grande beauté et haut lignage
sera tousjours autant estimée qu'elle se prise : et si ne prenoit
si non ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame gentille devoit
faire plaisir à son amoureux pour amour, et non pour avarice,
d'autant que toutes choses ont certain prix, furs l'amour. Peur
fia, en son temps elle fit si gentiment l'amour, et se fit si brave
ment servir, que quand elle sorloit du logis quelquefois pour se
promener en ville, il y avoit assez à parler d'elle pour un mois,
tant pour sa beauté, ses belles et riches parures, ses su
perbes façons, sa bonne grâce, que pour la grande suile des
courtisans et serviteurs, et grands seigneurs qui estoient avec
elle, et qui la suivoient et accompagnoient comme vrays es
claves, ce qu'elle endurcit fort patiemment: et les ambassa
deurs estrangers, quand ils s'en retournoient en leurs provinces,
se plaisoient plus à faire des conles de la beauté et singularité
de la belle Flora que de la grondeur de la république de Rome,
et sur tout de sa grande libéralité, contre le naturel pourtant
DISCOURS II. 181
de telles dames; mais aussi estoit-elle outre le commun, puis
qu'elle esloil noble. Enfin elle mourut si riche et si opulente,
que la valeur de son argent, meubles et joyaux, estoit sufiisanie
pour refaire les murs de Home, et encor pour desengager la Ré
publique. Elle lit le peuple romain son héritier principal, et
pour ce luy fut édifié dans Rome un temple très-somptueux,
qui de Flora fut appelé Florian.
La première fesie que l'empereur Galba célébra jamais fut celle
de l'amoureuse Flora, en laquelle esloit permis aux Romains e!
Romaines de faire toutes les desbauches, deshonnestelez, sallau-
deries et débordements à l'envy dont se pourroient adviser; en
sorte que l'on estimoil la plus sainte et la plus gallante celle qui,
ce jour-là, faisoit plus de la dissolue et de la deshonneste et
débordée. Pensez qu'il n'y avoit ny fiscaigne (que les chambrières
et esclaves mores dansent les dimanches à Mallhe en pleine
place devant le monde), ny sarabande qui en approchast, et
qu'elles n'y oublioient ny mouvement ny remuements lascifs, ny
gestes paillards, ny tordions bizarres; el qui en pouvoit escogiter
de plus dissolus et débordez, tant plus gallante esloit la dame ;
d'autant que telle opinion estoit parmi les Romains, que, qui alloit
au temple de celte déesse en habit et geste et façon plus lascive et
paillarde, auroit inesme grâce et opulenis biens que Flora avoit eu.
Vrayment voila de belles opinions et belle1 solemnisation de festes;
aussi estoient-ils payens : là-dessus ne faut douter si elles y ou-
blioieut nul genre do lasciveté, et si longtemps avant ces bonnes
dames estudioient leurs leçons, ny plus ny moins que les nostres
à apprendre un ballet, et si elles esloient affectionnées en cela.
Les jeunes hommes, voire les vieux , y esloienl bien autant
empressez à voir et contempler telles lascives simagrées. Si telles
se pouvoient représenter parmy nous, le monde en feroil bien
son proffit en toutes sortes; et pour eslre à telles veuës le monde
se lueroit de la presse. Il y a assez-là à gloser qui voudra; je le
laisse aux bons galands : qu'on lise Suelone, Pausanius grec et
Manilius latin, aux livres qu'ils ont fait des dames illustres,
fameuses et amoureuses, on verra tout. Ce conte encor, et puis
plus.
Il se lit que les Lacédémoiiiens allèrent une fois pour mettre le
siège devant Messene, à quoy les Mecéniens les prévindrent, car
ils sortirent d'abord sur eux les uns et les autres, tirèrent et cou-
•ureiit à Lacédémone, peasant la surprendre et la ciller cependant
16
182 VIES DES DAMES GALANTES.
qu'ils s'atmisoient devant leur ville ; mais ils fufent valeureu
sement repousses et chassés par les femmes qui estoienl de
meurées : ce que sçarhants, les Larédémoniens rebroussèrent
chemin et tournèrent vers leur ville: mais rie loin ils découvrent
leurs femmes louies en armes, qui avoient donné la chasse, «lout
ils furent en alarme ; mais elles se firent au<si-lost à eux reto-
gnoislre et leur racontèrent leur fortune, -dont ils se m. reut de
joie à les baiser, embrasser et caresser, de tele S'irte que,
perdants loute honte, et sans avoir la patience d'osier leurs armes,
ny eux ni elles, leur firent cela bravement en mesme place qu'ils
les rencontrèrent, où l'on put voir choses et autres, et "uyr un
plaisent son et cliquetis d'armes et d'autre chose; en mémoire de
quoy ils tirent bastir un temple et simulacre à la déesse Venus,
qu'ils appelèrent fenus l'armée, au contraire de tous les autres,
qui la peignent toute nue. Voilà une plaisante cohabitation, et un
beau sujet de peindre Vénus armée, et l'appeler ainsi ! Il se voit
souvent parmi les gens de guerres, mesmes aux prises de vdles
par assauts, force soldats tous armés jouir des femmes, n'ayant le
loisir et la patience de se désarmer pour passer leur rage et
appétit, tant ils sont tentez; mais de voir le soldat armé habiter
avec la femme armée, il s'en void peu. Il faut là-dessus songer le
plaisir qui s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoir esire en
ce beau mystère, ou pour l'action ou pour la veuë, ou pour la
sonnerie des armes. Cela gist' en l'imagination qu'on en pourrait
faire, tant pour les agents que pour les arregardants qui estoienl
là pour lors. Or c'est assts, faisons fin : j'eusse fait ce discours
plus ample de plusieurs exemples, mais je craignuis que, pour
estre trop lascif, j'en eusse encouru mauvaise réputation.
Si faut-il qu'après avoir tant loué les belles femmes, queje fasse
.(6 conle d'un Espagnol qui, voulant mal à une femme, me le
dépeignit un jour comme il fa loii, et me dit : Señor, vieja; es
como la lampada azànluntida d'iglesia, y de hechura del ar
mario larga y desvayada, el color y gesto como mascara mal
pintada, el talle como una campana o mola de molino, la
vis/acornó ídolo del tiempo aiitiquo, el andar y visión duna
antigua fantasma de lanochf, que tanto Invies^e encontrar la
de ioc/»e, come ver una man dagora. Jesús, Jesús, Dio? me
libre ÙP su malenc- entro, no se comenta de tener en su casa,
por hiuaped al provisor de obisbo, ny se contenía con la dema-
sia da conversación del vicario, ny del guardián, ny de 1л
г
DISCOURS II. . 183
amistad antigua del dcen, sino que agnra de tmevn atnmarln al
qitr pide para las animas du purgatorio, paraeribrtr su negra
vida. CVsl-à dire : « Voyez la ; elle est connue une lampe vieille et
» loule graisseuse d'huile d'église ; de forme el façon, elle ressemble
» un ar noire grand el vague el mal bastí; la couleur ei la y race.
»comme d'un masque mal peint; la taille comme une cloche de
»moiiaslèie ou meule de moulin; le visa. e comme d'uo idole du
» lemps pa<sé; le regard el l'aller comme un faniosme antique
» qui vji de nuicl : de soné que je craindrnis autant de 1м ren-
» contrer île nuici comme de voir une mai'dra^inv. Jesus ! Jesus!
» JJieu m'en fiar.le de telle renronire I Elle ne se contente pas
» d'avoir pour lioste ordinaire chez soy le prov seur de l'evesque,
» ny se oonienie de la démesurée conversation du vicaire, ny de la
» continue visite du gardien, n y de l'ancienne amitié du doyen,
» su on qu'à cette heure de nouveau elle a pris en main celui qui
» demande pour les âmes du ¡'urga'oire, el ce pour achever sa
» noire vie. » Voilà comment l'Espagnol, qui a si bini dépeint
les Irenle lieaulez d'une dmiie, comme j'ay dit cy-tles»us en ce
discurre, quand il veut, la sçuit bien déprimer.
Í84 VIES DES DAMES GALANTES.
DISCOURS TROISIÈME.
Entre plusieurs belles beantez que j'ay veu louer quelques fois
parmi nous auires courtisans, et autant propres a attirer à l'amouf,
c'est qu'on estime fort une belle jambe à une belle dame, Лот
j'ay veu plusieurs dames en avoir gloire, et soin de les avoir et en-
treienir belles. Entre autres, j'ay ouy raconter d'une très-grande
princesse de par le monde, que j'ay cogneu, laquelle aimoil une
de ses dames par-dessus toutes les siennes, et la favorisent par-des
sus les autres, seulement parce qu'elle luy liroit ses chausses si
bien tendues, et en accommodoit la grève, et metioit si proprement
la jarretière, et mieux que toute autre, de sorte qu'elle estoit fort
avancée auprès d'elle, mesme luy fit de grands biens : et par ainsi,
sur celte curiosité qu'elle avoit d'entretenir ainsi sa jambe belle,
faut penser que ce n'esioit pour la cacher sous sa Juppé, ny son
cotillon ou sa robbe, mais pour en faire parade quelques fois avec
de beaux calleçous de toille 4'or et d'argent, ou d'autre estotTe,
très-proprement et mignonnement faits, qu'elle portoit d'ordinaire :
car l'on ne se plaist point tant en soy, que l'on n'en veuille faire
part à d'autres de la veuë et du reste. Cette dame aussi ne se pou-
voit pas excuser en disant que c'estoit pour plaire à son тагу,
comme la pluspart d'elles le disent, et mesmes les vieilles, quand
elles se font si pimpantes et gorgiases, encores qu'elles soient
vieilles; mais celte-cy estoit veufve : il est vray que du temps de
son тагу elle faisoit de mesme, et pour ce ne voulut discontinuer
par amprès, l'ayant perdu. J'ay cogneu force belles, bonnestes da
mes et iules, qui sont autant curieuses de tenir ainsi précieuses et
propres et gentilles leurs belles jambes : aussi elles en ont raison,
car il y gist plus de lascivelé qu'on ne pense. J'ay ouy parler d'une
très-grande dame, du temps du roy François, et très-belle, la
quelle, s'estant rompu une jambe, et se l'estant faille rabiller, elle
trouva qu'elle a'estoit pas bien, et estojt demeurée toute torio : elle
DISCOURS II. J8S
fut si résolue, qu'elle se la fit rompre une aulre fois au rabilleur,
pour la remettre en son point, comme auparavant, et la rendre
aussi belle et aussi droite. 11 y en eut quoiqu'une qui s'en csbahit
ion ; mais à celle une autre belle dame fort entendue fit response
e^ lui dil : « A ce que je vois, vous ne savez pas quelle vertu amou
reuse porte eu soy une belle janibe. »
— J'ay cogneu auireslois une Ibrl belle et honnesle fllle de par
le monde, laquelle estant fort amoureuse d'un grand seigneur,
pour l';itlirer à soy, et en escroquer quelque bonne pratique, et
n'y pouvant parvenir, un jour, eslant en une allée de parc, el le
voyant venir, elle fit semblant que sa jarretière lui tomboit;
et, se mettant un peu à l'escart, baussa sa jambe, et se mit à ti
rer sa cliausse et rabiller sa jarretière. Ce grand seigneur l'ad-
visa fort, et en trouva la jambe nés-belle, et s'y perdit si bien,
que celle jambe opéra en luy plus que n'avoil fait son beau vi
sage ; jugeant bien en soy que ces deux belles colonnes sousle-
noienl un beau bastiment; cl depuis 1 advoua-l-il à sa maislresse,
qui en disposa après comme elle voulut. Notez cette invention
et gentille layon d'amour.
— J'uy ouy parler aussi d'une belle et honnesle dame, sur
tout fort spirituelle, de plaisante et bonne humeur, laquelle, SR
faisant un jour tirer sa chausse à so:i vallei-Je-chambre, elle
luy demanda s'il n'entroit point pour cela en ruth, leniation et
concupiscence (l) : encore dit-elle et franchit le mol loui outre.
Le vallet, pensant bien dire, pour le respect qu'il luy portoit,
respondit que non. Elle soudain, haussant la main, luy donna
un grand soufflet. « Allez, dit-elle, TOUS ne me servirez jamais
» plus ; vous estes un sot, jo. vous donne vostre congé. » 11 y a
force valléis de lilies aujourd'huy qui ne sont si continents, en
levant, habillant et chaussant leurs maistresses : il y a aussi des
geniilshommcs qui n'eussent fait ce trait, voyant un si bel appas.
Ce n'est d'aujourd'huy seulement que l'on a estimé la beauté
des belles jambes et beaux pieds, car c'est une mesme chose;
mais, du temps des Romains, nous lisons que Lucius Vitellius,
père de l'empereur Vitellius, estant fort amoureux do Messalme,
et désirant estre en grâce avec son тагу par son moyen, la pria
i
DISCOURS III. 195
tant que ce gros pied bot luy rend une difformité par trop grande,
car si le pied n'acrompngr.e la jambe en bolle chaussure el geii-
lille l'orme, luul n'en vaut rien, ' ourqnoy les dûmes qui pren
nent res gros el gr:m Is lourdauts de paiins pensent embellir et
enrichir leurs tailles el p:ir elles s'en faire mieux aimer el pa-
roisire ; mais de leur cosé elles appauvrissent leur belle jambe
el belle grève, qui vaut bien autant eu son nalurel qu'une gramle
tail'e contrefaite. Aus-i, le lern [>s passé, le beau pied pnrloii une
telle last ivelé en soy, que plusieurs dames romaines prudes el
ch^sies, au moins qui le vouloient contrefaire, et encore aujourd'hny
plusieurs autres en Italie, à l'imiiation du vieux temps, font auianl
de scrupule île le mousirer au monde comme leur visage, el le
cai-lienl sous leurs grandes icibbes le plus qu'eIKs peuvent afin
qu'on. ne le voye pas, el conduisent en leur marcher si sagement,
diserelemenl el compassémenl, qu'il ne passe jamais devant la
robbe. Cela est bou pf>ur celles c|ui sont confites en prend'liommie
ou semblance, el qui ne veulent point donner de tentation; nous
leur devons eel-e obligation, mais je croy que, si elles avoienl la
liberté, elles feroieul monstre et du pied el île la jambe el d'autres
clioses. Aussi qu'elles veulent mons¡rerá leurs marys, par certaine
hypocrisie et ce petit scrupule, qu'elles sont dames de bien : d'ail-
tenrs je m'en rapporte a ce qui en est.
Je sçay un gentilhomme fort gâtent et honneste, qui, pour
avoir veu à Rheims, au sacre au roy^dernier, la belle jambe,
cbau.-sée d'un bas de soie bbnc, d'une bêle et grande dame
veufve et de baute taille, par dessous les eschaflaux que l'on fait
pour les dames à voir le sacre, en devint si épris, que depuis il
se cuid.i désespérer d'amour; et ce que n'avoit peu faire le beau
visage, la belle jambe el la belle grève le lirent: aussi celte dame
mériioit bien en toutes ses belles parties de faire mourir un hon-
nesle gentilhomme. J'en ay tant cogneu d'autres pareils en cesle
humeur. Tant y .a, pour fin, ainsi que j'ay veu tenir par maxime
à plusieurs gallants courtisans mes compagnons, la monstre d'une
belle jambe el d'un beau pied estre fort dangereuse et ensorceler
les yeux lascifs à l'amour; et je m'esionne que plusieurs bons
escriv ins, tant de nos poetes qu'autres, n'en ont escrit des
louanges comme ils ont fait d'autres parlies.de leur corps. De
moy, j'en eusse écrit davantage; mais j'aurois peur que, pour
trop louer ces parties du corps, l'on m'ohjectast que je ne me
souciasse gueres des autres, et aussi qu'il me faul escrire d'au.
!96 VIES DES DAMES GALANTES.
tres sujets, et ne m'est permis de m'arresier tant sur un. Par-
quoy je fais Gn en disant ce petit mot: « Pour Difu, Mesdames,
» ne soyez si curieuses à vous faire paroisire grandes de taille
» et vous monstrer autres, que vous n'advisiés à la bcauic de vos
» jambes, lesquelles vous avez belles, au moins aucunes; mais
» vous en gastez le lustre par ces hauts patins et grands chevaux.
» Ceries il vous en faut bien ; mais si démesurément, vous en
» dégouslez le monde plus que vous ne pensez. »
Sur ce discours louera qui voudra les autres be.iulez de la
dame, comme ont bit plusieurs poêles; mais une belle jambe, une
grève bien façonnée cl un beau pied, ont une grande faveur et
pouvoir à l'empire d'amour.
DISCOURS 1V. 197
DISCOURS QUATRIÈME.
Sur leí femmes mariées, les veufvcs el les (¡Ibs; srovoir desquelles les un«
«ml plus portées à l'amour que les autres.
INTRODUCTION.
Í1VTICLE PREMIER.
(I) Le ihre itp ftc»¿ i-'i'S /Gonai.''* n'est ('roprcmeiit ци'шш sutiuu pour parveuir
i la dignité d'Evipertur.
SOÍ, VIES DES DAMES GALANTES.
eust sans doule très-mal traitée s'il eust veu le dedans : ce qui
fut une très-grande obligation de service, que la grande dame a
tousjours reconnu. Je sçay bien bien des dames pourtant, qui se
sont trouvées mal pour s'estre trop fiées h leurs servanles, et
d'autres aussi qui ont couru le mesme hazard pour ne s'y estre
pas liées. J'ay ouy parkr d'une dame belle et honnesle, qui
avoit pris et choisi un gentilhomme des braves, vaillants et ac
complis île la France, pour lui donner jouissimce et plaisir de
sou gentil corps. Elle ne se voulut jamais fier à pas une de ses
femmes, et le rendez-vous ayant esté donné eu un logis autre que
le sien, il fut dit et concerté qu'il n'y auroit qu'un lict en la cham
bre, et que ses femmes coucheraient à l'antichambre. Comme
il fust arresté ainsi fut-il joué ; et d'autant qu'il se trouva une
chalonniére à la porte, sans y penser et sans y avoir préveu que
sur le coup, ils s'advisèrent de la boucher avec un ais, afin que,
si l'on la venoit à pousser, qu'elle fist bruit, qu'on l'entendist,
et qu'ifs fissent silence et y pourveussent. Or, d'autant qu'il y
avoil anguille sous roche, une de ses femmes, fasdiée et despi-
tée de ce que sa maisiresse se deffioit d'elle, qu'elle tenoit pour
la plus confidente des siennes, ainsi qu'elle luy avoit souvenles-
fois monstre, elle s'advisa, quand sa maistresse fut couchée, de
faire le guet et estre aux escoutes à la porte. Elle l'enlendoit
bien gazouiller tout bas; mais elle connut que ce n'esloit point
la lecture qu'elle avoil accoustumé de faire en son lict, quelques
jours auparavant, avec sa bougie, pour mieux colorer son fait.
Sur celte curiosité qu'elle avoit de sçavoir mieux le tout, se pré
senta une occasion forl bonne et fort à propos : car, estant enlré
d'avanlure un jeune chat dans la chambre, elle le prit avec ses
compagnes, le fourra et le poussa par la chatonnière en la
chambre de sa maisiresse, non sans abattre l'ais qui l'avoit fer
mée, ny sans faire bruit. Si bien que l'amant et l'amante, en es
tant en cervelle, se mirent en sursaut sur le lict, et advisèrent, à
la lueur de leur flambeau et bougie, que c'estoit un chat qui
estoit entré et avoit fait tomber la trappe. Parquoy, sans autre
ment se donner de la peine, se recouchèrent, voyant qu'il estoil
tard et qu'un chacun pouvoit dormir, el ne refermèrent pour
tant la dite chalonniére, la laissant ouverte pour donner passage
au retour du chat, qu'ils ne vouloicnt laisser là-dedans renfermé
tout la nuict. Sur celte belle occasion, la dite dame suivante,
avec ses compagnes, eut moyen de voir choses et autres de sa
DISCOURS IV. 509
maistresse, lesquelles, depuis, déclarèrent le tout au тагу, d'où
s'ensuivit la mort de l';mi mi et le scandale de la ilame. Voilà à
quoy sert un despil el une mesliance que l'on prend quelquefois
des personnes, qui nuit aussi souvent que la trop gr.inil con
fiance. Ainsi que je sçay d'un très-grand personnage, qui eut
une fois dessein de pren Ire toutes les filles de-chambre de sa
femme, qui esloit une irés-^rande et belle dame, et les faire
gesner, peur leur faire confesser tous les desporlenients de sa
femme el les services qu'elles lui faisoient en srs amours. Mais
celle parue pour ce coup fut rompue, pouréviier plus grand scan
dale. Le premier conseil vint d'une dame que je ne nomiiieray pus,
qui vouloil mal à celle grande dame : Dieu l'en punit ¡iprès.
Pour venir à I» fin de nos femmes, je conclus qu'il n'y a que les
femmes mariées dont on puisse lirer de bonnes denrées, et preste
ment ; car elles sçavent si bien leur meslier, que les pins lii.s et
les plus haut liupez de marys y sont trompez. J'ejj ay dit assez au
chapitre des cocus (1) sausen parler davantage.
ARTICLE II.
[I] Discourt I.
18.
ÎIO VIES DES DAMES GALANTES.
«l'une femme irnriée ny d'une veiifve; car elle, ayant penlu ce
tieau trésor, en est scandalise.', vilipendée, mo"Slree au doigt de
loul le monde, el perd de lies bons pailis de mamge, quoy que
j'en aye bien cogneu plu-ie';rs qui uni eu l.insjours quelque ma
lotru, qui, ou volontairement, ou à l'impiovisle, ou sciemment,
ou dans 1 ignorance, ou bien par contrainte, s'est allé jeller entre
leurs bras, et les espouserle'les qu'elles estoienl, encore bien-:cises.
J'en ay cogneu quantité des deux espèces qui ont p:issé par-là,
enir'aulres une servante qui se laissa fort scandaleusement en
grosser el aller à un prince de pur le monde, el sans cacher ny
niritre ordre à ses couches; et estant descouverle, elle i.e respnn-
doit autre ihose sinon : « Qu'y saurois-je faire? il ne m'en faut
» pas blasmer, ny ma faute, ny la pointe de ma chai.-, mais moa
» pi-u de prévoyance : car, si j'eusse esté bien fine et bien avi-
»sée, comme la plupart de mes compagnes, qui ont fait autant
»que moy , voire pis, mais qui ont lies-bien sceu remédier à
» leurs grossesses el à leurs couches, je ne lusse pas maintenant
» mise en celle peine, el on n'y t'iisl rien connu. » Ses compa
gnes, pour ce mol, luy en voulurent Ires-grand mal, el elle fut
renvoyée hors de la ironpe p:ir sa maistre^se, qu'on disoil pour
tant Iny avoir commandé d'obéir aux volonlez du prince; car
elle avoil aff.iire de Iny el desiroil le gagner. Au bout de quel
que temps, elle ne laissa ¡mur cela de trouver un bon party et se
marier rirhemcnl ; duquel mariage en cstoit sorty une trés-l.elle
lignée Voilà pourquoy, si celte pauvre fille eust été rusée comme
ses compagnes il autres, <ela ne luy (usl arrivé: c:ir, cerles, j'ay
vcu en ma vie des lilies aussi rusées et fines que les plus anciennes
femmes mariées, voire jusqu'à eslíe Ires-bonnes et l'usées maque-
rclles, ne se contentant de leur bien, mais en poui'chassoienl à auiniv.
— Ce fui une fille en noslre Cour qui invenía el lii jouer ceUe
bi'lle comédie inlitnlée le Pitrudi* а'Ашочг, dans lu salle de
Bourbon, à huis clos, où il n'y avoil que les comédiens, qui ser-
voient de joueurs el de spectateurs tout ensemble. Ceux quien
sçavenl l'histoire m'entendent bien. Elle fut jbüée par six per
sonnages de trois hommes et trois femmes; l'un esloil prince, qui
avoil sa dame qui esloil grande, mais non pas Irop aussi: toute
fois il l'aimoil fort : l'autre esloit un seigneur, el celui- à jnuoit
avec la grande dame, qui esloit de riche matière : le iroisiesme
estoii gentilhomme, qui s'apparioil avec la 'fille : car, la galante
qu'elle esloit, elle vouloit jouer son personnage aussi bien que les
DISCOURS IV. 211
autres. Aussi costumierement l'auteur d'une comédie jnù'e son
personnage ou le prologue, comme fil ie'le-là. qui certes, toute
fuie qu'elle estoil, le joua aussi bien, ou possible, mieux que les
mariées. Aussi avoit eue vu son monile ailleurs qu'en son p .ys,
et, comme <lit l'Espagnol, raffinada en Secobia, <i raffiné en Ségo-
vie, » qui est un proverbe en Espagne, d'autant que les bons draps
se nlfiiH-nt en Ségovie.
— J'ay ouy parler et raconter de beaucoup de filles, qui, en
servant leurs dames et mabtressi-s de danoleltes (>), voulp'ent
aussi lasier de leurs mnrce:«ix. Telles dames aussi souvent sont
esdavesde leurs damoiselles, craignants qu'elles ne les desconvrent
el pulmVnl leurs amours. Ce l'ut une fille à .qui j'ouys dire un
jmir que c'estoit une grande sotlise aux lilies de mettre leur hon-
ni'ur à leur devant, et que, si li-s unes, sottes, en Elisaient scru
pule, qu'elle n'en daignoil faire : el qu'à tout cela il n'y a que
i le srandale : mais la mode de lenir son cas. secrel el rallié ra-
bilie toul : et re sont des si II' s et indignes de vivre au monde,
qui- ne sVn sçaveni aider et la piaiiquer. Une dame espagnole,
i pensant que sa lille app'éheiidasl le forcement du premier lict
nuptial, el y allant, se mit à l'exhorter el persuader que ce n'es-
tuii rien, el qu'elle n'y nuroit poini de dnuleur el que île hou
cœur elle vou.lroil i stre en sa place pour Iny laire mieux ù con-
noisire: la fille respondii : Bi-zn lax manos, señora madce,'de
tal merced, que bien la tomare y» por ту ; c'est a dire: « Grand
» mercy, nia mère, d'un si bon office, que moy-mesme je me le
» fera y bien, и
— J'ay ouy raconter d'une fille île très-haul lignage, laquelle
s'en estant aidée à se donner du plaisir, on parla de la marier
vers l'Espagne. Il y eut quelqu'un de ses plus secrets amys qui
luy Jil un jour en jou'iit qii ils s'eslnnnnil lorl d'elle, qui avoil
laut aimé, le levant, de ci1 qu'elle alloit naviguer vers le couchant
et occident, paice que I Espagne est vers l'occident. La dame luy
respondit : « Ouy, j'ay ouy dire aux mariniers qui ont beaucoup
» voyagé, que la navigation d i levanle.sl très-plaisante el agréable ;
л ce que j'ay souvent praliqué par la boussole que je porte ordi-
» nuiremeiit sur muy; mais je .m'en aideray, quand je seray en
» l'ociidi-nt, pmir aller droit an levant. » Les bons mlerpréles
sçauronl bien interpréter celte allégorie et la deviner sans que je
(1) Conlidenlei.
SIZ WES DES DAMES GALANTES.
la glose. Je vous laisse à penser par ces mois si celle fille avoit
tousjours dit ses heures de Noslre-Dame.
— Une nutre que j'ay ouy nommer, laquelle ayant ouy raconter
des merveilles de la ville de Venise, de ses singularité!, el de la
liberté qui regnoil pour toutes personnes, et mcsme pour les pu
tains et courtisamies : « Hélas! dit-elle à une de ses compagnes,
» si nous eussions fait poiter lout iioalre vaillant en ce lieu-là par
» lettre île banque, et que nous y fussions pour faire celle vie
» courlisanesque, plaisante el heureuse, à laquelle toute autre ne
» sçauroil approi-her, quan>l bien nous serions empeii-res de tout
» le monde! » Vuilà un plaisant souhait, et bon ; el de fail, je croy
que celles qui veulenl l'aire cette vie ne peuvent eslre mieux que là.
— J'aymerois autant un souhait que fit une dame du lemps
passé, laquelle se faisant raconter à un pauvre esclave esrliapé de
la main des Turcs des tourmenls et maux qu'ils luy fuisoienl el à
tous les autres pauvres chrestiens, quand ils les lenoient, celuyqui
avoil eslé esclave luyen raconta assez., el de toutes sortes decruaulez.
Elle s'advisa.de lui demander ce qu'ils faisoienl aux femmes.
« Hélas! madame, dit-il, ils leur font lanl cela qu'ils lesen font
» mourir. — Pleusi-il doncqucs au ciel, respondii-elle, que je
» mourusse pour la foy ainsi martyre 1 »
— Trois grandes dames estoient ensemble un jour, que je
scay, qui se mirenl sur des souhaits. L'une dil : a Je voudrais
» avoir un tel pommier qui produisis! tous les aus autant de
» pommes d'or comme il produit de fruit naturel. » L'autre di-
soil : « Je voudrais qu'un tel pré me produisis! autant de perles
» et pierreries comme il fail de fleurs. » La troisième, qui es-
loil fille, dit : « Je voudrais avoir une suye donl les trous me
» valussent autant que celuy d'une telle dame favorisée d'un
» tel roy que je ne nommeray point; mais je voudrais que птоз
» trou fusi visité de plus de pigeons que n'est le sien. » Ces da
mes ne ressenibloient pas à une dame espagnolle dont la vie est
escrite dans {'Histoire d'Espagne, laquelle, un jour que le grand
Alphonse, roy d'Arragon, faisoit son entrée dans Sarragosse, se
vint jelier à genoux devant luy el luy demander justice. Le Boy
ainsi qu'il la vouloit ouyr, elle demanda de luy parler à pari, ce
qu'il luy octroya : et, s'estant plainte de son тагу, qui eoui.'hoit
avec elle trente-deux fois tant de ¡our que de nuici, qu'il ne luy i
donnoil patience, ny cesse, ny repos ; le Roy, ayant envoyé qué
rir le тагу et sccu qu'il esloit vrny, ne pendant point faillir
£_. .,
DISCOURS IV. 2t s
puis qu'elle esloit sa femme ; le conseil de Sa Majesté arresté
sur ce fail, le Roy ordonna qu'il ne la loudieroit que six l'ois;
non s;ins s'esmerveiller grandement ( dit-il ) de la grande chaleur
et puissance de cet homme, et de la grande froideur et conti
nence de cette femme, contre tout le naturel des autres (dit l'His
toire), qui vont à jointes mains requérir leurs marys et autres
hommes pour en avoir, et se douloir quand ils donnent à d'au
tres ce qui leur appartient. Cette dame ne ressemble!! pas à une
fille, damoiselle de maison, laquelle, le lendemain de ses nopces,
racontant à a'ucunes de ses compagnes ses adventures de la nuict
passée : « Comment! dit-elle, et n'est-ce que cela? Comme j'a-
» vois entendu dire à aucunes de" vous autres, et à d'autres fem-
» mes, et à d'autres hommes, qui font tant des braves et galants,
» et qui promettent monts et merveilles, ma foy, mes compa-
» gnes et »myes, cet homme ( parlant de son тагу), qui faisoit tant
» de l'cschaullé amoureux, et du vaillant, et d'un si bon coureur
» d« bague, pour toute course n'en a fait que quatre, ainsi que l'on
» court ordinairement trois pour la b:igue, et l'autre pour les da-
» mes : encore entre les quatre y a-l-il fait plus de poses qu'il n'en
» fut fait hier au soir au grand bal. » Pensez que puis qu'elle
se plaignoit de si peu, elle en vouloit avoir la douzaine : mais
tout le monde ne ressemble pas au gentilhomme espagnol.
Et voilà comme elles se moquent de leurs marys. Ainsi que
fit une, laquelle, au commertcemenl et premier soir de ses
nopces, ainsi que son тагу la vouloit charger, elle fil de la re-
vesche et de l'opiniastre fort à la charge. Mais il s'advisa de lay
dire que, s'il prenoit son grand poignard, il y auroit bien un
autre jeu, et qu'il y auroit bien à crier ; de quoy elle, craignant ce
grand dont il la menaçoit, se laissa aller aussitost : mais ce fui elle
qui le lendemain n'en eut plus peur, et, né s'estant contentée du
petit, luy demanda du premier abord où esloil ce grand dont il l'avoit
menacée le soir avant. A quoy le тагу respondit qu'il n'en avoit
point, qu'il se moquoit ; mais qu'il faloit qu'elle se contentas! de si
peu de provision qu'il avoit sur luy. Alors elle dit : « Est-ce bien
» fait cela, de se moquer ainsi des pauvres et simples (¡Iles î » Je
ne sais si l'on doit appeler cette fille simple et niaise, ou bien line et
rusée, qui en avoit taste auparavant. Je m'en rapporte aux diftíni-
teurs Bien plus esloit simple une autre fille, laquelle s'eslanl plainte
à la justice qu'un galant l'avoit prise par force, et luy enquis sur ce
fait, il respondil : « Messieurs, je m'en rapporte à elle s'il est vay,
JI4 VIES DES DAMES GALANTES.
я et si el'e-mesme n'a pris mon cas el Га mis de la main propre dans
» le sien. — Ha ! Messieurs, dit h fille, il est bien vray cela;
» mais qui ne IVusl fail ? car, après qu'il m'euM. couchée ei Irnus-
» see, il me mil sou tas roide el pniulu comme un busiou to tro
» le ventre, et m'en doiinoil de si grands coups que j'eus peur
» qu'ii ne me le perçasl el n'y list un irnu. Uame, je le pris alors
» el le mis dans le Irou qui estoil'loul fait. » Si celte tille esloil
simplette, ou le conlrefaisoil, je m'en rapporte.
— Je vous feray deux comptes de deux femmes mariées, sim
ples comme celle-là, ou bien rusées, ainsi qu'on voudra. Ce fut
d'une Ires-grande dame quej'ay connue, laquelle esloil très-belle,
et pour ri-la forl désirée. Ainsi "qu'un jour un tiès-grand prince
la requit d'amour, voire l'en solliciloii fort en luy promenant de
très-belles el grandes conditions, tant de grandeurs que de ri
chesses pour elle et pour sou тагу, tellement qu elle, »vaut de
telles douces tentations, y presta as-ez doucement l'oreille ; toute
fois du premier coup ne s'y voulut laisser aller, mais, comme
simplette, nouvelle et jeune mariée, n'ayanl encore vcu son
monde, vint di-scouvrir le tout à son тагу et luy demander avis
si elle le feroil. Le тагу luy respo dit soudain : « Kenny, m'a-
» mie. Hélas ! que penseriez-vous faire, et de quny parlez-vous î
» d'un infime trait à jamais irréparable pour vous el. pour moy.
» — Ha ! mais, Monsieur, répliqua la dame, vous serez aussi
» grand, el moi si grande qu'il n'y aura rien à redire. » Pour fin
le тагу ne voulut dire ouy ; mais la dame, qui commença a
prendre cœur par après et se faire habile, ne voulut perdre <-e
party, et le prit avec ce prince et avec d'autres encore, eu r. nonçant
à sa solle simplicité J'ay ouy faire ce coule à un qui le lenoil
de ce grand prince el l'avoil ouy de la dame, à laquelle il en fil
la réprimande, el qu'en telles choses il ne f.iioil jamais s'en con-
sed.er au тагу, et qu'il y avoit autre conseil eu sa Cour. Cette
dame estuil aussi simple, ou plus, qu une aulre que j'ay ouy
dire, à laquelle un jour un honnesle gentilhomme présentant sun
service amoureux assez près de sou тагу, qui enireienoil pour
lors de devis une aulre dame, il luy vint meure son eprevier,
ou, pour plus clairement parler, son in-lrunieni entre les mains.
Elle le pnl, et, le serrant fort esimileuieni el se lournanl vers
son тагу, luy dil : « Mon тагу, voyez le beau présent que me
» fail ce gentilhomme ; le rece\r.iy-je? dites le. moy. u Le pauvre
gentilhomme , estonué, relire à soy son eprevier de si grande
DISCOURS IV. 215
rudesse, que, rencontrant une pointe de diamant qu'elle avoit
au do'gt, le luy essertu de telle niçon d'un b'jut à l'autre, qu'elle
le cuida perdre du toul, et non saus grande douleur, voire en
danger «le la vie, ayant sorti de la, pone assez bisiivement, et
armusanl la chambre du sang qui desgomoii pur-tout M.iis le
тагу ne courut après luy pour luy fane am un outrage |iour ce
sujet; il s'en mil seulement fort à riic, lanl pour h simplicité
de sa pauvre femmelene, que pour le beau présent produit, joint
qu'il en esloit assez puny. Voilà deux femmes fuit simples,
lesquelles, et quelques nues de leurs semblables ('car il y en a
assez), ne ressemblent pas à plusieurs et à une inimité qui sa ren
contrent dans le monde, qui sont plus doubles et fines que celles-là,
qui ne demandent conseil à leurs marys, и у qui leur montrent tels
présents qu'on leur fait.
J'ay ouy raconter en Espagne d'une fille, laquelle la première
nuict de ses nopces, ainsi que son тагу s'eliorçoii et s'ahanoit (l)
de forcer sa forteresse, non sans se faire mal, elle se mit à rira
ei lui dire : Señor, bien es razón que *e<¡ys niarlyr, pue* que io
soy virgen ; mas, pues que io tomo la paíienlia, bien la podeys
tomar ; c'est à-dire : « Seigneur, c est bien raison que vous
» soyez martyr, puis que je suis vierge ; mais d'autant queje prends
» patience, vous la pouvez bien prendre » Celle-là, en revanche
de l'autre qui s'esloit moqué de sa femme, se moquoit bien de son
тагу. Comme certes plusieurs filles ont bien raison de se moquer
à telle nuict, mesme quand elles ont sceu auparavant ce que c'est,
ou l'ont appris d'autres, ou d'elles-mesmes s'en sont douiées et
imaginées ce grand point de plaisir qu'elles estiment très grand
el perdurable. Une autre dame espagnole, qui, le lendemain de ses
nopres, racontant les vertus de son тагу, en dit plusieurs, fors,
dit-elle, qne no era buen contador y arithinelico, porque no
sapra multiplicar', en françois, « qu'il n'estuit point bon comp-
» leur ei arithméticien, parce qu'il ne sçavoit pas multiplier. »
Une dame de bon lieu et de bonne maison, que j'ay connue et
ouy parler, le soir de ses nopces, que chacun esloit aux escoutes
à l'acconslumée, comme son тагу luy eusl livré le premier assaut,
estant un peu sur son repus, non pas du dormir, luy demanda si
.elle en voudroil encore; gentiment elle luy respondit : Ce qu'il
vous plaira, monsieur. » Pensez qu'à telle response le galant тагу
14 Discours I.
(2) L'honneur de la citadelle est saule.
ÏÎO VIES DES DAMES GALANTES.
pour la haine et l'envie que je luy porte, ainsi que M. de Ron
sard parloit h un médecin qui vei.oit voir sa maistresse soir et
malin, plus pour luy laster son telón, son sein, son ventre, son
flanc et son beau bras, que pour la médee.iner de la fièvre qu'elle
avoil; dont il en lit un très-gentil sonnet, qui est dans son second
livre des Amours, qui se commence :
¡Ц Г.Л1ШК.
(5) Osl-a-cliru : D'une mule ni lait Un, et d'une lillc qui parle latió, délivra
•oui, Scigucur.
19.
Bîî VIES DES DAMES GALANTES.
maislres veulent esire meschants, et qu'ils font de telles leçons à
leurs disciples, comment ils les sçavent engraveret donner lasaulce,
que le plus pudique du monde s'y laisseroit aller. Saint Augustin
mcsmes, en usant le qualrième livre de ['Enéide, où sont contenus
les amours et la mort de Didon, ne s'en esmeut-il pas de compas
sion, et ne s'en adolora? Je voudrois avoir autant de centaines d'es-
eus comme il y a eu de filles , tant du monde que de religieuses,
qui se sont emeues , pollues et despucelées , par la lecture
ifAmadis de Gaules. Je vous laisse à penser que pouvoient
faire des livres grecs, latins et aulres, glosez, commentez et
interprétez par leurs maistres , fins renards et corrompus, mes-
chanls garnements, dans leurs chambres secrètes et parmy leurs
oisivelez.
— Nous lisons en la vie de saint Louis , dans VHistoire de
Paul Emile, d'une Marguerite, comtesse de Flandres, sœur de
Jeanne, tille du premier Baudouin, empereur de Grèce et qui
Iny succéda, d'autant qu'elle n'eut point d'enfants, dit l'his
toire : on luv bailla en sa première jeunesse un précepteur ap
pelé Guillaume, homme de sainte vie, estimé, et qui avoit déjà
pris quelques ordres de preslrise, qui néanmoins ne l'empescha
p:is de f:\ire deux enfants à sa disciple, qui furent appelés Jesn
et Beaudouin, et si secrètement que peu de gens s'en apperceu-
rent, lesquels furent après pourtant approuvez légitimes du pape.
Quelle sentence et quel pédagogue ! Voyez l'histoire.
— J'ay cogneu une grande damé à la Cour, qui avoit la répu
tation de se faire entretenir à son liseur et faiseurda leçons; si bien
que Chicot, bouffon du Roy, luy en fit le reproche publiquement
devant Sa Majesté et force aulres personnes de sa Cour, luy disant
si elle n'a voit pas de honte de se faire entretenir (disant le mot) à
un si laid et si vilain masle que celuy-là, et si elle n'avoit pas
l'esprit d'en choisir un plus beau. La compagnie s'en mit fort à rire
et la dame à pleurer, ayant opinion que le Roy avoit fait jouer ce
jeu ; car il estoil couslumier de faire jouer ces esieufs. Celte dame,
et les autres qui font telles élections de telles manières de gens,
ne sont nullement excusables, mais bien fort blasmables d'autant
qu'elles ont leur libéral arbitre, et toutes franches soûl pleines de
leurs libériez et commodilez pour faire tel choix qu'il leur plais!.
Mais les pauvres filles qui son t siijeltesesclavesde leurs pères et m ères,
parents, tuleurs, maistresses, el craintives, sont contraintes de pren
DISCOURS IV. 5ÎS
dre toutes pierres quand elles les trouvent, pour mettre en œu
vre, et n'aviser s'il est froid ou chaud, ou rosly ou bouilly : et
par ce, selon que l'occasion se rencontre, tant qu'elles se servent
le plus souvent de leurs valets, de leurs maislres d'escole et d'es-
tude, des joueurs de lulh, des violons, des appreneurs de danses,
des peintres, bref, de ceux qui leur apprennent des exercices et
sciences, voire d'aucuns prescheurs, comme en parle Bocace, et la
Reynede Navarre en ses Nouvelles; comme font aussi des piges
comme j'en ay connus, et des laquais, enfin de ceux qu'elles trou
vent à propos. El voilà pourquoy le mesme Bocace, et autres
avec luy , trouvent que les tilles simples sont plus constantes en
amours et plus fermes que les femmes elveufves; d'autant qu'elles
ressemblent les personnes qui sont sur l'eau dans un bateau qui
vient à s'enfoncer : ceux qui ne savent nager nullement se vien
nent à prendre aux premières branches qu'ils peuvent attraper, et
les tiennent fermement et opiniasttement jusque ce que l'on les
soit venu secourir ; les autres, qui sçovenl bien nager, se jettent
dans l'eau, et bravement nagent jusques à ce qu'elles en ayent
atteint la rive: tout de mesmes les filles, aussi-tnst qu'elles ont
attrapé un servileur, lequel elles ont premier choisi, le tiennent
«t le gardent fermement, tellement qu'i Iles ne veulent désamparer
et l'aiment constamment, de peur qu'elles ont de n'avoir la liberté
et la commodité d'en pouvoir recouvrer un autre comme elles vou-
droient ; au lieu que les femmes mariées ou venfves, qui sça-
vent les ruses d'amour et qui sont expertes, et en ont les libériez
et commoditez de nager dans des eaux sans danger, prennent
tel party qu'il leur plaist; et si elles se faschent d'un serviteur ou
le perdent, en savent aussi-lost prendre un nouveau ou en recouvrent
deux; car à elles, pour un perdu deux recouverts. Davantage,
les pauvres filles n'ont pas les moyens, ny les biens, ny les escus,
pour faire les acquiets tous les jours de nouveaux serviteurs;
«ar , c'est tout ce qu'elles peuvent donner à leurs amou
reux, que quelques petites faveurs de leurs cheveux, ou petites
perles, ou grains, ou bracelets, quelques petites bagues ou es-
cliarpes et autres petits menus présenta qui ne coustent guères ;
car, quelque fille, comme j'en ay veu, grande, de bonne maison
et riche »héritière qu'elle soit( elle est, tenue si courte en ses
moyens, ou de ses père et mère, frères, parents et tuteurs;
qu'elle n'a pas les moyens de les despartir à son servileur ny
«t VIES DES DAMES GALANTES.
desüiT guère largement sa bourse, si ce n'est celle du devant :
et aussi que d'elles-mesmes elles sont avares , quand ce ne su
roît que celte seule raison qu'elles n'ont guères de quoy pour
eslargir , car la libéralilé consiste et dépend du (out des moyens.
Au lieu que les femmes el veufves peuvent disposer de leurs
moyens fort librement, quand elles en ont : el mesme quand
elles ont envie d'un Inmune, et qu'elles s'en viennent enamou-
racber el enciipricher, elles ven-lroient et donneraient jusqu'à
leur chemise plustosl qu'elles n'en lestassent; à la mol«; des
(muís et de ceux qui sont sujets à leur bouche, quand ils ont
envie d'un bon morceau, il faut qu'ils en laslent, quoy qu'il
leur couste au marché : Ces pauvres filles ne sont de mesme,
lesquelles, selon qu'elles le rencontrent, ou bons ou mauvais, il
faut qu'elles s'y arrestent. J'en alléguerois une infinitó d'exemples
de leurs amours et de leurs divers appeiils et bizarres jouissances ;
mais je n 'aurais jamais liny, et aussi que les conles n'en vaudroienl
rien si on ne les nommoit et par nom el par surnom, ce queje
ne veux faire pour tout le bien du monde, car je ne les veux
scandaliser, el j'ay prolesié de fuyr en ce livre lout scandale, car
on ne me scauroit reprocher d'aucune médisance. Et pour alléguer
des contes et osier les noms, il n'y a nul mal, et j'en laisse à deviner
an monde les personnes dont il est question ; et bien souvent en
penseront une qui en sera l'autre.
— Or, tout ainsi que l'on voit des bois de telles et diverses na
tures, que les uns bruslent tous verts, comme est le fresne, le
fayan ; el aussi-lost d'austres, qui auraient beau eslre secs, vieux
•el laillezde long-temps, comme est l'honimeau, le vergne, el d'au
tres, né bruslent qu'à toutes les longueurs du monde : force autres,
comme est le général naturel de tous bois secs el vieux, bruslent
•en leurs seieheresscs el vieillesse si soudainement, qu'il semble
qu'il soil pluslosl consommé et mis en cendres que bruslé. De
•mesmes sont les filles, les femmes el les veufves : les unes, des
lors qu'elles sont en la verdeur de leur âge, bruslenl aisément el
si bien, qu'on diroil que dès le venire de leur mère elles en rap
portent la chaleur amoureuse et le pulanisme ; et ainsi que fil h
belle Laïs de la belle Tiinandrc, sa putain de mère Ires-insigne,
jusques là qu'eue n'attend pas seulement le temps de maturité,
qui peul eslre à douze ou treize ans, qu'elle monte en amour,
interne plustosl, ainsi qu'il advint ¡1 n'y a pas douze ans à Paris,
d'une fille d'un pâtissier, laquelle se trouva giosseen l'âge de neuf
DISCOURS IV. ÎÎ5
ans (t) ; si bien qu'estant fort malade de sa grossesse, son père en
ayant porté de l'urine au médecin, ledit médecin dit aussi-tost
qu'elle n'avoit autre maladie, sinon qu'el'e esloil grosse. « Com-
» ment ! responditle père, monsieur, ma fille n'a que neuf ans. u
Qui fut esbahy? ce fut le médecin. « C'est tout un, dit-il ; pour
» le seur elle est grosse. » Et, l'ayant visitée de plus près, il la
trouva ainsi ; et ayant confessé avec qui elle avoit eu à faire, son
galand fut puny de mort par la justice, pour avoir eu à faire à
elle à un âge si tendre, et l'avoir fait porter si jeunement. Je suis
bien тагу qu'il m'ait fallu apporter cei exemple et le mettre icy,
d'autant qu'il est d'une personne privée et de basse condition,
pour ce que j'ay délibéré de n'escbfourer mon papier de sipeliles
personnes, mais de grandes et hautes. Je me suis un peu extra-
vague de mon dessein ; mais , par ce que ce conte est rare et inu
sité, je seray excusé; et aussi que je ne sçache point tel miracle
advenu à nos grandes dames d' estât, que j'aye bien sceu, ouy
bien qu'en tel âge de neuf, de dix, de douze et de treize ans, elles
ayent porté et enduré furl aisément le masle, soit en fornication,
soit eu mariage, comme j'en alléguerais plusieurs exemples de
plusieurs desvirginées en telles enfances , sans qu'elles en soient
mortes, non pas seulement pasmées du mal, si-non du plaisir.
Surquoy il me souvient d'un conte d'un galant et beau seigneur
s'il en fut oncques, lequel est mort, et, se plaignant un jour de la
capacité de la nature des filles et femmes avec lesquelles il avoit
négocié, il disoit qu'à la fin il serait contraint de rechercher les
filles en famines, et quasi sortantes hors du berceau, pour ny sen
tir tant de vagues en si pleine mer, comme il avoit fait avec les
autres, et pour plus à plaisir nager à un destroit. S'il eust adressé
ces paroles à une grande et honneste dame que je connois, elle
lui eust fait la mesme response qu'elle fit à un gentilhomme de
par le monde, qui, lui faisant une mesme complainte, elle luy
respondit : « Je ne sçay qui 'se doit plustost plaindre, ou vous
>• uniros hommes de nos capacitez et amplitudes, ou nous autres
» femmes de vos petitesses ou menuises, ou p'ustost petites me-
» nuseries; car il y a autant à se plaindre un vous autres que vous
» en nous, que si vous portiez vos mesures pareilles à nos calibres,
|l| Ser™.
r 20
230 VIES DES DAMES GALANTES.
jolis, gentils el enjouez en leur poil füllet; mais, venant sur l'ange,
ils se convertissent en malice et à mal faire. Telles filles que je viens
de dire foot de mesme, lesquelles, après s'estre bien jouées
et passé leurs fantaisies en leurs plaisirs, et jeunesses en chasses,
en bals, en voiles, en courantes et en danses, ma foy, après
elles se veulent meure à la grande danse et à la douce carolle de
la déesse d'amour. Bref, pour faire fin finale, il ne se voit guères
de filles, femmes ou veufves qui lost ou tard ne bruslent, ou
en leurs saisons ou hors de leurs saisons, comme tous bois,
fors un qu'on nomme larix, duquel elles ne tiennent nullement.
Ce larix donc est un bois qui ne brusle jamais, et ne fait feu, nj
ilumme, ny charbon, ainsi que Jules César en fit l'expérience
retournant de la Gaule. Il avoit mandé à ceux du Piedmont de hvv
fournir vivres et dresser estappes sur son grand chemin du camp.
Ils luy obéyrent, fors ceux d'un chasteau appelé Larignum, où
s'estoient retirés quelques meschanls garnements, qui firent des
refusants et rebelles, si bien qu'il fallut à César rebrousser et
les aller assiéger. Approchant de la forteresse, il vit qu'elle n'es-
toit fortifiée que de bois, dont il s'en moqua, disant que soudain
il l'auroit. Parquoy commanda aussi-tost d'apporter force fa
gots et paille pour y mettre le feu, qui fut si grand et fit
ai grande flamme, que bien-lost on en espéroit voir la ruiue et
destruction ; mais, après que le feu fut consommé et la flamme
disparue, tous furent bien eslonnez, car ils virent la forteresse
en mesme estai qu'auparavant et en son entier, et point brus-
10 e ny ruynée : dont il fallut à César qu'il s'aidast d'autre re
mède, qui fut par sappe, ce qui fut cause que ceux de de
dans parlementèrent et se rendirent ; el d'eux apprit César la
vertu de ce bois larix, duquel portoii nom ce chasteau Larignum,
parce qu'il en estoil basli et fortifié. Il y a plusieurs pr-res, mè
res, parents et marys, qui voudraient que leurs filles el femmes
participassent du naturel de ce bois, ils en auraient leur esprit
plus content, et n'auroienl si souvent la puce en l'oreille, el n'y
aurait tant de putains ny de cocus. Mais il n'en esl pas debe.-.oia, car
le monde en demeurerait plus despeuplé, el y vivroit-ou comme
marbres, sans aucuns plaisirs ny sentiments, ce disoit quelqu'un;
et quelqu'une que je sçay, et nature demeurerait imparfaite ; au
lieu qu'elle est très parfaite, laquelle si nous suivons comme un bon
capitaine, nous ne sortirons jamais du bon chemin.
DISCOURS IV. 23«
ARTICLE HI.
Or, c'est assez parlé des filles, il est raison maintenant que
nous parlions de mesdames les veufves à leur tour. L'amour des
veufves est bon, aisé et profitable, d'autant qu'elles sont en leur
pleine liberté, et nullement esclaves des pères, ineres, frères, pa
rents et marys, ny d'aucune justice, qui plus est. On a beau faire
l'amour à une venfve et coucher avec, on n'en est point puny,
comme l'on est des filles et des femmes. Mesmes les Romains, qui
nous ont donné la plusparl des loix que nous avons, ne les ont ja
mais fait punir pour ce fait, ny en leur corps ny en leurs biens :
ainsi que je liens d'un grand jurisconsulte, qui m'alléguoit là-des-
sns Papinian, ce grand jurisconsulte aussi, lequel, trailant de la
matière des adultères, dit que, si quelquefois par mesgarde on avoit
compris sons ce nom d'adultère la honte de la tille ou de la veufve,
c'estoit abusivement parler ; et en autre passage il dit que l'hériiier
n'a nulle réprimende ou esgard sur les mœurs de la veufve du def-
funt, n'esloil que le тагу en son vivant eust fait appeler sa femme
en justice pour celavcar lors ledit héritier en pouvoit prendre arre-
menis de la poursuite, et non autrement. Et, de fait, on ne trouve
point en tout le droit des Romains aucune peine ordonnée à la
•veufve, si-non à celle qui se remarieroil dans l'an de son deuil, ou
qui, ne se remariant, avoit fait enfant après l'onsiesme mois d'un
mesine an, estimant le premier an de son veufvage estre affecté à
l'honneur de son premier lict. El, quant à son douaire, l'héritier ne
luy eust sceu faire perdre, quand bien elle eust fait toutes les folies
du monde de son corps; et en alleguoit une belle raison (celuy de
qui je tiens cecy ) ; car si l'héritier qui n'a aucun pensement que le
bien, en luy ouvrant la porte pour accuser la veufve de ce forfait et
la priver de son dot, on l'ouvrirait tout d'une main à la calomnie ;
et n'y auroil veufve, si femme de bien fust-elle, qui pust se sauver
des calomnieuses poursuites de ces galants héritiers, selon ces dires.
Comme je voy, les veufves romaines avoient bon temps et bon su
jet de s'esbattre : et ne se faut estonner si une, du temps de Marc
Anrele, ainsi qu'il se trouve en sa vie, comme elle alloit au con
voy des funérailles de son тагу, parmy ses plus grands cris, sau
532 VIES DES DAMES GALANTES.
glots, soupirs, pleurs el lamentations, serrait la main si estroitement
à cduyqui la lenoit etconduisoil, faisant signal par-là quec'estoit
en nom d'amour et de mariage, qu'au bout de l'an, ne le pouvant
espnuser que par dispense (ainsi que fut dispensé Pompée quand
il espousa la lille de César ; mais elle ne se donnoit guéres qu'aux
p!u? grands et grandes, comme j'ay ouy dire à un grand per
sonnage), il l'espousa, et cependant en tiroil tousjours de bons
brins, et ernprunloit force pains sur la fournée, comme l'on dit.
Celle dame ne vouloit rien perdre, mais se pourvoyoit de bonne
heure ; et, pour cela, ne perdoit rien de son bien ny de son douaire.
Voilà comme les veufves romaines estoient heureuses, comme
sont bien encore nos veufves françoises, lesquelles, pour se donner
à leur cœur et gentil corps joye, ne perdent rien de leurs droits,
bien que par les parlements il y en ait eu plusieurs causes dé
battues. Ainsi que je sçay un grand et ncbe seigneur de France,
qui fit long-temps plaider sa belle-sœur sur son dot, luy imposant
sa vie estre un peu lubrique, et quelque autre crime plus grief
que celuy meslé parmy ; mais, nonobstant., elle gagna son procès,
et fallut que le beau-frère la dotasl très-bien, ei luy donnait ce
qui luy appartenoit : mais pourtant l'administration de son fils et
fille luy fut ostée, d'autant qu'elle se remaria; à quoy les juges et
grands sénateurs des parlements ont esgard, ne permettant aux
veufves qui convolent au second mariage, la tutelle de leurs en
fants. Et encore il n'y a pas long-temps que je sçay deux veufves
d'assez bonne qualité, qui ont emporté leurs lilies mineures, s'es-
lani remariées, par dessus leurs beaux-frères et autres de leurs
parents; niais aussi elles furent grandement secourues des faveurs
du- prince qui les entrelenoit. Mais décès sujets, meshuy je m'en
desparts d'en parler, d'autant que ce n'est pas ma profession, et
que, pensant dire quelque chose de bon, possible ne dirois-je rien
qui vaille: je m'en remets à nos grands législateurs.
Or, de nos veufves, les unes se plaisent à tourner encore en
mariage, et en resonder encore le guay, comme les mariniers qui,
sauvez de deux, trois ou quatre naufrages, retournent encore i
la mer, et comme font encore les femmes mariées, qui, en leur
mal d'enfant, jurent, protestent de n'y retourner jamais, et que
jamais bomme ne leur fera rien ; mais elles ne sont pas plustost
purifiées, les voilà encore au premier branle. Ainsi qu'une dame .
cspngnolle, laquelle, estant en mal d'enfant, se fit allumer nue «
chandelle de Nostre-Dame de Montferrat, qui aide fort à enfau- 1
DISCOURS IV. J33
ter, pour la vertu de ladite Nos) ré-Dame. Toutefois, ne laissa
d'avoir de grandes douleurs, et à jurer que plus jamais elle, n'y
relourneroit. Elle ne fut pas plustost accouchée, qu'elle dit à la
femme qui la luy donnoit allumée : Scrru esto cabillo de can
dela para oír« vez; c'est-à-dire : « Serrez ce bout de chandelle
» pour une autre fois. »
D'autres dames ne se veulent marier; et de celles qui n'en
veulent point, plusieurs y en a, et y en a en, lesquelles, venues en
viduité sur le plus beau de leur âge, s'y sont contenues. Nous avons
veu la Reine-Mère, en l'âge de trente-sept à trenie-huit ans, es
tant tombée veufve, qui s'est lousjours contenue veufve ; et, bien
qu'elle fust belle, bien agréable et très-aimable-, ne songea pas
tant seulement à un seul pour l'espouser. Mais l'on me dira aussi,
qui eusl-elle sceu espouser qui cusí esté sonable à sa grandeur, et
pareil à ce grand roy Henry, son feu seigneur et тагу, et qu'elle
eust perdu le gouvernement du royaume, qui valoit mieux que
cent marys, et dont l'entretien en estoit bien meilleur et plus
plaisant. Toutefois, il n'y a rien que l'amour ne fasse oublier ; et
d'autant est-elle à louer, et à eslre recoudée au temple de la gloire
et immortalité, de s'estre vaincue et commandée, et n'avoir fait
comme une Heyne Blanche, laquelle, ne se pouvant contenir, vint
à espouser son malsín: d'lioslel, qui s'appelloil le sieur de Rabau-
dange; ce que le roy son fils, pour le commencement, trouva fort
estrange et amer; mais pourtant, parce qu'elle esloit sa mère, il
«xcusa et pardonna audit Rabaudange, pour l'avoir espousée, eu
ce que, le jour, devant le inonde, il la servoit tousjours de mais-
tre-d'liostel, pour ne priver sa mère de sa grandeur et majesté; et
la nuict eile en feroit ce qu'elle voudroit, s'en servirait, ou de va
let ou de maistre, remettant cela à leurs discrétions et volonté/., et
de l'un et de l'autre; mais pensez qu'il commandoit : car, quel
que grande qu'elle soit, venant là, elle est tousjours subjugué par
le supérieur, selon le droit de la nature et de l'agent en cela. Je
tiens ce conte du feu grand cardinal de Lorraine dernier, lequel le
faisoit à Poissy au roy François second, lorsqu'il ut les dix-huit
chevaliers de l'ordre de Saint-Michel, nombre très-grand, non
encore veu, ny jamais ouy jusqu'alors ; et, entre autres, il y eut le
seigneur de Rabaudange, fort vieux, lequel on n'avoit veu de long
temps à la Cour, si-non à aucuns voyages de nos autres guerres,
s'estant retiré dès la mort de M. de Lauirec, de tristesse et de
despil, comme l'on voit souvent, pour avoir perdu son bon mais
20.
Ï3+ VIES DES DAMES GALANTES.
tre, duquel il esloil capilaine de sa garde au voyage du royaume
de Naples, où il mourut; et disoit encore monsieur le cardinal,
qu'il pensoit que ce monsieur de Rabaudange estoit venu et des
cendu de ce mariage. Il y a quelque temps qu'une dame de France
espousa son page aussi-tost qu'elle l'eust jeté hors de page, et
qui s'estoil assez tenue en viduité.
Or c'est assez parlé de ces veufves. Parlons maintenant d'antres,
qui sont celles qui, abhorrans les vœux et réformations des secon
des nopces, s'en accommodent, el réclament encore le doux el plai
sant dieu Hymenée. Il y en a les unes qui, par trop amoureuses
de leurs serviteurs durant la vie de leurs marys, y songent desji
avant qu'ils soienl morís, et projettent entre elles et leurs servi
teurs comment ils s'y comporteroient. « Ah ! disent-elles, fi moi
» тагу estoit mort, nous ferions cecy, nous ferions cela; nous
» vivrionsde celle façon, nous nous accommoderions de celle autre,
» et ainsi si accorlement, que l'on ne se rfoutcroit jamais de nos
» cmours passez; nous ferions une vie si plaisante 1 après nous
» irions à Paris, à la Cour; nous nous entretiendrions si bien qoe
» rien ne nous sçauroit nuire : vous fériés la cour à une telle, et
» moy à un tel ; nous aurions recydu Roy, nous aurions cela. Nous
» ferions pourvoir nos enfants de tuteurs et curateurs : nousn'au-
» rions à faire de leurs biens ny affaires, et ferions les noslres, ou
» bien nous jouirions de leurs biens en attendant leur majorité.
» Nous aurions les meubles et ceux de mon тагу. Pour le moins,
» cela ne me sçauroit manquer, car je sçay où sont les titres et
» escrils (et force autres paroles) . Bref, qui seroit plus heureux
» que nous ? »
Voilà les beaux desseins que font ces femmes mariées à leurs
serviteurs avant le temps; dont aucunes y en a qui ne les font
mourir que par souhaits, par paroles, que par espérance el alientes;
et aulres y en a qui les advancenl de gagner le logis mortuaire s'ils
tardent trop; de quoy nos cours de parlement en ont eu et en ont
tons les jours tant de causes par-devant elles qu'on ne sçauroit
dire. Mais le meilleur, et le plus. est qu'elles ne font pas comme
une dame d'Espagne, laquelle, estant très-mal traitée de son
тагу, elle le tua, et puis après elle se tua, ayant fait avant celle
épilaphe qu'elle laissa sur la table de son calinel , escrile de sa main :
C'est-k-dire :
< Icy gist qui а cherché une femme et ne Га pu faire femme : ani antres, et
> non à ищу, près de moy, dotmoit conlcuicmcul, et, pour cela et pour sa lnschi-lé
» et oulrc-cnidance, je Pay tué, pour lui ilomu-r la peine de son pccliê; cl л moi
э anssi je me suis dorme la mort, par faute d'entendement , et pour donnt-r lin à
» la naladvcDture que j'araii. »
|l) Allein.
21
Ю VIES DES DAMES GALANTES.
• bien je Taimois el honorais !» Sofouisbe dit autrement, car
eile se repentit d'avoir fiancé avant boire le poison. Et ainsi disaat
(celle comtesse) et plusieurs antres semblables paroles, se tourna
de l'autre costé du lit et mourut. Que c'est de la ferveur d'amour,
d'aller se ressouveuir, en un passage stygien et oublieux, des plai
sirs et frails amoureux dont elle en eust bien voulu lasier encore
avant que de sortir du jardin ! Or si ces dames huguenotes ont fait
tels traits, j'ay bien cogneu des dames catholiques qui en ont lait
de pareils, et ont espouse des huguenots, après ea avoir dit pis
que pendre, et d'eux et de leur religion. Si je les voulois meure
en place je n'aurois jamais fait. Voilà pourquoy les veufves doivent
estre sages, et ne braire tant au commencement de leur veufvage,
de crier, de tourmenter, de faire tant d'éclairs, de tonnerres,
pluyes de leurs larmes, pour après faire ces belles levées de bou
cliers, et s'en faire moquer: il vaut mieux en dire moins et et
faire plus. Mais elles disent là-dessus : « Et bien, pour le commen
cement il faul faire de la résolue comme un meurtrier, de l'ef-
froniée, de l'asseurée à boire toute honte. Cela dure quelque
peu, mais cela passe; après qu'on m'a mis sur le bureau, on me
laisse et en prend-on une autre. »
— J'ay leu dans un petit livre espagnol, de Victoria Colonne
fille de ce grand Fabrice Colonne, et femme de ce grand marquis
de Pescaire, le non-pair de son temps. Après qu'elle eut perdu son
шагу, Dieu sçait qu'elle entra en tel désespoir de douleur, qu'il
fut impossible de lui donner ni innover aucune consolation;
et quand on luy en vouloit à sa douleur appliquer quelqu'une on
vieille ou nouvelle, elle leur disoit : « Et sur quoy me voulez-
» vous consoler? sur mou тагу mort? vous vous trompez : il n'est
» pas mort, car il est encore tout vivant et tout grouilbnl dans
» mon âme. Je l'y sens tous les jours et toutes les nuicls revivre,
» remuer et renaislre. » Ces paroles certes eussent esté belles, н
au bout de quelque temps, ayant pris congé de luy, et t'ayant en
voyé pourmenir par dé-là l'Achëron, elle ne fust remariée avec
l'abbé de Farfe, certes fort dissemblable à son grand Pes, aire. Je
ne veux point dire en race, car il esloit de la noble maison des
Ursins, laquelle vaut bien autant, et est autant ancienne ou pluo
que celle d'Avalos. Alais les efleis de l'un à l'autre n'alloient à la
balance, car ceux de Pescaire esloient incomparables, et sa valeur
inestimable : encore que le dit abbé ù'sl de grandes preuves île sa
personne en s'employant fort fidèlement et vaillamment poi'r le
DISCOUHS IV. 243
service du roy François; mais c'estoit en forme de petites, cou
vertes et légères deflailes, et contraires à celles de l'autre, puisqu'il
les avoit faites grandes, descoavertes, avec des victoires très-si
gnalées : aussi la profession des armes de l'autre, accommencée et
accoustumée dès le jeune aage et continuée ordinairement, devait
bien surpasser de bien loin celle d'un homme d'église, qui lard
s'estoit mis an meslier : non que je veuille pour cela mal-dire
d'aucuns vouez à Dieu et à son église, qu'ils ont rompu le vœu et
quitté la profession pour empoigner les armes, car je ferais tort
à tant de braves capitaines qui l'ont esté et ont passé par-là.
César Borgia, due de Valentinois, n'a-t-il pas eslé auparavant
cardinal, qui a esté un si grand capitaine, que Machiavel, le véné
rable précepteur des princes et des grands, le met pour exemple
et pour rare miroir à tous les autres pareils, de l'ensuivre et s'y
mirer? Nous avons eu M. le marescbal de Foix, qui a esté d'église,
et se nommoil avant le proto-nolaire de Foix, qui a eslé un très-
grand capitaine. M. le mareschal Strozzy esioit voué à l'église;
et pour un chapeau rouge qui luy fut desnié, quitta la robbe, et
se mit aux armes. M. de Salvoison, dont j'ay parlé (qui l'a suivy
de près, voire en titre de grand capitaine eust marché avec luy s'il
eust eslé d'aussi grande maison, et parent de la Beynej, fusi, en sa
première profession, traisnant la robbe longue ; et pourtant quel
capitaine a-t-il esté? Ce fust eslé l'incomparable s'il eust plus
vescu. Le mareschal de Bellegarde n'a-t-il pas porté le bonnet
quarré, qu'un long temps oa appelloit le Prévost d'Ours ? Feu
M. Danguien (l), qui mourut en la bataille de Saincl-Quenlin,
avoit esté évesque; M. le chevalier de Bonnivel de mesme. El ce
galant homme, M. de Manignes, avoit esté aussi d'église; bref,
infinité d'autres, desquels je ne pourrois emplir ce papier. Si faut-
il queje loue les miens, et non sans un très-grand sujet. Le capi
taine Bourdeille, mon frère, le RoJomont jadis du Piedmont, en
tout fut dédié à l'église aussi ; mais n'y connoissant son naturel
propre, changea sa grande robbe à une courte, et en un tourne
main se rendit un des bons capitaines et vaillants du Piedmont, et
s'en albit très-granl «l une très belle vogue, sans qu'il mourut,
hélas 1 en l'âge de vingt-cinq ans. Denoslre temps, en noslre Cour,
nous en avons tant veus, et mesme le petit monsieur de Clermont-
Taliard, lequel j'ay veu abbé de Bon-Port, et depuis, ayant quille
(I) TXEngliicn.
24* VIES DES DAMES GALANTES.
l'abbaye, a esté veu parmy nos armées et en nqslre Cour, un de*
braves, vaillants et hoanestes hommes que nous eussions ; ainsi
qu'il le monstra Ires-bien à sa mort, qu'il acquit si glorieusement
à la Roche le, la première fois que nous enlrasmes dans le fossé.
J'en nommerais une militasse; mais je n'aurois jamais fait. M. de
Souillelas (l), dit le jeune Oraison, avoit esté évesque de Rieux,
et depuis eust un régiment, servant le Roy fort fidèlement ei vail
lamment en Guyenne, sous le maresclial de Matignon. Bref, je
n'aurois jamais tau si je voulois nombrer tous ces gens : parquoy
je me tais pour la briefvelé, et de peur aussi qu'on ne m'impute
que je suis trop grand faiseur de digressions. Pourtant j'ay fait
celle-cy à propos, en parlant de celte Victoria Colonna, qui espousa
cet abbé. Si elle ne se fust remariée avec luy, elle eust mieux porté
titre cl nom de Victoria, pour avoir eslé victorieuse sur soy-mesme ;
et que puis qu'elle ne pouvoil rencontrer un second pareil au pre
mier, se devoit contenir.
J'ay cogneu force dames qui ont imité cette précédente. J'en ay
veu une qui avoit espouse un de mes oncles, le plus brave, le plus
vaillant, le plus parfait qui fust de son temps. Après qu'il fust
mort, elle en espousa un autre qui le resseiubloil autant qu'un
asnc à un cheval d'Espagne; mais mon oncle estoit le cheval d'Es
pagne. Une autre dame ay-je cogneu, qui avoit espouse un ma-
reschal de France, beau, bonneste gentilhomme et vaillant : en
secondes nopces, elle en alla prendre un tout contraire à celuy-là,
et avoit eslé aussi d'église. Une veufve ay-je cogneue, venant à
mourir son тагу, elle fil l'espace d'un an des lamentations si de
sespérées, qu'on la pensoit voir morte à toute heure de champ.
Au bout de l'an qu'il faloit laisser son grand deuil, et prendre le
petit, elle dit à une de ses femmes : « Serrez-moi bien ce crespe,
» car possible en auray-je affaire un autre coup ; » et puis toui-à-
coup se reprit : « Mais qu'ay-je ? dit-elle. Je resve. plustost mou-
» rir que d'en avoir jamais aff.iire. » Au bout de son deuil, elle se
remaria à un second, fort ine.^gal au premier. « Mais disent-elles,
» ces femmes, il esloit d'aussi bonne maison que le premier. *
Ouy, je le confesse ; mais aussi, où est la vertu et la valeur ? ne
sont-elles pas plus à priser que tout? Et le meilleur que je trouve
(I) Andri de SolcMiu, ¿vèque de Ri» fn Provence, fn 1576. Il avait une mal-
tresse qui contrefaisoit la bigotp, imis dont Hypocrisie ne trompa pas le roi
Henri IV. Ce prince reproclinit phisamment à celte dame ges amour», eo lui disa^
qu'elle ne se plaisait qu'au jeûne et à ioratson.
DISCOURS IV. 245
eu cela, c'est que le coup fait, elles ne l'emportent gaères loin;
саг Dieu permet qu'elles sont mahraiiées et rossées comme il faut:
après, les voilà aux repentailles; mais il n'est plus temps. Ces da-
mes ainsi convolantes ont quelque opinion et humeur en leur teste,
que nous ne savons pas bien : comme j'ai ouy parler d'une dame
espagnole, qui se voulant remarier, et qu'on lui reinonstroit que
deviendrait l'amiiié grande que son шагу lui avoit porté, elle res-
pondit : La muerte del marido, y nuevo casamiento no han de
romper el amor d'ima casta muger ; c'est-à-dire : « La mort du
» тагу et un nouveau mariage ne doivent point rompre l'amour
» d'une femme chaste. » Or accordez-moy ces deux contraires,
s'il vous plaist. Une autre dame espagnole dit bien mieux, qu'on
vouloit remarier : Si hallo un marido bueno, no quiero tener el
temor de perder lo ; y si malo, que necessidad ay del ; c'est-à-
dire : « Si je trouve un bou тагу, je ne veux point eslre en la crainte
de le perdre ; si un mauvais, quelle nécessité ai-je de l'avoir?
— Valeria, dame romaine, ayant perdu son тагу, et ainsi que
la réconfortaient aucunes de ses compagnes sur sa perte et sa
mort, elle leur dit : « II est mort certes pour vous autres, mais il
» vil en moy éternellement. » Celte marquise, que je viens de
dire, avoit emprunté d'elle pareil mol. Ces dires de ces lion »esies
dames sont bien contraires à un qui me dit, en parbnl espagnol,
que la Jornada de la biudez d'una muger es d'una dia; c'est-à-
dire : que la journée du veufvage d'une femme se fait tout en un
» jour. » Aucunes sont-là logées, d'autres non. Mais que dirons-
nous des femmes veufves qui radient leur mariage, et ne veulent
qu'il soit publié ? J'en ai cogneu une qui tint le sien sous la presse
plus de sept ou huit ans, sans le vouloir jamais faire imprimer, ny
le publier : et disoit-on qu'elle le faisoil de crainte qu'elle avoit
de son jeune lus, qui estoil un de ses vaillants et lionnesles hom
mes du monde, et qu'il ne fist ilu diable, elsurelleelsur l'homme,
encore qu'il fust bien grand. Mais, aussi-lost qu'il vint à mourir
à une rencontre de guerre qui le couronna de beaucoup de gloire,
aussi-iosl elle le fil imprimer et meure en lumière. J'ay ouy parler
d'une grande dame veufve, qui est mariée à un très-grand prince
et seigneur, veuf il y a plus de quinze ans ; mais le monde n'en
sçail ny n'en connoist rien, tant cela esl secret, et discret : et di-
soil-o-i que le seigneur craignoil sa belle-mère, qui luy estoit fort
impérieuse, el ne vouloit qu'il se remariast à cause de ses petit'.
cillants.
SI.
J46 VIES DES DAMES GALANTES.
— J'av пну raconter à une dame de grande qualité et ancienne,
que feu M. le cardinal du Bellay avoit espouse, estant évesque et
cardinal, madame de Chaslillon, et est morí marié : et le disolt
sur un propos qu'elle lenoil à M. de Manne, Provençal, de la mai
son de Seulal el évesqiie de Frejus, lequel avoit suivy l'espace de
quinze ans en la Cour de Rome ledit cardinal, el avoil esté de ses
privez protonotaires : et, venant à parler dudit cardinal, elle lai
demanda s'il ne luy avoil jamais dit et confessé qu'il eust esté
marié. Qui fut eslonné? ce fut M. de Manne de telle demande. Il
est encore vivant, qui pourra dire si je mens; car j'y estois. Il
respondit que jamais il n'en avoit ouy parler, ny à lui ny à d'an-
trts. « Or, je vous l'apprens donc, dit-elle ; car, il n'y a rien de
» si vray qu'il a esté marié : » et est mort marié réellement avec
ladite dame de Cliastillon. Je vous asseure que j'en ris bien, con
templant la contenance eslonnée dudit M. de Manne, qui estoit
fort conscienlieux et religieux, qui pensoit savoir tous les secrets
de son feu maislre ; mais il estoit de Gnllice pour celny-là : aussi
estoit-il scandaleux, pour le rang saint qu'il tenoit. Celte madame
de Chaslillon estoit la veufve de (eu M. Chaslillon, qu'on disoil qui
gouverooil le peut roy Charles huiliesnie avec Bourdillon et Bon-
neval, qui gouvernoient le sang royal. Il mourut à Ferrare, ayant
esté blessé au siège de Ravenne, et là fut porté pour se faire pen
ser. Cette dame demeura veufve fort jeune el bello, snge et ver
tueuse, et pour cela fut eslue pour dame d'honneur de la (eue
reyne de Navarre. Ce fut celle-là qui bailla ce beau conseil à cette
dame et grande princesse, qui est escrit dans les Cent Nouvelles
de ladite Reyne, d'elle et d'un gentilhomme qui avoit coulé la
Duicl dans son lit par une trapelle dans la ruelle , et en vouloit
jouir ; mais il n'y gagna que de belles esgratigneures dans son bean
visage; elle s'en voulant plaindre à son frère, elle luy fit celle
belle remonslrance qu'on verra dans celle Nouvelle, el lui donna
ce beau conseil, qui esl un des beaux el dès plus sages, el des
plus propres pour fuyr scandale, qu'on eus! sceu donner, el fusl-ce
esté un premier président de Paris, et qui monstroit bien pourlant
que la dame estoit bien autant rusée et fine en tels mystères, que
sage el advisee : el pour ce, ne faut douter si elle lint son cas se-
crel avec son cardinal. Ma grande-mère, madame la séneschalle
de Poitou, eul sa place après sa mort, par l'éleclion du roy Fran
çois, qui la nomma el l'esleul, el l'envoya quérir jusques en sa
maison, et la donna de sa main à la Reyne sa sœur, pour la COQ
DISCOURS IV. 247
noistre très-sage et très-vertueuse dame, mais non si fine, ny ru
sée, ny accorte en telle chose que sa précédente, ny convolée en
secondes nopces. Et si voulez sçavoir de qui la nouvelle s'entend,
c'esloit de la reyne mesmes de Navarre, et de l'amiral de Bonni-
vet, ainsi que je liens de ma feue grande-mère : dont pourtant
me semble que ladite reyne n'en devoil céder son nom, puis que
l'autre ne peut rien gagner sur sa chasteté, et s'en alla en confu
sion, et qui vouloil divulguer le fait, sans la belle vt page remons
trance que lui fit celle dite dame d'honneur madame de Clias-
tillon ; et quiconque l'a leue la trouvera telle ; et je crois que
M. le cardinal, son d'il тагу, <¡u¡ estoit l'un des mieux disants,
sçavants, éloquents, sages et advisez de son temps, luy avoil mis
cette science dans le corps, pour dire et rcmonstier si bien. Ce
conte pourrait être un peu scandaleux, à cause de la sainte et re
ligieuse profession de l'autre ; mais, qui le voudra faire, il faut
qu'il desguise le nom. Et si ce irail a esté tenu secrc't louchant со
mariage, celuy de M. le cardinal de Chasiillon dernier n'a pas eslé
de même; car il le divulgua et publia luy-mesme assez, sans em
prunter de Irompelte, el esl morí marié sans laisser sa grand« robbe
et bonnet rouge. D'un costé, il s'excusoit sur la religion «pTormée,
qu'il tenoit fermement ; et de l'autre, sur ce qu'il vouToit tenir
son rang tousjours cl ne le quilicr (ce qu'il n'eust fait autrement),
el entrer en conseil, là où entrant il pouvoii beaucoup servir à sa
religion el à son party, ainsi que certes il estoil très-capable,
très-suffisant et très-grand personnage. Je pense que mondii sieur
cardinal du Bellay en a peu faire de mesme; car, de et1 temps-là,
il penclioil fort à la religion el doctrine de Luther , ainsi que la
cour de France en estoil un peu abreuvée : car toutes choses nou
velles plaisent, et aussi que ladite dame doctrine licenlioit assez
gentiment les personnes, et mesme les ecclésiastiques, au ma
riage. Or, ne parlons plus de ces gens d'honneur, pour la ré
vérence grande que nous devons à leur ordre et à leurs saints
grades.
— Il faut un peu mettre sur les rangs nos vieilles veufves qui
n'ont pas six dents en gueule, et qui se remarient. Il n'y a pas
longtempsqu'une dame, veufvede Iroismarys, cspousa en Guyenne
pour le quatriesme un gentilhomme qui tient assez quelque grade,
elle estant de l'âge de quatre-vingts ans. Je ne sçay pas pourqnoy
elle le faisoit (car elle estoit très-riche et avoit force escns), dont
pour ce le gentilhomme la pourchassa, si ce n'estoit qu'elle ne se
Î48 VIES DES DAMES GALANTES.
vouloil encore rendre, el vouloil encore fringuer surles lauriers (l),
comme disoil mademoiselle Sevin, la folle de la reyne de Navarre.
.Pay cogneu aussi une grande dame qui, en l'âge de soixante-
seize ans, se remaria el espousa un gentilhomme qui u'esloit pas
de la qualilé de son premier, el vesquil cent ans, et pourtant s'y
entretint belle; car elle avoiteslé des belles femmes en son lemps,
el ¡¡voit bien fail valoir son jeune el gentil corps en toutes façons,
el à marier, et mariée, et veufve, ce disoil-on. Voilà deux terribles
humeurs de femmes 1 il falloit bien qu'elles eussent de la chaleur;
aussi ay-je ouy dire aux bons el experts fourniers qu'un vieux four
esl plus aisé à s'eschauffer beaucoup qu'un neuf, cl quand ¡1 est
une fois eschauffé, il garde mieux sa chaleur el fait meilleur pain.
Je ne sçay quels appétits savoureux y peuvent prendre leurs cba-
lanls el amoureux ; mais j'ay veu beaucoup de gahnls et braves
gentilshommes aussi affectionnez à l'amour des vieilles, voire plus
que des jeunes, el sPme disoil-on que c'esloil pour en tirer des
commodiiez. Aucuns en ay-je veu aussi qui les aimoient d'une très-
ardente amour, sans en tirer rien de leur bourse, sinon de leur
corps ; ainsi que nous avons veu autrefois un très-grand prince
souverain (2) qui aimoil si ardemment une grande dame veulve
âgée, qu'il quiltoit sa femme el touies autres, tant belles fussent-
elles el jeunes, pour coucher avec elle. Mais en cela il avoit rai
son, car c'esloit une des belles et aimables dames que l'ou eust
sceu voir; et son hyver valoil plus certes que les printemps, estez
el automnes des autres. Ceux qui ont pratiqué les courtisannes d'I
talie, aucuns a-l-ou veu et voit-on choisir tousjours les plus fameu
ses et antiques et qui ont plus traisné le balet, pour y trouver
quelque chose de plus gentil, lanl au corps qu'en l'esprit. Voilà
pourquoy celle gentille Cléopàlre, ayant esté mandée par Marc An
toine de le venir trouver, ne s'en esmeul autrement, s'asseuratil
bien que, puisqu'elle a voit sceu attraper Jules César et Cnejus
Pompejus, fils du grand Pompée, lorsqu'elle estoit encore jeunette
fillette, et ne sçavoit encore bien que c'estoil de son monde ny
de son mestier, qu'elle mènerait bien autrement son homme, qui
esloil fort grossier, et senlanl son gros gendarme, elle estant en la
(I) í'Vííi'/urT, dans Oudiu , c'esl ici far l'atto venero. Coi • veufve, non contente
d'avoir triomphé de trois maris, vouloil i'itcori- combante ur celte même couche,
déjà jonchée îles 'aunors qu'elle »voit remjmrtés de ses vie uirc* p:ii>écs.
('¿] Henri //, qui prckToit à U reim- >a Temnte, <|tii élo l jeune, la duchesse de
Valcitliuoi» drja vieille, et qui avait été la maîtresse du ro suu pcrc.
DISCOURS IV. 249
»igueur de son entendement et de son âge, comme elle fit. Aussi ,
pour en parler au vray, si la jeunesse esl propre pour l'amour à
aucuns, à d'aulres la maturité d'un âge, d'un bon esprit et longue
expérience, et d'un beau parler, de longue main pratiqués, servent
beaucoup pour les suborner.
Un doute y a-t-il que j'ay demandé autrefois à des médecins,
d'un qui disoit pourquoy il ne vivoit plus longuement, puis qu'en
sa vie il n'avoit leuu ny touché vieille, sur cet aphorisme des mé
decins qui disent : rclul/nn non cognovi (l), avec d'autres quoli
bets. Certes, ces médecins m'ont dit un proverbe ancien qui <li-
soil : « qu'en vieille grange l'on bat bien ; mais de vieux fléaux
» on n'eu fait rien de bon. » Aussi un autre : « 11 n'en chaut quel
» âge la beste ait, mais qu'elle porte. » Et aussi que par expérience
ils ont connu des vieilles si ardentes et chaudasses, que, venant à
habiter avec un jeune homme, elles en tirent ce qu'elles en peu
vent, et l'alambiquent tant qu'il a de substance ou de suc dans le
corps, afin de se humecter mieux : je dis celles qui, pour l'amour
de l'âge, sont asseichéeset out faute d'humeurs. Lesdits médecins
me disoient autres raisons; mais aux plus curieux je les laisse à
leur demander.
— J'ay veu 'une vieille veufre, dame grande, qui mit sur les
dents, en moins de quatre ans, et son troisiesme тагу et un jeune
gentilhomme qu'elle avoit pris pour son amy; et les renvoya dans
Ь terre, non par assassinat ny poison, mais par atténuation et
alambiquement de leur substance. Et, à voir celte dame, on n'eust
jamais pensé qu'elle eust fait le coup; car elle faisoit devant les
gens plus de la dévole, de la marmiteuse et de l'hypocrite, jusques-
la qu'elle ne vouloit pas prendre sa chemise devant ses femmes,
de peur de la voir nue; ny pisser devant elles : mais, comme di
soit quelque dame de ses parentes, qu'elle faisoit ces difGculiez à
ces femmes et point à ses galands. Alais quoy, est-il plus defen
sible et plus loisible à une femme d'avoir eu plusieurs marys en
sa vie, comme il y en eu prou qui en ont eu trois, quatre et cinq,
ou bien à une autre qui en sa vie n'aura eu que son тагу et un
amy, ou deux, ou trois? comme certes j'en ay cogneu aucunes
continentes et loyales jusques- là? Et en cela j'ay ouy dire à uue
grande dame de par le monde, qu'elle ne mettoit aucune différence
entre une dame qui avoiteu plusieurs marys et une qui n'avoit eu
(1)
254 VIES DES DAMES GALANTES.
si j'ay jamais veu ny ouy dire que femme ou dame en ait encore
osé cueillir une seule branche, ny fait pas seulement un petit re
coin de paillasse, non pas même la dame propriétaire de l'arbre et
du lieu, qui n'en eust peu disposer comme il luy eust pieu. Ce
fust esté aussi dommage, car son тагу ne s'en fust pas mieux
trouvé : aussi qu'elle valoit bien que Го» laissas! se régler au cours
de la nature, tant elle estoit belle et agréable, et aussi qu'elle a
fait une très-belle lignée. Et pour dire vray, il faut laisser et or
donner telles receptes austères et froides aux pauvres religieuses,
lesquelles, encore qu'elles jeusnent et macèrent leurs corps, si
sont-elles souvent assaillies, les pauvrettes des tentations de la
chair; et si elles avoient liberté au moins aucunes, elles se vou
draient rafraischir comme les mondaines ; et bien souvent pour
s'estre repenties se repentent, ainsi qu'on voit les courlisannes de
Borne, dont j'en allégueray un plaisant conte d'une, laquelle s'es
tant vouée au voile, avant qu'aller au monastère, un sieur ami,
gentilhomme français, la vint voir pour luy dire adieu puisqu'elle
s'en alloit eslre recluse; et avant que s'en aller, la pria d'amour;
et la prenant, elle luy dit : Fate aunque presto ; cVadesso mi
verrano cercar per far mi monaca, e menare al monasterio (1).
Pensez qu'elle voulut faire ce coup pour prendre sa dernière
main, et dire : Tandem hœc olimmeminissejuvabit ; c'est-à-dire :
« Encore me fait-il grand bien de m'en ressouvenir pour la dernière
fois. » Quelle repentance et quelle intrade de religion ! El quand
une fois elles y ont esté professes, au moins les belles, je dis au
cunes, je croy qu'elles vivent plus de repentance que de viandes
corporelles ny spirituelles. Dont aucunes y a qui scavent y remé
dier, ou par dispenses et par pleines libériez qu'elles prennent
d'elles-mesmes ; car on ne les traite icy comme les Romains le
temps passé traitoienl cruellement leurs vestales quand elles avoient
forfait; ce qui estoit une chose horrible et abominable : aussi es-
toient-ils payons, et pleins d'horreurs et de cruautez; nous autres
chrestiens, quien suivons la douceur de nostre Christ, devons es-
tre bénins comme luy ; et comme il nous pardonne, il faut que
nous pardonnions. Je mettrais icy par escrit la façon de laquelle ils
les traitaient ; mais je la laisse au bout de la plume. Or laissons
• ces pauvres âmes, que, ma foy, quand eues sont-là une fois reufer-
(i) Dépccliw.-»ous donc, car Щ vinii me venir chercher pour me faire relipenje,
M m'emnieuer au couvcut.
DISCOURS IV. 253
mees, elles endurent assez de mal ; ainsi que dit une fois une dame
d'Espagne, voyant mellre en religion une fort belle et lionneste
damoiselle : О tristezilla, yen que pecaste, que turn presto vie
nes à penitentia, y seys metida en sepultura viva ! c'est-à-dire :
« 0 pauvre misérable, «n quoi avez-vous tanl péché, que si pres-
» tement vous venez à pénitence, et esles mise toute vive en sé-
» pulture! » Et voyant que les religieuses luy faisoieut toutes les
bonne* chères, recueils et honneurs du monde, elle dit que todo
Is hedía, hasla el encensio de la yglesia; c'est-à-dire : « que tout
luy puoit, jusques à l'encens de l'église. »
— Une question y a-t-il que je voudrais qui me fust dissolue, en
toute vérité et sans dissimulation, par aucunes daines qui ont fait
le voyage ; à sçavoir, quand elles sont remariées, comment, elles
se comportent à l'endroit de la mémoire des premiers marys. En
cela il y a une maxime • que les dernières amitiez el ininiiliez font
oublier les premières; aussi les secondes nopces ensevelissent les
premières. Sur quoy j'allégueray un exemple plaisant, non pour
tant qu'il doive eslre fort authorisable ; si est-ce qu'on dit que
sous un lieu obscur et vil encore la sapience et science s'y cache.
Une grande dame de Poictou demandant une fois à une paysanne,
sienne tenancière, combien de marys elle avoit eus, et comment
elle s'en esloit trouvée, elle, faisant sa petite révérence à la pi-
taude, luy respondit de sang froid : « Je vous dirai, madame, j'ay
» eu deux marys, grâce à Dieu. L'un s'appeloit Guillaume, qui
» esloit le premier; et le second s'appeloit Colas. Guillaume esloit
» bon homme, aisé de moyens, et me traitoit fort bien; mais Dieu
» pardonne à Colas, car Colas me le faisoit bien. » Mais elle disoit
tout à trac ce qui se commence par f., sans le déguiser ou farder
comme je le déguise. Voyez, s'il vous plaist, comme celle maraude
prioit Dieu pour l'âme du trépassé bon compagnon, et, s'il vous
plaisl, sur quel sujet, et du premier mérite. Je penserais que de
mesmes en font plusieurs dames convolantes et revolantes; car,
puisqu'elles en viennent là, c'est pour ce grand point; et, pour ce,
qui le joue le mieux est le plus aimé. Et volontiers croyenl que le
second doit faire rage; mais bien souvent aucunes sont trompées,
car elles ne trouvenl en leurs bouliques l'assortiment qu'elles y
pensoient trouver, ou bien à d'aucunes, s'il y en a, il est si chetifet
usé et gasté, flasque et foulé et lasche, qu'on se repend d'y avoir
mis son denier; comme j'en ay veu force exemples que jene veux
alléguer, car il est temps, ce me semble, de faire fin ou jamais non.
22
JS4 VIES DES DAMES GALANTES.
— D'autres dames y a-t-il qui disent qu'elles aiment mieux
leurs derniers ir.arys de beaucoup que les premiers : « D'autant,
a m'ont dit aucunes, que les premiers que nous espousons, le plus
» souvent nous les prenons par le commandement de nos roys et
» revues maisiressrs, par la contrainte de nos pères et mères, pa-
» rents, tuteurs, non par la volonté pure de nous autres : au lieu
к qu'en nos viduilez, comme très-bien Émancipées, nous en faisons
> telle élection qui nous plaist, et ne les prenons que pour nos
» beaux et bons plaisirs, et par amourettes, cl à uostre gentil
• contentement. » Certainement il peut y avoir de la raison, si ce
n'esloit que bien souvent les amours qui s'accommencent par
anneaux se finissent par couteaux, ce dit un vieux proverbe,
ainsi que tous les jours nous en voyons les expériences et exemples
d'aucunes, qui pensants estre bien traitées de leurs hommes,
qu'elles avoient tirez de la justice et du gibet, de la pauvreté, de
la clittiverie du bordel, et eslevez, les batloieal, rossoient, les
Iniiloient (urt mal, et bien souvent leur osloient la vie, dont ea
cela c'eskKt jusle punition divine, pour avoir esté par trop in
grates à leurs premiers marys, qui leur estoient par trop bons et
en disoienl pis que pendre. Et ne ressembloient pas à une que j'aj
ony raconter, laquelle la première nuicl de ses nopces, ainsi que
son тагу la coinmençoit à assaillir, elle se mil à pleurer et souspi-
rer bien fort, si bien que tout à un coup elle faisoit deux choses
fort contraires. Son тагу luy demandoit ce qu'elle avoil à s'attris
ter, et s'il ne s'acquiltoit pas bien de son devoir. Elle luy respcmJit :
« Hélas prou : mais je me ressouviens de mon тагу, qui m'avoit
» tant priée et repriée de ne me remarier jamais après sa mort,
» et que j'eusse souvenance el pi.ié de ses pelils enfants. Hélas!
» je voy bien que j'en auray encor tant de vous. Hé, que feray-je!
» Je croy que s'il me peut voir du lie« où il esl maintenant, il œe
» maudit bien. » Quelle humeur de n'avoir point songé à telles
considérations, ny avoir esté sage, si-non après le coup I Mais le
mai y, l'ayant appaisée el fail souvent passer celle fantaisie parle
trou lu milieu, le lendemain matin, ouvrant la feneslre de la cham
bre, envoya dehors toute la mémoire du тагу premier ; car se
disoit un grand proverbe ancien, que femme qui cnlcrre un тату -
ne se soucie plus d'en enterrer un autre : et aussi un autre qui
dit: Plus de mine en une femme perdant sun тагу, que de mé
lancolie.
— J'ay cogneu une autre veufve, grande dame, bien conlraire
DISCOURS IV. Í5S
& cette-cy, qui ne pleura ainsi ; car, la première nuict et seconde
de ses Dopées, elle se-conjoignit tellement avec son тагу second,
qu'ils enfoncèrent et rompirent le chaslis, encore qu'elle eust une
. espèce de cancre à un télin ; et nonobstant son mal, ne laissa d'un
seul point son amoureux plaisir, l'entretenant par après souvent
. de la sotlise et inhabilité de son premier тагу. Aussi, a ce que
' j'ay ouy dire h aucuns et aucunes, c'est la chose que les seconds
marys veulent le moins de leurs femmes, qu'elles les entretiennent
de la vei'lu et valeurs de leurs premiers marys, comme estants
jaloux des pauvres trépassez, qui y songent autant comme de re
venir en ce monde : d'en dire mal tant que l'on voudra. Si en a-
t-il force pourtant qui leur en demandent des nouvelles; mais,
comme se sentant fort vigoureux et forts, et faisans comparaisons,,
les interrogent de leurs forces et vigueurs en ces douces charges,
comme j'ay ouy dire à aucuns et aucunes, lesquelles, pour leur laire
trouver meilleur, leur font accroire que les autres n'esloientqu'ap»
prentifs, dont bien souvent elles s'en trouvent mieux. Auires di-
soienl le contraire, et que les premiers faisoient rage, afin de faire
efforcer les derniers à faire les asnes desb.itez. Telles femmes
, \eufves seroient bonnes à l'isle de Cbio, la plus belle is!e et gen-
lille et plaisante du Levant, jadis possédée des Genuois, et depuis
•rente-cinq ans usurpée par les Turcs, dont c'est un grand dom
mage et perte pour la chreslienté. En cesle isle donc, comme je
tiens d'aucuns marchands gennois, le coustume esl que si une
femme veut demeurer en viduïlé, sans aucuns propos de se rema
rier, le seigneur la contraint de payer un certain prix d'argent,
qu'ils appellent argomonialitjue, qui vaut autant dire (sauf l'hon
neur des dames) c.. reposé et inutile. Je leur ay demandé sur
quoy cette coutume pouvoit estre fondée : ils me respondirent que
pour tousjours mieux repeupler l'isle. Je vous assure que nostre
France ne demeurera donc indeserte ny infertile par faute de nos
veufves qui ne se remarient point ; car je pense qu'il y en a plus
qui se remarient que d'autres, et par ce ne payeront de tribut du
c.. inutile et reposé; que si ce n'est par le mariage, pour le moins
autrement qu'ils le font travailler et fructifier, comme j'espère de
dire. Non p!us ne payeront aussi aucunes de nos filles de France
qu ecelles de Chio, lesquelles, soit des champs ou de ville, si elles
laissent perdre leur pucelage avant que d'estre mariées, et qu'elles
• veulent continuer le теьиег sont tenues de bailler pour une fois un
ducat (dont c'est un très-bon marché pour faire cela toute leur vie)
556 VIES DES DAMES GALANTES.
au capitaine de la nuict, afin de le pouvoir faire à leur plaisir, sans
aucune crainle et danger; et en cela gist le plus grand et asseuré
gain qu'ail le gentil capitaine en son Estât.
— Il ne fut jamais que les Grecs n'eussent tousjours quelques
inventions tendantes à la paillardise; comme le temps passé
nous lisons de la couslume de l'ible de Cypre , qu'on dit que
la bonne dame Vénus, patronne dé-là, introduisit une loy que
les filles dé-là falloit qu'elles allassent se pourmenanls le long des
rivages, costes et orées de la mer, pour gagner leur ma
riage par la libéralité de leurs corps aux mariniers, passants
et navigeants , qui descendoient exprès , voire bien souvent
se deslournoient de leur chemin droit de la boussole pour pren
dre la terre, et là, prenants leurs petits rafraîchissements avec
elles, les payoient très-bien, et puis s'en alloient les uns à re
gret pour laisser telles beautez ; et par ainsi ces belles filles ga-
gnoient leurs mariages, qui plus qui moinsk qui bas qui haut,
il ni grand qui petit, selon les beautez, qualité/, et tentations des
lilaudes.
— Aujourd'huy aucunes de nos filles de nos nations chres-
tiennes ne vont point se pourmener, s'exposer ainsi aux vents, •
aux pluyes, aux froids, au soleil, aux chaleurs, car la peine est
trop laborieuse et trop dure pour leurs tendres et délicates peaux
et blanches charnures ; mais elles se font venir trouver sous de
riches pavillons et dans de pompeuses courtines, et là tirent leur
solde amoureuse et maritale de leurs amoureux, sans payer au
cun tribut. Je ne parle pas des courtisannes de Rome qui en
payent, mais de plus grandes qu'elles : si bien qu'à aucunes, la
plus pari du temps, leurs pères, mères et frères n'ont pas grande
peine de chercher argent ny leur en donner pour les marier;
ains, au contraire, bien souvent aucunes y a-t-il qui en baillent
aux leurs, et les advancent en biens et charges, en grades et di-
gnitez, ainsi que j'en ay veu plusieurs. Aussi Lycurgus ordonna
que les filles vierges fussent mariées sans douaire d'argent, à ce
que les hommes les espousasseut pour leurs vertus, non pour
l'avarice. Mais quelles vertus estoil-ce, qu'aux bonnes festes so-
lemnelles elles chantoient , dansoient publiquement toutes nues
avec les garçons, voire luitoient en belle place marchande; ce
qui se faisoit pourtant avec toute honnesteté, dit l'histoire : c'est
ä sçavoir, et quelle honnesteté en lel estât estoit-ce, les belles
filles voir publiquement ? D'honnesteté n'y en «voit-il point,
DISCOURS II. 257
mais ouy bien un plaisir pour la veuë, et mesme en leur mou
vement de corps à danser, el encore plus я luiler : et puis quand
ils venoient à tomber l'un sur l'autre, et, comme dit le lalin,
Jila sub, ule super, et Ule sub, illa super, c'est-à-dire, « eue
» dessous, luy dessus, et elle dessus, lu y dessous. » Et comment
me pourroit-on desguiser cela, qu'il y eust là toute honnestelé?
Je croy qu'il .n'y a chasteté qui ne s'en esbranlast, et, que, se
faisant là en public cl de jour les petites auaques, qu'à couvert
et de nuicl et du rendez-vous les grands combats et eamisades
s'en .ensuivissent. Tout cela se pouvoit faire sans aucun doute,
veu que le lit Lycurgus permit à ceux qui esloient beaux et dis
pos d'emprunter les femmes des autres pour y labourer comme
en Ierre grasse : ebsi n'estoit chose reprochable à un vieil et lassé
de préster sa femme belle et jeune à uu galant jeune homme qu'il
cboisissoit ; mais il vouloit qu'il fust permis à la femme de choi
sir pour secours le plus proche parent de son тагу, leí qu'il luy
plairoit, pour se coupler avec luy, à ce que les enfants qu'ils
ponrroient engendrer fussent au moins du sang et de la race
mesme du тагу. Les Juifs avoient celte loy de la belle-sœur au
beau-frère ; mais nostre loy chrestienne a tout rabillécela, encore
que noslre Saint Père eu aye baillé plusieurs dispenses fondées
sur p'usieurs raisons.
— Or, parlons un peu, et le plus sobrement que nous pour
rons, d'aucunes autres veufves, et puis nous fairons la lin. Il y a
une autre espèce de veufves dont il y en a qui ne se remarient
point, mais fuyent le mariage comme pesie : ainsi que me dit
une, et de grande maison, et bien spirituelle, à laquelle ayant
demandé si elle offriroil encore son vœu au dieu Hymenée, elle
me respondit : « Par vos'.re fuy, seroil-il pas fat et malhabile le
» forçat ou l'esclave, après avoir longuement tiré à la rame, al-
» taché à la cadene, s'il venoit à recouvrer sa liberté, s'il s'en
» alloit de son bon gré encore s'assujettir sous les loix d'un ora-
» geux corsaire? Pareillement moy, après avoir assez esté sous
» l'esclavage d'un тагу, el en reprendre un autre, que nierite-
» rois-je, puis que d'ailleurs, sans aucun hazard , je me puis
» donner du bon lernps ? » Et une autre dame grande, et ma pá
renle (car je ne veux pas prendre le Turc), luy ayant demandé
si elle n'avoit point envie de convoler, « nenny, me respondit-
» elle, mon cousin, mais bien de conjoulr : » faisant une allu
sion sur ce mot de coiy'outr, comme Voulant dire qu'elle vouloit
22.
258 VIES DES DAMES GALANTES.
bien faire à son c.. jouir d'autre chose qu'à un second тагу, sui
vant le proverbe ancien qui dit qu't'i vaut mieux voler en amour
qu'en mariage : aussi que les femmes sont solies par-tonL
— J'ay ouy parler d'une autre à qui il fut demaiiilé par un
gentilhomme qui vouloit tenter le guny pour la pourchasser, et
luy demandant si elle ne vouloit point un тагу: « На! dit-elle^
» ne me parlez point de тагу, j« n'en auray jamais plus : mais
D avoir un amy, c'est une autre affaire. — Permettez donc, ma-
» dame, que je sois cet amy, puisque тагу je ne puis estre. »
Elle luy répliqua : « Servez bien et persévérez; possible le serez-
» vous. »
— J'ay cogneu une grande dame qui, durant qu'elle estoit
fille et mariée, on ne parloit que de son embonpoint : elle vint à
perdre son тагу, et en faire un regret si extrême qu'elle en de
vint seiche comme bois (i) ; pourtant ne délaissa de se donner
au cœur joye d'ailleurs, jusqu'à emprunter l'aide d'un sien se
crétaire, voire de son cuisinier ce disoit-on : mais pour cela ne
recouvroit son embonpoint, encore que le dit cuisinier, qui es-
loit tout gresseux et gras, ce me semble, la devoit rendre grasse.
Et ainsi en prenoienl et de l'un et de l'autre de ses valéis, faisant,
avec cela, la plus prude et chaste femme de la Cour, n'ayant
que la vertu en la bouche, et mal-disanle de toutes les autres
femmes, et y trouvant à toutes à redire. Telle estoit cette grande
dame de Daupbiné, dans les Cent Nouvelles de la ßeyne de Na
varre, qui fut trouvée couchée sur belle herbe avec son palefre
nier ou muletier dessus elle, par un gentilhomme qui en estoit
amouieux à se perdre j mais par ainsi guérit aisément son mal
d'amour.
— J'ay leu dans un vieux roman de Jean de Sainlré, qui est
imprimé en lettres gothiques, que le feu roy Jean le nourrit
page. Par l'usance du temps passé les grands envoyaient leurs
pages en message, comme on fait bien aujourd'huy ; mais alors
alloient partout et par pays à cheval ; mesme q'ie j'ay ouy dire à
nos pères qu'on les envoyoit bien souvent en petites ambassades;
car, en dépendant un page avec un cheval et une pièce d'ar
gent, on en esloit quitte, et autant espargné. Ce petit Jean de
(I) Ce fut à elle que Hrnrl IV Hit an bal, iju'elln nvoit rmployp le veut et It
•eo (»ottr diviTtir la comi'.ïgiiif. Il lui lit celle raiilpri*, <lil Lu Laboureur, parca
que cette Гсште iTéuargnoii la lépulalioti d'aucune ijarae.
DISCOURS IV. 259
Saintré (car ainsi l'appeloit-on long-temps) estoit fort aimé de
son maistre le roy Jean, car il estoit tout plein d'esprit, fut en
voyé souvent porter de petits messages à sa sœur, qui estoit pour
lors veufve (le livre ne dit pas de qui). Cette dame en devint
amoureuse après plusieurs messages par luy faits ; et un jour,
le trouvant à propos et hors de compagnie, elle l'arraisonna, el
se mit à demander s'il aimoit point aucune dame de la Cour, et
laquelle luy revenoit le mieux ; ainsi qu'est la coustume de plu
sieurs dames d'user de ces propos quand elles veulent donner à
aucuns la première pointe ou attaque d'amour, comme j'ay veu
pratiquer. Ce petit Jean de Saintré, qui n'avoit jamais songé
rien moins qu'à l'amour, luy dit que non encore. Elle luy en
alla descouvrir plusieurs, et ce qui luy en sembloit. « Encore
» moins, » respondit-il, après luy avoir presché des vertus et
louanges de l'amour. Car, aussi bien de ce temps vieux comme
aujourd'huy, aucunes grandes dames y estoient sujelles ; car le
monde u'estoit pas fin comme il est: et les plus fines tant mieux
pour elles, qui en faisoient passer de belles aux marvs, mais
avec leurs hypocrisies et naïvetez. Celle dame donc, voyant ce
jeune garçon qui estoit de bonne prise, luy va dire qu'elle luy
vouloit donner une maistresse qui l'aymeroit bien, mais qu'il la
servist bien , et luy fit promettre, avec toutes les hontes du
monde qu'il eust sur ce coup, et surtout qu'il fust secret: enfin
elle se déclara à luy qu'elle vouloit estre sa dame et amoureuse ;
car de ce temps ce mol de maistresse ne s'usoit. Ce jeune page
fut fort estonné, pensant qu'elle se moquast ou le voulust faire
atrapper ou le faire fouetter. Toutefois elle luy monslra aussitost
tant de signes de feu et d'embrasement d'amour, qu'il connut
que ce n'estoit pas moquerie; luy disant toujours qu'elle le vou
loit dresser de sa main et le faire grand. Tant y a que leurs
amours et jouissances durèrent longuement , et estant p;ige et
hors de page, jusques à ce qu'il luy fallut aller à un lointain
voyage, qu'elle le changea en un gros, gras abbé ; et c'est le
conte que vous voyez en les Nouvelles da monde advantureux,
d'un valet dé chambre de la reyne de Navarre ; là où vous voye»
l'abbé faire un auront, au dit Jean de Saintré, qui esloit si brave
et si vaillant; aussi bien-tost après le rendit-il à M. l'abbé par
bon eschange, et au triple. Ce conte est très-beau, et est pris
de là où je vous dis. Voilà comme ce n'est d'aujourd'huy que
les dames aiment les pages, et mesmes quand ils sont maillés
560 VIES DES DAMES GALANTES.
comme perdreaux. Quelles humeurs de femmes, qui veulent
avoir des amys prou , mais des marys point ! Elles font cek
pour l'amour de la liberté, qui est une si douce chose; et leur
semble que quand elles sont hors de la domination de leurs ma
rys, qu'elles sont en paradis; car elles ont leur douaire très-
beau, et le mesnagent ; ont les affaires de la maison en manie- .
ment ; elles louchent les deniers ; tout passe par leurs mains :
au lieu qu'elles estoient servantes, elles sont maisiresses, font
esleclion de leurs plaisirs et de ceux qui leur en donnent à leur
souhait. Aucunes il y a qui se faschent certes de ne rentrer en se
cond mariage, soft pour les grandeurs, dignitez, biens et richesses,
grades, bons et doux traitements, comme elles faisoieut aux au
tres; ou pensant y trouver du pire, et par ce se contiennent:
ainsi que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs grandes dames
et princesses, lesquelles, de peur de ne rencontrer à leur souhait
de la grandeur, el de perdre leurs rangs, n'ont jamais voulu se
marier; mais ne laissent pour cela à faire bien l'amour, el le
mettre et convenir en jouissance; et n'en perdoient pour cela
ny leurs rangs, ny leurs tabourets, ny leurs sièges et séances.
N'esloient-elles pas bienheureuses celles-là , jouyr de la gran
deur, et de monter haut et s'abaisser bas tout ensemble? De leur
en dire mot, ou leur en faire la remonstrance, n'en faloit point ,
parler ; autrement il y avoil plus de despits, plus de desmentís,
de négatives, de contradictions et de vengeances.
— J'ay ouy raconter d'une dame veufve et Гау cogneue, qui
s'estoit fait longuement servir à un honneste genlilhomme, sous
prétexte de mariage; mais il ne se mettoit nullement en évi-'
dence. Une grande princesse, sa maistresse, luy en voulut faire
la réprimande. Elle, rusée et corrompue, luy respondil : « Et
» quoy, madame, serait deffendu de n'aimer d'amour honneste?
» ce seroit par trop grande cruauté. » Et on sçait que cet amour
honneste s'appeloit un amour bien lascif, et composé de con
fitures spermatiques : comme certes sont toutes amours , qui
naissent toutes pures, chastes et honnestes ; mais après se dé
pucellent, et, par quelque certain attouchement d'une pierre
phuosophale, se convertissent et se rendent deshonnestes el lu-'
briques.
— Feu M. de Bussy, qui estoit l'homme de son temps qui di-l
soit des mieux, et raconloit aussi -plaisamment, un jour à la»
Cour, voyant une dame veufve, grande, qui continuoit toujours,
DISCOURS IV. S6t
le mesiier d'amour, « Et quoy, dit-il, celle jument va-еЛе encore
» à l'ostallon ? Cela fut rapporté à la dame, qui luy en voulut
mal mortel; ce que M. de Bussy sceut: « Et bien, dit-il, je sçay
» comme je feray mon accord et rabilleray cela. Dites-luy , je
» vous prie, que je n'ay pas parlé ainsi ; mais bien j'ay dit :
» Cette poullre (1) va-elle encore au cheval? Car je sçay bien
» qu'elle n'est pas marrye de quoy je la tiens pour dame de
» joje, mais pour vieille; et lorsqu'elle sçaura que je l'ay nom-
» mée poullre, qui esl une jeune cavalle, elle pensera que je l'ay
» encore en estime d'une jeune dame. » Par ainsi, la dame, ayant
sceu cette satisfaction et rabillemenl de paroles, s'appaisa, et se
remit en amilié avuc M. de Bussy ; dont nous en rismes bien.
Toutefois elle avoil beau frire, car on la tenoit lousjours pour
une jument vieille et réparée, qui, toute suragée qu'elle esloit,
hànnissoil encore aux chevaux. Cette dame ne ressembloit pas à
une autre dont j'ay ouy parler, laquelle, ayant esté bonne com
pagne en son premier temps, et se jellant fort sur l'âge, se mit
à servir Dieu en jeusnes et oraisons. Un gentilhomme honneste
luy remonstrant pourquoy elle faisoit tant de veilles à l'église,
et tant de jeusnes à la table, et si c'estoit pour vaincre et mallei
les aiguillons de la chair, « Hélas ! dit-elle, ils me sont tous pas-
» sez ; » proférant ces mots aussi piteusement que jamais fit
Milo Croloniales, ce fort et puissant luileur ; lequel un jour estant
descendu dans l'arène, ou le champ des luiteurs, pour y voir IVs-
bat seulement, car il estoit devenu fort vieux, il y en eut un de
la troupe qui luy vient dire s'il ne vouloit point faire encore un
coup du vieux temps. Luy, se tßbrassant et retroussant ses bras
fort piteusement, regardant ses nerfs et muscles, il dit seule
ment : « Hélas! ils sont morts. » Si celte femme en eust fait de
mesine et se fust retroussée, le trait esloit pareil à celny de Milo;
mais on n'y eust veu grand cas qui valust ny qui lentast. Un au
tre pareil trait et mot au précédent M. de Bussy fil un gentil
homme que je sçay. Venant à la Cour, d'où il avoil esté absent
six moiSj il vid une dame qui alloii à l'Académie, qui estoil alors
inlroduile à la Cour par le feu Hoy: « Comment, dit-il, l'Aca-
» demie dure encore? on rn'avoil dit qu'elle esloit abolie.—
» En doutez-vous, luy respondit un, si elle y va ? son magisler
(Í) Suivant RMiclaU, on appelle f о titre une jument DOD encore saillie. Ainii
Uib*y jKirluil ¡ncmiLjrumenl.
ÍC2 VIES DES DAMES GALANTES.
» luy apprend la philosophie, qui parle et traite du mouvement
л perpétuel. »
— Une dame de pnr le monde rencontra bien mieux d'une
autre à laquelle on loiioit fort ses beauté?., fors qu'elle avoit ses
yeux immobiles, qu'elle ne remuoil nullement. « Pensez, dit-
« elle, que toute sa curiosité est à mettre son' mouvement au
» reste de son corps, et mesme à ce!uy du milan, sans le ren-
» voyer a ses yeux. » Or, si je voulois mettre par escrit et tous
les bons mots et bons coules que je sçny pour bien amplifier
ce sujet, je n'aurois jamais fait, et d'autant que j'ay d'autres
pas à faire je m'en désiste, et concluray avec Bocace, cy-des-
sus allégué, que, et filles, et mariées, et veufves, au moins la plus
grande pari, tendent toutes à l'amour.
Je ne veux point parler des personnes viles, n y des champs, ny
de ville, rtir telle n'a point esté mon inteniiun d'en escrire, mais
des grandes, pour lesquelles ma plume vole. Toutefois, si an
vray on me demanrloit mon opinion, je dirois volontiers qu'il
n'y a que les mariées, tout hazard et danger des marys à part,
pour eslre propres à l'amour et en tirer prestement l'essence ;
car les marys les eschauuent tant, que, comme une fournaise
qui est souvent bien embrasée, elles ne demandent que de la
matière et du bois pour entretenir lousjours leur chaleur ; et aussi
qui se veut bien servir de la lampe, il y faut meure souvent de
l'huile; mais aussi garde lu jarret, et les embusches de ces marys
jaloux, où les plus habiles bien souvent y sont attrapez ! Tuule-
fois il y faut aller le plus sagement que l'on peut et le plus har
diment, et faire comme un Roy, lequel, comme il estoit fort
sujet à l'amour, et fort aussi respectueux aux dames, et discret,
et par conséquent bien-aimé et receu d'elles, quand quelquefois
il changeoit de -lict et s'alloit coucher en celuy d'une autre dame
qui l'allendoit, ainsi queje tiens de bon heu, jamais il n'y alloil,
et fust-ce en ses galeries cachées de Saint Germain, Bloys et
Fontainebleau, et petits degrés escliapaloircs, et recoins, et gal
letas de ses chasleaux, qu'il n'eust son valet-de-cliambre favory,
dit Griffon, qui portoit son espieu devant luy avec le flambeau, ¡
et luy après, son grand manteau devant les yeux ou sa lobe de
nuict, et son espée sous le bras ; et estant couché avec la dame,
se faisoit mettre son espieu et son espée auprès de son-ciievet,
et Griffon à la porte bien fermée, qui quelquefois faisoit ¡é guut
et quelquefois dormoit. Je vous laisse à penser, si un grand
. DISCOURS IV. 283
гоу prenoit si bien garde à soy ( car il y en a eu d'atrapez, et
des roys el de grands princes) ; ce que les petits compagnons
auprès de ce grand doivent faire. Mais il y a de certains pré-,
somptueux qui desdaigneul tout; aussi sont-ils bien alrappez
souvent. t|
— J'ay ouy conter que le roy François, ayant en main une
fort belle dame qui luy a longtemps duré, allant uu jour inopiné
à ladite dame el en lieure inopinée coucher avec elle, vint à
frapper à la porte rudement, ainsi qu'il devoit et avoil pouvoir,
car il estoit niaintre. Elle qui estoit pour lors accompagnée du
sieur de Bonmvet, n'osa pas dire le mot des courlisannes de
Rome • Non si parla, la signara, è accompagnaia (1). Ce fut à
s'adviser là où son gahnd se caclieroit pour plus grande seu-
reté. Par cas c'esloit en esté, où l'on avoit mis des branches et
feuilles dans la cheminée, ainsi qu'est la coustume de France.
Parquoy elle luy conseille et l'advisa aussitost de se jeter dans
la chominée, et se cacher dans ces feuillages tout en chemise,
que bien luy servil de quoy ce n'esloit en hyver. Après que le
Roy eut fait sa besogne avec la dame, il voulut faire de l'eau;
et se levant, la vint faire dans la cheminée, par faute d'autre
commodité ; dont il en eust si grande envie, qu'il en arrosa le
pauvre amoureux plus que si l'on luy eusl jette un sceau d'eau.
car il l'en arrousa, en forme de chaniepleure de jardin, de lous
costez, voire et sur le visage, par les yeux, par le nez, la bou
che, el partout ; possible en eschappa-t-il quelque goutte dans
la bouche. Je vous laisse à penser en quelle peine esloit ce gen
tilhomme, car il n'osoit se remuer, el quelle patience et con
stance tout ensemble ! Le Hoy, ayant fait, s'en alla, prit congé
de la dame et sortit de la chambre. La dame fit fermer par der
rière, et appella son serviteur dans son Irct, l'eschaulla de son
feu, et lui fil prendre chemise blanche : ce ne fust pas sans rire
après la grande appréhension; car s'il eust esté descouvert, et
luy el elle esloienl en Ires-grand danger. Celte dame est celle-là
mesme laquelle estant l'on amoureuse de AI. de Bonnivet, eu
voulant monstrer au Roy le contraire, qui en concevoit quelque
petite jalousie, elle luy diboil : « Mais il est bon, Sire, de Bon-
» nivel, qui pense estre beau ; el tanl plus je luy dis qu'il l'est,
v tant plus il se voit; et je nie uioque de luy, et par ainsi j'eu
DISCOURS CINQUIÈME.
Sur aucunes dames vieilles qui aiment au!. m!, à faire l'amour coma
les jeunes.
(i) Сии ti'uue vieille poule on fail tin meilleur bouillon que d'une autre.
DISCOURS V, S 75
bon mot et bonne volonté, il l'espousa et se coupla avec elle. Pa
reilles quasi paroles furent données à l'un de nos trois roys der
niers, que je ne nommeray point. Estant espiis et devenu amoureux
d'une fort belle et honneste dame, après lui avoir jette des pre
mières pointes et paroles d'amour, luy en fil un jour entendre sa
volonté plus au long, par un lionnesle et très-habile gentilhomme
que je sray, qui, luy portant le pelii poulet, se mil eu sou mieux
dire pour la persuader de venir là. Elle, qui u'esioil point solle,
se défendit le mieux qu'elle put, par force belles raisons qu'elle
sceul bien alléguer, sans oublier sur tout le grand, ou, pour mieux
dire, le petii point d'honneur. Somme, le gentilhomme, après
force contestations, luy demanda, pour fin, ce qu'eue vouloit qu'il
dislau Roy? Elle, ayant un peu songé, tout à coup, comme d'une
desesperada, proféra ces mois : « Que vous luy direz? dit-elle;
» autre chose, si-non que je sçay bien qu'un refus ne fut jamais
u profitable à celuy ou à celle qui le fait à son Roy ou à son souve-
» rain, et que bien souvent, usant de sa puissance, il sçait
» plustost prendre et commander que requérir et prier. » Le gen
tilhomme, se contentant de celte response, la porte aussilost au
Roy, qui pi it l'occasion par le poil et va trouver la dame en sa
chambre, laquelle, sans trop grand effort de lutte, fut abattue.
Celte re.-ponse fut d'esprit et d'envie d'avoir affaire à son R'oy ,
encore qu'on die qu'il ne fait pas bon se jouer ni avoir affaire
avec son Roy : il s'en faut ce point, dont on ne s'en trouve
jamais mal si la femme s'y conduit sagement et constamment.
Pour reprendre cette Julia, maraslre de cet empereur, il fallois,
bien qu'elle fust putain, d'aimer et prendre à тагу celui sur le
sein de laquelle, quelque temps avant, il luy avoil tué son propre
fils; elle estoit bien pulain celle-là et de bas cœur. Toulesfois
c'estoit grande chose que d'eslre impératrice, et pour tel honneur
tout s'oublie. Cet'e Julia fut fort aimée de son тагу, encore qu'elle
fust bien fort en l'aage, n'ayant pourtant rien abatiu de sa beauté;
car elle este/il Irès-Lelle et Irès-accortc, témoins ses paroles, qui
lui haussèrent b:en le chevet de sa grandeur.
— Philij'pcs Maria, duc troisiesme de Milan, ^espousa en se
condes nopccs Beatricine, veuve de feu Facin Cane , estant fort
vieille; mais elle luy porta en mariage quatre cents mille escus,
sans les autres meubles, bagues et joyaux, qui montaient a un
haut prix, et qui elïuçoienl sa vieil'e.-se; nonobstant laquelle fut
soupçonnée de son тагу d'aller nbauder ailleurs, et pour tel
37« VIES DES DAMES GALANTES.
soupçon la fit mourir. Vous voyez si la vieillesse luy fit perdre le
gonst du jeu d'amour; pensez que le grand usage qu'elle en
avoit luy en donnoit encore l'envie.
— Constance, reyne de Sicile, qui, dès fa jeunesse, et toute sa
vie, n'avoit bougé vestale du cul d'un cloistre en chasteté, venant
à s'émanciper au monde en l'aage de cinquante ans, qui n'estoit
pas belle pourtant et toute décrépite, voulut taster de la douceur
de la cbair et se marier, et engrossa d'un enfant en l'aage de
cinquante deux ans, duquel elle voulut enfanter publiquement
dans les prairies de Palerme, y ayant fait dresser une tente et nu
pavillon exprès, afin que le monde n'entrast en doute que son fruit
fut apposté : qui fust un des grands miracles que jamais on ait
veu depuis sainte Elisabeth. L'histoire de Naples pourtant dit
qu'on le reputa supposé. " Si fut-il pourtant un grand personnage ;
mais ce sont-ils ceux-là, la pluspart, des braves, que les bastards,
ainsi que me dit un jour un grand.
— J'ay cogneu une abbesse de Tarascón, sœur de madame
d'Usez, de la maison de Tallard, qui se deffroqua et sortit de re- '
ligion en l'aage de plus de cinquante ans, et se maria avec le
grand Chanay, qu'on a veu grand joueur à la Cour. Force auires
religieuses ont fait de tels tours, soit en mariage ou autrement,
pour taster de la chair en leur aage très-meur. Si telles font cela,
que doivent donc faire nos dames, qui y sont accoutumées des
leurs tendres ans? la vieillesse les doit-elle empescher qu'elles ne
taslent ou mangent quelquefois de bons morceaux dont elles eu
ont pratiqué l'usance si longtemps? Et que deviendroient tant
de bons potages restaurants, bouillons composez, tant d'ambres-
gris, et a u très -drogues escaldatives et confortatives pour eschaufler
et conforter leur estomach, vieil et (roid? Dont ne faut douter
que telles compositions , en remettant et entrenant leur débile
estomach , ne fassent encore autre seconde opération sous bourre,
qui les eschauffent dans le corps et leur causent quelques
chaleurs vénériennes; qu'il faut par après expulser par la coha
bitation et copulation, qui est le plus souverain remède qui
soit, et le plus ordinaire, sans y appeler autrement l'advis
des médecins, dont je m'en rapporte à eux. Et qui meilleur
est pour elles, est, qu'estant aagées et venues sur les cin
quante ans, n'ont plus de crainte d'engrosser, et lors ont pleiniere
et toute ample liberté de se jouer et recueillir les arrérages des
plaisirs, que possible aucunes n'ont osé prendre de peur de l'en-
DISCOURS V. 277
Лиге de leur traistre ventre : de sorte que plusieurs y en a-t-il
qui se donnent plus de bon temps en leurs amours depuis cin
quante ans en bas, que de cinquante ans en avant. De plusieurs
grandes et moyennes dames en ay-je oy parler en telles com
plexions, jusques-là que plusieurs en ay-je cogneu et ouy parler,
qui ont souhaité plusieurs fols les cinquante ans chargés sur eues
pour les empescher de la groisse, et pour le faire mieux sans au
cune crainte ni escándale. Mais pouquoy s'en en garderoient-elles
sur l'aage? vous diriez qu'après la mort aucunes ont quelque
mouvement et sentiment de chair. Si faut-il que je fasse un conte
queje vais faire.
— J'ay eu d'autres fois un frère puisné qu'on appeloit le capi
taine Bourdeille, l'un desbrávese! vaillants capitaines de son temps,
ïl faut que je die cela de luy, encore qu'il fust mon frère, sans of
fenser la louange que je luy donne : les combats qu'il a faits aux
guerres et aux estaquades en font foy ; car c'estoit le gentilhomme
de France qui avoit les armes mieux en la main : aussi l'appeloit-
on en Piedmont l'un des Rodomonts dé-là. Il fut tué à l'assaut de
Ilesdin, a la dernière reprise. 11 fut dédié par ses père et mère
aux lettres, et pour 'ce il fut envoyé à l'aage de dix-huit ans en
Italie pour estudier, et s'arresla à Ferrare, pour ce que madame
Renée de France, duchesse de Ferrare, aimoit fort ma mère, et
pour ce le retint là pour vaquer à ses études, car il y avoit uni
versité. Or, d'autant qu'il n'y estoit nay ny propre, il n'y vaquoit
gueres, ains plutost s'amusa à faire la cour et l'amour: si bien qu'il
s'amouracha fort d'une damoiselle française veufve, qui estoit à
madame de Ferrare, qu'on appeloit mademoiselle de La Roche (l ),
et en tira de la jouissance, s'entr'aimant si fort l'un et l'autre,
que mon frère, avant esté rappelé de son père, le voyant mal pro
pre pour les lettres, fallust qu'il s'en retournast. Elle qui l'aimoit,
et qui craignoit qu'il ne luy mesadvint, parce qu'elle sentoit fort de
Luther, qui voguoit pour lors, pria mon frère de l'emmener avec
luy en France, et eu la cour de la reyne de Navarre, Marguerite,
à qui elle avoit esté, et l'avoit donnée à madame Renée lorsqu'elle
fut mariée, et s'en alla en Italie. Mon frère, qui estoit jeune et
sans aucune considération, estant bien aise de cette bonne com-
pagtoie, la conduisit jusques à Paris, où estoit ptfur lors la Reyne,
qui fui fort aise de la voir, car c'estoit la femme qui avoit le plus
24
m VIES DES DAMES GALANTES.
d'esprit et disoit des mieux, et estoit une veufve belle et accomplie
en tout. Mon frère, après avoir demeuré quelques jours avec ma
grand-mère et ma mère, qui estaient lors en sa Cour, s'en retourna
voir sou père. Au bout de quelque temps, se dégoustant fort des
lettres, et ne s'y voyant propre, les quitte tout à plat, et s'en va,
aux guerres de Piedmont et de Parme, où il acquit beaucoup
d'honneur, et les pratiqua l'espaee de cinq à six mois sans venir
à sa maison; au bout desquels il vint voir sa mère, qui estoit lors
à la Cour avec la reyne de Navarre, qui se tenoit lors à Pau, à
laquelle il lit révérence ainsi qu'elle tournoit de vespres. Elle, qui
estoit la meilleure princesse du monde, luy fit une fort bonne
chère, et, le prônant par la main, le pourmena par l'église environ
une heure ou deux, luy demandant force nouvelles des guerres de
Piedmont et d'>alie, et plusieurs autres particularisez auxquelles
mon Ireie respondit si bien, qu'elle en fut satisfaite (car il disoit
des mieux) , tant de son esprit que de son corps, car il estoit
très-beau gentilhomme, et de l'aage do vingt-quatre ans. Enfln,
après l'avoir entretenu assez de temps, et ainsi que la nature et la
complexion de celte honorable princesse estoit de ne dédaigner- les
belles conversations et entretiens des honneslês gens, de propos
en propos, tousjours en se pourmenant, vint précisément arrester
coy mon frère sur la tombo de mademoiselle de La Roche, qui
estoit morte il y a voit trois mois; puis le prit par la main et lay
dit : « Mon cousin (car ainsi l'appeloit-elle, d'autant qu'une fille
» <ГAlbret a voit esté mariée en noire maison de Bourdeille ; mais
» pour cela je n'en mets pas plus grand pot au feu, n'y o'en
» augmente davantage mon ambition), ne sentez-vous point rien.
» mouvoir sous vous et sous vos pieds?— Non, madame, respoiidit-
» il. —Mais songez-y bien, mon cousin, lui répliqua-elle, » Mon
» frère lui respondit: «Madame, j'y ay bien songé, mais je ne sens
л rien mouvoir; car je marche sur une pierre bien ferme. — Or,
» je vous advise, dit lors la Revue, sans le tenir plus en suspens,
» que vous estes sur In tombe elle corps de la pauvre niademoi-
» selle de La Koche, qui est ¡ci dessous vous enterrée, que vous
» avez tant aimée : et puis que les âmes ont du sentiment après
» nosli'C morí, il i:e faut jias douter que cette honnesle créature,
» morte de (Vais, ne se soit esroue aus>i-tost que vous ave» esté
» sur elle ; et si vous ne l'avez senty à cause de l'espaisseur de la
» tombe, ne faut douter qu'en soy ne se soit esmue et ressentie;
» et d'autant que c'est un pieux office d'avoir souveuaace des 1res
DISCOURS V. 179
» passés, et mesme de ceux que l'on a aimez, je vous prie luy
» donner un Pater nosler et un Ave Maria, et un D¿ pro-
» fuiidis, et l'arrousez d'eau bénite; et vous acquerrez le nom
» de très-fidèle amant et d'un bon clireslien. Je vous lairray donc
» pour cela, et pars. » Et s'en va. Feu mon frère ne faillit à ce
qu'elle avoil dit, et puis l'alla trouver, qui luy en fit un peu îa
guerre, car elle en estoit commune en tout bon propos et y avoit
bonne grâce. Voilà l'opinion de cette bonne princesse laquelle
la tenoit plus par gentillesse et par forme de devis que par
créance, à mon advis. Ces propos gentils me font souvenir d'une
épitapbe d'une courlisanne qui est enterrée à Rome à Nostre-
Daine del Populo, où il y a ces mots : Quœso, tiator, ne me
diulius calcalam, amplias cakes: « Passant, m'ayant tant de
v fois foulée et trépée, je te prie ne me tréper ny ne me fouler
» plus. » Le mot latin a plus de grâce. Je mets tout cecy plus
pour risée que pour autre chose. Or, pour faire lin, ne se faut
esbahir si cette dame espagnole tenoit cette maxime des belles
dames qui se sont fort aimées, et ont aimé et aiment; et se
plaisent à estre louées, bien qu'elles ne tiennent guieres du passé ;
mais pourtant c'est le plus grand plaisir que vous leur pouvez
donner, et qu'elles aiment plus, quand vous leur d'îles .que ce
sont tousjours elles, et qu'elles ne sont nullement changées ny
envieillies, et sur-tout qui ne deviennent point vieilles de la
ceinture jusqu'au bas.
J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame qui disoit un
jour à son serviteur : « Je ne sais que désormais la vieillesse m'ap-
" portera plus grande incommodité (car elle avoit cinquante-cinq
» ans) ; mais Dieu merci, je ne le fis jamais si bien comme je le
» fais, et n'y pris jamais tant de plaisir ; que si cecy dure et con-
» tinuë jusqu'à mon extrême vieillesse, je ne m'en soucie d'elle
» autrement, ny ne ptains point le passé. » Or, touchant l'amour
et la concupiscence, j'ay allégué ¡ci et ailleurs assez d'exemples,
sans en tirer davantage sur ce sujet. Venons maintenant à
l'autre maxime, touchant celle beauté des belles femmes qui ne se
diminue par vieillesse de la ceinture jusques en bas. Certes, sur
cela, celle dame espagnole allégua plusieurs belles raisons et
gentilles comparaisons, accomparant ces belles daines à ces beaux,
vieux et superbes édifices qui ont esté, desquels la ruine en
demeure eneor belle ; ainsi que l'on voit à Rome, en ces orgueil
leuses antiquité/,, les ruines de ces beaux palais, ces superbes
!80 VIES DES DAMES GALAYTES.
colissées et grands terme?, qni monstrent bien encore quels ont
esté, donnent encore admiration et terreur à tout le monde, et la
ruine en demeure admirable et e^ponvantable ; si-bien que sur
ces ruines ont y bastit encore de tri s-beaus édifices, moastrMl
qne les fondements en sont meilleurs et pías beans que sur d'au
tres nouveaux : ainsi que l'on voit souvent aux massonneries qce
nos bons architectes et massons entreprennent ; et s'ils trouvent
quelques vieilles ruines et fondement?, ils basassent ansa-leal
dessus, et plus-lost qne sarde nouveaux. J'ay bien ven aussi sou
vent de belles pulieres et navires se bastir et se refaire sur de vieux
corps et de vieilles carennes, lesquelles avoient demeuré long-temps
dans un port sans rien faire, qui valloient bien autant que celles
que l'on bastissoit etcharpe:itoit tout à neuf, et de bois oeuf venant
de la forest. Davantage, disoit cette dame espagnole, ne void-on
pas souvent les sommets des hautes tours par lus vents, les orages,
les tonnerres estre emportez, defraude/, et gastez, et le bas de
meurer sain et cnlier? car lousjours à telles hauteurs telles tem
pestes s'adressent ; mesmes les vents marins miuent et mangent
les pierres d'enhaut, et les concavent plustosl que celles du bas ,
pour n'y eslre si exposées que celles d'enhaut. De mesme, plu
sieurs belles dames perdent le lustre et la beauté de leurs beaux
visages par plusieurs accidents, ou de froid ou de chaud, ou de
soleil et do lune, et autres, et, qui pis est , de plusieurs fards
qu'elle y appliquent, pensans se rendre plus belles, et gaslcnt
tout; au lieu qu'aux partis d'enbas n'y applicquent autre fard
que le naturel spermatic, n'y sentant ni froid, ny pluye, ny vent,
ny solc'il, ny lune, qui n'y touchent point. Si la chaleur les
importune, elles s'en sçavent bien garantir el se ralfraiscliir; de
mesmes remédient au froid en plusieurs façons: tant d'incommo-
dilez et peines y a-t-il à gar.Jer la beauté d'enhaut, et peu a
garder celle d'enbas : si-bien qu'encore qu'on ayl veu une belle
femme se perdre par le visage, ne faut présumer qu'elle soit
perdue par le bas, et qu'il n'y reste, encor quelque chose de beau
et de bon, et qu'il n'y fait point mauvais bastir.
— J'ay ouy conter d'une grande dame qui avoit esté très-belle
et bien adonnée à l'amour : un de ses serviteurs anciens l'avant
perdue de veuë l'espace de quatre ans, pour quelque voyage qu'il
entreprit, duquel retournant, et la trouvant fort changée de ce
beau visage qu'il luy avoit veu autres fois, et par ce en devint
fort dégousté et reflroidy, qu'il ne la voulut plus attaquer, nv
DISCOURS V. J8 1
rcnouvcüer avec eue le plaisir passé. Elle le recogneut bien, et fît
tant qu'elle trouva moyen qu'il la vint voir dans son lict; et, pour
ce, un jour eue contrefit de !a malade, et lui l'estant venue voir sur
jour, ello luy dit : « Je sçay Lien, monsieur, que vous me des-
» daignez à cause de mon visage changé par mon ange; mais
« tenez, voyez ( et sur ce elle luy descouvrit toute la moitié du
» corps nud en bas) s'il y a rien d¿ changé là ; si mon visage
» vous a trompé, cela ne vous trompe pas. » Le gentilhomme
la contemplant, et la trouvant par-là aussi belle et nette que
jamais, entra aussitost en appétit , et mangea de la chair qu'il
pensoit estre pourrie et gastée. « Et voilà, dit la dame, monsieur,
» voilj comme vous autres estes trompez. Une autre fois, n'ad-
» jouslez plus de foy aux menleries de nos faux visages; carie
» reste de nos corps ne les ressemble раз toujours. Je vous
» apprens cela. » Une dame comme cellc-Ь, estant ainsi devenue
changée de beau visage, fut en si grand colère et despit contre luy,
, qu'elle ne le voulut oncques plus jamais mirer dans son miroir,
disant qu'il en estoit indigne ; et se faisoit coiffer à ses femmes,
cl, pour récompense, se miroitets'arregardoit par les parties d'cn-
bas, y prenant autant de délectation comme elle avoit fait par Je
visage autresfois.
— J'ay ouy parler d'une autre dame, qui, tant qu'elle cou-
choit sur jour avec son amy, elle couvrait son visage d'un beau
mouchoir blanc d'une fine toile d'Hollande, de peur que, la
voyant au visage, le baut ne refroidis! et empeschast la batterie
du bas, et ne s'en degouslast ; car il n'y avoit rien à dire au. bas
du beau passé. Sur quoy il y eut une fort bonneste dame, dont j'ay
ouy parler, qui rencontra plaisamment, à laquelle un jour son тагу
luy demandant « pourquoy son poil d'en-bas n'csloil pas devenu
» blanc et chenu comme celuy de la teste : Hà, dit-elle, le mes-
» chant traistre qu'il est, quia fait la folie, De s'en ressent point,
» ny ид la boit point. Il la fait sentir et boire à d'autres de mes
» membres et à ma* leste; d'autant qu'il demeure toujours, sans
» changer, et en niesme estai et vigueur, en mesme disposition,
» et sur-tout en mesme chaud naturel, et a me;me appétit et
» santé, et non des autres membres, qui en ont pour luy des
»maux et des douleurs, et mes cheveux qui en sont devenus blancs
» et chenus. » Elle avoit raison de parler ainsi ; car celte partie
leur engendre bien des douleurs, des gouttes et des maux , sans
que leur gallant du mitón s'en sente; et, pour trop eslre chaudes
24.
SSI VIES DES DAMES GALAXIES.
à cela, ce disent les médecins, deviennent ainsi chenues. Voilà
pourquoy les belles dames ne vieillissent jamais par-lj en toutes les
deux façons.
— J'ay ouy raconter à aucuns qui les ont pratiquées, josqoes
aux courtisannes, qui m'ont asseuré n'en avoir veu guères de
belles estrés venues vieilles par-là : car tout le bris et milan, et
cuisses et jambes, avoient le tout beau, et la volonté et h dis
position pareille au passé. Mesmes j'en ay ouy parler à plusieurs
marys qui trouvoient leurs vieilles (ainsi les appeloienl-ils) aussi
belles par le bas comme jamais, en vouloir, en gaillardise, ea
beauté, et aussi volontaires, et u'y trouvoient rien de changé
que le visage; et aimoient aulant coucher avec elles qu'en leurs
jeunes ans. Au reste, combien y a-t-il d'hommes qui aiment au
tant de vieilles dames pour monter dessus pluslost que sur des
jeunes; tout ainsi comme plusieurs qui aiment mieux des vieux
chevaux, soit pour le jour d'un bon aO'aire, soil pour le manège et
pour le p'aisir, qui ont eslé si bien appris en leur jeunesse, qu'en
leur vieillesse vous n'y trouverez rieu à dire, tant ils ont esté bien
dressés, et ont continué leur genlilleaddresse.
— J'ay veu à l'escurie de nos rovs le cheval qu'on appellent
le (¿uadragaiit, dressé du temps du roy Henry. Il avuit plus de
vingt-deux ans; mais encore, tout vieux qu'il esloit, il laisoit
très-bien et n'avoit rien oublié ; si bien qu'il donnoit encore à
son roy, et à tous ceux qui le voyoient manier, du plaisir bien
grand. J'en ay veu faire de mesmes ». un grand coursier qu'on
appeloit le Gonzague, du haras de Manlouë, et estoit contempo
rain du Quadragant. J'ay veu le Morcan superbe, qui avoit
eslé mis pour estalon. Le seigneur M. Antonio, qui avoit la
charge du haras du Roy, me le monstra à Mun, un jour que je
passay par-là, aller à deux pas et un sault, et à voiles, aussi
bien que lorsque M. de CarnavaHet l'eut dressé, car il estoit à
luy ; et feu M. de Longueville luy en voulut donner trois nulle
livres de rente; mais le roy Charles ne le voulut pas, qui le prit
pour luy, et le récompensa d'ailleurs. Une infinité d'autres en
nommerois-je, mais je n'aurois jamais fait, m'en remettant aux
braves escuyers, qui en ont prou veu. Le feu roy Henry, ;m
camp d'Amiens, avoit choisi pour sou jour de bataille /• Bay de
la Pay, un très-beau et fort courcier et vieux ; et mourut de la
fièvre, par le dire des plus experts mareschaux, au camp d'A
miens; ce qu'on trouva estrange. Feu M. de Guise envoya que
DISCOURS V. 283
rir en son horas d'Esclairon le Bay Samson, qui servoit là
d'estalon, pour le servir en la bataille de Dreux, où il le servit
très-bien. Aux premières guerres, feu M. le prince pril dans Mun
vingt-deux chevaux qui servoient-là d'estalons, pour s'en servir en
ses guerres, et les départit aux uns et aux autres des seigneurs qui
estoient avec luy, s'en estant réservé sa part ; dont le brave Avaret
eut un courcier que M. le connestable avoit donné au roy Henry,
et l'appeloil-on le Compère : tout vieux qu'il estoit, jamais n'en
fut veu un meilleur, et son maistre le fît trouver eu de bons combats,
qui luy servit très-bien. Le capitaine Bourdet eut le Turc, sur
lequel le feu roy Henry fut blessé et tué, que feu SI. de Savoye luy
avoit donné, et l'appelloit-on le Malheureux : et s'appelloit ainsi
quand il fut donné au Roy, ce qui fut un très-mauvais présage pour
le Roy. Jamais il ne fut si bon en sa jeunesse comme il fut en sa
vieillesse : aussi son maistre, qui estoit un des vaillants gentilshom
mes de France, le faisoitbien valloir. Rref, tout tant qu'il en eust
de ces esîalons, jamais l'aage m'empescha qu'ils ne servissent bien
à leurs maislres, à leur prince et à leur cause. Ainsi sont plusieurs
chevaux vieux qui ne se rendent jamais: aussi dit-on que jamais bon
cheval ne devint rosse. De mesme sont plusieurs dames, qui en leur
vieillesse valent bien autant que d'autres en leur jeunesse, et don
nent bien autant de plaisir, pour avoir esté en leur temps très-bien
apprises et dressées ; et volontiers telles leçons mal-aisément s'ou
blient : et ce qui est le meilleur, c'est qu'elles sont fort libérales et
larges à donner pour entretenir leurs chevaliers et cavalcadours, qui
prennent plus d'argent et veulent plus grand entretien pour mon
ter sur une vieille monture que sur une jeune ; qui est au contraire
des escuyers, qui n'en prennent tant des chevaux dressés que des
jeunes ei à dresser : ainsi la raison en cela le veut.
Une question sur le sujet des dames aagées ay-je veu faire, à
savoir quelle gloire plus grande y a-t-il à desbaucher une dame
aagée et en jouir, ou une jeune. A aucuns ay-je ouy dire que c'est
pour la vieille, et disoient que la folie et la chaleur qui est en la
jeunesse, sont de soy assez toutes desbauchées et aisées à' perdre;
mais la sagesse et la froideur qui semblent estre en la vieillesse,
malaisément se peuvent-elles corrompre ; et qui les corrompt en
est en plus belle réputation. Aussi cette fameuse courlisanne
Lays se vanloit et se glorifioit fort de quoy les philosophes alloient
à souvent la voir et apprendre à son eschole, plus que de tous
autres jeunes gens et fols qui allassent. De mesme Flora se
284 VIES DÉS DAMES GALANTES.
glorifioit de voir venir à sa porte de grands sénateurs romains,
plustost que de jeunes fols chevaliers. Ainsi nie semble-l-il que
c'est grand gloire de vaincre la sagesse qui pourroit estre aux
vieilles personnes, pour le plaisir et contentement. Je m'en
rapporte à ceux qui l'ont expérimenté, dont aucuns ont dit qu'une
monture dressée est plus plaidante qu'une farouche et qui ne scait
pas seulement trotter. Davantage, quel plaisir et quel plus
grand aise peut-on avoir en l'âme quand on voit entrer dans une
salle du bal, dans des chambres de la Rey ne, ou dans une église,
ou une autre grande assemblée, une dame aagée de grande qualité
et A' alla guisa (i), comme dit l'Italien, et mesmes une dame
d'honneur de la Reyne ou d'une princesse, ou une gouvernante
des damoiselles ou filles de la Cour, que l'on prend , et l'on
met en cette digne charge pour la tenir sage? On la verra qui
fait, la mine de la prude, de la chaste, delà vertueuse, et que
tout le monde la tient ainsi pour telle, à cause de son aage, et,
quand on songe en soy, et qu'on le dit à quelque sien fidèle
compagnon et confident : « La voyoz-vous-l.'i en sa façon grave,
» sa mine sage et dédaigneuse et froide, qu'on dirait qu'elle
» ne feroit pas mouvoir une seule goutte d'eau ? Hélas ! quand
» je la tiens couchée en son lict, il. n'y a girouette au monde
» qui se remue et se revire si souvent et si agilement que
в font ses reins et ses fesses. » Quant à moi, je croy que celiiy
qui a passé par-là et le peut dire, qu'il est très-content en sor.
Ha ! que j'en ay cogneu plusieurs de ces daines en ce monde, qui
contrefaisoient leurs dames sages, prudes et censoriennes, qui es-
loient très-débordées et vénériennes quand venoient-là, et que
•bien souvent on aballoit plustost qu'aucunes jeunes, qui par trop
peu rusées, craignent la lutte ! Aussi dit-on, qu'il n'y a chasse que
de vieilles renardes pour chasser et porter à manger à leurs petits.
Nous lisons que jadis plusieurs empereurs romains se sont fort
délectez à débauscher et repasser ainsi ces grandes dames .d'hon
neur et de réputation, autant pour le plaisir et contentement,
comme certes il y en a plus qu'en des inférieures, que pour la
gloire et honneur qu'il s'atlribuoient de les avoir desbauchées
et suppéditées : ainsi que j'en ay cogneu de mon temps plusieurs
seigneurs, princes et gentilshommes, qui s'en sont sentis très-
glorieux et très-coiiteins dans leur âme, pour avoir fait de
DISCOURS SIXIÈME.
Sur ce que les belles ci lionnrples fiâmes nimmt IPS vaill'tils hommes,
et les braves hommes »'ment les dames coiiiug^iiscSt
(I) Fortuit?.
20
30* VIES DES DAMES GALANTES.
d'une duchesse de Fiir'y, nommée Romilde, laquelle, ayant perdu
son тагу, ses ierres et son bien, que Caucan, roy des Avarois, luy
avoil tout prit, et réduite à se retirer avec ses enfants dans son
chasteau de Furly, là où il l'assiégea. Mais un jour qu'il s'en ap-
prochoit pour le recognoislre, Romilde, qui estoitsur le haut d'une
tour, le vid, et se mit fort h le contempler et longuement; et le
voyant si beau, estant à la fleur de son aage, monté sur tm beau
cheval, et armé d'un harnois très-superbe, et qu'il faisoilrtant de
beaux exploict d'armes, et ne s'espargnoil non plus que le moindre
soldat des siens, en devint incontinent passionnément amoureuse;
et, laissant arrière le deuil de son тагу et les affaires de son chas
teau et de son siège, luy manda par un messager que, s'il la vou-
loit prendre en mariage, qu'elle luy rendroit la place dès le jour
que les nopces seraient célébrées. Le roy Cancan la prit au mot.
Le jour donc compromis venu, elle s'habille pompeusement de ses
plus beaux et superbes habits de duchesse, qui la rendirent d'au
tant plus belle, car elle l'estoit très-fort; et estant venue au camp
du Roy pour consommer le mariage, afin qu'on ne le pust blasmer
qu'il u'eusl tenu sa foy, se mit tonte la nuict à contenter la du
chesse eschauflëe. Puis lendemain au matin, eslanl levé, fit appeler
douze soldats avarois des siens, qu'il estimoit les plus forts et
roides compagnons, et mit Romilde entre leurs mains pour en faire
leur plaisir l'un après l'attire; laquelle repassèrent tout une nuict
tant qu'ils purent : et le jour venu, Caucan, l'ayant fait appeller,
luy ayant fait forces reproches de sa lubricité et dit force injures,
la fit empaler par sa nature, dont elle en mourut. Acte cruel et
barbare certes, de trainer ainsi une si belle et honncste daroe, au
lieu de la reconnoistre, la récompenser et traitter en toute sorte
de courtoisie, pour la bonne opinion qu'elle avoit eue de sa géné
rosité, de sa valeur et de son noble courage, et l'avoir poor cela
aimé ! A quoy quelquefois les dames doivent bien regarder, car il
y a de ces vaillants qui ont tant accouslumé à tuer, à manier et à
battre le fer si rudement, que quelquefois il leur prend des hu
meurs d'en faire de mesme sur les daines. Mais tous ne sont pas
de ces complexions ; car, quand quelques honnestes daines leur
font cet honneur de les aimer et avoir bonne opinion de leur va
leur, laissent dans le camp leurs furies et leurs rages, et dans des
cours et dans des chambres s'accommodent aux douceurs et à tomes
'es honnestetez et courtoisies. Bändel, dans ses ßisloires tra
giques, en raconte une, qui est la plus belle que j'aye jamais leu,
DISCOUÜS VI. 303
d'une duchesse de Savoye, laquelle un joui1, en sortant de sa
ville de Thurin, et ayant ouy une pellerine espagnole, qui alloil
à Lorette pour certain veu, s'escrier el admirer sa beauté, et dire
tout haut que si une belle el parfaite dame csloit mariée avec son
frère le seigneur de Mendozze, qui estoit si beau, si brave et si
vaillant, qu'il se pourroil bien dire parloul que les deux plus beaux
pairs du monde esloienl couplez ensemble. La duchesse, qui en-
lendoit Ires-bien la langue espagnole , ayant en soy très-bien
engraves et remarqués ces mois, et ¿ans son âme s'y mit aussi à
en graver l'amour, si bien que par un tel bruit elle devint tant
passionnée du seigneur de Mendozze, qu'elle ne cessa jamais jusques
à ce qu'elle eust projeté un feint pellerinage à Saint Jacques, pour
voir son amoureux si-tost conceu; et, s'estant acheminée en Es
pagne, et pris le chemin par la maison du seigneur de Mendozze,
eut temps et loisir de contenter et rassasier sa veuë de l'objet beau
qu'elle avoit esleu ; car la sœur du seigneur de Mendozze, qui ac-
compagnoil la duchesse, avoit adverty son frère d'une telle et si
noble et belle venue: à quoy il ne faillit d'aller au devant d'elle
bien en point, monté sur un beau cheval d'Espagne, avec une si
belle grâce que la duchesse eut occasion de se contenter de la re
nommée qui luy avoit esté rapportée, et l'admira fort, tant pour sa
beauté que pour sa belle façon, qui monstroit à plein la vaillance
qui estoit en luy, qu'elle estimoit bien autant que les autres vertus
et accomplissements et perfections; présageant dès lors qu'un jour
elle en aurait bien affaire, ainsi que par après il luy servit gran
dement en l'accusation fausse que le comte Pancalier ut contre sa
chasteté. Toutes fois, encore qu'elle le tint brave et courageux
pour les armes, si fut-il pour ce coup couard en amours; car il se
monslra si froid et respectueux envers elle, qu'il ne luy lit nul
assaut de paroles amoureuses ; ce qu'elle aimoit le plus, et pour-
quoy elle avoit entrepris son voyage; et, pour ce, dépitée d'un tel
froid respect ou plustost de telles couardises d'amours, s'en partit
le lendemain d'avec luy, non si contente qu'elle eust voulu. Voilà
comment les dames quelquefois aiment bien autant les hommes
hardis pour l'amour comme pour les armes, non qu'elles veuillent
qu'ils soient effronlez et hardis, impudents et sols, comme j'en
aycogneu; mais il faut en cela qu'ils tiennent le médium. J'av
cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup de bonnes fortunes pour
tels respects, dont j'en ferais de bons contes si je ne craignois
m'esgarer trop de mon discours; mais j'espère les faire à part: si
304 VIES DES DAMES GALANTES.
diray-je cettuy-cy. J'ay ouy confer d'autres fois d'une dame, eV des
très-belles du monde, laquelle, ayant de mesme ouy renommer un
pour brave et vaillant, et qu'il avoit desjà en son aage fail et par
fait de grands exploicts d'armes, et surtout gaignées deux grandi-s
et signalées batailles contre ses ennemis (l), eut grand dé.sir de le
voir, et pour ce fit un voyage dans la province où pour lors il y
faisoit séjour, sous quelque autre prétexte que je ne diray point.
Enfin elle s'achemina ; mais et qn'esl-il impossible à un brave
cœur amoureux? Elle le void et contemple à son aise, car il vint
fort loi'ng au-devant d'elle, et la reçoit avec tous les honneurs et
respects du monde, ainsi qu'il devoit à une si grande, belle et ma
gnanime princesse, et trop, comme dit l'autre, car il luy arriva de
mesme comme au seigneur de Mendozze et à la duchesse de Sa-
voye ; et tels respects engendrèrent pareils mescontenlements et
dépits, si bien qu'elle partit d'avec luy non si bien satisfaite comme
elle y estoit venue. Possible qu'il y eusl perdu son temps et qu'elle
n'eust obéy à ses volontez ; mais pourtant l'essay n'en fust esté
mauvais, ains fort honorable, et l'en eust-on estimé davantage.
De quoy sert donc un courage hardy et généreux, s'il ne se
monstre en toutes choses, et mesmes en amours comme aux
armes , puisque armes et amours sont compagnes , marchent en
semble et ont une mesme sympathie : ainsi que dit le poêle ,
tout amant est gendarme, et Cupidon a son camp et ses armes
aussi-bien que Mars. M. de Ronsard en a fait un beau sonnet
dans ses premières amours.
Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont les dames de
voir et aimer les gens généreux et vaillants, j'ay ouy raconter à
la Reyne d'Angleterre Elisabeth , qui règne aujourd'huy, un
jour, elle estant a table, faisant souper avec elle M. le grand-
prieur de France, de la maison de Lorraine, et M. d'Anville, au-
jourtTbuy M. de Montmorency et conneslable, parmy ce devis de
table et s'estant mis sur les louanges du feu roy Henry deuxiesme,
le loua fort de ce qu'il estoit brave, vaillant et généreux, et, en
usant de ce mot, fort martial, et qu'il l'avoit bien monstre en
toutes ses actions; et que pour ce, s'il ne fust mort si tost, elle
avoit résolu de l'aller voir en son royaume, et avoil fait accem-
moder et apprester ses galères pour passer^en France et toucher
entre leurs deux mains la foi et leur paix. « Enfin c'estoit une de
,
(1) Lfc duc ti'Anjoii , tlr-puis lient i III.
DISCOURS VI. 305
» mes cinies de le voir ;-je crois qu'il ne m'en cust refusée, car,
» disoii-elle, mon humeur est d'aymer ¡es gens Taillants, et veux
» mal à la mort d'avoir ravy un si brave roy, au moins avant que
» je ne Гауе veu. » Celte mesme reyne, quelque temps après,
ayant ou y tant renommer M. de Nemours des perfections et valeurs
qui estoient en luy, fut curieuse d'en demander des nouvelles à feu
M. de Rendan, lorsque le roy François second l'envoya en Eseoss«
faire la paix devant le peut lict qui esloit assiégé; et ainsi qu'il
luy en eust conté bien au long, et toutes les espèces de ses grandes
et belles vertus et vaillance.1), M. de Rendan , qui s'enlendoil en
amours aussi bien qu'en armes, cogneul en elle et son visage quoi
que estincelle d'amour ou d'afleciion, et puis en ses paro!es une
grande envie de le voir. Par quoy ne se voulant arrester en si beau
chemin, fit tant envers elle desçavoir, s'il la venoilvoir, s'il serait
le bien venu et receu; ce qu'elle l'en asseura, et par là présuma
qu'ils pourroicnt venir en mariage. Estant donc de retour de son
ambassade à la Cour, en fit au Roy el a M. de Nemours tout le
discours; à quoy le roy recommanda el persuada à M. de Nemours
d'y entendre : ce qu'il fit avec une très-grande joye, s'il pouvoit
parvenir à un si beau royaume par le moyen d'une si belle, si ver
tueuse et honiieste Reyne. Pour fin, les fers st; mirent au feu; par
les beaux moyens que le roy lui donna, il lit de fort grands prépa
ratifs, et très-superbes el beaux appareils, tant d'habillement,
chevaux, armes, bref, de toutes choses exquises, sans y rien ob-
meitre (car je vis tout cela), pour aller parestre devant celle belle
princesse; n'oubliant surlout d'y mener toute la fleur de la jeu
nesse de la Cour ; si bien que le (ol Greffier, rencontrant là-dessus,
disoit que c'esloil la Heur des febves, par-là brocardant la follastre
jeunesse de la Cour. Cependant M. de Lignerolles, très-habile el
accort gentilhomme, et lors fort favory de M. de Nemours son
maihtre, fut depesché vers la dite Reyne, qui s'en retourna avec
une response belle et très-digne de s'en contenter et de presser
et avancer son voyage ; et me souvient que la Cour en tenoil le ma
riage pour quasi fait : mais nous nous donnasmes la garde que, loul
à coup, ledit voyage se rompit et demeura court, et avec une très-
grande despeuse, très-vaine et inutile pourtanl. Je dirois, aus?
bien qu'homme de France, à quoy il tint que cette rupture se fit
si-non qu'en passant ce seul mot, que d'autres amours, possible, lu; .
serroyenl plus le cœur et le tenoient plus captif et arresté ; car u
esloit si arcoinply en toutes choses ut si adroit aux armes el autres
20.
3U6 VIES DES DAMES GALANTES.
venus, que les dames il l'envy volontiers l'eussent couru à force,
ainsi que j'en ai vu de plus fringantes et plus chastes, qui rom-
poient bien leur jeusne de chasteté pour luy.
— Nous avons, dans les Cents Nouvelles de la reyne de Na
varre Marguerite, une très-belle histoire de cette dame de Milan,
qui, ayant donné assignation à feu M. de Bonnivet, depuis
amiral de France, une nuict attira ses femmes de chambre avec
des espées nues pour faire bruit sur le degré ainsi qu'il serait
prest à se coucher : ce qu'elles tirent très-bien, suivant en cela
le commandement de leur maislresse, qui de son côté, fit de
l'efTrayéo et craintive, disant que c'esloient ses beaux-frères qui
s'esioient aperceus de quelque chose, et qu'elle estoit perdue, et
qu'il se cacliast sous le lict ou derrière la tapisserie. Mais M. de
Bonnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape à Uentour du bras et
son espée de l'autre, il dit : « Et où sont-ils ces braves frères qui
ь me voudraient faire peur ou mal? Quand ils me verront, ils
» n'oseront regarder seulement la pointe de mon espée. » Et,
ouvrant la porte et sortant, ainsi qu'il vouloit commencer à
charger sur ce degré, il trouva ces femmes avec leur tintamarre,
qui eurent peur et se mirent à crier et confesser le tout. M. de
Bonnivet, voyant que ce n'estoit que cela, les laissa et les re
commanda au diable ; et se rentra en la chambre, et ferma la
porte sur lui, et vint trouver sa dame, qui se mit à rire et Геш-
brasser, et luy confesser que c'esloit un jeu aposté par elle, et
l'asseurer que, s'il eust fait du poltron et n'eusl monstre en cela
sa vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que jamais il n'eus!
couché avec elle; et pour s'estre monstre ainsi généreux et ;is-
seuré, elle l'embrassa et le coucha auprès d'elle; et toute la nuict
ne faut point demander ce qu'ils firent; car c'esloit l'une des
belles femmes de Milan, et après laquelle il avoit eu beaucoup de
peine à la gaigner.
— J'ay cugneu un brave gentilhomme, qui un jour estant k
Home couché avec une gentille dame romaine, son тагу absent,
luy donna une pareille allarme, et fit venir une de ses femmes
en sursaut l'advertir que le тагу tournoit des champs. La
femme, faisant de l'eslonnée, pria le gentilhomme de se cacher
dans un cabinet, autrement elle estoit perdue. « Non, non, dit
» le gentilhomme, pour tout le bien du monde je ne ferais pas
» cela ; mais s'il vient, je le tueray. » Ainsi qu'il aroit sauté à son
espée, la dame se mil à rire et confesser avoir fait cela à poste '
vi. 307
pour l'esprouver, si son тагу luy vouloit faire mal, ce qu'il feroit
et la défendroit bien.
— J'ay cogneu une très-belle dame qui quitta loul à trac un
serviteur qu'elle avoit, pour ne le tenir vaillant, et le chungea en
un autre qui ne le ressembloit, mais estoit craint et redouté ex-
tresmemeni de son espée, qui esioit des meilleures qui se trouvas
sent pour lors.
— J'ay ouy faire un -coûte ä la Cour aux anciens, d'une dame
qui estoit à la Cour, maistresse de feu M. de Lorge, le bonhomme,
en ses jeunes ans l'un des vaillants et renommez capitaines des
gens de pied du son temps. Elle, en ayant ouy dire tant de bien de
sa vaillance, un jour que le roy François premier faisoil combattre
des lions en sa Cour, voulut faire preuve s'il estoit tel qu'on luy
avoit fait entendre, et pour ce laissa tomber un de ses gands dans
lepare des- tyons, estants en leur plus grande furie, et là-dessus
pria M. de Lorgc de l'aller quérir s'il l'aimoit tant comme il le di-
soit. Luy, sans s'eslonner, met sa cape au poing et l'tspée à l'au
tre main, et s'en va asseurément parmy ces lyons recouvrer le
gand. En quoy la fortune luy fut si favorable, que, faisant toujours
bonne miue, et monstranl d'une belle asseurance la pointe de son
espée aux lyons, ils ne l'osèrent attaquer; et ayant recouru le
gand, il s'en retourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy
elle et tous les assistants l'en estimèrent bien fort. Mais on dit
que, de beau dépit, M. de Lorge la quitta pour avoir voulu tirer
son passe-temps de luy et de sa valeur de celte façon. Encores
dit-on qu'il luy jeta par beau dépit le gand au nez; car il oust
mieux voulu qu'elle luy eusl commandé cent fois d'aller enfoncer
en bataillon de gens de "pied, où il s'estoil bien appris d'y aller,
que non de combattre des bestes, dont le combat n'en est guères
glorieux. Certes tels essais ne sont ny beaux, ny honnestes, et les
personnes qui s'en aident sont fort à reprouver. J'aimerois autant
un tour que lit une dame à son serviteur, lequel, ainsi qu'il luy pré-
senloil son service, et l'asseuroil qu'il n'y aurait cbose, tant hazar-
deuse fust-elle, qu'il ne la fist, elle, le voulant prendre au mot,
luy dit : « Si vous m'aimez tant, et que vous soyez si courageux
я que vous le dites, donnez-vous de vostre dague dans le bras
» pour l'amour de moy. » L'autre , qui mourait pour l'amour
d'elle, la lira soudain, s'en voulant donner: je luy tins le bras et
luy ostay la dague, luy remonstrant que ce seroit un grand fol
d'aller faire ainsi el de telle façon preuve de son amour et de sa
308 VIES DES DAMES GALANTES.
valeur. Je ne nom meray point la dnme, mais le gentilhomme esloil
feu M. de Clermont-Tallartl l'aisné, qui mourut à la bataille de
Monconlour, un des braves el vaillants gentilshommes de France,
ainsi qu'il le monslra à sa mort, commandant à une compagnie de
gens-d'.-irmes, quej'aimois etlionorois fort. J'ay ouy dire qu'il en
arriva tout de mesme à feu de Genlis, qui mourut m Allemagne,
menant les troupes huguenolles aux troisiesmes iroubles : car,
passant un jour la rivière devant le Louvre avec sa maistrcsse,
elle laissa tomber son mouchoir dans l'eau, qui esloit beau et ri
che, exprès, et luy dit qu'il se jetast dedans pour luy recourre.
Luy, qui ne sçavoit nager que comme une pierre, se voulut excuser;
mais elle, luy reprochant que c' esloit un couard amy, et nullement
hardy, sans dire gare se jeta à corps perdu dedans, et, pensant
avoir le mouchoir, se fust noyé s'il n'eust esté aussilost secouru
d'un autre batteau. Je crois que telles femmes se veulent défaire
par tels essays ainsi gentiment de leurs serviieurs,,qui possible les
eniiuyenl. 11 vaudroil mieux qu'elles leur donnassent de belles fa
veurs, et les prier, pour l'amour d'elles, les porler aux lieux ho
norables de la guerre, et faire preuve de leur valeur, ou les y
pousser davantage, que non pas faire de ces sottises que je viens
de dire, el que j'en dirois une infinité.
— 11 me souvient que, lors que nous allasmes assiéger Rouen
aux premiers Iroubles, mademoiselle de Tiennes, l'une des hon-
nestes filles de la Cour, estant en doute que feu M. de Gergeay ne
fust esté assez vaillant pour avoir tué lui seul, et d'homme à homn:e,
le feu baron d'Ingrande, qui estoit un des vaillants gentilshom
mes de la Cour, pour esprouver sa vnleur, luy donna une faveur
d'une escharpe qu'il mit à son habillementde leste : et, ainsi qu'on
vint pour reconnoislre le fort de Sainte-Catherine, il donna si
courageusement et vaillamment dans une troupe de chevaux qui
esloient sortis hors de la ville, qu'en bien combattant il eut un
coup de pistollet dans la leste, dont il mourut roide mort sur la
place : en quoy ladite demoiselle fut salisfaile de sa valeur; el s'il
ne fust mort ce coup, ayant si bien fail, elle l'eusl espouse ; mais,
doutant un peu de son courage, et qu'il avoit mal tué ledit baron,
ce luy sembloit, elle voulut voir celte expérience, ce disoil-elle.
Et certes, encor qu'il y ait beaucoup d'hommes vaillants de leur
nature, les daines les y poussent encore davanlage; el, s'ils sont
las el froids, elles les esmeuvent et eschauflent. Nous en avons un
très-bel exemple de la belle Agnès, laquelle, voyant le roy Charles VII
DISCOURS VI. 309
enarnouraché d'elle et ne se soucier que de luy faire l'amour, et,
mol ei lasche, ne tenir compie de son royaume, luy dit un jour
que, lorsqu'elle estoit encores jeune Clle, un astrologue lui avoit
prédit qu'elle seroit aimée et servie de l'un des plus vaillants et
courageux roys de la cbrestienlé ; que, quand le Roy lui fit cet
honneur de l'aimer, elle pensoit que ce fust ce roy valleureux qui
luy avoit esté prédit; mais le voyant si mol, avec si peu de soin
de ses affaires, elle voyoit bien qu'elle estoil trompée, et que ce
roy si courageux n'esloit pas luy, mais le roy d'Angleterre, qui
faisoit de si belles armes, et luy prenoit tant de belles villes à s?
barbe; « dont, dit-elle au Roy, je m'en'vais le trouver, car c'es
» celuy duquel entendoit l'astrologue. » Ces paroles piquèrent s
fort le cœur du Roy, qu'il se mit à plorer; et dé-là en avant, pre^
nant courage, et quittant sa chasse et ses jardins, prit le frein
aux dents; si bien que par son bonheur et vaillance, chassa les
Anglois de son royaume.
— Bertrand du Guesclin, ayant espouse sa femme, madame
Tbiphanie, se mit du tout à la contenter et laisser le train de la
guerre, luy qui l'avoit tant pratiquée auparavant, et qui avoit ac
quis tant de gloire et de louange, mais elle luy en fit une répri-
mejide et remonstrance, qu'avant leur mariage on ne parloit que
de luy et de ses beaux faits, et que désormais on luy pourrait
reprocher à elle-mesme une telle discontinuation de son тагу;
qui portoit un très-grand préjudice à elle et à son тагу, d'eslre
devenu un si grand casannier, dont elle ne cessa jamais jusques
à ce qu'elle lui eust remis son premier courage, et renvoyé à la
guerre, où il fit encore mieux que devant. Voilà comment celte
honnesle dame n'aima point tant son plaisir de nuict comme elle
faisoit l'honneur de son тагу: et cerles, nos femmes mesmes,
encor qu'elles nous trouvent près de leurs coslez, si nous ne
sommes braves et vaillants, ne nous sçauroient aymer ny nous
tenir auprès d'elles de bon cœur; mais, quand nous retournons
des armées, et que nous avons fait quelque chose de bien et de
beau, c'est alors qu'elles nous ayment et nous embrassent de Loti
cœur, et qu'elles le trouvent meilleur.
— La quatriesme fille du comte de Provence, beau-père de
saint Louis, et femme à Charles, comte d'Anjou, frère dudit roy,
magnanime et ambitieuse qu'elle esloit, se faschanl de n'estre
que simple comtesse de Provence et d'Anjou , et qu'elle seule de
ses trois sœurs, dont les deux esloient reyne et l'autre impératrice,
810 VI US DES DAMES CALAMES.
ne portent autre titre que de dame et comtesse, an cessa jamais,
jusques à ce qu'elle eust prié, pressé et importuné son тагу
d'avoir et de conquester quelque royauine; et tireni si bien qu'ils
furent eslus par le pape Urbain roy et reyne des Deux-Sieilcs ; et
allèrent tous deux à Коте avec trente galleres se faire cou
ronner par sa Sainteté, en grande magnificence , roy et reyne de
Jérusalem et de Naples, qu'il conquesta après tant par ses armes
valeureuses que par les moyens que sa femme luy donna, vendant
toutes ses bagues et joyaux pour fournir aux frais de la guerre :
et puis a[>rè> régnèrent assez paisiblement et longuement en leurs
be:iux royaumes conquis'. Longtemps après, une de leurs petiles-
filbs, descendues d'eux et des leurs, Isabeau de Lorraine, h't, sans
son njary René, semblable trait; car luy estant prisonnier entre les
mains de Charles, duc de Bourgogne, elle estant princesse, sage
et de grand magnanimité et courage, de Sicile et de Naples le
royaume, leur estant escheu par succession, assembla une armée
de trente mille hommes, et elle-mesme la mena el conquesta le
royaume, et se saisit de Naples. Je nommerais une infinité de
dames qui ont servi de telles façons beaucoup à leurs marvs ,
et qu'elles, estant hautes de cœur et d'ambition, ont poussé et en
couragé leurs marys à se faire grands, acquerif'des biens et des
grandeurs et richesses : aussi est-ce le plus beau et le plus hono
rable que d'en avoir par la pointe de l'espée. J'en ay cognen
beaucoup en nosire France et en nos Cours, qui, plus poussez de
leurs femmes, quasi que de leurs volontés, ont entrepris et parfait
de belles choses. Force femme ay-je cogneu aussi, qui ne son-
geans qu'à leurs bons plaisirs, les ont empeschez et tenus tous-
jours auprès d'elles; les einpeschant de faire de beaux faits,
ne voulant qu'ils s'amusassent si-non à les contenter du jeu de
Vénus, tant elles y estoient aspres. J'en ferois force contes ,
mais je m'extravaguerois Irop de mon sujet, qui est plus beau
certes , car il louche la vertu, que l'autre qui touche le vice,
et contente plus d'ouyr parler de ces dames qui ont poussé les
hommes à de beaux actes. Je ne parle pas seulement des femmes
mariées , mais de plusieurs autres , qui , pour une seule petite
faveur, ont fait faire à leurs serviteurs beaucoup de choses qu'ils
n'eussent pas fait; car quel contentement leur est-ce, quelle am
bition et eschauftemenl de cœur? Est-il plus grande que, quand
on est en guerre, que l'on ronge que l'on est bien aymé de »
maistresse, et que si l'on fait quelque belle chose pour Гашоиг
DISCOURS VI. SH
d'elle , combien de bons visages , de beaux aurait , de belles
œillades, d'embrassades, de plaisirs, de faveurs, qu'on espère après
de recevoir d'elles.
— Scipion, entre autres reprimendes qu'il fit àMassinissa lors
que, quasi tout sanglant, il espousa Soplionisba, luy dit qu'il n'es-
toit bien séant de songer aux dames et à l'amour lorsqu'on est à
la guerre. Il me pardonnera s'il lui pbist ; mais, quant à moy, je
pense qu'il n'y, a point si grand contentement , ny qui donne
plus de courage ny d'ambition pour bien faire, qu'elles. J'en ay
esté loge-là d'aulresfois. Quant à pour moy, je croy que tous ceux
qui se trouvent aux combats en sont de mesmes : je m'en rapporte
à eux. Je crois qu'ils sont de mon opinion, tant qu'ils sont, et
que, lorsqu'ils sont en quelque beau voyage de guerre et qu'ils
sont parmy les plus chaudes presses de l'ennemy, le cœur leur
double et accroist quand ils songent à leurs dames, à leurs faveurs
qu'ils portent sur eux, et aux caresses et beaux recueils qu'ils re
cevront d'elles au partir dé-là s'ils en eschapeut, et, s'ils viennent
à mourir, quels regrets elles feront pour l'amour de leurs trespas.
Enlin, pour l'amour de leurs dames et pour songer en elles, toutes
entreprises sont faciles et aisées, tous combats leur sont des tour
nois, et toute mort leur est un triomphe.
— Je me souviens qu'à la bataille de Dreux feu M. des Bordes,
brave et gentil cavalier s'il en fut de son temps, estant lieutenant
de M. de Nevers, dit avant comte d'Eu, prince aussi très-accomply,
ainsi qu'il fallut aller à la charge pour enfoncer un bataillon de
gens de pied qui marcboit droit à l'avant-garde, où commandoit
fen M. de Guise le Grand, et que le signal de la charge fut donné,
ledict des Bordes, monté sur un turc gris, part tout aussi-tost,
enrichy et garny d'une fort belle faveur que sa maistrpsse luy
avoit donnée (je ne la nommeray point, mais c'estoit l'une des
belles et honncstes filles, et des grandes de la Cour)'; et en par
tant , il dit : « Hà ! je m'en vais combattre vaillamment pour
» l'amour de ma maistresse, ou mourir glorieusement. » A ce il
ne faillit, car, ayant percé les six premiers rangs, mourut au sep-
tiesme, porté par terre. A vostre advis, si celte dame n'avoit pas
bien employé sa belle faveur, et si elle s'en devoit desdire pour
luy avoir donnéet
— M. de Bussy a esté le jeune homme qui a aussi bien fait va
loir les faveurs de ses maislresses que jeune homme de son temps,
et mesmes de quelques-unes que je sçay, qui méritoient plus de
31« VIES DES DAMES GALANTES.
combats , d'exploits de guerre, de coups d'espée, que ne fil
jamais la belle Angélique des paladins et chevalliers de jadis, tant
chresliens que sarraz'ins ; mais je luy ouy dire souvent qu'en tant
de combats singuliers et guerres et rencontres générales (car il en
a fait prou) où il s'est jamais trouvé, et qu'il a jamais entrepris, ce
n'estoit point tant pour le service de son prince ny pour ambition,
que pour la seule gloire de complaire à sa dame. Il avoil certes rai
son, car toutes les ambitions du monde ne valient pas tant que l'a
mour et la bienveillance d'une belle et honnesle dame et maistresse.
Et pourquoy tant de braves chevalliers errants de la Table-Ronde,
et de tant de valleureux paladins de France du temps passé, ont
entrepris tant de guerres, tant de voyages lointains, tant fait de
belles expéditions, si-non pour l'amour des belles dames qu'ils ser-
voient ou vouloient servir? Je m'en rapporte à nos palladins de
France, nos Hollands, nos Renauds, nos Ogici's, nos Olliviers, nos
Yvons, nos Richards, et une infinité d'autres. Aussi c'estoit un bon
temps et bien fortuné ; car, s'ils fuisoient quelque chose de beau
pour l'amour de leurs dames, leurs dames, nullement ingrattes,
les en sçavoient bien récompenser quand ils se venoient rencon
trer, ou donner des rendez-vous dans des forests, dans les bois,
auprès des fontaines ou en quelques belles prairies. El voilà le guer
don des vaillantises que l'on désire des dames. Or il y a une de
mande : pour-quoi les femmes aiment tant ces vaillants hommes,
et, comme j'ay dit au commencement, la vaillance a celle vertu et
force de se faire aimer à son contraire ? Davantage, c'est une cer
taine inclination naturelle qui pousse les dames pour aimer la gé
nérosité, qui est certainement cent fois plus aimable que la couar
dise : aussi toute verlu se fait plus aimer que le vice. 11 y a aucunes
dames qui aiment ces gens ainsi pourvus de valeur, d'autant qu'il
leur semble que, tout ainsi qu'ils sont braves et adroits aux armes
et au meslier de Mars, qu'ils le sont de mesmes à celuy de Vénus.
Cette règle ne faut en aucuns, et de fail ils le sont, comme fut ja
dis César, le variant du monde, et force autres braves que j'ay
cogneus que je lais , et tels y ont bien toute autre force el grace
que des ruraux et autres gens d'autre profession ; si-bien qu'un
coup de ces gens-là en vaut quatre des autres, je dis envers les da
mes qui sont modestement lubriques, mais non pas envers celles qui
le sont sans meure, car le nombre leur plaist. El si celle règle est
bonne quelques fois en aucuns de ses gens, et selon l'humeur d'au
cunes femmes, elle faut en d'autres ; car il se trouve de ces vail
DISCOURS VI. 34
lants qui sont tant rompus de l'harnois et des grandes corvées de
guerre, qu'ils n'en peuvent plus quand il faut venir à ce doux jeu,
de sorte qu'ils ne peuvent contenter leurs dames; dont aucunes, et
plusieurs y en a, qui aimeraient mieux un bon artisan de Vénus,
frais et bien émoulu, que quatre de ceux de Mars, ainsi altebrenez.
J'en ay cogneu force de ce sexe féminin et de cette humeur; car
enfin, disent-elles, il n'y a que de bien passer son temps et en ti
rer la quintessence, sans avoir acception de personnes. Un faon
homme de guerre est bon, et le fait beau voir à la guerre; mais
s'il ne sçait rien faire an lict (disent-elles), un bon gros vallet bien
à séjour vaut bien autant qu'un beau et vaillant gentilhomme lassé.
Je m'en rapporte à celles qui en ont fait l'essay et le font tous les
jours ; car les reins du gentilhomme, tout gallant et brave soit-il,
estans rompus et froissés de l'harnois qu'ils ont tant porté sur eux,
le peuvent fournir à l'appointement comme les autres qui n'ont
jamais porté peine ni fatigue. D'autres dames y en a-t-il qui ai
ment les vaillants, soient pour marys, soient pour serviteurs, aim
qu'il débattent et soustiennent mieux leurs honneurs et leurs chas-
tetez, si aucuns médisants il y en a qui les veulent souiller de pa
roles ; ainsi que j'en ay veu plusieurs à la Cour, où j'y ay cogneu
d'autresfois une fort belle et grande dame, que je ne nommeray
point, estant fort sujette aux médisances, quitta un serviteur fort
favory qu'elle a voit, le voy ant mol à départir de la main et ne bra
ver et ne quereller, pour en prendre un autre qui estoit un esca-
labreux, brave et vaillant, qui portoit sur la pointe de son espée
l'honneur de sa dame, sans qu'on y osast aucunement toucher.
Force dames ay-je cogneu de cette humeur, qui ont voulu tousjours
avoir un vaillant pour leur escorte et deffense ; ce qui leur est
Irès-hon et très-utile bien souvent : mais il faut bien qu'elles se
donnent garde de broncher et varier devant eux si elles se sont une
fois soumises sous leur domination; car, s'ils s'apperçoivent le
moins du monde de leurs fredaines et mutations, il les mainent
beau et les gourmandenl terriblement, et elles et leurs gallants,
si elles changent; ainsi que j'en ay veu plusieurs exemples en ma
vie. Voilà donc, telles femmes qui se voudront mettre en posses
sion de tels braves et scalabreux, faut qu'elles soient braves et
très-constantes envers eux, ou bien qu'elles soient si fort secrètes
en leurs affaires, qu'elles ne se puissent évanler : si ce n'est qu'elles
voulussent faire en composant, comme les courlisannes d'Italie et
de Rome, qui veulent avoir un brave ( ainsi le nomment-elles )
27
«14 VIES DES DABES GALAXIES.
poor 1м défendre et mûatema ; mais elles mettent toosjoois
par le marché qu'elles auront d'antres concurrences, et que le
brave n'en sonnera mot. Cela est fort bon pour I«s cmutisaones de
Rome et рэог leurs braves, non pour les gallants gentilshommes
de nostre France on d'ailleurs. Mais si âne bonoeste dame se veut
maintenir en sa fermeté et constance, il faut que son serviteur n'es-
pargne nullement sa vie pour la maintenir et défendre si elle
court ka moindre fortune du monde, soit, on de sa vie, on de
son honneur, ou de quelque meschante parole ; ainsi que j'en ay
veu en nostre Cour plusieurs qui ont fait taire les médisants
tout court, quand ils sont venus à détracter de leurs maistresses
et dames ; auxquelles, par devoir de cbevallerie et par les lois,
nous sommes tenus de servir de champions en leurs afludions:
ainsi que fit ce brave Renaud de la belle Genevre en Escosse, le
seigneur de Mi.-ndozze a celte belle duchesse que j'ay dit, et le
seigneur de Carouge à sa propre femme du temps du roy Char
les smesme, comme nous lisons dans nos Croniques. J'en allé-
guerois une infinités d'autres, et du vieux et du nouveau temps,
ainsi que j'ay veu en nostre Cour; mais je n'aurois jamais fait.
D'autres dames яу-je cogneues qui ont quille des hommes pusilá
nimes, encores qu'ils fussent bien riches, pour aimer et espouser
des gentilshommes qui n'avoient que l'espée et la cappe, pour
manière de dire; mais ils estoient valeureux et généreux, et
avoient espérance, par leurs valeurs et générositez, de parvenir
aux grandeurs et aux estais, encore certes que ne ne soient pas
les plus vaillants qui le plus souvent y parviennent, en quoy on
leur fait tort pourtant ; el bien souvent voit-on les couards et pa-
silanismes y parvenir ; mais, quoy qu'il soit, telle marchandise
ne paroist point sur eux comme quand elle est sur les vaillants.
Or je n'aurois jamais fait si je voulois raconter les diverses causes
et raisons pourquoy les dames aiment ainsi les hommes remplis
de générosité. Je sçay bien que si je voulois amplifier ce dis
cours d'une infinité de raisons et d'exemples, j'en pourrais faire
un livre entier ; mais ne me voulant amuser sur un seul sujet,
ains en varier de plusieurs et divers, je me conlenieray d'en
avoir dit ce que j'ay dit, encore que plusieurs me pourront re
prendre que celluy-cy esloit bien assez digne pour eslre enricliy
de plusieurs exemples et prolixes raisons, qu'eux-mesmes pourront
bien: « II a oublié cettuy-cy, il a oublié cettuy-là. » Je le sçay
bien, et en sçay possible plus qu'ils ne pourront alléguer, et des
DISCOURS VI. 315
pías sublins et secrets; mais je veux les tous publier et nommer.
Voilà pourquoy je me tais. Toutefois, avant que faire pose, je di
rai ce mol en passant, que, tout ainsi que les dames aiment les
hommes vaillants et hardis aux armes, elles aiment aussi ceux qui
le sont en amours ; et jamais liomme couard et par trop respec
tueux en ¡celles n'aura bonne fortune; non qu'elles les veuillent si
oulrecuidez, hardis et présomptueux, que de haute lutte les vins
sent porter par terre ; mais elles désirent en eux une certaine mo
destie hardie, ou hardiesse modeste ; car d'elles-mesmes, si ce
ne sont des louves, ne vont pas requérir ni se laisser aller, mais
elles en sçavent si bien donner les appétits, les envies, et atiirent
si gentiment à l'escarmouche, que qui ne prend le temps à point
et ne vient aux prises, sans aucun respect de. majesté et de gran
deur, ou de scrupule, ou de conscience, ou de crainte, ou de quel
que autre sujet, celuy vrayement est un sot et sans cœur, et qui
mérite à jamais estre abandonné de la bonne fortune.
— Je sçay deux honnestes gentilshommes compagnons, pour
lesquels deux fort honnestes dames, et non certes de petite
qualité, ayant fait pour eux une partie un jour à Paris, et
s'aller pourmener en un jardin, chacune, y estant, se sépara à
l'escart l'une de l'autre, avec un chacun son serviteur, en cha
cune son allée, qui estoit si couverte de belles treilles que le
jour quasi ne s'y pouvoit voir, et la fraischeur y esloit gra
cieuse. 11 y eut un des deux hardy, qui, cognoissant cette partie
n'avoir esté faille pour se pourmener et prendre le frais, et
selon la contenance de sa dame qu'il voyoil hrusler en feu, et
d'autre envie que de manger des muscats qui estoient en la
treille, et selon aussi les paroles eschaufl'ées, aliénées et folaslres,
ne perdit si belle occasion ; mais, la prenant sans aucun respect,
la mit sur un petit lict qui estoit tait de gazons et de mottes de
terre; il en jouit fort doucement, sans qu'elle disl autre chose,
si-non : « Mon Dieu! que voulez-vous faire? N'êles-vous pas le
» plus grand fol et estrange du monde ? et si quelqu'un vient,
» que chra-l-onY Mon Dieu, osiez-vous. » Mais le gentilhomme,
sans s'estonner, continua si bien, qu'il en partit si content, et
elle et tout, qu'ayant fait encor trois ou quatre tours d'allée, ils re
commencèrent encore une seconde charge. Puis, sortant de là en
autre allée couverte, ils virent d'autre costé l'autre gentilhomme
et l'autre dame, qui se pourmenoient ainsi qu'ils les y avoient
laissez auparavant. À quoy la dame contente dit au gentilhomme
316 VIES DES DAMES GALANTES.
content : « Je croy qu'un tel aura fait du sot, et qu'il n'aura
» fait à sa dame autre entretien que de paroles, de discours et
» de pourmeu.ides. » Donc, tous quatre s'assemblans, les deux
dames se vindrent à demander de leurs fortunes. La comente
respondit qu'elle se porloit fort bien elle, et que pour le coup
elle ne se saurait pas mieux porter. La mécontente de son costé
dit qu'elle avoit eu affaire avec le plus grand sol et le plus couard
amant qui s'esloit jamais veu. Et surtout les deux gentilshommes
les virent rire et crier entre elles deux en se pourmenant. « 0 le
sot ! ô le couard ! ô monsieur le respectueux 1 » Sur quoy le gen
tilhomme content dit à son compagnon: « Voilà nos dames qui
» parlent bien à vous, elles vous fouettent: vous trouverez que
» vous avez fait trop du respectueux et du badin. » Ce qu'il
advoua : mais il n'estoit plus temps, car l'occasion n'avoit plus
de poil pour la prendre. -Tontesfois, ayant cogneu sa faute, au
bout de quelque temps il la repara par quelque certain autre
moyen que je dirois bien.
— J'ay cogneu deux grands seigneurs et frères, et tous deux
bien parfaits et bien accomplis, qui, aymans deux dames, mais
il y en avoit une plus grande que l'autre •en tout, et estant en
trez en la chambre de celle grande qui gardoit pour lors le lict,
chacun se mit à part pour entretenir sa dame. L'un entretient
la grande avec tous les respects et tous les baisements humbles
qu'il put, et paroles d'honneur et respec'.ueuses, sans faire jamais
aucun semblant de s'approcher de près ny vouloir forcer la roque.
L'autre frère, sans cérémonie d'honneur ny de paroles, prit la
dame à un coing de feneslre, et lui ayant tout d'un coup essarté
ses caleçons qui estoient bridez (car il estoit bien fort), luy tit
sentir qu'il n'aimoit point à l'espagnole, par lés. yeux, ny par
les gestes de visage, ny par paroles, mais par le vray et propre
point et eflel qu'un vray amant doit souhailer: et ayant achevé
son prix-fait, s'en part de la chambre, et en partant dit à son
frère, assez haut que sa dame l'ouyt: « Mon frère, si vous ne faites
a comme moy vous ne faites rien, et vous dis que vous pouvez
» estre tant brave et hardy ailleurs que vous voudrez; mais si
» en ce lieu vous ne monstrez votre hardiesse, vous estes des-
» honoré; car vous n'estes ici en lieu de respect, mais en lieu
» où vous voyez votre dame qui vous attend. » Et par ainsi laissa
son frère, qui pourtant pour l'heure retint son coup et. le remit à
une autre fois : ce ne fut pourtant que la dame ne l'en eslimast
DISCOURS VI. Î17
davantage, ou qu'elle luy allribuast une trop grande froideur d'a-
moiir, ou laute de courage, ou inhabileté de corps; si i'avoit mons
tre assez ailleurs, soit en guerre, soit en amours.
— La feu reyne-mère fit une fois jouer une fort belle comédie
en italien, pour un mardy gras, à l'hostel de Reims, que Cornelio
Fiasco, capitaine des galleres, avoil inventée. Toute la Cour s'y
trouva, tant bommes que dames, et force autres de la ville. Entre
autres choses, il fut représenté un jeune homme qui avoit demeuré
caché tout une nuict dans la chambre d'une très-belle dame et ne
I'avoit nullement touchée; et ayant raconté cette fortune à son
compagnon, il luy demanda : Ch'avete fallo (i)? L'autre respon-
dit: JMiente (2). Sur cela son compagnon lui dit : AM pollro-
nazzo, senza cuore ! non-havele fallo nienlc ! Che maldita sia
la lúa poltronneria (3)! Après que la diie comédie fut jouée, le
soir, ainsi que nous estions en la cliambre de la Revue, et que nous
discourions.de cette comédie, je demanda; à une fort belle et lion-
nesle dame , que je ne nommeray point, quels plus beaux traits
elle avoit observés et remarqués en la comédie, qui luy eussent
pieu le plus. Elle me dit tout naïvement : « Le plus beau Irait que
;> j'ay trouvé, c'est que l'autre a respondu au jeune homme qui
» s'appeloit Lucio, qui luy avoit dit chenon haveva falto niente :
» j4h pollronazzo! non harele fallo nienle! Che maldita sia
» fa tua pollronneria, ! » Voilà comme cette dame qui me parloit
estoit de consente avec l'autre qui luy reprochoit sa poltronnerie,
et qu'elle ne l'estimoit nullement d'avoir esté si mol et lasche;
ainsi comme plus à plain elle et moy nous discourusmes des fautes
que l'on fait sur le sujet de ne prendre le temps et le vent quand
il vient à point, comme fait le bon marinier. Si faut-il queje fasse
encore ce conte , et le mesle, tout plaisant et bouffon qu'il est,
parmy les autres sérieux.
— J'ay donc ouy conter à un honneste gentilhomme mien amy,
qu'une ilame de son pays, ayant plusieurs fois monstre de grandes
familiaritez et privautez à un sien vallet-de-chamhre, qui ne len-
doient toutes qu'à venir à ce point, ledit vallet, point fat et sot,
un jour d'esté trouvant sa maistresse par un malin à demi endor-
mye dans son lict toute nue, tournée de l'autre cosié de la ruelle,
•
,1
138 VIES DES DAMES GALANTES.
vrer couleur, comme j'ay veu et comme j'ay ouy dire de M. de, ,
Saint-Vallier, qui l'escliappa belle à cause de M. de Bourbon. Ce
pendant la veufve ne chauma pas, et vint trouver le Roy le lende
main, ainsi qu'il alloit à la messe, et se jetta àses pieds. Elle lu;
présenta son fils, qui pouvoit avoir trois ou quatre ans, et luy dit : . '
« Sire, au moins puis que vous avez donné la grâce au meurtrier
» du père de cet enfant, je vous supplie de la luy donner aussi dès
» cette heure, pour quand il sera grand, il aura eu sa revendu: et
» tué ce malheureux. » Du depuis, à ce que j'ay ouy dire, la mère
tous les malins venoit esveiller son enfant; et, en luy monstrantla
chemise sanglante qu'avoit son père lorsqu'il fut tué, et luy disoit
par trois fois : « Advise-la bien : et souviens-toi bien, quand
» tu seras grand, de venger cecy : autrement je te deshérite. *
Quelle animosité t
— Moy estant en Espagne, j'ouys conter qu'Antonio Roque,
l'un des plus braves, vaillants, fins, cauls, habiles, fameux, et
des plus courtois bandoulliers avec cela qui fut jamais en Es
pagne (ce tient-on), ayani eu envie de se faire preslre dès sa
première profession, le jour venu qu'il lui falloit chanter sa pre
mière messe, ainsi qu'il sorloit du revesliaire et qu'il s'en alloit
avec grande cérémonie au grand autel de sa paroisse, bien re-
veslu et accommodé à faire son office, le calice à la main, il
ouyt sa mère qui lut dit ainsi qu'il passoit : Ali ! vellaco, vel-
laco, mejor seria de vengar la muerte de lu padre, que de
cantar missa : « Ah ! malheureux et meschant que tu es ! il
» vaudrait mieux de venger la mort de ton père que de ehan-
» ter messe. » Celle voix lui loucha si bien au cœur, qu'il re
tourne froidement du my-chemin, et s'en va au revestitoire : là
se dévestit, faisant acroire que le cœur lui avoit fait mal et que
ce seroit pour une autre fois : et s'en va aux montagnes parmy
les bandoulliers, s'y fist si fort estimer et renommer, qu'il en fut
esleu chef, fait force maux et voleries, venge la mort de son
père, qu'on disoit avoir esté tué d'un autre ; d'autres qu'il avoit
esté exécuté par justice. Ce conte me fit un bandoullier mesme,
qui avoit esté sous sa charge autrefois, et me le loua jusques au
tiers ciel, si que l'empereur Charles ne lui put jamais faire mal.
Pour retourner encore ù madame de Nemours, le roy ne la re
tint guieres en prison, et M. Descars en fut cause en partie; car
il la fit sortir pour l'envoyer à Paris vers MM. du Mayne et
de Nemours, et autres princes ligués, et leur porter à tous pa- '
DISCOURS VI. Î39
roles de paix et oubliance de tout le passé ; et qui estoil mort,
et amys comme devant. De fait le Roy tira serment d'elle qu'elle
feroit cette ambassade. Estant donc arrivée, au premier abord
ce ne furent que pleurs, lamentations et regrets de leur perle ;
et puis fit le rapport de sa charge. M. du Maine lui fit la • res-
ponce en luy demandant si elle luy conseilloit cela. Elle luy res-
pondit seulement : « Mon fils, je ne suis pas venue ici pour
» vous conseiller, si-non pour vous dire ce qu'on m'a dit et charge.
» C'est à vous à songer si vous avez sujet et si le devez faire ce
о que je vous dis. Vostre cœur et vosire conscience vous en
» doivent donner bon conseil. Quant à moy, je me descharge de
» ce que j'ay promis. » Mais, sous main, elle en sceut très-bien
attiser le feu, qui a duré longtemps. Il y a eu plusieurs personnes
qui se sont fort estonnez comment le Roy, qui estoit si sage et des
habiles de son royaume, s'aidoit de cette dame pour un lel mi
nistère, l'ayant offensée, qu'elle n'eust eu cœur ny sentiment, si
elle s'y fust employée le moins du monde : aussi se mocqua-t-elle
bien de luy. On disoit que c'étoit le be;iu conseil du maréchal de
Rheiz, qui en donna un pareil au roy Charles, pour envoyer M. de
La Noue dans La Rochelle à persuader les habitants a la paix et
à leur obéyssance et devoir; jusque-là que, pour entrer en créance
г avec eux, il luy permit de faire de l'eschauffé et de l'animé pour
eux et pour son party, a faire la guerre à outrance, et leur bailler
' advis et conseil contre le Roy ; mais pourtant sous condition que,
quand il seroit commandé et sommé par le Roy ou Monsieur, son
[ lieutenant-général, de sortir, qu'il le feroit. Il fit et l'un et l'autre,
F et la guerre, et sortit; mais cependant il asseura si bien ses gens
et les aguerrit, et leur fit de si bonnes leçons et les anima tel
lement, qu'ils nous firent ce coup la barbe. Force gens trouvoient
i qu'il n'y avoil là nulle finesse : j'ay veu tout cela, j'espère en
faire tout le discours ailleurs. Mais ce mareschal valut cela à son
I roy et à la France: lequel mareschal tenoit-on mieux pour char-
i latan et cajoleur, que pour un bon conseiller et mareschal de
i France. Je diray encor ce petit mot de ma susdite dame de Ne
mours. J'ay ouy dire qu'ainsi qu'on bastissoit la Ligue , et qu'elle
voyoit les cahiers el les lisies des villes qui adhéraient, et n'y
voyant point encore Paris, elle disoit toujours à îl. son fils : « Mon
» fils, cela n'est rien, il faut encore Paris, et si vous ne l'avez,
» vous n'avez rien fait ; pourquoy ayez Paris. » Et rien que Paris
ne luy sonnoit à la bouche, si bien que les Barricades par après
310 VIES DES DAMES GALANTES.
s'en ensuivirent. Voilà comme un cœur généreux tend toujours '
au plus haut, ce qui me Fait souvenir d'un peut conle que j'ay la
dans un roman espagnol, qui s'intitule £a cunquisla di Navarra.
Ce royaume avant esté pris et usurpé sur le roy Jean par le roy
d'Aragon, le roy Louis douziesme y envoya une armée, sous M. de
La Palice, pour le reconquérir. Le Roy manda à la rejne donne
Catherine, de par M. de La Palice, qui lui en porta la nouvelle,
qu'elle s'en viust à la Cour de France et y demeurer avec la reyne
Anne sa femme, cependant que le roy son тагу avec M. de La Pa
lice attenteraient tie recouvrer le royaume. La Reyne lui respondit
généreusement: « Et comment, monsieur! je pensois que le roy
» vostre maisire vous eust ici envoyé pour m'amener avec vous en
» mon royaume et me remettre dans Pampelonne, et moy vous
» y accompagner, ainsi que je m'y estois résolue et préparée ; et à
» celte heure vous me conviez de m'aller tenir à la Cour de
» France? Voilà un mauvais espoir et sinistre augure pour moil
» je vois bien que je n'y entreray jamais plus. » El ainsi qu'elle
le présagea, ainsi il arriva.
Il fut dit et commandé à madame la duchesse de Valenlinois,
sur rapprochement de la mort du roy Henry et le peu d'espoir
de sa s;inlé, de se retirer eu son lioslel de Paris et n'entrer plus
en sa chambre, autant pour ne le perturber en ses cogitations à
Dieu, que pour inimitié qu'aucuns lui portoienl. Estant ilonc-
ques retirée on luy envoya demander quelques bagues et joyaux
qui apparlenoienl à la couronne, 1 1 les eust л rendre. Elle de
manda soudain à M. l'harangueur : « Comment! le Koy est-il
» mort? — Non, madame, respondit l'autre, mais il ne peut
» guieres tarder. — Tant qu'il luy restera un doigt de vie donc,
» dit-elle, je veux que mes ennemys sachent que je ne les craim
» point, et que je ne leur obéyrai tant qu'il sera vivant. Je suis
» encore invincible de courage , mais lorsqu'il sera mort je ne
» veux plus vivre après luy; et toutes les amertumes qu'on me
» sauroit donner ne me seront que douceurs au prix de ma
» perte: et par ainsi, mon roy vif ou mort, je ne crains pas mes
» ennemis. » Celte dame monstra-là une grande générosité de
cœnr. Mais elle ne mourut pas, ce dira quelqu'un, comme elle
avoil dit. Elle ne laissa pourtant à sentir plusieurs approches de
la mon ; et aussi que plustost nue mourir, elle fit mieux de vou
loir vivre, pour monstrer à ses ennemys qu'elle ne les craignoil
point, et que, les ayant veus d'autresfuis bransler cl s'Imiuilicr
DISCOURS VI. 34t
sous elle, m'en vouloit foire de mesme en leur endroit, et leur
monstrer si bien teste et visage qu'ils n'osèrent jamais luy faire
desplaisir, mais bien mieux, dans deux ans ils la recherchèrent
plus que jamais et rentrèrent en amitié, comme je vis : ainsi
qu'est la coutume des grands et grandes, qui ont peu de tenue
en leurs amitiés, et s'accordent aisément en leurs différends
comme larrons en foire, et s'aiment et se liayssent de mesme :
te que nous autres petits ne faisons; car, ou il se faut battre,
venger et mourir, ou en sortir par des accords bien pointillez. bien
tamisez et bien solemnisez; et si nous en trouvons mieux. Il faut
certes admirer cette dame de ce trait, comme coustumièrement
ces grandes qui traitent les affaires d'Estat, font tousjours quelque
chose de plus que l'ordinaire des autres. Voilà pourquoy le feu roy
Henry troisiesme dernier et la reyne sa mère n'aimoifint nulle
ment les dames de leur Cour qui missent tant leur esprit et leur
nez sur les affaires d'Eslat, n y s'en meslassent tant d'en parler, ny
de ce qui touchoit de près en fait du royaume: comme (disoient
Leurs Majestez) si elles y avoient grande part et qu'elles en dus-
set être héritières, ou du tout pour mieux qu'elles y rapportassent
la sueur de leur corps ou y menassent les mains, comme les hom
mes , à le maintenir : mais elles, se donnans du bon temps, cau-
sans sous la cheminée, bien aises en leurs chaises, ou sur leurs
oreillers, ou sur leurs couchettes, devisoient bien à leur aise du
monde et de i'Estat de la France, comme si elles faisoient tout.
Sur quoy repartit une fois une. dame de par le monde, que je ne
nommeray point, qui, se meslant d'en dire sa râtelée aux premiers
estais à Blois, Leurs Majestez luy en firent faire la petite répri
mande, et qu'elle se mesiast des affaires de sa maison et à prier
Dieu. Elle, qui estoit un peu trop libre en paroles, respondit :
« Du temps que les roys, princes et grands seigneurs se croisoient
» pour aller outre mer et faire de si beaux exploits en la Terre
» Sainte, certainement il n'estoit permis à nous autres femmes
» que de prier, orer, faire vœux et jeusnes, afin que Dieu leur
» donnast bon voyage et bon retour; mais depuis que nous les
» voyons aujourd'huy ne faire pas plus que nous, il nous est per-
» mis de parler de tout: car, prier Dieu pour eux, à cause de
» quoy, puisqu'ils ne font pas mieux que nous? » Cette parole,
certes, fut par trop audacieuse, aussi luy cuida-t-elle couster bon,
eteust une grande peine d'obtenir réconciliation et pardon, qu'il
fallut qu'elle demandast ; et, sans un sujet que je dirois bien, elle
29.
Î4Î VIES DES DAMES GALANTES.
recevoit l'afflction et punition toute entière, et bien outragense. -
11 ne fait pas bon quelquefois dire un bon mot comme celuy, quand
il vient à la bouche; ainsi que j'ay ven plusieurs personnes qui
ne s'y sçanroienl commander ; car elles sont pins débordées qu'un
cheval de Barbarie;, et, trouvant un bon brocard dansh:ur bouche,
il faut qu'ils les crachent, sans espargner ny parents, ny amis, ni
grands. J'en ay cogneu force h nostre Cour de telle humeur, et
les appeloit-on marquis ou marquises de Belle-Bouche : mais aussi
bien souvent s'en trouvoient du guet.
— Or, comme j'ai déduit la générosité d'aucunes dames en
aucuns beaux faits de leurs vies, j'en veux descrire aucunes
qu'elles ont montré en leur mort. Et, sans emprunter aucuii exem
ple de l'antiquité, je ne veux alléguer que cettuy-cy de feue ma
dama la Régente, mère du grand roy François. Ce fut en son
temps, ainsi que j'ay ouy dire à aucuns et aucunes qui l'ont veue
et cogneue, une très-belle dame, et fort mondaine aussi ; et fat
cela mesrae en son aage décroissant, et, pour ce, quand on luy
parloit de la mort, en haissoit fort ft discours, jusqu'aux pres-
cheurs qui en parloient en leurs sermons : « comme, ce disoit-elle,
» qu'on nesceustpas assez qu'on devoittous mourir un jour ; et
» que tels prescheurs, quand ils ne sçauruient dire autre chose
» en leurs sermons, et qu'ils estoient au bout de leurs leçons ,
» comme gens ignares, se mesloient sur celte mort. » La feue
reyne de Navarre, sa fille, n'aimoit non plus ces chansons el pré-
dicaiions mortuaires que sa mère. Estant donc venue la fin desti
née, d gisant dans son lict, trois jours avant que mourir, elle vid
la uuict sa chambre toute en clarté, qui esloit transpercée par la
vitre : elle se courrouça à ses femmes-de-chambre qui la veilloient
pourquoy elles faisoienl un feu si ardent et esclairant. Elles luy
respondirent q u'ii n'y avoit qu'un peu de feu, et que c'estoil la
lune qui ainsi esclairoit et donnoit telle lueur. « Comment, dii-
» elle, nous en sommes nu bas ; elle n'a garde d'esciairer à celte
» heure. » El soudain, faisant ouvrir son rideau, elle vit une ro-
metie qui esclairoil ainsi droit sur son lid. « На ! dit-elle, voilà
» un signe qui ne paroist pas pour personne de basse qualilé. Dieu
» le fail paroislre pour nous autres grands et grandes. Refermez
» la feneslre ; c'est une comelle qui m'annonce la mort ; il se faut
» donc préparer. » Et le lendemain au malin, ayant envoyé quérir
son confesseur, fil tout le devoir de bonne chreslienne, encore que
les médecins l'asseurasseut qu'elle n'estoit pas-là, a Si je n'avoi*
DISCOURS VI. 343
» ven, dit-elle, le signe de ma mort, je le croirois, car je ne me
я sens point si bas ; » et leur conta h tous l'apparition de sa co
rnette. Et puis, au bout de trois jours, quittant les songes du monde,
trépassa. Je ne sçaurois croire autrement que les grandes dames, et
celles qui sont belles, jeunes et honnestes, n'ayent plus de grands re
grets de laisser le monde que les autres : et toutesfois, j'en vois'
nommer aucunes qui ne s'en sont point, souciées, et volontaire
ment ont receu la mort, bien que sur le coup l'anoonciation leur
soit fort amere et odieuse.
— La feue comtesse de La Rocbefoucault, de la maison de Roye
à mon gré et a d'autres une des belles et agréables femmes de
France, ainsi que son ministre (car elle estoit de la religion comme
chacun sçait) lui annoncea qu'il ne falloit plus songer au monde,
et que son heure estoit venue, et qu'il s'en falloit aller à Dieu
qui l'appeloit, et qu'il falloit quitter les mondanitez, qui n'esioient
rien aux prix de la béatitude du ciel, elle luy dit : « Cela est bon,
x monsieur le ministre, à dire à celles qui n'ont pas grand con-
» lentement et plaisir en celtuy-cy, et qui sont sur le bord de
» leur fosse ; mais à moy, qui ne suis que sur la verdure de mon
» aage et de mon plaisir en cette-cy et de ma beauté, vostre sen-
» tence m'est fort amere ; d'autant que j'ay plus de sujet de m'ai-
v mer en ce monde qu'en tout autre, et regretter à mourir, je vous
» veux monstrer eu cela ma générosité, et vous asseurer que je
» prends la mort à gré, comme la plus vile, abjette, basse, laide
» et vieille qui fust au monde. » Et puis s'estant mis à chanter
des pseaumes de grand dévotion, elle mourut.
— Madame d'Espernon, de la maison de Cándale, fut assaillie
d'une maladie si soudaine qu'en moins de six ou sept jours elle
fut emportée. Avant que mourir elle tenta tous les moyens
qu'elle put pour se guérir, implorant le secours de Dieu et des
hommes par ses prières très-dévotes, et de tous ses amis, servi
teurs et servantes, luy fascbant fort qu'elle vinst mourir en si
jeune aage ; mais, après qu'on luy eusl remonstré qu'il falloit à
bon escient s'en aller à Dieu, et qu'il n'y avoit plus aucun re
mède : a Est-il vr.-s y ? dit-elle, hissez-moy faire ; je vais donc
» bravement me résoudre. » Et usa de ces mesmes et propres
mots ; et, haussant ses beaux bras blancs, et en touchant ses
deux mains l'une contre l'autre, et puis, d'un visage franc et
d'un cœur asseuré se présenta à prendre la mort en patience,
et de quitter le monde, qu'elle commenta forl à abhorrer par
344 VIES DES DAMES GALANTES.
des paroles Irès-chrestienncs : et puis mourut en très-dévote et
bonne chreslienne, en l'aage de vingt-six ans, et l'une des belles
agréables dames de son temps.
— On dit qu'il n'est pas beau de louer les siens, mais aussi
one belle vériié ne se doit pas celer ; et c'est pourquoy je veux
ici louer madame d'Aubelerre, ma niepce, fille de mon frère
aisné, laquelle ceux qui l'ont veuë à la Cour ou ailleurs, diront
bien avec moy avoir esté l'une des belles et accomplies dames
qu'on eust sceu voir, autant pour le corps que pour l'âme. Le
corps semonstroit fort à plain et extérieurement ce qu'il estoii, par
son beau et agréable visage, sa taille, sa façon et sa grâce ; pour
l'esprit, il esioit (orí divin et n'ignoroit rien ; sa parole fort propre,
naïve, sans fard, et qui couloit de sa bouche fort agréablement,
fut pour la chose sérieuse, fut pour la rencontre joyeuse. Je n'sy
jamais veu femme, selon mon opinion, plus ressemblante nostre
rcyne de France Marguerite, et d'air et de ses perfections, qu'elle;
aussi I ouïs-je dire une fois à la Reyne-mere. C'est un mot as-
fez suffisant pour ne la louer davantage ; aussi je n'en diray pas
plus ; ceux qui l'ont veuë ne me donneront, je m'asseure, nul dé-
ineniy sur celte louange. Elle vint à eslre tout à coup assaillie d'une
maladie qui ne se put point bien congnoislre des médecins, qui y
perdirent leur latin ; mais pourtant elle avoit opinion d'estre em
poisonnée, je nediray point de quel endroit; mais Dieu vengera
tout, et possible les hommes. Elle fît tout ce qu'elle put pour se
faire secourir, non qu'elle se souciast , disoit-elle, de mourir ;
car, dès la perte de son тагу en avoit perdu toule crainte, en
core qu'il ne fust certes nullement égal à elle, ny ne la niénlast,
ny les belles larmes non plus qu'elle jelUiit de ses beaux yeux
après sa mort; mais eust-eile fort désiré de vivre encore un peu
pour l'amour de sa lille, qu'elle laissoit tendrette, tant celle occa
sion esloil belle et bonne : et les regrels d'un тагу sot, fasdieux,
sont fon vains et légers. Elle, voyant donc qu'il n'y avoil plus de
remède, et semant son poulx, quelle mesuie tastoil et connoissuit
frigaiit (car elle s'enlendoit à tout), deux jours avant qu'elle
mourust envoya quérir sa fille, et luy lit une exhortation irès-
belle et saiule, et lelle que possible ne sçay-je mère qui la pusl
faire plus belle ny mieux représentée, aulant pour l'instruire ù
bien vivre au monde, que pour acquérir la grâce de Dieu ; et puis
luy donna sa bénédiction, luy commandant de ne troubler plus
par ses larmes son aise et repos qu'elle alloit prendre avec Dieu.
DISCOURS VI. Я5
Puis elle demanda son miroir, et s'y arregardant très-fixement i
« Ali ! dit elle, traisire visage a ma maladie, pour laquelle lu n'as
» changé ! (car elle le monslroit aussi beau que jamais) mais
» bieniost la mort qui s'approche en aura raison, qui te rendra
» pourry et mangé des vers. » Elle avoit aussi mis la pluspart
de ses bagues en ses doigts, et les regardant, et sa main et tout
qui estoit très-belle : « Voilà, dit-elle, une mondanité que j'ay
» bien aimée d'autresfois ; mais à cette heurede bon cœur je la
» laisse, ptxir me parer en l'autre monde d'une autre pkis belle
» parure. » Et voyant ses sœurs qui pleuroienl à toute outrance
auprès d'elle, elle les consola et pria de vouloir prendre en gré
avec elle ce qu'il plaisoit à Dieu de luy envoyer; et que, s'estants
lousjours si l'on aimées, elles n'eussent regret à ce qui luy appor-
toit de la joie et contentement; et que l'amitié qu'elle leur avoit
lousjours portée dureroit éternellement avec elles; les priant d'en
faire le semblable, et mesme à l'endroit de sa lille : et les voyant
renforcer leurs pleurs, elle leur dit encore : « Mes sœurs si vous
» m'aimez, pouiqnoy ne vous rojouissez-vous avce moy de l'es-
» change que je fais d'une vie misérable avec un très-heureuse ?
» Mon âme, bssée de tant de travaux, désire en estre déliée, et
» estre en lieu de repos avec Jésus-Christ mon sauveur ; et vous
» la souhaitez encor attachée à ce chclif corps, qui n'est que sa
» prison et non son domicile. Je vous supplie donc, mes sœurs, ne
» vous alfliger davantage. » Tant d'autres pareils propos beaux et
chreslicns dit elle, qu'il n'y a ,si grand docteur qui en eust pu
proféier de plus beaux, lesquels je coule. Sur-tout elle demandoit
à voir madame de Bourdeille sa mère, qu'elle avoit prié ses sœurs
d'envoyer quérir, et souvent leurdisoit : « Mon Dieu ! mes sœurs,
» madame de Bourdeille ne vient-elle point? Ali ! que vos cour-
» riers sont longs 1 ils ne sont pas guieres bons pour faire diligences
» grandes et postes. » Elle y alla, mais ne la put voir en vie, car
elle estoit morte une heure devant. Elle me demanda fort aussi,
qu'elle appeloit tousjours son cher oncle, et nous envoya le der
nier adieu. Elle pria de faire ouvrir son corps après sa mort, ce
qu'elle avoit tousjours (ort détesté, alin, dit-elle à ses sœurs, que
la cause de sa mort leur estant plus à plain découverte, cela leur
fust une occasion, et a sa tille, de conserver et prendre garde à leurs
vie; « car, dit-elle, il faut que j'advoue que je soupçonne d'avoir
» eslé empoisonnée depuis cinq ans avec mon oncle de Branthome
» et ma sœur la comtesse de Durtal ; mais je pris le plus gros mor
348 VIES DES DAMES GALANTES.
» céans Don loutesfois que je veuille charger personne, craignant
» que ce soit à faux, et que mon âme en demeure chargée, la-
» quelle je désire estre vuide de tout blasme, rancune, inimitié el
» péché, pour voler droit à Dieu son créateur. »
Je n'aurois jamais fait si je disois tout; car ses devis furent
grands et longs, et point se ressentant d'un corps fany, esprit
loible et décadant. Sur ce, il y eut un gentilhomme son voisin qui
ilisoit bien le mot, et avoit aimé à causer et boufibnner avec luy,
qui se présenla. Elle luy dit : « Ah ! mon amy! il se faut rendre à
» ce coup, et langue et dague, et tout à Dieu ! » Son médecin et
ses sœurs luy vouloient faire prendre quelque remède cordial : elle
les pria de ne luy en donner point : « car ils ne serviraient rien
» plus, dit-elle, qu'à prolonger ma vie et retarder mon repos. »
Et pria qu'on la laissas! : et souvent l'oyoit-on dire : « Mon Dieu,
» que la mort est douce! et qui l'eust jamais pensé? » Et puis,
peu à peu, rendant ses esprit fort doucement, ferma les yeux,
sans faire aucuns signes hideux et affreux que la mort produit sur
ce poinct à plusieurs. Madame de Bourdeille, sa mère, ne larda
guieres à la suivre; car la mélancolie qu'elle conceut de cette hon-
neste fille l'emporta dans dix-huict mois, ayant esté malade sept
mois, ores bien en espoir de guérir et ores en désespoir ; et dez
le commencement elle dit qu'elle n'en reschapperoit jamais, n'ap
préhendant nullement la mort, ne priant jamais Dieu de luy donner
vie ne santé, mais patience en son mal, et sur-tout qu'il luy en.
voyast une mort douce et point aspre et langoureuse; ce qui fut,
car, ainsi que nous ne la pensions qu'esvanoüie, elle rendit l'âme
si doucement qu'on ne luy vit jamais remuer ny pieds, ny bras,
ny jambes, ny faire aucun regard affreux ny hideux ; mais, con
tournant ses yeux aussi beaux que jamais, trespassa, et resta
morte aussi belle qu'elle avoil esté vivante en sa perfection. Grand
dommage certes, d'elle et de ses belles dames qui meurent ainsi
en leurs beaux ans! si ce n'est que je croy qne le ciel, ne se con
tentant de ses beaux flambeaux qui dès la création du monde or
nent sa voûte, veut par elles avoir outre plus des astres nouveaux
pour nous illuminer, comme elles ont fait estant vives, de leur
beaux yeux. Cette-cy et non plus.
— Vous avez eu ces jours passez madame de Balagny, vraye
sœur en tout de ce brave Bussy. Quand Cambray fut assiégé,
elle y fit tout ce qu'elle put, d'un cœur brave et généreux, pour
en défendre la prise: mais oprès s'esire en vain évertuée par
DISCOURS VI. m
.ouïes sortes de défenses qu'elle y put apporter, voyant que
j'estoit fait, et que la ville esloit en la puissance de l'ennemy,
¿l la citadelle s'en alloit de mesme; ne pouvant supporter ce
¿rand crève-cœur de desloger de sa principauté (car son тагу
¿t elle se faisoient appeler prince et princesse de Cambray et
Cambresis; titre qu'on trouvoit parmy plusieurs nations odieux
et trop audacieux, veu leurs qualitez de simples gentilshommes),
mourut et creva de tristesse dans la place d'honneur. Aucuns di
sent qu'elle mesme se donna la mort, qu'on trouvoit pourtant estre
acte plusiot payen que chreslien. Tant y a qu'il la faut louer de
sa grande générosité en cela et de la remonstrance qu'elle fit à son
тагу à l'heure de sa mort, quand elle luy dit : « Que te reste-t-
» il, Balagny, de plus vivre après ta désolée infortune, pour servir
» de risée et de spectacle au monde, qui te monstrera au doigt,
» sortant d'une si grande gloire où tu t'es veu haut eslevé, en une
» basse fortune que je te voy préparée si tu ne fais comme шоу î
» Àpprens donc de moy à bien mourir et ne survivre ton malheur
» et ta dérision. » C'est un grand cas quand une femme nous ap
prend à vivre et mourir! A quoy il ne voulut obtempérerny croire !
car, au bout de sept ou buict mois, oubliant la mémoire preste
ment de cette brave femme, il se remaria avec la sœur de madame
de Monceaux, belle certes et honneste demoiselle ; monstrant à
plusieurs qu'enfin il n'y a que vivre, en quelque façon que
ce soit. \
— Certes la vie est bonne et douce ; mais aussi une mort géné
reuse est fort à louer, comme cette-cy de celte dame, laquelle, si
elle est morte de tristesse, et bien contre le naturel d'aucunes da
mes, qu'on dit estre contraire au naturel des hommes; car elles
meurent de joye et en joye. le n'en alléguerai que ce seul conte
de mademoiselle de Limeuil l'aisnée, qui mourut à la Cour estant
l'une des filles de la Reyne. Durant sa maladie dont elle trespassa
jamais le bec ne luy cessa, ains causa tousjours; car elle esloit
fort grand parleuse, brocardeuse et très-bien et fort à propos, et
très-belle avec cela. Quand l'heure de sa mort fut venue, elle fît
Tenir à soy son vallet (ainsi que les filles de la Cour en ont chacune
'eleur), et s'appeloit Julien, qui jouoit très-bien du violon : a iu-
'i lien, luy dit-elle, prenez vosire violon et sonnez-moy tousjours,
» jusques à ce que me voyez morte (car je m'y en vois), la de-
» faille des Suisses, et le mieux que vous pourrez : et quand vous
» serez sur le mot, tout ett perdu, sonofö-le par quatre pu cinq
848 VIES DES DAMES GALANTES.
» fois, le plus piteusement que vous pourrez; в ce que fit l'autre,
et cllc-mesme lui aidoit de la voix : et quand ce vint à tout es;
perdu, elle lu récita par deux fois ; et se tournant de l'autre costé
du chevet, elle dit à ses compagnes : « Tout est perdu à ce coup,
» et à bon escient; » et ainsi décéda. Voila une mort joyeuse et plai
sante. Je tiens ce conte de deux de ses compagnes dignes de foy,
qui virent jouer le mystère. S'il y a ainsi aucunes femmes qui
meurent de joye ou joyeusement, il se trouve bien des hommes
qui ont fait de mesme; comme nous lisons de ce grand pape Léon,
qui mourut de joye et liesse, quand il vit nous autres François
chassé du tout hors de l'Estat de Milan, tant il nous portoit de
haine.
— Feu M. le grand-prieur de Lorraine prit une fois envie d'en
voyer en course vers le Levant, deux de ses galleres sous la charge
du capitaine Beaulieu, Tun de ses lieutenants, dont je parle ailleurs,
Ce Beauüeu y alla fort bien, car il estoit brave et vaillant : quand
il fut vers l'Archipelage, il rencontra une grande nau vénitienne
bien armée et bien riche : il la commença à la canonuer; mais
la nau luy rendit bien sa salue ; car de la première volée elle luy
emporta deux de ses bancs avec leurs forçats tout net, et son
lieutenant qui s'appelloil le capitaine Panier, bon compagnon, qui
pourtant eut le loisir de dire : « Adieu paniers, vendanges
» sont faites. » Sa mort fut piábanle par ce bon mot. Ce fut à
M. de Deaulieu à se retirer, car cette nau esloil pour luy in
vincible. '
— La première année que le roy Charles neuQesme fut roy,
lors de l'édit de juillet, qui se lenoit aux faux de Saint Ger
main, nous vismes pendre un enfant de la matte la mesine,
qui avait dérobé six vaisselles d'argent de la cuisine de M. le
prince de La Roche-sur-Yon . Quand il fut sur l'eschelle, ¡I
pria le bourreau de luy donner un peu de temps de parler, et
se mil sur le devis en remonstrant au peuple qu'on le faisuit
mourir a tort : « car, disoit-il, je n'ay poinl jamais exercé mes
» hircins sur des pauvres gens, gueux et malotrus, mais sur les
» princes et les grands, qui sont pius grands larrons que nous et
« qui nous pillent tous les jours ; et n'esl que bien fait de re-
» peter d'eux ce qu'ils nous derrobenl et nous preunent. » Tant
d'aulres sornelies plaisantes, dit-il, qui seraient superflues de ra
conter, si-non que le prestre qui esloil moulé sur le haut de
l'eschelle avec luy, et s'estoil tourné vers le peuple, сошше ou
DISCOURS VI. 349
fold, il luy escria : « Messieurs, ce pauvre patient se recom-
» mande à vos bonnes prières : nous dirons tous pour luy et son
» âme, un Pater nosler et un Ave Maria, et chanterons Salve, a
cl que le peuple luy respondent, ledit patient baissa la teste, et
regardant ledit prestre, commença à brailler comme un veau et
se moqua du presire fort plaisamment, puis luy donna du pied
et l'envoya du baut de l'eschelle en bas, si grand sault qu'il
s'en rompit une jambe. « Ali ! monsieur le prestre, par Dieu, dil-
» il, je sçavois bien que je vous deslogerais de là. Il en a, le gal-
» lant, » l'oyant plaindre, et se mit à rire a belle gorge déployée,
et puis luy-mesme se jetia au vent. Je vous jure qu'à la Couronrit
bien de ce trait, bien que le pauvre prestre se fust fait grand mal.
Voilà une mort certes non guieres triste. Feu M. d'Etampes avoit
un fou qui s'appeloit Colin, fort plaisant. Quant sa mort s'appro
cha, M. d'Estampes demanda comment se portoit Colin. On luy
dit : « Pauvrement, monsieur, il s'en va mourir, car il ne veut
» rien prendre. — Tenez, dit M. d'Estampes, qui lors estoit à ta-
» blé, portez-lui ce poiage, et dites-luy que, s'il ne prend quel-
» que chose pour l'amour de moy, que je ne l'ameray jamais, car
' » on m'a dit qu'il ne veut rien prendre. » L'on lit l'ambassade à
Colin, qui, ayant la mort entre les dents, fit response : « Et qui
« sont-ils ceux-là qui ont dit à Monsieur que je ne voulois rien
I » prendre? » Et estant enfourné d'un million de mouches ( car
c'estoit en esté), il se mit à jouer de la main à l'entour d'elles,
' comme l'on voit les pages et laquais et autres jeunes enfants après
elles ; et en ayant pris deux au coup, et en faisant le petit tour de
la main qu'on se peut mieux représenter que l'escrire, « Dilles à
, » Monsieur, dit-il, voilà que j'ay pris pour l'amour de luy, et que
I » je m'en vais au royaume des mouches. » Et se tournant de l'aus-
Ire costé, le gallant trespassa. Sur ce j'ay ouy dire à aucuns phi
losophes, que volontiers aucunes personnes se souviennent à leur
trespas des choses qu'ils ont plus aimées, et les recordent, comme
les gentilshommes, les gens de guerre, les chasseurs et les arlisans,
| bref de tous quasi en leur profession mourants ils en causent quel-
f que mot : cela s'est veu et se voit souvent. Les femmes de mes-
mes en disent aussi quelque rattellée, jusques aux pulains; ainsi
l que j'ay ouy parler d'une dame d'assez bonne qualilé, qui à sa
morí irionipha de débagouler de ses amours, paillardises et gentil
lesses passées : si-bien qu'elle en dit plus que le monde n'en sça-
voit, bien qu'on la soupçonnas! fort putain. Possible pouvoit-elle
MO VIE9 DES DAMES GALANTES.
faire cette découverte, ou en resvant, ou que la vérité, qui ne se
peut célpr, l'y contraigáis!, ou qu'elle voulus! en descharger sa
conscience, comme de vray en saine conscience et repentance. Elle
en confessa aucuns en demandant pardon, et les espécitioit et cot-
toit en marge que l'on y voyoit tout à clair, « Yrayment, ce dit
quelqu'un, elle estoit bien à loisir d'aller sur cette heure nettoyer
sa conscience d'un tel ballay d'escandale, par une si grande spé-
ciauté! »
— J'ay ouy parler d'âne dame qui, fort sujette à songer et res-
ver tontes les nuicts, qu'elle disoit la nuict tout ce qu'elle faisoit
le jour ; si bien qu'elle-mesme s'escandalisa à l'endroit de son
тагу, qui se mit à l'ouyr parler, gazouiller et prendre pied à ses
songes et resveries, dont après mal en prit à elle. Il n'y a pas long
temps qu'un gentilhomme de par le moude, en une province que
je ne nommeray point, en mourant en fist de mesme, et publia
ses amours et paillardises, et spécifia les dames et demoiselles .
avec lesquelles il avoit eu à faire, et en quels lieux et rendez-vous,
et de quelles façons, dont il s'en confessoit tout haut, et en de-
mandoit pardon à Dieu devant tout le monde. Celtuy-là faisoit pis
que la femme, car elle ne faisoit que s'escandaliser, et ledit gen
tilhomme escaadalisoit plusieurs femmes. Voilà de bons gallants et
gallantes I
— On dit que les avaritieux et avaritieuses ont aussi cette hu- <
meur de songer fort à leur mort en leurs trésors d'escus, les
ayant tousjours en la bouche. Il y a environ quarante ans qu'une
dame de Mortemar, l'une des plus riches dames du Poictou, et
des plus pécuuieuses, et après venant à mourir, ne songeant qu'à
ses escus qui estoient en son cabinet, et tant qu'elle fut malade
se levoit vingt fois le jour à aller voir son trésor. Enfin, s'appro
chant fort de la mort, et que le prestre l'exliorioli fort à la vie '
éternelle, elle ne disoit autre chose et ne respondoit que : a Don-
» nez-moi ma cotte, donnez-moi ma coite ; les méchants me de¿-
» robbent; » ne songeant qu'à se lever pour aller voir son cabi
net, comme elle faisoit les efforts, si elle eust pu la bonne dame ; et
ainsi elle mourut. "j
Je me suis sur la fin un peu entrelassé de mon premier discours;
mais prenez le cas qu'après la moralité et la tragédie vient U •
farce. Sur ce je fais fin.
DISCOURS VII. 35 1
DISCOURS SEPTIEME.
Sur ce qu'il, ne tant jamais parler mal des dames, et de !> conséquence
qui en vient.
(I) Ce conte, que Bramóme dit tenir des anciens de la Cour, est pris presque
mol [>oi:r mot île J. lîotichpt, dans ses Annales d'Aquitaine, édit. de 1644,
is;;. 47,!, au nom rtos trou daim:» [mí, qui cil appatemmeot ce qu'il »cul dire
qu'il tcuoil de bon lieu.
358 VIES DES DAMES GALANTES.
promettait les y servir et leur en dire da bien, tant il estoit bon
et familier : et souvent aussi quand il les voyoit en grand arraison
nement avec leurs maistresses, il les venoit accoster et leur de
mander quels bons propos ils avoient avec elles ; et s'il ne les
trouvoit bons, il les corrigeoit et leur en apprenoit d'autres. A ses
plus familiers il n'estait point avare ny chiche de leur en dire ny
départir de ses coûtes, dont j'en ay ouy faire un plaisant qui by
advint, puis après le récita, d'une belle jeune dame venue à la
Cour, laquelle, pour n'y estre bien rusée, se laissa aller fort dou
cement aux persuasions des grands, et sur-tout de ce grand roy ;
lequel un jour, ainsi qu'il vouluw^anter son estandart bien arboré
dans son fort, elle qui avoit ouy uire, et qui commença desjà à le
voir, que quand on donnoit quelque chose au Roy, ou que quand
on le prenoit de luy et qu'on le loucboit, le faloit premièrement
baiser, ou bien la main, pour le prendre et toucher; ellemesme,
sans autre cérémonie, n'y faillit pas, et baisant très-humblement
la main, prit l'estandart du Roy et le planta dans le fort avec une
très-grande humilité ; puis luy demanda de sang froid comment il
vouloit qu'elle le servist ou en femme de bien et chaste, ou en
desbauchée. Il ne faut point douter qu'il luy en demandast la des-
bauchée, puisqu'on cela elle y estoit plus agréable que la modeste;
en quoy il trouva qu'elle n'y avoit perdu son temps, et après le
coup et avant, et tout; puis luy faisoit une grande révérence en
le remerciant humblement de l'honneur qu'il luy avoit fait, dont
elle nV-ioit pas digne, en luy recommandant souvent quelque
avancement pour son тагу. í'ay ouy nommer la dame, laquelle
depuis n'a esté si sotte comme alors, mais bien habile et bien
rusée.
C1 roy n'en espargna pas le conte, qui courut à plusieurs
oreilles. Il estoit fort curieux de sçavoir l'amour et des uns et
des autres, et surtout des combats amoureux, et mesme de
quek beaux airs se manioient les dames quand elles estoient en
leur manège, et quelle contenance et posture elles y tenoient, et
de qu:les paroles elles usoient : et puis en rioit à pleine gorge,
et après en défendoit la publication et l'escandale, et recomman-
doit le secret et l'honneur. Il avoit pour son bon second ce
très-grand, très-magnifique et très-libéral cardinal de Lorraine:
très-libéral le puis-je appeler, puisqu'il n'eut son pareil de son
temps: ses despenses, ses dons, gracieuselez, en ont fait foy, et
surtout la charité envers les pauvres. Il portait ordinairement une
DISCOURS VII. 359
grande gibecière, que son valet-de-chambre qui Iny manioit son
argent des menus plaisirs ne failoit d'emplir tous les matins, <U
trois ou quatre ceñís escus ; et tant de pauvres qu'il trouvoit Ц
mettoit la main à la gibecière, et ce qu'il en tiroit sans considéra
tion il le donnoit, et sans rien trier. Ce fut de lui que dit un pau
vre aveugle, ainsi qu'il passoit dans Rome et que l'aumosne lui
fut demandée de lay, il luy jetta à son accoustumée une grande
poignée d'or, et en s'escriant tout haut en italien : O tu sei
Christo, Ь veramente el cardinal di Lorrena ; c'est-à-dire :
« Ou tu es Christ, ou le cardinal de Lorraine. » S'il estoit au-
mosnier et charitable en cela, il estoit bien autant libéral es au
tres personnes, et principalement à l'endroit des dames, lesquelles
il altrapoit aisément par cet appât ; car l'argent n'estoit en si
grande abondance de ce temps comme il est aujourd'huy ; et pour
ce en estoient-elles plus friandes, et des bombances et des parures.
J'ay ouy conter que quand il arrivoit à la Cour quelque belle fille ou
dame nouvelle qui fust belle, il la venoit aussitost accoster, et l'ar
raisonnant, il disoitqu'il la vouloit dresser de sa main. Quel dresseur!
Je croy que la peine n'estoit pas si grande comme à dresser quel
que poulain sauvage. Aussi pour lors disoit-on qu'il n'y avoit
guère de dames ou filles résidentes à la Cour ou fraiseheiueni ve
nues, qui ne fussent desbauchées ou attrappées par son avarice
et par la largesse dudil M. le cardinal ; et peu ou nulles sont-elles
sorties de cette cour femmes el filles de bien. Aussi voyoii-on pour
lors leurs coffres et grandes garde-robbes plus pleines de robhes,
de colles, et d'or et d'argent et de soye, que ne sont aujourd'ur.y
celles de nos reynes et grandes princesses d'aujourd'huy. J'en ay
fait l'expérience pour l'avoir veu en deux ou irois qui avoieui ga
gné tout cela par leur devant ; car leurs pères, mères et niarys ne
leur eussent peu donner en si grande quantité. Je me fusse bien
passé, ce dira quelqu'un, de dire cecy de ce grand carilin >l, veu
son honorable habit et révérendissime estât ; mais son roy le vou
loit ainsi et y prenoit plaisir; et pour complaire à son roy l'on est
dispensé de tout, et pour faire l'amour et d'autres choses, mais
qu'elles ne soient point meschantes, comme alors d'aller à la
guerre, à la chasse, aux danses, aux mascarades et autres exer
cices; aussi qu'il estoit un homme de chair comme un autre, et
qu'il avoit plusieurs grandes vertus et perfections qui offusquoient
cette petite imperfection, si imperfection se doit appeler faire l'a
mour,
SCO VIES DES DAMES GALANTES.
J'ay ouy faire un corito de luy a propos du respect deu aux
dames : il leur en porioit de son naturel beaucoup : niais il
l'oublia, et non sans sujet, à l'endroit de madame la duchesse
de Savoye, donne Beatrix de Portugal. Luy, passant une fois
par le Piedmond, allant à Коше pour le service du Roy son
niaislre, visita le duc et la duchesse. Après avoir assez entretenu
SI. le duc, il s'en alla trouver madame la duchesse en sa cham
bre pour la saluer, et s'approchant d'elle, elle, qui esloit la
темпе arrogance du monde, luy présenta la main pour la bai
ser. AI. le cardinal, impatient de cet affront, s'approcha pour la
baiser à la bouche, et elle de se reculer. Luy, perdant patience
et s'approchant de plus près encore d'elle, la prend par la teste,
et en dépit d'elle la baisa deux ou trois fois. Et quoy qu'elle eu
fist ses cris et exclamations à la portugaise et espagnole, si fallut-
il qu'elle passast par-là. « Comment, dit-il, est-ce à moi à qui il
v faut user de celte mine et façon? je baise bien la lleyne ma
» maistresse, qui est la plus grande reyne du monde, et vous je
» ne vous baiserois pas, qui n'estes qu'une petite duchesse crottée .'
» Et si veux que vous sçachiés que j'ay couché avec des dames
» aussi belles et d'aussi bonne ou plus grande maison que vous. »
Possible pouvoit-il dire vrai. Celle princesse eut tort de tenir
ceue grandeur à l'endroit d'un tel prince de si grande mai
son, et iiieàaie cardinal, car il n'y a cardinal, veu ce grand
rang d'Église qu'ils tiennent, qui ne s'accompare aux plus
grands princes de la chrétienté. M. le cardinal aussi eut tort d'u
ser de revanche si dure ; mais il est bien fascheux à un noble
et généreux cœur, de quelque profession qu'il soit, d'endurer un
affront.
Le cardinal de Grand vello le sceut bien faire sentir au comte
d'Egmont, et d'autres que je laisse au bout de ma plume, car je
brouillerois par trop mes discours, auxquels je retourne ; et le re-
prens au feu roy Henry II, qui a eálé fort respectueux aux dames,
et qu'il servoit avec de grands respects, qui detestoit fort les ca
lomniateurs de l'honneur des dames : et lorsqu'un roy sert telles
dames, de tel poids, et de telle complexion, mal-aisément la suite
de la Cour ose ouvrir la bouche pour en parler mal. Déplus la
Beyne-mere y leiioit fort la main poursouslenir ses dames et filles,
et le bien faire sentir à ces détracteurs et pasquineurs, quand ils
estoient une fois descouverts, encore qu'elle-mesme n'y ait esté
espargnée nou plus que ses dames; mais ne s'en soucioit pas tant
DISCOURS VII. 3Sí
d'elle comme des autres, d'autant, disoit-elle, qu'elle senloit son
âme et sa conscience pure et nette, qui partait assez pour soy ; et
la pluspart du temps se rioit et se mocquoit de ces mesdisanis es-
crivains el pasquineurs. « Laissez-les tourmenter, disoit-elle. et
» prendre de la peine pour rien ; »mais quand elle les descoa-
vroit elle leur faisoit bien sentir. Il escheut à l'aisnée Ï,U
meuil, à son commencement qu'elle vint à la Cour , de faire
un pasquín (car elle disoit et escrivoit bien) de toute la Cour, mais,
non point scandaleux pouriant, sinon plaisant; niais asseurcz-vous
qu'elle la rupassa par le fouet à bou escient, avec deux de ses
coin pagnes qui en estaient déconseille ; et sans qu'elle a voit cet hon
neur deluy appartenir, à cause delà maison de ïhurenne, alliée à
celle de Boulogne, elle l'eust chastiée ignominieusement par le com
mandement exprès du Roy, qui délesloit estrangement tels,
escrits.
— Je me souviens qu'une fois le sieur de Malha, qui e'stoit en
brave et vaillant gentilhomme que le Roy aimoit, et estoit pa
rent de madame de Valentinois; il avoit ordinairement quelque
plaisante querelle conire les dames et les filles, tant il csioit fol.
Un jour, s'esiant attaqué à une de la Reyne, il y en avoit une
qu'on nommoit la grande Meray, qui s'en voulut prendre pour
sa compagne; luy ne fit que simplement respondre: « Hà! je ne'
» m'aliaque pas à vous, Meray, car vous estes une grande cour-.
» siere bardablc. » Comme de vray c'estoit la plus grande fille
et femme que je vis jamais. Elle s'en plaignit à la Reyne que
l'autre l'avoit appelée jument et coursiere bardable. La Reyne-
fut en telle colère qu'il fallust que Malha vuiciast de la Cour
pour aucuns jours, quelque faveur qu'il eust de madame de Vor.-
lentinois sa párenle; et d'un mois après sou retour n'entra en let
.¡hambre de la Reyne et des filles.
Le sieur de Gersay fit bien pis à l'endroit d'une des filles de la
Reyne à qui il vouloit mal pour s'en venger, encore que la parole
ne luy manquas! nullement; car ¡I disoit et rencontrait des mieux,
mais sur-iout quand il mesdisoit, dont il en estoit le maistre ;
mais la mesdisance estoit lors fort défendue. Un jour qu'elle es
toit à l'après-dinée en la chambre de la Reyne avec ses compagnes.
et gentilshommes, comme alors la coustume estait qu'on ne s'as-
sioit autrement qu'en terre quand la Reyne y estait, le dit sieur,
ayant pris entre les mains des pages et laquais une с de bé
lier dont ils s'en joüoient à la basse-court ( elle estoit fort grossi?
31
¿
M* VIES DES DAMES GALANTES.
et enflée tout bellement), estant couché près d'el'e, la coala entre
la robbe cl la Juppé de celle tille, et si doucement qu'elle ne s'en
advisa j imais, si-non que, lors que la Revnese vial à se lever de
sa cbaise pour aller en son cabinet, relie fille, queje не nommeray,
se vint lever aiiSM-Inst, el en se levant toul devant la Reyn«,
pousse si fort relie balle I r'.linicre, peine, velue, qu'elle fil six
ou scpl bonds joyeux, que vous eussiez dit qu'eue vou'oil donner
do soy-mesme du pisse-temps a la compagnie sans qu'il luy cous,
last rien. Qui (ul esionnée? ce fui la fille el la Reyne aussi, car
c'csloit en brl'e place visib'e sans aucun obstacle. « Nosire-Dame!
» s'écria la Reyne, et qu'est cela, m'amic, et que voulez-vous faire
в décela? » La pauvre fille, rougissant, à demy explorée, se mit à
ilire qu'elle ne sçavoil que c'esloit, el que c'estoii quelqu'un qui
luy vouloit mal qui luy avoit fait re mendiant trait, et qu'elle pen-
soil que ce ne fii-l autre que Gersay. Lny, qui en avoit veu le
commencement du jeu el des bonds, avoil passé la porte. On l'en
voya quérir; mais il ne voulul jamais venir, voyant In Heyne si
colère, et niant pourtant le (oui fort ferme. Si fallut-il que
pour quelques jours il fuyt sa colère et du lioy aussi : el sans
qu'il csloit un des plus grands f.ivoris du Roy-Dauphin avec
Fontaine-Guerrm, il euil eslé en peine, encore que rien ne se
prouvast ronlre luy que par conjecture, nonobstant que le l'.oy
el ses courtisans el plusieurs dames ne s'en pensseni cngarder
d'en rire, ne l'osant pourtant manifester, voyant la colère de la
Rrync: car c'es:oii la dame du monde qui sçavoil le mieux ra
brouer el esionner les personnes.
— Un lionneste gentilhomme el une dnmoiselle de la Cour
vipdrcnl une fois, de bonne amitié qu'ils avoicni ensemble, à lom-
irr .ч. liuine el querelle, si-bien que la damoisclle Iny dil lout
haul duns la chambre de la Ileyne, estant sur ce différent : « Lais-
» sey.-mo!, autrement je diray ce que vous m'avez dit. » Le
gentilhomme, qui luy avoil rapporté quoique chose en fidélité
d'une ires-grande dame, cl craij;i,aiii que mal ne luy en adviust,
que pour le moins il ne fusl baniiy de la Cour, sans s'e-lonncr
il respond!) (car il disoil ires-bien le mol) : « Si vous rti.es ce
» que je vous ay dit, je dn-ay ce que je vous ay fait. » Qui fust
esionnée? ce fusl lu lilic; loulesfois e'.le respondit: « Que m'a
vez-vous fui? в L'autre respondil : « Que vous ay-je dil ? * La
tille par :\|i:i's replique : « Je sçay bien ce que vous m'avez ilil; «
l'aulreí «Je sais bien ce queje vous ay fait. » La filio duplique:
DISCOURS VII. 363
« Je prcuveray fort bien ce que vous m'avez dit; » t'outre res
ponda : « Je proiiveray encore mieux ce que je vous ay fait. »
Enfin, après avoir demeuré assez de temps en Irlles contestations
par dialogues et répliques et dupliques, cl pareils et semblables
mois, s'en séparèrent par ceux et celles qui se trouvèrent là,
encore qu'ils en tirassent du pbisir.
Tel débai parvint aux oreilles de la Reyne, qui en fut fort en
colère, et en voulust anssilusl sçavoir les paroles de l'un et les
foils de l'antre, et les envoya quérir. Mais l'un et l'autre, voyant
que cela lireroit à conséquence, advisèrcnt à s'accorder aussi-lost
ensemble, et comparaissant devant la Revue, du dire que ce n'es-
toii qu'un jeu qu'ils se contcsioient ainsi, et que le gentilhomme
ne Iny avoii rien dit, ny luy rien f;iil à elle. Ainsi ils payèrent la
Bcyne, laqnele pourtant lança et blasma fort le gentilhomme,
d'autant que ses piróles esloienl trop scandaleuses. Le gentil
homme me jura vingt fois que, s'ils ne se fussent rapatriés et
conferios cnsiMiible, ei que la damoiselle eust desconven les
paroles qu'il luy avoit dites, qui luy tournoient à grande consé
quence, quo résolument, il eusl maintenu son dire qu'il luy avoit
fail, à peine qu'on la visitas!, et qu'on ne la trouverait point pu-
celle, ei que c'osloit luy qui l'a voit dépucelle?. « Oui, lui res-
» pondis-je: mais si l'on I eust visiiéo et qu'on l'eust trouvée
» pucrl'e, car e'.le estoit fille, vous fussiez esié pcnlii, et vous
» y fust allé do la vie. — Hii! mort Dieu ! me re»pondh-il, c'est
» ce que j'eus voulu- le plus qu'on l'eflsi visitée: je n'avois point
» pi'iir que la vie y eusl couru; j'eslois bien asseuré de mon
» bastón ; car je sçavois bien qui l'avoit dépuce'lé.e, et qu'un
» aiiire y avoit bien pissé, mais non pas moy, dont j'en suis très-
» bien marry : et la trouvant entamée et tracée, elle esloit perdue
» et moy venpé, et elle scandalisée. Je fusse esté quille pour
» lYspouser, cl puis m'en défaire comme j'eusse peu. » Voilà
comme 'es pauvres fillcs.et femmes courent fortune, aussi Lieu à
dtoil comme à tort.
— J'en.ay сотней une de tros-grande part, laquelle vint à estre
grosse d'un très brave et gal'and prince (1): on disoil pourtant
fr Fnnrni«"! de ni. Vin , dam« île la Garn.nclie , si nous en croynns Bayle,
Diel- crit., (Mjr. I3l7 reía tlfiixiime Piliiion. liai* je dcule ц»»' lui-même РП lût
bien |ier-n:ii!t: , рпырю, diins lu cilaiion de ce p'.> • : .• (le brnnlömf, il ii'n jugé
à p'O|i"S ctr* mari|-nT qnñ par d(*s Coulis ceilaines pamlrs qui ne cuiivienneDl
niillpineul à la ilaïu.! île La Garnnclio; savoir, que d uboi il on dl oil qce colle dam"
De scloiL Lu-, и cngiossiT qu'eu nwn de mariage , cl qii'upics oo sut le contraire.
304 VIES DES DAMES GALANTES.
que c'estoit en nom de mariage, mais par après on scout le con
traire. Le roy Henry le sceui le premier qui en feust extresm:>ment
fasché, car elle luy en apparlenoit nn peu : toulesfois, sans faire
plus grand bruit ny scandale, le soir au bal la voulut mener
danser le bransle de la Torche (l) et puis la fit menor danser à un
autre la gaillarde et les autres brans'.es, là où elle moastra sa
disposition et sa dextérité mieux que jamais, avec sa taille qui es-
toit très-belle et qu'elle accommodoil si bien ce jour-là, qu'il ny
avoit aucune apparence de grossesse : desorle que le Roy, qui avoii
ses yeux toujours fort fixement sur elle, ne s'en apperceust non
plus que si elle ne fust esté grosse, et vint à dire à un très-grand
de ses plus familiers: « Ceux-là sonl bien meschauls et malheureux
в d'esire allés inventer que celle pauvre fille esioit grosse ; jamais
» je ne luy ay veu meilleure grâce. Ces meschants détracteurs qui
» en ont parlé ont menly el ont très-grand tort, в El ainsi ce bon
prince excusa celle fille et honues'.e damoiselle, et eu dit de mesme
à la Reyne estant couché le soir avec elle. Mais la Reyne, ne se
fiant à cela, la fil visiter le lendemain au maiio, elle esfani pré-
seule, el se trouva grosse de six mois; laquelle luy advoüa el con
fessa le loul sous la courline de mariage. Pourtant le Roy, qui
estoit tout bon, fit lenir le mystère le plus secret qu'il pul sans
escandaliser la tille, encore que la Reine en fust forl en colère.
Toulesiois ils l'envoyèrenl lout coy chez ses plus proches parenls,
où elle accoucha d'un beau tils, qui pouriaut fut si ma'heureux
qu'il ne pul jamais estre advoüé du père putatif; et la cause en
traîna longuement, mais la mère n'y put jamais rien gagner.
— Or le roy Henry aimoit aussi-bien les bons cuntes que ses
prédécesssurs ; mais il ne vouloil point que les daines eu fus-
senl ejcamlalisées uy divulguées : si bien que luy, qui estoil
d'assez amoureuse complexion, quand il alloii voir les daines, y
alloil le plus caché el le plus couvert qu'il pouvoil, afin qu'elles
fussent hors de soupçon et diffame; et s'il en avoit aucunes qui
fussent descouvertes, ce n'estoit pas sa faute ny de son ccnsen-
temeiii, mais pluslost de la dame: comme une que j'ay ouy dire,
de bonne maison, nommée madame Flamin, d'Escosse, laquelle,
ayant été enceinle du fait du Roy, elle n'en faisoil point la petite
bouche, mais très-hardiment disoit en son escossiment fraiicisés
a J'ay fait lanl j'ay pu, que, Dieu merci, je suis enceinle du Roy,
C'est-à-dire ?
Par mon japper, j'ajr chaise les larrons, et, |>onr me tenir muet, j'ay accuilltj
les ornants: ainsi j'ay p!cu à mon maisue, ainsi j'ai pieu à ma rmiilrcs'c.
Si donc on dcit aimer les animaux pour estre secrets, que doit-
O'.i faire des hommes pour se taire? Et s'il fanl prendre advis pour
te sujet d'une courtisanne qui a esté des plus fameuses du temps
passé, et de grande clergesse en son méfier, qui estoit Lamia,
l'aire le neut ou ; qui disoit de quoy ur-e femme se contentoit le
DISCOURS VII. 887
plus de son amant, c'ostoit quand il esloit discreteo propos et se
cret en ce qu'il fai'í.it ; et surtout qu'elle hayssoit un vanteur qui
se vanloit de ce qu'il ne fciisoil pas et n'accomplissoit ce qu'il pro-
* mettoit. Ce dernier s'euiend en deux choses. De plus, disoit que
la femme, bien qu'elle lis!, ne vonloil jamais eslre appelée pulain
ny pour tille divulguée. Aussi dit-on d'elle que jamais elle ne se
> mucqua d'homme, ny homme oncques se mocqua d'elle ny mes-
dit Telle dame savante en amour en peut bien donner leçons aus
autres.
> Or, c'est assez pnrlé d« ce sujet ; un autre mieux disant que
moy l'eust pu mieux agrandir et embellir, c'est pourquoy je luyen
¡quille les armes et ¡a plume>
TABLE DES MATIÈRES.
i'.l-ПТ.К I) К ГИСЛТОШГ, 1
Аи LF.CTF.UR 3
Avis DE L'AUTEUR 4
DISCOURS PREMIER.
DISCOURS DEUXIÈME.
DISCOURS TROISIÈME.
DISCOURS QUATRIÈME.
Sur les femmes marines, les veufves et les lilies; sçavoir desquelles les
unes snnt plus portées à l'amour que les autres 107
INTRODUCTION iu.
ARTICLE i. — De Гниют des femmes manies 300
ARTICLE H. — De l'amour des lilies 209
ARTICLE in. — De l'amour des veufves 250
W
390 TABLE DES MATIÈRES.
DISCOURS CINQUIÈME.
Sur aucunes dames ucilles qui aiment aulant u l'aire l'amour comme les
jeunes 27l í
DISCOURS SIXIÈME.
I
Sur ce que les heiles cl honnêtes dames nimenl les vaillants hommes, et
les bra'ves hommes aiment les dames courageuses . Î99
i
DISCOURS SEPTIÈME. t