Le Courage Des Justes de France
Le Courage Des Justes de France
Le Courage Des Justes de France
Les « Justes des Nations » reçoivent de l’Institut Yad Vashem de Jérusalem un diplôme
d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : «Quiconque
sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Ces justes ont sauvé des juifs pendant la guerre
alors qu’ils n’étaient pas juifs eux-mêmes.
Le titre de Juste devant les Nations représente la plus haute distinction civile de l’Etat
d’Israël.
Au 1er janvier 2009, ce titre avait été décerné à 22765 personnes à travers le monde, dont
2991 en France. Mais le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui
resteront anonymes faute de témoignages.
Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. Tous considèrent n'avoir rien fait
d'autre que leur métier d'homme. Ils doivent servir de phares aux nouvelles générations.
Jean-Pierre Guéno
1
Paroles de l’ombre
(Les Arènes)
Paroles de l’ombre
(Librio)
2
André, Jeanne, Pierre, Louis, Jean et Elisabeth Goupille nommés Justes
devant les Nations en 2000 par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
Arrêté une première fois en janvier 1942 par les douaniers, André Goupille
continue à faire passer des résistants, des prisonniers évadés, des juifs. Après la
suppression de la Zone libre il s’installe au Grand Pressigny . Il organise des
parachutages à partir de mai 1943. Dénoncé par des gens qu’il avait sauvés,
André Goupille est arrêté par la Gestapo en janvier 1944, puis déporté ainsi
que sa femme et ses quatre enfants.
Toute la famille va survivre à l'horreur des camps de Neuengamme, Mathausen,
Ravensbrück, Beendorf, Flossenburg et Flöa.
3
La famille Goupille
4
Lettres de remerciement envoyées à André Goupille pour son rôle de passeur
Monsieur
mon fils et moi venons vous remercier du plus profond de notre cœur de ce que
vous faites pour nous. Heureusement que de vrais Français existent encore.
Mon mari ancien combattant classe 14 est revenu par miracle de l'enfer
d'Amiens le 21 mai de l'année dernière, il fut fait prisonnier à Nantes le mois
suivant. Il est resté dans les camps de Chateaubriand et de Savenay pendant
plusieurs mois et depuis... C'est une grande consolation pour nous que la
séparation soit moins pénible. Monsieur, nous vous renouvelons nos
remerciements et veuillez recevoir l'expression de nos meilleurs sentiments
E Delhay
1 rue de Tessé
Le Mans
Quimper 25 mars 1941
Chère Madame,
Après un voyage assez fatigant qu'une bonne nuit chez moi ici me fait oublier, je
viens vous dire toute ma reconnaissance pour l'accueil si cordial et si
désintéressé que vous m'avez fait. Il me semble que les mots que je trouve pour
vous vous l'exprimer sont insuffisants.
Je ne suis pas allé à Nantes, mon train se dirigeant directement sur Quimper. J'y
suis resté pour éviter de passer la nuit dans la garde de Nantes debout en
attendant le jour. Je l'ai passé dans le train et suis arrivé à Quimper à 7 heures 54
heures normale. J'ai commencé à préparer mon déménagement que je fais
effectuer d'ici directement pour Perpignan, les circonstances m'obligeant à
changer de combinaison. Ma bicyclette est encore ici. J'en suis très heureuse car
elle me permettra de faire les promenades que vous m'avez si gentiment offertes
en compagnie de vos enfants. Coïncidence curieuse, j'ai rencontré au Mans la
belle-fille de votre amie qui se rendait à Angers. Je ne puis vous fixer
exactement la date de mon arrivée, mais je compte sur votre habituelle
obligeance pour m'accepter lorsque j'arriverai. Je vous prie de transmettre mon
meilleur souvenir à Madame votre mère et croire ainsi que M. Goupille à mes
sentiments les meilleurs.
5
Lettre de jeanne Goupille à sa fille Élisabeth 8 juin 1941
Jeanne Goupille
Ma petite chérie
Le sang des Français versés par d'autres Français. Voilà où nous a mené la
confiance en Pétain. Voilà le résultat de l'armistice. Voilà le commencement de
beaucoup d'autre sang et d'autres larmes que les Français vont encore verser.
Car tu penses bien que cela ne fait qu'affermir nos sentiments, comme
augmenter notre haine, et maintenant dans cette haine, dans ce désir de
revanche, il faut englober des Français ; si on peut encore donner ce nom a des
vendus, à des traîtres. Malheureusement le nom de Pétain a ébloui tant de braves
gens, leur a donné confiance, les a aveuglés ! Et voilà la France plus déchirée
que jamais, s'abaissant encore davantage, dressant ses enfants les uns contre les
autres ! Après tous les espoirs du début de l'année, après le renvoi de Laval qui
avait fait croire à tout autre chose, quelle déception ! Enfin ne parlons plus de
cela, c'est trop déchirant et on souffre comme l'an passé à pareille époque.
Gardons notre foi, notre confiance entière ; souffrons, acceptons, prions. Nos
efforts ne seront pas perdus. Et plus nous aurons souffert plus la délivrance sera
belle ! Le moral reste le même parmi ceux qui passent venant de partout ! Au
contraire la volonté de vaincre s'affermit ; le désir de tout sacrifier à notre liberté
grandit. Le jour vient où il va falloir compter avec les Français, les vrais, pas
ceux de Vichy pas ceux de la collaboration. Encore plus se plier est encore plus
grandir. Mille tendresses de ta maman qui t'aime tant tant tant
Jeanne
6
Lettre de la Directrice du Lycée privé de Combrée à Jeanne Goupille
Les trois fils d’André et de Jeanne Goupille sont internes dans une institution
libre à Combrée , pour y poursuivre leurs études de collégiens. Comme leurs
parents, Pierre, Louis et Jean ont l’esprit subversif et ne cachent pas leurs idées
Gaullistes. Débordée par leurs ardeurs patriotiques, le Directrice de
l’Etablissement écrit à leur mère…
Institution libre
Combrée
Maine-et-Loire le 10 décembre 1941
Madame,
Je vous précise ici de nouveau les conditions du retour de vos fils. Gaullistes irréductibles, il
s'était à peu près gardé jusqu'ici d'une manifestation Septime de leur attirer une histoire. Mais
cette fois tous les trois tombent sous le coup d'une sanction dont ils étaient assez souvent et
fortement prévenus. Je vous envoie les deux papiers trouvés en la possession de Pierre et de
Louis : je n'ai pas besoin de vous dire ce que j'en pense. Je vous ai signalé aussi le beau geste
de bravoure de Pierre déchirant une affiche Allemands.
Pour Jean, il faisait partie d'un groupe de quatre élèves de sa classe qui, avec des alphabets
mystérieux, prétendrait correspondre avec " leurs amis" et leur faire passer les indications, des
dénonciations. J'étais intervenu vigoureusement il y a 15 jours auprès de ses gosses, croyant
les ramener à la raison, au moins par la crainte. Or depuis, de former le projet de
s'embarquer... Par la Méditerranée et Jean devait être le " passeur". C'est en soi de la folie
puérile. Mais, ici, ceci et cela, c'est une bravache à l'autorité et c'est pour nous quelque chose
de plus grave : c'est le désaccord de ces pauvres enfants avec ce qui nous tient le plus à coeur :
la cause de la France de la seule France et la cause de l'unité Français autour du chef qui seul
peut la sauver. Qui est contre lui, donc avec ou pour les Anglais où De Gaulle, est contre tout.
Je vous ai dit à quelles conditions il pourrait rentrer chez nous : qu'ils me signent et que soient
contresignés par vous l'engagement dont je joins la formule. Mais cette condition matérielle
remplie, je n'aurai encore guère de confiance et leur retour risque bien de de se faire que pour
peu de temps. Car je ne transigerai plus sur quoi que ce soit.
Le plus simple serait évidemment qu'ils trouvent une maison gaulliste ou moins strictement "
française" : ce serait plus simple et le jeu plus franc. En tout cas, je dois ajouter que tous ces "
égarements" compromettent gravement leur premier devoir et le profit de leurs études. Le
triste rendement de Pierre est aussi significatif qu'inquiétant. Veuillez agréer, Madame, mais
respectueux sentiments
PS : au moment de cacheter ma lettre de j'apprends que Pierre et Louis commentaient hier soir
en s'en moquant ostensiblement, au dortoir, ce que je venais de dire à l'étude et encore une
fois à quoi je tiens de toute mon âme. Je vous aurais parlé autrement ce matin si j'avais su cela
qui passe la mesure et confirme à l'évidence de que, de notre point de vue comme du vôtre, il
convient qu'ils cherchent où ils pourront être Français à leur façon !
7
Lettre de Jeanne Goupille à son mari et à ses fils Suède 1945
Mon bien-aimé,
je veux que ma première lettre soit pour toi et que tu la trouves pour t'accueillir si tu rentres le
premier . Après tant de mois de séparation et de souffrance que te dire sinon que je t'aime
comme il y a 22 ans et plus encore et que mon amour est plus que jamais toute ma vie. Je ne
puis te dire combien j'ai espéré, combien j'ai pleuré, crié après toi de tout mon être mon Minet
Chéri : j'avais si peur de mourir sans te revoir, sans t'embrasser; le bon Dieu ne l'a pas voulu
heureusement. Je savais que tu priais pour moi et cela me donnait de l'espoir. Mais nous
revenons de bien loin Minette et moi. Et quand le 2 mai (anniversaire de ma première
communion !) nous avons eu le bonheur d'être remises à la Croix-Rouge danoise, nous étions
à peu près mourantes toutes deux et nos compagnes ne nous donnaient plus que quelques
jours à vivre. La joie de la liberté retrouvée et les soins si dévoués et si éclairés qui nous ont
été prodigués aussitôt nous ont sauvées et nos forces reviennent de jour en jour. Nous n'avons
plus qu'à espérer le rapatriement le plus tôt possible. Si je rentre, c'est avec tes prières, à ta
fille que tu le devras. La pauvre petite a été d'un dévouement filial qui a atteint le sacrifice ;
et s'est occupée sans cesse de mon sort me trompant pour me faire manger son pain et les
derniers jours, se traînant presque mourante pour aller au loin me chercher de l'eau que je
n'avais plus la force d'aller chercher moi-même. Elle répétait sans cesse : "que dira Papa si je
ne te ramène pas ; et que je serai heureuse si je te sauve de pouvoir me dire que c'est à moi
que tu le dois, toi qu'il aime tant. Je ne te dirai rien de plus de nous sinon que nous avons eu le
bonheur d'une messe et de la communion le 7 mai. Mon amour, nous aussi nous avons tant
prié et souffert pour toi et nos pauvres petits que je ne puis croire que le bon Dieu ne vous ai
pas tous protégés comme nous ! Malgré cela avec quelle angoisse nous attendons de vos
nouvelles. Que ce sera bon de vous retrouver, de "revivre" ensemble. Je n'ose y penser ; il
semble que l'on n'aura pas la force de supporter la joie du retour ! J'ai reçu deux fois des cartes
lettres de toi de septembre et d'octobre : mais je n'ai pu te répondre. Nous n'étions plus à
Ravensbrück mais dans un autre bagne Binsdorf où il était interdit d'écrire. Je te quitte mais
pour te retrouver bientôt j'espère, embrassant mille et mille fois de tout mon amour de toute
ma tendresse de tout mon être qui est tout à toi comme autrefois et pour toujours mon Minet
chéri.
Ton Jeannot
Mes pauvres petits enfants chéris je veux mettre aussi un petit mot pour vous. Vous êtes
rentrés avant nous ! Mais les mots sont bien pauvres devant mon émotion en vous écrivant
après tant de mois de cet horrible silence sur votre sort. Nous avons tant prié tant souffert pour
vous que j'espère que le bon Dieu vous aura gardé à ma tendresse. Mais dans quel état devez
vous être ! Qu'avez-vous souffert ! Je le sais hélas et j'attends de vos nouvelles avec autant de
craintes que d'impatience. Mes petits, mes chéris, avec quelle hâte j'attends la joie de vous
serrer dans mes bras ; de vous faire oublier ces horribles mois. Je vous embrasse mes petits,
de toute l'immense tendresse de mon cœur tout plein de vous, mes chéris, mes chéris
Votre maman
8
Lettre de Thérèse Goupille à son père Suède 1945
Bientôt je vais t'embrasser et te ramener maman. Ah! Mon papa je suis heureuse
toutes nos souffrances seront oubliées dès que ma « petite fille » (c'est ton
Jeannot) et moi nous aurons reçu de tes nouvelles et aussi des garçons, de grand-
mère, de tantes, de Jacquot, de tous et toutes. J'ai hâte de rentrer en France, mon
petit papa : j'espère bientôt. En attendant je t'embrasse de tout mon cœur ainsi
que ceux qui sont autour de toi
PS j'ai grandi...
9
Sébastien, Maria et Jacqueline de Saint Quentin Baleste nommés Justes
devant les Nations en 1995 par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
Avant la guerre, Monique Escudero (née Segal) vivait avec sa mère, sa sœur et
sa grand-mère à Paris. Son père, Aaron Segal, avait été porté disparu en 1940
et sa grand-mère déportée en 1942. Monique a 4 ans en 1942 lorsqu’elle est
placée, pour un mois de vacances, par le Secours National dans une famille
d’accueil dans les Landes, chez Sébastien et Maria Baleste, les parents de
Jacqueline. Au bout d’un mois, Rachel, la mère de Monique demande aux
Baleste de garder sa fille car toute sa famille est recherchée par les Allemands.
Par sécurité, Monique est baptisée et les Baleste la font passer pour leur fille.
Rachel et l’oncle de Monique entrent dans la Résistance, et lui rendent visite de
temps en temps mais, dénoncés par quelqu’un du village, ils cessent leurs visites
pour ne pas faire prendre de risques aux Baleste. Monique va rester dans la
famille Baleste jusqu’en 1950.
J’habite Lüe : Un village de 700 habitants blotti au milieu des pins, un petit
village, un village sans histoire comme tous les villages. J’y suis née et j’y ai
grandi ; je suis là quand la guerre de 38/39 se déclenche. En 1940, lorsque mon
père apprend qu’on demande des familles pouvant accueillir des enfants de
prisonniers de guerre, nous en parlons à la maison et nous décidons d’accueillir
un petit garçon. Je suis folle de joie car je suis fille unique ; j’ai envie d’un petit
garçon car je suis une fille : alors on s’inscrit pour avoir un petit garçon… et
10
c’est ainsi que Monique rentre dans notre vie.
Il se passe en fait quelque chose d’assez extraordinaire : Nous partons mon père
moi-même et une dame d’une autre famille pour aller accueillir le train qui
amène les enfants. Et quand nous arrivons à la gare les enfants sont déjà
descendus du train tous avec leurs petits badges, sur lequel figure leur nom et
leur famille d’accueil. Tous ont trouvé leur famille ; la dame qui nous
accompagne a eu sa fille puisqu’elle avait demandé une fille et nous nous
n’avons personne… Alors on va voir le responsable.
Il nous dit que nous avons été oubliés… Mais depuis l’arrivée du train, je vois
sur le quai une petite fille aux longs cheveux blonds, qui aune robe rouge, en
velours, et qui pleure ; elle donne la main à un grand garçon. Je la vois tout de
suite. Je ne vois qu’elle. Et quand on nous dit que nous n’avons personne, je
demande à qui est cette petite fille qui pleure tant… Alors on me dit ignorer qui
elle peut être : elle a été jetée dans le train peu après le départ. Elle donne la
main à un petit garçon car elle veut s’accrocher à quelqu’un. Je demande alors si
on ne peut pas nous la confier. Cela arrange tout le monde. On ne sait pas son
nom, on ne sait pas d’où elle vient…
Et je pars avec cette petite fille, tellement traumatisée qu’elle n’arrive même pas
à dire son nom. Nous partons avec elle : je suis folle de joie car déjà je sens
quelque chose entre elle et moi ; c’est indéfinissable mais je l’ai choisie. Je suis
si heureuse ! Nous allons manger au restaurant et à un moment papa s’en va.
Comme je lui dis que je veux rejoindre la voiture, elle refuse, en disant qu’il
faut attendre mon père. Ce sont ses premières paroles. Nous attendons que papa
revienne et nous partons ensemble.
Nous arrivons à Lüe. Là c’est terrible : elle est traumatisée. Elle pleure
beaucoup ; elle ne sait plus qui elle est… Quelques jours après nous recevons
une lettre de Monsieur Lacroix nous disant que cette petite fille s’appelle
Monique Segal, qu’elle est juive, et qui nous demande si nous voulons tout de
même la garder : elle a été jetée dans le train par sa grand-mère qui se cache.
C’est ce qui l’a traumatisée.
Nous répondons qu’il n’y a pas de problème, que nous gardons Monique, que
nous l’aimons déjà tous : que ce soit mon père, ma mère, mes grands parents,
nous sommes déjà tous en admiration devant elle.
Quelque chose en moi me dit que Monique ne partira pas au bout d’un mois, car
nous ne sommes censés garder ces enfants que le temps de l’été. Quelques jours
avant la fin théorique de son séjour nous recevons un télégramme de sa maman,
Rachel : « Gardez Monique, lettre suit. »
Et dans la lettre qui arrive peu après, Rachel nous demande de garder Monique,
indiquant que sa grand-mère vient d’être arrêtée, que son frère Daniel n’échappe
aux rafles qu’en se cachant sous un lit et qu’elle-même part en zone libre. Nous
gardons donc Monique, ce qui n’est pas simple, car le village est occupé par des
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soldats allemands et par des SS. Deux SS vivent chez nous, dans notre maison.
Ils ne se doutent de rien. On leur dit que Monique est notre fille. Ils tiennent
parfois des propos très désagréables sur les juifs en sa présence. On a très peur.
Les deux SS sont logés dans une chambre de la maison ; la kommandantur est à
deux pas, et l’on vit vraiment en osmose. De temps en temps Rachel et son frère
Daniel viennent voir Monique et puis un jour, quelqu’un les dénonce. Quelqu’un
qui n’est pas du village. Pour les gens de Lüe, être juif ce n’est pas très
important. C’est une religion, ça s’arrête là. Le village sait que Monique est
juive. Une dame vient nous prévenir : on nous a dénoncés un jour où Rachel est
venue voir sa fille et Daniel aussi ; ils sont venus tous les deux, La maman et
l’oncle. Nous avons passé une nuit assez difficile car Rachel et Daniel ne
pouvait pas partir ; il n’y avait pas de train ; alors on les a cachés. Le lendemain
matin, un allemand vient dans la cour avec un gros chien ; il rentre chez nous
mais ne va pas plus loin… Les allemands respectent mon père à cause de ses
blessures de guerre. Ils éprouvent un certain respect pour lui : on est un peu à
part. Un jour, mon père excédé par un allemand qui nous offre du chocolat le lui
jette au visage… Nous avons très peur en pensant à ce que ce geste peut nous
coûter…
Finalement nous ne somme pas ennuyés . Rachel et Daniel repartent. Et la vie
continue comme cela, jusqu’à la Libération. On a pas vraiment peur. On est en
retrait, mais l’on sait ce que l’on risque. Mon père est courageux. On aime
tellement Monique : c’est une histoire d’amour. Tout est une histoire d’amour
finalement, un enfant qui a besoin de vous, qu’il soit juif, arabe, quelle que soit
son origine, on l’aime, on veut le protéger. On n’a pas vraiment de mérite. On
sait bien qu’on risque un petit peu, mais tout ce qu’on fait c’est par amour, et
pour protéger cette petite fille à laquelle nous nous sommes tellement attaché
aussi bien qu’à sa famille : on aime beaucoup Rachel, la maman de Monique .
Lorsque Monique nous arrive, elle a 3 ans. Un jour on nous dit que Monique a
une sœur qui s’appelle Jacqueline et qu’il faut aussi lui trouver une famille
d’accueil ; on lui trouve une veuve qui l’accueille à 5 Km de Lüe. On essaye de
réunir les enfants le plus souvent possible : les petites filles se voient, ce qui est
très bon pour elles. Néanmoins, très vite, Jacqueline qui a 2 ans quand elle
arrive, ne reconnait plus sa maman. Quand Rachel vient, c’est bouleversant ; les
deux petites sont à la maison pour accueillir leur mère, et Jacqueline lui dit
« bonjour Madame ». Nous pleurons tous… Monique est vraiment ma fille : j’ai
18 ans… Je fais mon apprentissage de mère avec elle…
12
Roger Belbeoch nommé Juste devant les Nations en 1984 par l’Institut Yad
Vashem de Jérusalem.
Roger Belbeoch fait son devoir de Juste à partir de 1941… Il garde une certaine
amertume en pensant qu’à la Libération, il allait de soi que tous les policiers
avaient fait de la résistance ! Et que le Commissaire P . patron de ses
bourreaux et responsable de l’arrestation de plus de 5000 juifs avait tiré son
épingle du jeu… Roger ne se considère pas tant comme un « juste » que comme
un résistant… qui n’a fait que son devoir d’être humain.
14
hiérarchie de la police fit que mon dossier ne fut pas transmis à la police
allemande. Après un séjour à l’hôpital Saint-Antoine, et quelques temps de
repos en Bretagne, je pu retrouver mon travail au commissariat du quartier Bel-
Air…
Roger Belbeoch
Juste devant les Nations
http://www.yadvashem-france.org/document/?mode=detail&doc_id=579
15
Sœur Marguerite Philomène Olivier nommée Juste devant les Nations en
2002 par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
Marguerite a 21 ans en 1941. Elle habite à Versailles chez ses parents. Son
couvent recueille Vera Goldman, une petite fille juive de 7 ans et sa petite sœur
qui est encore un bébé, trop jeune pour séjourner dans un orphelinat de petites
filles, et qui va être hébergée chez Marguerite. Après le débarquement, Véra
reste dans son orphelinat, mais ses parents récupèrent sa petite sœur, croyant
tout danger écarté. La famille Goldman va être raflée en Juin 1944 et déportée
à Auschwitz dans le convoi 76, l’un des tout derniers de la guerre .
Je suis « Sœur Marguerite ». J’ai 19 ans en 1939 et je vis chez mes parents. En
1942, une sœur du couvent du Sacré-Cœur qui est infirmière dans le quartier et
qui connait bien la famille Goldman demande à ma mère, qui garde déjà des
enfants, non juifs, si elle peut garder Vera Goldman et sa petite sœur de 18
mois. Sur le coup on hésite un peu, et puis on se dit « c’est un acte de charité de
les cacher ». Je me dis que même si c’est risqué pour nous il faut sauver ces
enfants.
Vera a neuf ans en 1942… Elle habite Versailles, avenue de Saint-Cloud. Elle
est née à Zurich et n’a jamais parlé qu’Allemand jusqu’à son entrée à l’école
maternelle. Nous garderons Vera jusqu’à l’été 45. Fin juin 44 peu après le
débarquement, ses parents reviennent vivre chez eux croyant que la guerre est
finie, et que les rafles sont terminées… Ils reprennent avec eux la petite sœur de
Vera qui, elle, est restée avec nous pour finir l’année scolaire. Mais fin juin il y
a une rafle : les parents de Vera et sa petite sœur sont arrêtés, enfermés à Drancy
et envoyés à Auschwitz par le convoi 76, l’un des derniers convois quittant la
région Parisienne. Ils n’en reviendront jamais.
Je ne me perçois pas comme une résistante, mais enfin comme quelqu’un qui a
aidé à sauver un enfant. Un enfant pour moi c’est tout.
16
Lucie et Renée Mesureur nommées Justes devant les Nations en 2000 par
l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
Lucie Mesureur a 19 ans en 1941. Elle vit à Pantin dans un logis misérable
avec son père chômeur et sa mère Renée qui fait des ménages. Elle est dactylo
et devient l’amie d’un jeune homme juif. Boris est d’origine juive et sa famille
va être décimée par les rafles de 1942. Lucie et Renée vont le cacher pendant
deux ans dans leur petit deux pièces, où il sera contraint de « marcher en
chaussettes » et de ne jamais sortir. Après la guerre Lucie a épousé Boris.
Mes parents ont fui Arras, le nord et son chômage en 1931. Arrivés à Pantin, ils
ont d’abord vendu des légumes. Et puis Papa s’est retrouvé au chômage huit
mois sur douze… Maman a été obligée de faire des ménages. On a déménagé
trois fois en quelques années.
17
Laure Viardot et sa fille Suzanne Guimbretière nommées Justes devant les
Nations en 2001 par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
En 1939 j’ai 16 ans. Mon père est mort en 1937, ma mère enseigne. Mon frère
est parti en Afrique. Nous vivons à Paris avec ma grand-mère. Difficultés de la
vie quotidienne, rationnement, tickets… Je passe mon bac en 1941. Je m’inscris
à la Sorbonne. Le 11 novembre 1940 ma mère m’a empêchée de rejoindre les
étudiants à l’Arc de triomphe mais j’ai déposé avec elle une gerbe de fleurs
tricolores à la station Clémenceau.
A Chavagnes en Paillers je sais à l’avance que telle ou telle famille prend tel
enfant : je me suis d’abord entendue avec le docteur Foucault, qui est le docteur
de Chavagnes et qui s’occupe très bien des enfants. Un jour je place dans une
ferme deux jeunes garçons qui ont une quinzaine d’année : Je reçois un
télégramme disant : « vous pouvez envoyer les deux bœufs ! » . Les « deux
bœufs » sont amenés la semaine suivante et tout se passe bien pour eux.
19
commissaire qui nous interroge : il nous dit que nous pouvons très bien nous
retrouver le soir même à Drancy.
Ma mère lui indique qu’elle connaît Monsieur Prouton qui est le chef de la
brigade anti-terroriste, dont j’ai la fille comme élève ! Le commissaire va dans la
pièce à côté, il revient et nous dit que Monsieur Prouton nous attend pour
déjeuner dans un café … Je crois que c’est peut-être là qu’on a eu le plus peur.
Je retrouverai les enfants de Chavagnes le 25 juin 2000. Il y aura une grande fête
avec tous les parents nourriciers, ou leurs descendants … Ce sera très
chaleureux…
Suzanne Guimbretière
Juste devant les Nations
20
Jean Nallit nommé Juste devant les Nations en 1992 par l’Institut Yad
Vashem de Jérusalem.
Jean Nallit a 18 ans en 1941. Ouvrier aux usines « Gaz de Lyon », il entre dans
la Résistance. Il devient ensuite agent du réseau «Charrette», dirigé par le
neveu du général de Gaulle. A ce titre, il confectionne de nombreuses fausses
identités. Adjoint au responsable du service d’identité de la région lyonnaise, il
est chargé de la distribution des faux papiers : fausses cartes, faux extraits de
naissance, faux laisser-passer. Grâce à son réseau, 30000 faux papiers ont été
fabriqués, dont 300 pour des Juifs. Arrêté en mars 1944, détenu à Montluc et
torturé par la Gestapo il est déporté à Buchenwald en mai 1944.
J’ai 18 ans à l’automne 1941. Je travaille dans une centrale électrique dans la
région de Lyon, pendant toute la guerre. Toute la famille est entrée en
résistance : ma mère est la secrétaire du réseau Charrette, ma sœur est agent de
liaison. Avec le réseau Charrette nous fabriquons plus de 30000 faux papiers en
trois ans. La majeure partie de ces faux papiers est destinée aux soldats français
prisonniers de guerre dans les stalags, afin de faciliter leur évasion. Au départ, je
suis en contact avec des gens qui font sauter les transformateurs, les pilonnes de
haute tension. Au regard de mon jeune âge, ils me confient la distribution des
tracts et des journaux. Dans un second temps, je deviens l’adjoint du responsable
du service d’identité et impression de la région lyonnaise. Les listes des noms
utilisables et crédibles nous sont fournies par les mairies. Les papiers des
prisonniers de guerre sont dissimulés dans des colis.
Je vis très normalement : ayant fait beaucoup de fausses identité je ne m’en suis
pas faite une à moi. J’ai des papiers pour circuler la nuit, en cas de panne sur ces
centrales, pour pouvoir les dépanner.
Je regrette de ne pas avoir de fausse identité quand je suis arrêté : chez moi, on
pourrait trouver ma machine à écrire, les papiers vierges et les tampons…
21
La Gestapo ne prend aucun risque pour nous arrêter. Quatre hommes armés pour
deux suspects… Curieusement au moment de l’arrestation, on est presque
soulagé. On sort de la clandestinité ! Je suis transféré à Montluc puis enfermé
dans les caves de la gestapo avenue Berthelot. Les séances de torture
commencent. Si je parle, je peux mettre plus de 40 personnes en grand danger.
Je passe 5 fois à la baignoire, mais Klaus Barbie finit par demander à mes
bourreaux de s’intéresser à un plus gros poisson que moi, qui avait fait sauter 15
trains de permissionnaires. Je reviens à Montluc, et après un transfert à
Compiègne, je suis déporté à Buchenwald.
Entre Compiègne et Buchenwald, nous sommes 120 par wagon, avec un petit
tonneau de 30 litres d’eau qui se renverse tout de suite. Nous n’avons rien à
boire ni à manger pendant les quatre jours et les quatre nuits du voyage. Il y a
une dizaine de morts dans notre wagon, 600 pour le convoi. Les survivants
deviennent fous ou s’évanouissent. Les SS nous accueillent mitraillettes à la
main avec des chiens. Nous sommes rasés des pieds à la tête, désinfectés dans
un bain de Grésil, habillés de vêtements rayés : je deviens le matricule 49839.
Comme je suis tourneur ajusteur de formation, je suis envoyé dans une usine
d’aviation. La nuit dans le camp. Le jour dans l’usine.
Je suis libéré le 8 mai 1945, après avoir fait 900 kilomètres à pieds dans les
marches de la mort, direction Lubeck pour y être noyés : 10 000 des nôtres y
sont exécutés. Nous sommes libérés par les troupes américaines le 8 mai 1945.
Je pèse 38 kilos. Quand je rentre, ma mère ne me reconnaît pas…
Après mon retour des camps, je reprends mon travail sous la coupe d’anciens
collaborateurs. Ils ne me gâtent pas… Ils ont pris du grade et pas moi. Ils
tiennent le haut du pavé. Quand je demande une place pour un boulot on me
traite d’« incapable. » Les résistants déportés sont revenus en France avec un
an de retard en somme, puisque la France a été libérée en 1944. Nous
appartenons alors déjà à un passé qui gêne beaucoup de gens…
Jean Nallit
Juste devant les Nations
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Henri, Hélène et Raymonde Dupuy nommés Justes devant les Nations en
1984 par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
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Tout se passe chez mes beaux parents : les allemands arrêtent toute la famille, et
quand ils descendent les escaliers le fils aîné Willy prend sa valise et l’envoie
sur la tête de l’allemand qui dégringole les escaliers; pendant ce temps le plus
jeune Marcel qui a 5 ans se cache sous le lit de mes beaux parents, et les deux
autres passent par la cuisine, sautent dans le jardin et se sauvent. L’allemand se
retourne et au lieu d’ouvrir la porte avec le loquet, tape à coups de crosse et
démolit la porte. Les enfants sautent le mur du jardin et s’enfuient.
Leur mère, la pauvre Mme Gruska est impotente et ne peut fuir. Son mari réussit
à s’échapper mais revient pour se rendre lorsqu’il réalise que sa femme est
tombée aux mains des allemands. Ils seront déportés avec l’idée que leurs
enfants étaient saufs. Ce sera sans doute pour eux un grand sentiment de
réconfort. Dans les jours qui suivent une dame à la préfecture nous fait des faux
papiers : la fille, ma mère la met dans une école religieuse. Le plus petit, Marcel,
nous l’envoyons aux enfants assistés ; les deux autres sont rebaptisés Leroy,
avec tous les papiers nécessaires, et sont placés chez des agriculteurs à la
campagne.
En Mai 1944, ma couverture devient trop risquée. Je rejoins le maquis Roland.
Au début nous ne sommes pas très nombreux et puis au fil des semaines qui
suivent le débarquement, les « volontaires » affluent… Peu après, nous sommes
dénoncés. Les allemands nous attaquent et tuent deux policiers maquisards. Mon
maquis se disperse ; j’en rejoins un autre à Saint Alver en Dordogne… J’y
retrouve Willy Gruska, le fils aîné des déportés, qui entre temps a lui aussi pris
le maquis…
Henri Dupuy
Juste devant les Nations
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Yad Vashem France
Le Comité Français pour Yad Vashem soutient les activités de
l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.
• Rendre publique les actions des Justes qui sont désignés après la
constitution et l’instruction des dossiers comportant des
témoignages sur les actes de dévouement des sauveurs.
http://www.yadvashem-france.org/
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L’allée des Justes à Jérusalem
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