Le grand con - Magnitude 7.0
Par Tony Gallau
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À propos de ce livre électronique
C'est la java des gaspards, des narvalos, des baveux et des suces calottes. L'amour, l'amitié se noient dans le temps des cerises à l'eau-de-vie. On a bien essayé de faire redistribuer les cartes à ce vieux salopard de croupier en slip. Mais ça n'a pas marché. La camarde a marqué le jeu. La morve au nez, elle se marre. Sortez vos mouchoirs. C'est son pote, le passé qui lui a refilé le microbe. Dans cette partie à l'aveugle, les gadjis dansent sur la table, les joueurs ont les mains sales et la vie est en crue.
Tony Gallau, pour son premier roman, nous offre un texte « pas comme les autres », authentique, puissant et émouvant. Une chose est certaine, de la verdeur de son langage bourgeonne le sentiment.
Collection Magnitudes
La collection Magnitudes offre au lecteur une déclinaison d'oeuvres littéraires différentes, identifiées par un chiffre (rappelant l'échelle de Richter des séismes), qui n'a pas pour vocation de classer ni de noter, mais d'informer le lecteur sur le caractère potentiellement choquant du texte, en raison du vocabulaire utilisé, d'un climat de haine, de danger, de passages décrivant des scènes de violence, d'érotisme, ou de propos crus relatifs à la religion, la politique, les moeurs.
4.0 Faible magnitude. Texte tout public.
5.0 Moyenne magnitude. Texte tout public pouvant légèrement secouer certaines sensibilités.
6.0 Assez forte magnitude. Texte tout public comportant des éléments susceptibles de heurter certaines sensibilités.
7.0 Forte magnitude. Texte comportant des éléments pouvant choquer certains lecteurs.
8.0 Très forte magnitude. Texte pouvant fortement choquer ; réservé aux lecteurs avertis.
9.0 Magnitude extrême. Texte fortement déconseillé aux âmes sensibles.
9.5 Magnitude ultime. Texte pouvant très fortement ébranler le lecteur, totalement déconseillé aux personnes sensibles.
Tony Gallau
Tony Gallau est né en 1970 dans les quartiers populaires d'Angers. Il vit une jeunesse vagabonde dans un environnement précaire et rude. Malgré une scolarité parcellaire, il présente le CAPES d'anglais en 1995. Après son service militaire, il occupe divers emplois dans le bâtiment, la sécurité, l'hôtellerie, l'industrie, le commerce de bricolage avant d'enseigner l'anglais à des classes de BTS. En 2003 il rejoint une grande entreprise nationale dont il gravit les échelons pour devenir manager. Dès l'âge de 15 ans, il ressent le besoin d'écrire. Toute sa vie durant il lutte pour ne pas abandonner l'écriture. « Le grand con » est son premier roman.
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Aperçu du livre
Le grand con - Magnitude 7.0 - Tony Gallau
Illustration : Trogne 376, par Alain Garrigue
Tony Gallau est né en 1970 dans les quartiers populaires d’Angers. Il vit une jeunesse vagabonde dans un environnement familial précaire et rude. Malgré une scolarité parcellaire il présente le CAPES d’anglais en 1995. Après son service militaire, il occupe divers emplois dans le bâtiment, la sécurité, l’hôtellerie, l’industrie, le commerce de bricolage avant d’enseigner l’anglais en BTS pendant trois ans. En 2003 il rejoint une grande entreprise nationale dont il gravit les échelons jusqu’à devenir directeur de site. Dès l’âge de 15 ans il ressent le besoin d’écrire. Toute sa vie durant il lutte pour ne pas abandonner l’écriture. « Le grand con » est son premier roman.
À Aurore. Ma belle brune aux yeux noirs.
À Lisa et à Nino.
Vous êtes tout ce que j’ai.
À René et Maryvonne Gallau
Jean-François Onillon
Jérôme Nourry
Je n’oublie rien.
Chère lectrice, cher lecteur,
Ceci n’est pas mon histoire. Mais c’était un juste retour des choses que j’utilise ma vie. Que je joue d’elle pour raconter les miens. Dire comme ils vivent, comme ils meurent, comme je les aime.
Sommaire
PARTIE I : L’ANGE BLOND
PARTIE II : LA CHARGE DU TROUPEAU
PARTIE III : LE CENTRE DE LA TERRE
PARTIE I
L’ANGE BLOND
La pluie battait le carreau ce jour-là. À peine m’avait-il ouvert la porte que j’avais traversé la pénombre du vestibule pour rejoindre la fenêtre du salon, devant laquelle mon ombre trouait la grisaille.
— Paré ? lui avais-je lancé quand je filais devant lui.
Je sentais sa présence dans mon dos, alors que je m’évertuais à déchiffrer les contorsions du ruissellement qui défigurait les vitres.
De longues secondes agonisèrent encore, avant que le son mat et sec de l’impact des gouttes d’eau frappant le verre ne s’impose à moi. Le ciel s’éventrait au-dessus de nos têtes. Son pouls faible et irrégulier martelait le silence gris de la pièce. Si leur intensité variait d’un impact à l’autre, le son de chaque goutte éclatée contre le verre était le même, celui d’un écrasement lourd, sec et résigné.
Les bourrasques de vent chassaient parfois la pluie des vitres, étouffant alors le désordre des explosions d’eau et de vide. C’est dans une de ces brèches de silence que je les ai perçus, les sanglots. Une femme pleurait dans la pièce voisine. Sa femme. Hélène. Il s’agissait donc de cela. Tout devenait clair ; la pénombre de la pièce, le mutisme de l’appartement, mon ami en perdition dans mon dos. Je me suis alors souvenu de cette conversation récente que j’avais prématurément reléguée au passé. Sa torture, ce soir-là, qu’il essayait de faire tenir dans des mots, à propos de son infertilité. Son sentiment d’être moins qu’un homme et sa culpabilité d’imposer le pire des châtiments à celle qui lui avait tout donné durant ces années. Comme il la condamnait à n’être jamais mère. Oui, je revoyais nettement, à présent, sa gueule de désastre, à l’aplomb de sa bière, au fond du bar, les torsions empruntées de sa figure, quand en vain il luttait contre ses larmes. Ses velléités de fuite pour qu’elle puisse être heureuse, être mère, parce qu’elle est faite pour ça. Il faut voir comme elle se comporte avec les gosses… avait-il réussi à articuler avant de laisser un autre sanglot lui déchirer la face. J’suis le poison qu’elle boit un peu plus chaque jour, qu’il marmonnait quand son regard s’abimait sur le formica. Oui, tout était limpide maintenant et d’une tristesse ordinaire, infinie. Le couple était au bord du précipice, et l’amour qui, de ne pouvoir éclore, mourrait dans l'œuf.
Je me suis retourné. Je ne parvenais pas à le regarder en face. Il me glissait par en dessous le portrait-robot de toute son affliction. Il demeurait empêtré là, à la périphérie de mon inconsistance, en rade entre les quatre murs d’un ordinaire désolé.
Il attendait que je prenne la parole, que je prononce les formules, le bouquet des syllabes opportunes, saupoudrées comme des éclaircies. Il n’aspirait plus qu’à cela et son attente mortifiait chaque seconde. Tourner sa langue, calculer la portée des mots, il fallait que j’oublie. Pas le temps de se tailler une posture. Je paniquais. Je ne voyais pas. Et plus je tardais, plus cette urgence m’écrasait tout entier. Jamais je n’avais su réagir au pied levé, être juste moi, sans préméditation. Le type bien dans sa peau, ce n'était pas pour moi. Je m’en souviendrais, je crois, si j’avais un jour été bien dans mes pompes. J’aurais eu l’info à un moment ou à un autre. Impropre à l’instant présent, depuis toujours. J’avais grandi ainsi, à échafauder sans cesse les moments à venir dès lors qu’ils revêtaient le moindre enjeu ou interaction avec les autres. Pour ne pas trahir la vacuité éprouvée, je sélectionnais par anticipation mes contenances, mes attitudes, la manière de dessiner chaque geste, l’intensité de mes regards, je soupesais chaque mot, dès lors qu’une rencontre, quelle qu’elle soit, se profilait. Les autres ne constituaient qu’une menace infinie et grouillante. Depuis tout gosse, j’observais la fourmilière, en marge.
Depuis cette procession de caddies remplis de bouteilles de pinards vides que nous poussions à l’intérieur des supermarchés : les bouteilles à étoiles. Lorsque nous n’avions plus rien à bouffer, dès la fin de la première quinzaine de chaque mois, nous squattions devant la fente métallique, tout au fond du magasin. Nous y glissions, un à un, les dizaines de cadavres consignés de notre alcoolisme familial sur le minuscule tapis roulant qui défilait derrière le rail de sécurité. Au bout de trois quarts d’heure, la machine nous rendait un ticket chétif avec lequel nous pouvions payer pour 30 à 50 francs d’achats ; beaucoup de nouilles, quelques conserves premiers prix, un peu de pain industriel. Nous libérions alors l’appareil, sous une averse d’œillades ulcérées et de souffles chargés de colère, encerclés des piétinements furibards de quelques paires d’espadrilles disloquées. Un petit rassemblement de colites vieillissantes qui avait poireauté, consignes en mains.
Nous étions cette tribu, sans meubles ni valises, qui levait le camp tous les deux ou trois mois. Tantôt virée par le proprio qui n’espérait déjà plus son premier loyer, tantôt délogée par un huissier un peu plus zélé. Nous voyagions léger. Toujours en mouvement. J’ai grandi sur le départ et vécu sur le pouce. Une enfance à la sauvette. Je n’ai jamais fait partie d’aucun groupe de gosses, d’aucune équipe sportive, d’aucun quartier ou école, ni d’aucune classe. Pas d’amis, pas de voisins, pas de relations. Toujours en dehors de ce qui emplissait leurs jours, simple spectateur de la vie telle qu’elle est censée se dérouler. Jamais en marche, mais toujours en mouvement. La vie comme une esquive. Toujours le nouveau, celui qui débarque sans qu’on n’ait rien demandé, dont on n’a pas besoin. J’ai passé ma vie à me faire accepter, à forcer l’intérêt, à prouver que je valais le coup à des morveux que le groupe rendait cons et l’enfance cruels. J’ai passé ma jeunesse tapi dans cette urgence de comprendre vite comment fonctionnaient ces meutes, quels étaient leurs codes, qui en étaient les caïds et leurs souffre-douleur. Selon la donne, je charmais les premiers ou ralliais les seconds. Condamné à emporter l’adhésion sur une phrase, un silence, une attitude. Un infiltré, toujours sur le fil. J’ai ainsi enchainé les apparitions où je jouais ma peau, du moins le pensais-je. Ma jeunesse se résuma vite à une collection de petites gloires et de profondes humiliations.
Effort réitéré chaque jour, chaque semaine, toutes ces années. Des années condamnées à ne mener que des incursions dans la fourmilière, puis regagner notre quotidien de prolos : à observer ces quartiers infestés de silhouettes inconnues, à scruter ces collèges grouillant d’élèves masqués, des années de représentation lycéenne, universitaire, militaire puis professionnelle. J’étais lancé. J’ai passé les 35 premières années de ma vie à préparer, cultiver la première impression, à mesurer chez l’autre l’effet de mes agissements. J’agitais, dans le présent, mes frêles pantomimes composées dans l’ombre. J’inhumais chaque jour davantage ma nature profonde. Je mesurais ma qualité d’homme aux succès ou aux échecs empilés durant tout ce temps. Je n’ai jamais songé qu’on pouvait m’accepter pour ce que j’étais, juste moi, aussi mal foutu que je sois. Comment aurais-je pu ? J’avais vite ravalé ma naissance pour ne pas être mis au ban de ceux à qui on me livrait sans cesse.
C’est devenu ma nature, primesautière et systématique. Mon irruption première et mon cachot. Dès lors qu’un moment critique, une interaction imprévue ne me permettait pas de réutiliser une contenance déjà éprouvée, je m’avérais inopportun. Je perdais mes aplombs, mes réactions s’enrayaient, je calais au beau milieu de mes phrases, je m’éboulais de l’intérieur. J’aspergeais mon vis-à-vis d’inepties intempestives. Incapable d’être juste moi. Je n’habitais plus mon corps. Je n’étais qu’un peu de vent.
Les seules fois où j’avais laissé le présent me submerger, où j’avais lâché totalement prise, j’avais senti vibrer mon être tout entier dans ma carcasse et la haine, le gout du sang m’avaient soulevé de terre. Le poing tétanisé sur un couteau, j’avais bondi sur un tyran, pour le crever. À la gorge. Il s’appelait Roger. Il vivait à la colle avec ma mère depuis des années. J’avais 15 ans. À cet instant précis, j’avais été moi, tout entier, naturel : un prédateur.
Voilà ce qui me retombait dessus dans leur salle à manger. Je n’avais pas les mots. Juste mon enveloppe vide qui s’abimait sur les cicatrices de mon copain. Il attendait toujours, l’œil rivé sur son pote qui faisait pschitt sous ses yeux. Que pouvais-je bien dire dans ce genre de situation ? Sans avoir l’air incommodé ? N’importe quel crétin aurait proféré quelques mots, même maladroits, même débiles. Un véritable ami se serait jeté à pieds joints dans une tentative de réconfort, ne serait-ce qu’un geste, une main sur l’épaule. C’était la définition même de l’amitié. À force de chercher les mots justes, j’épaississais le silence, j’actais l’incurabilité de leur condition. Chaque seconde leur fourrait un peu plus la tête sous l’eau et me mettait davantage sous pression. Il me fallait absolument prononcer les paroles, mais lesquelles ? Bon Dieu ! Je n’en savais foutre rien.
Je perdais pied et je me voyais couler à pic ! Je sentis la sueur perler sur mon crâne, ma chemise poissait contre mon dos. Je me trouvais tellement insignifiant. J’estimais qu’une fois de plus, la vie se jouait de mon incapacité à réagir. C’était moi son objectif, au fond, à l’existence ! La véritable cible du complot. Le désespoir des proches ? Un accessoire, rien de plus. La vie faisait tout pour me foutre en l’air, depuis mes langes. Je ne sais pas moi, dans la couveuse, à un moment, j’avais dû brailler plus fort que les autres. J’avais gobé son attention à la vie. Depuis, la grande gigue me dessinait des plaies. Elle me trainait par le talon à travers son aire de jeux. J’étais en quelque sorte sa poupée Barbie, à la grande dégingandée. Ça devait bien la faire marrer de me travestir la tronche.
Alors, j’ai cessé de réfléchir et j’ai sauté dans le vide :
– Qu’est-ce que tu veux faire ? Tu veux qu’on se voie plus tard ?
Et bien sûr, je l’ai regretté sur-le-champ. C’était parti tout seul, comme un coup de fusil dans le dos. Merde ! Et re-merde !
J’ai re-déraillé aussi sec ! Comme on respire. Je gémissais sur mon propre sort comme on se pisse dessus. Je n’étais donc capable que de cela Bon Dieu ? Repasser plus tard ? N’avais-je pas assez répondu à l’amour des proches par l’absence ? Des liens du sang, de l’amour et de l’amitié, j’avais tranquillement forgé de la distance et du vide. Je les avais tous satellisés. De mon père naturel, en passant par ma sœur, mon amour aux cheveux bruns, ma première femme, la seconde, mes deux enfants, les amis de la première heure et combien d’autres encore ? Tous mis sur orbite ! À des années-lumière de ma petite personne. De silences obstinés en défections réitérées, j’avais disséminé, avec méthode, le cercle des êtres qui m’avaient été chers. Je les avais découragés de m’aimer, d’essayer même de m’aimer. Par fainéantise. Parce qu’une relation, cela s’entretient dans le temps, c’est plein de petits efforts, qui ne rapportent pas grand-chose au fond. Trop de petits sacrifices à répéter, que je n’avais jamais eu la force de produire. Seule ma gueule m’importait au fond. C’est tout. Ma curiosité, mon intérêt pour autrui, recelait un défaut de fabrication, son ressort était cassé. À croire que j’étais né avec ce vice caché, cette inaptitude pour le genre humain dont les subtilités, depuis le berceau, me ruisselaient dessus et couraient aux eaux usées. D'ailleurs, je ne regrettais personne. Pas un, pas une qui ne me manquât. Sauf mon fils et ma fille. Leur absence me perforait un peu plus large chaque jour. Il faut bien le dire. Elle me grignotait instant après instant. Cela n’avait cessé de s’intensifier avec les années. Un abime niché au creux de ma carcasse. Ils constituaient l’exception qui confirme la règle. Pas une seconde je ne parvenais à détourner mon attention de cette béance qui se creusait en moi. J’avais beau m’efforcer de ne pas trop y songer, je morflais ma ration quotidienne. Quelques années plus tôt, j’étais descendu dans le sud de la France. J’avais fait le trajet, pour les voir. Je connaissais leur quartier. Je m’étais planqué derrière un buisson en face du collège. Je les ai reconnus tout de suite. Ce qu’ils étaient beaux ! Ils embrassèrent leur mère. Ils parlèrent et rirent bruyamment, puis disparurent dans un 4X4 Mercedes. Cela n’a duré que quelques secondes. Je suis resté longtemps à chialer, comme un clodo en plein cagnard, dans un buisson qui empestait la pisse de chien réchauffée.
Ils avaient l’air heureux, loin de moi, là-bas au soleil avec leur mère. Ma première femme que j’avais brisée après dix-sept ans de vie commune. Ils avaient quinze et seize ans et avaient compris l’essentiel. Ils ne voulaient plus entendre parler de leur père. Ils connaissaient ce qu’il y avait à savoir sur mon compte, quel égoïste, quel lâche et quel fainéant j’étais. À quinze ans, on comprend certaines choses. Il n’y avait rien à rajouter à cela. Je vivais comme je finirais : seul.
La voix de Franck m’extirpa de ma séance d'autoflagellation :
— Si ça ne t’ennuie pas, j’préfèrerais qu’on aille se prendre un verre, j’ai besoin de changer d’air.
J’ai posé les yeux sur lui, un sentiment de soulagement fleurissait sur mon visage. Il a saisi son blouson au vol et nous avons franchi la porte, laissant derrière nous, les sanglots, le vide et les impacts de gouttes sur les carreaux.
Quand Franck commença à se détendre un peu, nous étions dans ce pub depuis environ deux heures, six Grims pressions et trois allers-retours aux pissotières. Je trimbalais mes désillusions sur le décor intimiste, composé de pierres apparentes, de vieux chênes et de cuivres. Avec ses éclairages rustiques qui perçaient par endroits la pénombre, ce cadre m’évoquait la cabine éclairée d’un navire qui s’enfonce dans la nuit. Des petits groupes d’hommes allaient et venaient, quelques couples, plus rares, bavardaient autour de petites tables dans des renfoncements en pierres. Un peu plus tard débarqueraient de jeunes fils à papa aux looks savamment négligés.
De longs silences désarticulaient notre conversation. De ces silences amples, gorgés de ressentis diffus et improbables qui peineraient à se propager par les mots trop étriqués. Des œillades complices, des regards tenus, des yeux qui se sourient, toute une fraternité oculaire. Puis, peu à peu, nos atermoiements se sont séparés. Chaque mutisme filait la procession hagarde et hasardeuse de ses propres idées que l’alcool égarait. J’observais les groupes autour de nous. Tous picolaient de la bière, un peu ou beaucoup. Je constatais alors que nous étions samedi soir. Cette soirée de la semaine dans laquelle on glisse doucement en lâchant ses repères comme par inadvertance. Soirée d’oubli léger que cet oubli hebdomadaire, épidermique, du samedi soir. On pense être délesté de la contrainte du rythme, de la longue enfilade des rendez-vous, des engueulades, de la pression du boulot, du coup de balai à passer, des gosses à déposer et du pain à prendre, des partiels à préparer… Ces passages obligés d’actes avilissants qu’on reproduit comme des dingues depuis la nuit des temps, sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour faire comme ceux qui nous ont précédés. Le samedi soir, ce fragment de temps ralenti durant lequel on tente de se souvenir qui on est, en fait, et ce qu’on fout là. On se regroupe avec ses semblables. On joue à être soi, en mieux. On parle musique, théâtre, on essaie d’avoir un avis, de formuler quelque chose qui ait un sens. On s’essaie à l’humour. On s’apprête, on met du parfum, des bijoux, on prend la berline pour se déplacer. On affiche tous ces biens qui justifieraient cette fiente dans laquelle on patauge le reste du temps et qu’on nomme, sans dégout, le quotidien. On tente de se montrer un peu mieux qu’on ne l’est dans la vie de tous les jours. Le samedi soir est une tentative impuissante de voir autre chose que le trou qu’on se creuse instant après instant. On parvient tout juste à lever la tête hors de la fosse, pour s’assurer que les autres creusent aussi, au beau milieu d’une nuit dégueulasse.
J’exhalais du fond du bar un lyrisme de foie malade. Je me répandais en poésie d’allocataire du RSA. Le mur effronté des toilettes me toisait, chaloupait ses urinoirs pour que j’en mette partout. À un moment, j’ai songé à l’insulter. Je n’étais pas encore assez bourré pour provoquer un mur de fausses briques en duel, même s’il s’arrangeait pour que j’aie l’impression de faire pipi debout dans une barque.
Durant ces deux heures, la voix de Franck avait lentement tissé, de lui à moi, un murmure de mots fatigués, tout le canevas élimé de son malheur. Pris dans le récit miteux qu’il déroulait, défilèrent quelques quintes de toux, de lourds silences, une panoplie hétéroclite de cris désespérés du genre :
— Quand j’pense à tous ces cas sociaux qui nous chient des moutards par wagons entiers !
Il émit quelques gémissements de nouveau-nés, et ce que j’appellerais… un jappement. Du fond du bar, il avait apostrophé les dieux, menacé tout ce qui enfante dans cette galaxie, maudit ses ancêtres sur d’innombrables générations. Je crois qu’il avait fini par vider son sac qui s’avérait détrempé de larmes. Je ne pensais pas qu’un mec comme lui pouvait pleurer autant. Surtout lui… En trente ans, je ne l’avais vu pleurer qu’une seule fois, lors de l’enterrement de Fafi, notre pote, torturé minutieusement par un cancer puis arraché à la vie à l’âge de trente-six ans. Elle me devait ça aussi, la vie : Fafi. Mon grand gaillard, ce sportif à la peau mate avec un sourire comme un soleil. Je crois fermement qu’après la mort il n’y a rien qu’une putréfaction véreuse, et c’est bien ainsi, car je ne vois pas ce qui pourrait subsister là-haut, à part une autre forme de bordel. Mais si jamais je me trompais, lorsque je serai là-haut, il faudra bien que quelqu’un paie pour Fafi. Je péterais bien les dents d’un ange ou deux à mon arrivée. Quant à l'autre vieux dadais, je le finirais bien à coups de pelle ou à mains nues.
À aucun moment Franck n’avait abordé l’espèce de dépression dans laquelle, de toute évidence, il s’enlisait irrémédiablement. Son patron venait de le licencier parce qu’il avait tabassé un de ses chefs ; un gros rigolard dans le cerveau duquel ne trônaient qu’un peu d’eau croupie et une bite grasse et fripée. Ce gros porc lui avait soumis l’idée de changer de femme, pour régler son problème et avoir des enfants. Et puis parce que ça fait du bien de changer de pot pour tremper son biscuit, lui avait-il lancé mot pour mot. T’as qu’à m’l’amener, j’vais m’en occuper moi de ta femme, qu’il avait vociféré à la cantonade sous les rires gras des ouvriers entassés dans la cabane de chantier. Sans prendre la peine de lui expliquer que le problème venait de lui, Franck lui avait pété le nez et déboité la mâchoire. Avec la tête que je lui ai confectionnée, il est pas près de changer de pot, me lâcha-t-il satisfait. La procédure en justice suivait son cours.
Mon pote m’apprit en filigrane qu’il avait aussi perdu l’appétit. Il ne mangeait plus qu’un repas sur trois, il ne sortait plus, restait chez lui à ressasser sa douleur. Plus de gouts pour rien. Quand ils sortaient, ils évitaient les amis qui avaient des enfants. Il ne supportait plus le spectacle d’une famille, qu’elle soit heureuse ou dévastée. Il avait même pensé consulter un psy, mais n’avait pu s’y résoudre, « j’suis pas taré ! » me dit-il.
Nous avions évolué différemment lui et moi. Même point de départ, même cité de gueules à jus, castagneuses, mais deux trajectoires parallèles.
Il était devenu un homme grand, costaud et travailleur. J’avais toujours admiré sa force et sa capacité à corriger le premier venu, qu’il le mérite ou pas. La possibilité de recourir à la force physique vous assurait d’avoir le dernier mot en toutes occasions. Confort inestimable dans la vie d’un homme. Surtout pour un type comme moi, incapable de se faire respecter. Franck était sportif, bricoleur et savait ce qu’il voulait. Il n’était pas du genre à se poser trente-six mille questions. Une vraie usine à complexes quoi ! Mais ce bloc de certitudes se fracassait parfois sur des situations lui semblant inextricables, car échappant à sa conception manichéenne des choses, parce que ces situations ne coïncidaient pas avec les vérités étroites qu’il s’était forgées. À ses yeux, être stérile faisait de lui un sous-homme, une vulgaire contrefaçon. Il vivait cette situation comme un échec personnel, une punition injuste ; plus qu’un problème complexe pouvant avoir une multitude de causes.
Moi, je me posais des questions. Pour tout. Pour rien. Tout