Le diable moderne a deux visages
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Maevys C. Mathelo est connue pour son originalité depuis toujours. Elle a surmonté des difficultés sociales durant son enfance et a choisi de s'exprimer par l'écriture dès l'âge du collège. Elle a exploré divers genres littéraires, y compris la poésie, les récits, et même les comédies musicales. Aujourd'hui, elle poursuit sa passion pour l'écriture et tire son inspiration de nombreux événements de son adolescence.
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Aperçu du livre
Le diable moderne a deux visages - Maevys C. Mathelo
Chapitre 1
Une fille comme les autres
J’avais toujours fait ce rêve étrange. Ce mythe dans lequel la jolie princesse retrouvait son prince charmant et où un amour insoupçonnable et éternel naissait. Où, le beau prince, vêtu d’une tenue somptueuse faite de soie et d’or, me prenait dans ses bras. Il m’étreignait si fort et me déposait un doux baiser sur les lèvres. Puis, il se rapprochait lentement de mon oreille et me susurrait les mots magiques qui peuvent arrêter le cœur durant une fraction de seconde.
Ces mots qui nous rendaient à la fois si importantes et si spéciales : « Je t’aime ». Ce rêve dont toutes les petites filles avaient un jour fantasmé.
Mais malheureusement, je finissais toujours par me réveiller.
***
Soudain, le silence installé par ma rêverie se brisa : « Lauren, à table ! ». Le cri semblait venir de l’étage du dessus.
En entendant ma grand-mère m’appeler à déjeuner, je tentai tant bien que mal de sortir de ma bulle afin de jeter un coup d’œil à la pendule qui ornait le mur rouge de ma chambre. Mes yeux n’étant pas encore totalement connectés à mon esprit, il me fallut un peu de temps pour comprendre qu’il était déjà midi et demi. Mes cours reprenant à quatorze heures, il allait falloir que je fasse vite.
D’aussi loin que je me souvienne, j’avais toujours plus ou moins vécu qu’avec mes grands-parents. Mes parents ayant divorcé quand j’étais très jeune, et ma mère étant régulièrement en voyages d’affaires, ou à convoler après les hommes – je n’avais jamais trop pu définir ce qui la motivait le plus entre son travail ou ses conquêtes, elle avait confié à ses parents de prendre soin de moi du mieux qu’ils le pouvaient. Leurs faibles revenus ne constituaient en rien un obstacle à cette éducation forcée. Je surpris même plusieurs fois ma grand-mère se vanter de cet arrangement, et de savoir que la situation lui plaisait, m’avait rassurée et enlevée tous remords.
Quant à mon père, il était presque aussi insaisissable qu’un fantôme. Nous n’étions pas en mauvais termes, mais notre relation se limitait à des échanges courtois lors des anniversaires et des réunions de famille. Il avait toujours privilégié ses matchs de football à sa propre fille, creusant ainsi un fossé évident entre nous. Pour ma part, je ne supportais pas les comportements toxiques ou addictifs, quels qu’ils soient. L’alcool, la cigarette, et tout le reste me rebutaient profondément. Donc, lorsque mon père avait sombré dans l’alcoolisme après le départ de ma mère, j’avais fait plusieurs tentatives pour l’aider. Malheureusement, j’avais essuyé ses refus et ses fausses promesses, ce qui m’avait poussé à prendre la décision de ne plus m’impliquer. Après tout, il était adulte et devait assumer ses choix. Peut-être finirais-je par regretter cette décision à l’avenir, je n’en savais trop rien. Ce dont j’étais sûre, en revanche, c’était qu’une infime part de moi lui en voulait de tout ceci.
Mes grands-parents étaient donc pour moi mes parents de substitution. Mais, je n’avais pas à me plaindre, ils étaient plutôt cool. Et même s’ils avaient des caractères diamétralement opposés, leur histoire d’amour avait toujours été un rêve à accomplir un jour dans ma vie.
Cependant, trouver son âme sœur, relevait du miracle. Bon, à quasiment seize ans et avec une aversion pour l’être humain, ça n’aidait vraiment pas.
— Lauren, tu vas être en retard, bon sang ! s’époumonait ma grand-mère.
— J’arrive ! me précipitais-je à lui répondre.
En montant à l’étage pour rejoindre le salon de la petite maison, l’odeur du poulet à la crème de ma chère mamie embaumait la pièce. C’était l’un de mes plats préférés. Ma grand-mère était un cordon bleu, j’avais toujours pensé que ça venait de nos gènes espagnols. « On séduit toujours un homme par son estomac, ma chérie », me rappelait-elle constamment tout en préparant ses fameux plats. Il était possiblement évident qu’elle ait perfectionné ses techniques au fil des années. Mon papy, fidèle à lui-même, était déjà installé à la table et attendait que le service du repas commence.
Je me sentais tellement bien dans cette maison, elle n’était, certes, pas très grande, mais extrêmement conviviale.
La demeure était répartie sur deux étages, dont le sous-sol contenait le garage et ma chambre.
La partie salon était équipée d’une cheminée en pierre, qui était utilisée pendant les mois d’hiver pour créer une ambiance chaleureuse et accueillante. Il y avait des chaises confortables disposées autour de la cheminée, pour profiter de la chaleur et de l’ambiance.
Quant à la partie salle à manger, une grande table en bois massif prenait sa place en son centre. Les murs étaient ornés de photos de famille et de souvenirs, certaines d’entre elles étaient même en noir et blanc et racontaient l’histoire de la famille depuis des générations. On y retrouvait aussi des étagères remplies de livres, de bibelots et de souvenirs de voyages.
Le mobilier de la maison, en général, était assez traditionnel, avec des canapés et des fauteuils en cuir, recouverts de housses en dentelle. Un grand tapis était présent sur le sol, peut-être en laine ou en coton tissé à la main, je n’avais jamais trop su, mais qui greffait une touche de chaleur et de confort à la pièce. Il était usé et mâchouillé par endroit, à cause des chiots que nous avions eus quand j’étais plus jeune. Il y avait aussi des rideaux en broderie anglaise qui ajoutaient une touche de romantisme à la pièce.
Dans la cuisine rustique, des poutres en bois étaient exposées, des armoires en bois massif, et une petite table où ma mamie déposait généralement les plats, accompagnés, chaque matin, de son traditionnel café au lait. La cuisinière était cependant très moderne, et le reste de l’électroménager également, mais ils étaient entourés de carreaux de céramique peints à la main, qui redonnaient le côté vintage à la pièce.
À l’extérieur de la résidence se trouvait un grand jardin, avec des arbres fruitiers, des légumes, des fleurs et même un potager. Un porche couvert était installé à l’avant de la maison, avec des rocking-chairs où mes grands-parents aimaient se détendre et profiter de la vue sur la campagne environnante.
On ne pouvait que s’y sentir chez soi dans ce foyer. J’y avais vécu tellement de souvenirs et de bons moments en compagnie de ma famille. Pour moi, les liens du sang ça avait toujours été quelque chose de précieux, c’était comme ça que mes grands-parents m’avaient élevée.
Une fois le repas finit d’avaler, mon grand-père me proposa de me déposer au lycée, qui était à moins d’un kilomètre de leur maison. J’acceptai sans trop rechigner, préférant de loin cette option. Non pas que je ne pouvais m’y rendre seule à vélo, ou même à pied c’était parfois ce que je faisais d’ailleurs, mais cette fois-ci j’allais véritablement finir en retard.
Nous montâmes dans l’habitacle de la voiture, et l’odeur de lavande du diffuseur installé sur le parebrise s’infiltra immédiatement dans mes narines. L’auto n’était pas très grande, ni même très récente, mais elle était très bien entretenue. Mes grands-parents avaient l’habitude de passer les week-ends à faire le nettoyage de fond en comble. Titine avait encore de beaux jours devant elle.
J’attachai ma ceinture, d’une couleur qui oscillait entre le noir et le gris, et mon papy démarra l’engin. Le trajet ne fut pas très long, mais je ne pouvais m’empêcher, à chaque fois, d’admirer le paysage campagnard qui défilait sous mes yeux. Même si nous étions pratiquement en hiver, un rayon de soleil éclairait les champs, jadis verdoyants, qui entouraient les habitations environnantes. De nombreux petits ruisseaux serpentaient entre les arbres et se glissaient dans les chemins de terre et longeaient la route. Ce décor champêtre invitait généralement à la promenade et à la découverte. L’avantage d’être dans une région comme la plaine du Forez, était qu’on pouvait voir se dresser, au loin, les montagnes avec leurs sommets couverts de neige et leur silhouette majestueuse.
Hélas, la civilisation, et donc le bâtiment principal du lycée, se dessina lentement dans le paysage, cassant instantanément la beauté du décor champêtre.
Une fois arrivée à bon port, j’embrassai mon grand-père sur son front, comme à notre habitude, et rejoignit l’établissement avec un pas pressé, l’heure ayant déjà bien assez défilé.
Aller en cours n’avait jamais été une très grande passion pour moi. Non pas que j’étais mauvaise élève, au contraire, j’obtenais généralement de bons résultats, mais j’avais du mal à trouver de l’intérêt dans les leçons. Je me fondais plutôt dans l’ombre de la classe, évitant les regards et cherchant à passer inaperçue. Les journées semblaient s’étirer à l’infini, et les matières enseignées, généralement, ne parvenaient pas à captiver mon attention.
Les cours de mathématiques avec monsieur Polochon, notamment, étaient un véritable calvaire. Assise à mon bureau, je luttais pour comprendre les équations et les concepts abstraits. Ses explications laborieuses et son ton monotone rendaient la tâche encore plus difficile. Les chiffres se brouillaient devant mes yeux, et je me sentais complètement déconnectée de ce qu’il tentait d’enseigner. Les mathématiques semblaient appartenir à un autre univers, et il fallait être intrinsèquement accroché pour les comprendre.
Pourtant, ce n’était pas seulement la matière qui me posait problème. J’avais aussi du mal à m’intégrer socialement avec mes camarades de classe. Ce n’était pas que j’étais particulièrement introvertie, bien que je préférasse souvent la solitude à la compagnie des autres. C’était plutôt le sentiment que nous étions issus de mondes différents. Les filles de mon âge semblaient souvent méprisantes et cruelles entre elles, cherchant à se rabaisser mutuellement pour se sentir supérieures. J’en avais malheureusement fait les frais de leur cruauté par le passé. La joie des années collèges.
Et les garçons, et bien, une grande partie d’entre eux n’étaient soit clairement pas finis, comprendre matures, soit ils ne pensaient qu’avec ce qui leur servait de réservoir. Je n’avais ni le temps ni l’envie de gérer ce genre d’énergumènes.
Heureusement, l’exception ne faisait pas la règle, et je savais qu’il y avait aussi des individus réfléchis et sensés qui savaient tenir une conversation. C’étaient d’ailleurs ces humains-là que je préférais, et de loin. Les personnes qui avaient un univers bien à eux, et qui réfléchissaient et s’ouvraient au monde étaient, je trouvais, ce qu’il y avait de plus beau sur cette planète. Mais, dans le coin, c’était une denrée plutôt rare.
Le lycée était donc pour moi, à la fois mon exutoire et mon fardeau. J’étais en première scientifique. Mon but était de faire une école d’ingénierie en biochimie en sortant du baccalauréat. Une passion qui s’était développée chez moi dès mon plus jeune âge, où, collée devant des shows comme « Il était une fois… » j’avais commencé à avoir un attrait pour la vie, et son fonctionnement en général. Par la suite, j’avais voulu la comprendre à un niveau moléculaire. L’origine même de la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Malheureusement, les écoles d’ingénieur ne courraient pas les rues dans mon secteur, au fin fond de la Loire. Il faudra donc forcément que je déménage vers Lyon, ou vers Bordeaux, où ma mère avait posé ses valises avec son nouveau copain du moment.
Mais d’ici là, j’avais le temps de voir venir.
En rentrant des cours après une journée plutôt assommante, je sautais immédiatement dans ma chambre. J’avais l’avantage que ma fenêtre donne directement sur le jardin. Je pouvais donc aisément m’en servir de passage rapide.
Les heures défilèrent à coup de flânages sur les chats¹ et de commentaires sur les divers blogs que je découvris au fil de mes recherches. J’adorais chatter en ligne, même si c’était pour échanger des banalités, j’aimais cette inhibition que j’avais derrière mon écran et que je n’osais pas franchir en face à face. Même si les conversations avec les personnes de mon âge étaient assez brèves et nous en avions vite fait le tour. Malgré ça, au fil des années, je m’étais fait quelques amis en ligne avec qui j’adorais échanger. Avec certains d’entre eux, nous parlions de nos jeux vidéo préférés et nous débattions sur les prochaines sorties à venir, avec d’autres je servais de psychologue conjugale.
Je pensais notamment à Matthis, qui me racontait sans cesse ses déboires amoureux, où il était partagé entre Rémy, le solitaire sympa ou Jimmy, le beau-gosse distant et sulfureux. Je trouvais ça réellement amusant d’aider mon ami à faire ses choix, et j’attendais chaque jour, avec une grande impatience, le résumé des nouveaux ragots éventuels. Nos échanges journaliers étaient ma soupape de sûreté. J’évacuais la pression que je pouvais accumuler, et c’était une manière ludique de se faire des amis sans la pression sociale que vous avions dans notre vrai quotidien.
La distance qui nous séparait était aussi une façon de se sentir en sécurité. Pas de stress, de savoir quoi dire ou comment agir en face. Même si, j’admis sans difficulté que de rencontrer Matthis serait fort agréable et qu’il n’y aurait probablement pas de blancs en face à face.
L’heure du repas du soir arriva rapidement, et je me dépêchais de l’engloutir, mes hormones adolescentes me faisant penser que, sinon, j’allais inévitablement mourir affamée.
Une fois le ventre bien plein, et la table débarrassée, je me calais un instant dans le canapé pour papoter avec mon papy devant la télévision.
— Alors ma guimauve, me dit-il avec sa voix douce, l’école s’est bien passée aujourd’hui ?
— Ça va, oui. Rien de très passionnant en soit, toujours les éternelles mêmes leçons avec les éternels même insupportables dans ma classe.
— Oh ma guimauve, des problèmes de cœur à l’horizon avec ces « éternels insupportables » ?
Mon grand-père était d’une telle justesse quand il s’agissait de lire en moi que c’en était systématiquement déroutant. Mais, pour le coup, il n’avait pas visé si juste.
— Oula non, répondis-je d’un ton que j’essayais aussi doux que le sien, bien au contraire. Au lycée, c’est la grande « mode » d’être en couple. Mais, pour être honnête, je ne suis pas sûre d’être faite pour ça. Je suis peut-être différente, après tout. Tu penses que c’est normal de ne pas avoir de petit-ami à mon âge, toi ? Après tout, tu n’étais pas bien plus vieux que moi quand tu es sorti avec mamie.
Je profitai de l’intimité de cette conversation pour me blottir contre mon grand-père.
— Ma guimauve, il est tout à fait normal de ne pas avoir de petit ami à ton âge. Chaque personne grandit à son rythme, et il n’y a pas de règle stricte sur le moment où tu devrais commencer à t’intéresser aux garçons. L’important est de prendre ton temps et de te sentir prête quand cela arrivera. Ta grand-mère et moi, c’était une autre époque, tu sais.
— Merci, papy, c’est tellement vrai… Puis, de toute façon, je ne saurai même pas comment m’y prendre. Ce genre de chose me passe vite au-dessus. Comment sait-on si on est amoureux ? Et comment trouver quelqu’un qui nous aime vraiment ?
— Ce sont de très bonnes questions, ma guimauve. Tu es sûre de ne pas y avoir réfléchi avant ? lâcha-t-il, en me toisant par-dessus ses lunettes.
Je fis une moue perplexe, et il reprit.
— L’amour est un sentiment complexe, et il peut prendre différentes formes. Quand on est amoureux, on ressent une connexion spéciale avec une personne, on pense souvent à elle et on se soucie de son bonheur. C’est un sentiment qui grandit avec le temps et qui peut être merveilleux. Pour trouver quelqu’un qui t’aime vraiment, il est important de ne pas te précipiter. Ne cherche pas à te conformer aux attentes des autres, mais plutôt à trouver quelqu’un qui t’accepte telle que tu es, qui te respecte et qui te soutient. L’amour véritable est basé sur la confiance, le respect et la communication.
— Merci papy, et, j’ai encore une question, lui ajoutais-je, plus gênée qu’autre chose.
— Oui, ma guimauve, dis-moi tout.
— Et bien, dans l’hypothèse, et je précise que c’est une hypothèse, si jamais je rencontrais quelqu’un à l’avenir, comment savoir s’il est sérieux et qu’il ne joue pas avec mes sentiments ? Il se pourrait que… possiblement… il n’est pas improbable que… ça soit un frein à beaucoup de choses, cette hypothèse.
— Ahlala ma guimauve, tu me fais tellement penser à ta mère à ton âge. Sauf qu’elle se posait moins de questions. Pour les garçons, ta mère a toujours été du genre « fonceuse ».
— Ça n’a pas spécialement changé, lui répondis-je en riant.
— Oui, c’est un fait avéré ! s’éclaffa-t-il dans sa grande barbe argentée. Mais pour répondre à ta question, et bien, il n’est pas toujours facile de savoir si quelqu’un est sérieux dans ses intentions. Un bon indicateur est la façon dont il te traite. Si un garçon est respectueux, attentionné et montre qu’il se soucie de toi, ce sont de bons signes. Il est également important d’observer si ses actions correspondent à ses paroles. Si ses comportements sont cohérents et s’il fait des efforts pour te connaître vraiment, cela peut indiquer qu’il prend la relation au sérieux. Mais rappelle-toi toujours d’écouter ton intuition. Si tu ressens quelque chose d’inconfortable ou de douteux, il est essentiel de prendre du recul et de te protéger.
— Je t’aime papy, lui dis-je pour le remercier.
— Je t’aime aussi, ma guimauve. Tu sais, ton vieux papy sera toujours là pour toi. L’amour et les relations peuvent être compliqués, mais je suis convaincu que tu trouveras quelqu’un de spécial quand le moment sera venu. N’oublie pas de t’aimer toi-même et de prendre soin de ton bonheur avant tout.
J’adorais tant échanger avec lui. Il était tout comme moi, plutôt introverti avec le monde qui nous entoure, mais il avait tellement à m’apprendre que je pouvais passer des heures à l’écouter me parler de tous les sujets qui le passionnaient.
Quand je regagnais ma chambre, je me précipitais aussitôt vers mon sanctuaire personnel, où m’attendait mon fidèle compagnon : un vieil ordinateur datant du début des années 2000. Malgré son écran légèrement rayé et son clavier usé, j’y étais fortement attaché. Il m’avait été offert par mon grand-père. Il croyait fermement en l’importance de la technologie comme moyen d’ouvrir des horizons et d’élargir les connaissances. Chaque fois que je le contemplais, je me rappelais ses paroles inspirantes et de son soutien inconditionnel.
Une fois celui-ci allumé, après un temps plus ou moins à rallonge, je me précipitai sur la petite icône qui représentait mon meilleur ami virtuel.
Moi : Hello Mat’ je ne te dérange pas ?
Matthisdu59 : Jamais, voyons !
Moi : J’ai parlé avec mon grand-père ce soir, et je me suis posé un millier de questions. Toi qui es un grand romantique, mais aussi une des personnes les plus larguées que je connaisse, LOL², pourquoi tu persistes autant en croire à l’amour ? Après tous ces garçons qui t’ont brisé le cœur…
Matthisdu59 : Je te remercie déjà pour ce coup bien placé ! LOL. Mais sérieusement Lauren, il est si bon de se réveiller amoureux, les papillons au ventre. Cette sensation vaut tout l’or du monde. Et quand ça ne fonctionne pas, et bien, tant pis ! C’est un peu comme un bon jeu, parfois tu perds, mais parfois tu gagnes. Et tu peux gagner bien plus que ce à quoi tu t’attendais. Ce n’est pas une science exacte, tu sais.
Moi : Mouais, je vois. De toute façon, je ne cherche rien, alors comme ça, aucun risque !
Matthisdu59 : Oh, ma pote ! Je suis heureux de t’annoncer que ça ne va plus tarder pour toi.
Moi : Tu te la joues devin, maintenant ?
Matthisdu59 : Non, je n’ai pas assez de talent ! Mais ce genre de chose arrive systématiquement quand on ne s’y attend le moins. C’est mathématique : moins tu cherches, plus ça va te tomber dessus. C’est inévitable.
Moi : J’en doute…
Je passai une bonne moitié de la nuit à débattre avec mon ami à ce sujet, le sommeil n’arrivant toujours pas à ma porte. Ses conseils m’étaient précieux, mais cette façon aussi sûre de lui qu’il avait de m’annoncer les choses m’exaspérait.
N’y avait-il donc pas d’autres issues que de trouver l’amour ? Ou minimisais-je simplement les choses, car je n’avais vécu ce sentiment, encore ?
Connaîtrais-je bientôt cette émotion qui envahit son hôte, si rapidement et si brutalement, d’une façon si incandescente, qu’elle brûlerait tout sur son passage ? Ou le feu emportera-t-il tout ce qu’il me reste, à mesure qu’il me consumera ?
Chapitre 2
La rencontre
Le lendemain matin, lorsque je m’éveillai d’un sommeil plutôt court, il me fallut un peu de temps pour émerger tant j’étais encore somnolente. Puis, je réalisai soudain quel jour c’était. Mon esprit se réveilla aussitôt, prêt pour les élucubrations de la journée. Ce n’était pas un jour anodin, c’était un jour spécial pour moi : mon anniversaire, j’avais enfin seize ans.
Je ne savais pas encore si j’étais heureuse ou perturbée de vieillir. Je n’avais jamais apprécié fêter mon anniversaire, me contentant plus de subir les conventions sociales que de les apprécier. Les sourires forcés, les discussions superficielles, les attentes démesurées… Tout cela me paraissait si artificiel et si éloigné de ce que j’étais réellement.
Je me retrouvai donc plongée dans une mer de réflexions, plus libératrices les unes que les autres. Désormais assise, seule dans ma chambre, je me questionnai sur cette infâme tradition. Pourquoi devrais-je consacrer cette journée à recevoir des cadeaux et à organiser une fête alors que je pourrais plutôt la consacrer à moi-même et à mes passions ? J’aimais tant m’immerger dans mes livres préférés, laisser ma plume vagabonder sur mon vieux clavier défoncé, jouer de la guitare jusqu’à ce que mes doigts en soient endoloris, même si aucune note de potable n’en sortait. Ces passions étaient le carburant qui alimentait mon âme, elles me procuraient une satisfaction profonde et authentique.
Malheureusement, c’était mercredi, je devais impérativement me rendre au lycée. Non pas que je n’avais pas envie de sécher les cours, bien au contraire, mais Amanda m’attendait pour que nous puissions réviser notre prochain devoir.
Je chérissais tellement cette fille. C’était ma meilleure amie depuis la primaire et nous avions absolument tout vécu ensemble. En plus de ça, je n’avais jamais su lui dire non.
Bien qu’elle ne mesurait qu’un mètre soixante, elle me dépassait de dix bons centimètres, ce qui faisait qu’elle m’intimidait drôlement. Cela se confirmait surtout quand elle me regardait à travers ses grosses lunettes qui avaient d’ailleurs une monture bien trop large pour son visage. Elle n’était pas une grande fan de maquillage, et, à ma connaissance, avait toujours préféré un look naturel et simple. Ses cheveux étaient plutôt sombres, d’une nuance entre le brun ou le noir, et tombaient en vagues douces autour de sa figure. Elle pouvait les attacher en un chignon ou une queue de cheval, ce qui était pratique pour les maintenir hors de son visage lorsqu’elle était plongée dans ses études.
Ce que j’aimais le plus chez Amanda, c’était qu’elle ne se souciait pas vraiment de la façon dont elle était perçue par les autres et elle dégageait une impression de calme et de réflexion. Elle pouvait sembler un peu réservée ou introvertie, mais ce n’était qu’une carapace, car au fond elle avait l’esprit le plus inénarrable que je connaissais. Donc si Amanda me disait de venir, je m’exécutais sans poser de question. Qu’importe si j’avais choisi de me perdre dans les méandres de ma créativité et de me reconnecter avec mon essence vitale ce jour-là.
Je me levai donc de mon lit d’un bond, enfilai le premier sweatshirt que je trouvais, et me regardai d’un coup d’œil bref dans le miroir. Après une inspection de ma tenue et de ma dégaine bien plus longue que la normale, je me ravisai. C’était mon anniversaire et j’avais désormais seize ans, il fallait que je mette autre chose que mes sempiternels sweatshirts de groupe de métal. Du moins pour aujourd’hui.
Je m’excusai donc auprès de ma pièce préférée, qui représentait la dernière tournée de Gojira, et j’ouvris donc mon armoire afin d’étudier minutieusement toutes les solutions qui se soumettaient à moi. Je finis par jeter mon dévolu sur une petite robe noire cintrée avec un col Claudine. Je l’agrémentai d’un gilet en laine noir, car nous étions tout de même au moins de décembre et que je ne souhaitais pas avoir froid, puis d’une paire de collants classiques et mon éternelle paire de New Rock, qui était la paire de chaussures que je chérissais le plus au monde. Elles avaient beau être défoncées par endroits, je me sentais tellement bien dedans. Et puis, elles complétaient mon look gothique et mal dans sa peau à la perfection.
Je rejetai un coup d’œil bref dans le miroir et décidai de relever ma crinière blonde en une queue de cheval haute. C’était ma coiffure de la flemme, mais j’appréciais la façon dont ça faisait ressortir les traits de mon visage.
Une fois préparée, je montai rapidement engloutir un bol de céréales et un verre de jus de pomme et rejoignis précipitamment mon vélo pour ne pas être en retard une fois de plus.
Faire du vélo en cette période n’était pas ce que je chérissais le plus. À vrai dire, c’était plutôt l’inverse, mais je me motivai tout de même à l’emprunter, mon papy s’étant rendormi sur le canapé, je ne souhaitais pas le réveiller. Puis les embrassades d’anniversaire allaient durer une éternité, et je ne voulais vraiment pas m’éterniser, n’étant pas une grande fan de ce genre d’attention.
Je désirai vraiment qu’aujourd’hui soit une journée comme les autres.
***
— Wahou, s’écria Amanda, les gambettes sont de sorties. Attends-toi à voir de la neige tout à l’heure.
— Bonjour à toi aussi, lui soufflais-je, le ton de ma voix plus froid que prévu.
— Si je ne peux plus te taquiner ma chérie, qui le fera ! s’enthousiasma-t-elle. Surtout aujourd’hui !
Amanda me saisit dans ses bras et me glissa dans l’oreille :
— Joyeux anniversaire ! J’espère que cette journée sera la tienne, autant que tu le mérites. Je t’aime !
Je remerciai vivement Amanda, d’une humeur moins maussade que précédemment, et nous nous dirigeâmes vers notre spot préféré du lycée : le grand banc apposé sur l’immense fenêtre du troisième étage.
La vue d’ici était imprenable et s’étendait sur une importante partie de la ville. La lumière qui émanait de l’extérieur était douce et chaude, ce qui était très agréable pour pouvoir étudier tranquillement.
— Alors, tu as prévu quoi de beau, pour aujourd’hui, me demanda-t-elle, un sourire franc sur son visage.
— Pas grand-chose. À vrai dire, j’ai même songé à sécher les cours ce matin. Je voulais me consacrer cette journée, mais tu avais trop besoin de moi pour les révisions !
Mon ton était assez sarcastique, mais cela ne nous empêcha pas de rire en chœur.
— Avoue que c’est plutôt parce que tu craignais mes représailles, plaisanta-t-elle, d’un air un peu trop sérieux.
— Rien n’est impossible, tu sais…
Une fois nos devoirs terminés, nous nous acheminâmes dans nos cours habituels, traînant des pieds plus qu’Amanda ne le faisait.
Nous entrâmes dans le bâtiment des sciences, et nous dirigeâmes dans la salle de Sciences Physiques. Je m’assieds à ma place prédéfinie, Amanda rejoignit la sienne, et je m’armai de mon cahier, de mon stylo et de mon manuel de physique. La professeure, madame Simon, commença à nous expliquer le thème du jour, qui était la mécanique. Elle nous montra quelques exemples concrets et nous démontra comment calculer la force appliquée sur un objet.
Même si je trouvai cette matière affreusement barbante, il était quand même fascinant de découvrir les différentes forces qui existaient dans la nature et dans notre quotidien. Je rêvassai néanmoins en prenant soin de montrer de l’intérêt à ce qui se déroulait sur le tableau blanc, afin d’anticiper si je me faisais interroger subitement, et je continuai à prendre des notes tout au long du cours. Même si je le fis de mauvais cœur, cela me permettait de mieux appréhender la leçon durant mes prochaines révisions.
Quand la sonnerie retentit pour annoncer l’intercours, Amanda et moi nous dirigeâmes tout droit vers l’extérieur. Notre lycée ne contenait pas de cours propre à lui-même, excepté peut-être le terrain d’athlétisme qui le longeait, mais le devant de l’établissement était aménagé de sorte que nous puissions tout de même prendre l’air. Des bancs usés et biscornus, probablement peints il y a plusieurs décennies, car la peinture n’était plus qu’un lointain souvenir, étaient déposés sous des arbres matures parsemés aux abords de la route déserte. Les citadins n’empruntaient quasiment pas cette route, et elle ne servait presque qu’aux professeurs et aux étudiants de la structure. Même si la majorité des élèves se promenaient dans ce lieu de rassemblement, et que les places se faisaient plutôt chères, nous avions trouvé un petit coin qui nous permettait d’être au calme, loin des agitations ambiantes.
Avec Amanda accolée à mon bras, nous nous dépêchâmes de rejoindre notre place en extérieur quand, nous coupant dans notre élan, le haut-parleur du lycée se mît à faire un bruit de larsen. Une voix réussit toutefois à se faire entendre au travers