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HISTOIRE

DE
L'ESTHTIQUE
FRANAISE
TJ I
'L
T. M. MUST0XID1
Doctei'r de l'Universit
de Paris
HISTOIRE
DK
L'ESTHTIQUE
FRANAISE
-
1700-1900
suivie d'une Bibliographie
gnrale de l'Esthtique franaise
des origines a 1914
Prface de M. ANDRE
LALANDE
Professeur a la Sorbonne
PARIS
IL A T TIR DE CET OUVRAGE
Vingt exemplaires sur Hollande van Gelder
numrots de 1 20.
A.
Andr MUSTOXIDI
1785-1860
Historien et savant 'Corfiote
Dfenseur de la libert des les Ioniennes
avec respect je de'die
cet ouvrage.
Son arrire-petit-fils,
T. M. M.
"2
TABLE DES MATIRES
Pages
Prface de M. A. Lalande
i
Prliminaires
1
PREMIRE PARTIE
Les systmes esthtiques en France pendant le XVIII
e
sicle
(1700-1800)
Chap. Premier
Les grands systmes.
1. J. P. de Crousaz.

2. L'abb Dubos.

3. Le Pre
Andr.

4. L'abb Batteux
11
Chap. II
Les erits secondaires. Mission morale et sociale
de l'art.
1. Voltaire.

2. Condillac.

3. Montesquieu.

4. Di-
derot.

o. Mission morale de l'art.

G. Rousseau.

7. Estve, d'Alembert.

8. Poinsinet de Sivry.

9. Mar-
montel, de Chastellux
47
DEUXIME PARTIE
Les systmes esthtiques en France pendant le XIX
e
sicle
(1800-1900)
Chap. Premier
Les proccupations morales, sociales et utilitaires
du commencement du sicle.
1. M
me
de Stal.

2. Les thoriciens de second ordre.



3, Stendhal.

4. Rratry 1\)
Chap. II
Les systmes esthtiques tendances
mtaphysiques et idalistes.
1. Quatremre de Quincv.

i. Victor Cousin.

3. La-
mennais
95
TABLE DES MATIRES
Pages
Chap. III
Un essai d'explication
psychologique.
1. Th. Joulroy.
2. Sully Prudhomme
115
Chap. IV
Les crits secondaires.
1. Les thoriciens de second ordre aprs Cousin.

Deux
esthticiens
suisses : 2. R. Toppffer. 3. Ad. Pictet
127
Chap. V
Les laurats de l'Acadmie.
1. A. Ed. Chaignet.
2. Ch. Lvque.

3. Paul Voi-
turon
141
Chap. VI
Un cas curieux : L'esthtique de Proudhon. 151
Chap. VII
Le progrs des ides positives et scientifiques
dans l'esthtique.
1. La critique littraire.

2. Auguste Comte.

3. Sainte-
Beuve.
4. G. Flaubert.

5. H. Taine.

6. E. Vron.

7. Les thories de jeu.

8. E. Hennequin
163
Chap. VIII
Les potes.
1. J. M. Guyau.

2. G. Sailles
211
Chap. IX
>rniers i
1
.
Les monographies.
2. Conclusion
229
Les derniers crits.
Table alphabtique des noms propres cits dans cet
ouvrage
; 239
Bibliographie gnrale de l'esthtique franaise. . i
Index alphabtique de la bibliographie
nu
PRFACE
L'uvre pour laquelle M. Musloxidi veut bien
me demander quelques mots de prface
n'est pas
de celles qui allchent le lecteur par l'imprvu d'une
thse paradoxale, ou par la curiosit de documents
iidits. On ne la lira pas comme
Malebranche lisait
Descartes ;
mais il est probable que si Von est du
mtier, on la gardera soigneusement sous la main,
dans sa bibliothque tournante, parmi ses instru-
ments de travail. Et cest l le caractre essentiel
de /'Histoire de l'esthtique franaise. Rdig d'abord
sous la forme
d'une thse, intitule, d'une manire
plus technique,
Les Systmes esthtiques en France
(1700-1890),
et qui valut son auteur le Doctorat de
l'Universit de Paris, Vouvrage est, dans son fond,
un travail
'dniait, et un recueil de renseignements
historiques
jusque l disperss. M. Charles Lalo, ren-
dant compte de cette thse dans la Revue philoso-
phique,
crivait ceci : M. Mustoxidi a fait
une
uvre trs
consciencieuse, trs informe,
et trs
utile.
Venant dun crivain aussi comptent, voil
un loge qui nest pas mince. Il sera encore mieux
justifi
par cette nouvelle dition de Vouvrag,
re-
prise, dveloppe,
retravaille avec grand soin, et
b) PRFACE
de plus augmente d'une riche bibliographie, qui
par elle seule serait dj prcieuse.
J'ai dit que le livre n'apportait pas de documents
nouveaux. Mais cela n'empche pas qu'il soit une
nouveaut. Si trange que cela puisse paratre, alors
que le sicle de l'histoire est dj pour nous le
sicle dernier, il n'existait pas encore en France
d'tude gnrale sur ce sujet. La littrature qu'on
y
explore, c'tait une fort sans routes et sans carte,
coupe seulement de quelques clairires et de quelques
sentiers.

L'ouvrage de M. Mustoxidi
fait
pour elle
ce que Dnecourt a
fait
jadis pour Fontainebleau :
nous avons, grce lui, un guide travers les systmes
esthtiques
franais. Entre ces deux explorateurs, il
y
a pourtant une grande
diffrence
: Dnecourt avait
un culte pour les moindres coins de sa fort, il en
admirait passionnment tous les rochers et toutes les
futaies. M. Mustoxidi a l'esprit plus critique : et bien
en prend quelques-uns de ses auteurs de n'tre plus
de ce monde : ils passeraient un mauvais quart d heure.
S'il rhabilite quelques hommes demi-oublis, comme
l'abb Dubos, il relve, par contre, de leurs pchs
beaucoup d'esthticiens qu'on ne lisait plus gure,
mais auxquels on faisait crdit par tradition. Ce
n'est pas seulement un inventaire historique que nous
avons ici, mais encore et surtout une suite de juge-
ments, toujours trs dcids, non seulement sur les
hommes, mais souvent sur les dtails de leurs doctrines.
Au nom de quel critrium?
Tout d'abord, au nom d'un principe simplement
PRFACE
C)
liminatoire. Il consiste
dans la distinction
des doc-
trines artistiques
et des systmes
esthtiques.
On en
trouvera l'expos
trs ample et trs justifi
dans
l'introduction de cet
ouvrage. En deux mots, la
doc-
trine artistique est
essentiellement
personnelle
;
elle
. est un plaidoyer pour
l'idal dune
cole ou pour
les procds (fun artiste, comme la prface
de
Cromwell
ou celle de Germinic
Lacerteux.
C'est l ce
qu'on a
le plus tudi jusqu'
prsent
;
et c'est ce que M. Mus-
toxidi laisse entirement de ct.

La
thorie
esth-
tique, au contraire, est l'uvre d'un
observateur
dsin-
tress, d'un critique, qui, du .dehors,
considre
les
jugements sur le beau, leurs causes, leur
dpendance
l'gard des circonstances
extrieures,
comme M.
Lvy-
Bruhl, dans un autre domaine, a conu la
Science
des
murs, toute diffrente
de la
morale
proprement
dite,
prescriplive ou
parntique. Et nous
retrouvons
ici, soit dit en passant, un trait de plus de ce
parall-
lisme des sciences normatives, qui a tant
d'autres appli-
cations dans l'tude des sciences de l'esprit.
Il
y
a l une distinction
intressante,
bien fonde,
et qui, si je ne me trompe, n'avait pas encore t faite.
Sans doute, il ne faudrait
pas la manier d'une faon
trop tranchante : les esprits fins,
mme quand ils font
l'apologie de leur propre conception
artistique,
savent
observer et s'appuyer sur une
psychologie
objective :
Jules Lematre a crit, contre
Brunelire.
des pages
charmantes sur la valeur
universelle de la critique
la plus impressionniste. Et, en sens inverse, les esprits-
mme
dsintresss, quand ils manquent de discerne-
d) PRFACE
ment, sont sujets riger en faits et en lois leurs
propres prfrences. Mais enfin,
a majore parte, l'op-
.
position des deux attitudes reste certainementjustifie.
Mme parmi les systmes esthtiques proprement
dits, l'auteur distingue encore. Les uns ont suivi des
voies arbitraires
;
les autres sont de vrais savants,
au moins d'intention. Dans cet examen, crit-il,
au dbut de son article sur J. J. Rousseau, nous
jugeons les uvres en nous plaant au point de vue
de la science moderne, de la vrit objective qu'elles
contiennent, de la mthode objective qu'elles tchent
de mettre en uvre, et, en gnral, de l'esprit plus
ou moins positif
quelles manifestent. Et,
cet
gard, on devine que Jean-Jacques, tant le plus
passionn des hommes, lui parait un pauvre esth-
ticien : Si la science est par excellence raison,

raison froide et objective,

celui qui a restaur le
sentiment sous toutes ses formes,
et qui a fond
le
culte du sujet, est loin de la science.

On a dit que la condamnation tait bien svre,
tombant sur le
Christophe
Colomb du sentiment de
la nature , sur un des crivains qui ont le plus
puissamment transform
l'chelle des valeurs esth-
tiques (1).
C'est ne pas tenir compte de la distinction
que nous rappelions tout l'heure.
Que Rousseau
ait exerc cette influence,
qu'il ait, par
consquent,
une place minente
dans l'histoire de l'ide du Reau,
(1) M. Benrubi, Rapport sur le prix Amiel, Dies academicus de
l'Universit de
Cewvr, 5 juin 1919. Les citations qui suivent sont
extraites du mme rapport.
PUFACE
e)
M. Mustoxidi ne le nierait pas : mais les
transva*
Inations de ce genre sont pour lui, au premier
chef,
des h doctrines artistiques
;
et, du coup, elles ne
l'intressent pas. Il ne nous dfend pas de nous
y
intresser
;
et je suis trs dcid, quant moi,
user de la permission. Mais je ne lui
ferai pas
grief
de courir le livre pendant que d'autres chassent la
perdrix.
On lui a reproch aussi d'avoir de son sujet une
conception troitement nationale, et d'avoir construit
une muraille de Chine entre l esthtique
franaise
et l'esthtique allemande. Ecartons cVabord une qui-
voque : nationale, en tout cas, ne peut
signifier natio-
naliste : on ne souponnera pas M. Mustoxidi, qui est
Grec, de s'tre laiss garer par son patriotisme en
parlant de Tainc ou de
Jouffroy. Reste donc qu'il
n'aurait pas d faire l'histoire des systmes esth-
tiques franais seulement, mais celle des systmes
esthtiques dans leur ensemble, comme on
fait
l'his-
toire de la physique ou celle de la chimie. La science
objective, dit' avec raison M. Benrubi, est un produit
de rensemble du mouvement de la pense humaine
au XIX
e
sicle, et non pas le monopole de tel ou tel
peuple. Rien de plus juste,

condition, cepen-
dant, d
effacer
ces mots : au XIX
e
sicle
,
qui ne
rendraient pas justice (kilile, Descartes, Royle ou
.Yeicton. Et M. Mustoxidi a fait la France le
compliment d'un hte beaucoup trop aimable quand
il a crit, dans sa thse, que
la science objective tait,
avant tout, o-uvre du gnie franais.

Mais il
f)
PRFACE
reste que dans l'tat actuel de l'esthtique, il riy a
rien dtroit ou d'anti-scientifique dresser un inven-
taire des seuls systmes parus en France, ou plutt
en la?igue franaise,
(car le charmant ouvrage de
Topffer
71 est pas oubli), en laissant d'autres le soin
de rechercher plus lard les rapports et les influences.
La limitation que s'est impose l auteur serait videm-
ment
inadmissible, de nos
jours, chez un historien
de la
physique : mais c'est parceque la physique,
et
l'histoire de la physique elle-mme, sont dj fort
avances ;
elle semble au contraire lgitime, ncessaire
mme
peut-tre
pour une premire enqute, dans un
domaine
encore presque inexplor.
Mamtenant,
aprs avoir dit pourquoi je ne pou-
vais
souscrire
entirement ces critiques, est-il besoin
d'ajouter que je ne souscris pas non plus
tous les
jugements, si dcids, que
pointe
M. Musloxidi au
nom de
l'esthtique scientifique ? II
y
a de cela plu-
sieurs bonnes raisons, dont la premire est que j'ai
hasard
moi-mme, sur la nature et le rle de l'art,
une
hypothse gnrale que je ne puis croire illgi-
time ni mal fonde ;
hypothse qui, pourtant, ne
rentrerait pas dans la science positive, telle que la
dfinit
l'auteur,
encore
moins dans les doctrines
artistiques.
Il me semble aussi qu'une conception
comme le
pancalisme de M. Baldwin, par exemple,
quelques
objections de dtail qu'on puisse soulever
son sujet, ne
saurait tre condamne dans son but
cl par des
considrations
de mthode. La philo-
sophie est bien
ncessaire au progrs de la science,
PRFACE
g)
et, au fond,
insparable de la
science elle-mme.

La seconde
/-oison, qu'on trouvera peut-tre la meil-
leure, c'est
que l'auteur de ce livre est jeune, et
que l'auteur de
celte prface
ne l'est plus. Tous
ceux
qui ont lu Sylvestre Bonnard se rappelleront
cette amusante
conversation
d'tudiants, cueillie sur
te
vif
au Luxembourg et dans laquelle ni Michle!,
ni le Tableau des abbayes
bndictines ne bnficirent
d'une
excessive indulgence.
Il vient un ge o l'on
ne juge plus avec tant de verdeur et de dcision :
les choses paraissent trop complexes, les types de
science et de valeur trop varis. Est-ce un affai-
blissement du sens de la vrit* Peut-tre, car l'idal
dernier du vrai est certainement un. Mais- cela permet
du moins de
comprendre ceux qui pensent autre-
ment, ceux mme qui exercent une critique
plus
absolue, de s'intresser leurs principes en dpit des
rserves qu'on
y
apporterait volontiers
;
et cela sur-
tout quand cette critique s'accompagne,
comme cest
ici le cas, d'un travail aussi srieux de recherche et
de
documentation.
A. LA LANDE.
PRLIMINAIRES
IL
importe peu de savoir si l'histoire est une science ou
un art

ce qu'il importe seulement de remarquer ici,


c'est que l'historien est forc de se placer, en exposant
les faits ou en examinant les doctrines qui l'occupent,
un point de vue, et qu'en cela il ne fait rien d'essentielle-
ment diffrent ni de l'homme de science, ni de l'artiste

car tous deux se placent aussi leurs points de vue.


Ce qui est ncessaire, ce qui est indispensable, c'est
d'indiquer, avant tout, le critre qu'on adopte, l'angle
sous lequel on tche d'observer et d'examiner ce qu'on
exposera ensuite.
Nous nous proposons d'tudier les systmes esthtiques
qui ont vu le jour en Franco

mais, pour mener bien
cette tache, nous devons, en dpouillant l'norme amas
de livres qui traitent des questions d'esthtique, choisir.
Ce choix doit porter sur les livres eux-mmes, sur les
questions qu'ils traitent et sur la mthode qu'ils emploient
pour tudier les diffrents problmes. Or, d'une part, pour
faire ce choix sans risquer de tomber dans l'arbitraire,
on doit, avant tout, avoir un critre

un point de
vue
;
d'autre part, et ce n'est point l ce qui importo
le moins, on doit examiner la solidit de ce critre.
Avant mme de chercher ce guide indispensable qui
nous empchera de nous perdre au cours de la longue
route inexplore que nous allons essayer de suivre, il faut
fixer certaines limites notre champ d'activit. Puisque
nous exposerons l'volution des ides et des systmes
1
PRELIMINAIRES
esthtiques en France, examinons ce qu'on doit entendre
par systme esthtique.
*
* *
L'activit esthtique de l'homme se manifeste par la
production et la contemplation de l'uvre d art

tout
autour du vieil ade, qui improvise peut-tre, il
y
a un
cercle d'hommes et de femmes qui coutent : cet ensemble
prsente le
fait esthtique le plus pur. Aujourd'hui, nous
voyons un groupe d'hommes assis devant un cran blanc
sur lequel un mage droule des images mouvantes
;
ce
second fait est peu prs identique au premier. Mais, avec
le temps, l'ade primitif est devenu pote et un de ses
auditeurs/ philosophe
.
L'ade en chantant imitait, plus ou moins, le rossignol
dont le chant est spontan et, peut-tre, inconscient
;
le
pote, au contraire, devient un ouvrier conscient

ses
uvres sont cres d'aprs certaines rgles qu'il s'impose
lui-mme et qu'il doit dfendre contre ceux qui les
trouvent dfectueuses. C'est l l'origine des doctrines
artistiques.
#
# *
Mais qu'est-ce qu'une doctrine artistique? Comment
pouvons-nous la caractriser ?
Une doctrine artistique a, par excellence, un but utili-
taire : elle est faite ou pour montrer le moyen de crer de
belles uvres : c'est un but didactique
;
ou pour justifier
les uvres dj produites par l'auteur et combattre tes
doctrines des artistes htrodoxes : c'est un but polmi-
que. L'une de ces deux fins des doctrines artistiques a t
dj note/ par Baudelaire, dans son article, si connu, sur
R. Wagner : .... tous les grands potes deviennent
naturellement, fatalement, critiques. Je plains les potes
que guide le seul instinct, je les crois incomplets. Dans la
vie spirituelle des premiers, une crise se fait infaillible-
PRELIM1NAIKKS
ment, o ils veulent raisonner
leur art, dcouvrir les lois
obscures en vertu
(lesquelles ils ont produit et tirer
de
cette tude une srie de prceptes
dont le but divin est
Vinfaillibilit
dans la production potique
(1).
La forme absolue de l'affirmation de
Baudelaire ne
peut nous convenir. Tous les grands potes ne construi-
sent point des thories artistiques.
Mais, il est vrai d'une
part que ces thories sont
formules par des artistes qui
ont cr des uvres d'art et non par des simples mortels
qui traitent des questions
d'art
d'autre part, en effet,
eiles donnent des prceptes pour produire infailliblement
des chefs- dYeuvre. Ajoutons ces caractres, que ces
thories attaquent, avec plus ou
moins d'acharnement,
les thses contraires ou simplement
prcdentes, sans
ngliger de se dfendre contre les adversaires qu'elles
suscitent. C'est ce que nous avons appel leur but pol-
mique.
Une thorie artistique est en vogue pendant quelques
annes

se place un point de vue exclusif, en corrla-


tion troite avec la faon gnrale de sentir et de penser
de l'poque

quelque temps aprs elle cde le terrain


une autre thorie, qui ne lui ressemble que par sa dure
phmre.
Veut-on des exemples ? Pour ne prendre que les plus
connus, citons les thories classiques de Boileau, les doc-
trines romantiques de V. Hugo et les thses naturalistes
de Zola. Les trois uvres qui 'ont pour titres :
L'Art
potique, Prface
de Cromwell et Le Roman expri-
mental
prsentent toutes les caractristiques des doctrines
artistiques.
Leurs auteurs sont des artistes qui ont dj produit
des uvres d'art

et non pas des penseurs trangers



la cration artistique.
Ces trois thories se placent un point de vue exclusif,
(1)
L'Art romantique. Article sur Wagner (1801. Le livre est de 186
4
PRLIMINAIRES
1
partial et visent subvenir aux besoins pressants de l'ac-
tion : produire des chefs-d'uvre et combattre les doc-
trines ennemies.
Remarquons, en plus, que les thories artistiques en
gnral cachent leur partialit, derrire un concept fort
large et qui est ternellement le mme, tout en prenant
chaque fois un sens diffrent et mme contraire du prc-
dent. Ce concept est celui de la nature. Les classiques
imitent la nature et condamnent le genre gothique

les romantiques
imitent la nature et vouent
l'enfer les
classiques

les naturalistes en font autant et sont con-
damns leur tour par les
impressionnistes ou les sym-
bolistes qui eux aussi cherchent imiter la nature. Boileau
crivait : Que la nature donc soit votre tude unique
(1).
De son ct Hugo enseignait, dans la Prface
de Crom-
tvell, que
tout ce qui est dans la nature est dans l'art.

Zola, la troisime ligne du Roman
exprimental, signa-
lait
le retour la nature.

Le concept de la nature, on le trouvera .
peu prs dans
toutes les thories artistiques
mais chaque fois avec un
nouveau sens. Pour Boileau, la nature
signifie une psycho-
logie abstraite, noble, produit de la cour de Louis XIV

telle qu'on la trouve dans la tragdie de Racine. Pour
Hugo, la nature signifie l'union du beau et du laid, du
grotesque et du sublime

elle correspond des clairs de
lune sentimentaux, quelque
chose de gothique ou
d'oriental. Pour Zola, cette
mme nature devient d'une
brutalit prhistorique,
quand elle nest pas d'une salet
de ruisseau.
Tous ces crivains utilisent le mme concept pour des
conceptions
diffrentes

ils imitent le reste du genre
humain qui emploie les mots sans les entendre.
De plus, comme nous l'avons dit, Boileau, Hugo, Zola,
dans les ouvrages cits, donnent des prce/)(rs pour crer,
(1)
L'Art potique. Chant III. 359.
PRELIMINAIRES 5
coup sur, des chefs-d'uvre. Ces prceptes sonl connus :
p.
c. chez Boileau, pour la tragdie, les trois units :
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu' la fin le thtre rempli.
(1)
Hugo conseille le mlange du beau et du laid, du su-
blime et du grotesque.
Zola, de son ct, recommande la recherche du docu-
ment l'exprimentation, la mthode scientifique. .Nous
n'indiquons que les prceptes principaux

il en existe
des secondaires qui ne sont point les moins importants.
L'autre caractre utilitaire de ces doctrines, c'est leur
ct polmique. Boileau, le plus poli et le moins emport
des trois, traite le burlesque d'effront
(2),
le spec-
tacle qui nglige les trois units, de grossier
(3),
etc.
On connat l'emportement de Victor Hugo contre les
classiques, contre leurs rgles et contre leurs genres.
Toppfer crivait avec justesse : Et c'est vrai que les
Prfaces de M. Hugo ressemblent des chapitres du
Coran bien plus qu' des prfaces
(4).
Zola, de son ct,
ne marchande gure les insultes qu'il adresse aux roman-
tiques. Il leur dclare une guerre acharne., une guerre
sainte
;
il Ta gagne d'ailleurs pour avoir le plaisir de se
voir vaincre par les nouveaux arrivants

car, surtout
en matire de doctrine artistique, toujours la victoire
engendre la dfaite
(5).
Un autre caractre de ces thories artistiques, c'est que
tout en promettant d'expliquer l'art entier, de donner la
clef de vote de tout l'immense difice qu'elles exami-
(1)
L'Art potique. Chant III, 45-46.
(2)
Ibid. Chant I, 81.
(3)
Ibid. Chant III, 44.
(4)
Rflexions et menus propos. T. I, p.
l'M'>.
(o) Toppfer a remarqu ce ct partial, exclusif, intransigeant et pol-
mique des coles et doctrines artistiques, en elet il a crit : D'ailleurs
de mme que, dans les religions, il parait ncessaire que chaque secte,
que chaque homme, pour tendre au ciel, s'imagine possder la vraie
foi
;
de mme dans l'art, il semble invitable que chaque cole, que cha-
6 PRLIMINAIRES
nent

en fait, le plus souvent ou presque toujours, elles
ngligent tout ce -qui ne leur convient pas.
Boileau connat bien vaguement la littrature grecque,
qu'il propose comme modle. Hugo, dans cette fameuse
Prface qui nous occupe, en sait autant qu'un collgien
;
quant Zola, dans son Roman exprimental, nous som-
mes bien forc de l'avouer, il montre moins d'esprit cri-
tique et scientifique qu'un collgien.
Nous avons dit que les doctrines artistiques sont par-
tiales

cette ignorance ou, si l'on veut, cette ngligence
d'une partie de la ralit esthtique ne peut qu'aggraver
leur partialit.
Cette mme ngligence, unie leur exclusivisme, fait
apparatre les systmes esthtiques.
* *
Le systme esthtique est tout autre chose que la doc-
trine artistique. Tout d'abord, le grand caractre d'utilit
immdiate qu'on remarque dans les doctrines artistiques,
disparait. Dune part, les esthticiens

car ce ne sont
jamais les artistes qui crivent des systmes esthtiques

ne nous apprennent pas faire, coup sur, des chefs-


d'uvre. D'autre part, le second caractre utilitaire, le
ct polmique, n'existe plus dans leurs systmes. Les
esthticiens ne dnigrent jamais les productions d'une
cole entire pour admirer celles d'une autre.
Le grand souci, la proccupation constante des sys-
tmes esthtiques, c'est de rduire les faits esthtiques
l'unit : de donner une explication unique et simple des
divers faits esthtiques. De l dcoule un caractre nou-
que artiste, s'imagine possder les vraies et uniques conditions du
beau
;
ou bien cette cole, cet artiste manqueraient de foi pour
y
tendre,
d'essor pour s'en approcher. En ces choses l'illusion est utile, elle est
aimable aussi, et l'artiste qui n'est pas sous le charme de quelque
erreur pareille, n'est qu'un artiste manqu. {Rflexions et menus pro-
pos, etc. T. I,
p. 307).
PRELIMINAIRES
veau que nous ne trouvions pas clans les doctrines artis-
tiques, un eertain besoin de connatre la ralit esthti-
que. Cette connaissance des faits esthtiques n'est jamais
pousse bien loin
T
mais le dsir, le souci, le besoin de
connatre cette ralit sont visibles dans tous les
systmes
esthtiques.
Tandis que l'artiste, dans les doctrines artistiques,
donne des prceptes pour faire des uvres d'art parfaites

l'esthticien, dans le systme esthtique, essaie d'exa-


miner, d'tudier et d
J
expliquer cette immense ralit
esthtique qui s'offre devant lui. simple comme la Nature
et comme elle mystrieuse. Ces deux points de vue diff-
rent du tout au tout

les confondre, comme on le fait
d'habitude, c'est manquer compltement de sens critique.
Les doctrines artistiques avaient, nous lavons vu, la pr-
tention de connatre la ralit dont elles s'occupaient
;
mais nous avons vu aussi comment, harceles par les
besoins pressants de l'action (didactique et polmique),
elles avaient hte de conclure avant mme d'avoir observ
srieusement la ralit. Los systmes esthtiques veulent
combler les lacunes des doctrines artistiques et expliquer
les faits esthtiques d'une manire plus profonde. En fait,
ces systmes mme sont des synthses htives et parfois
audacieuses de faits encore imparfaitement observs et
qu'on essaie d'unifier au moyen de quelques principes
gnraux, vagues et insuffisants.
A vrai dire, les systmes esthtiques prsentent ls
avantages et les inconvnients de tout systme. Ce sont
des explications de la ralit, c'est vrai

mais des expli-
cations que le plus souvent la ralit contredit.
Noire science moderne, telle que nous la concevons et
la ralisons, n'est rien autre qu'un systme

mais un
systme dont les conclusions se vrifient par l'exprience,
un systme que la ralit ne contredit pas.
Entre un systme philosophique et le systme scienti-
fique, il
y
a la seule diffrence du succs

l'un se vrifie
avec succs par l'exprience, l'autre ne se vrifie gure.
8
PRLIMINAIRES
Toutes les sciences ont pass par l'tat systmatique et
invrifiable. Nous pensons, sans risquer de nous tromper,
que l'esthtique aussi, dans un proche avenir, doit entrer
dans l're o l'exprience ne contredit plus les. conclu-
sions de l'esprit. Les systmes voluent vers le seul sys-
tme lgitime, le systme scientifique, en un mot, la
science.
Nous appellerons Esthtique, ce systme scientifique,
que l'avenir verra, et dans lequel les faits esthtiques se-
ront patiemment analyss et expliqus.
#
Nous nous demandions, en commenant, quel point
de vue on doit se placer en faisant l'histoire des systmes
esthtiques en France. Ce point de vue: nous l'avons main-
tenant et nous pouvons tre sur de sa valeur.
Si les systmes esthtiques doivent aboutir la science
esthtique, en les examinant il faut voir
ce
qu'ils appor-
tent dj cette science future

en d'autres termes, le
critre scientifique, objectif, exprimental nous semble le
seul lgitime et possible.
En faisant donc l'histoire des systmes esthtiques en
France de 1700 1900, nous nous placerons ce point
de vue et, tout d'abord, nous bornerons cet examen histo-
rique aux crits qui constituent des systmes esthtiques
et non des thories artistiques
;
d'autre part, nous juge-
rons les crits qui se soucient le plus de la ralit, des faits
concrets, de la vrification exprimentale, comme tant
suprieurs ceux qui, se contentant d'explications pure-
ment mtaphysiques, prsentent l'avantage de l'unit et
de la simplicit, mais aussi l'inconvnient capital d'tre
striles et mme imperfectibles. En examinant certaines
doctrines curieuses, surtout dans le xix
e
sicle, nous au-
rons d'ailleurs, plus d'une fois, l'occasion de dvelopper
cette ide directrice que nous ne faisons qu'indiquer ici.
PREMIRE
PARTIE
Les
systmes
esthtiques
en France
pendant le XVIII
e
sicle (1700-1800)
CHAPITRE PREMIER
Les grands systmes
J.-P. de Crousaz.

2. L'abb Dubos.

3. Le Pre
Andr.

4. L'abb Batteux.
Bien
avant le xvn
e
sicle, on trouve en France des thories
artistiques, mais les systmes esthtiques proprement dits
n*apparaissent qu'avec le commencement du xvm
e
sicle. Aux Arts
potiques, qu'on rencontre dj vers le xv
c
sicle, et aux traits
techniques de la peinture ou de l'architecture, succdent, vers la
fin du rgne de Louis XIV, les tudes esthtiques tendances
psychologiques et philosophiques.
Aprs le grand sicle, o dans tous les arts, le gnie franais
avait enfant tant de chefs-d'uvre, aprs la premire fivre de la
cration, on en vint naturellement se poser la question : Qu'y
a-t-il de commun entre toutes ces uvres d'art cres? Quel est le
but mme de l'art et quelle est sa raison d'tre ?

A la fin du xvn
e
sicle, n'crit-on pas, par exemple, propos de la
littrature thtrale, des livres, des brochures, des traits, des ser-
mons, des prfaces, des apologies ? Ne se demande-t-on pas cons-
tamment si le thtre a une valeur morale ou non ?
On pousse mme l'esprit critique beaucoup plus loin, et au nom
de la raison on compare la production artistique du grand sicle
franais celle des Grecs et des Romains. C'est l le fait essentiel,
le fait qui contribua le plus l'closion de l'esprit philosophique en
matire esthtique. C'est pendant la querelle des anciens et des mo
dernes, cette lutte longue et parfois peu intressante, qu'on pr-
para le terrain propre l'closion des systmes esthtiques. Et
certainement ce ne furent pas ceux qui prirent part la lutte qui
profitrent davantage de la querelle, mais ceux qui n'en taient que
de
simples spectateurs. Perrault, dans ses Parallles, comme Fon-
tenelle, dans sa Digression, ne prsentent que des doctrines
artisti-
ques, mais ceux qui viendront aprs eux sauront voir les choses
12 LES GRANDS SYSTMES
d'un peu plus haut; ils ne seront partisans ni des anciens ni des
modernes et ils chafauderont des systmes esthtiques
(1).
On a soutenu, avec beaucoup de. bon sens, que la querell-e des
anciens et des modernes est le rsultat de l'influence de l'esprit car-
tsien ;
effectivement, les modernes triomphrent l'aide de l'ide
cartsienne du progrs
(2).
Emile Krantz est all encore plus loin
en voulant tirer de l'uvre de Descartes une esthtique entire
(3).
Cette tentative nous parat trop audacieuse, car dans les quelques
lettres de Descartes Balzac, que Krantz analyse, on trouve bien
quelques jugements d'ordre artistique, mais on est trop loin de la
moindre remarque proprement esthtique.
Peut-tre l'esprit cartsien a-t-il eu une influence prpondrante
sur l'volution artistique en France

influence que l'on constate
d'ailleurs dans la premire moiti du xvm
e
sicle
mais Descartes
et son sicle n'ont gure dpass le stade artistique, tel que nous
l'avons dfini. Les systmes esthtiques proprement parler n'ap-
paraissent qu'avec le xvnr
3
sicle.
1.

Le premier travail d'esthtique en langue franaise est le


Trait du Beau que J.-P. de Crousaz publia Amsterdam en 1715.
Cet auteur tant professeur de philosophie et de mathmatiques
l'Acadmie de Lausanne, son trait est nettement marqu de l'esprit
de ces deux sciences. En effet, Crousaz examine la question du
(1)
Consulter : Brunetire, L'volution des genres, etc. (L'volution de la
critique, 1890. Quatrime leon). Brunetire crit, tudiant Charles Perrault :
Grce en effet aux prjugs mmes qu'il apportait dans la question, auteur d'un
pome sur la Peinture, frre de l'architecte de la colonnade du Louvre, ami de
Fontenelle, et comme tel un peu frott de science, contrleur enfin des btiments
du roi, on pourrait dire qu'il a mis la critique littraire sur le chemin de l'es-
thtique gnrale, en mlant constamment, dans son Parallle, aux rflexions
de l'ordre uniquement littraire, des considrations, souvent ingnieuses, tires
des autres arts ou de la science mme, et en tchant de les concilier ou de les
coordonner les unes et les autres sous la loi de quelques principes gnraux.
(Loc. cit., p. 120). Le chapitre entier serait consulter.
Consulter : Rigault, Histoire de la querelle des anciens et des modernes,
1850.
(2)
Consulter : G. Lanson, L'influence de la philosophie cartsienne sur la
Littrature franaise, dans la Revue de Mtaphysique et de Morale. Juillet
18%.
Brunetire nie cette influence, Manuel de l'Histoire de la Littrature fran-
aise, p.
147.
(3)
Emile Krantz, Essai sur l'Esthtique de Descaries tudie dans le rap-
port de la doctrine cartsienne avec la Littrature
classique franaise au
XVIP sicle (thse), 1882.
I.-P. DE GROUSAZ 13
beau, d'une manire sutlisammenl positive et objective, pour l'po-
que laquelle il crivait.
Sa mthode, qu'il prend soin de nous indiquer, est celle de son
temps, c'est la mthode cartsienne. ...J'viterai soigneusement,
crit-il, de btir sur des principes douteux, je me conduirai avec
tout l'ordre et toute la prcaution qui me sera possible, je ne pas-
serai point une seconde pense, sans avoir bien tabli la prc-
dente ;
et j'aime mieux charger mon discours de quelques rflexions
superflues, que de hasarder quelques fausses vraisemblances, et
de laisser quelques-unes de mes propositions demi prouves
(1).
Ne nous fait-il pas craindre d'ailleurs

dans une phrase rappelant


l'instrospection cartsienne

que pareil l'araigne qui btit ses
toiles de sa propre substance, lui aussi ne fasse sortir la Sagesse
tout quipe de son cerveau. J'ai cart de mon esprit, crit-il,
toutes les impressions que j'y avais reues, pour rentrer unique-
ment dans moi-mme, et me -rduire aux notions les plus simples et
les plus incontestables
(2).
Heureusement, il oublie de temps en
temps sa menace.
Examinons sa doctrine. Ceux qui disent : cela est beau, selon
Crousaz, s'apercevront qu'ils expriment par ce terme un certain
rapport d'un objet avec des sentiments agrables, ou avec des ides
d'approbation, et tomberont d'accord que dire, cela est beau, c'est
dire, j'aperois quelque chose que j'approuve, ou quelque chose
qui me fait plaisir
(3).
Comme on le voit par cette citation, Crousaz se fonde sur l'ana-
lyse psychologique pour dfinir le beau. Les ides et les sentiments
prennent part au jugement esthtique
;
parfois ils sont d'accord et
l'objet mrite le nom de beau aux deux points de vue : rationnel et
aifectif ;
mais parfois les ides et les sentiments se combattent et
alors le mme objet un gard plat et un autre ne plat pas.
Pourtant Crousaz ne peut s'empcher de donner, dans une cer-
taine mesure, la prfrence aux ides ou, si l'on veut, la rai-
son. On voit surtout cela dans-la dfinition qu'il donne du got. Pour
Crousaz le got est une raison spontane, une raison intuitive. Le
bon got nous fait d'abord estimer par sentiment ce que la raison
aurait approuv, aprs qu'elle se serait donn le temps de l'exa-
(1)
Crousaz, Trait du Beau. Edition de 1715, p.
3.
(2)
Loc. cit., Iutrod.
*
3.
(3)
loc. cit., p.
7.
14 LES GRANDS SYSTMES
miner assez pour en juger sur de justes ides. Le mauvais got au
contraire nous fait sentir avec plaisir ce que la raison n'approuve-
rait pas
(1).
Mais, tout en reconnaissant que Crousaz est rationa-
liste en partie, nous ne saurions tre pleinement d'accord avec
Croce qui veut voir en Crousaz un cartsien clectique et crit
que ce dernier replaait le beau non dans ce qui plat, dans le
sentiment dont on ne peut discuter, mais dans ce qu'on approuve,
et qui se rduit par suite des ides
(2).
Si nous laissons de ct pour un instant la psychologie et si nous
examinons les caractres de l'objet beau, nous verrons que Crousaz
les dfinit par l'ancienne formule de l'unit dans la varit, qu'il
rajeunit un peu. En effet, pour notre auteur, la varit doit tre
tempre par l'uniformit, la rgularit, l'ordre et la proportion
(3).
Malgr l'amendement de Crousaz, cette dfinition reste si nulle
qu'on s'explique mal la colre de Diderot contre notre auteur, qu'il
essaie d'craser laide de l'autorit de Saint Augustin. En multi-
pliant les caractres du beau, vous le particularisez, s'crie Diderot,
pour qui les abstractions les plus vagues sont encore trop peu
vagues
(4).
Mais ct de cette dfinition du beau, Crousaz en donne une
autre qui nous sembla beaucoup plus intressante : le beau consis-
terait dans la relation de toutes les parties un seul but. Cette con-
ception finaliste de la beaut, il l'applique l'architecture, tout
d'abord, mais aussi bien aux autres arts qu' la nature et mme
l'homme. Le corps humain est fait pour vivre, crit-il, pour vivre
en sant, pour agir et pour excuter les ordres de l'me. Tout ce
qui contribue quelqu'une de ces quatre fins contribue la perfec-
tion du corps, et tout ce qui accompagne ces dispositions doit
paratre beau un esprit et des sens qui ne seront pas prvenus
de quelques faux principes
(5).
Examinant la question des parures fminines, il applique le
mme critre largi. Les parures qui cachent des dfauts, ou
qui exposent plus avantageusement ce qui est effectivement beau
et qui mritent l'attention, vont au but pour lequel elles sont des-
(1)
Loc. cit.,
p. G8.
(2)
B. Croce, l'Esthtique comme science de l'expression et linguistique
gnrale, II
e
partie,
p. 201 (Trad. de Bigot, parue en 1901).
(3)
Lac. cit., p. 13-16.
(4)
Diderot, Recherches philosophiques sur l'origine et la nature du beau.
(5)
Loc. cit., p. 29.
J.-P. DE T.ROL'SAZ 15
tines ;
mais celles qui font un elet contraire sont extravagantes,
et celles qui ne servent rien sont ridicules (1)... Ce n'est plus
seulement le critre finaliste mais le critre de l'utilit. On voit
combien d'ides qui seront fcondes plus tard, se trouvent dj en
fermentation dans le livre de Crousaz.
Ce
philosophe-mathmaticien est en mme temps un fin spycho-
logue. En elet, c'est l'aide de l'analyse intrieure et en se pla-
ant au point de vue strictement psychologique, qu'il fait cette
trouvaille intressante : la relativit du beau. Ce terme que nous
employons, faute d'un meilleur, rend mal l'ide que la beaut
n'est pas une et absolue, mais qu'elle varie avec les individus
;
il
existe plusieurs beauts, pense Crousaz, et toutes sont des ralits,
c'est--dire toutes correspondent des faits psychiques rels. Les
objets beaux ne le sont pas au mme degr pour les diffrents in-
dividus. Il en est de la beaut cet gard comme de la sant
;
ce
qui suffit pour nourrir un enfant, laisserait mourir un homme
form... , la sant et la beaut ne sonf pas des imaginations, ce
sont des ralits, mais relatives et non pas absolues
(2).

Cette ide de la relativit du beau, est une de celles sur lesquelles
Crousaz insiste le plus
;
il lui consacre plusieurs exemples : Les
commenants veulent une musique simple ou peu compose, car
elle contient assez de varit pour eux
;
mais une oreille plus exer-
ce en demande davantage, il lui faut plus de diversit pour occu-
per son attention (3).


Un discours tendu, dit-il en substance
ailleurs, ne serait pas beau pour nous et serait beau pour d'autres
auditeurs qui l'tendue du discours serait ncessaire. Et pour
mieux faire comprendre son ide, il fait cette comparaison nette-
ment objective pour ne pas dire scientifique : Un oculiste qui a la
vue courte trouvera tout aussi belle une lentille convexe, l'usage
d'un vieillard dont l'il est trs aplati, qu'une concave faite pour
corriger le mauvais elet de la courbure trop aigu du sien
(4).

(1)
Loc. cit., p.
42.
(2)
Loc. cit., p.
51.
(3)
loc. cit., p.
50-51.
(4)
Loc. cit., p. 153. Dans un autre passage, Crousaz crit : Il en est donc
quelquefois de la musique comme des remdes dont la vertu, sans cesser d'tre
relle, ne convient pas galement tous, non seulement cause de la diversit
des malades, mais encore cause de la diversit des tempraments.
Loc. cit.,
p. 299. Et ailleurs, parlant toujours de la musique, il dit qu'il
y
a des airs beaux
mais, la manire de deux habits faits pour des tailles tout fait diffrentes.
Loc. cit., p.
298.
16
LES.GRA.-XDS SYSTMES
Ainsi Crousaz est amen cette ide

peu classique
qu'il
y
a, pour les divers individus, des beauts de diffrentes espces
;
la
cause en est dans la diversit des jugements des hommes. Or, de
cette diversit il numre diffrentes raisons. Nous relevons parmi
elles les diffrences de temprament, d'amour-propre, de passions,
le besoin que ressent l'esprit de changer
(1)
et ce que nous appelle-
rions aujourd'hui
l'association des ides. En tout cas, la varit des
beauts est occasionne par la diversit des sujets contemplants...
on impute l'objet seul tout un effet, quoiqu'on renferme en
soi une bonne partie de la cause
(2)
.
Voici, en somme, le rsultat des recherches de Crousaz sur le
beau : l'objet beau doit manifester l'unit dans la varit et la rela-
tion de toutes les parties un seul but. Dans l'apprciation du
beau, Crousaz laisse une large part au sujet contemplant. La rai-
son juge souverainement, le sentiment vient aprs et en dernier
lieu la folle du logis , l'imagination.
Si les hommes taient des tres uniquement raisonnables, il n'y
aurait qu'une seule et unique beaut. Notre auteur ne le dit pas en
termes exprs, mais cette ide ne doit pas tre loin de son esprit
;
c'est, peut-tre, cette pense qui l'oblige de temps en temps d'op-
poser la diversit des beauts relles, un beau absolu.
Crousaz, reconnaissons-le, a fait un effort considrable pour
sortir des gnralits vagues lgues par l'antiquit. Les raisonne-
ments objectifs et bass sur des faits, prdominent dans son livre,
et si l'influence incontestable de Descartes et l'empreinte de son
poque
y
sont nettement marques, on ne saurait nier qu'on
y
trouve des points de vue originaux et intressants.
2.

Quatre ans aprs Crousaz, en 1719, l'abb Dubos faisait
paratre ses Rflexions critiques sur la posie et sur la peinture.
C'est un des ouvrages d'esthtique les plus remarquables que nous
ayons en France ;
il supporterait avantageusement la comparaison
mme avec les travaux du xix sicle
(3).
(1)
Loc. cit., p. 60.
(2)
Loc. cit., p.
72.
(3)
Voici commeut Voltaire jugeait le livre de l'abb Dubos : Tous les artistes
lisent avec fruit les Rflexions de l'abb Dubos sur la posie et la peinture. C'est
le livre le plus utile qu'on ait jamais crit sur ces matires chez aucun peuple
de l'Europe. Ce qui fait la beaut de cet ouvrage, c'est qu'il n'y a que peu d'er-
reurs, et beaucoup de rflexions vraies, nouvelles et profondes (Catalogue des
crivains du sicle de Louis XI
V).
l'abb dubos
17
Jean-Baptiste Dubos, fils d'un ngociant de Beauvais, est n en
1670, En 1691, il tait bachelier- en Sorbonne. 11 tudia les anti-
quits un ge o l'imaginalion guide encore l'esprit. En l(ii);i, il
publia des tudes historiques d'une valeur au-dessous du mdiocre.
En 1696, il entra au Ministre des alaires trangres. Ds cette
anne, il voyagea pour des raisons diplomatiques. Il visita la Hol-
lande, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Italie. C'est en voyant diff-
rents peuples avec des murs diverses, avec des littratures et des
arts guids par des principes contraires, que Dubos a pu mrir en
lui-mme ces Rflexions sur la posie et la peinture, dont l'objecti-
vit, le sens critique et la perspicacit tonnent mme l'esthticien
du xx
e
sicle. Son biographe crit : Quant son impartialit,
elle est remarquable : il considre tous les peuples qu'il visite avec
bienveillance et sans aucun de ces entranements prsomptueux
qui troublent la vue de presque tous les voyageurs. Il a, pour ainsi
dire, dans le jugement, quelque chose de cette souplesse de con-
duite que Montesquieu conseillait d'atteindre, lorsqu'il disait : il
faut prendre les pays comme ils sont... )>
(1).
Toutes ces qualits
du voyageur, nous les retrouvons chez l'auteur des Rflexions sur
la posie et la peinture. Cette uvre est d'ailleurs le seul livre de
Dubos digne d'tre conserv

et encore des trois volumes qui
forment cet ouvrage, le troisime consacr l'exposition de quel-
ques dcouvertes concernant les reprsentations thtrales des an-
ciens
(2)
est sans intrt pour l'esthticien.
Dubos n'est pas un cartsien, il ne pense pas faire sortir la vrit
de lui-mme par le simple raisonnement; il st, si l'on veut, un
empiriste, un sensualiste, mais avant tout et pour viter les grands
mots, Dubos accepte les faits et essaie, non pas de les adapter des
hypothses aprioristiques, mais simplement de les expliquer en s'y
soumettant dans la mesure du possible. Dubos est un homme de
science, dans la pleine acception du mot. Je le rpte, crit il, les
hommes ajoutent foi bien plus fermement , ceux qui leur disent
j'ai vu, qu' ceux qui leur disent j'ai conclu
(3).
<< Nos savants,
ainsi que les philosophes anciens, ne sont d'accord que sur les faits,
et ils se rfutent rciproquement sur tout ce qui ne peut tre connu
(1)
Aug. Morel, Etude sur l'abb Dubos,
1850, p. 38.
(2)
Rflexions critiques sur la posie et sur la peinture, 1719. Nous avons
entre les mains l'dition de 1733.
(3)
Loc. cit., vol. II, p.
47i.
2
18
LES GRANDS SYSTMES
que par voie de raisonnement, en se traitant les uns les autres
d'aveugles
volontaires qui refusent de voir la lumire (1).
Avec de tels principes, nous pourrons tre srs d'avance que le
travail de Dubos ne sera pas une creuse idologie. C'est ce qui
explique du reste le manque d'unit qu'on remarque dans les
Rflexions
critiques; point de thorie gnrale, mais des faits
groups et suivis d'explications plausibles. Il
y
a, nous le verrons,
des tendances
gnrales, un leitmotiv qui parcourt, comme un fris-
son, son uvre entire ;
mais point de systme rigide, encadrant
tous les faits, donnant l'explication de tout
(2).
Dubos, en commenant son livre, se pose la question la plus lgi-
time de toutes : quelle est la cause qui a pouss l'homme a inventer
les
beaux-arts? En d'autres termes, quelle est la raison d'tre et
le but de l'art?
Notre aute.ur,
psychologue avis, nous fait remarquer que tous
les plaisirs
proviennent de la satisfaction de quelque besoin. Plus
le besoin est pressant, plus le plaisir qui dcoule de sa satisfaction
est sensible.
Comme le corps, l'me aussi a des besoins, dont l'un
des plus forts est de fuir l'ennui qui nat de l'inaction. Pour fuir
l'ennui, les hommes recherchent les passions. Ils ne peuvent pas
vivre sans passions, et ils ....souffrent encore plus vivre sans
passions, que les passions ne les font souffrir (3).
Pour fuir l'ennui, on ira voir le supplice d'un condamn, tout en
sachant que le spectacle est affreux,

on ira voir les tours qu'un


voltigeur
tmraire fait sur une corde. Les Romains aimaient le
spectacle des gladiateurs

les Espagnols les tauromachies
les
Anglais les combats d'animaux

ce sont pourtant des spectacles


rpugnants en eux-mmes. Qu'est ce qui constitue leur attrait?
(1)
Loc. cit., vol. II, p.
486.
(2)
Oa a blm Dubos de ce manque d'unit

et on a eu tort. Par exemple,
Morel, dans son Etude sur t'abb Utibos, tude rellement mdiocre, a crit :
Ce n'est pas dire cependaut que l'crivain n'et point de thorie positive par
devers lui et qu'il se soit born au rle de simple observateur. Mais la direction
et le fondement de ses ides sur la posie et sur les arts ne comportaient gure
un ordre meilleur que celui qu'il adopte en dfinitive. La philosophie sensualiste
et la mthode empirique qui sont les siennes peuvent fournir quelques morceaux
remarquables ;
l'auteur qui s'abandonne elles ne composera jamais une uvre
d'ensemble [Loc. cit., p. 74). Il
y
a dans cette soi-disant critique, des constata-
tions qui valent les meilleures louanges. Dubos a essay de faire uvre de science
et non pas d'crire quelques morceaux remarquables ou une uvre d'en-
semble .
(3)
Loc. cit., vol. I, p. 11.
l'abb dubos 19
Cette motion naturelle, crit Dubos, qui s'excite en nous machi-
nalement,
quand nous voyons nos semblables dans le danger ou
dans le malbeur, n'a d'autre attrait que celui d'tre une passion
dont les mouvements remuent l'me et la tiennent occupe
(1).
De mme, la recherche de l'motion continuelle pousse l'homme
vers les jeux de hasard. Le jeu des lansquenets et la bassette
tiennent l'me dans une sorte d'extase. Voici donc, toute l'huma-
nit qui poursuit la passion

comme le papillon court vers la
lumire. Mais comme celui-ci se brle parfois les ailes

l'homme
est accabl par les effets funestes des passions.
Le rle de l'art librateur apparat ce moment. Il se propose
d'offrir l'homme les agrments des passions en lui vitant ce que
celles-ci pourraient prsenter de pernicieux. L'art ne pourrait-il
pas produire des passions artificielles capables de nous occuper
dans le moment que nous les sentons et incapables de nous causer
dans la suite des peines relles et des afflictions vritables
(2).
Et plus loin, Dubos ajoute : ... les premiers peintres et les pre-
miers potes n'ont song peut-tre qu' flatter nos sens et notre
imagination, et c'est en travaillant pour cela qu'ils ont trouv le
moyen d'exciter dans notre cur des passions artificielles
(3).
Une fois ce point bien tabli, Dubos largit son cercle. Les artistes
excitent en nous ces passions artificielles en nous prsentant les
imitations des objets qui exciteraient en nous des passions vri-
tables. L'impression de l'objet imit ne diffre de l'impression que
l'objet lui-mme produirait sur nous, que par la force. L'imita-
tion agit toujours plus faiblement que l'objet imit
(4).
Le plaisir qu'on sent voir les imitations que les peintres et les
potes savent faire des objets qui auraient excit en nous des pas-
sions dont la ralit nous aurait t charge, est un plaisir pur. Il
n'est pas suivi des inconvnients dont les motions srieuses qui
auraient t causes par l'objet mme, seraient accompagnes (o).
Dans l'art, l'affliction n'est pour ainsi dire que sur la superficie
de notre cur, et nous sentons bien que nos pleurs finiront avec la
reprsentation de la fiction ingnieuse qui les fait couler
(0).
.
(i) Loc. cit., vol. I, p. 12.
(2)
Loc. cil., vol. I, p.
23.
(3)
Loc. cit., vol. I, p. 26.
(4)
Loc. cit., vol. I, p. 51.
(o) Loc. cit., vol. I, p. 28.
(6)
Loc. cit., vol. I, p.
29-30,
20
LES GRANDS SYSTMES
Ainsi les imitations que l'art nous prsente, nous touchent avec
moins de force, de profondeur et de duret que les objets mmes
;
c'est l un avantage car les passions excites en nous n'ont pas des
effets funestes. Mais

et c'est l une dduction fort logique

il
faut toujours un minimum de passion mme dans l'imitation.
L'imitation ne saurait donc nous mouvoir quand la chose imite
n'est point capable de le faire
(1).
Et ici Dubos fait intervenir un
autre facteur essentiel de l'uvre d'art : l'intrt. Il faut que l'u-
vre nous intresse.
Dubos condamnera le paysage, comme ne prsentant pas assez
d'intrt. Le plus beau paysage, fut-il du Titien et du Carrache,
ne nous meut pas plus que le ferait la vue d'un canton de pays
affreux ou riant : il n'est rien dans un pareil tableau qui nous en-
tretienne pour ainsi dire
(2).
Il avoue d'ailleurs qu'on peut admi-
rer une uvre d'art rien que pour l'excution
mais il met cela
au second plan.
Or, cette ide de Dubos, on pourrait l'envisager aujourd'hui
comme un blasphme

ou plutt comme la divagation d'un
philistin . On aurait tort de le faire

et cela pour plusieurs
raisons. Et tout d'abord parce qu'on oublierait quelle poque
Dubos vivait

et qu' cette poque on n'avait pas le sentiment de
la nature. 11 faut attendre le milieu du xvra
e
sicle, il faut atten-
dre Rousseau, pour que ce sentiment apparaisse. Est-ce l'influence
de Descartes, comme on l'a soutenu
(3),
qui empchait qu'on
prouvt des motions devant la nature? Peut-tre, est-ce le sub-
jectivism gnral du xvn
e
sicle
;
on prfre le sujet l'objet
;
chez Descartes lui-mme c'est Dieu qui prouve la nature. Peut-
tre, est-ce cet idalisme gnral de l'poque. Toujours est-il que
Poussin essaie de faire de la philosophie dans son Arcadie et que
les jardins, hlas ! deviennent des schmas gomtriques. On ne
sentait pas la nature et nous ne devons pas condamner Dubos
parce qu'il ne trouve pas le paysage intressant.
Mais aujourd Lui mme combien de gens s'intressent au pay-
sage? Une minorit. Or, pourquoi la science esthtique ne tien-
drait-elle pas compte de la majorit ? Les thories artistiques ont
le droit d'tre clectiques, d'tre aristocratiques mais la science
(1)
Loc. cit., p. 51.
(2)
Loc. cit.,
p. 52.
(3)
Krantz, YEsthtique de Descartes, etc. Livre IV.
l'abb dubos
21
doil tenir compte de tous les faits et surtout (1rs faits rudimen-
taires et arrts dans leur volution. Le fait que Dubos signale
dj

qu'on ne s'intresse pas au paysage

est un fait de ce
genre et en plus un fait grbs de Consquences.
Nous devons louer
l'abb Dubos d'avoir attir, le premier, notre attention sur ce
phnomne.
Aprs cette question de dtail, nous voyons la thorie de Dubos
apparatre dans son ensemble : l'homme, pour fuir l'ennui, recher-
che les passions qui ont des effets funestes

l'art lui procure, par
une imitation intressante, les motions artificielles.
D'autres, avant Dubos, avaient fait remarquer le caractre arti-
ficiel de l'art
(1).
C'est Pascal
(2),
c'est Bossuet dans sa Lettre au
P. Cafaro
(3),
c'est Lamotte
(4),
c'est Nicolle signalant le danger
moral des motions dramatiques qui sont trop artificielles
(5),
c'est
Fonlenelle (6)

mais c'est l'abb Dubos qui le premier a insist
sur cet artifice de l'art

c'est lui qui a donn une analyse pro-


fonde et psychologique de l'motion artistique.
La thorie des motions artificielles ressemble d'une faon ton-
nante la thorie du jeu dans l'art, expose par Kant et surtout
par Schiller et remanie par Spencer. La conception de Dubos,
purement psychologique, nous semble suprieure celle de Schiller
dont le moindre dfaut est l'imprcision et le vague. Mais, sur-
cette question, nous aurons plus d'une fois l'occasion de revenir
pour prciser nos ides. Disons, en rsum, que, pour nous, l'abb
Dubos reste le prcurseur de toutes les thories modernes qui en-
visagent l'art comme un jeu, une fiction ou un mensonge.
Si l'on s'arrtait cette seule thorie de l'artifice de l'art, on ne
connatrait qu'une minime parcelle de la pense de Dubos.
Le pote ou le peintre, avons-nous dit, doit nous mouvoir, lou-
cher notre me

c'est l le but de l'art. Or, pour cela il faut qu'il


(1)
Nous avons trouv ces renseignements
dans le livre trs document de
M. Braunschvig,
l'Abb Dubos, rnovateur de la critique au xviii* sicle,
1904 (Thse).
(2)
Penses. Ed. Havet, art. XXV, 26.
(3)
Lettre au Pre Cafaro, 9 mai 1694,
propos du thtre.
(4)
Discours sur la posie en gnral, etc.
(5)
Essais de morale. Penses sur les spectacles, 1671.
(6)
Rflexions sur la politique. Chap.
XXXVI (d. 1766.
(ouvres, t. III,
p.
161-162).
,..
.
Fnlon aussi voyait dans l'art un jeu. Consulter : Paul Bastier,
l'enelon
critique d'art, 1903, p.
19-21.
22 LES GRANDS SYSTMES
invente ou, comme nous dirions aujourd'hui, qu'il cre des
formes nouvelles et originales. Mais pour crer il doit avoir du
gnie. Qu'est-ce que le gnie ?
On appelle gnie, nous dit Dubos, l'aptitude qu'un homme a
reue de la nature pour faire bien et facilement certaines choses
que les autres ne sauraient faire que trs mal, mme en prenant
beaucoup de peine
(1).
On n'acquiert point la disposition d'es-
prit dont je parle
;
on ne l'a jamais si on ne l'a point apporte en
naissant
(2).
C'est un point capital, et sur lequel Dubos insiste particulire-
ment, que le gnie est un don de la nature
;
la nature et non pas
l'ducation fait les potes
(3).
Le gnie est donc une plante,
crit ailleurs Dubos, qui, pour ainsi dire, pousse d'elle-mme;
mais la qualit, comme la quantit des fruits, dpendent beaucoup
de la culture qu'elle reoit
(4).
Voici donc que le gnie, qui est par excellence la spontanit,
l'indtermination, a des racines qui poussent dans un milieu

le
gnie peut tre dtermin, non dans ce qu'il a de profond, mais
dans ce qu'il a de secondaire. Nous ne pourrons pas saisir son
essence

pas plus que nous ne comprenons la vie

mais nous
pourrons saisir les causes secondes qui dterminent son apparition
et son volution.
Or, c'est l exactement l'uvre de la science

elle ne tche pas
de comprendre le premier principe des choses, mais les causes
secondes. La vraie science ne se demande pas : Qu'est-ce que la vie ?
car jamais elle ne pourrait rpondre cette question, mais elle
dtermine des points de repre, des causes secondes qui facilitent
la comprhension des phnomnes qui nous entourent.
Le gnie,, avons-nous dit, est une plante qui pousse d'elle-mme.
Nous ne comprendrons jamais la force mystrieuse qui fait grandir-
la plante, mais essayons d'examiner le sol d'o elle tire les subs-
tances indispensables sa vie. C'est ce que Dubos fait.
Tous les pays sont-ils propres produire de grands potes
et de grands peintres? N'est-il point des sicles striles dans les
pays capables d'en produire?
(5).
Dans cette interrogation, Du-
(1)
Loc. cit., vol. II, p. 7.
(2)
Loc. cit., vol. II, p. 8.
(3)
Loc. cit., vol. II, p. 30.
(4)
Loc. cit., vol. II, p. 43.
(5)
Loc. cit., vol. II, p.
145.
l'abb dubos 23
bos pose hardiment le problme du milieu et du moment. Nous
verrons qu'il ne nglige pas celui de la race.
En mditant sur ce sujet

crit ce modeste homme de science

il m'est souvent venu dans l'esprit plusieurs ides que je recon-


nais moi mme pour tre plutt de simples lueurs que de vritables
lumires... Mais il se trouve assez de vraisemblance dans mes ides
pour en discourir avec le lecteur
(1).
Et Dubos dveloppe longue-
ment et avec profondeur une thorie sur l'apparition et l'volution
du gnie qui. n'tant gure infrieure celle de laine, a l'avantage
apprciable d'tre son ane de cent cinquante ans peu prs.
Il est bien entendu que le gnie apporte en naissant des qualits
qui chappent toute analyse et qui constituent son essence. Mais
on peut cependant discerner des causes gnrales qui ont une
influence sur lui et parmi lesquelles l'auteur distingue les causes
morales et les cames physiques.
J'appelle ici causes morales celles qui oprent en faveur
des arts, sans donner rellement plus d'esprit aux artisans, et en
un mot sans faire dans la nature aucun changement physique,
mais qui sont seulement pour les artisans une occasion de perfec-
tionner leur gnie, parce que ces causes leur rendent le travail
plus facile, et parce qu'elles excitent par mulation et par les r-
compenses, l'tude et l'application
(2).
Ces causes morales

que nous appellerions aujourd'hui
avantages matriels

aident les artistes, mais leur influence est
tout fait secondaire. .... il
y
a des temps o les causes morales
n'ont pas pu former des grands artisans, mme dans les pays qui
en d'autres temps en ont produit avec facilit, et pour parler ainsi
gratuitement. La nature capricieuse, ce qu'il semble, n'y fait
natre ces^grands artisans que lorsqu'il lui plait
(3).
Et ces con-
clusions, Dubos les tire, aprs avoir examin attentivement les
quatre grands sicles des arts : la Grce avant le rgne de Phi-
lippe, Rome l'poque de Csar et d'Auguste, le sicle de Jules 11
et de Lon X, enfin celui de Louis XIV.
Dubos, aujourd'hui, ne serait gure partisan du darwinisme; il
se rapprocherait de la thorie des mutations brusques de Hugo de
Vries. Les beaux arts n'obissent pas l'volution lente mais pr-
sentent des progrs subits. .... les arts parviennent leur lva-
(1)
Loc. cit., vol. II, p.
I4ti.
(2)
Loc. cit., vol. II, p. 130.
(3)
Loc. cit., vol. II, p.
162-163.
24 LES GRANDS SYSTMES
tion par un progrs subit,... et le effets des causes morales ne les
sauraient soutenir sur le point de perfection o ils semblent s'tre
levs par leurs propres forces
(1).
Ailleurs, il crit : ... il arrive
des jours o les hommes portent en peu d'annes, jusqu' un point
de perfection surprenant, les arts et les professions qu'ils culti-
vaient presque sans aucun fruit depuis plusieurs sicles. Ce pro-
dige survient sans que les causes morales fassent rien de nouveau
quoi l'on puisse attribuer un progrs si miraculeux
(2).
Dubos
accepte mme une solution de continuit dans l'volution des arts.
Enfin, le gnie des arts et des sciences disparait jusqu' ce que la
rvolution des sicles le vienne encore tirer une autre fois du tom-
beau, o il semble qu'il s'ensevelisse pour plusieurs sicles, aprs
s'tre montr durant quelques annes
(3).
Considrons donc l'action des causes physiques . Notre me
dpend de notre sang et notre sang de l'air que nous respirons.
L'air, le climat et les manations du sol ont une influence sur le
gnie. Aprs tout ce que je viens d'exposer, il est plus que vrai-
semblable que le gnie particulier chaque peuple dpend des qua-
lits de l'air qu'il respire. On a donc raison d'accuser le climat de
la disette de gnies et d'esprits propres certaines choses, qui se
fait remarquer chez certaines nations
(4).
Trs longuement, Dubos expose cette thse et essaie de la ratta-
cher la thorie des esprits animaux qu'il emprunte Descartes.
Ces thories physiologiques de Dubos sont insuffisantes, et il ne
faut pas lui en faire un crime,

la science physiologique, son
poque, se trouvait l'tat embryonnaire. Mais Dubos met bien en
lumire, tout d'abord, que notre constitution physique influe sur
notre production intellectuelle, et que les conditions extrieures
jouent un rle considrable dans notre vie mentale.
Il s'appuie, pour faire sa dmonstration, sur des faits prcis et
indniables

et, comme tout homme de science, il ne prsente son


explication qu' titre hypothtique et provisoire. Il avertit le lec-
teur, dans une phrase remarquable, de mettre une grande dil
(1)
Loc. cit., vol. II, p. 174.
(2)
lbid.
(3)
Loc. cit., vol. II, p. 186.
(4)
Loc. cit., vol. II, p. 288. Il pousse sa thorie jusqu'au paradoxe : ...on
peut dire, eu effet, que notre esprit marque l'tat prsent de l'air avec une exac-
titude rapprochant celle du baromtre et du thermomtre . Loc. cit., vol. II,
p. 244.
l'abb dubos 25
rence entre les faits rapports. et les explications que je vais
hasarder. Quand les explications physiques de ces faits ne seraient
point nonnes, mon erreur sur ce point-l n'empcherait pas que les
faits en fussent vritables
(1).
Voici, en somme, le rsum des conclusions de Dubos, dans une
phrase o il indique trs bien les trois facteurs dterminant l'appa-
rition du gnie : la race, le milieu et le moment : Ne peut-on pas
soutenir, pour donner l'explication des propositions que nous avons
avances et que nous avons tablies sur des faits constants, qu'il
est des pays o les hommes n'apportent point en naissant les dis-
positions ncessaires pour exceller en certaines professions, ainsi
qu'il est des pays o certaines plantes ne peuvent russir? Ne
pourrait-on pas soutenir ensuite, que comme les graines qu'on
sme, et les arbres qui sont dans leur force, ne donnent pas toutes
les annes un fruit galement parfait dans les pays o ils se plai-
sent davantage, de mme les enfants levs sous les climats les
plus heureux, ne deviennent pas dans tous les temps des hommes
galement parfaits ? Certaines annes ne peuvent-elles pas tre plus
favorables l'ducation physique des enfants que d'autres annes,
ainsi qu'il est des annes plus favorables que d'autres annes la
vgtation des arbres et des plantes? En elet, la machine humaine
n'est gure moins dpendante des qualits de l'air d'un pays, des
variations qui surviennent dans ces qualits, en un mot, de tous
les changements qui peuvent embarrasser ou favoriser ce qu'on
appelle* les oprations de la nature, que le sont les fruits mmes.
Comme deux graines venues sur la mme plante donnent un fruit
dont les qualits sont diffrentes, quand ces graines sont semes
en des terroirs 'diffrents, ou bien quand elles sont semes dans le
mme terroir en des annes diffrentes : ainsi deux enfants qui
seront ns avec leurs cerveaux composs prcisment de la mme
manire, deviendront deux hommes diffrents pour l'esprit et pour
les inclinations, si l'un de ces enfants est lev en Sude et l'autre
en Andalousie. Ils deviendront mme diffrents, bien qu'levs
dans le mme pays, s'ils sont levs en des annes dont la tem-
prature soit diffrente
(2).
Certainement l'ide de l'influence des conditions extrieures sur
l'homme tait dans l'ambiance intellectuelle de l'poque. Mme des
(1)
Loc. cit., vol. II, p.
241.
(2)
Loc. cit., vol. II, p.
237-238.
26
LES GRANDS SYSTMES
gens de second ordre en parlaient. M
me
Dacier n'crivait-elle pas
dans ses Causes de la corruption du got
(1714) : il
y
a des nations
si heureusement' situes, et que le soleil regarde si favorablement,
qu'elles ont t capables d'imaginer et d'inventer elles-mmes, et
d'arriver la perfection .
Nous trouvons des ides analogues chez Fontenelle, que Dubos
cite
(1) ;
et l'poque de Fontenelle, pour ne pas remonter jusqu'
Hippocrate ou Lucrce
(2),
Fnelon avait exprim les mmes ides
avant Dubos et, aprs lui, Montesquieu les a reprises et largies.
Le mrite de Dubos reste pourtant immense. 11 a su appliquer
ces ides avec profondeur, l'uvre d'art et au gnie crateur, en"
les largissant et en les appuyant sur un nombre trs considrable
de faits indiscutables

se laissant toujours guider par des prin-
cipes rellement scientifiques.
Dubos a essay de dterminer les causes extrieures qui influent
sur l'volution du gnie mais il a respect le gnie dans son
essence et son individualit spontane, impntrable et irrductible
chose que Taine oubliera de faire. En examinant l'uvre de ce
dernier, nous aurons l'occasion de revenir sur ce point et de com-
f1)
Voici le passage que Dubos cite : Les diffrentes ides sont comme des
plantes et des fleurs qui ne viennent pas galement bien en toutes sortes de cli-
mats. Peut-tre notre terroir de France n'est-il pas propre pour les raisonnements
que font les Egyptiens, non plus que pour leurs palmiers, et sans aller si loin,
peut-tre que les orangers qui ne viennent pas ici aussi facilement qu'en Italie,
marquent-ils qu'on a en Italie un certain tour d'esprit que l'on n'a pas tout fait
semblable en France. 11 est toujours sr que par l'enchanement et la dpendance
rciproque qui est entre toutes les parties du monde matriel, les diffrences de
climat qui se font sentir dans les plantes doivent s'tendre jusques aux cerveaux
et
y
faire quelque effet . Loc. cil., vol. II, p. 149.
(2) Comme le fait, dans son excellent livre, Braunschvig, d'o nous tirons ces
quelques renseignements. Il indique :
Hippocrate, Des vents, eaux, etc. Ed. Littr, 1840, t. III, p. 90.
Lucrce, De natura rerum, livre VI, vers 1103-1113.
Jean Bodin, Les six livres de la Rpublique
(1583), p. 663-604.
Corneille, Cinna
(1640), acte II, scne I.
Boileau, Art potique, ch. III, vers 114.
Malebrancbe, Recherche de la vrit (1674), livre II,
1" partie, chap. III (Ed.
Charpentier,
1842, t. II, p. 102).
La Bruyre, les Caractres, ch. II, du Cur.
Bouhours, Entretiens d'riste et d'Eugne (1671).
4 Entretien : Le bel esprit
(Nouvelle d., 1748, p. 275-294).
Fontenelle, Digression sur les anciens et les modernes (1688). uvres, t. II,
p. 126. La Haye, 1728.
Fnelon, Lettre sur les occupations de l'Acadmie (1713), ch. IV. Projet de
rhtorique.
Pour Fnelon, consulter : Paul Bastier, Fnelon critique d'art, 1903, p.
19-21.
l'abb DUIlOS 27
parer l'crivain du commencement du xvm" sicle avec celui de
la fin du xix
e
.
L'abb Dubos, dans ses Rflexions critiques, a t amen tout
naturellement vouloir dlimiter le domaine de la peinture et de
la posie. Il
y
a des sujets propres la peinture et d'autres plus
avantageux pour la posie.
Pour faire mieux comprendre la diffrence essentielle qui existe
entre ces deux arts, Dubos donne plusieurs exemples que l'on
pourrait rsumer en disant que le peintre travaille dans l'espace et
le pote dans le temps. Le peintre doit prsenter un moment unique
d'une action, dans l'espace
;
le pote, ayant l'avantage de la suc-
cession, peut prsenter diffrentes phases d'une action ou plusieurs
actions. Un pote, crit Dubos, peut employer plusieurs traits
pour exprimer la passion et le sentiment d'un de ses person-
nages
(1).
11 n'en est pas de mme du peintre qui ne peint
qu'une seule fois, chacun de ces personnages, et qui ne saurait
employer qu'un trait pour exprimer une passion sur chacune des
parties du visage o cette passion doit tre rendue sensible (2).
Ainsi, la distinction de la posie et de la peinture, fonde sur le
temps et l'espace, est faite en France cinquante ans avant que le
Laocoon de Lessing soit imprim en Allemagne. Seulement nous
ne devons pas exagrer le mrite de Dubos (3).
Tout d'abord, Du-
bos se place au point de vue technique et donne surtout des con-
seils de mtier, ensuite d'autres, avant notre auteur, avaient fait
des constatations souvent analogues.
Inutile de remonter jusqu' Horace, dont le ut pictura poesis
figure en tte du livre de Dubos
(4).' Roger de Piles, dans son
(1)
Loc. cit., vol. I, p. 89.
(2)
lbid.
(3)
Braunschvig, dans son livre sur Dubos, nous semble exagrer l'originalit
de l'auteur tudi

au moins propos de cette question.
(4)
Braunschvig cite quelques auteurs qui out dvelopp une ide analogue
celle de Dubos sur la distinction de la posie et de la peinture. Simonide, rap-
port par Plutarqne, De gloria lhenensium, c. III, p. 346 F. et cit par Cic-
ron, ad Herennium, 4, 28, 39. La posie est une peinture parlante, et la
peinture une posie muette .
Aristote, Art potique, ch. II, chap. VI et chap. XIV.
Cicron, Brutus caput, XVIII.
Quintilien, De institutione orator, cap. 13, liv. II.
Perrault, Parallle des anciens et des modernes.
Fnelon, Lettre sur les occupations de l'Acadmie, ch. V.
Braunschvig, dans cette liste si complte, oublie de citer le passage de
Roger de Piles que nous copions
;
il oublie aussi un fragment d'une confrence
28 LES GRANDS SYSTMES
Cours de peinture, qui est de 1708, et dans le chapitre intitul : O
l'on examine si la posie est prfrable la peinture, crivait plusieurs
annes avant Dubos : D'ailleurs, la peinture se dveloppe et nous
claire en se faisant voir tout d'un coup : la posie ne va son
but et ne produit son effet qu'en faisant succder une chose une
autre
(1).
Et de Piles ajoute : Je ne veux point ici omettre une
chose qui est en faveur de la posie
;
c'est que les pisodes font
d'autant plus de plaisir dans la suite d'un pome qu'elles {sic)
y
sont insres et lies imperceptiblement; au lieu que la peinture
peut bien reprsenter tous les faits d'une histoire par ordre en mul-
tipliant ses tableaux : mais elle n'en peut faire voir ni la cause, ni
la liaison
(2).
Dubos, toujours en comparant la posie et la peinture, pensait
que la peinture agit avec plus de force sur l'esprit, parce que, tout
d'abord, elle agit parla vue qui est le sens impressionnant l mieux
l'me, et en second lieu parce que la peinture emploie des signes
naturels contrairement la posie qui n'emoloie que des sym-
boles
(3).
La manire mme dont est pos ce problme d'ordre purement
psychologique, devait montrer suffisamment que la question est
vide de sens et ne prsente aucun intrt scientifique. Braunschvig,
pourtant, dans son tude que nous avons cite, combat avec achar-
nement l'opinion de Dubos. Mme le paralllisme de la posie et de
la peinture, vieux problme pos dj par Horace et n'ayant jamais
donn le moindre rsultat rel, nous parat une question assez
creuse et n'ayant qu'un intrt purement historique. Il n'tait pas
envisag de la mme faon pendant le xvm
e
sicle. Nous voyons
que le comte Caylus, Voltaire
(4),
Diderot
(5)
et Grimm s'en occu-
pent, et mme un homme, oubli aujourd'hui, Jacques Bonnet,
de Le Brun, antrieure l'uvre de Piles

fragment fort significatif et que
nous citons plus loin.
(1)
Cours de peinture, 1708, p. 449.
(2)
lbid.
(3)
Le passage de Dubos se trouve au premier volume de ses Rflexions, p. 392.
Le voici : Je crois que le pouvoir de la peinture est plus grand sur les hommes
que celui de la posie, et j'appuie mon sentiment sur deux raisons. La premire
est que la peinture agit sur nous par le sens de la vue. La seconde est que la
peinture u'emploie pas des signes artificiels ainsi que le fait la posie, mais bien
des signes naturels. C'est avec des signes naturels que la peinture fait ses imita-
tions .
(4)
Articles : Pote, Imagination, des Questions sur l'Encyclopdie.
(5)
Lettres sur les sourds et muets, etc.
LABB DU nos
29
en 17i:i. crit, faisant suite son histoire de la danse, tout un
Parallle de la peinture et de la posie (I). Nous ne donnons p;is
la
liste de ceux qui crivirent sur le mme sujet la mme poque,
en Angleterre, en Italie et en Allemagne. Lessing est celui qui a
le mieux rsum toute cette question, dont il faudrait
peut-tre
voir L'origine dans une discussion acadmique que dirigeait Le
Brun, naturellement, et au cours de laquelle ce chef de la doctrine
acadmique expliqua ses auditeurs que l'crivain reprsente
successivement telle action qui lui plat , tandis que le peintre
n'ayant qu'un instant dans lequel il doit peindre la chose qu'il veut
figurer, pour reprsenter ce qui s'est pass dans ce moment-l, il
est quelquefois ncessaire qu'il peigne ensemble beaucoup d'inci-
dents qui aient prcd afin de faire comprendre le sujet qu'il
expose
(2).
Et cela se passait plusieurs annes avant que le
Cours de Roger de Piles vit la lumire.
Dans les Rflexions critiques de l'abb Dubos, il
y
a plusieurs
questions de dtail, comme celle du paralllisme de la posie et de
la peinture. Nous l'avons dit, ce livre manque d'unit, il ne forme
pas un systme proprement dit. Il
y
a cependant une ide essen-
tielle, qu'on retrouve presque partout et qui constitue le leitmotiv
du livre entier.
L'art, selon Dubos, pour exciter les passions artificielles, doit
toucher et plaire. On ne juge donc pas les uvres d'art par la voie
du raisonnement mais par le sentiment. Le critre de l'uvre d'art
est le sentiment

c'est l l'ide la plus profonde du livre de
Dubos; il
y
revient plusieurs reprises et longuement; il l'exa-
mine sous tous ses aspects si bien qu'il arrive se contredire lui-
mme.
Tout d'abord, si le critre de l'art rside dans le sentiment, l'in-
dividu devient le seul juge suprme et comptent de ce qu'il sent.
Dubos se rapproche ainsi de l'impressionnisme moderne. Les rai
sonnements des autres peuvent bien nous persuader le contraire de
ce que nous croyons, mais non pas de ce que nous sentons
(3).
A propos d'une rivalit entre peintres, Dubos crit cette phrase
significative : Mais la question, si Le Brun est prfrable au
(1)
Bonnet, d'ailleurs, copie le livre de l'abb Dubos.
(2)
Cit par Andr Fontaine, les Doctrines d'art en France de Poussin
Diderot, 1909, p.
77-78.
(3)
Loc. cit., vol. I, p. 295.
30 LES GRANDS SYSTMES
Titien.... je tiens qu'il est inutile de l'agiter. Jamais les personnes
d'un sentiment oppos ne sauraient s'accorder sur cette prmi-
nence dont on juge toujours par rapport soi-mme.... Le plus
grand peintre pour nous, est celui dont les ouvrages nous
font le plus
de plaisir
(1).
Ces passages ne laissent aucun doute sur la pense de Dubos. En
voici un autre encore plus significatif : Puisque le premier but
de la posie et de la peinture est de nous toucher, les pomes et les
tableaux ne sont de bons ouvrages qu' proportion qu'ils nous
meuvent et nous attachent... Or, le sentiment enseigne bien mieux
si l'ouvrage touche et s'il fait sur nous l'impression que doit faire
un ouvrage, que toutes les dissertations composes par les criti-
ques pour en expliquer le mrite et pour en calculer les perfections
et les dfauts. La voie de discussion et d'analyse... ne vaut pas
celle du sentiment lorsqu'il s'agit de dcider cette question
(2).
Dubos rsume, avec force, sa pense : L'ouvrage plat-il ou ne
plat il pas? La dcision de la question n'est point du ressort du
raisonnement
(3).
Raisonne-ton pour savoir si le ragot est bon
ou s'il est mauvais?... Il en est de mme en quelque manire des
ouvrages d'esprit et des tableaux faits pour nous plaire en nous
touchant
(3).
Dubos, pour mieux marquer son ide, appelle le
sentiment qui juge des uvres d'art, un sixime sens. Certaine-
ment ce n'est qu'une mtaphore par analogie et le conseiller Bel
qui critiqua Dubos pour ce deus et machina ne montra que son
incomprhension complte de la thorie de Dubos ou sa mauvaise
foi
(4).
(1)
Loc. cit., vol. I, p.
486-487.
(2)
Loc. cit., vol. II, p.
323-324. Ailleurs il crit : Vouloir juger d'un pome
par voie de raisonnement, c'est vouloir mesurer un cercle avec une rgle. Qu'o
prenne donc un compas, qui est l'instrument propre le mesurer. (Loc. cit.,
vol. II, p. 369).
(3)
loc. cit., vol. II, p. 324-325.
(4)
Nous pensons que Bel n'a gure compris la thorie de Dubos. Son livre a
paru en 1726 et est intitul : Dissertation o l'on examine le systme de
M. l'abb Dubos louchant la prfrence que l'on doit donner au got sur la
discussion, pour -en juger des ouvrages d'esprit. Pour Bel, ce que Dubos
appelle sentiment n'est qu'une discussion prompte . Il dit : En elet, ce sen-
timent n'est que l'impression produite, dans leur esprit, par une comparaison
subite et des ides qu'elles reoivent de l'ouvrage, et de celles qu'elles ont
acquises, soit par la rflexion, soit par la lecture, soit par le commerce du
monde. Or, c'est l une discussion bien marque. (Loc. cit., p. 22-23). Pour
Bel, le sentiment tant une a discussion prompte ou,- si l'on veut, un jugement
superficiel, il conclut : qu'une discussion exacte et approfondie est suprieure
L ABB DUBOS
31
Ce sixime sens peul prter l'quivoque; Dubos arrive
pourtanl exprimer sa pense dans nue formule admirable : nous
jugeons des
uvres d'art en tenant
compte de notre
exprience
intrieure. La rputation d'un pome s'tablit parle plaisir qu'il
fait ceux qui le lisent. Elle s'tablit par voie de sentiment. Ainsi
comme l'opinion que ce pome est un ouvrage excellent, ne saurait
prendre racine ni s'tendre qu' l'aide de la conviction intrieure et
mane de la propre exprience de ceux qui la reoivent, on peut
allguer le temps qu'elle a dur pour une preuve qui montre que
cette opinion est tablie sur la vrit mme
(1).
C'est partir de l que l'on peut observer une contradiction ou,
tout au moins, une volution sensible, dans la pense de Dubos.
D'une part, Dubos dclare que nous jugeons en matire artistique,
par voie de sentiment et que le sentiment est chose par excellence
personnelle et variant avec les individus
(2),
mais, d'autre part, il
ne peut nier le fait que tous les individus admirent certains chefs-
d'uvre. Or, devant cette difficult, l'aide d'un nouveau facteur,
le temps, et par un tour de passe-passe assez intelligent, Dubos
l'impressionniste devient dogmatique.
Tout d'abord, il n'est pas vrai, nous dit-il, que les hommes dn-
rent dans leurs jugements fonds sur le sentiment. C'est en ju-
geant par la raison que l'on n'arrive pas s'entendre. Aussi
voyons-nous que les hommes qui ne s'accordent pas sur les choses
dont la vrit s'examine par voie de raisonnement, sont d'accord
sur les choses qui se jugent par voie de sentiment
(3). De plus,
si les hommes ne sont pas d'accord tout de suite sur la valeur
une discussion subite et momentane . Nous croyons que Bel, dans cette
critique polie, spirituelle et srieuse d'ailleurs, n'arrive montrer que sou in-
comprhension absolue du fait que l'on peut juger par le sentiment.
(1)
Loc. cit., vol. II, p. 493.
(2)
Voici les passages : La prdilection qui nous fait donner la prfrence
une partie de la peinture sur une autre partie, ne dpend donc poiut de notre
raison, non plus que la prdilection qui nous fait aimer un genre de posie pr-
frablement aux autres. Cette prdilection dpend de notrrgot, et notre got
dpend de notre organisation, de nos inclinations prsentes, et de la situation de
notre esprit (Loc. cit., vol. I, p. 489). Ailleurs, il crit : Le sentiment dont
je parle est dans tous les hommes, mais comme ils n'ont pas tous les oreilles et
les yeux galement bons, de mme ils n'ont pas tous le sentiment galement
parfait. Les uns l'ont meilleur que les autres, ou bien parce que leurs organes
sont naturellement mieux composs, ou bien parce qu'ils l'ont perfectionn par
l'usage frquent qu'ils en out fait et par l'exprience {Loc. cit., vol. II, p. 352).
(3)
Loc. cit., vol. II, p. 493.
32
LES GRANDS SYSTEMES
d'une uvre d'art, le temps nivelle les opinions et les jugements et
l'unanimit apparat un peu plus tard.
D'ailleurs cette unanimit est le meilleur critre de l'excellence
de l'uvre. Ainsi le pome qui a plu tous les sicles et tous
les peuples passs, est rellement digne de plaire... Plus loin,
Dubos crit : Or, s'il peut
y
avoir quelque question sur le mrite
et sur l'excellence d'un pome, elle doit tre dcide par l'impres-
sion qu'il a faite sur tous les hommes qui l'ont lu durant vingt
sicles
(1).
Au fond, si nous mettons part ce facteur temps, il
y
a une
contradiction chez Dubos, contradiction qui se retrouve aussi dans
la ralit. Cette contradiction peut se rsumer ainsi : si le senti-
ment juge en dernier ressort en matire d'art

comme le senti-
ment est chose par excellence individuelle

les jugements de-
vraient tre aussi diffrents que les individus qui les prononcent et
non pas peu prs identiques et universels, comme Dubos le sou-
tient. Mais un fait analogue s'observe dans la ralit. Les juge-
ments
_
provenant du sentiment ou de la raison, peu importe

diffrent tout d'abord pour s'unifier, plus ou moins, plus tard.
La contradiction n'en subsiste pas moins dans la thorie de
Dubos. Le facteur temps n'tant pas suffisant et ne la faisant pas
disparatre
intgralement, il faudrait largir le concept sentiment
et
y
admettre des lments rationnels. Dubos n'en a rien fait
;
peut-
tre ne s'tait-il pas mme aperu de cette contradiction. La valeur
de ses thories reste pourtant considrable. Certainement, par ce
sentiment comportant l'universalit et l'infaillibilit, Dubos est
dogmatique en partie

mais il est surtout ractionnaire pour son
temps, impressionniste comme nous dirions aujourd'hui, quand il
dclare la possibilit de juger en matire d'art par le sentiment.
Or, n'oublions pas quelle poque Dubos crivait. N'oublions
pas surtout que quelques annes avant lui, les futuristes de son
temps, les modernes de la seconde phase de la fameuse querelle ,
s'levaient contre les anciens en se fondant, non pas sur leur sen-
timent

comme il semblerait logique

mais exclusivement sur
la raison.
On juge dogmatiquement et rationnellement les uvres d'art
pendant tout le xviii sicle et l'poque de Dubos et mme aprs

c'est -dire, on les juge l'aide des rgles fixes, immuables et


(1)
Loc. cit., vol. II, p. 504.
l'abb dubos 33
parfaites, seule sauvegarde du type de la beaut en soi. La raison

dans ce domaine comme partout ailleurs

rgne alors souve-


rainement.
Si quelques crivains, sporadiquement, ont protest

c'est,
coup sr, sans insister, et peut-tre l'ont ils fait sans conviction (1).
Molire, Racine, Boileau et surtout Saint-Evremond ont dit qu'il
faut plaire ;
mais, c'est dans des rares passages dtachs et sans
porte qu'on trouve cette ide. L'abb Dubos, le premier incontesta-
blement, s'attache l'ide que le sentiment est le juge suprme en
matire artistique ;
il en fait le motif directeur et le fondement de
son livre. On ne saurait trop apprcier l'originalit de cette ide,
la richesse des lments nouveaux qu'elle renfermait et les cons-
quences pratiques qui pouvaient en dcouler. Nous avions vu que
Crousaz parlait du sentiment, mais c'est la raison qu'il difiait
;
Dubos ne parle de la raison, dans toutes ses manifestations, en
matire de jugement artistique, que pour la combattre
;
c'est au
sentiment qu'il lve un autel. L'volution est considrable.
Voici, en somme, le rsultat des recherches de l'abb Dubos sur
l'art :
1
Le plaisir que procurent le pathtique et l'art en gnral,
s'explique par les passions artificielles quMls font natre en nous.
Cette
thorie est peu prs identique celle du jeu.
2
Le gnie artistique, tout en tant dans son essence spontan,
peut tre dtermin. Les facteurs qui doivent tre pris en consid-
ration sont : le milieu moral ou physique et le moment. Il est inu-
tile de rappeler longuement la conformit de cette conception avec
celle de Taine.
3
La dilrence de la peinture et de la posie doit tre fonde
sur la distinction de Vespace, domaine de la premire, et du temps
qui appartient la seconde.
4
Le sentiment est le seul guide sr en art.
5
Enfin, des remarques sur le gnie aussi bien que de celles sur
le sentiment conu comme critre de l'uvre d'art, il ressort l'ide
de la relativit de l'art. Nous avons dj trouv
cette ide, sous un
de ses aspects, timide et craintive, dans le livre de Crousaz
;
la
beaut rsultait des relations
dtermines du sujet
contemplant et
de l'objet contempl. Chez Dubos, le problme se complique
encore
(1)
Consulter : Braunscnvig, L'abb Dubos, etc. (une liste assez complte) et
Krantz, Essai sur l'esthtique de
Descartes, etc. Le livre de Krantz entier
pourrait tre rattach cette question.
34 LES GRANDS SYSTMES
plus. La beaut dpend d'une part de nous qui jugeons, de notre
sentiment, mais elle dpend aussi de l'artiste crateur, de son gnie.
Telles sont donc les ides matresses du remarquable livre de
l'abb Dubos. Il nous parat, maintenant, inutile de porter un ju-
gement d'ensemble sur cette uvre gniale. Il suffit de dire que
Dubos a t le prcurseur de tous ceux qui comptent en matire
esthtique : de Schiller et de Spencer, de Lessing et de aine.
Cette simple constatation suffit pour marquer le mrite de l'abb
Dubos en esthtique.
3.

Les contemporains de Dubos, ceux qui achetrent la pre-
mire dition des Rflexions critiques, admirrent surtout le livre
du Pre Andr, paru en 1741 et intitul Essai sur le Beau
(1).
En
effet, il est de la nature de l'homme de se tromper.
Ce n'est pas pour tirer parti du contraste existant entre ces deux
travaux que nous les plaons l'un la suite de l'autre, mais parce
qu'entre 1719 et 1741 aucune publication concernant l'esthtique
n'a vu le jour en France. Et

puisque nous avons parl de con-


traste

il faut avouer qu'il est extrme. Celui qui ignore les dates
des livres de Dubos et du P. Andr, serait tent d'attribuer le se-
cond une poque antrieure de plusieurs sicles. Aucune trace
d'espxit scientifique dans YEssai du P. Andr

l'horreur du fait
;
un cartsianisme vague appliqu des questions mal dtermines.
L'impression que produit le P. Andr, quand on le voit se perdre
dans des questions qu'il ignore compltement, l'aide d'une m-
thode qu'il ne connat pas davantage, est rellement pnible.
Nous avons dit que le P. Andr nglige les faits. Lui-mme,
lorsqu'il s'agit de justifier une division du beau en plusieurs
classes

et pendant tout son livre il ne fait que diviser le beau



il crit cette phrase qui nous fait sourire aujourd'hui : C'est ce
que nous allons tcher d'claircir non par des exemples, qui nous
mneraient trop loin, et qui n'en donneraient encore que des ides
bien courtes, mais en remontant aux principes gnraux de la rai-
son et du bon got
(2).
Fuyant ces ides bien courtes que les
faits suggrent, et poursuivant ces principes gnraux , le P.
Andr n'arrive construire qu'un systme creux, vide et entire-
ment dnu de fondement.
(1)
Nous employons l'dition de Toulouse, 1838.
(2) Essai sur le Beau,
p. 63.
LE PRE ANDR
:j.">
Qu'est-ce que le beau, selon le P. Andr? Il ne se donne pas la
peine de nous le dire, ni au commencement de son Essai, ni au
milieu, ni la lin. A deux reprises pourtant, il semble vouloir d
finir l'insaisissable beaut. En elel, d'une part il crit : Je veux
dire, pour ne rien supposer que d'indubitable, qu'il
y
a dans tous
les esprits une ide du beau
;
que cette ide dit excellence, agr-
ment, perfection
;
qu'elle nous reprsente le beau comme une qua-
lit avantageuse, que nous estimons dans les autres et que nous
aimerions dans nous-mmes
(1).
D'autre part, emport contre
ceux qui, en dfinissant le beau, tiennent compte aussi du sujet
contemplant, il laisse entrevoir sa pense nbuleuse. J'appelle beau,
crit-il, ce qui a droit de plaire la raison et la rflexion par
son excellence propre, par sa lumire ou par sa justesse, et si l'on
me permet ce terme, par son agrment intrinsque
(2).
Ces dfi-
nitions, qui, est-il besoin de le dire, ne sont gure satisfaisantes,
donnent fort bien une ide gnrale de l'esprit dans lequel tout
l'ouvrage a t crit.
Le P. Andr, sous le nom de beau, comprend peu prs tous les
lments de la vie suprieure de l'homme. La morale, la politique,
les sciences, enfin tout est envisag confusment au point de vue
de la beaut
(3).
Si le P. Andr ne s'occupe gure d'une chose prcise, il sait trs
habilement la diviser en parties bien dtermines. Il
y
a un beau
essentiel, indpendant de toute institution, mme divine
;
un
beau naturel, indpendant de l'opinion des hommes et enfin un
beau d'institution humaine et qui est arbitraire jusqu' un cer-
tain point
(4). Cette division, le P. Andr l'applique aux diff-
rents domaines de l'activit suprieure de l'homme
;
par exemple,
la morale, qu'il nomme : le beau dans les murs. Il existe, nous
dit-il, un ordre absolu, indpendant de toute institution, mme
divine; cet ordre nous dit que Dieu a le rang suprme dans notre
amour et attachement, que l'esprit a le premier rang sur le corps
et que le corps est soumis l'esprit (o). Cet ordre est indpendant
de Dieu, puisque pour conserver le premier rang Dieu, il faut
(1)
Loc. cit.,
p.
3-4.
(2)
Loc. cit., p. 58.
(3)
L'amour de la patrie devient, dans le livre du F. Andr, le beau civil <'l
politique.
(4)
Loc. cit., p. 4.
(5)
Loc. cit., p. 31.
3() LES GRANDS SYSTMES
bien qu'il
y
ait un ordre qui le lui donne. En cela consiste le beau
moral essentiel. Ensuite vient le beau moral naturel, indpendant
des hommes seulement. C'est l'ordre de notre sensibilit qui rgle
nos devoirs envers les autres hommes. Mais les passions sont enne-
mies de cet ordre naturel. Pour leur opposer une barrire, on a
institu l'ordre civil et politique, ou le beau moral d'institution
humaine, arbitraire jusqu' un certain point. Cet exemple, nous
pensons, sutlit pour montrer quelle application fait le P. Andr
de cette premire division.
Le beau, d'autre part, se subdivise en beau sensible, que nous
apercevons dans les corps, et beau intelligible, que nous apercevons
dans les esprits. L'un et l'autre, d'ailleurs, ne peuvent tre aperus
que par la raison : le beau sensible, par la raison attentive aux
ides qu'elle reoit des sens
;
le beau intelligible, par la raison
attentive aux ides de l'esprit
(1).
On a dj compris par cette phrase que cette distinction en beau
sensible et intelligible est tout fait superficielle et ne correspond
pas une distinction psychologique

puisque c'est toujours la


raison qui peroit ces deux genres de beaut

mais une dis-
tinction extrieure, tout fait factice et matrielle
(2).
Le beau sensible se subdivise son tour en beau visible et beau
acoustique. En examinant le beau visible, le P. Andr utilise cer-
taines thories de Newton, qu'il comprend d'ailleurs assez vague-
ment.
Le beau peut tre caractris par l'unit. Cette ide d'unit, il
essaie de la retrouver partout. Chaque couleur est d'autant plus
belle qu'on
y
dcouvre une image plus sensible de l'unit
(3).
Et,
avec un peu plus de raison, il crit, propos des ouvrages de
l'esprit : Je dis donc que, pour qu'un ouvrage d'loquence ou
de posie soit vritablement beau, il ne suffit pas qu'il ait de beaux
traits : il faut qu'on
y
dcouvre une espce d'unit, qui en fasse un
tout, bien assorti. Unit de rapport entre toutes les parties qui le
composent : unit de proportion entre le style et la matire qu'on
y
traite; unit de biensance entre la personne qui parle, les choses
qu'elle'dit, et le ton qu'elle prend pour les dire
(4).
(1)
Loc. cit., p.
4.
(2)
Ailleurs, le P. Andr crit : L'amour du beau uat avec la raison, comme
le jour avec le soleil . Loc. cit., p. 220.
(3)
Loc. cit., p. 14.
(4)
Loc. cit., p. 77.
LE PRE ANDR 37
Que devient le problme de la relativit du phnomne esthti-
que dans l'Essai du P. Andr? Il est rsolu, comme tout le peste,
de la faon la plus simple. Les pyrrhoniens qui, se fondant sm
la diversit des opinions et des gots, concluent qu'il n'y a point
de rgles pour juger du beau, ont tort. Ils font dpendre le beau
de l'ducation, des prjugs, du caprice et de l'imagination. Ils ont
tort aussi de chercher dans la diffrence de structure des corps la
diffrence des esprits.
La thorie de la rminiscence de Platon, d'aprs laquelle l'Ame
aurait contempl le beau avant de natre, est encore une erreur
manifeste

elle est mme plus fausse que la thorie des pyrrho-


niens
;
car, aprs tout, peut-tre l'habitude se mle-t-elle un peu
dans nos jugements esthtiques, mais seulement ds qu'il s'agit
du beau arbitraire. Mais, la vrit sur cette question, la voici :
de mme qu'il
y
a un certain temprament du corps qui, selon
les lois de la nature, diversifie nos gots par rapport aux biens du
corps, il
y
a aussi un certain temprament de l'me qui, selon les
vues de la Providence, diversifie nos gots par rapport aux biens
de l'esprit
(1).
C'est--dire que l'auteur de la nature qui a rpandu
la varit parmi nos corps, a rpandu aussi la varit parmi nos
mes. On ne saurait nier que cette explication soit simple, claire
et parfaite ! il est regretter que toute satisfaisante qu'elle semble
au point de vue superficiel de l'argumentation scolastique, elle ne
puisse tre prise en considration srieuse par un esprit scienti-
fique.
Nous avons dj dit que c'est la raison qui peut percevoir le
beau. Le P. Andr, sur ce point, suit docilement le mouvement
rationaliste de la fin du xvn
e
sicle et du commencement du xvm
e
.
Parlant de la grce du discours, il crit que l'imagination est une
source d'agrment et que le cur en est une seconde, et mme
la principale

mais il s'interrompt lui-mme : Ici. .Messieurs, il


me semble entendre quelques murmures parmi nos philosophes:
est ce donc ainsi que nous abandonnerons les grces la conduite
de deux aveugles, l'imagination qui est une folle, et au cur qui
est un imbcile, toujours esclave ou de ses fureurs ou de ses fai-
blesses
(2)
? Non pas, rpond-il, car nous avonsjlj fait inter-
(1)
hoc. cit., p.
228.
(2)
Loe. cit.. p.
207-208. Il entend par grce cette sorte de beaut sensible
dont la vue rpand dans l'Ame une impression de joie et de contentement.
/.<'.
cit.,
p.
189.
38 LES GRANDS SYSTMES
venir un autre facteur, la justesse, qui servira de contrle l'ima-
gination et de calmant au cur.
Au fond, le grand dfaut de la thorie esthtique du P. Andr,
c'est qu'elle n'arrive pas saisir le phnomne esthtique dans ce
qu'il a de spcial. C'est l la cause initiale de tous ses autres d-
fauts. Voici un passage o le P. Andr montre bien son incompr-
hension totale du fait esthtique : les images ne sont belles dans
les discours qu'autant qu'elles parent la vrit
;
les sentiments n'y
sont beaux qu'autant qu'ils ont pour objet la vertu. Et si vous
y
employez les mouvements pathtiques pour nous porter ailleurs
qu' ces deux fins essentielles de l'homme, c'est pour ne rien dire
de plus fort, un ornement dplac, qui ne choque pas moins le bon
got que le bon sens et les bonnes murs
(1).
Ainsi, mettant la vertu et la vrit bien plus haut que la beaut,
n'arrivant pas saisir dans la beaut ce qui la constitue telle, on
se demande, pour ne rien dire de plus fort
,
pourquoi le P. An-
dr a intitul son livre Essai sur le beau et non pas Trait de morale
et de logique. C'est peut-tre parce que la logique tait faite de main
de matre, par Descartes lui-mme et que Malebranche avait ralis
la morale
;
il ne restait au P. Andr que le domaine de l'esthtique.
Presqu'un sicle plus tard, un autre penseur, un demi cartsien
beaucoup plus profond que le P. Andr, reprendra ces trois sujets
la fois, pour en faire un systme. Victor Cousin, on l'a dj sou-
tenu, sera le point culminant du cartsianisme. Et, sans vouloir
anticiper, il faut avouer qu'il
y
a certaines ressemblances plutt
extrieures qu'intrieures entre le jsuite Andr et le libral Cou-
sin. Le P. Andr, comme le fera plus tard Victor Cousin, en expo-
sant ses ides, parle devant un auditoire et dans un but didacti-
que
(2)
: Il ne cherche qu' rduire l'unit la complexit des ph-
nomnes. Tous les deux btissent un systme et c'est, avant tout,
ce titre qu'il faut envisager le livre du P. Andr, sans cacher
que c'est un systme trs superficiel, ne tenant presque pas compte
des faits et d'une valeur trs mdiocre
(3).
(1)
Loc. cit., p. 07.
(2)
Ed 1731, L'Acadmie de Caen, le P. Andr pronona les discours qui,
runis dix ans plus tard, formrent l'Essai sur le beau.
(3)
On peut consulter sur le P. Andr et son systme les tudes suivantes :
Diderot, Recherches philosophiques sur l'origine et la nature du beau.
uvres compltes. Ed. Asszat et Tourneux, 187a, t. X, p.
17-24.
V. Cousin, uvres philosophiques du P. Andr, etc., 1843.
Krantz, Lssai sur l'esthtique de Descartes, p.
311-340.
LE PRE ANDR
39
Ses contemporains ne jugrent pas ce livre aussi svrement
que nous. Diderot, tout en faisant de timides rserves, trouve que
le P. Andr est celui qui jusqu' prsent a le mieux approfondi
cette matire, en a le mieux connu l'tendue et la dillicult, en a
pos les principes les plus vrais et les plus solides, et mrite le plus
d'tre lu . Diderot d'ailleurs pousse son admiration jusqu' copier
mot mot, dans ses Recherches sur le beau, le rsum de la doc-
trine de saint Augustin que donne le P. Andr dans son Essai sur
le beau, sans indiquer l'emprunt.
Plus de vingt ans aprs la publication du livre du P. Andr,
Sran de la Tour croit sincrement illuminer le monde avec son
livre intitul : l'Art de sentir et de juger en matire de got
(1)
qui
n'est qu'une copie de l'Essai sur le beau.
Sran de la Tour ne s'occupe pas du beau, mais du got. Sa m-
thode est cartsienne : Il m'a paru, crit-il, que le moyen le plus
sr pour carter les nuages sous lequel le got est cach, tait de
remonter ses principes, et d'en faire voir les effets. Aprs avoir
longtemps cherch ces principes, j'ai cru les dcouvrir. Depuis ce
jour de lumire, l'ordre dveloppant mes ides, cet ouvrage s'est
form naturellement
(2).
Il reprend donc la division du beau du P. Andr. Comme il
y
a
une facult analogue chaque espce de beau, le got se subdi-
vise, bien entendu, en got essentiel, naturel et arbitraire. Substi-
tuer le mol got au mot beau, c'est la seule originalit du livre de
Sran de la Tour.
11 essaie d'expliquer la diversit des jugements des hommes, en
matire artistique
;
comme l'explication, si nave, du P. Andr, ne
lui plat probablement pas, il propose la suivante: les diffrents
jugements proviennent du fait que les hommes admirent les trois
diffrents genres du beau et non pas le mme. Ainsi, Sran de la
Tour montre qu'il ne saisit pas la division du P. Andr car, pour
le P. Andr le beau essentiel

indpendant mme de la volont di-


vine

ne peut pas ne pas tre accept et admir par tous les
hommes puisqu'il fait, pour ainsi dire, partie de leur constitution
mentale.
Le reste du livre est trop mdiocre pour qu'on s'en occupe. Il
suffit de noter, une fois de plus, que le dsir d'expliquer la diver-
ti)
2 vol. Paris, 1762.
(2)
Loc. cit., p. xxv.
40 LES GRANDS SYSTMES
site des jugements diffrents et parfois contradictoires en matire
artistique et de les rduire l'unit hantait tous les esprits vers
cette poque.
4-.
Cette mme proccupation, on la retrouve dans un autre
systme esthtique, paru quelques annes aprs celui du P. Andr.
Son auteur nous la montre dans une des premires phrases de la
prface de son livre : Imitons les vrais physiciens qui amassent
des expriences et fondent ensuite sur elles un systme qui les r-
duit en principes . Cet amour de l'unit s'tale sur le titre mme
;
l'ouvrage de l'abb Batteux, publi en 1746, s'intitule, avec un peu
d'ostentation, les Beaux-Arts rduits un seul principe. Batteux,
dans la mme prface, crit : Toutes les rgles sont des branches
qui tiennent une mme tige. Si on remontait jusqu' leur source,
on
y
trouverait un principe assez simple, pour tre saisi sur-le-
champ, et assez tendu pour absorber toutes ces petites rgles de
dtail...
Cette unit, Batteux la trouve dans la mimsis aristotlicienne,
un peu corrige pour les besoins de l'poque. Le gnie, dans l'art,
doit imiter la nature. Cette imitation ne doit pas tre quelconque
;

elle doit tre' sage et claire


;

c'est, en un mot, une


imitation o on voit la nature, non telle qu'elle est en elle-mme,
mais telle qu'elle peut tre, et qu'on peut la concevoir par l'es-
prit
(1).
De cette collaboration de l'esprit et des tres naturels
nat, ce que Batteux nomme la belle nature qui, seule, doit tre
l'objet de l'imitation des beaux-arts. Il nous semblerait aujour-
d'hui qu'une imitation ainsi entendue est une cration par excel-
lence
;
cependant il n'est rien de pareil, dans le systme de Bat-
teux, qui assigne un rle presque passif l'artiste. En effet, le
trait saillant de cette thse est que la belle nature existe dj
dans la nature

il s'agit, tout simplement, de la mettre en relief
grce un choix judicieux. La nature a dans ses trsors tous les
traits dont les plus belles imitations peuvent tre composes : ce
sont comme des tudes dans les tablettes d'un peintre. L'artiste, qui
est essentiellement observateur, les reconnat, les tire de la foule,
les assemble
(2).
Imiter, nous dit Batteux, c'est copier un modle
(3).
Celte
(1)
Loc. cit., p. 24.
(2)
Loc. cil., p. 33.
(3)
Loc. cit.. p. 12.
L'A HU BATTEUX
l
dfinition montre bien que notre auteur conoit le travail artisti-
que comme quelque chose de passif
;
voici, maintenant, sa concep-
tion du gnie, o l'on ne trouve pas la moindre trace de l'effort
crateur : Le gnie doit donc avoir un appui pour s'lever et se
soutenir, et cet appui est la nature. Il ne peut la crer, il ne doit
point la dtruire
;
il ne peut donc que la suivre et l'imiter, et, par
consquent, tout ce qu'il produit ne peut tre qu'imitation (1).
Le Brun enseignait l'Acadmie

et au fond c'tait l la doc-


trine acadmique qui avait triomph pendant le xvn
e
sicle que
l'artiste doit corriger la nature l'aide de l'antique . Batteux se
rapproche beaucoup de cette doctrine dj vieillie et
abandonne
dans les ateliers des artistes contemporains (2).
11 essaie, c'est vrai, plusieurs reprises, d'expliquer son concept
de la belle nature (3).
Parlant des lois du got, il le dfinit
:
la
belle nature est, selon le got, celle qui a :
1 le plus de rapport
(1)
Loc. cit., p.
11-12.
(2)
A. Fontaine, Les Doctrines d'art en France, p. 203 et suiv.
(3)
Ce concept se rattache sans aucun doute l'acadmisme de Le Brun. On
le trouve dans le Trait de peinture d'un auteur trs mdiocre, Nicolas Calhe-
rinot, paru en 1687, Bourges, et soutenant les ides acadmiques de Le Brun,
et dans le Cours de peinture de Roger de Piles, paru Paris en 1708,
qui, tout
en tant libral, se rapproche de Le Brun. Nous avons rencontr le mme concept,
chez Fnelon. dans la Lettre sur tes occupations de l'Acadmie (1716) : Le
vrai moyen de les [les anciens] vaincre esl de profiter de tout ce qu'ils ont d'ex-
quis, et de tacher de suivre encore plus qu'eux leurs ides sur l'imitation de la
belle nature
;
dans l'Essai sur le got de Montesquieu, dans les Elments de
littrature de Marmontel, dans le Discours sur le caractre des diffrents
sicles de Vauvenargues et dans le Paradoxe sur le comdien de Diderot.

Diderot, dans les Recherches philosophiques sur le beau (1751),
explique, au-
trement que l'abb Batteux, le concept de la belle nature. Qu'est ce donc qu'on
entend quand on dit un artiste : Imitez la belle nature ? Ou l'on ne sait ce
qu'on commande, ou on lui dit : Si vous aviez peindre une fleur, et qu'il vous
soit d'ailleurs indiffrent laquelle peindre, prenez la plus belle d'entre les Heurs
;
si vous avez peindre une plante... prenez la plus belle d'entre les plantes
;
si
vous avez peindre un objet de la nature, et qu'il vous soit indiffrent, lequel
choisir, prenez le plus beau. Entre cette explication de Diderot et celle de l'abb
Batteux, il
y
a une diffrence apprciable Diderot: semble tre plus raliste que
l'abb. Consulter un autre passage de Diderot dans YEssai sur la peinture
(1765,
publi en 1795). Ed. Asszat et Tourneux, vol. 10, p. 495. Et dans la Lettre
ddicatoire Grimm du Salon de 1767 (vol. Xi, p. 8-9), nous en dtachons cet
extrait : Cependant on n'en parle pas moins... de l'imitation de la belle nature;
et ces gens qui parlent sans cesse de l'imitation de la belle nature, croient de
bonne foi qu'il
y
a une belle nature, subsistante, qu'elle est, qu'on la voit quand
on veut, et qu'il n'y a qu' la copier. Si vous leur disiez que c'est un tre tout
fait idal, ils ouvriraient des grands yeux, ou ils vous riraient au nez. Con-
dillac, dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746,
se-
conde partie, sect. premire, chap. VIII, 78),
fait observer le ct
relatif du
42 LES GRANDS SYSTMES
avec notre propre perfection, notre avantage, notre intrt
;
2
celle
qui est en mme temps la plus parfaite en soi
(1).
Mais ces explications sont toutes insuflisantes, non seulement
pour nous, mais mme pour ses contemporains. Diderot se char-
gera de le lui dire
(2).
Ne manquez pas non plus

crira-t-il,
s'adressant Batteux

de mettre la tte de cet ouvrage un cha-


pitre sur ce que c'est que la belle nature
(3).
On sait, d'ailleurs,
que Diderot qualifiait l'uvre de l'abb Batteux d'acphale, parce
que l'abb, aprs avoir rduit le grand principe de tous les beaux-
arts l'imitation de la belle nature, avait, tout bonnement, nglig
d'indiquer clairement ce qu'il entend par ce concept.
Mais si l'artiste doit imiter la belle nature, Batteux ne va-t-il pas
se trouver en prsence d'un problme assez grave : en effet, ne
voyons-nous pas que l'art imite, dans certains cas, les choses laides
ou dplaisantes sans sortir de son rle? Comment rsoudre cette
diticult? Cette apparente contradiction ne dcourage gure Bat-
teux qui chafaude une ingnieuse thorie ayant beaucoup de res-
semblance avec celle des passions artificielles de l'abb Dubos.
D'une part, on ne peut jamais confondre l'imitation du rel que
l'art nous offre avec la ralit mme
;
d'autre part, si la ralit par-
fois n'est gure agrable, son imitation, perdant les caractres du
rel, cesse d'tre dsagrable, par ce fait mme. Nous avons dit,
crit-il, que la vrit l'emportait toujours sur l'imitation. Par con
squent, quelque soigneusement que soit imite la nature, l'art
s'chappe toujours et avertit le cur que ce qu'on lui prsente
n'est qu'un fantme, qu'une apparence, et qu'ainsi il ne peut lui
apporter rien de reL C'est ce qui revt d'agrment dans les arts
les objets qui taient dsagrables dans la nature. Dans la nature,
ils nous faisaient craindre notre destruction, ils nous causaient une
concept de la belle nature. On parle beaucoup de la belle nature
;
il n'y a pas
mme de peuple poli qui ne se pique de l'imiter; mais chacun croit en trouver
le modle dans sa manire de sentir. Qu'on ne s'tonne pas si ou a tant de peine
la reconnatre, elle change trop souvent de visage, ou du moins elle prend trop
l'air de chaque pays.
(1)
Loc. cil.,
p. 79.
(2)
Lettre sur les Sourds et Muets, etc. Diderot
y
critique le livre de Bat-
teux.
(3)
Ibid. Et dans les Recherches sur l'origine et la nature du beau, Diderot
crit : M. l'abb Batteux rappelle tous les principes des beaux-arts l'imitation
de la belle nature : mais il ne nous apprend point ce que c'est que la belle na-
ture (Ed. Asszat et Tourneux, t. X, p. 17).
L'A HU UATTEUX
3
motion accompagne de la vue d'un danger rel, et comme l'mo-
tion nous plat par elle-mme, et que la ralit du danger nous
dplat, il s'agissait de sparer ces deux parties de la mme im-
pression. C'est quoi l'art a russi : en nous prsentant l'objet qui
nous etraie, et en se laissant voir en mme temps lui mme, pour
nous rassurer et nous donner par ce moyen le plaisir de l'motion,
sans aucun mlange dsagrable
(1).
L'imitatio-n que l'art nous prsente doit produire en nous une
impression analogue celle du modle, mais cette imitation diffre
et doit diffrer de l'objet rel imit. Bref, l'art est un mensonge qui
a tous les traits de la vrit. ... Les arts, crit-il, ne font que des
imitations, des ressemblances qui ne sont point la nature, mais qui
paraissent l'tre, et ainsi la matire des beaux-arts n'est point le
vrai, mais seulement le vraisemblable
(2).
Plus loin, Batteux
insiste sur cette mme caractristique de l'art : ... la posie ne
subsiste que par l'imitation. Il en est de mme de la peinture, de
la danse, de la musique : rien n'est rel dans leurs ouvrages, tout
y
est imagin, peint, copi, artificiel. C'est ce qui fait leur carac-
tre essentiel par opposition la nature
(3).
Le mensonge de l'art a pour but le plaisir. L'art doit plaire, re-
muer, toucher. Et, pour arriver ce but, l'art doit nous prsenter
des sujets intressants, levs et, autant que possible, peu com-
muns
;
il doit renfermer la varit dans l'unit
;
il doit raliser la
symtrie et la proportion. En plus, l'imitation de la belle nature
doit tre parfaite et prsenter deux qualits indispensables : l'exac-
titude et la libert
(4).
Si, d'une part, l'art a pour but le plaisir, d'autre part il vise vers
l'utile
;
Batteux n'oublie pas Y utile dulci d'Horace. A propos de la
posie, il crit : Le but de la posie est de plaire et de plaire en
remuant les passions. Mais pour nous donner un plaisir parfait et
solide, elle n'a jamais d remuer que celles qu'il nous est impor-
tant d'avoir vives, et non celles qui sont ennemies de la sagesse (15).
L'artiste doit unir la morale l'art, pour la perfection de son
uvre. ... La belle nature telle qu'elle doit tre prsente dans
les arts, renferme toutes les qualits du beau et du bon. Elle doit
(1)
Loc. cit., p. 94.
(2)
Loc. cit., p. 14.
(3)
Loc. cit., p. 22.
(4)
Loc. cit., p. 89.
(o) Loc. cit., p. 150.
44 LES GRANDS SYSTMES
nous flatter du ct de l'esprit, en nous offrant des objets parfaits
en eux-mmes, qui tendent et perfectionnent nos ides; c'est le
beau. Elle doit flatter notre cur en nous montrant dans ces mmes
objets des intrts qui nous soient chers, qui tiennent la conser-
vation ou la perfection de notre tre, qui nous fassent sentir
agrablement notre propre existence : et c'est le bon, qui, se ru-
nissant avec le beau dans un mme objet prsent, lui donne toutes
les qualits dont il a besoin pour exercer et perfectionner la fois
notre esprit
(1).
Enfin, l'abb Batteux ne pouvait viter de se poser la question
qui tourmentait tous les esthticiens de l'poque. Comment expli-
quer la 'diversit des jugements en matire artistique? La nature,
se disait Batteux, est le seul objet du got

donc il
y
a un seul
got, celui qui approuve la belle nature. D'o vient la grande di-
versit des gots? Il essaie de l'expliquer par la grande richesse
de la nature et, d'autre part, par les bornes du cur et de l'esprit
humain.
Telles sont, en rsum, les ides directrices du livre de l'abb
Batteux, qui nous apparat aujourd'hui comme un srieux effort
pour unifier les beaux arts

pour trouver leur point de contact,
et leur unit secrte.
Le P. Andr, se fondant sur une psychologie

dduite non pas


de l'observation patiente mais de la logique

psychologie peu
solide, avait essay de classer et d'unifier les arts en se plaant
un point de vue, pour ainsi dire, intrieur. L'abb Batteux, au
contraire, rduisant les beaux arts au seul principe de l'imitation,
se place un point de vue extrieur et presque matriel. Y a-l-il
progrs ou recul dans cette nouvelle thorie? La doctrine de l'abb
Batteux est elle plus fconde que celle du P. Andr?
Au point de vue artistique, nous l'avons dj dit, Batteux n'a
exerc aucune influence, car il tait dj en retard, mme sur ses
contemporains. Mais, au point de vue philosophique et psycholo-
gique, sa thorie prsente- 1 elle quelque valeur? Batteux n'est pas
psychologue ni philosophe
;
il examine les questions d'une manire
un peu terre terre, comme le faisait l'abb Dubos. C'est l le seul
mrite de son livre.
'
Le P. Andr s'lve jusqu' des rgions nbuleuses pour ne rien
(l) Loc. cit.,
p.
88.
L'ABB IiATTEl'X 45
dire, en somme
-
latteux, s'il dit peu de chose, a au moins L'avan-
tage de conserver quelques
points d'appui solides.
Pour L'histoire
de l'esthtique, son livre est intressant parce
qu'il indique nettement le besoin qu'on ressentait son poque
d'unifier les arts, de produire un systme satisfaisant. C'est plutt
comme effort que comme rsultat que ce livre doit tre considr.
Nous nous trouvons encore l'poque o l'on se cherche, o l'on
ttonne et o facilement on fait fausse route.
D'ailleurs peu peu cette ardeur produire un systme esth-
tique se refroidira. L'influence de Descartes se fera de moins en
moins sentir vers le milieu du sicle
;
d'autre part, l'esprit philo-
sophique tendances scientifiques qui se dveloppera, aspirera
la connaissance du dtail plutt qu' des hypothses d'ensemble.
Les problmes que les systmes de Crousaz, de l'abb Dubos, du
P. Andr et de l'abb Batteux avaient soulevs, seront repris, au
commencement du xix
e
sicle, par Quatremre de Quincy, Victor
Cousin et Thodore Joulfroy, avec des lments nouveaux venus
d'Angleterre ou d'Allemagne.
CHAPITRE 11
Les crits secondaires.

Mission morale
et sociale de l'art.
1. Voltaire.

2. Condillac.

3. Montesquieu.

4. Diderot.

5. Mission morale de l'art.

6. J.-J.
Rousseau.

7. Estve, d'Alembert.

8. Poinsinet
de Sivry.

9. Marmontel, de Chastellux.
Nous
ne trouvons plus d "au trs systmes, proprement dits, dans
le xvm
e
sicle, mais nous rencontrons des travaux esthtiques
trs intressants. Les remarques de Voltaire, les paradoxes de
Rousseau, un
petit
essai de Montesquieu, mais surtout les tudes
de Condillac et de Diderot seront du plus haut intrt pour nous.
1.

Il existe dans les uvres de Voltaire une grande quantit
de doctrines artistiques ou de rflexions parses sur l'art
on n'y
trouve pas trace d'un systme esthtique et les penses esthtiques,
proprement dites,
y
sont fort rares. On peut cependant en relever
quelques-unes.
En gnral, Voltaire pense que le but de l'art est notre plaisir
(1)
et que le beau est caractris par le plaisir qu'il procure et par
l'admiration (2).
J'assistais un jour, crit il dans le Dictionnaire
philosophique, une tragdie auprs d'un philosophe. Que cela
est beau ! dit-il.

Que trouvez-vous l de beau ? lui dis-je.

C'est, dit-il, que l'auteur a atteint son but . Le lendemain, il prit
une mdecine qui lui fit du bien. Elle a atteint son but, lui dis-je
;
voil une belle mdecine! 11 comprit qu'on ne peut dire qu'une
mdecine est belle, et que pour donner quelque chose le nom de
"
(1)
Dictionnaire philosophique. uvres compltes de Voltaire. Ed. de 1877.
Garnier Irres. Vol. XIX, p.
592 (Art. : littrature) et vol. XX, p. 230
(Art. :
Potes).
(2)
hoc. cit., vol. XVII, p.
374 (Art. : Aristote) et vol. XVII, p. 557 (Art. :
Beau).
48
LES CRITS SECONDAIRES
beaut, il faut qu'elle vous cause de l'admiration et du plaisir (1).
Voltaire,
cependant,
n'approfondit gure ces ides. Il s'arrte un
peu plus sur ce que nous avons dj appel la relativit du beau.
Certainement, il ne serait pas partisan du beau absolu, ternel et
immuable; dj, dans son Essai sur la posie pique (1728),
il met-
tait en vidence
l'volution du beau : ... presque tous les ouvrages
des hommes
changent, crivait-il, ainsi que l'imagination qui les
produit. Les coutumes, les langues, le got des peuples les plus
voisins diffrent : que dis je, la mme nation n'est plus reconnais-
sable au bout de trois ou quatre sicles. Dans les arts qui dpen-
dent
purement de
l'imagination, il
y
a autant de rvolutions que
dans les Etats ;
ils changent en mille manires, tandis qu'on
recherche les fixer (2).
Mais, c'est dans un article sur le Beau du Dictionnaire philoso-
phique, qu'il a le mieux marqu la relativit du beau et du juge-
ment artistique. Le passage n'est que trop connu, mais il se rap-
porte si directement notre sujet que nous ne pouvons pas nous
dispenser de le citer : Demandez un crapaud ce que c'est que
la beaut, le to Kalon? Il vous rpondra que c'est sa crapaude avec
deux gros yeux ronds sortant de sa petite tte, une gueule large et
plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un ngre de la
Guine ;
le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux
enfoncs, un nez pat. Interrogez le diable
;
il vous dira que le
beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue. Consultez
enfin les philosophes ;
ils vous rpondront par du galimatias
;
il leur
faut quelque chose de conforme l'archtype du beau en essence,
au to Kalon .
C'est une raction brutale et, peut-tre, peu philosophique, contre
les thories transcendantes

le galimatias des philosophes. Mal-
heureusement,
Voltaire
n'approfondit pas assez la question :
ayant
peine esquiss cette thse, il l'abandonne pour s'occuper des
thories artistiques. Les
problmes de l'esthtique ne l'intressent
gure.
2.

Condillac ne s'est pas occup non plus d'esthtique pro-


prement dite; pourtant, dans son Essai
sur l'origine des connais-
(1)
Article sur le Beau.
V \
(2)
uvres compltes, vol. VIII, p.
307.
CONDILLAC
'
sances humaines, paru en 1716,
nous trouvons des thories d'une
importance capitale.
Etienne
tionnot de Condillac,
abb de Mureaux, s'est propos,
dans ce livre, de ramener l'entendement humain un seul prin-
cipe. Les matriaux de toutes nos connaissances, nous dit Condillac
influenc par Locke, nous viennent des sens et sont labors par-
les oprations de l'me. Mais comment expliquer l'infinie varit
des faits que la richesse de notre me nous prsente? On voit,
crit Condillac, que mon dessein est de rappeler un seul principe
tout ce qui concerne l'entendement humain, et que ce principe ne
sera ni une proposition vague, ni une maxime abstraite, ni une
supposition gratuite, mais une exprience constante (1).
Ce prin-
cipe
_
q
U ii dsire autant que possible positif, exprimental

est la liaison des ides, soit avec les signes, soit entre elles.
Condillac, trs longuement, essaie de dmontrer le rle que joue
le signe dans notre vie psychique et l'importance norme de ce
rle. Il est certain que nous rflchissons souvent sur nos percep-
tions sans nous rappeler autre chose que leurs noms, ou les cir-
constances o nous les avons prouves. Ce n'est que par la liaison
qu'elles ont avec ces signes que
l'imagination peut les rveiller
notre gr
(2).
Dans un autre passage, concernant l _utilil des signes, Condillac
crit : Qu'on
oublie pour un momen'ttous ces signes, et qu'on
essaie d'en rappeler les ides, on verra que les mots, ou d'autres
signes quivalents, sont d'une si grande ncessit,
qu'ils tiennent,
pour ainsi dire, dans notre esprit la place que les sujets
occupent
au dehors
(3).
Une fois l'importance du langage et des autres signes expressifs
dmontre, Condillac essaie de retracer la naissance de ces signes.
-C'est la partie de son uvre qui intresse
l'esthtique. A
partir
/d'ici, l'ide qui prdomine est celle de l'expression.
^

Le besom_djLJxpjimii4iO^
le
langage. Au dbut, ce langage consistait dans l'imitation de l'acte
erTHerT^our se faire comprendre on imitait donc
intgralement ee
dont on voulait
communiquer l'ide. C'est ce que Condillac
appelle
le langage d'action.
Longtemps aprs apparut timidement le lan-
(1)
Essai sur l'origine des connaissances
humaines. Ed. de 1798, t. I, p.
9.
(2)
hoc. cit., t. I, p.
179.
(3)
Loc. cit., t. I, p.
181.
4
50
LES CRITS SECONDAIRES
gage des sons articuls.
11 parut alors aussi commode que le lan-
gage d'action : on se servit galement de l'un et de l'autre
;
enfin,
l'usage des sons articuls devint si 'facile, qu'il prvalut (1).
Des sons articuls
combins avec des actes et des gestes, est
sortie la danse. La danse primitive avait pour but de concourir
communiquer les penses des hommes
(2).
Condillac l'appelle :
danse des gestes. Plus tard et en se perfectionnant elle devint la
danse des pas : on s'en servit pour exprimer certaines situations
de l'me et particulirement la joie : on l'employa dans les occa-
sions de
rjouissance, et son principal objet fut le plaisir (3).
D'autre part, de la prosodie de la langue, Condillac fait sortir la
musique et l'art dramatique. Il dfinit d'ailleurs la prosodie la plus
parfaite celle qui, par son harmonie, est la plus propre
expri-
mer toutes sortes de caractres
(4).
C'est dans la construction intime des langues primitives que
Condillac cherche l'origine de la posie. Le passage suivant met
bien en vidence la pense intgrale de Condillac. Si dans l'ori-
gine des langues, crit-il, la prosodie approcha du chant, le style,
afin de copier les images sensibles du langage d'action, adopta
toutes sortes de figures et de mtaphores, et fut une vraie pein-
ture. Par exemple dans le langage d'action, pour donner quel-
qu'un l'ide d'un homme effray, on n'avait d'autre moyen que
d'imiter les cris et les mouvements de la frayeur. Quand on voulut
communiquer cette ide par la voie des sons articuls, on se servit
donc de toutes les expressions qui la prsentaient dans le mme
dtail. Un seul mot qui ne peint rien, et t trop faible pour suc-
cder immdiatement au langage d'action...., on accumulait les
expressions les unes sur les autres..., on ne faisait deviner une pen-
se qu' force de rpter les ides qui lui ressemblaient davantage.
Voil l'origine du plonasme... Le style, dans son origine, a t
potique, puisqu'il a commenc par peindre les ides avec les ima-
ges les plus sensibles, et qu'il tait d'ailleurs extrmement mesur
;
mais les langues, devenant plus abondantes, le langage d'action
s'abolit peu peu, la voix se varia moins, le got pour les figures
et les mtaphores... diminua insensiblement, et le style se rappro-
(1)
Loc. cit., t. I, p.
2136.
(2)
Loc. cit., t. I, p. 271.
(3)
lbid.
(4)
Loc. cit., t. I, p.
342.
GONOILLC
51
chaude notre prose. Cependant les auteurs adoptrent le langage
ancien comme plus vif et plus propre se graver dans la mmoire :
unique moyen de faire passer pour lors leurs ouvrages la post-
rit
(1).
Ainsi la danse, la musique et la posie ont une origine commune
dans le langage primitif
(2)
et leur premier but est tout utilitaire.
La posie et la musique ne furent donc cultives que pour faire
connatre la religion, les lois, et pour conserver le souvenir des ,
grands hommes et des services qu'ils avaient rendus la socit
(3).
A la dcouverte de rcriture, la posie et la musique commen-
crent changer d'objet
;
elles se partagrent entre l'utile et l'agra-
ble, et enfin se bornrent aux choses de pur agrment
(4) ;
en se
perfectionnant, elles formrent deux arts tout fait diifrenls.
D'autre part, le style potique et le langage ordinaire, en se spa-
rant de plus en plus, donnrent naissance un troisime art inter-
mdiaire, l'art oratoire.
1 Condillac fait sortir la peinture de l'criture. Les hommes en
/tat de se communiquer leurs penses par des sons, sentirent la
(ncessit d'imaginer des nouveaux signes propres
les perp-
tuer et les faire connatre des personnes absentes. Alors l'ima-
gination ne leur reprsenta que les mmes images qu'ils avaient
dj exprimes par des actions et par des mots, et qui avaient, ds
les commencements, rendu le langage figur et mtaphorique. Le
moyen le plus naturel fut donc de dessiner les images des choses.
Pour exprimer l'ide d'un homme ou d'un cheval, on reprsenta la
forme de l'un ou de l'autre, et le premier essai d'criture ne fut
qu'une simple peinture. C'est vraisemblablement la ncessit de
tracer ainsi nos penses que la peinture doit son origine, et cette
ncessit a sans doute concouru conserver le langage d'action,
comme celui qui pouvait se peindre le plus aisment (.
;
>).
Mal-
heureusement,
Condillac ne s'arrte pas suffisamment
cette ide.
La thorie de Condillac sur l'origine des arts apparat trs lim-
pide. Une seule ide fondamentale dirige ses
explications :
les arts
et l'criture ont la mme origine que le langage et sont l'panouisse
ment suprme de la ncessit d'expression que ressent l'homme.
(1)
Loc. cit., t. I, p.
347-349.
(2)
Pour cette raison, le mot grec mousik comprend tous les arts
la fois.
(3)
Loc. cit., t. I, p.
352.
(4)
Loc. cit., t. I, p.
355.
(5)
Loc. cit., t. I, p.
416-417.
52 LES ECRITS SECONDAIRES
Le besoin de s'exprimer voil la matrice commune des signes, des
langues et des arts. Cette thorie de Condillac est faite pour plaire
notre poque et pour flatter notre faon de penser moderne. Elle
a des dfauts, mais elle a de grands mrites.
Condillac a horreur des propositions vagues, des maximes abs-
traites et de toutes les explications purement mtaphysiques. Il
recherche surtout une hypothse fonde sur une exprience
constante . Pour dire la vrit, ses explications, qui sont infini-
ment plus srieuses et positives que celle du Pre Andr, par
exemple, ne sont gure leves sur des expriences constantes et,
plus d'une fois, elles sont compltement gratuites
;
en plus, Con-
dillac n'approfondit pas suffisamment la plupart de ses thories
que nous venons d'exposer. Mais sa pense prsente un grand int-
rt, car elle nous offre une hypothse psychologique pour l'expli-
cation de la gense des arts

or, c'est l une nouveaut d'une
importance considrable.
Au surplus, Condillac ne voit pas dans l'art un piphnomne
ct de notre vie srieuse, quelque chose qui se surajoute, tout en
restant indpendant, notre activit quotidienne

le champignon
rare qui vit aux pieds du chne
;
pour lui, l'art pousse des racines
profondes, des racines vitales, avec le langage, dans le besoin le
plus fondamental de notre vie

le besoin de s'exprimer. L'art se


confond ainsi, avec la vie mme de l'homme dans ce qu'elle a de
suprieur.
Certainement, nous l'avons dit, les thories de Condillac sur la
gense des arts, sont loin d'tre suffisantes
;
mais au moins elles
ont le mrite de poser le problme de l'origine de l'art l'endroit
o il doit tre pos : la source mme de la vie suprieure de
l'homme.
Enfin et surtout, Condillac a vu clairement que l'art, depuis
l'poque o on le trouvait tout entier dans le langage d'action
,
a volu, qu'il n'est plus le mme, qu'il s'est ramifi, qu'il a perdu
les premiers buts et qu'il en a d'autres. Condillac; mieux que per-
sonne de son poque, a senti cette ide qui joue un si grand rle
aujourd'hui dans notre menlalit

l'ide de l'volution. Il faut lui
en savoir gr.
T?cjmression est le leitmotif du l ivre de Condillac. Or, cette ide
est assez riche pour que^lTTluloriciens'Todernes l'exploitent
encore. M. B. Croce, par exemple, fonde toute son esthtique sur
l'expression. On comprend trs bien qu'il
y
a des diffrences entre
MONTESQUIKi
">3
l'expression de Condillac et le mme concept chez le thoricien
du xx sicle

mais ce qu'on ne comprend pas, c'est pourquoi
M. Croce ne cite mme pas dans son arbre gnalogique ce parenl
pauvre d'il y
a presque deux sicles
;
pourquoi l'exclul il mme de
son histoire de l'esthtique ?
POUJ nOUS, la
thorie.
dp''""di lhc res'"
1'"
flp<-
P
1 "^ impnH-iniPS
du xvin
c
sicle; ses hypothses ont le mrite d'tre [ondes sur la
psychologie, "3e nous prsenter l'art comme un lment de notre
vie suprieure, de lui donner comme origine la satisfaction d'un
besoin vital : le besoin de s'exprimer et de le concevoir comme vo-
luant sans cesse.
3.

Si Condillac semblait donner l'agrment pour but aux arts,


aprs un certain stade de leur volution, Montesquieu
(1),
qui
s'occupa de la mme question quelque temps aprs Condillac,
voyait aussi dans le plaisir le but de l'art, seulement il
y
ajoutait
une nuance importante et surtout neuve pour son poque : le dsin-
tressement. Il crivait : ... lorsque nous trouvons du plaisir
voir une chose avec une utilit pour nous, nous disons qu'elle est
bonne ;
lorsque nous trouvons du plaisir la voir, sans que nous
y
dmlions une utilit prsente, nous l'appelons belle
(2).
C'est
l, peut-tre, l'ide la plus originale de cet article dont il ne faut-
pas exagrer l'importance.
Comme Crousaz et plus que lui, Montesquieu pense que l'apport
personnel de celui qui contemple le beau est ce qui produit la
beaut mme. Les sources du beau, du bon, de l'agrable, etc.,
sont donc dans nous-mmes, et en chercher les raisons, c'est cher
cher les causes du plaisir de notre me
(3).
Et Montesquieu cite,
parmi ses causes du plaisir, la curiosit, l'ordre, la varit, les
(1)
Montesquieu, Essai sur le got dans les choses de la nature et de l'art.
uvres compltes. Ed. de 1879, chez Garnier frres, vol. VII, p. 113 147. Ces
rflexions furent publies pour la premire fois dans le VII
e
volume de l'Ency-
clopdie, o elles formaient une des sections de l'article Got (1757). Elles ont
t crites vers 1748. Le fils de .Montesquieu, dans les uvres
posthumes de
1783, en publia une dition augmente. Les Archives
littraires, t. II,
p.
301
(1804)
contiennent trois chapitres nouveaux donns par Walckepaer.
(2)
Loc. cit., p. Uo. Dans le livre de Shaftesbury, intitul :
Essai sur le m-
rite et la vertu, traduit en franais en I74:i par Diderot, l'auteur essayait d'ri-
ger l'utile, comme unique fondement du beau. Montesquieu ragit, peut-tre,
contre l'ide de Shaftesbury.
i3)
Loc. cit., p.
110.
54 LES CRITS SECONDAIRES
contrastes, la symtrie, les effets de la surprise. Dans toute cette
numration, il n'y a rien de rellement neuf ni d'original.
Montesquieu essaie de rendre compte du besoin de varit que
ressent l'me l'aide d'une explication psychophysiologique. Cette
tentative est trs curieuse. Si la partie de l'me qui connat aime
la varit, celle qui sent ne la cherche pas moins : car l'me ne peut
pas soutenir longtemps les mmes situations, parce qu'elle est lie
un corps qui ne peut les souffrir. Pour que notre me soit excite,
il faut que les esprits coulent dans les nerfs
;
or, il
y
a l deux
choses : une lassitude dans les nerfs, une cessation de la -part des
esprits qui ne coulent plus, ou qui se dissipent des lieux o ils ont
coul. Ainsi, tout nous fatigue la longue, et surtout les grands
plaisirs ;
on les quitte avec la mme satisfaction qu'on les a pris,
car les fibres qui en ont t les organes ont besoin de repos, il faut
en employer d'autres plus propres nous servir et distribuer pour
ainsi dire le travail. Notre me est lasse de sentir
;
mais ne pas
sentir, c'est tomber dans un anantissement qui l'accable. On rem-
die tout, en variant ses modifications
;
elle sent et elle ne se lasse
pas
(1).
L'explication est nulle pour nous aujourd'hui, mais nous
y
trou-
vons l'ide qu'on pourrait expliquer des phnomnes si compliqus
par des hypothses psychophysiologiques

et il est curieux de
voir cette ide qu'on essaie de raliser timidement aujourd'hui

germer dj dans l'esprit de Montesquieu.
D'ailleurs, cette petite bauche, peu importante, renferme bien
les qualits positives et ralistes de l'auteur de YEsprit des lois.
4r.

Si ce petit article sur le Got de Montesquieu est peu im-
portant, l'article sur le Beau crit par Diderot et publi galement
dans l'Encyclopdie doit nous arrter plus longuement
(2).
C'est la dfinition du Beau qui proccupe le plus Diderot. Beau
est un terme que nous appliquons une infinit d'tres
;
mais quel-
que diffrence qu'il
y
ait entre ces tres, il faut ou que nous fas-
sions une fausse application du terme beau, ou qu'il
y
ait dans tous
ces tres une qualit dont le terme beau soit le signe . Et entre
(1)
hoc. cil., p.
127-128.
(2)
Le titre exact est : Recherches philosophiques sur l'origine el la nature
du, beau, 1751 (dKuvres compltes de Diderot, Ed. Asszat et Tourneux, 1875,
chez Garnier frres, Paris, t. X).
DIOEROT
55
les qualits communes tous les tres que nous appelons beaux,
laquelle choisirons nous pour la chose dont le terme beau est le
signe?
(1).
Evidemment, celle dont la prsence les rend tous
beaux.
Cette qualit spciale, qui a la puissance de rendre les objets
beaux, est la notion des rapports. Diderot formule cette dfinition
du beau : J'appelle donc beau hors de moi, tout ce qui contient
en soi de quoi rveiller dans mon entendement l'ide de rapports,
et beau par rapport moi, tout ce qui rveille cette ide .
Dans le mme Dictionnaire, au mot Beaut , il observe :
Terme relatif
; c'est la puissance d'exciter en nous des rapports
agrables. J'ai dit agrable pour me conformer l'acceptation
gnrale et commune du terme beaut, mais je crois que, philo-
sophiquement parlant, tout ce qui peut exciter en nous la per-
ception de rapports est beau . Dans cette seconde dfinition, de
Diderot galement, il manque la distinction que nous trouvons
dans la premire. En dfinissant le mot beau, Diderot spare :
1
tout ce qui contient en soi de quoi rveiller dans mon entende-
ment l'ide de rapports et
2
tout ce qui rveille cette ide de rap-
ports par rapport moi. C'est--dire il distingue un beau objectif
indpendant du sujet qui le contemple et un beau subjectif dpen-
dant, en grande partie, de celui qui contemple. Le premier, il
l'appelle beau rel et le second beau aperu. Les rapports qu'on
trouve dans le beau aperu, existent encore dans la ralit; mais
pour Diderot il
y
a un troisime beau, le beau imaginaire dont les
rapports n'ont pas une existence objective
;
nous n'y trouvons que
des rapports fictifs que notre imagination
y
transporte.
Puisque le beau doit rveiller en nous l'ide de rapports, on est
amen croire que pour sentir le beau on doit effectuer un travail
de rflexion

ce travail nous l'accomplissons, mais comme nous
y
sommes accoutums ds notre enfance, nous
y
arrivons si ais
ment que nous avons l'impression que le beau est une affaire de
sentiment plutt que de raison. J'ose assurer que toutes les fois
qu'un principe nous sera connu ds la plus tendre enfance, et que
nous en ferons par habitude une application facile et subite aux
objets placs hors de nous, nous croirons en juger par sentiment
;
mais nous serons contraints d'avouer notre erreur dans toutes les
occasions o la complication des rapports et la nouveaut de l'objet
(l) Loc. cit.,
p.
26.
56 LES CRITS SECONDAIRES ,
suspendront l'application du principe : alors le plaisir attendra,
pour se fa-ire sentir, que l'entendement ait prononc que l'objet est
beau
(1).
Et ce jugement de la raison se fonde sur la valeur des
rapports. Mais, au fond, de quel genre sont-ils ces rapports ? Di-
derot n'est gure embarrass pour les numrer. On considre les
rapports dans les murs, d'o le beau moral

dans les uvres


littraires, d'o le beau littraire

dans les uvres de musique,


d'o le beau musical

dans les uvres de la nature, d'o le beau
naturel

dans les ouvrages mcaniques, d'o le beau artificiel

dans les uvres d'art, d'o le beau d'imitation. On peut juger aussi
un objet solitairement et en lui-mme- c'est un aspect du beau
rel que nous avons cit

ou relativement d'autres objets, c'est


le beau relatif.
En gnral, quels que soient les rapports, ce sont eux qui cons-
tituent le beau. La perception des rapports est donc le fondement
du beau
;
c'est donc la perception des rapports qu'on a dsigne
dans les langues sous une infinit de noms dilrents, qui tous
n'indiquent que diffrentes sortes de beau
(2).
Mais comme on
saisit diffrents rapports, dans un mme objet, il en rsulte une
diversit clans les opinions des hommes.
Diderot numre quelques facteurs qui causent la diversit dans
les jugements :
1
on juge avec plus ou moins d'exprience
;
2
on
ne saisit pas tous les rapports
;
3
il
y
a des rapports qu'on juge
plus ou moins essentiels
;
4
l'intrt, les passions, l'ignorance, les
prjugs, les usages, les murs, les climats, les coutumes, les gou-
vernements, les cultes, les vnements ont une influence norme
sur les jugements
;
5
on se place, en jugeant, un point de vue
(1)
Loc. cit.,
p.
27-28. Dans YEssai sur la peinture, Diderot revient souvent
cette ide. 11 se demande ce qu'est le got, et rpond : Une facilit acquise
par des expriences ritres, saisir le vrai ou le bon, avec la circonstance qui
le rend beau et d'en tre promptement et vivement touch (Loc. cit. Ed.
Asszat et Tourneux, vol. X, p. 519).

Si les expriences qui dterminent le
jugement sont prsentes la mmoire, on aura le got clair ; si la mmoire
en est passe, et qu'il n'en resle que l'impression, on aura le tact, l'instinct
[bid.,
p. 519). Dans les Penses dtaches sur la peinture, etc., nous retrou-
vons la mme ide : Le sentiment du beau est le rsultat d'une longue suite
d'observations, et ces observations, quand les a ton faites ? En tout temps,
tout instant. Ce sont ces observations qui dispensent de l'analyse. Le got a
prononc longtemps avant que de connatre le motif de son jugement
; il le
cherche quelquefois sans le trouver, et cependant il persiste (Mme dition,
vol. XII, p. 76). Diderot pense que la facult de juger et seutir le beau, nat de
l'exprience journalire, inconsciemment ou subconsciemment.
(2)
Loc. cit.,
p. 3o.
DIDEROT
")7
personnel ;
6on emploie une langue peu prcise
;
7"
les jugements
varient selon les individus ou l'Age
;
8"
on associe des ides dsa-
grables aux belles choses
;
9
on s'appuie pour juger sur des au-
torits contestables.
Il
y
a d'autres facteurs encore que Diderot cite et tout en avouant
qu' il n'y a peut-tre pas deux hommes sur la terre qui aperoi-
vent exactement les mmes rapports dans un mme objet, et qui le
jugent beau au mme degr
(1),
il ajoute : Quoi qu'il en soit
de toutes ces causes de diversits dans nos jugements, ce n'est
point une raison de penser que le beau rel, celui qui consiste dans
la perception des rapports, soit une chimre
;
l'application de ce
principe peut varier l'infini, et ses modifications accidentelles
occasionner des dissertations et des guerres littraires : mais
1^
principe n'en est pas moins constant
(2).
La dfinition du beau, fonde sur la perception de rapports, n'est
pas une chimre, elle est encore moins. L'article entier sur le Beau
de Diderot, n'est pas mme un chteau de cartes comme tant d'au
trs systmes que nous avons rencontrs

il n'est rien.
Diderot

et il semble que le souvenir de VHippias de Platon


y
soit pour quelque chose

veut englober dans sa dfinition le beau


entier, celui de tous les pays et de tous les temps
;
lui-mme l'avoue
avec une grande candeur : Mais le principe de la perception des
rapports, appliqu la nature du beau, n'a pas mme ici ce dsa-
vantage
;
et il est si gnral, qu'il est difficile que quelque chose
lui chappe
(3).
Et ailleurs : Placez la beaut dans la percep-
tion des rapports, et vous aurez l'histoire de ses progrs depuis la
naissance du monde jusqu' aujourd'hui
;
choisissez pour carac-
tre diffrentiel du beau en gnral, telle autre qualit qu'il vous
plaira, et votre notion se trouvera tout coup concentre dans un
point de l'espace et du temps
(4).
Diderot

et nous critiquons
en lui surtout la mthode anti-scientifique que nous retrouverons
au xix
c
sicle

est comme le pcheur avide qui voudrait saisir la
mer entire dans ses larges filets et n'arriverait mme pas
y
re-
tenir quelques petits poissons. Diderot, comme Platon, dsire avoir
la qualit essentielle du beau
;
ce qui le constitue tel, toujours et
(1)
Loc. cil* p. 41.
(2)
Loc. cit.,
p. 41.
(3)
Loc. cit., p. 34.
(4)
Loc. cit., p.
3I>.
58 LES CRITS SECONDAIRES
partout. Or, pour rsoudre une question aussi vaste, un problme
aussi indfini, il faut avoir recours une solution ncessairement
imprcise.
Dire que ce qui constitue le beau, c'est la perception des rapports,
c'est ne rien dire, car ce qui constitue le bon ou le vrai, c'est aussi
la perception des rapports. Ce qui' constitue l'tre mme, c'est en-
core la perception des rapports
;
nous savons que nous existons et
qu'il
y
a un monde extrieur nous, par la perception continuelle
des rapports.
Dire que le beau consiste dans la perception des rapports, c'est
dire une chose vraie, une chose qui est trop simplement vraie pour
tre digne d'intrt. De mme, si nous demandions un chimiste
qu'est-ce que l'acide sulfurique, et s'il nous rpondait uniquement
que cet acide est un assemblage d'atomes, il mettrait une affirma-
tion vraie, mais trop gnrale et dpourvue de tout intrt. La
science ne cherche pas les genres les plus gnraux, mais les diff-
rences spcifiques. Les genres les plus gnraux, comme les raisons
premires, n'expliquent rien en voulant expliquer tout et sont
inutiles.
Quand on contemple le beau, on peroit des rapports

mais le
fait esthtique ne consiste pas dans l'enregistrement des rapports :
il consiste dans ce qui se produit en nous une fois que certains rap-
ports ont t perus ou sentis. Voil ce qu'il faut essayer d'expliquer.
En disant que le beau doit faire natre en nous l'ide de rapports,
Diderot va du particulier au gnral et d'une inconnue une in-
connue d'un ordre plus vaste, pour ainsi dire.
Cette critique que nous adressons la dfinition de Diderot, on
peut l'appliquer plusieurs systmes de philosophie et surtout de
philosophie esthtique. C'est que, malheureusement, le domaine
des faits esthtiques semble tre le plus propice l'panouissement
des systmes vides et striles.
5.

Une des grandes proccupations de Diderot, surtout dans
ses Salons, est de dmontrer que l'art a une mission morale. Or,
ce point de vue, Diderot suit passivement les ides de son sicle. .
11
y
a eu, certainement, des thoriciens, pendant le xviii sicle,
qui ont dfendu l'art qui ne cherche pas instruire ou faire de
la morale, mais depuis le milieu du sicle surtout, la tendance
oppose est prdominante. Pendant la Rvolution et longtemps
aprs, nous retrouvons cette mme tendance

M'
1 "'
de Stal et
MISSION MORALE DE l/ART 59
Kratry, pour ne citer que les plus grands, suivent encore ce mme
courant qui donne l'art un but utilitaire et social.
En 1715, l'abb errasson indiquait dj la tendance que devait
suivre son sicle. Il est certain, crivait-il, que la morale est.
l'me des grands pomes, et qu'ils ne sont arrivs leur perfection
chez tous les peuples, que quand on a su les amener peindre,
corriger et former les murs
(1).
Et c'est vers la mme poque
que Le Sage exposait des ides peu prs identiques. Qui que
tu sois, ami lecteur... si tu lis mes aventures sans prendre garde
aux instructions morales qu'elles renferment, tu ne tireras aucun
fruit de cet ouvrage
;
mais si tu lis avec attention, tu
y
trouveras,
suivant le prcepte d'Horace, l'utile ml avec l'agrable
(2).
Le
Sage revient une ide analogue dans la prface de Guzman
d'Alfarache(m2).
M
m0
Dacier, dans son Iliade
(1711) et son Odysse
(1716),
pense
de la mme manire que l'abb Terrasson. Le pome pique,
crit-elle, est donc un discours en vers, invent pour former les
murs par des instructions dguises sous l'allgorie d'une action
gnrale et des plus grands personnages
(3).
En 1711, elle avait dvelopp dj, plus longuement, cette mme
pense : Il est certain que la posie pique est un art qui n'a t
invent que pour l'utilit des hommes... Cette opinion que le plaisir
est l'unique but du pome pique n'est pas ne de nos jours
;
elle
est fort ancienne... Je me contenterai de dire que cette erreur est
rfute non seulement par tout ce que les anciens les mieux ins-
truits de la posie, et surtout de la posie pique, en ont crit, mais
encore plus par la nature mme du pome, qui est une fable gn-
rale et universelle, comme les fables d'Esope, et rendue particu-
lire par l'imposition des noms. Peut-on imaginer qu'Esope n'ait
cherch qu' plaire dans ses fables, et que l'instruction n'y soit que
comme un assaisonnement pour faire mieux goter le plaisir?
C'est absolument dtruire la nature de la fable qui n'est qu'un dis-
cours invent pour former les murs, et pour corriger par des
instructions dguises sous l'allgorie d'une action... La vrit en
est le fondement, et c'est le point de morale que le pote veut en-
seigner. La fiction, qui dguise cette vrit et qui lui donne la
(1)
Dissertation critique sur l'Iliade, t. I, part. III, sect. I, chap. I
er
,
art. 3.
(2)
Histoire de Gil Btas de Santillane, 1715, Gil Blas au lecteur, allgorie
(3)
L'Odysse d'Homre traduite en [murais. Prface.
60 LES CRITS SECONDAIRES
forme de fable, c'est le secours qu'il emploie pour plaire et pour
faire recevoir plus agrablement l'instruction qui
y
est cache.
Assurer que le but principal de la posie pique est de plaire, c'est
soutenir que l'architecture n'a pour but que le plaisir, qu'un palais
est bti pour les yeux, sans que le logement et la commodit du
matre entre en aucune faon dans les vues de l'architecte
(1).
Au commencement du sicle, ct de M
me
Dacier qui voit dans
la posie la mme utilit que dans l'architecture, il
y
a ceux qui
pensent diffremment, il
y
a La Motte qui estime que dans l'pope
il est essentiel de plaire toujours par quelque endroit, soit en
attachant l'esprit par l'importance des vnements, soit en tou-
chant le cur par les passions des personnages, soit en amusant
simplement par la varit et les grces du sujet
(2)

l'instruc-
tion et la morale sont des choses secondaires dans la posie. Il
y
a
l'abb Dubos, dont nous avons expos ailleurs les thories et qui
crit : On ne lit pas un pome pour s'instruire, mais pour son
plaisir, et on le quitte quand il n'a pas un attrait capable de nous
attacher
(3).
Mais partir de 1730, le nombre de ceux qui veulent un art
moralisateur, augmente. En 1733, c'est l'abb Prvost qui crit
dans YAvis au lecteur de Manon Lescaut : Les personnes de bon
sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature comme un
travail inutile. Outre le plaisir d'une lecture agrable, on
y
trou-
vera peu d'vnements qui ne puissent servir l'instruction des
murs; et c'est rendre, mon avis, un service considrable -au
public, que de l'instruire en l'amusant . En 1736, Crbillon fils,
dans les Egarements du cur et de l'esprit (Prface), soutient que :
L'homme qui crit ne peut avoir que deux objets, l'utile et
l'amusant
,

et il dveloppe ce thme longuement. En 1751,
c'est Frron qui dmontre l'utilit morale du genre larmoyant.
A l'gard de l'utilit morale qui en revient pour les murs, elle
frappe tous les esprits. De pareilles pices rveillent ncessaire-
(1)
L'Iliade. Prface (1711).
(2)
L'Iliade, discours sur Ilomre, 1717. Du dessein d'Hom re. Treize ans
aprs, La Motte rptera ces mmes ides propos de la tragdie. Si on con-
cluait de tout ce que je viens de dire que les tragdies ne peuvent donc pas lre
d'un grand fruit pour les murs, la sincrit m'obligerait d'eu demeurer d'ac-
cord. Discours l'occasion de la tragdie de Honiulus, \T.iO (Le passage
entier est trs intressant).
(3)
Rflexions critiques sur la posie et la peinture, vol. I, soct. XII.
MISSION MORALE DE L'ART
61
ment les ides de probit et de vertu que la nature a graves
dans nos curs (I).
Mais c'est surtout Voltaire qui, employant son
art comme une
machine de guerre contre l'Eglise, prche dans toutes ses prfaces,
dans tous ses discours, dans tous ses crits, que l'art doit faire
aimer la vertu, har le vice, inspirer l'horreur du fanatisme, de la
perscution et de la rbellion, l'amour du bien public et de la cha-
rit universelle, le respect pour les lois, l'obissance des sujets
aux souverains, l'quit et l'indulgence des souverains pour leurs
sujets. Voici ce qu'il crit son Eminence Monseigneur le cardinal
Quirini, propos de Smiramis : Enfin, Monseigneur, c'est uni-
quement parce que cet ouvrage respire la morale la plus pure, et
mme la plus svre, que je le prsente Votre Eminence. La v-
ritable tragdie est l'cole de la vertu
;
et la seule diffrence qui
soit entre le thtre pur et les livres de morale, c'est que l'ins-
truction se trouve dans la tragdie toute en action, c'est qu'elle
y
est intressante, et qu'elle se montre releve des charmes d'un art
qui ne fut invent autrefois que pour instruire la terre et pour
bnir le ciel, et qui, par cette raison, fut appel le langage des
dieux.
Diderot rpte, avec quelques exclamations, quelques apostro-
phes et quelques prosopopes en plus, les mmes ides. Dans
YEssai sur la peinture
(2),
il crit : La peinture a cela de com-
mun avec la posie, et il semble qu'on ne s'en soit pas encore avis,
que toutes deux elles doivent tre bene moratae
;
il faut qu'elles
aient des murs... Rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridi-
cule saillant, voil le projet de tout- honnte homme qui prend la
plume, le pinceau ou le ciseau
(3).
Et il ajoute, en s'adressant
directement l'artiste, dans une phrase pleine d'enthousiasme au
got de son temps : Venge l'homme de bien des mchants, des
dieux et du destin. Prviens, si tu l'oses, les jugements de la pos-
trit
;
ou si tu n'en a pas le courage, peins-moi celui qu'elle a
port. Renverse sur les peuples fanatiques l'ignominie dont ils ont
prtendu couvrir ceux qui les instruisaient et qui leur disaient la
vrit. Etale-moi les scnes sanglantes du fanatisme. Apprends aux
souverains et aux peuples ce qu'ils ont esprer de ces prdica-
(i) Lettres sur quelques crits de ce temps, t. IV, lettre premire.
(2)
Pour faire suite au Salon de 1763, publi eo 17U3. Ed. Asszat et Touroeux,
v. X, p. 435.
(3)
Loc. cit.,
p.
301-502.
62
LES CRITS SECONDAIRES
teurs sacrs du mensonge. Pourquoi ne veux-tu pas t'asseoir aussi
parmi les prcepteurs du genre humain, les consolateurs des maux
de la vie, les vengeurs du crime, les rmunrateurs de la vertu ?
(1).
Diderot, d'ailleurs, revient constamment^ l'ide d'un art huma-
nitaire, didactique et utile
(2),
ce qu'on a appel son aberration
impardonnable
(3).
Dans sa Politique
(4),
le Platon des ency-
clopdistes ne conseillait-il pas Catherine II, d'instituer un
art dramatique d'Etat? Dsigner, lui disait-il, au pote tragique
les vertus nationales prcher. Dsigner au pote comique les
ridicules nationaux peindre .
Au fond, il ne faut pas condamner Diderot

il n'a fait que
suivre le courant de son sicle

et, comme on l'a rpt satit,


au xvm
e
sicle tout le monde tait d'accord pour faire de l'art une
succursale de la morale. Rousseau et Marmontel, que nous exami-
nerons, pensent ils diffremment? et est-ce leur faute s'ils sont
venus au monde au moment o la plus grande rvolution morale,
aussi bien que sociale, fermentait dans la socit franaise
;
s'ils
ont crit la veille de ce grand branlement des mes, qu'on
nomma la Rvolution franaise?
6.

Rousseau aussi, quand il s'occupe de l'art, se place seule-
ment au point de vue moralisateur, mais il faut tre juste envers
le citoyen de Genve : ses vues sont beaucoup plus profondes que
celles de Voltaire mme ou de Diderot.
Dans cette histoire des doctrines esthtiques, nous jugeons les
uvres en nous plaant au point de vue de la science moderne, de
la vrit objective qu'elles contiennent, de la mthode objective
qu'elles tchent de mettre en uvre et en gnral de l'esprit plus
ou moins positif qu'elles manifestent. Et prcisment dans les
crits de Rousseau on ne trouve pas trace de ces quelques qualits
objectives et scientifiques que nous cherchons partout

nous
pensons qu'on peut affirmer, sans risque de se tromper, que dans
(1)
Loc. cit., p.
502-503. DaDs ses Penses dtaches sur la peinture (1798),
on trouve cette phrase : Deux qualits essentielles l'artiste, la morale et la
perspective .
(2)
Consulter : Salon de 1767, vol. XI, p.
188 et suiv., et dans les Penses
dtaches, vol. XII, p. 83 86.
(3)
Article de Brunet sur Diderot dans l'Histoire de la tangue et de la litt-
rature franaise, de Petit de Julleville, t. VI, p. 364.
(4)
Maurice Tourneux. La Politique de Diderot, feuillets indits extraits d'un
manuscrit de la bibliothque des czars. Paris, 1883.
.l.-.I. ROUSSEAU 63
tout le xviii sicle il n'y a pas d'esprit plus anti-scientifique que
celui de Rousseau. Si la science est par excellence raison

raison
froide el objective

celui qui a restaur le sentiment sous toutes
ses Cormes et qui a fond le culte du sujet est loin de la science.
Ainsi, dans l'uvre de Rousseau qui nous intresse, nous trou-
verons deux fadeurs :
1
les ides

au fond banales

que Rous-
seau tient de son poque;
2 la personnalit de Rousseau, s'ailir
niant, s'imposant et expliquant l'art et le monde entier, d'aprs
cette parcelle minime, mais la seule qui intressait le philosophe
genevois : son moi.
Il
y
a une diffrence considrable entre les thories de Rousseau
et toutes celles que nous avons dj examines

et cette diff-
rence est la mme que celle qui spare les cas normaux d'un fait
anormal ou morbide. Mais cette ide demande des claircissements.
Dans les systmes esthtiques que nous avons examins, les
auteurs tiennent compte d'une ralit extrieure, et essaient autant
que possible de faire concider leurs thories avec les expriences
que la ralit leur impose. Un systme o toutes les conclusions
concideraient avec l'exprience fournie par la ralit, serait un
systme scientifique

la science mme.
Rousseau, lui, ne se proccupe gure del ralit extrieure. Ce
qu'il cherche par-dessus tout, c'est que la ralit devienne con-
forme une image qu'il s'est forme d'elle en lui-mme. Et, si en
cela consiste le rve de tous les moralistes ou plutt des rforma-
teurs idalistes dans quelque domaine que leur activit se porte, le
cas de Rousseau nous semble tre un cas curieux, anormal et nous
dirons presque morbide. En esthtique, peut-tre Tolsto, mais en
tout cas le socialiste Proudhon, prsentent exactement le mme
phnomne, et un degr plus aigu.
Si, titre hypothtique et pour mieux faire comprendre notre
ide, nous acceptons que tout homme se forme, consciemment ou
inconsciemment, une philosophie plus ou moins complte
(1),
et
une esthtique, deux facteurs contribuent certainement la forma-
tion de la conception philosophique ou esthtique :
1 ses lectures,
et en gnral les ides et impressions qu'il reoit du dehors, et 2 sa
personnalit qui labore les matriaux venus du dehors et les
groupe, en
y
ajoutant quelquefois des ides originales, en systmes.
Or, dans le cas qui nous occupe, nous voyons la personnalit de
(1)
W. James dveloppe cette thorie dans le Pragmatisme,
64 LES CRITS SECONDAIRES
Rousseau s'imprimer avec une violence inoue sur les quelques
motifs que lui offrait son sicle. C'est pourquoi nous avons
appel ce cas, un cas anormal, et c'est pour cette raison que nous
nous arrtons une thorie qui n'offrirait par ailleurs aucun autre
intrt une histoire de l'esthtique se plaant au point de vue o
nous nous plaons. Nous pensons d'ailleurs que, comme il est d--
montr, que les cas morbides dans les sciences physiologiques sont
plus faciles tudier que les cas normaux et que leur tude est
plus fconde, car ils prsentent les caractres normaux un tat
exagr, nous pensons qu'une tude spciale et approfondie des
quelques cas anormaux intressants que nous trouvons parmi les
thoriciens de l'esthtique ne pourrait tre que fconde et nous
renseignerait, peut-tre, sur le mcanisme de l'laboration des sys-
tmes esthtiques, sur le rle que joue la personnalit pendant ce.
travail psychique et sur d'autres points que nous ne pouvons mme
pas souponner a priori.
Esquissons, au moins brivement, ce qui nous semble intres-
sant dans les thories de Rousseau. Dans le Discours de Dijon
(1),
que trouvons nous ? Une seule et unique affirmation, rpte
satit, n se fondant sur rien d'autre que sur le sentiment de
Jean-Jacques : que les sciences et les arts ont corrompu nos mes.
La personnalit de Rousseau tient la plus grande place dans le
discours

la ralit est compltement dforme sous l'influence
de cette personnalit.
Lorsque Rousseau sera attaqu par tout le monde
il sera
oblig de prciser sa pense, de chercher quelques preuves dans la
ralit, de mettre un frein sa personnalit. Et nous voyons ce
phnomne se produire dans tous les crits polmiques qui suivent
le Discours (2). Son ide initiale, simpliste, s'enrichit
;
Rousseau
(i) Discours qui a emport le prix l'Acadmie de Dijon, en l'anne 1150,
sur cette question propose par la mme Acadmie : si le rtablissement
des sciences et des arts a contribu purer les muri
'
(2)
Lettre Grimm

Rponse au Roi de Pologne; Dernire rponse
M. Bordes ; Prface de Narcisse qui est de 1752 et dans laquelle od trouve
toutes les ides du Discours exposes sans l'enthousiasme iuitial mais beaucoup
plus srieusement
;
voici un passage significatif qui montre l'volution opre
dans l'esprit de Rousseau : Et, c'est ainsi que les arts et les sciences, aprs
avoir fait clore les vices, sont ncessaires pour les empcher de se tourner en
crimes
;
elles les couvrent au moins d'un vernis qui ne permet pas au poison de
s'exhaler aussi librement : elles dtruisent la vertu, mais elles en laissent le
simulacre public, qui est toujours une belle chose : elles introduisent sa place
la politesse et les biensances
; et la crainte de paratre mchant, elles substi-
tuent celle de paratre ridicule.
J.-J. ROUSSEAU
65
cherche dans la ralit des preuves de ce qu'il avance
;
une volu-
tion s'opre dans sa thse qui, en fin de compte, se prsente autre
ment qu'au dbut.
Au
commencement,
l'ignorance tait l'tat bni pour l'homme.
Mais, dans la Dernire rponse M. Hordes, voici que Rousseau
crit : La vertu n'est pas incompatible avec l'ignorance. Elle
n'est non plus toujours sa compagne; car plusieurs peuples trs
ignorants taient trs vicieux. L'ignorance n'est un obstacle ni au
bien ni au mal
;
elle est seulement l'tat naturel de l'homme . La
ralit qu'il fut contraint d'examiner pour rpondre ses adver-
saires

obligea Rousseau faire quelques concessions (1).
Au
fond, elles taient minimes ;
lui-mme sentait qu'il pourrait par-
faitement se moquer du rel, pourvu qu'il respectt toujours scru-
puleusement le sentiment de Jean-Jacques. En effet, dans la Lettre
Grimm, Rousseau crit que pour dmontrer ses propositions, il
faudrait faire des in-folio et amasser des preuves, si bien qu'on
perdrait la question de vue ;
ce n'est pas la peine de commencer ,
ajoute-t-il (2).
Cette phrase dmontre que Rousseau sentait que les preuves
taient superflues

que la ralit importait peu


mais que l'es-
sentiel tait d'atfirmer avec force sa personnalit. Et c'est ce qu'il
faisait toujours et partout.
La Lettre d'Alembert nous prsente exactement le mme phno-
mne

Rousseau affirmant sa personnalit


mais on
y
trouve,
il est vrai, quelques tentatives de dmonstration qui, au fond,
restent extrieures la vie intime de l'uvre.
L'ide
fondamentale,
directrice,
gnratrice de la
Lettre
d'Alem-
bert, est la suivante : les spectacles ne peuvent qu'tre nuisibles
la vertu ;
c'est le sentiment de Jean-Jacques
;
mais Rousseau se
(1)
H. Hfding, dans son livre : J.-J. Rousseau et sa philosophie (Trad.),
Alcan, 1912, p. 121, remarque aussi celte volution de la pense de Rousseau.
Au commencement, il proposait que l'on choisisse entre l'tat naturel et la civi-
lisation. Plus tard, il ne voulait pas revenir en arrire
;
il reconnut seulement
la culture cette seule valeur d'tre un moyen de prvenir des choses pires.
A la tin, il tait arriv l'ide d'une bonne culture.
(2)
Examinant la critique que lui avait adresse Gantier, il dit cette phrase
significative : Si je voulais rpliquer la seconde partie [de cette critique],
cela serait bientt fait ; "mais je
n'apprendrais rien
personne. M." Gautier se
contente, pour m'y rfuter, de dire oui partout o j'ai dit non, et non partout ou
j'ai dit oui
;
je n'ai donc qu' dire encore non partout o j'avais dit non, oui
partout o j'avais dit oui, et supprimer les preuves, j'aurai trs exactement
rpondu.
66 LES CRITS SECONDAIRES
demande le pourquoi
;
cette fois il veut amasser des preuves. La
ralit prend une revanche amusante. Rousseau arrive des con-
clusions contraires au sentiment de Jean Jacques. Ces conclusions
sont :
1
le thtre ne peut peindre que les murs existantes, donc
la comdie est bonne aux bons et mauvaise aux mchants
;
2
quand
le peuple est corrompu, les spectacles lui sont bons, et mauvais
quand il est bon lui-mme. Pour Paris, qui est corrompu, qui
a subi l'influence des sciences et des arts, qui est sorti de l'tat
naturel de l'homme, les spectacles, tout en tant mauvais en eux-
mmes, peuvent devenir salutaires
;
mais pour Genve, non, ja-
mais! s'crie Rousseau
;
qu'elle vive dans l'austrit de Sparte.
La conclusion de Rousseau est nette et fidle la personnalit de
Jean-Jacques; la voici : ... Je crois qu'on peut conclure de ces
considrations diverses que l'eiet moral des spectacles et des th-
tres ne saurait jamais tre bon ni salutaire en lui-mme, puisqu'
ne compter que leurs avantages, on rr'y trouve aucune sorte d'uti-
lit relle sans inconvnients qui la surpassent. Or, par une suite
de son inutilit mme, le thtre, qui ne peut rien -pour corriger
les murs, peut beaucoup pour les. altrer. En favorisant tous nos
penchants, il donne un nouvel ascendant ceux qui nous domi-
nent; les continuelles motions nous aiaiblissent, nous rendent
plus incapables de rsister nos passions, et le strile intrt qu*on
prend la vertu ne sert qu' contenter notre amour-propre sans
nous contraindre la pratiquer.
Et, voici les ides plus fcondes, qu'il a tires de l'observation
de la ralit et qui contredisent ses conclusions fondes sur son
sentiment personnel. La scne : est un tableau de passions hu-
maines, dont l'original est dans nos curs : mais si- le peintre
n'avait soin de flatter ces passions, les spectateurs seraient bientt
rebuts, et ne voudraient plus se voir sous un aspect qui les ft
mpriser d'eux-mmes. Que s'il donne quelques unes des couleurs
odieuses, c'est seulement celles qui ne sont point gnrales, et
qu'on hait naturellement. Ainsi l'auteur ne fait encore en cela que
suivre le sentiment du public
; et alors ces passions de rebut sont
toujours employes en faire valoir d'autres, sinon plus lgitimes,
du moins plus au gr des spectateurs... Qu'on n'attribue donc pas
au thtre le pouvoir de changer des sentiments ni des murs
qu'il ne peut que suivre et embellir. Un auteur-qui voudrait heurter
le got gnral composerait bientt pour lui seul. Et Rousseau
ajoute cette rflexion qui ne nous semble pas mprisable : Qui
J.-.I. RiHSSEAU 61
est-ce qui doute que sur nos thtres la meilleure pice de Sophocle
ne tombt tout plat? On ne saurait se mettre la place des gens
qui ne nous ressemblent point
(1).
Donc, l'auteur dramatique est forc de puiser ses ides morales
dans le milieu moral de son temps. Il s'ensuit de ces premires
observations que l'effet gnral du spectacle est de renforcer le
caractre national, d'augmenter les inclinations naturelles, et de
donner une nouvelle nergie toutes les passions. En ce sens, il
semblerait que cet effet se bornant charger et non changer les
murs tablies, la comdie serait bonne aux bons et mauvaise aux
mchants. Ainsi Rousseau arrive l'ide de la relativit de l'art.
L'uvre dpend en grande partie de celui qui contemple.
Mais cette conclusion qui contredit ses ides personnelles, ne
peut lui suffire. Le spectacle dpend du spectateur

c'est vrai

mais, Jean-Jacques pense que quand le peuple est corrompu, les
spectacles lui sont bons, et mauvais quand il est bon lui-mme.
Seconde conclusion qui contredit la premire.
Ainsi, cette ide de la relativit de l'art, que nous avons trouve
d'ailleurs avant les crits de Rousseau, le philosophe genevois, tout
en la dveloppant bien, tout en la trouvant conforme la nature
des choses, ne peut que la nier, puisqu'elle ne cadre pas avec ses
ides personnelles (2). Et, au fond, nous l'avons dit, si on met de
(i) A propos de cette relativit, consulter : H. Hffding, J.-J. Rousseau et sa
philosophie, Ed. Alcan, 1912, p. 122.
Autre observatiou intressante que fait Rousseau : J'entends dire que la
tragdie mne la piti par la terreur
;
soit. Mais quelle est cette piti ? Une
motion passagre et vaine, qui ne dure pas plus que l'illusion qui l'a produite
;
un reste de sentiment naturel toud bientt par les passions, une piti strile,
qui se repat de quelques larmes, et n'a jamais produit le moindre acte d'huma-
nit. A ct de ces observations fines que la ralit lui suggrait, ou trouve
des remarques qui, pour cadrer avec son systme, deviennent risibles. Ainsi,
voici comment il se reprsentait la gense des arts : Ou s'accoutuma s'assem-
bler devant les cabanes ou autour d'un grand arbre : le chant et la danse, vrais
enfants de l'amour et du loisir, devinrent l'amusement ou plutt l'occupation des
hommes et des femmes oisifs et attroups. Chacun commena regarder les
autres et vouloir tre regard soi-mme, et l'estime public eut un prix. Celui
qui chantait ou dansait le mieux, le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le
pins loquent, devint le plus considr ;
etc. Discours sur l'origine et les
fondements de l'ingalit parmi les hommes, 17.">i.
(2)
Voici comment il dveloppe cette ide : L'homme est un, je l'avoue
;
mais
l'homme modifi par les religions, par les gouvernements, par les lois, par les
coutumes, par les prjugs, par les elimals, devient si diffrent de lui-mme,
qu'il ne faut plus chercher parmi nous ce qui est bon aux hommes en gnral,
mais ce qui leur est bon dans tel temps ou dans tel pays. Lettre a M. it'Alem-
bert, etc.
68 LES CRITS SECONDAIRES
ct ces quelques observations tires du rel, qu'il rejette d'ail-
leurs, on ne trouve dans l'uvre de Rousseau, du moins en ce qui
concerne l'esthtique, que l'atirmation ternelle de sa propre per-
sonnalit, affirmation imprieuse, radicale, niant mme la ra-
lit (1).
Nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir plus longue-
ment sur le caractre anormal de certains systmes, en examinant
celui de Proudhon et en le rapprochant de celui du philosophe
genevois.
7.

Si les solutions que Rousseau apporte aux problmes qui
l'occupent manent directement et uniquement de sa personnalit,
cette proccupation constante de juger l'art au point de vue de la
morale, de chercher la vertu l o l'on ne doit se soucier que de
la beaut, appartient bien au xvm
e
sicle.
Les quelques misrables petits travaux esthtiques du dernier
quart de ce sicle s'occupent, presque exclusivement, du problme
de l'art et de la morale.
Les thories originales de Sulzer, que l'Encyclopdie publia tra-
duites de l'allemand, font exception la rgle; mais Sulzer n'tant
pas Franais, n'ayant mme pas crit en franais, n'entre pas dans
les cadres de cette histoire.
Chastellux aussi, autre collaborateur de l' Encyclopdie, est ori-
ginal, et ses thories esthtiques, qui dnotent l'influence de Winc-
kelmann, sortent de la banalit des thories contemporaines.
Aprs 1760, dans les arts, on subit l'influence de l'tranger. En
1745, la traduction de Diderot du livre de Shaftesbury, l'Essai sur
le mrite et la vertu, exera une profonde influence en raison de sa
tendance moralisatrice. L'analyse de la beaut, de Hogarth, ne
passa pas inaperue non plus.
Dans les arts plastiques, le culte de l'antique s'annonce aprs
1760. Diderot, dans l'Introduction de son Salon de 1767 est sous
l'influence manifeste de Winckelmann, dont YHistoire de l'art chez
(1)
HldiDg, dans le livre cit, explique de la faon suivante la condamnation
de l'art prononce par Rousseau : c< Quand Jean-Jacques dnona aussi l'art,
c'tait, en grande partie, parce que son Ame renfermait une richesse plus grande
que celle qui tait contenue dans l'art contemporain. Et lorsque cependant il
cra lui-mme un nouvel art, c'tait parce que sa vie intrieure renfermait une
telle richesse qu'il avait besoin de lui trouver une expression. Loc. cit., p.
70-71.
Si nous comprenons bien, Hfldiug fait dpendre le verdict contre l'art, de la
personnalit de Rousseau. Or, c'est l exactement notre avis aussi.
ESTVE, d'LEMBERT 69
les anciens fut traduite et publie en I7GG (I). Mais en esthtique,
les travaux de la fin du sicle sont rellement pileux. Et, puisqu'il
faut passer rapidement en revue ces quelques travaux, d'une m
diocrit si accuse,
n'oublions pas un livre, paru en
17.'>5, de Pierre
Estve et intitul : l'Esprit des Beaux-Arls {2).
Estve est peut-tre le dernier auteur du xvm
e
sicle qui veuille
ramener les beaux-arts quelque principe primitif et cons-
tant
(3).
Que doivent chercher les artistes dans leurs uvres, se demande-
t-il? et il
y
rpond : Sans doute c'est plaire, c'est exciter
dans l'homme par l'attrait du plaisir l'amour de la vertu
(4).
On
avouera qu'Estve n'est pas un rvolutionnaire. 11 -fait aussi in-
tervenir une thorie de l'expression, qui a le tort de venir aprs
celle de Condillac et d'tre mdiocrement dveloppe.
L'ide de la relativit de l'art n'est pas absente de son livre. Le
got est relatif
;
il varie avec les temps, les climats et les individus

mais il
y
a une partie fixe et immuable

et cette concession
l'absolu nous rappelle les thories du Pre Andr. En gnral, les
arts, pour Estve, sont des expressions directes de la sensibilit
(5).
Estve conoit aussi, assez vaguement, une volution continuelle
des beaux-arts, volution qui n'est pas toujours progrs, mais par-
fois recul. C'est tout ce qu'on peut glaner dans ce livre qui est
rellement insutiisant (G).
Parmi les travaux peu importants, d'esthtique, il
y
a quelques
crits de d'Alembert. Le
mathmaticien-philosophe ne s'est pas
occup srieusement d'esthtique. Dans sa Rponse la Lettre de
J.-J. Rousseau, il tale les thories habituelles de l'art donnant des
leons morales

et vaguement il semble accepter le thtre en
dehors de son utilit. Dans son article sur le Got
(7)
de VEncyclop
die (1757),
il'dveloppe*trs brivement des ides scientifiques et ob-
(1)
Consulter, A. Fontaine, les Doctrines d'art en France, 1909, p.
287 et suiv.
(2)
2 vol. in-12.
(3)
Loc. cit., vol. I, p.
3.
(4)
Loc. cit., vol. I, n. 8.
(d) Loc. cit., vol. I, p.
121.
(6)
Estve demande que la scne des thtres ait la couleur locale (Loc. cit..
vol. II, p. 167) et qu'elle ne soit pas encombre par les spectateurs (Ibid.), il
demande cela six ans avant que le comte de Lauraguais (1759)
ait dbarrass la
scne de ceux qui rellement
y
taient une gne.
(7)
Le titre exact est : Rflexions sur l'usage et sur l'abus dp la Philoso-
phie dans les matires de got.
70 LES CRITS SECONDAIRES
jectives sur la manire de juger les uvres d'art. Il
y
a, crit-il,
les beauts frappantes et sublimes qui saisissent galement tous les
esprits et les beauts qui ne touchent que les mes sensibles . En
jugeant les oeuvres d'art, on peut se tromper ou par manque de
sensibilit ou cause d'un dfaut de l'organe (des sens). Pour
trouver des rgles pour juger les uvres d'art, il faut, par l'intros-
pection, analyser notre me. En effet, la source de notre plaisir et
de notre ennui est uniquement et entirement en nous
;
nous trou-
verons donc en dedans de nous-mmes, en
y
portant une vue atten-
tive, des rgles gnrales et invariables de got, qui seront comme
la pierre de touche l'preuve de laquelle toutes les productions
de talent pourront tre soumises . Et d'Alembert dconseille la
recherche des premires causes, recherche strile. En quelque
matire que ce soit, nous devons dsesprer de jamais remonter
aux premiers principes, qui sont toujours pour nous derrire un
nuage : vouloir trouver la cause mtaphysique de nos plaisirs,
serait un objet aussi chimrique que d'entreprendre d'expliquer
l'action des objets sur nos sens .
Il est rellement fort regrettable que d'Alembert n'ait pas crit
un travail tendu sur Y Esthtique

avec des ides aussi fcondes,
il nous aurait lgu une tude d'une valeur inestimable.
Et aprs d'Alembert, faut-il mme rappeler le livre de Sran de
la Tour
(1762)
que nous avons examin,. en l'y rattachant, avec la
thorie, du Pre Andr, ou citer ce mdiocre Essai sur la beaut
(1770)
de Marcenay de Ghuy, o l'auteur pense que pour sentir le
beau, il faut possder une facult spciale, qu'il ne dfinit pas
autrement que comme un sentiment dlicat ? D'ailleurs, cette mme
ide de l'existence d'une facult spciale pour sentir le beau, avait
t dj dveloppe par Hutchinson, dont les Recherches sur l'ori-
gine des ides que nous avons de la beaut et Je la vertu avaient t
publies en 1725 et traduites en franais en 1749.
8.

En 1768, nous trouvons le premier Trait du rire crit en
franais. L'auteur est Poinsinet de Sivryetson livre est rellement
intressant
(1).
Ce curieux ouvrage est crit sous forme de dialogue
entre Destouches, Fontenelle et Montesquieu.
Dans le premier discours, l'auteur soutient que la joie est la
(1)
Trait des causes physiques et morale* du rire, relativement a l'art
de l'exciter. Amsterdam, 1768.
POINSINET DE SIVRV 71
source du rire; mais non pas toute joie; seule la joie raisonner
peut faire natre le rire. ... Le rire prend sa source dans la joie
raisonne, qui, par consquent, u'est et ne peut tre propre qu
l'espce raisonnable
(1).
Ainsi les animaux qui ressentent la joie
simple, ne rient pas. La raison modre et- rgle le rire et la joie
est la source du rire sous les auspices de la raison. Enfin, les en-
fants, avant l'ge de raison, ne rient que par imitation. Ce premier
discours est le moins intressant.
Dans le second, l'auteur soutient que la folie est le principe do
rire. Il est, en effet, facile dmontrer que dans la plupart des cas
nous rions quand notre raison nous en blme, et mme sans aucun
prtexte et sans aucun motif raisonn.
Le rire rside surtout dans le diaphragme [sic) et n'est pas une
facult occulte, mais une affaire d'organisation (2).
Pour l'auteur,
le rire se rduit, comme nous dirions aujourd'hui, un processus
psycho-physiologique de caractre pathologique

puisque, dans
ce second discours, le rire est envisag comme une lgre folie.
L'auteur soutient, avec beaucoup de verve, ce paradoxe, qu'il
essaie de dmontrer l'aide de nombreux exemples. Faut-il d'au-
tre preuve que ce mouvement prend sa source dans la folie que
cette observation dj faite : qu'on rit tous les jours sans sujet,
qu'on rit contre temps, qu'on rit malgr soit, et mme des choses
dont la rflexion nous afllige? A quelle autre cause attribuer cette
impulsion bizarre qui nous fait agir contre tous les principes de la
raison, qui ne se rencontre jamais avec elle, et qui s'en dclare
nettement l'ennemie?
(3).
D'ailleurs, Poinsinet de Sivry fait
remarquer que dans la langue usuelle nous disons : rire comme un
fou, tre pris de fou-rire, etc.
L'auteur s'arrte avec raison sur ce point intressant du phno-
mne du rire : c'est que le contrle du moi, parfois manque. I) ail-
leurs, il attnue sa thse que le rire est une folie, et donne cette
conclusion : Je dirai donc, si l'on veut, par forme d'accommo-
dement, que le rire n'est pas toujours une folie relle..., mais qu'il
est pour l'ordinaire un symptme passager de draison, sans tou-
tefois que ce dsordre momentan de l'me puisse tirer cons-
quence pour le reste de notre conduite. Celle crise passe, je con-
(1)
Loc. cil
,
p.
2.').
(2) Loc. cit., p. 56.
(3)
loc. cit.,
p.
67-68.
72 LES CRITS SECONDAIRES
sens que tout rentre dans l'ordre, et que la raison reprenne ses
droits avant mme de s'apercevoir qu'elle les ait perdus
(1).
Dans le troisime discours, les deux thses dj dveloppes sur
le rire sont rfutes. L'auteur en soutient une dernire, d'aprs
laquelle le principe du rire serait l'orgueil. ... On peut dire gn-
ralement que le ris doit sa naissance cette espce d'abus de rai-
son, qu'on nomme orgueil, mlange, pour l'ordinaire, d'une sen-
sation agrable, et mme d'une certaine joie
(2).
L'auteur semble d'ailleurs vouloir unir les trois thories. On
peut cependant concilier quelques gards le systme de la joie
avec celui de l'orgueil. On peut mme, comme je l'ai dit, admettre
en certains points celui de la folie
;
l'orgueil tant une faiblesse qui
touche de prs l'abus de la raison, par les secousses dlicieuses
et la satisfaction secrte qu'elle fait prouver notre me. Car le
rire n'est pas excit indiffremment par toute sorte d'orgueil, mais
presque toujours par l'orgueil qui s'applaudit
(3).
Dans ce petit ouvrage, d'un rel intrt, on trouve des remar-
ques psychologiques trs fines et trs amusantes. Nous en donnons
l'chantillon suivant : Mais jusqu'o ne va point la prsomption
de l'homme? Non content de rire aux dpens d'autrui, il porte
quelquefois la vanit jusqu' rire ses propres dpens. On peut
appeler ce jnoment le triomphe de l'amour-propre, puisque ce
mme orgueil qui nous fait presque toujours penser que nous
sommes suprieurs nos semblables, nous fait croire en certains
instants que nous sommes suprieurs nous-mmes
(4).
Le livre entier est trs intressant, non seulement pour sa date
et parce que c'est le premier crit franais sur le rire, cousu de
nous au moins, mais pour la grande multitude de ses exemples
psychologiques et mme physiologiques et l'abondance des remar-
ques et des thories originales.
9.

Les thories de Marmontel, concernant l'esthtique, tmoi-


gnent d'un tout autre esprit : tenant trop peu compte des faits,
elles n'offrent gnralement qu'un intrt mdiocre.
Et tout d'abord cet ternel leitmotif de l'art ayant un but moral.
(1)
Loc. cit.,
p. 7a.
(2)
Loc. cit., p. 93.
(3)
Loc. cit., p. 91-92.
(4)
Loc. cit.,
p. 117.
MARMONTEL, DE CIIASTELLUX
73
revient satit dans les crits de Marmontel. Dj, dans la r-
ponse qu'il a faite la Lettre d'Alembert de Rousseau
(1),
nous
lisons : C'est au pote de rendre l'utile agrable, et tous les bons
potes v ont russi. Et plus loin : Chez les Grecs, la tragdie
tait une leon politique
;
chez nous, elle est une leon morale... (2)
C'est tout ce qu'on trouve dans cette Apologie du thtre, qui d-
montre une complte incomprhension des ides profondes et phi-
losophiques de Rousseau.
Dans les autres crits de Marmontel, ses ides proprement esth-
tiques demeurent assez confuses. Ainsi, pour dfinir le beau :
Tout le monde convient, crit-il, que le beau, soit dans la nature
ou dans l'art, est ce qui nous donne une haute ide de l'une ou de
l'autre, et nous porte les admirer
(3).
Et il divise le beau :
1
en beau intellectuel;
2
en beau moral
;
3 en beau sensible
ou matriel. D'autre part, la haute ide de sa dfinition, il la
subdivise :
1
en force ;
2
en richesse
;
3 en intelligence.
Toutes
ces subdivisions sont trs honntes, mais elles ont le tort d'tre
aussi banales que gratuites.
A un moment donn, propos de la beaut de l'homme et de la
femme, il fait entrer en ligne de compte le but et la destination du
beau
(4).
Mais il ne s'arrte gure cette dfinition, qui est pour-
tant plus originale et plus fconde que la premire.
Marmontel se proposa d'crire l'histoire naturelle de la posie.
Voici comment il posa la question lui-mme : On a crit les rvo-
lutions des empires ;
comment n'a-t-on jamais pens
crire les
rvolutions des arts, chercher dans la nature les causes physi-
ques et morales de leur naissance, de leur accroissement, de leur
splendeur et de leur dcadence? Nous allons en faire l'essai sur la
partie la plus brillante de la littrature ;
considrer la posie comme
une plante; examiner pourquoi, indigne dans certains climats, on
l'y a vue natre et fleurir d'elle-mme
;
pourquoi
trangre partout
ailleurs, elle n'a prospr qu' force de culture (5).
(1)
Apologie du thtre ou analyse de la lettre de Rousseau, citoyen de
Genve a d'Alembert, au sujet des spectacles. Mercure, novembre 1578,
jan-
vier 1759.
(2)
Dans les Elments de Littrature, nous trouvons,
plusieurs reprises, la
mme ide : Le but de la tragdie est, selon nous, de corriger les murs, en
les imitant par une action qui serve d'exemple (Article :
Tragdie).
(3)
Elments de Littrature. Article : Beau.
(4)
Crousaz avait bauch une dfinition analogue.
15)
Elments de Littrature. Article : Posie. Voici un autre passage carac-
74 LES CRITS SECONDAIRES
L'explication par le hasard ne satisfait pas Marmontel. Il est
plus que probable que sous le mme ciel, dans le mme espace de
temps, la nature produit la mme quantit de talents, de la mme
espce. Rien n'est fortuit, tout a sa cause
;
et d'une cause rgulire,
tous les effets doivent tre constants
(1).
Le climat joue le plus
grand rle dans l'apparition des talents
;
le milieu naturel et le mi-
lieu moral sont deux autres facteurs.
Marmontel est un esprit trs peu positif et sans tendances scien-
tifiques,

or, il est curieux de trouver de pareilles thories dans
ses crits. Au fond, il ne saisit pas la porte de ces thories
qu'il
a puises, nous semble-t il, en majeure partie dans le livre de
l'abb Dubos

et ds qu'il commence crire son histoire natu-


relle de la posie , il les oublie totalement. Nous les verrons rap-
paratre, avec une vigueur superbe, dans la seconde moiti-du
xix
e
sicle. Nous avons tout critiqu, jusqu'ici, dans l'uvre de
Marmontel,

nous devons cependant le louer au moins d'avoir
recueilli ces ides fcondes, mme sans comprendre leur valeur
et leur sens profond.
Dans son Essai shr le got, lu l'Acadmie le 17 avril 1786,
Mar-
montel dfinit le got comme le sentiment vif et prompt des
finesses de l'art et remarque que ce sentiment varie avec les
temps, les lieux, les murs et les habitudes. Mais ct de ce
got, il
y
a le got naturel, immuable, immortel. Voil le got
par excellence, le sentiment juste et profond de ce qui doit plaire,
attacher, intresser dans tous les temps . Il n'y a l rien de nou-
veau ni de bien intressant.
Au contraire, les thories du chevalier de Chastellux prsentent
des grandes nouveauts et sont du plus grand intrt
(2).
Chas-
tellux s'inspire des thories de Winckelmann, et on sent dj dans
ses crits les ides qui provoqueront le romantisme du xix sicle.
L'utilit est trangre l'art; l'art n'imite pas passivement la na-
ture, il cre; la nature n'est pas complte, l'art vient son secours.
Voil des ides hardies pour 1777 et qui annoncent
l'avenir.
tristique : D'aprs l'esquisse que je viens de donner de l'histoire naturelle do
la posie, on doit sentir combien on a t injuste en comparant les sicles et
leurs productions, et en jugeant ainsi les hommes. Voulez-vous apprcier l'in-
dustrie de deux cultivateurs : ne comparez pas seulement les moissons
;
mais
pensez au terrain qui les a produites, et au climat dont l'influence l'a rendu plus
ou moins fcond. (Ibid.)
(1)
Ibid.
(2)
L'article sur YIdal, dans le Supplment de l'Encyclopdie (1777).
MARMONTEL, DE CIIASTELLUX
<
Les beaux arts cherchent avant tout, selon Chastellux, pro
curer des sensation* ayrabls

et les hommes gotent ces sensa-
tions
indpendamment de toute utilit. Un banc, un fauteuil,
attirent ou repoussent les regards suivant la forme qu'on leur a
donne, et cela indpendamment de toute ide de convenance ou
d'utilit
(1).
Les beaux-arts n'imitent pas passivement la nature. Soyons
donc plus justes envers les beaux-arts et rendons-leur les titres de
noblesse qu'on veut leur ter. Ils ne sont pas seulement
imitateurs,
mais crateurs; et non contents de copier la nature, ils savent
l'embellir, ils savent exprimer la pense de l'homme, pense qui
n'est que le rsultat de ses dsirs ambitieux et de l'ardeur avec
laquelle il cherche le plaisir .
La nature est aussi une source de sensations
agrables, mais
l'art est plus expressif, il nous touche bien plus qu'elle. La
nature, il est vrai, aussi riche que belle, est pour nous une source
fconde de sensations vives et intressantes : mais comme les
objets qui les excitent sont sems au hasard et varis
l'infini,
comme les vicissitudes des temps, des saisons, des modifications
communes tous les tres, ou particulires notre individu, nous
empchent souvent de recevoir des impressions profondes et du-
rables, l'art est venu son secours ;
et second par, ces deux grands
moyens, l'abstraction et l'exagration, il est parvenu
nous int-
resser et nous toucher plus que la nature mme (2).
Et l'art
arrive dpasser la nature, par l'idal qui excite des sensations
agrables, qui inspire l'homme une haute ide de ses propres
forces et qui donne un grand essor l'imagination.
Rocafort a
crit, rsumant bien l'ide de Chastellux : Ainsi l'idal est, pour
de Chastellux, le maximum d'ett'et artistique d'une uvre d'art. La
nature semble un artiste maladroit ou
impuissant qui n'a pas su
l'atteindre, et l'artiste est charg de deviner son intention et de la
raliser mieux qu'elle ne l'a fait. Cela revient
deviner des mots
inachevs sur les lvres qui les balbutient (3).
Telles sont les
ides de Chastellux, que Winckelmann avant lui avait dveloppes

mais que l'on trouve dj dans les dialogues de Platon.


(1)
L'homme commence par se construire une cabane. Mais bientt, ayant le
loisir dconsidrer son ouvrage, il
y
cherchera autre chose que l'utilit . Et, de la
cabane, qui n'tait qu'un asile commode , il fera un palais rgulier .
(Ibid.).
(2)
lbid.
(3)
Rocafort, Les doctrines interaires de l'Encyclopdie, 1890, p.
63.
76 LES CRITS SECONDAIRES
Aprs les travaux du chevalier de Chastellux, si intressants, il
faut attendre le nouveau sicle pour trouver des uvres concer-
nant l'esthtique. Les quelques crits de la fin du sicle ne sont
rellement pas dignes d'tre cits ici. Les ides prdominantes
pendant la lin du xvnr
3
sicle, dont la plus saillante est l'utilit
sociale de l'art, nous les retrouvons dans une petite brochure parue
en l'an VI (1).
L'homme est fait pour vivre en socit

quoi qu'en
dise Rousseau

les arts ont un but social et moral ... les arts font
partie des institutions politiques... . Jadis on confondait leur
moyen, qui consiste plaire, avec leur objet, qui consiste tre
utiles. Et l'auteur cite un passage de Mirabeau : Gardez-vous de
croire les arts de pur agrment trangers aux considrations de la
politique. Le but de l'association est d'assurer les jouissances de
l'homme; comment ddaigner ce qui les multiplie?... Tous les
beaux-arts sont une proprit publique ;
tous ont des rapports avec
les murs des citoyens... L'enthousiasme des arts nourrit celui du
patriotisme, et leurs chefs-d'uvre consacrent la mmoire des
bienfaiteurs de la patrie...
Tels sont les derniers crits pseudo-idologiques et rellement
mdiocres de la fin du sicle.
(1) P. Chaussard, lissai philosophique sur la dignit des arts, 1798. Il faut
signaler encore cet autre ouvrage, dont le titre est assez significatif : G. -M.
Raymond, De la peinture considre dans ses effets sur les hommes en
gnral et de son influence sur les murs et le gouvernement des peuples.
Paris, an VU (1799).
SECONDE PARTIE
Les
systmes
esthtiques
en France
pendant le XIX
e
sicle (1800-1900)
CHAPITRE PREMIER
Les proccupations morales, sociales et utilitaires
du commencement du XIX
e
sicle.
1. M'
nc
de Stal.

2. Les thoriciens de second ordre.


3. Stendhal.

4. Kratry.
Le
xix
e
sicle reprend les problmes de la fin du xvm
e
;
on re-
cherche encore et avant tout l'utilit sociale ou morale de
l'art. L'esthtique proprement dite pitine sur place, sans produire
rien de nouveau, pendant plus de quinze ans.
1 .

On trouve pourtant, dans le livre de M
me
de Stal, intitul :
De la littrature considre dans ses rapports avec les institutions
sociales
(1),
des lments fconds puiss en partie dans les littra-
tures trangres; cet ouvrage n'est pas un travail d'esthtique,
mais il doit cependant retenir quelque peu notre attention. Essayons
de mettre en ordre les ides directrices de ce gros volume.
En premier lieu, la pense qui hante M
rae
de Stal tout moment,
qui constitue le leitmotif du livre et qui indique quelle date il a
t crit : c'est la proccupation morale, utilitaire et sociale envi-
sage comme but presque unique de l'art. On ne peut citer les pas-
sages o cette ide est dveloppe, car il faudrait copier le livre en
entier. M
me
de Stal va jusqu' dire que sous la monarchie ce
qui dgradait les lettres, c'tait leur inutilit
(2).
A propos de la
tragdie, elle crit : Le principe de l'utilit se retrouve dans ce
genre comme dans tous les autres. Ce qui est vraiment beau, c'est
ce qui rend l'homme meilleur
(3).
Ailleurs, elle crit : Un cri-
vain ne mrite de gloire vritable que lorsqu'il fait servir l'motion
(1)
Publi en 1800. Nous utilisons l'dilion de 1838, tome second des uvres
compltes.
'
(2)
hoc. cit., p.
352.
3) Loc. cit., p. 373.
80 LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
quelques grandes vrits morales
(1).
Les Grecs ne valent pas
grand chose, car il leur manque une philosophie morale
(2)
et les
Romains leur sont suprieurs par la sagacit et l'tendue dans
les observations morales et philosophiques
(3).
A ct de la proccupation morale et utilitaire, nous trouvons le
besoin de faire entrer dans l'art les ides philosophiques

besoin
qui caractrise le xvm
e
sicle. Les romans, la posie, les pices
dramatiques, et tous les crits qui semblant n'avoir pour objet que
d'intresser, ne peuvent atteindre cet objet mme qu'en remplis-
sant un but philosophique
(4).
Le xvm
e
sicle n'tait pas rest indiffrent la querelle des an-
ciens et des modernes : M
me
de Stal qui rsume ce sicle entier,
se posera cette mme question
;
et, comme l'abb Dubos (o), elle
examinera ce que nous pourrions appeler le dterminisme de l'u-
vre d'art, c'est--dire l'influence des diffrentes causes sur la pro-
duction artistique.
Voici comment elle esquisse le programme de son livre : J'es-
saierai de montrer le caractre que telle ou telle forme de gouver-
nement donne l'loquence, les ides morales que telle ou telle
croyance religieuse dveloppe dans l'esprit humain, les effets d'ima-
gination qui sont produits par la crdulit des peuples, les beauts
potiques qui appartiennent au climat, le degr de civilisation le plus
favorable la force ou la perfection de la littrature..., enfin le
progrs universel des lumires par le simple effet de la succession
des temps
(6).
On voit dans ce passage comment elle pose le pro-
blme soulev par Dubos
;
quant au progrs universel des lumires,
nous trouvons dans le livre de M
me
de Stal de longs claircisse-
ments

dcousus comme tout le reste



sur la perfectibilit de
l'espce humaine, dernire forme de la querelle de Perrault, de
Fontenelle et des autres
(7).
M
mo
de Stal entend par perfectibilit
le fait que la masse des ides, en tout genre, augmente avec les
sicles. Cette perfectibilit ne s'applique pas, selon elle, l'art.
(i) lbid.
(2)
Loc. cit., p. 173.
(3)
Loc. cit., p. 203.
(4)
Loc. cit.,
p.
37!).
(5)
Et Montesquieu dans un autre domaine.
(6)
Loc. cit., p. 163.
(7)
Il ne faut pas oublier que Condorcet venait de publier son Esquisse histo-
rique du progrs de l'esprit humain
(1793). On retrouve des ides analogues
dans les crits de Vico dj et de Turgot.
MADAME DE STAL 81
Les beaux-arts, crit-elle en effet, ne sont pas perfectibles l'in-
fini ;
aussi l'imagination qui leur donna naissance, est-elle beau-
coup plus brillante dans ses premires impressions que dans ses
souvenirs, mme les plus heureux
(1).
Ainsi la posie es! Boris
sant l'enfance de la civilisation
l'art grec peut servir de
preuve. La posie peut atteindre du premier jet un certain
genre de beauts qui ne seront point surpasses
;
tandis que dans
les sciences progressives, le dernier pas est le plus tonnant de
tous, la puissance de l'imagination est d'autant plus vive que l'exer-
cice de cette puissance est plus nouveau
(2).
Si le livre de M"" de Stal a des mrites, il faut srement les
chercher ailleurs que dans la nouveaut et l'originalit des thses
esthtiques qu'il contient. La -seule thorie qui intressera le
xix
c
sicle, celle du dterminisme de l'uvre d'art,

l'ide que
l'uvre d'art est fonction de la socit, selon la formule de Brune-
tire

avait t expose magistralement par l'abb Dubos, pres-


qu'un sicle avant que M
me
de Stal se donnt l'illusion de la
dcouvrir.
2.

Pourtant, si M
me
de Stal est pauvre d'ides, dans le do-
maine qui nous intresse, ses contemporains le sont encore plus.
Tous ceux, peu prs, qui ont crit sur des questions touchant
l'esthtique, entre 1800 et 1818, ont eu une seule et unique proc-
cupation, c'est de dmontrer que l'art doit-remplir une mission
morale et sociale. Nous ne trouvons des travaux esthtiques s-
rieux et originaux qu' partir de 1818.
Le livre de P. S. Balianche, intitul : Du sentiment considr
dans ses rapports avec la littrature et les arts
(3),
dans lequel l'au-
teur essaie de dvelopper une potique o l'on dmontrerait, en
remontant l'origine de nos facults et de nos affections, que la
morale et les principes des arts d'imitation ont une source com-
mune, le sentiment

(4),
est le plus important de tous ces travaux
de second ordre. Le sentiment fait natre tous les arts d'imita-
tion
(5),
et Balianche le dfinit : la puissance morale qui juge
par instinct et sans dlibration ce qui est conforme aux lois de
(1)
Loc. cit., p.
166.
(2)
Loc. cit., p.
167.
(3)
Publi ep 1801.
(4)
Loc. cit., p.
7.
(5)
Loc. cit., p.
45-46.
82 LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
notre nature
(1).
Ainsi dfini, le sentiment est la source de la
morale et Ballanche ajoute : Au fond de mon cur je trouve
cette autre maxime que le beau et le bon sont identiques ,
une
des conditions de l'uvre d'art sera donc d'tre base sur des prin-
cipes de morale : Ainsi les lois du got et celle de la morale ne
sont peut-tre
qu'une mme chose (2).
Reverony
Saint-Cyr est le seul dont le livre ne soit pas crit pour
dmontrer
l'identit de l'art et de la morale. Dans son Essai
(3)
il
se donne pour but d'unir les sciences et les arts pour trouver le
moyen
de fabriquer des chefs-d'uvre scientifiquement. Cette
ide, il l'applique
jusqu'au bout, mme jusqu' l'absurdit. Cet
ouvrage
touiu, d'une lecture difficile et ennuyeuse
par
endroits,
est
quelquefois
d'une grande originalit. Ainsi, dans le chapitre de
la posie
(4),
il prconise une posie scientifique qui s'apparente
avec
certaines
uvres de Guyau ou quelques pomes de M. J.
Richepin.
Pour l'esthtique, il ne prsente qu'un intrt de curio
site et c'est ce titre que nous le citons.
Emeric-David,
dont les Recherches sur l'art statuaire considr
chez les anciens et chez les modernes (1805)
furent couronnes par
l'Institut (5)
et les ides combattues plus tard par Quatremre de
Quincy ne peut pas nous arrter longtemps car son livre, qui est
loin d'tre mdiocre, effleure peine les questions esthtiques. Le
bon sens et l'horreur des thories mtaphysiques rgnent dans cet
ouvrage.
En recherchant les causes de la perfection de la statuaire grec-
que, Emeric-David carte les hypothses ordinaires :
1 L'influence
du climat, en remarquant notamment que les climats de la Grce
taient et sont trs divers, et
2
l'ide d'un lan artistique d une
religion o les dieux avaient une figure humaine
;
bien d'autres
religions furent dans le mme cas sans que la sculpture en ait tir
le moindre profit.
L'explication de la suprmatie de la sculpture grecque se trouve
dans le fait que pour les Grecs, l'art eut pour objet, ds sa nais-
(1)
Loc. cit., p.
12-13.
(2)
Loc. cit., p.
48-49.
(3)
Essai sur te perfectionnement des beaux-arts par les sciences exactes.
Paris, 1803, 2 vol. in-8".
(4)
Loc. cit., vol. I, p. 7 41.
(.")) Voici la question propose par l'Institut en l'au IX : a Quelles ont t les
causes de la perfection de la sculpture antique, et quels seraient les moyens d'y
atteindre ?
LES THORICIENS DE SECOND ORDRE 83
sauce, une imitation fidle de la nature . Selon Emeric-David, le
but de tous les arts est limitation de la nature : c'est l l'ide
directrice de son livre. Quand l'artiste n'a pas de modle sous les
yeux, il peut travailler d'aprs ses souvenirs; mais, en tout cas,
il ne peut rien crer de lui-mme
(1).
Ainsi Emeric-David est amen nier l'existence de la beaut
idale. Le gnie n'est pas une intuition divine, une tincelle cra-
trice
qui fait de celui qui la possde un tre part
;
pour les Grecs
et pour l'auteur, le gnie n'est que l'aptitude de choisir et d'ex-
primer les formes, les faits ou les sentiments les plus convenables
notre nature, les plus capables dplaire et d'mouvoir
(2).
Emeric-David ne peut s'empcher, en terminant son livre, de
recommander les beaux-arts aux lgislateurs pour que ceux-ci leur
assignent un rle social.
Au fond, ce livre est intressant; si l'auteur est fortement con-
vaincu de l'importance morale et sociale des beaux-arts, comme
tous ses contemporains, il n'est pas hypnotis par cette seule ide.
11 ragit contre la thorie qui fait de l'art une intuition surnatu-
relle du beau idal, et de l'artiste un homme fatal et suprieur, en
y
substituant la thse plus prosaque de l'art imitant la nature de
son mieux. Quatremre de Quincy combattra avec vigueur cette
thorie pour le grand plaisir de Victor Cousin
(3).
Dans un livre de Cordier de Launay
(4),
publi en 1806, nous
trouvons une thse analogue, amalgame avec une thorie des
climats, influant sur la production artistique, qui ressemble fort
celle de M
me
de Stal. Cordier de Launay s'lve, tout d'abord,
(1)
Loc. cit., p.
276-293.
(2)
Loc. cit., p. 2H3.
(3)
Consulter : V. Cousin, Du vrai, du beau et du bien, huitime leon, et
Q. de Quincy, Essai sur l'idal dans ses applications pratiques aux uvres
de l'imitation propre des arts du dessin, 1837.
F. Benoit, dans son livre sur l'Art franais sous la Rvolution et l'Empire
(1897),
envisage Emeric-David comme le chef du mouvement adverse la thorie
idalo-antique de l'art et comme l'ennemi le plus redoutable de Q.
de Quincy.
Benoit crit : La place conquise par Emeric-David dans la littrature artistique
de son temps fut des plus belles. Il connut les triomphes acadmiques et celui,
plus glorieux, de l'adoption de ses ides. Sa parole fut coute et trouva de
l'cho : les Recherches sur l'art statuaire firent vnement ,
c'est un ultra
classique qui l'atteste et devinrent une autorit. Loc. cit., p. 98. Pourtant
ses ides esthtiques, tout en tant intressantes, sont moins importantes que
ses ides artistiques.
(4)
Thorie circonsphrique des deux genres de beau, avec application a
toutes les mythologies et aux cinq beaux-arts. Berliu, 1806, Paris, 1812.
84 LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
eontre les mtaphysiciens qui ont cherch dfinir le beau en soi,
chose impossible, et contre les didactiques qui ont fix les rgles
d'un beau unique

rgles avec lesquelles l'exprience n'est pas
toujours d'accord. Sa thorie, qu'il considre comme une dcou-
verte d'une vrit clatante et d'une valeur incontestable, repose
sur deux bases :
1
L'homme ne peut crer 'aucune forme, il les
emprunte toutes la nature
;
les objets artificiels que produisent
les arts sont ou : a) des copies d'un modle
;
c'est l'imitation exacte,
ou b) des runions de formes naturelles parses, formant un tout
chimrique
;
c'est le composite ou l'assemblage arbitraire
(1).
2 Le
climat et en particulier la temprature ont une influence sur la
disposition habituelle des organes et par suite sur le jugement de
l'me.
De ces observations, l'auteur conclut que les peuples qui vivent
sous des tempratures extrmes, froides ou chaudes, ont la mme
manire de sentir

alors qu'on peut ce point de vue faire un


autre groupe des peuples des climats temprs
(2).
Or, tous les
hommes connaissent et pratiquent les deux espces de beau : le
beau composite et celui d'imitation
;
mais, l'un ou l'autre prdo-
mine suivant les peuples
;
c'est ici qu'intervient la thorie des
climats : le composite sera le partage des pays d'extrme tempra-
ture et le beau d'imitation exacte dominera dans les pays de tem-
prature moyenne
(3).
Inutile de dire que Cordier de Launay s'ar-
range pour faire entrer l'Europe entire dans la zone tempre.
Heureusement pour l'Europe !
Il faut l'avouer, les autres crits qui ont quelques analogies avec
l'esthtique, cette poque et antrieurement 1818, sont encore
plus mdiocres que ceux que nous venons d'examiner.
Il faut pourtant faire une exception pour un Trait du Beau, de
Paul-Joseph Barthez, mdecin de Napolon
(4)
et savant illustre.
Cet ouvrage est de 1S07 et a t publi une seconde fois en 1895
(5).
Barthez connat bien peu prs toutes les thories de son temps
et son livre est un travail d'rudit. Voici la critique commune qu'il
leur adresse et qui nous semble trs naturelle de la part d'un m-
(1)
Loc. cit., p. 5 et 6.
(2)
Loc. cit., p. 8.
(3)
Loc. cit., p. 9 et suiv.
fi) N en 1734, mort en 1806.
(5)
L'dition de 189o porte le titre : Thorie du beau dans la nature et les
arts,
2'
dition, 189o, Paris (268 pages).
LES THORICIENS DE SECOND ORDRE 85
decin. Les vices communs aux thories qu'ont donnes sur la
nature du beau les philosophes anciens et modernes, rsultent
li-
ce qu'ils ont voulu rapporter la beaut de tous les objets qui en
sont dous un seul principe gnrique qu'ils ont cr et qui
souffre toujours de nombreuses exceptions, au lieu de s'occuper
dterminer, d'aprs l'observation, les conditions particulires qui
doivent exister dans les divers genres d'objets, pour qu'ils puissent
exciter le sentiment de leur beaut
(1).
Cette critique est admi-
rable et semble tre crite de nos jours. Oui, Barthez a raison :
si
la mdecine cherchait un seul principe gnrique expliquant toutes
les maladies, elle n'aurait pas fait plus de progrs que l'esthtique.
Un autre point important du livre de Barthez, o nous trouvons
l'influence de la philosophie anglaise du xvm
e
sicle, c'est qu'il
pense que
la beaut n'existe point par elle mme... dans les
objets que nous trouvons beaux... elle n'a d'existence que dans le
(l) hoc. cit., p. 16. Barthez, qui fut professeur l'Universit de Montpellier,
est trs connu en mdecine pour ses thories vitalestes. Dans ses crits il se
rvle un esprit scientifique de premier ordre. La philosophie naturelle, crit-
il, a pour objet la recherche des causes et des phnomnes de la nature, mais
seulement, eu tant qu'elles peuveut tre connues par l'exprience. L'exprience
ne peut nous faire connatre en quoi consiste essentiellement l'action d'une de
ces causes quelconques (comme par exemple celle du mouvement des corps qui
est produit par l'impulsion), et elle ne peut manifester que l'ordre et la rgle que
suivent, dans leur succession, les phnomnes qui indiquent cette cause. On
entend par cause ce qui fait que tel fait vient toujours la suite de tel autre;
ou ce dont l'action rend ncessaire cette succession, qui est d'ailleurs suppose
constante.... Dans la philosophie naturelle, ou ne peut connatre les causes gn-
rales que par les lois, que l'exprience rduite en calcul a
dcouvertes dans la
successiou des phnomnes. On peut donner ces causes gnrales que j'appelle
exprimentales et qui ne sont connues que par leurs lois que donne l'exprience,
les noms synonymes et pareillement indtermins de principe, de puissance, de
force, de facult, etc. Toute explication des phnomnes naturels ne peut en
indiquer que la cause exprimentale. Expliquer un phnomne, se rduit tou-
jours faire voir que les faits qu'il prsente se suivent dans un ordre analogue
l'ordre de succession d'autres faits qui sont plus familiers, et qui ds lors sem-
blent tre plus connus.... Dans toute science naturelle les hypothses qui ne sont
pas dduites des faits propres cette science, et qui ne sont que des conjectures
sur les aflections possibles d'une cause occulte, doivent tre regardes comme
contraires la bonne mthode de philosopher . Discours
prliminaire des
Nouveaux
lments de la science de l'homme, page o et suiv., 2
e
dit., 1806.
Voici comment il dfinissait le principe vital, qui jouait un rle dans ses tho-
ries mdicales : Je donne le nom de principe vital aux causes gnrales des
phnomnes du mouvement et de la vie, qui ne sont connues que par leurs lois
que manifeste l'observation. Ainsi, j'appelle principe vital de l'homme la cause
qui produit tous les phnomnes de la vie dans le corps humain. Le nom de
cette cause est assez indiffrent et peut tre pris a volont . Il regardait ce
principe comme une simple hypothse.
86 LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
>.
sentiment que nous en avons
(1).
Ce qui revient dire que le
beau est le produit d'une collaboration du sujet sentant et de l'ob-
jet contempl. Barthez est ainsi contre un beau absolu
;
il consi-
dre le beau comme chose relative par excellence.
Le sentiment de la beaut n'est pas inn dans l'me qui pos-
sde seulement une disposition ce que ce sentiment se produise
en elle devant certains objets qu'elle trouve beaux. Pour faire
natre, crit Barthez, le sentiment de la beaut d'un objet, je pense
qu'il est deux conditions ncessaires : la premire est que cet objet
excite la fois plusieurs sentiments agrables
;
la seconde, que
chacun de ces agrments ait un des caractres particuliers qu'on a
observs tre des lments du sentiment de la beaut
(2).
Les
sentiments agrables sont l'effet d'objets trs diffrents chez les
divers peuples et les divers individus

ils varient suivant la
diversit des constitutions originaires et des habitudes
(3).
Il faut avouer que toutes ces vues parses sont exposes avec trs
peu de nettet, de liaison et d'ordre.
Tous les autres travaux se rattachant l'esthtique que nous
examinerons, et qui furent publis avant 1818, ont pour leitmotif
l'influence moralisatrice de l'art. En 1811, Charles d'Alberg, dans
des dialogues aussi peu intressants que possible, nous annonce
que pour-ennoblir les beaux arts, il fallait les lier l'utilit gn
raie
(4)
et en 1812, de Saint-Prosper, dans une brochure
(5),
nous
apprend que l'art dramatique doit instruire et plaire et que la
comdie dtruit le vice par le ridicule.
Heureusement, dans la mme anne, un homme du monde
expose justement l'opinion oppose en examinant la mme question.
C'est le comte Fortia de Piles
(6),
qui soutient que la comdie n'a
jamais corrig personne, elle doit donc... se borner plaire et
amuser .
En 1813, dans un crit portant les initiales de son auteur
(7),
nous trouvons encore l'ide que le thtre peut agir sur la socit
(1)
Loc. cit., p.
13.
(2)
Loc. cit., p. 18.
(3)
Loc. cit., p. 19.
(4)
Ch. d'Alberg, Pricls ou de l'influence des beaux-arts sur la flicit
publique. Parme, p. 85 ; la mme ide est un peu partout dans cet crit.
(5)
De Saint-Prosper, Essai sur la comdie. Paris, 1812.
(6)
Le comte Fortia de Piles, Quelques rflexions d'un homme du monde
sur les spectacles, la musique, etc. Paris, 1812.
(7)
L. R. B. Rflexions gnrales sur le thtre. Rouen, 1813.
STENDHAL
87
et cette mme ide rapparat applique tous les arts dans un
petit livre de Lenoir (18i>) (1).
Nous ne citons que les titres de
deux brochures parues en 1818 ;
la premire, de H. Ilill, est inti-
tule : De l'influence
qu'exercent les ouvrages d'imagination sur les
murs, et la seconde, anonyme, est intitule : De l'influence des
romans sur les murs.
On se demande avec anxit, quel ouragan utilitaire s'est abattu
sur la France pour que, pendant presque trente ans, tous les tho-
riciens de l'art

qui sont fort mdiocres
cherchent surtout
imposer un but moral, social ou utilitaire cet art qui, quelques
annes aprs, trouvera sa fin en lui-mme.
Il nous semble qu'on doit.su rtout rechercher l'explication de ce
.phnomne si curieux, dans les terribles troubles
politiques et so-
ciaux qui agitrent le pays pendant cette mme priode. F.
Benoit,
qui a spcialement tudi cette poque, pense que ce mouvement
utilitaire tire son origine tant de la situation politique
contempo-
raine que del spculation philosophique du xvnr
3
sicle. Avide de
savoir et passionn de critique, ce dernier devait
ncessairement
se proccuper de l'influence des arts et du moyen de la tourner au
bnfice de l'humanit. D'autre part, pendant la Rvolution
il
pouvait sembler trange d'austres
rpublicains de s'occuper des
arts quand l'Europe coalise assigeait le territoire de la Libert

et il n'tait pas inutile d'en justifier la culture aux yeux de
quelques esprits
misanthropiques ou peu profonds .
Enfin, la
conception de l'art dmocratique,
moralisateur et auxiliaire de la
lgislation, drive la fois des thories
analogues
formules au
xvm
e
sicle par Mercier et Diderot et du culte
contemporain de
l'antiquit, du dsir d'imiter les rpubliques
grecques qui asso-
ciaient intimement les arts la vie publique (2).
3.

Aprs tous ces auteurs de second ordre que nous avons
examins, nous rencontrons deux
personnalits
marquantes :
Sten-
dhal et Kratry.
Stendhal n'est pas un esthticien proprement dit
;
il est artiste et
aime bien flner en curieux dans le domaine de l'esthtique, o
parfois il fait des trouvailles
intressantes.
(1)
Le chevalier Al. Lenoir,
Considrations
gnrales sur les sciences et les
arts, etc. Paris, 1813.
2) F. Benot. L'art franais sous la Rvolution et l'Empire. 1897, p.
;>.
88 LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
L'art est n, selon Stendhal, avec la religion. Les images des
dieux, qui taient au commencement des simples blocs de pierre,
prirent, peu peu, une forme rappelant celle du corps humain.
L'homme primitif ou le sauvage devait, en face de son dieu, res-
sentir du respect et de la crainte. Les statues divines prsentrent
donc toutes les qualits enviables
p.
e. la jeunesse et surtout
la force. D'autres caractres s'ajoutrent ces deux premiers,
mais, en mme temps, l'artiste s'loigna de l'imitation stricte de la
nature, pour que le sauvage ressente plus de'respect devant son
dieu. Tout est perdu si, en regardant la main du dieu, le sauvage
va reconnatre les plis de la peau qu'il se souvient d'avoir vus sur
sur les siennes
(1).
Ainsi la beaut chez les anciens a t l'expression d'un caractre
utile

et ce caractre fut le plus souvent la force physique, La
belle" statue de Mlagre avait donc par sa force mille choses int-
ressantes dire. S'il paraissait beau, c'est qu'il tait agrable
;
s'il
paraissait agrable, c'est qu'il tait utile
(2).
Chez les modernes,
la force physique fut remplace par la force intellectuelle. A mes
yeux, nous dit Stendhal, la beaut a t dans tous les ges du
monde la prdiction d'un caractre utile. La poudre canon a
chang la manire d'tre utile
;
la force physique a perdu tous ses
droits au respect
(3)
Dans son livre De l'amour (1822 ,
Stendhal
dfinit la beaut comme la promesse d'un caractre utile mon
me
(4).
On connat assez la thorie des tempraments de Stendhal. Il
divise les hommes en diverses classes, selon le temprament qu'ils
(1)
Histoire de la peinture en Italie. 1817. Ed. Calmann-Lvy, p. 194.
(2)
Loc. cit., p. 278.
(3)
Promenades dans Rome. 2 vol. 1829. Ed. Calmann-Lvy, vol. Il, p. 280.
(Ce passage cit est dat : 28 nov. 1828).
(4)
Cette dfinition a t trs critique par Baudelaire. Le pote, en elet, pen-
sait que dans le beau il
y
a un lment variable, mais aussi un lment ternel.
Voici donc comment il s'levait contre la dfinition de Stendhal : La dualit de
l'art est une consquence fatale de la dualit de l'homme. Considrez, si cela vous
plat, la partie ternellement subsistante comme lame de l'art, et l'lment va-
riable comme son corps. C'est pourquoi Stendhal, esprit impertinent, taquin,
rpugnant mme, mais dont les impertinences provoquent utilement la mdita-
tion, s'est rapproch de la vrit plus que beaucoup d'autres en disant que le beau
n'est que la promesse du bonheur. Sans doute, cette dfinition dpasse le but,
elle soumet beaucoup trop le beau l'idal infiniment variable du bonheur
;
elle
dpouille trop lestement le beau de sou caractre aristocratique ; mais elle a le
grand mrite de s'loigner dcidment de l'erreur des acadmiciens . L'art ro-
mantique, p.
5ri-5G. Ed. Calmann-Lvy.
STENDHAL
89
manifestent; ainsi, il
y
a le temprament sanguin, le bilieux, le
flegmatique, le mlancolique, le nerveux et l'athltique. Notre au-
teur pense que l'artiste doit tenir compte de ces divers tempra-
ments. Werther ne sera pas indiffremment
sanguin ou mlan
colique; Lovelace, flegmatique ou bilieux. Le bon cur Primerose,
l'aimable Cassio, n'auront pas le temprament bilieux, mais le juif
Shylock, mais le sombre lago, mais lady Macbeth, mais Richard
III.
L'aimable et pure Imogne sera un peu flegmatique (1).
Gette
thorie ne prsente aucun intrt, mais Stendhal va beaucoup plus
ioin : on admire, nous dit-il, selon le temprament qu'on a. Celui
qui crit cette histoire, observe-t-il, ne dclarera point son opinion,
qui n'est probablement que l'expression du temprament que le
hasard lui a donn. Le sanguin et le mlancolique prfreront
peut-tre le Paris. Le bilieux sera ravi de l'expression terrible du
Mose, et le flegmatique trouvera que cela le remue un peu (2).
Ainsi, d'emble, Stendhal introduit dans ses thories l'ide de la
relativit psychologique de l'art. Et cette ide qui n'tait qu'indi-
que dans l'Histoire de la Peinture en Italie, nous la trouvons bien
dveloppe dans ses Promenades dans Borne. Voici une anecdote
symbolique, date du 20 juin 1828, et qui met en relief la pense
de Stendhal : Canova tait trop bon et trop heureux pour nous
har; je pense seulement que souvent il ne nous coutait pas. Je
me souviens qu'un soir, pour exciter son attention, Melchior Gioja
lui dit : Dans les arts qui s'loignent des mathmatiques, le com-
mencement de toute philosophie, c'est le petit dialogue que voici :

Il
y
avait une taupe et un rossignol ;
la taupe s'avana au bord
de son trou, et, avisant le rossignol, perch sur un acacia en fleur :
11 faut que vous soyez bien fou, lui dit-elle, pour passer votre vie
dans une position aussi dsagrable, pos sur une branche qu'agite
le vent, et les yeux blouis par cette effroyable lumire qui me fait
mal la tte . L'oiseau interrompit son chant. 11 eut bien de
la
peine se figurer le degr d'absurdit de la taupe
;
ensuite il rit
de bon cur et fit sa noire amie quelque rponse
impertinente.
Lequel avait tort? Tous les deux.... Un
homme prfre le Dluge
de Girodet au Saint Jrme de Gorrge.... s'il est aimable et
nous presse de bonne foi de lui donner une rponse,
continuait
Melchior Gioja, je lui dirai : Monsieur, vous tes le rossignol
(1)
Histoire de la Peinture en Italie,
p.
240.
(2)
Histoire de la Peinture en Italie, p.
2ii.
90
LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
et moi la taupe
;
je ne saurais vous comprendre. Je ne puis dis-
courir sur les arts qu'avec des tres qui sentent peu prs comme
moi
(1).
Stendhal mettait en relief le caractre tout relatif du
jugement artistique, dans son Histoire de la Peinture en Italie,
o il prconisait mme une science esthtique objective
;
le passage
suivant rappelle beaucoup les ides de l'abb Dubos : Quelle
excellente source de comique pour la postrit ! les La Harpe et les
gens du got franais, rgentant les nations du haut de leur
chaire, et prononant hardiment des arrts ddaigneux sur leurs
gots divers, Candis qu'en effet ils ignorent les premiers principes
de la science de l'homme. De l l'inanit des disputes sur Racine
et Shakespeare, sur Rubens et Raphal. On peut tout au plus s'en-
qurir, en faisant un travail de savant, du plus ou moins grand
nombre d'hommes qui suivent la bannire de l'auteur de Macbeth,
ou de lauteur 'Iphignie. Si le savant a le gnie de Montesquieu,
il pourra dire : Le climat tempr et la monarchie font natre
des admirateurs pour Racine. L'orageuse libert et les climats
extrmes produisent des enthousiates Shakespeare . Mais Racine
ne plt il qu' un seul homme, tout le reste de l'univers ft-il pour
le peintre d'Othello, l'univers entier serait ridicule s'il venait dire
un tel homme, par la voix d'un petit pdant vaniteux :
Prenez
garde, mon ami, vous vous trompez, vous donnez dans le mauvais
got
;
vous aimez mieux les petits pois que les asperges, tandis
que moi j'aime mieux les asperges que les petits pois . La
prf-
rence dgage de tout jugement accessoire, et rduite la pure sensa-
tion, est inattaquable
(2).
Cette thorie de la relativit du jugement esthtique a t com-
plte chez Stendhal par sa doctrine de cristallisation qu'on ren-
contre dans son livre De l'amour. Ce que j'appelle cristallisation,
c'est l'opration de l'esprit, qui tire de tout ce qui se prsente la
dcouverte que l'objet aim a de nouvelles perfections (3).
La
thorie de cristallisation 'rend la beaut, chose relative par excel-
lence

le beau dpend de celui, qui le contemple. La beaut que


vous dcouvrez tant donc une nouvelle aptitude vous donner du
plaisir, et les plaisirs variant comme les individus, la cristallisa-
tion forme donc dans la tte de chaque homme doit porter la cou-
(1)
Promenades dans Rome, vol. II, p.
33.
(2)
Histoire de la Peinture en Italie, p.
182.
(3)
De l'amour. 1822. Ed. Calmann-Lvy, p. S.
STENDHAL
91
leur des plaisirs de cet homme
(1).
On trouve dans les livres de Stendhal, une quantit norme de
penses, de faits observs ou de thories de dtail, que nous ne
pourrions pas rsumer ici. Parfois, la lecture de Stendhal cause un
vrai malaise chez le lecteur, qui non seulement n'arrive suivre
l'ide principale de l'auteur, mais s'gare dans des dtails trs
loigns du sujet principal on a l'impression pnible d'tre dans
un bric -brac intellectuel.
Parmi ces ides secondaires, nous en rsumerons pourtant quel-
ques-unes. Comment Stendhal conoit-il Yidcall Rendre l'imi-
tation plus intelligible que la nature, en supprimant les dtails, tel
est le moyen de l'idal
(2). Et ailleurs, il crit : Voyez, lui dis-
je, les grands artistes en faisant un dessin peu charg font pres-
que de l'idal. Ce dessin n'a pas quatre traits, mais chacun rend
un contour essentiel. Voyez ct les dessins de tous ces ouvriers
en peinture. Ils rendent d'abord les minuties
;
c'est pour cela qu'ils
enchantent le vulgaire, dont l'il dans tous les genres ne s'ouvre
que pour ce qui est petit
(3).
Voici encore deux observations amusantes et puises dans la
ralit. La premire est celle de l'incomprhension mutuelle et
radicale que manifestent pour leurs ouvrages les artistes. Le
vritable artiste au cur nergique et agissant est essentiellement
non tolrant. Avec la- puissance, il serait alfreux despote (i). Et
Stendhal ajoute : Je conclus que dans les autres nous ne pou-
vons estimer que nous-mmes
(5).
L'autre observation est celle concernant les faux sentiments que
croient prouver devant les uvres d'art, une grande quantit de
personnes : Si les sentiments de ravissement, de bonheur, de
plaisir, que j'entends exprimer chaque jour ct de moi en me
promenant dans ces longues salles, taient sincres, ce lieu [le
Muse] serait plus assig que la porte d'un ministre.... (6).
Enfin, dans les Promenades dans Rome, Stendhal semble juger
l'art chose essentiellement immorale. Le sentiment du beau, crit-
il,
est immoral, car il dispose aux sductions de l'amour, il
(1)
De l'amour, p.
24.
(2)
Histoire de la Peinture en Italie, p. III, note 2.
(3)
Histoire de la Peinture, etc., p.
251.
(4)
Histoire de la Peinture, etc., p.
184.
(o) Jbid.
(6)
Histoire de la Peinture, etc., p.
246.
92 LES PROCCUPATIONS UTILITAIRES
plonge dans la paresse et dispose l'exagration. Mettez la tte
de la construction d'un canal un homme qui a le sentiment des
arts : au lieu de pousser l'excution de son canal raisonnablement
et froidement, il en deviendra amoureux et fera des folies
(1).
Telles Isont donc les principales ides esthtiques de Stendhal

sans tre d'une importance capitale pour l'esthtique, elles dpas-
sent .de beaucoup celles des auteurs du commencement du xix
e
sicle, que nous avons dj dveloppes.
4.

L'ide que le beau s'identifie avec le bon ou l'utile, nous
la retrouvons dans l'uvre entire de Kratry
(2),
philosophique-
ment soutenue et dveloppe.
Kratry, dans ses Inductions, pour dmontrer que le beau est
le bon ou l'utile
(3)
fait une longue et minutieuse description
physiologique de la femme, afin de prouver que chacun de ses
caractres de beaut a une fin utile
(4).
Le procd est, comme on
le voit, assez naf, et Kratry, dans son second travail esthtique
(1822), arrive mieux saisir et dvelopper sa thse.
Osons poser en principe, crit il dans ce second travail, que
l'tat de beaut, pour un tre quelconque, est celui o il parvient
sa destination, l'tre organis la trouvera en atteignant le plus
parfait dveloppement de ses facults physiques, l'tre moral celui
de ses facults intellectuelles et des vertus qui en sont le dvelop-
pement (S). Ainsi, en passant dans le domaine de fart, un objet
ne saurait tre beau que s'il est appropri sa destination. Kratry
donne l'exemple d'un difice d'architecture remarquable et luxueuse
qu'il admire de loin croyant un temple ou un palais
;
quand il
s'aperoit, avec stupeur, que ce n'est qu'une bergerie, la construc-
tion ne lui parait plus belle, parce qu'elle n'est pas approprie
une telle destination.
Ainsi soutenue, la thse de Kratry a certainement une porte
(1)
Loc. cit., vol. II, p. 324. (Dat du G jaDV. 1829;.
(2)
Inductions morales et physiologiques, 1818. Spcialement dans le livre V
les chapitres : du XVI au XX.
Du beau dans les arts d'imitation, avec un examen raisonn des produc-
tions des diverses coles, 1822, 3 vol. in-8.
Examen philosophique des considrations sur le sentiment du sublime et
du beau d'Em. Kant, 1823, in-8".
(3)
Loc. cit., p. 218.
(4)
Loc. cit., p. 218 230.
(5)
Du beau dans les arts d'imitation, vol. II, p. 11.
KRATRY 93
philosophique et diffre, du tout au tout, des banalits que nous
avons prcdemment examines.
Kratry
considre l'art comme un stimulant utile la socit et
conseille de traiter des sujets nationaux. 11 critique, sans la com-
prendre d'ailleurs, la thorie de l'abb Dubos, selon laquelle le
climat et la temprature influent sur la production de l'uvre d'art

car, si Dubos avait raison, pourquoi les (recs actuels ne pro-


duisent-ils pas des chefs-d'uvre? Selon Kratry, ce sont les cau-
ses sociales et politiques

le gouvernement et l'organisation
sociale

qui exercent la plus grande influence sur le mouve-
ment artistique.
Il ne peut s'empcher de greffer sa thse la thorie de l'unit
et de la varit ;
elles lui semblent ncessaires dans l'uvre d'art,
l'une cause du got de l'homme pour le mouvement, l'autre
parce qu'elle permet l'homme d'embrasser un ensemble d'un seul
coup d'il.
La thorie de Kratry, pour la juger en quelques mots, est
comme le rsum des thses esthtiques du commencement du
sicle, mais un rsum beaucoup plus philosophique et systmati
que que les autres travaux. Elle a t prise trs au srieux par ses
contemporains, puisqu'en 1829 la Facult de Paris examinait une
thse
(1)
portant sur la thorie du beau de Kratry et que nous en
trouvons encore des critiques un peu partout jusqu'en 1808 (2).
Si
on la compare aux grands systmes esthtiques, elle reste tout
fait l'arrire-plan.
(1)
Ladevi, Examen critique de la thorie du beau de M. Kratry (thse),
26 aot 1829.
(2)
Anonyme, Du beau, de sa nature et des divers systmes qui ont t
mis ce sujet. Bordeaux, 1868.
CHAPITRE II
Les systmes esthtiques tendances
mtaphysiques et idalistes
1. QUATREMRE DE QuiNCY.
'2.
VlCTOR COUSIN.

3. Lamennais.
C'est
partir de 1815 ou 1818 que nous trouvons des travaux
importants sur l'esthtique.
Si nous ne voulions pas faire ici une revue complte de l'Esth-
tique franaise, mais seulement un tableau de ses grandes priodes,
pour caractriser l'poque que nous examinons, il aurait suffi d'ana-
lyser la thorie de Victor Cousin : elle est devenue comme le sym-
bole de cette poque. Mais comme nous nous attachons mme
des travaux de second ordre, nous devons runir V. Cousin son
devancier Quatremre de Quincy et son successeur Lamennais,
dont les thories esthtiques prsentent de grandes affinits avec
celle de Cousin, tout en tant par elles-mmes fort importantes.
La caractristique essentielle de ces thories c'est qu'elles sont
des systmes construits sans matriaur, sans faits collectionns,
sans l'observation directe de la ralit, avec rien ou peu prs
rien, c'est--dire avec quelques ides gnrales et vagues, formant
la faade du temple vide qui n'abrite point la statue divine.
1.

C'est l'uvre de Quatremre de Quincy qui offre le moins


de prise cette critique, car de Quincy n'est pas un mtaphysicien
ou un idologue, mais un srieux amateur d'art, ayant tudi l'ar-
chitecture, la peinture et la sculpture dans les ateliers
(1).
Nous
ferons, d'ailleurs, remarquer plus loin que les uvres de
Q.
de
Quincy ne forment pas un systme esthtique, mais sont des tho-
ries artistiques ayant pour fin de ragir contre les thories et contre
(1)
Q. de yuincy, n en 1755, est mort en 1849. Consulter .M. Guiguiaut, Notice
historique sur la vie et les travaux de M. Quatremre de Quincy, 1806.
96 LES SYSTMES IDALISTES
le mouvement romantiques

ainsi pour les besoins de sa cause,
il est forc de ne pas s'loigner trop des faits concrets. Essayons
d'exposer ses thories avant de les analyser
(1).
Dans les Considrations morales sur la destination des ouvrages
de l'art, nous trouvons deux ides directrices : la premire est que
l'uvre d'art a une destination morale et sociale, et la seconde est
celle du rapport de l'uvre contemple et du sujet contemplant.
Quatremre de Quincy pense, comme tous ses contemporains,
que l'art est un moyen d'instruction pour la socit
(2),
que l'u-
vre doit avoir une utilit gnrale et publique
(3),
qu'une uvre,
pour tre juge belle, doit tre utile. Il
y
a une loi gnrale de la
nature, crit il, qui, liant le plaisir au besoin, veut que tout ce qui
plat soit utile, et que tout ce qui est utile soit agrable. Telle est
la force de cette loi dans tous les ouvrages des arts, que les choses
les plus agrables en soi cessent de l'tre ou de le paratre, alors
que rien n'en montre la ncessit. Le plus beau des pristyles qui,
dans un difice, ne conduirait nulle part, n'y serait qu'un magnifi-
que dfaut....
;
j'ai besoin de les [les ouvrages d'art] trouver utiles,
pour les trouver tout fait beaux
(4).
On sait que c'est vers le commencement du xix
e
sicle que les
muses nationaux ont t organiss comme ils le sont aujourd'hui.
Q.
de Quincy critique avec beaucoup de bon sens les muses o les
uvres exposes perdent toute utilit. Or, peut-on mieux pro
clamer l'inutilit des ouvrages de l'art, qu'en annonant dans les
recueils qu'on en fait la nullit de leur emploi. Les enlever tous
indistinctement leur destination sociale, qu'est-ce autre chose,
sinon dire que la socit n'en a pas besoin?
(5).
D'ailleurs l'es-
prit de critique se dveloppe trop avec les muses : l'esprit de cri-
tique en matire d'art n'est que de l'impuissance
(0).
(1)
Les uvres de Q. de Quincy, qui nous intressent, sont :
1"
Essai sur
l'idal dans ses applications pratiques aux uvres de l'imitation des arts
du dessin. Paris (1805), 1837
;
2
Considrations morales sur la destination
des ouvrages de l'art, Paris (1806), 1815
;
3
Essai sur la nature, le but et les
moyens de l'imitation dans les beaux-arts, Paris, 1823.
(2)
Considrations morales, etc., p. 12.
(3)
Loc. cit., p. 28.
(4)
Loc. cit., p. 53.
. (5) Loc. cit., p. 41.
(() Nous nous associons aussi la critique de Q. de Quincy. Les uvres d'art
dans les muses perdent leur caractre esthtique pour devenir des documents .
C'est le sort des papillons dans le cabiuet de l'entomologiste. Mais enfin l'huma-
nit n'a pas trouv d'autre manire pour conserver ses productions artistiques que
QUATREMKRK l>E QUINCJ 97
Laissons de ct cette question de dtail intressante, et exami-
nons l'ide
principale du livre, le rapport du sujet et de L'objet,
dans le phnomne
artistique. ... Il
y
a, crit de Quincy, une
vritable corrlation, en fait d'art, entre l'objet vu el celui qui voit.
Comme
la manire de le considrer, c'est--dire les affections dont
le spectateur est domin, modifient son gard el l'elet qu'il en
reoit et les qualits dont il prouve l'action, de mme aussi la
manire dont l'objet a la proprit de se faire voir, dtermine plus
qu'on ne pense, chez le spectateur, la facult d'en jouir, augmente
ou diminue la capacit d'en tre alect. 11
y
a rellement ici une
rciprocit de cause et d'effet;
(1).
Quatremre de Quincy dveloppe longuement et avec une cer-
taine finesse psychologique cette ide. L'amour ne prsente-l-il pas
le mme phnomne ? Quand on aime, l'objet aim ne semble-t-il
beaucoup plus beau que quand notre passion est teinte? Dans
l'art aussi, le laboratoire le plus actif de nos plaisirs est celui de
notre imagination
(2).
Dans la musique, le mme phnomne se
constate, grossi : elle ne nous prsente point des images faites ;
elle nous les fait excuter en nous : nous peignons avec elle, nous
de les enterrer en les entassant ple-mle dans ses tristes muses. A l'poque o
Q. de Quincy crivait, d'autres auteurs ont protest contre l'institution des mu-
ses. Consulter : F. Uenoit, L'art franais sous la Rvolution el l'Empire,
p.
83. Benot cite cette phrase, attribue David : La vue de ces chefs-d'uvre
formera
peut-tre des savants, des Winckelmanu, mais des artistes, non ! n
David faisait allusion aux objets d'art amens d'Italie. Paul Souriau, parmi les
modernes, a insist sur le ct anti-estbtique des muses. Nous ne pouvons nous
empcher de citer ce long passage : H
y
aurait'eucore bien dire, ce point
de vue, sur l'installation matrielle de nos muses. Ces toiles accroches ple-
mle aux murailles, qui tirent l'il de tous cts et dtruisent, par des voisi-
nages fcheux, les plus dlicates harmonies de couleur; ces grandes salles uues,
ces parquets sonores o pitine la foule, tout cela est bien peu favorable la
contemplation. Cette gne que nous resseutons sans peut-tre en avoir cons-
cience, ne nous empche pas de constater la beaut des uvres exposes
;
mais
elle nous empche d'eu jouir. Pour prendre vraiment plaisir regarder une
toile, il faut qu'on puisse la regarder son aise
;
qu'elle soit isole
;
qu'on
puisse s'asseoir ou du moins s'accouder devant elle. De l cette plus-value que
prennent les tableaux placs sur la cimaise, ou les statues que l'on a mises
part dans une salle spciale et entoures d'une certaine mise en scne. Je me
figure un muse idal o il n'y aurait que peu d'oeuvres, mais exquises, bien
dtaches l'une de l'autre, bien mises en valeur
;
un Salon qui aurait l'air d'un
salon et non d'un talage de brocanteur; n'est ce pas l qu'on pourrait trouver
les impressions d'art les plus charmantes,
les plus rallines ?
La suggestion
dans l'art, 2
e
dit., p. 18.
(1)
Loc. cit., p. 6a.
(2)
Loc. cit., p. 89.
7
98
LES SYSTMES IDALISTES
sommes ses collaborateurs ;
auteurs nous-mmes dans son action,
nous n'en recevons le plaisir qu'en
y
contribuant...
(1) ;
car, il ne
faut pas l'oublier, pour de Quincy, le but de l'art, le but principal
qu'il ne discute mme pas, mais qui est sous-entendu partout, est
le plaisir : le but de l'art, nous dit-il, est d'exciter des impres-
sions, de peindre les passions, d'mouvoir et de plaire
(2).
Son ide principale peut se rsumer par sa propre phrase : La
moiti du pouvoir de la beaut rside donc dans les facults de
celui qui reoit les impressions
(3).
Mais alors, le beau est chose
relative
;
Q. de Quincy, dans ce livre, accepte cette consquence. Il
existe, peut-tre, dans la nature et dans l'art un beau absolu, mais
c'est seulement celui des proportions ou des meilleurs rapports
que les formes ont entre elles
;
c'est un beau thorique, il ne pro-
duit point de passions, ne fait point d'enthousiasmes, n'enflamme
point les curs
(4).
C'est cette ide de la relation de l'objet et du sujet dans le ph-
nomne artistique qui peut servir de trait d'union entre ses Consi-
drations et son Essai sur l'imitation qui constitue son travail ca-
pital. Quatremre de Quincy n'y revient plus, car il y,,a eu volution
dans son esprit; c'est un seul endroit qu'il crit : L'esprit
rachve en lui-mme l'ouvrage de l'art
(5).
Mais, au fond, c'est
cette mme ide qui constitue la pense gnratrice de ce qu'il
appelle la fiction de l'art.
L'art a pour but d'imiter la ralit : Imiter dans les beaux-arts,
c'est produire la ressemblance d'une chose, mais dans une autre
chose qui en devient l'image
(6).
Il est de l'essence de l'imita-
tion des beaux-arts de ne faire voir la ralit que par son appa-
rence. La ressemblance dans les beaux-arts est partielle et fictive.
Nous savons que l'image n'est pas la ralit, mais l'apparence de la
ralit, et parce que nous savons cela, nous comparons et nous
jugeons l'image et la ralit, d'o nat le plaisir. Pour l'artiste, le
problme se pose ainsi : il doit changer la ralit contre sa
reprsentation, et, vrai dire, la chose elle-mme contre soji
image
(7).
(1)
Loc. cit., p. 100.
(1)
LOC. en., p. 1UU.
(2)
Loc. cit., p. 94.
(3)
Loc. cit., p.
67.
(4)
Loc. cit., p. 66.
(5)
Essai sur la nature... de l'imitation,
p.
122.
(6)
Loc. cit., p. 3.
(7)
Loc. cit., p.
24.
QUATBEHRE DE QLINT.V 99
Ainsi, dans son livre prcdent, il s'agissait d'un apport per-
sonnel qu'apportait dans le fait artististique celui qui contemple

c'esl ce que nous pouvons appeler la collaboration du sujet et de


l'objet. Cet apport, dans ce second ouvrage, se prcise. L'objet,
c'est--dire l'uvre d'art, ne prsente qu'une fiction, une apparence
fictive d'une ralit

le sujet, c'est--dire celui qui contemple,
accepte cette fiction et le plaisir qu'il ressent dcoule en grande
partie de la comparaison qu'il fait de la fiction avec la ralit, c'esl
-dire d'un travail psychique, intrieur et personnel. C'eSt, peu
prs, ainsi qu'on peut systmatiser les ides parses de Quatremre
de Quincy.
L'auteur insiste sur les caractres de la fiction qui constitue
d'ailleurs l'ide directrice de ce second travail. Ainsi, il vient dis-
tinguer la beaut naturelle de la beaut artistique
distinction
intressante et que nous ne trouvons chez aucun autre auteur
avant le xix
e
sicle. 11
y
aura, dit-on, le plaisir de la nature. Soit :
mais, dans l'art, il. ne s'agit pas de ce plaisir-l. 11 ne s'agit pas de
celui qu'on prouve voir la nature elle-mme, mais bien la nature
dans son image. Pour jouir de la nature, on n'a besoin ni des for-
mes, ni des moyens de l'art
(1).
La nature n'offre par le plaisir
de l'illusion, de la fiction que seul l'art prsente
(2).
Oui, crit-il ailleurs, c'est prcisment ce qu'il
y
a de fictif et
d'incomplet dans chaque art, qui le constitue art
(3).
Ce qui fait
le mrite et le plaisir de l'imitation, c'est de ressembler, nonobs-
tant la dissemblance, c'est de donner l'eiet du rel et de l'objet,
malgr ce qui lui manque pour tre l'objet rel
;
c'est de paratre
la chose elle mme par des moyens d'apparence diffrents de la
chose, et si distants d'elle
;
... de produire l'impression du vrai arec
les lments du faux,
de donner le privilge de la vie ce qui n'est
qu'une ombre, et du nant de la fiction faire sortir le miracle de
l'existence
(4).
En cela consiste la fiction, que celui qui contem-
ple n'ignore pas, et qui est le principe, la base de l'art. On appellera
cela plus tard le jeu ou le mensonge de l'art
;
l'ide est la mme.
L'art par sa fiction n'essaie point de nous faire voir la ralit
(1)
Loc. cit., p.
lOi-lOo.
(2)
Voici la mme ide exprime ailleurs : ... autre est le plaisir de la nature,
autre celui de l'imitation. Autre est le plaisir que fait la peiuture d'un paysage,
autre celui du pa)-sage en nature . Loc. cit., p. laO.
(3)
Loc. cit., p. 103.
(4)
Loc. cit., p.
108-109.
100 LES SYSTMES IDALISTES
imite, mais de nous faire imaginer que nous la voyons. C'est l
qu'intervient le travail psychique de celui qui contemple. L'action
de l'art reste nulle si nous manquons de sentiment ou d'imagina-
tion
;
c'est nous d'aider le pouvoir de l'illusion sur nous. Car,
lorsque l'art a produit dans ses ressemblances la perfection qui
doit suppler leur insuffisance, c'est encore nous, c'est--dire
notre imagination, notre sensibilit, qu'il appartient de raliser
l'image et d'en rachever les traits
(1).
Le plaisir, seul but de l'art, dcoule :
1 du rapprochement et de
la comparaison de l'imitation artistique avec l'objet imit, et
2
du
travail d'achvement que fait notre esprit. Ainsi, la copie fidle
d'un objet ne procure absolument aucun plaisir artistique.
Arriv ce point de son analyse, Quatremre de Quincy s'occupe
du but de l'imitation dans les beaux-arts. Le but de l'art est le
plaisir, non des sens, mais de l'esprit, autrement dit celui que
procure l'intelligence ou l'imagination
(2).
Pour arriver plaire,
l'artiste de gnie doit chercher l'universel et. le gnral; il doit
raliser dans son uvre l'idal. Ainsi donc,
le but de l'imitation est
l'idal.
L'tude de l'idal occupe la plus grande partie de VEssai sur
l'imitation et YEssai sur l'idal tout entier
(3).
C'est le ct le moins
intressant de l'uvre de Q. de Quincy et celui .qui avoisine le plus
des ides de Victor Cousin.
Q.
de Quincy dfend, contre les romantiques, le classicisme et
essaie d'implanter en France la doctrine de Winckelmann
(4),
qui
n'est autre, en somme, qu'une rdition de l'idalisme platonicien.
Ce sont, avant tout, des ides artistiques et non esthtiques; des
ides polmiques et non purement spculatives
;
et, il faut l'avouer,
des thories qui s'accommodent fort mal avec les thses que nous
venons d'exposer. Ces ides peuvent se rsumer en quelques mots :
l'artiste doit poursuivre l'idal qui est le gnral et l'universel, et
fuir l'individuel

et pour l'atteindre il
y
a deux moyens : la g-
nralisation et la transposition. La gnralisation : Gnraliser,
en fait d'imitation, c'est reprsenter un objet, non pas seulement
dans ce qui en est l'ensemble, mais bien plutt dans le caractre
(1)
Loc. cit., p. 132.
(2)
Loc. cit., p. 176.
(3)
Hssai sur l'idal, etc., 1805, 1837.
(4)
Consulter : R. Schneider, l'Esthtique classique chez Quatremre de
Quincy. Paris, 1910 (tude fort intressante).
QUATREMRE DE QUINC1 101
qui constitue le genre de cet objet (I). C'est dire qu'on doit
atteindre le type ou plutt l'archtype; La transposition : change
ment des apparences du monde rel ; changement du milieu dans
le temps ou l'espace.
C'est surtout dans son lissai sur l'idal qu'il expose ses ides sur
l'imitation idaliste des Grecs, qui, en art, semblent-il, sont parve-
nus;! l'absolu. Toute cette partie, concernant les ides artistiques
du classicisme, ne rentre pas dans le cadre de notre tude (2).
Mais les ides proprement esthtiques de Q. de Quincy sont forl
intressantes.
Mettons de ct l'ide de l'utilit morale de l'uvre d'art, con-
ception commune tous les esthticiens de l'poque, il nous reste :
1"
l'ide qu'il
y
a collaboration dans le fait esthtique entre le sujet
et l'objet, et
2"
la thse que l'art renferme une fiction, un ct
conventionnel.
Or, la premire thorie fait du phnomne artistique, une chose
relative par excellence

ce qui aurait d empcher
Q.
de Quincy
de voir dans l'idal grec l'absolu de l'art

et la seconde, en mon-
trant le ct Actif de l'art, le mensonge, nous rapproche des doc-
trines de jeu
;
c'est dans le jeu qu'il
y
a. par excellence, fiction,
mme dans l jeu du chat qui prend une balle noire en caoutchouc
pour une souris. Mais ces cts intressants de la pense de
Quatremre de" Quincy ont passe
compltement inaperus el a
son poque et mme plus tard. R. Schneider, dans l'tude que nous
avons cite, ne les signale mme pas
;
Quatremre de Quincy lui-
mme
y
attachait si peu d'importance que, dans son dition dfini-
tive de Y Essai sur l'idal
(1837) o il tudiait l'idal el rien que
l'idal, ne faisait pas la moindre allusion ses ides du pass.
On n'a jamais oubli, toutefois, ses tudes sur l'idal et l'imita-
tion de l'art grec; et. si
Q.
de Quincy est connu, il ne l'est que
(1)
Essai sur l'imitation, etc., p.
276.
(2)
Elle est trs bien tudie dans le livre de R. Schneider que nous avons
signal. Dans l'tude de F. Benot, L'art franais SOUS la Rvolution cl L'Em-
pire, on trouve l'historique entier de la lutte des idalistes et de leurs adver-
saires (Premire section, p. 3 110). Voici comment Henoit rsume les ides
artistiques de Q. de Ouincy : Adhsion dfinitive et absolue de l'architecture
ad type antique, caractre abstrait des arts du dessin rduits l'puration des
formes et la refoute systmatique de la ralit, immobilisation de cet art phi-
losophique dans les formules de canons mathmatiques et sa soumission servile
aux formules antiques, composition allgorique et symbolique, ddain absolu de
Ja vrit historique Loc. cit., p. 90.
102 LES SYSTMES IDALISTES
comme le dfenseur de lidal et du beau absolu. Mais, dans ce do-
maine, il ne peut occuper que la seconde place, car la toute pre-
mire appartient incontestablement Victor Cousin.
2.

Nous ne nous trouvons plus en face d'ides parses, mais
d'un vrai systme quand nous ouvrons le livre le plus populaire de
Victor Cousin, intitul : Du vrai, du beau et du bien.
Cousin a profess les leons assembles dans ce volume, de 1815
1821 ;
les leons d'esthtique ont t donnes en 1818. Avant
cette date, 41 existe un article de Cousin dans les Archives philoso-
phiques, ayant pour sujet le problme du beau
(1).
Dans cet crit
nous trouvons comme le programme entier de son cours de 1818.
De ce cours, d'autre part, nous possdons deux rdactions. L'une
est la fidle reproduction du cours et a t publie par A. Garnier,
en 1836
(2)
;
l'autre, c'est l'dition officielle, pour ainsi dire, que
l'auteur lui-mme a faite de ces leons, aprs les avoir transfor-
mes en partie
(3).
Dans le petit article que nous avons -signal, Cousin divise le
beau en rel et en idal. Dans la rubrique du beau rel, Cousin
range toutes les beauts physiques, morales, intellectuelles, en
tant qu'elles se rencontrent dans un objet rel, dtermin
(4).
Cela pos, examinons les rapports du beau rel d'abord avec l'me
et ensuite avec les objets beaux.
Dans l'me, le beau rel nous est connu par une opration uni-
que mais complexe, compose d'un jugement et d'un sentiment. Le
jugement nous apparat comme universel, invariable, absolu, in-
fini. Ce jugement est un acte de raison, de cette facult merveil-
leuse qui aperoit l'infini du sein du fini, atteint l'absolu dans l'indi-
viduel, et participe de deux mondes dont elle forme la runion
(.">).
Le sentiment, qui est individuel, variable relatif, est caractris
comme un sentiment exquis d'amour pur et dsintress, gal et
semblable celui qu'excitent en nous le bien et le vrai (6).
(1)
Du beau rel el du beau idal. Article publi par les Archives
philoso-
phiques en 1818 et rimprim dans les Fragments philosophiques, 182(1. Nous
avons entre les mains la
2' dition, de 1833.
(2)
Cours de philosophie sur le fondement des ides absolues du Vrai, du
Beau et du Bien, publi par A. Garnier, in-8", 1830.
(3)
Du vrai, du beau el du bien. La seconde dition est de 1854. En 1881
nous comptons dj la 23
e
dition.
(4)
Fragments philosophiques, dit. de 1833, p.
330.
(5)
Jbid.
(6)
Loc. cit., p.
340-341.
VICTOR COUSIN
103
D'autre
part, dans l'objet, le caractre de la beaut extrieure
esl double comme l'opration de l'me qui s'y rapporte. Ce carac-
tre est compos de deux
clments toujours mls ensemble, quoi-
que entirement distincts, l'lment individuel et l'lment gn-
ral
(l)

ou ce que nous pourrions appeler le phnomne
el
la
substance ternelle. Cousin conclut : Le beau rel se compose
donc de deux lments, le gnral et l'individuel, runis dans un
objet rel, dtermin..., le gnral et le particulier, l'absolu et le
variable, nous sont donns simultanment l'un dans l'autre, et l'un
avec l'autre...
(2).
Mais cot du beau rel, il
y
a le beau idal. L'idal dans le
beau comme en tout, crit Cousin, est la ngation du rel, et la
ngation du rel n'est pas une chimre, mais une ide. Ici l'ide
est le gnral pur, l'absolu dgag de la partie individuelle. L'idal,
c'est le rel moins l'individuel ;
voil la diffrence qui les spare
;
le
rapport
consiste en ce que l'idal, sans tre tout le rel, est dans le
rel, dans cette partie du rel qui, pour paratre dans sa gnra-
lit pure, n'a besoin que d'tre abstraite de la partie qui l'accom-
pagne
(3).
On voit clairement dans cette premire^conception de l'idal de
Cousin, la parent quLexiste entre sa thorie et celle de Ouatre-
mre de Quincy. Cousin, comme de Quincy, pense que l'art doit
dgager le gnral du particulier

ce gnral, il l'appelle l'idal.
Ainsi les ides deXousin peuvent tre rsumes en quelques mots :
dans le phnomne artistique, il
y
a d'une part dans le sujet qui
contemple, un jugement gnral et un sentiment
individuel, et
d'autre part dans l'objet contempl, un lment
gnral et un autre
individuel. Atteindre l'idal c'est dgager dans l'objet de plus en
plus l'lment gnral au dtriment de l'individuel.
Examinons maintenant la doctrine de Cousin, telle qu'on la
trouve dans son livre : Du vrai, du beau et du bien
ensuite nous
rebrousserons chemin pour constater les diffrences de ce livre
avec le rsum primitif.
Tout d'abord, quelle mthode Victor Cousin
prconise-t-il
pour
l'lude des faits esthtiques? Dans la troisime partie de son livre,
qui traite du bien, il semble soutenir des ides presque scientifi-
(1)
Loc. cil.,
p.
342 345.
(2)
Loc. cit., p.
345.
(3)
Loc. cit., p.
348.
104 LES SYSTMES IDALISTES
ques. Cousin crit : La vraie philosophie n'invente pas, elle cons-
tate et dcrit ce qui est
(1). Et ailleurs : Qu'avons-nous fait jus-
qu'ici? Nous avons fait comme le physicien ou le chimiste qui
soumet l'analyse un corps compos et le ramne ses lments
simples. La seule diffrence est ici que le phnomne auquel s'ap-
plique notre analyse est en nous, au lieu d'tre hors de nous.
D'ailleurs les procds sont exactement les mmes
;
il n'y a l ni
systme ni hypothse
;
il n'y a que l'exprience et l'induction la
plus immdiate
(2).
-Il se dfend plusieurs reprises de faire un
systme. Il importe de le redire sans cesse : rien n'est si ais que
d'arranger un systme, en supprimant ou en altrant les faits qui
embarrassent. Mais l'objet de la philosophie est-il donc de produire
tout prix un systme, au lieu de chercher connatre la vrit et
l'exprimer telle qu'elle est
(3).
Nous n'avons qu' souscrire toutes ces ides
;
mais dans le livre
de Cousin elles prennent un sens tout particulier. Pour lui, le mot
systme signifie particulirement : philosophie sensualiste
quant
sa philosophie spiritualiste et idaliste, elle n'est pas un systme
mais la vrit mme
(4).
La vraie mthode de Cousin, celle qu'il
emploie sans se l'avouer peut-tre, c'est l'introspection de Des-
cartes allie la spculation logique. Descartes, parti des donnes
de sa conscience, a bti la logique et la mtaphysique
;
Malebran-
che, l'aide de la mme mthode, a labor sa morale
;
le Pre
Andr, de la mme manire, a chafaud son esthtique.
Cousin
les rsume tous les trois
;
il emploie la mme introspection ;
il em-
ploie la mme dialectique
;
il n'y ajoute que son loquence habi-
tuelle et l'influence de la philosophie allemande qu'on retrouve, du
reste, dans tous ses crits.
Or, la vraie mthode, crit-il en commenant son chapitre sur
le beau, qui doit vous tre aujourd'hui familire, nous fait une loi
de partir de l'homme pour arriver aux choses. L'anahjse psycholo-
(jique sera donc encore ici notre point de dpart, et l'tude de l'ctal
de l'me en prsence du beau nous prparera celle du beau consi-
dr en lui-mme et dans ses objets (o). 11 pourrait sembler,
d'aprs celle citation textuelle qu'on vient de lire, que l'auteur
se
(1)
Du vrai, du beau et du bien, dit. de 18r>3,
p.
257.
(2)
hoc. cit., p. 339.
(3)
Loc. cit., p. 369.
(4)
Loc. cit., p.
272.
:>] Loc. cit., p. 136.
VICTOR COUSIN 105
place en tudiant le beau a un point de vue strictement psychologi-
que; et cependant il n*en est rien. En ralit, l encore, Cousin
exagre. Il ne s'agit pas d'une analyse psychologique
se fondant
sur des faits, mais d'une analyse logique applique deux ou trois
concepts psychologiques. D'ailleurs on jugera l'arbre d'aprs ses
fruitsi
Quelles sont les donnes de la psychologie ? ou, selon l'expression
de Cousin, comment se prsente le beau dans l'esprit de l'homme?

Quand nous avons sous les yeux un objet dont les formes sont
parfaitement dtermines, et l'ensemble facile embrasser, une
belle fleur, une belle statue, un temple antique d'une mdiocre
grandeur. Chacune de nos facults s'attache cet objet et s'y
repose avec une satisfaction sans mlange. Nos sens en peroivent
aisment les dtails : notre raison saisit l'heureuse harmonie de
toutes ses parties. Cet objet a-t-il disparu, nous nous le reprsen-
tons distinctement, tant les formes en sont prrises et arrtes !
L'me, dans cette contemplation, ressent une joie douce et tran-
quille, une sorte d'panouissement (l). Cette joie douce et tran-
quille constitue le sentiment du beau
;
et cette description, c'est tout
ce que l'analyse psychologique nous offre sur ce sentiment. Mais
ct du sentiment du beau il
y
a le jugement prononc par la raison
;
tout ce que nous savons de ce jugement, c'est qu'il est absolu et
universel. Nous savons aussi que le beau diffre de l'agrable
car
l'agrable est individuel, variable et correspond aux sens et le beau
la raison. Le sentiment du beau est tranger au dsir et la pas-
sion
;
il trouve sa propre satisfaction en lui-mme. Il est dsint-
ress et ignore compltement l'utilit. S'il est un alli de la morale,
c'est indirectement qu'il la sert en s'associanl tout ce qui lve
l'me
(2).
A ct du sentiment du beau, il
y
a le sentiment du sublime.
Voici sa description psychologique : Considrons un objet aux
formes vagues et indfinies, et qui soit trs beau pourtant : l'im-
pression que nous prouvons est sans doute encore un plaisir, mais
c'est un plaisir d'un autre ordre. Cet objet ne tombe pas sous
toutes nos prises comme le premier. La raison le conoit, mais les
sens ne le peroivent pas tout entier, et l'imagination
ne se le
reprsente pas distinctement. Les sens et l'imagination s'efforcent
(1)
Loc. cit., p. 14(5.
,2) Loc. cit., p. 185.
106 LES SYSTMES IDALISTES
en vain d'atteindre ses dernires limites
;
nos facults s'agran-
dissent, elles s'enflent, pour ainsi dire, afin de l'embrasser, mais il
leur chappe et les surpasse. Le plaisir que nous ressentons vient
de la grandeur mme de cet objet, mais en mme temps cette
grandeur fait natre en nous je ne sais quel sentiment mlanco-
lique, parce qu'elle nous est disproportionne
(1).
Reste savoir comment peut-on caractriser le beau dans les
objets . L encore, le beau se distingue de l'agrable, de l'utile,
de la convenance des moyens relativement leur fin, de la propor-
tion
(2). Pour Cousin, la plus vraisemblable thorie du beau est
celle qui le place dans l'unit et la varit.
Toutes les beauts se divisent en physiques, intellectuelles et
morales et peuvent tre runies dans la beaut morale. Elles cons-
tituent le beau rel. Mais au-dessus de celui-ci, il
y
a le beau idal.
Le dernier terme de l'idal, c'est Dieu

Dieu est le beau par excel-


lence. Et c'est ce point seulement que se confondent le vrai et le
bon avec le beau. Tous les trois sont des attributs et non des tres.
Mais il n'y a point d'attributs sans sujet. Et comme ici il s'agit du
vrai, du beau et du bien absolus, leur substance ne peut tre que
l'tre absolu. C'est ainsi que nous arrivons Dieu
(3).
Ainsi.
Cousin rduit sa trilogie en une seule substance : Dieu.
Mais descendons de ces hauteurs mtaphysiques et examinons
l'art. L'art, pour Cousin, est la reproduction de la beaut, et le
pouvoir en nous capable de la reproduire s'appelle le gnie
(4).
Cette beaut que l'art doit reproduire ne doit pas tre la beaut
de la nature, mais la beaut idale, telle que l'imagination hu-
maine la conoit l'aide des donnes que lui fournit la nature
(5).
L'art doit exprimer l'aide de la beaut physique (forme) l'idal.
La fin de l'art est l'expression de la beaut morale l'aide de la
beaut physique. Celle-ci n'est pour lui qu'un symbole de celle-l.
Dans la nature, ce symbole est souvent obscur : l'art, en l'clair-
cissant, atteint des effets que la nature ne produit pas toujours
(0).
L'art doit, l'aide de la forme matrielle, exprimer l'ide. Le
problme de l'art est d'arriver jusqu' l'me par le corps. L'art
(1)
Loc. cit.,
p.
146-147.
(2)
Loc. cit.,
p.
156-157.
(3)
Loc. cit.,
p.
449.
(4)
Loc. cit.,
p.
173.
(5)
Loc. cil.,
p.
188.
(6)
Loc. cit.,
p.
177.
VICTOR COUSIN 107
offre aux sens des formes, des couleurs, des sons, des paroles,
arranges de telle sorte qu"elles excitent dans l'me, cache der
rire les sens, l'motioiij^ejablejde la beaut
(1).
Quant la thorie de l'unit et de la varit dans l'art, thorie
laquelle Cousin ne s'arrte que trs peu, il la comprend d'une
faon spciale : La vraie unit, c'est l'unit d'expression, et la
varit n'est faite que pour rpandre sur l'uvre entire l'ide ou
le sentiment unique qu'elle doit exprimer
(2).
Cousin divise les arts en arts de l'oue et arts de la vue et fait un
essai de classification en se plaant au point de vue du pouvoir que
les arts possdent d'exprimer l'idal. Toutes ces distinctions ou
classifications sont fort peu importantes.
Si l'on compare maintenant cet expos avec le rsum primitif
du cours de 1818, publi par Garnier, on remarquera quelques
diffrences apprciables. Tout d'abord ce cours, fait l'poque o
Cousin tait sous l'influence de la philosophie allemande, porte trs
marque cette influence. D'autre part, ses analyses sont plus riches,
plus colores. L'ide de rduire la trilogie

beau, bien, vrai

dans l'unit divine, qu'il nomme encore l'infini, est plus dlicate-
ment exquisse, avectles couleurs moins criardes, avec des accents
de philosophe et non pas de prdicateur.
-
Dans son cours primitif, il insiste beaucoup plus sur l'expression
et mme il
y
ajoute la sympathie, annonant ainsi l'uvre de Th.
Joufroy, qui tait un de ses auditeurs et de ses lves. Voici son
analyse psychologique de ce qu'on prouve en face d'un objet
beau
;
il est facile de remarquer qu'elle est beaucoup plus riche
que celle que nous avons trouve dans son livre. Placez vous
devant un objet de la nature, dans lequel tous les hommes Recon-
naissent de la beaut
;
examinez le phnomne total qui se passe
en vous cet aspect, et cherchez en dgager les lments : il
est certain que vous prononcez que l'objet est beau, et que vous
prononcez ce jugement d'une manire absolue; vous savez que
ce n'est pas vous qui faites votre jugement, mais qu'il vous est
impos du dehors; et si l'on vient vous contredire, vous affirmez
qu'on se trompe, qu'il ne s'agit pas ici d'un fait qui vous soit
personnel, mais d'une lumire objective qui claire tous les
esprits. Il est encore certain qu'aprs avoir jug que l'objet est
1) Loc. cit., p. 189.
(2) Loc. cit.,
p.
197.
108 LES SYSTMES IDALISTES
beau, vous sentez sa beaut, c'est -dire que vous prouvez une
motion dlicieuse, et que vous tes attir vers l'objet par l'amour,
suite invitable du sentiment de plaisir... Le jugement et le senti-
ment, tels sont les deux vrais lments internes de l'ide du
beau
(1).
Son idalisme est moins tranch, beaucoup plus dlicat

il se
drobe presque derrire le nom de symbolisme. Tout est symbo
lique dans la nature, crit-il, la forme n'est jamais une l'orme toute
seule, c'est la forme de quelque chose, c'est la manifestation de
l'interne. La beaut est donc l'expression, l'art sera donc la re-
cherche de l'expression
(2).
Plus loin, Cousin ajoute : On peut
distinguer trois classes de symboles :
1
la nature purement phy-
sique, le moins expressif de tous les symboles
;
2
la nature ani-
male, qui partage la sensibilit avec l'homme
;
3
la nature humaine
cloue d'intelligence et de moralit. Dgagez le beau de ses formes
naturelles, vous trouverez le beau idal
;
si vous-cherchez raliser
ce beau idal, vous faites de l'art
(3).
Et pour mieux faire com-
prendre l'effet de l'art : Si l'art a pour but de peindre le beau mo-
ral, il a pour rsultat d'exciter chez les autres le sentiment du beau
dont l'artiste a t possd. Ainsi, en mme temps qu'il est symbo-
lique, il est aussi sympathique. Idal et sympathie, telles sont les
deux lois suprmes de l'art
(.4).
Voil des passages intressants
qui annoncent l'uvre de JouH'roy.
Nous ne pouvons nous empcher de citer les lignes suivantes
qui, rsumant son ide principale, montrent en mme temps com-
bien elle avait perdu en passant du cours initial dans son livre :
L'infini est l'origine et le fondement de tout ce qui est : il se
rvle nous par le vrai, le bien et le beau
;
en descendant de cet
.tre suprme, on arrive - une suprme beaut, qui est la moins
loigne du type infini, mais qui en est dj bien loin ; de l, de
dgradation en dgradation, vous descendez la beaut relle
;
vous aurez parcouru une multitude de degrs intermdiaires, vous
aurez rencontr l'art et tous les degrs de l'art, l'Apollon, la Vnus,
le Jupiter, etc., et au-dessous de l'art, la nature et tous les degrs
de la beaut naturelle. Souvenez vous cependant que toutes ces
(1)
Cours de philosophie, etc.
(1836), p.
216-217.
(2)
Loc. cit., p. 260.
(3)
Loc. cit., p.
261.
(4)
Loc. cit., p. 268.
VICTOR COUSIN
109
sphres diffrentes se touchent el
se
pntrent pour ainsi dire. An-
dessous du beau, enfin, vous trouverez l'agrable; c'est--dire,
aprs les objets du jugement, les objets de la sensation
(1).
Ce rsum, qui ouvre des horizons vers l'infini, est rellement
beau, mais d'une beaut enfantine, nave, faire sourire le plus
naf et le plus simpliste d'entre nous. Que l'on s'imagine un pro-
fesseur la Facult de mdecine, commenant son cours de patho-
logie gnrale peu prs ainsi : L'infini est l'origine et le fonde-
ment de la sant. En descendant de la sant divine, vous trouverez
des sants de plus en plus imparfaites, etc. Notre comparaison,
quelque audacieuse qu'elle s'oit, n'a rien, absolument rien, d'exa-
gr. Les faits esthtiques, d'un ordre plus lev que les phno-
mnes physiologiques,, demandent des explications beaucoup plus
compliques que celles de ces derniers.
Le chimiste qui dfinirait l'acide carbonique ou le chlorate de
potasse, en nous disant seulement que ce sont des assemblages
d'atomes, serait parfaitement dans le vrai, ce qui ne nous emp-
cherait pas de lui rire au nez. Dire que Dieu est la source du beau,
c'est plus risible encore que l'explication du chimiste

car nous
nous trouvons en face d'un phnomne plus complexe que ne l'est
le fait chimique. Les explications simplistes, sans aucune utilit,
qu'on ne peut mme pas perfectionner, c'est le propre des systmes
philosophiques.
Dire comme Paul Janet, que le systme de Cousin manque de
cohsion et de prcision, c'est encore tre fort indulgent
(2). Celui
qui a le mieux montr les dfauts du systme de Cousin, c'est
Renan
(3).
M. Cousin, crit-il, tant, malgr la haute valeur de
ses spculations, plus particulirement de la classe des philosophes
littraires et politiques, les personnes proccupes surtout du ct
scientifique doivent naturellement trouver chez lui quelques
lacu-
nes, lacunes qui s'expliquent du reste par l'ducation universitaire
qu'il reut. Le tour des tudes dans la vieille Universit tait beau
coup plus littraire que scientifique : on ne croyait pas qu'en de
hors des carrires d'application, les sciences physiques et math-
matiques eussent quelque- prix
(4).
Et, dfendant la mthode
(1)
Loc. cit., p. 208.
(2)
Paul Janet. V. Cousin et son uvre, 1885, p. 449.
(3)
E. Reoan. Essais de morale et de critique. Article : Cousin (3' dition),
1867. La prlace est de 1859.
14) Loc. cit., p. 80.
110 LES SYSTMES IDALISTES
scientifique contre une idologie creuse et sonore, Renan crit
cette phrase, qui peut s'appliquer tous les systmes qui ne se
fondent pas strictement sur l'tude et l'observation du rel : La
tentative de construire la thorie des choses par le jeu des formules
vides de l'esprit est une prtention aussi vaine que celle du tisse-
rand qui voudrait produire de la toile en faisant aller sa navette
sans
y
mettre du fil
(1).
C'est la seule critique que nous adressons aussi la thorie de
Cousin et tous les systmes vides. Quant discuter les dtails de
sa doctrine, examiner par exemple si Dieu est rellement la subs-
tance dont le beau est l'attribut, cela nous semble aussi oiseux que
de s'occuper de la couleur de la toile du tisserand qui tisse sans fil.
3.

L'esthtique de Lamennais
(2)
prsente les mmes carac-
tres que celle de Quatremre de Quincy et surtout que celle de
V. Cousin
;
elle possde pourtant une nouvelle ide directrice :
l'ide religieuse, qui joue un rle principal.
L'art est l'imitation de l'uvre divine
;
son origine est reli-
gieuse
;
son volution suit celle de la religion et l'exprime. Con-
natre, comprendre l'uvre divine, voil la science; le reproduire
sous des conditions matrielles ou sensibles, voil l'art
(3).
C'est dans le temple chrtien qu'on peut suivre l'volution de
l'art, semblable celle de Ta Cration. En elel, Lamennais dve-
loppe une volution de l'art, compltement fantaisiste et en contra-
diction avec les faits
;
il place l'architecture au dbut de cette vo-
lution dont l'aboutissant est, selon lui, l'art oratoire
(4).
Pour Lamennais, l'uvre d'art est avant tout l'expression de
l'tat religieux et de la mentalit de celui qui la cre
(5). Dj,
nous avons vu que M
me
de Stal envisageait l'art comme une
fonction deia socit. C'est une ide analogue qui se prsente
dans l'uvre de Lamennais. C'est en traitant de la peinture sur-
tout, que Lamennais essaie, propos de chaque cole, de dmon-
Ci)
Loc. cit., p. 82.
(2)
F. Lamennais. Esquisse d'une philosophie (Tome troisime, Livres hui-
time et neuvime : De l'art, p.
125 479). Paris, 1840. Lamennais, n en 1782,
est mort en 1854.
(3)
Loc. cit.,
p.
141.
(4)
Loc. cit., p.
145-162.
(5)
Loc. cit. Cette ide se retrouve dans : Qu'est-ce que l'art ! de Tolsto.
LAMENNAIS 111
trer qu'elle exprime [es ides, le gnie, les murs du peuple
qui l'a engendre (I).
On le voit, crit-il, dans chacune de ses branches, l'art, comme
nous l'avons tabli d'abord, n'esl que la tonne extrieure des ides.
l'expression du dogme religieux et du principe social dominant
certaines poques
(2). D'o, conclut Lamennais, on ne peut
imiter l'art ancien. Ainsi, il est en contradiction, et l seulement
du reste, avec Qualremre de Quincy; par ailleurs,
en effet, il
estime, ainsi que ce dernier, que l'on ne doit pas imiter la nature,
mais l'idal al rien que l'idal. Si l'art n'est point l'imitation de
l 'art ou de ses crations accomplies dj, il n'est pas davantage
l'imitation de la nature, en ce sens qu'il s'efforce de reproduire.
non les apparences phnomnales, mais leur archtype
idal, tel
qu'il subsiste en Dieu, immuable, ternel comme lui
(3).
A ct de l'ide religieuse, l'autre ide directrice de l'uvre
esthtique de Lamennais est l'imitation de l'archtype idal et divin.
Lamennais nous dira que comme par un mouvement perptuel
d'ascension, tous les tres tendent vers Dieu, aspirent s'unir,
s'identifier Dieu, sans nanmoins
y
parvenir jamais, parce qu'au
moment mme o s'oprerait cette union parfaite, ils cesseraient
d'exister individuellement; ainsi l'art aspire au beau infini,
s'unir, s'identifier lui, sans
y
parvenir jamais, parce que l'art
n'tant pas seulement la manifestation de la forme, mais sa mani-
festation sensible, et le beau infini excluant, par son immuable
essence, toute manifestation sensible, l'art aussi cesserait d'exister
au moment ou s'oprerait son union parfaite avec le terme de sa
tendance
(4).
L'imitation de l'idal, on la retrouve chaque page du livre :
Dans la reproduction des formes matrielles, l'art doit donc ten-
dre reproduire, non le simple phnomne, le pur fait sensible de
la forme actuellement ralise, mais l'exemplaire immatriel
;
... l'art n'est donc pas une simple immitation de la nature
;
il doit
rvler, sous ce qui frappe les sens, le principe interne, l'idale
beaut que l'esprit seul peroit et qu'ternelle'ment Dieu contemple
en soi (o).
(1)
Loc. cit.,
p. 267.
(2)
Loc. cit.,
p. 193.
(3)
Loc. cit.,
p. 194.
(4)
Loc. cit.,
p.
237-239.
(5)
Ibid.
U2
LES SYSTMES IDALISTES
Lamennais est consquent avec son idalisme, quand, comme
Quatremre de Quincy ou V. Cousin, il s*lve contre l'individuel
et le personnel, ou quand il nie en art la l'orme pour la forme (ou
l'art pour l'art). Et, puisque le beau rside primitivement, essen-
tiellement dans l'ide, dans le type, et non dans la forme qui ma-
nifeste le type,
rechercher la forme pour la forme mme, ou, en
d'autres termes, rduire l'art l'un de ses lments, la forme pure,
ce n'est pas seulement le mutiler, c'est le dtruire radicalement (1).
11 ne faut pas oublier qu' l'poque o Lamennais crivait ces
lignes, la thorie de l'art pour l'art rgnait en France.
Il faut
signaler, dans le livre de Lamennais, un essai d'explica-
tion de la comprhension de la musique, et un essai d'explication
du rire produit par le comique
(2).
La
musique part de la sensation pour s'lever l'ide, mais, con-
trairement
aux autres arts, elle ne manifeste l'ide qu'indirecte-
ment ;
elle la fait pressentir dans un vague lointain, sous les om-
bres
flottantes qui l'enveloppent. Elle ne la rvle point l'esprit
avec la nettet qui produit la comprhension, mais elle dtermine
un tat, excite des motions correspondantes sa nature myst-
rieusement
voile

(3).
Ainsi la musique n'imite point, elle cre,
elle concourt raliser le monde immatriel o l'esprit se dilate
sans fin

(4).
L'homme manifeste par elle, non l'ide, mais le
sentiment
li l'ide .
(1)
Loc. cit., p.
474.
(2)
Voici un passage intressant o Lamennais analyse Yapport personnel
dans l'uvre d'art : Il se mle toujours quelque chose de nous aux lieux que
nous voyons. L'impression physique que nos sens en reoivent se transforme au
dedans de nous-mmes, et y
suscite, pour ainsi parler, une image idale en har-
monie avec nos penses, nos sentiments, notre tre intime. Que deux artistes
peignent d'aprs nature le mme paysage, leurs uvres, l'une et l'autre mat-
riellement exactes, pourront diffrer profondment et aucune ne produira uni-
quement la nature ;
elles seront empreintes d'un caractre directement man
de l'artiste.... Et, en effet, ce qui distingue particulirement les grands matres,
c'est qu'ils ODt su prter aux fieux un langage indfinissable, qui touche, meut,
provoque la rverie et l'attire doucement comme en des espaces infinis . Loc.
cit., p.
239.
(3)
Loc. cit., p.
297. Lamennais, rapprochant la musique de l'architecture,
crit : Sous ce rapport, l'architecture ou l'harmonie des formes prsente quel-
que chose de semblable ce qu'on retrouve dans la musique ou dans l'harmonie
des sons. Ni l'une ni l'autre ne manifestent l'ide telle qu'elle est en tant qu'objet
de la connaissance, mais elles dterminent dans l'tre qui voit ou entend un
certain tat interne ou des sentiments correspondant un ordre d'ides . Loc.
cit., p.
167.
(4)
Loc. cit., p. 310.
I
LAMENNAIS 11&
Huant L'explication du lisible, elle est intressante, car c'est
une des premires qu'on trouve en France au xix" sicle. Plus lard,
on en rencontre un grand nombre qui ncessiteraient une mono
graphie srieuse. Le rire, pour Lamennais, vienl d'une secrte
satisfaction d'amour propre. Quiconque rit d'un autre, se croit,
en ce moment suprieur lui par le ct o il l'envisage et qui
excite son rire, et le rire est surtout l'expression du contentement
qu'inspire cette supriorit relle ou imaginaire
(1). C est. peu
prs, la thorie de l'orgueil de Poinsinet de Sivry
(2).
Paul Janet, examinant l'esthtique de Lamennais, crit que dans
son ensemble elle est idaliste et platonicienne, comme celle de
V. Cousin dans le Vrai, le Beau et le Bien. Comme celle-ci aussi,
c'est une esthtique littraire, plus intressante par la forme que
par l'analyse scientifique. Enfin, les doctrines fondamentales sont
les mmes de part et d'autre
(3).
En effet, si Cousin avait quelques donnes psychologiques, pui-
ses chez Kant et la philosophie allemande, Lamennais n'en a rien
gard. Son esthtique ne repose absolument sur rien
;
donc toutes
les critiques adresses Cousin, on peut les rpter avec plus de
svrit en jugeant l'esthtique de Lamennais.
On peut se demander quels avantages a tir l'esthtique de cette
priode idaliste et mtaphysique.
Cousin a dbarrass l'art de la tutelle de la morale

et c'est
dj un rsultat apprciable. D'autre part, cause de son loquence
mme, il a attir l'attention des savants et du public vers le pro-
blme du beau et a rendu plus ou moins populaires les thories des
esthticiens allemands.
Lamennais, insistant sur le fait que l'art est l'expression de l'tat
social et religieux de l'homme, montre, sans le vouloir, que l'art
est chose relative par excellence, et d'une part prpare l'volution
des ides et de l'autre contribue la ruine de sa propre thorie de
l'archtype absolu et immuable.
(1)
Loc. cit., p. 370.
(2)
A titre de curiosit, nous signalons une thorie analogue dans les Curio-
sits Esthtiques (1868) de Ch. Baudelaire. Cela va sans dire, il a paru, avant
1868, des uvres plus srieuses sur la mme question.
(3)
Paul Janet, (a Philosophie de Lamennais, 1890, p.
141-142.
8
114 LES SYSTMES IDALISTES
Le terrain est prt pour l'apparition des thories fcondes qui,
ne croyant pas tenir l'absolu, poussent vers la libre recherche de la
vrit

cette recherche qui fait la fois les dlices et les tour
ments de l'esprit humain.
CHAPITRE Hl
Un essai d'explication psychologique.
1. Th. Jouffroy.

2. Sully-Prudhomme.
1.

Cousin, la (in de son chapitre sur le beau, a ajout la
note suivante : Au premier rang des auditeurs intelligents de ce
cours tait M. Jouffroy qui, dj, sous nos auspices, deux ans
auparavant, avait prsent la Facult des lettres, pour tre reu
docteur, une thse sur le beau
(1).
M. Jouffroy avait depuis cultiv,
avec un soin et un got particuliers, les semences que notre ensei-
gnement avait pu dposer dans son esprit
(2).
Il est souhaiter
que tous les matres aient des disciples comme l'auditeur du cours
de Cousin. En effet, l'uvre esthtique de Jouffroy, dans laquelle
on sent l'influence de son matre, est tous les points de vue infi-
niment suprieure celle de Cousin.
Tout d'abord, nous n'avons pas affaire un systme de mtaphy-
sique, mais une doctrine s'inspirant de la psychologie
;
le progrs
est grand. Et il est d'autant plus grand qu' ct du psychologue
de la vieille cole nous trouvons l'observateur patient, curieux,
examinant les thories ou les doctrines et qui n'est jamais content
de ses conclusions.
Les leons de Jouffroy, faites devant un auditoire restreint et
publies par Damiron, forment son Cours d'esthtique
(3),
un des
livres les plus importants de l'esthtique franaise. Compars
celui-ci, crit Taine, les crits cossais et franais sur le beau pa-
raissent misrables. Pour tout dire en un mot, il est le seul qu'on
puisse lire aprs YEsthtique de Hegel
(4).
Jouffroy voit, comme Cousin, dans le phnomne produit en
(1)
La thse de Jouflroy (12 aot 1816) porte pour titre : Le sentiment du beau
est diffrent de celui du sublime : ces deux sentiments sont immdiats.
(2)
Du vrai, du beau et du bien, p. 254, note.
(3)
Ce cours a t fait en 1822. Le livre a paru en 1843. Th. Jouffroy, n en
1796, est mort en 842.
(4)
Les philosophes franais du xix" sicle, 1856, p. 231.
116 UN ESSAI PSYCHOLOGIQUE
nous par l'objet beau, d'une part, une sensation agrable, un plaisir
et, d'autre part, un jugement intellectuel. C'est la dtermination de
ce plaisir produit par l'objet beau qu'il consacre une grande partie de
son Cours. Suivons son analyse :
1 Ce plaisir n'a pas pour cause
l'utilit de l'objet beau. Joulroy dveloppe plusieurs raisons, entre
autres le fait que toute chose utile n'est pas belle, ni toute chose
nuisible laide. D'autre part, une chose belle cesserait d'tre belle
quand elle deviendrait inutile. Un jugement d'utilit prcderait
tout plaisir du beau, or, dans la ralit, ce n'est pas le cas. Enfin, ce
qui fait la beaut d'une chose fait rarement son utilit. Un beau
fruit n'est plus beau pour l'homme qui a soif...
(1) ;
2 le plaisir
du beau n'a pour cause ni l nouveaut, ni l'habitude. La nouveaut
et l'habitude sont des sources de plaisir
;
des faits incontestables
nous prouvent cela, mais les thories qui font rsider le beau ou
dans la nouveaut ou dans l'habitude sont insuffisantes et exag-
res dans leurs conclusions ;
3
ni l'ordre, ni la proportion ne suffi-
sent pour expliquer le plaisir produit par le beau. Mais comme il
y
a des choses utiles qui sont belles, tout en n'acceptant pas que
l'utile constitue le beau, ainsi il
y
a des choses ordonnes et bien
proportionnes qui sont belles, sans que l'ordre ou la proportion
soient les lments essentiels de la beaut
;
4 l'unit et la varit
sont aussi des conditions de la beaut sans en tre les principes

ce sont des simples moyens qui font mieux ressortir le beau. La
preuve c'est qu'il
y
a des objets trs uns et trs varis qui nous pa-
raissent laids, et d'autres objets sans beaucoup d'unit, sans beau-
coup de varit, nous impriment l'elfet du beau
(2) ;
5 l'associa-
tion des ides n'est pas le principe du beau, comme le soutient Du-
gald Steward

l'artiste pourtant doit en tenir compte
(3).
L'tude de l'association des ides dans l'art est trs intressante,
et c'est en partant de cette critique sur l'association des ides que
Joulroy passe l'tude du symbole et laisse la partie ngative de
son analyse pour traiter la partie affirmative et construire sa propre
thorie. Tout son systme esthtique repose sur deux concepts : le
symbole et la sympathie.
Tout objet, toute ide, est, jusqu' un certain point, un symbole.
On entend gnralemeni par symbole ce qui produit une certaine
(1)
Cours d'esthtique, p. 22 26.
(2)
Loc. cit., p. 98.
(3)
Loc. cit., p. 121.
TH. .I0UF1H0V
117
impression sur nous
;
et la suite de cette impression veille en nous
certaines ides qui, elles-mmes, en rveillent d'autres qui s'en
distinguent (I). Tout est symbole, puisque tout veille en nous
l'ide de quelque chose que nous n'apercevons pas. Mais, il
y
a des
symboles clairs, moins clairs et inintelligibles

des symboles pic
cis et vagues. 11
y
a des symboles naturels : Ainsi les expressions
de la physionomie rvlent l'intelligence le principe humain qui
les produit
(2).
Au fond de tout tre, de tout objet anim
ou
inanim, il
y
a ce
que nous appelons la force ou l'me. Le symbole exprime d'une
faon nette ou vague cette force, que Joull'roy appelle l'invisible.
Le monde n'est qu'un symbole matriel qui permet aux forces de
se parler et de converser entre elles, de s'exprimera sa faveur dans
quelque langage et de communiquer les unes avec les autres. Ainsi
la matire est la fois obstacle et moyen
;
la matire empche les
forces de s'approcher, et les aide se montrer les unes aux
autres
(3)
.
Quand on se demande comment la force produit les qualits de la
matire, on fait de la science
; et quand on se demande quelle est
la nature de la force qui produit les qualits de la matire on est
artiste
on contemple et on admire la force inhrente la ma-
tire.
Tout ce que nous percevons, tant L'effet de la force, en est Pex-
pression. Le monde n'a de valeur pour l'artiste qu'en tant qu'il
exprime la force. C'est dans l'expression qu'il faut chercher le
principe de la beaut. Mais la ipatire enveloppe la force

com-
ment l'me de l'artiste pourra-t-elle saisir l'invisible que la mat-
rialit des tres cache? En d'autres termes, comment deux forces
pourront-elles agir l'une sur l'autre? Par la sympathie, c'est--dire
par une analogie de nature. L'artiste doit donc exprimer la force,
en sympathisant avec elle travers les symboles qui la laissent
deviner en la cachant

et nous, nous devons sympathiser avec
l'uvre symbolique de l'artiste pour saisir l'invisible qu'il
y
a expri-
m. Pour qu'il
y
ait motion esthtique, crit.Jou If roy, il ne sullit
donc pas que la force comprenne la force, que l'me s'offre l'me
;
il faut de plus absolument, que l'me s'offre l'me par des signes
(1)
Loc. cil., p. 131.
(2)
Loc. ctt., p. 13'J.
(3)
Loc. cit.,
p.
145.
118 UN ESSAI PSYCHOLOGIQUE
naturels
;
qu' travers les symboles naturels la force comprenne la
force ;
il ne faut pas uniquement expliquer l'homme
;
il faut l'ex-
primer (1).
Jouffroy donne comme exemple Molire qui est artiste
car il voque les symboles naturels qui manifestent les passions, et
Yauvenargues qui analyse le cur humain en psychologue.
C'est donc dans l'expression de la force par les symboles que
Jouffroy fait consister l'art. Faut-il faire savoir qu'un homme est
avare? l'artiste ne dira pas : cet homme est avare
;
c'est l le pro-
pre de l'orateur ;
l'artiste peindra l'avarice de cet homme dans tous
ses traits, dans toutes ses habitudes, dans toute sa conduite (2).
La force, l'invincible ne nous procure l'motion et le plaisir
esthtiques qu'exprim par. des signes, par des symboles. Or il
y
en a de deux espces. Il
y
en a d'ternels, d'immuables, qui signi-
fient dans tous les temps, dans tous les lieux, toutes les poques,
et que comprend l'Africain comme l'Europen
;
puis il
y
en a d'ac-
cidentels et de conventionnels, qui n'appartiennent qu' tel temps,
qu' tel lieu, et que ce temps, ce lieu seuls peuvent compren-
dre
(3).
L'artiste doit choisir, autant que possible, les symboles
inaltrables ;
d'une part donc, dans l'uvre d'art, il doit recher-
cher l'invisible, et de l'autre il doit le reprsenter par des formes
ou symboles intelligibles et clairs, par des expressions vraies et
naturelles.
La dfinition la plus haute de l'art c'est que l'art est
l'expression de l'invisible par des signes naturels qui le manifes-
tent
(4).
Le beau qui exprime l'invisible excite la sympathie
;
le laid l'an-
tipathie. Le sublime excite la sympathie et des sentiments opposs

il attire et repousse en mme temps. Le joli excite en nous un


amour pur sans mlange
(5).
Le sentiment esthtique fondamental, c'est le sentiment sympa-
thique. La disposition de l'me humaine reproduire ou rpter
en soi les tats de la nature vivante, que les objets extrieurs lui
suggrent, c'est la sympathie. Ressentir l'effet de la sympathie c'est
(1)
Loc. cit.', p.
136.
(2)
Loc. cit., p.
157.
(3)
Loc. cit., p. 214.
(4)
Loc. cit., p.
230.
(o) Jouffroy, daDS sa thse (1816) dj cite, dmontrait que le beau est diff-
rent du sublime et que ces deux sentiments sont immdiats. Dans cet crit de
jeunesse o l'on trouve l'influence de Hurke et de Kant et, en second lieu, celle
de Cousin, on doit remarquer les qualits psychologiques que Jouffroy dveloppera
plus tard dans son^Cowrs.
I II. .IOUKKROY 1 19
ressentir l'effet esthtique fondamental que l'expression produit
sur le spectateur ;
ce sentiment esthtique se modifie, selon qu'il
s'y mle tel ou tel sentiment accessoire.
Voici, en somme, le rsum des ides de Jouffroy : Le fait
esthtique rsulte toujours du rapport de deux termes diffrents,
l'objet et le sujet : l'objet qui, par l'expression, agit sur le sujet ou
le spectateur; le sujet ou le spectateur qui, par la sympathie,
reoit l'action de l'objet. L'expression, c'est dans l'objet, la mani-
festation d'un certain tat d'me. La sympathie, c'est, dans le
sujet, la rptition d'un certain tat de l'me que l'objet manifeste.
La manifestation dans l'objet d'un certain tat de l'me ou l'expres-
sion, c'est le pouvoir esthtique. La reproduction dans le sujet du
certain tat de l'me que l'objet manifeste ou la sympathie, c'est le
sentiment esthtique
(1).
Le pouvoir esthtique produit infailliblement chez le sujet con-
templant le sentiment esthtique et le sujet ressent alors le plaisir
sympathique ou esthtique.
Mais qui fait natre ce plaisir de la sympathie? Jouffroy nous
rpond qu'il provient, tout d'abord, de la dcouverte travers la
matire (forme ou symbole) de l'invisible (force). Ensuite du fait
que nous sommes mus sans dpense d'activit, puisque l'activit
vient du dehors par la sympathie. Et, en troisime lieu, du passage
d'un tat un autre tat; du passage de notre tat initial
l'tat
o nous jette la sympathie (2).
A ct de cetteide que l'art est l'effet de la sympathie prouve
pour
l'invisible exprim par des symboles, que Jouffroy dveloppe
dans tout son livre, on trouve une grande foule de remarques et
d'observations
psychologiques
accessoires, trs fines et trs int-
ressantes,
mais qu'il nous est impossible de reproduire ou mme
de rsumer ici.
Tout en
reconnaissant que l'uvre de Jouffroy forme un systme
clos et que mme la mtaphysique n'en est pas absente, il faut dire
aussi que c'est sur des donnes psychologiques
intressantes que
ce systme repose. La sympathie est une donne
psychologique,
qu'on peut tudier et approfondir

de mme on peut tudier le
besoin d'expression qui tourmente l'artiste.
La psychologie
d'ailleurs, l'poque de Jouffroy. tait encore
(1)
Loc. cit
,
p.
263.
(2)
Loc. cit., p.
271-273.
120 UN ESSAI PSYCHOLOGIQUE
bien pauvre
;
c'est donc un trs grand mrite du Cours d'esthtique
d'avoir orient cette branche d'tudes vers la voie psychologique,
qui est sa propre voie, en la tirant de la mtaphysique, vers laquelle
l'uvre de Cousin la poussait de plus en plus.
L'influence de Jouffroy, si nous jugeons d'aprs le nombre de
ceux qui ont repris ses ides, fut considrable.
Sainte-Beuve

et nous sommes dans l'absolue impossibilit de
dire si l'illustre critique avait suivi ou connaissait le Cours de
Jouffroy

dans la Vie, posies et penses de Joseph Delorme
(1829),
dveloppe rapidement des ides presque identiques celles de
l'esthticien. Voici ce passage intressaot : Le sentiment de l'art
implique un sentiment vif et intime des choses. Tandis que la ma-
jorit des hommes s'en tient aux surfaces et aux apparences, tandis
que les philosophes proprement dits reconnaissent et constatent un
je ne sais quoi au del des phnomnes, sans pouvoir dterminer la
nature de ce je ne sais quoi, l'artiste, comme s'il tait dou d'un
sens part, s'occupe paisiblement sentir sous ce monde apparent
l'autre monde tout intrieur qu'ignorent la plupart, et dont les
philosophes se bornent' constater l'existence
;
il assiste au jeu
invisible des forces, et sympathise avec elles comme avec des mes
;
il a reu en naissant la clef des symboles et l'intelligence des
ligures : ce qui semble d'autres incohrent et contradictoire n'est
pour lui qu'un contraste harmonique, un accord distance sur la
lyre universelle. Lui-mme il entre bientt dans ce grand concert,
et, comme ces vases d'airain des thtres antiques, il marie l'cho
de sa voix la musique du monde
(1).
D'autres crivains suivirent les ides de Jouiroy
(2).
En 1865,
F. Bouillier, dans son livre Du plaisir et de la douleur
(3),
ouvrage
tendances scientifiques, reprend la thorie de Jouiroy, propos
du plaisir esthtique. Le plaisir que nous prenons aux spectacles
des manifestations diverses de l'activit hors de nous
,
provient
de la sympathie. Si nous sommes tmoins des efforts d'une activit
analogue la notre, notre sympathie s'meut, nous nous intres-
(1)
Loc. cil., Pense XX (dernire).
(2)
Dans un livre du D
r
J.-M. Amde Guillaume, intitul : Du bon et du beau
(Question extraite du second volume de la Physiologie des sensations, 1848),
nous trouvons la thorie que les caractres du beau excitent eu nous la sympa-
thie {Luc. cit., p.
18li). Nous sommes dans l'impossibilit de dire si le D
r
Guil-
laume a lu les thories de Jouffroy.
(3)
Francisque Bouillier, Du plaisir et de la douleur, 1865.
SULLY-PRUDIIOMMK 121
sons celte activit et nous prouvons du plaisir ou de la douleur
suivant quelle russit ou choue, tout comme s'il s'agissait de
nous-mmes, un degr un peu moindre toutefois. Or, notre sym-
pathie a des prfrences : Les individus qui, dans la mme
espce, sont les mieux dous et expriment au plus haut degr l'ac-
tivit et la vie, voil ceux qui excitent davantage notre sympa-
thie (1). On trouve dans ce passage la thorie de l'expression;
la force ou l'invisible de Jouffroy est remplace par la vie ou l'ac-
tivit.
Il faut citer aussi, non pour l'intrt qu'ils prsentent mais pour
leur grand volume et la peine qu'ils nous ont donne les lire, les
livres de l'abb Prosper (aborit
(2),
traitant du beau et reprodui-
sant l'ide de l'expression de l'invisible de Joulroy. L'abb (aborit
pense qu'on peut dfinir l'expression : toute rvlation de l'invi-
sible parles formes sensibles . Mais l'abb (aborit, qui apprcie
d'ailleurs Joulroy, lui reproche de mettre l'essentiel de la beaut
dans la sympathie qui n'est qu'un effet sur nous et ... non un
caractre de l'objet considr en lui mme
(3).
Cette critique,
bien mdiocre, elle seule donne la mesure de l'esprit qui informe
cet ouvrage.
Al. Dumont, au contraire, dveloppe assez intelligemment les
ides de Joulfroy, dans une brochure publie en 1876
(4).
L'origine
du plaisir que nous procure le sentiment du beau, se trouve dans
la sympathie. Le beau, d'autre part, est une force qui s'exprime
par des signes. Dumont, du reste, fait des rserves fort peu int-
ressantes.
L'expression constitue l'ide gnratrice de la Mtaphysique du
beau (1878),
de l'abb Boudron, brochure tout fait insignifiante.
i. C'est.Sully Prudhomme (o) qui est le vritable hritier
spirituel de Joulroy
;
son livre, fort important, sur l'Expression
dans les beaux arts, demande un examen srieux. Sully Prudhomme
(1)
Du plaisir et de la douleur,
p.
78.
(2)
Le- Beau dans la nature et dans les arts, 2 vol., 1871.
La Connais-
sance du beau, 1899.
(3)
Le Beau dans la nature, etc., p.
202.

^4) Al. Dumont, Elude sur l'esthtique. Paris, 1876.


(5)
Sully Prudhomme, l'Expression dans les beaux arts, application le la
psychologie l'lude de l'artiste et des beaux arts. In-8, Lemerre, dit., 1883.
122^ UN ESSAI PSYCHOLOGIQUE
y
dveloppe une thorie gnrale de l'expression et de la sympathie,
qu'il applique ensuite aux arts.
La proprit que nous possdons de reproduire dans notre int-
rieur les tats de l'intrieur d'autrui est la plus complte manifes-
tation de la sympathie
(1).
Par la sympathie, notre me reconnat
une de ses qualits dans une sensation physique venue du dehors.
Pour que cette sensation soit expressive, il faut qu'elle ait quelque
caractre commun avec un tat moral de l'tre humain qui peroit.
En d'autres termes, comme nous ne pouvons connatre l'intrieur
des autres tres ou choses

nous jugeons toujours par des res-
semblances ou dissemblances avec notre propre intrieur. Nous
prtons toujours notre me, non seulement nos semblables, mais
mme aux tres infrieurs, et jusqu'aux choses inanimes. En
gnral, une bte ne nous parat laide que par notre invincible
propension
y
chercher quelque chose de la figure humaine (2).
Ce fait engendre
l'anthropomorphisme

et Sully Prudhomme
donne une excellente analyse de ce phnomne. On peut dire
qu'en gnral les formes des minraux, des vgtaux et des ani-
maux qui peuplent la terre, au lieu de nous reprsenter les essences
latentes qui les revtent, ne font nos yeux, avant toute rflexion,
qu'imiter et symboliser l'essence humaine
;
nous la leur prtons
des degrs divers dans la mesure o ces formes le comportent,
Ainsi, la plupart des objefes tirent pour nous leur expression de
quelque rapport vague avec la physionomie de l'homme, depuis le
rocher et la plante jusqu'au singe. La posie entire en fait foi (3).
C'est l une diirence essentielle entre la thorie de Jouffroy et
celle de Sully Prudhomme. Tandis que Joufroy pense qu'on sym-
pathise avec ce qu'il appelle la force, que le symbole exprime

ainsi on peut sympathiser avec la force d'un caillou
pour la sim
pie raison que cette force est de mme essence que l'me humaine,
Sully Prudhomme trouve qu'on sympathise avec ifh objet parce
qu'on lui prte l'essence humaine. Cette diirence dans la concep-
tion de la sympathie est apprciable, voici pourquoi : chez Joufroy,
en acceptant que la force du caillou (c'est Joufroy qui donne cet
exemple) et l'me humaine sont d'essence identique, on fait des
concessions la mtaphysique. Au contraire, dans l'uvre de
(1)
Loc. cit., p.
'..">.
(2)
Loc. cit., p.
102.
(3)
Loc. cit., p.
104.
SULLY-PRUDIIOMMK
123
I
Prudhomme, l'me humaine est projete ou prte aux objets, et
cela par un acte de notre propre conscience. Ainsi, du domaine de
la mtaphysique, nous sommes transports dans la psychologie.
Sully Prudhomme distingue deux sortes d'expression. Ces dis-
tinctions, fines et ditficiles saisir du premier coup, nous feront
mieux comprendre sa faon de concevoir le fait essentiel : la sym-
pathie.
La perception expressive nous rvle ou bien uniquement notre
propre tat intrieur qui
y
correspond, comme lorsque l'azur du
ciel veille en nous un sentiment de joie sereine, ou bien l'tat
intrieur d'autrui, comme lorsque nous voyons un visage irrit.
Dans le premier cas, l'expression ne fait que nous rvler nous-
mmes, elle est subjective
;
dans le second cas, elle nous renseigne
sur autrui, elle est objective
(1).
C'est plusieurs reprises, et
dans des longues pages que Sully Prudhomme essaie de mieux
mettre en vidence cette distinction. En rsum, crit il, toutes
les formes, dans la nature, ont plus ou moins la proprit d'mou-
voir l'homme par sympathie et par consquent d'tre expressives
pour lui, mais leur expression est tantt objective et relle, tantt
subjective et, dans ce cas, imaginaire, quand on lui attribue un
objet extrieur qui n'existe pas. L'expression subjective, c'est--
dire celle laquelle ne correspond pas un intrieur dans un tre
existant hors de nous, nous rvle du moins notre propre intrieur,
et en cela elle n'est point errone, pourvu que nous rsistions aux
entranements de l'anthropomorphisme, qui la dnature et l'objec-
tive {>).
Sully Prudhomme applique cette division de l'expression aux
beaux-arts. Les arts dcoratifs, l'architecture et la musique appar-
tiennent l'expression subjective
;
en effet, l'artiste, dans ces arts,
cre sans imiter un modle extrieur ses couleurs dcoratives,
ses lignes architecturales, ses notes musicales n'expriment que son
me, ses motions, ses penses. Mais, ces uvres qui pour leur
auteur sont subjectives, deviennent objectives ds qu'elles sont
contemples par une autre personne, qui
y
dcouvre l'tat psychi-
que de celui qui les a enfantes. Dans les autres arts, l'uvre pr
.sentant une imitation de la nature, exprime forcment un sujet
rel; l'artiste est donc oblig de respecter la ralit extrieure pour
(1)
Loc. cit.,
p. 90.
(2)
Loc. cit.,
p.
119.
124 UN ESSAI PSYCHOLOGIQUE
arriver l'interprter

d'o dcoule que cette uvre d'art est
objective aussi bien pour l'artiste que pour ceux qui la contem-
plent
(1).
L'artiste doit possder, avant tout, l'aptitude tre sympathi-
quement excit, et, selon l'art auquel il s'applique, un sens parti-
culirement aiguis et dlicat. L'artiste exprime, au moyen de la
l'orme, l'essence latente (l'me) avec laquelle il sympathise. Et
nous jouissons esthtiquement, quand nous sympathisons, notre
tour, avec l'uvre qu'il a cre. Mais l'artiste ne sympathise avec
son objet qu' travers sa propre personnalit. Ainsi, son uvre
portera toujours la marque de cette personnalit. Notre analyse
de l'expression, applique l'tude de l'artiste, nous permet main-
tenant de mieux dfinir l'influence de son temprament sur ses
compositions. Par la sympathie, en elet, s'associe la perception
sensible un tat intrieur ayant quelque caractre commun avec
celle-ci
;
or, cet tat intrieur participe du temprament du sujet
dont il n'est qu'une modification
;
on peut comparer le sujet sym-
pathiquement excit un miroir mtallique qui, tout en rflchis-
sant l'objet, en altre l'image par sa propre couleur et sa cour-
bure. Cette altration de l'objet par le temprament qui le rflchit
constitue tout l'intrt de l'uvre d'art, car c'est cette interpr-
tation qui lui donne sa raison d'tre
;
sinon, il faudrait dire avec
Pascal : Quelle vanit que la peinture, qui attire l'admiration
par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les origi-
naux !
(2).
En rsum, la fonction de l'artiste, pour Sully Prudhomme, est
d'interposer entre l'essence latente du rel et nous, son propre
temprament. Le spectateur, de son ct, sympathise avec la part
de l'essence latente que l'uvre exprime, c'est--dire avec cette
part seulement qui a dj attir la sympathie de l'artiste ou, en
d'autres termes, avec son idal. Ainsi, jouir d'une uvre d'art,
c'est sympathiser, au moyen d'une forme, avec l'idal du .crateur.
Sully Prudhomme est amen

tout naturellement, par sa
thorie qui consacre dans le fait sympathique le premier rle
*
(1)
Dans le mme ordre d'ides, Sully Prudhomme crit : Nous disous qu'une
uvre d'art est objective quand elle exprime une essence latente avec laquelle
l'auteur de cette uvre a du sympathiser, mais qui n'est pas la sienne propre .
Et, d'autre part, nous disons qu'une uvre est subjective quand par elle l'ar-
tiste n'a prtendu exprimer que sa propre essence latente . Loc. cil.,
p.
2211.
(2)
Loc. cit., p.
227.
SULT.Y-PRIDIIOMMK
125 >
notre me ou notre moi

il est amen, disons nous, voir dans
la personnalit de l'artiste, une chose capitale, un lment prpon-
drant de l'uvre d'art.
Cette thorie de la personnalit tait trs en vogue l'poque o
Sully Prudhomme crivait son livre. Dans les thories artistiques
de Zola ou dos autres auteurs naturalistes, nous trouvons, comme
thse principale, que l'art est la nature vue travers un tempra-
ment. Contentons-nous, pour le moment, de signaler cette conci-
dence, car plus loin nous nous occuperons longuement de cette
question de la personnalit de l'artiste, en examinant les thories
esthtiques de la fin du xix* sicle.
Sully Prudhomme, aprs avoir montr le rle de l'artiste, se
pose la question de la nature du beau. Ici, il improvise toute une
thorie, qui joue le rle d'un deus ex machina. L'me humaine as-
pire au bonheur mais ses aspirations dpassent ses joies ralisa-
bles

l'me alors rve l'inaccessible

cette rverie est par
excellence l'extase

contempler, c'est regarder avec extase

admirer, c'est jouir de la contemplation en jugeant la chose con-


temple. Or, ce qu'on admire dans la chose contemple, c'est la
beaut, savoir, l'expression du bonheur idal par une perception
sensible minemment agrable
(1).
Le beau, donc, reste une chose impossible, par son essence mme,
dfinir d'une faon adquate, puisqu'il se confond avec l'idal,
c'est--dire l'irralisable auquel l'me ne peut que rver et aspirer.
Le beau n'est pas le mme pour tous, car exprimant l'idal que
chacun se fait du bonheur, il varie avec les tempraments et les
situations morales, sociales, etc., de chacun.
La joie que le beau fait ressentir est grave et fait couler des lar-
mes car il s'y mle une haute mlancolie cause par le sentiment
de l'inaccessible
(2).
Le sublime diffre du beau. Le beau fait natre l'extase, senti-
ment d'une distance infranchissable entre la vie terrestre et la vie
pleine et suprieure, laquelle l'me aspire. L sublime soulve
l'enthousiasme, c'est--dire la surprise admirative qu'on prouve
en voyant que cette distance, dans un cas extraordinaire, est fran-
chie contre toute attente. Tandis que la beaut n'est que l'idal
rv, le sublime est l'idal exceptionnellement ralis
(3).
(1)
Loc. cit., p.
250-251.
(2)
Loc. cit., p. 251.
(3)
Loc. cit.,
p.
252.
126
UN ESSAI PSYCHOLOGIQUE
Cette explication du beau et du sublime, par un idalisme psy-
chologique, ne peut que nous tonner, car elle ne cadre pas bien
avec les ides centrales et les thses essentielle du livre entier.
Mais ce n'est pas le seul dfaut de ce livre. Sully Prudhomme
veut faire uvre de science

l encore on trouve l'influence du


courant contemporain que nous examinerons plus loin

et il
s'imagine qu'en employant certains mots consonnance scientifi-
que, pour dcrire les faits, en employant certains tours de phrase
d'allure scientifique, il peut s'lever jusqu' la vrit objective et
atteindre la science. En ralit, il n'arrive qu' rendre obscurs

et parfois inintelligibles

des faits qu'on peut trs bien dcrire
dans la langue usuelle de la psychologie. Tout cet appareil scienti-
fique est donc inutile et encombrant dans ce livre, qui possde
cependant de rels mrites.
Tout d'abord, en examinant les diffrents arts, Sully Prudhomme
tche de mettre en relief ce que chacun d'eux possde de particu-
lier
_
ainsi il vite les divagations habituelles des littrateurs
crivant sur l'art.
Ensuite, la thorie de Jouffroy, qu'il dveloppe dans ses grandes
lignes d'une faon analogue, se trouve enrichie de constatations
nouvelles qui supposent une analyse psychologique des plus pn-
trantes.

Enfin, comme nous l'avons vu, il remplace une thorie mtaphy-
sique par une hypothse psychologique. Ce livre dont, tout en
n'ayant pas l'importance du Cours de Jouffroy, porte la marque
d'un sincre temprament d'artiste, renferme un grand nombre
d'observations et reste une tude de second ordre sans doute, mais
que l'on ne saurait ngliger.
CHAPITRE IV
Les crits secondaires.
1. Les thoriciens de second ordre aprs Cousin.

Deux esthticiens suisses : 2. R. Toppfer. 3. A. Pic-
TET.
1.

Les thories secondaires, sans importance et sans origi-
nalit, doivent tre consultes pour deux raisons : tout d'abord
elles indiquent comment L'influence des grands matres s'exera
;
de quelle manire on comprit leurs doctrines
;
sur quels points les
contemporains s'arrtrent surtout; secondement, elles nous mon-
trent les courants de l'opinion, le milieu existant ;, ainsi nous pou-
vons mieux saisir d'o sont sorties les grandes personnalits fu-
tures, quelles ides elles ont d bousculer et renverser pour arriver
leur plein panouissement.
En commenant le xix
e
sicle, nous avons vu comment, ct
de quelques rares esthticiens personnels mais peu importants,
l'opinion gnrale faisait de l'art kme branche de la morale, un
instrument du progrs politique et social. Ainsi, Cousin par exem
pie, pour ses contemporains, apparaissait, en proclamant la souve-
rainet et l'indpendance de l'art, comme un vrai rvolutionnaire,
un thoricien de l'avenir, dfendant une doctrine librale, pleine
de promesses, cheminant vers la vrit absolue.
Examinons maintenant ces thoriciens secondaires aprs Cousin,
pour voir quels courants ont obi, entre 1818 et 1882, ceux qui
n'ayant pas une personnalit assez forte pour rsister au courant,
sont emports par lui.
Le baron Massias, dans son gros livre sur le beau et le sublime
(1),
nous prsente une thorie de transition. Aprs un travail prpara-
toire de distinction entre les mots : esprit-matire, beau-sublime,
(i) Le baron Massias, Thorie du beau et du sublime, 1824.
128
LES CRITS SECONDAIRES
ordre-rapports,
Massias nous annonce d'une part que le beau est
ce qui conduit une admiration raisonne, rflchie ,
et d'autre
part que le sublime est te contact lectrique entre notre nature et
l'infini ;
nous sentons la commotion sans pouvoir l'analyser (1).
La vrit, l'utilit, la grandeur sont des lments dont se compose
le beau.
Le baron Massias, qui met en vidence l'influence morale et so-
ciale des beaux arts, ne manque pas de considrer le beau idal
comme but de l'art. Le beau idal est l'ensemble des perfections
dissmines sur les individus, et runies dans le type de l'espce,
type conu par l'intelligence, et, divers degrs, ralisable dans
les uvres du gnie
(.2).
Il existe, d'autre part, dans son livre, une vague thorie de l'ex-
pression de la parole et du langage, analogue celle de Condillac,
mais rduite un tat nbuleux.
C'est partir de 1830 ou 1835 que nous rencontrons dans pres-
que tous les crits secondaires sur l'esthtique, l'influence de
V. Cousin.
Paralllement toutes ces thories idalistes et platoni-
ciennes, nous trouvons, en grand nombre aussi, les thories esth-
tiques qui s'inspirent de l'ide religieuse et surtout du catholi-
cisme. Comme les tendances de ces deux courants ne sont pas
contraires, plus d'une l'ois nous les voyons runies dans le mme
ouvrage. A l'origine mme, nous avons constat qu' ct de Cou-
sin, Lamennais soutenait peu prs les mmes doctrines, avec, en
plus, le point de vue religieux.
La liste de ces travaux, qui n'apportent rien de nouveau, est
ennuyeuse ;
nous les passerons rapidement en revue, en commen-
ant par ceux qui se rattachent Victor Cousin.
Mazure
(3)
distingue ct du beau idal, essentiellement un,
ncessaire, absolu, le beau phnomnal qui se manifeste par l'in-
termdiaire de nos sens dans- les ouvrages de la nature. Mazure
critique les thories de Kratry qui tendent confondre le beau et
l'utile. Entre autres raisons, Mazure expose celle-ci : le beau est
absolu, tandis que l'utile ne l'est pas. Ne voil-t-il pas une raison
dcisive ?
(1)
Loc. cit., p. 16.
(2)
Loc. cit., p. 256.
(3)
M. -P. -A. Mazure, Cours de philosophie, 1835 (Un chapitre consacr
l'esthtique, p. 173) ;
Philosophie des arts du dessin, 1838 (478
pages).
LES THORICIENS DE SECOND ORDRE APRS COUSIN 129
L'unit et la varit sont les deux principes du beau.
Dans son second livre, Mazure intitule sa thorie symbolisme. Ce
qui est beau, dit il en substance, c'est l'ide. Le symbole esLle
contluent de la forme et de l'ide ; la beaut ne saurait exister sans
leur runion. Donc le symbole doit tre le mot fondamental de
toute thorie.
Descuret reprend avec certaines variantes, quelques annes plus
tard, la mme thse
(1).
Le beau est ce qui plat toujours et par-
tout, ce qui est beau universellement
(2).
La varit et l'unit sont
les conditions du beau et Descuret cite le Pre Andr. Enfin le
beau est l'clat du vrai et du bien
;
ainsi la trilogie de Cousin re-
prend ses droits.
Mme thorie dans la Mtaphysique de l'art de Mollirc
(3) ;
mais comme l'auteur est croyant, sa mtaphysique est toute em-
preinte d'esprit religieux.
L'art est la recherche du beau, splendeur du vrai, pour conduire
l'homme au bien
(4).
A propos de la question de l'imitation de la
nature, l'auteur utilise le dogme... du pch originel. En eiet, le
beau absolu est Dieu et l'origine ce beau tait rpandu dans
le monde
;
par suite du bouleversement qui a suivi la faute de
l'homme, le beau est demeur dans la nature, mais il
y
est le plus
souvent voil et mlang avec le laid. C'est l'artiste de chercher,
de crer, en choisissant dans la nature, le beau secondaire, reflet
du beau absolu.
Nous donnons ce spcimen des thories de Mollire, pour qu'on
puisse apprcier le charme ingnu de ses thses bibliques. Elles
sont dveloppes tout au Long, dans un fort volume de 488 pages.
Tissandier (o), qui un an aprs Mollire, soutient les mmes
ides, commence son livre par une critique acharne del mthode
de Jouiroy. L'analyse psychologique ne plait pas Tissandier, car
avant d'analyser le sentiment prouv devant une oeuvre belle, il
faut savoir si l'objet beau l'est vraiment. Comment reconnatre la
beaut, si l'on ne connat d'abord les caractres du beau? Donc,
avant tout, la raison doit construire le beau absolu !
(1)
F. Descuret, Thorie morale du got, etc., 1847 (430
pages).
(2)
Loc. cit., p. 183. .
(3)
Antoine Mollire,
Mtaphysique du beau, 1849 (488 pages).
(4)
Loc. cit., p. 180.
(5)
J.-B. Tissandier, l'Esprit de la posie et des beaux arts, ou thorie du
beau, 1850 (382 pages).
9
130
LES CRITS SECONDAIRES
Tjssandier pense que l'art est du langage et que les beaux arts
se fondent sur l'association des ides. L'ide religieuse est leur
point de dpart, leur matrice commune
(1).
Dans le t'ait esthtique,
il
y
a un jugement absolu et un sentiment variable, etc.
Paillot de Montabert
(2),
dans son Trait de la peinture, se rap-
proche des principes de Balteux, qui, tant dj ancien, lui appa-
rat comme une autorit indiscutable. Mais dans son Artistaire, il
se rattache aux ides de tout le monde. Les beaux arts sont d'es-
sence suprieure, car ils sont rvlateurs du beau qui est Dieu et
du principe divin qui est l'unit
(3).
L'ide du beau est une sur
toute la terre ;
l'art est un et incorruptible.
Les thories de Cousin subissent le sort de tous les tres. La dis-
solution

cette loi de la mort

les poursuit. Ainsi, peu peu,
elles apparaissent ples, sans formes prcises, mconnaissables,
sans couleur, sous l'aspect d'un vague idalisme acadmique, dans
les crits de ses successeurs.
Charles Blanc
(4),
dans ses diffrents livres, soutient cet ida-
lisme vague, dernire incarnation de la thorie de Cousin

et qui
est qualifi par les critiques, tantt de thorie acadmique, tantt
de spiritualisme classique. Peu importe le nom
;
l'essentiel noter
c'est qu'elle n'a plus de corps; cette pauvre thorie est constitue
par quelques mots vagues, vaguement assembls, pour un but en-
core plus vague.
C'est ce spiritualisme que Chassang va chercher jusque chez
les Grecs, la mme poque

et il le trouve partout
(5).
Beul, en 18G7, expose aussi ces mmes ides dans ses Causeries
sur l'art
(6)
;
et David Sutter essaie de les expliquer ses lves-

l'Ecole des Beaux-Arts, un an aprs


(7).
Nous avons dj cit une critique que Baudelaire adresse
(1)
Loc. cit., p. 45.
(2)
Paillot de Montabert, l' Artistaire, 1855 (354
pages)
;
Trait complet de la
peinture, 1828, 2 vol. (1798 pages).
(3)
L'Artistaire, p. 7 12.
(4)
Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin, 1867;
Grammaire des
arts dcoratifs, 1882; la Sculpture, 1888. Tous ces livres de Ch. Blanc prsen-
tent, au point de vue technique et artistique, de grands mrites, justifiant la
renomme de l'auteur.
(5)
A. Chassang, le Spiritualisme dans l'art et la posie des Grecs, 1867.
(6)
E. Beul, Causeries sur l'art, 1867.
(7)
D. Sutter, Cours d'esthtique gnrale et applique (Discours d'ouver-
ture), 1868.
LES THORICIENS 1E SECOND ORDRE APRS COUSIN 131
Stendhal
(1),
et dans laquelle on voit que mme le pote des Fleurs
du mal avait subi l'influence des thories acadmiques. En gnral,
les
ides de Baudelaire qu'on rencontre dans l'Art romantique
(1868) el les Curiosits esthtiques, ne smii pas du domaine de I es-
thtique, mais de celui de la critique d'art et de la doctrine artisti-
que. Notons, en passant, pourtant quelques-unes de ses ides. Le
beau, selon Baudelaire, est constitu d'un lment invariable et
ternel et d'un lment relatif et circonstanciel. Sans ce second
lment, qui est comme l'enveloppe amusante, titillante, apritive
du divin gteau, le premier lment serait indigestible, inappr-
ciable, non adapt et non appropri la nature humaine .
Baudelaire pense que l'art en gnral, et la posie en particu-
lier, ne doivent jamais avoir un autre but que la ralisation de la
beaut. Je dis, crit-il, que si le pote a poursuivi un but moral,
il a diminu sa force potique
; et il n'est pas imprudent de parier
que son uvre sera mauvaise .
La beaut doit nous faire prouver un enthousiasme, un enlve-
ment de l'me, tout fait trangers et la passion, qui est
l'ivresse du cur , et la vrit, qui est la pture de la raison .
Telles sont les ides esthtiques qu'on peut glaner dans l'uvre
artistique de Baudelaire.
Nous avons dit qu' ct du mouvement qu'on peut rattacher
Cousin, il en existe un autre, trs important, qui tout en n'tant
pas en opposition avec l'idalisme de Cousin, se rapproche surtout
des thories de Lamennais. Il est trs curieux ce courant qui a
pour but l'annexion du domaine de l'art celui de la religion.
Dj avant la thorie de Lamennais, nous trouvons une apologie
du christianisme dans la Philosophie de l'art de Robert
(2) ;
et une
liaison troite entre l'art, la morale et la religion, dans une tude
de Bignan (3).
D'autre part, Boulland
(4)
pense que l'art a sa source
dans le sentiment religieux ;
il dmontre aussi que la religion ca-
tholique est la meilleure source d'art.
Couder
(5)
dveloppe des ides analogues avec moins d'adresse
que Victor de Laprade
(6).
L'art, crit ce dernier, est une de
(1)
Passage cit la page 88, note 4 du prsent ouvrage.
(2)
Cyprien Robert, Essai d'une philosophie de l'art, 1836.
(3)
A. Bignan, Essai sur l'influence morale de la posie, 1838.
(4)
Aug. Boulland, Mission morale de l'art, 1852.
(o) Aug. Couder, Considrations sur le but moral des beaux-arts, 18G6.
(6)
V. de Laprade, Questions d'art et de morale, 1861
;
le Sentiment de la
nature avant le christianisme, 1866.
132
LES CRITS SECONDAIRES
ces richesses qui germent de l'ide religieuse; c'est la fleur d'une
religion comme l'hrosme et la saintet sont les fruits . Dieu,
crit il ailleurs, au sein de qui, suivant la parole de l'aptre, vivi-
mus, movemur et sumus, est le principal, l'ternel, osons-le dire,
le seul objet de la science, de la posie et des arts .
Henri Houssaye
(1),
comme Lamennais, fait driver l'art des
croyances
religieuses et carte du problme la question de l'in-
fluence du climat ou de la race.
Le R. P. Flix
(2)
fait son saint devoir en offrant
l'art l'idal
divin, de la mme faon que l'abb Gaborit que nous avons cit
dans le chapitre sur Jouffroy. L'abb Guthlin
(3),
dans son tude
sur le positivisme, o il dveloppe une esthtique, F. Clment
(4)
et le P. Charles Clair
(5)
soutiennent des ides analogues. Ce der-
nier pense que le beau est la splendeur du vrai et du bien
;
que la
beaut, la bont et la vrit sont des attributs de Dieu, et que Dieu
est la source du beau absolu. Ces doctrines, on le reconnatra faci-
lement,
n'taient point faites pour alarmer le public bien pensant.
2.

Rod. Toppfer et Ad. Piolet qui ont trait, celui ci d'une
faon beaucoup plus approfondie que celui-l, le problme du beau,
sont tous deux de Genve. Mais comme leurs ouvrages sont crits
en
franais, et comme les auteurs franais ne manquent pas de les
citer trs souvent, nous croyons que leurs thories peuvent trouver
une place
hospitalire dans une histoire des systmes esthtiques
franais.
Le livre de Toppfer, intitul : Rflexions et menus propos d'un
peintre
genevois (G), n'est pas un systme, dans le sens rigoureux
du mot, et il n'a pas non plus la prtention de l'tre. L'art, selon
le peintre
genevois, imite la nature; mais de quel genre est cette
imitation
? Par quoi cette imitation qui est, tant d'gards,
infrieure au beau modle de la nature, lui est-elle cependant,
(1)
Henri Houssaye, Eludes sur l'art grec, Histoire d'Apelle, 1867.
(2)
R. P. Flix, l'Art devant le christianisme, 1807.
(3)
L'abb Gntblin, Les doctrines positivistes, 1865 et 1871.
(4)
Flix Clment,
Quelques mots sur la mission des beaux-arts, 1878.
(!i) Le P. Cb. Clair, Le beau et les beaux-arts : notions d'esthtique, 1882.
(G)
Rod. Toppfer, Rflexions et menus propos d'un peintre genevois ou
Essai sur le beau dans les arts. Paris, 2 vol. in-12, 1847. A consulter :
T. Gautier, le Beau dans l'art d'aprs M. Toppfer {Revue des Deux-Mondes,
1 sept. 1847).
R. TOPPFER
13:-!
d'autres gards, suprieure? (I). L'imitation exacte, la copie
de la nature, est sans valeur
;
autrement, la plus belle uvre
d'art serait une photographie. L'imitation n'est pas le but de l'art,
mais une simple condition, -un moyen. L'artiste en imitant trans-
forme la nature, car il essaie de trouver l'expression du sentiment
qu'il prouve. D'ailleurs, les vrais artistes ne peuvent pas imiter
la nature sans la transformer. Si vingt -quatre peintres copient
un mme ne, aucun des vingt- quatre tableaux ne se ressem-
blera

le calque n'a rien de commun avec l'art. L'artiste, nous
dit Toppfer, voit, il sent, il veut exprimer ce qu'il sent, l'imitation
se prsente, il en use : c'est tout l'art... partout j'ai fait voir la
copie matrielle altre la fois et vivifie par un lment entire-
ment tranger au modle, et provenant directement de la pense
du peintre
(2).
Ailleurs, Toppfer crit : Le beau de l'art pro
cde absolument et uniquement de la pense humaine altranchie
de toute autre servitude qile de celle de se manifester au moyen
de la reprsentation des objets naturels
(3).
Ainsi les objets imits
ne sont que des signes, des symboles de la pense de l'artiste, de
la personnalit du crateur. Dans l'art, les objets figurent non
pas comme signes d'eux-mmes envisags comme beaux, mais
essentiellement comme signes d'un beau dont la pense humaine
est absolument et exclusivement cratrice . A plusieurs reprises
et trs longuement, Toppfer revient cette conception symboliste :
Ainsi donc, il est si vrai que dans l'art lev son plus haut
terme, c'est--dire l justement o la somme du beau est la plus
grande, les objets naturels ne figurent que comme signes en grande
partie conventionnels d'une conception de beaut et point essen-
tiellement comme signes d'eux-mmes, que si toute tradition, toute
trace du rapport conventionnel qui lie entre eux le signe et la con-
ception de beaut vient se perdre, le signe demeure incompris et
le sens esthtique obscur
(\).
C'est pour cette raison exactement
que le beau d'une poque n'est qu'imparfaitement ou pas du tout
le beau d'une autre poque. Pour la mme raison parfois, ces si-
gnes exprimant le beau, devenant de plus en plus obscurs, il en
rsulte que cette partie esthtique, de moins en moins comprise,
finit par chapper l'apprciation de la foule pour n'tre plus que
(1)
Loc. cit., vol. I, p. 202.
(2)
Loc. cit., vol. I, p. 231.
(3)
Loc. cit., vol. II, p. 33.
(4)
Loc. cit., vol. II, p. 138.
134 LES CRITS SECONDAIHES
du ressort de quelques experts
(1).
L'art, selon Toppfer, est la
langue du beau. Or, ainsi que toute langue, prcisment parce
qu'elle est fonde aussi sur des bases conventionnelles, ne se com-
prend pas par le fait seul qu'on l'entend parler, de mme, tout ou-
vrage d'art ne se comprend pas non plus, par le seul fait qu'on le
regarde
(2).
Dans l'uvre d'art on doit chercher, avant tout, la conception
personnelle de l'auteur, sa personnalit, un reflet de sa pense et
de sa vie. C'est ce que l'artiste ajoute la beaut de la nature qui
produit le beau de l'art car ces deux beauts diffrent, selon
Toppfer. Voici deux chnes, dont l'un est beau et l'autre ragot
;
en
les copiant, l'art les rend tous les deux beaux. Il est clair dj
que ce chne, issu de Ruysdael, dit des choses que notre chne, issu
de gland, ne disait pas du tout, et que si de la terre il sort des
chnes beaux la vrit, ce n'est pas nanmoins ce beau issu de la
terre au moyen du chne, mais ce beau issu de Ruysdael au moyen
de l'art, qui ravit, qui transporte l'amateur
(3).
Seule la pense
humaine cre le beau de l'art.
Le beau, tant pour sa conception que pour sa cration, ne dpend
point des facults ordinaires, mais d'une facult spciale : la
fa-
cult esthtique. Ni le raisonnement, ni le jugement ne peuvent
produire le beau, et c'est une erreur de la critique d'art de juger
les produits de la facult esthtique avec des facults toutes diff-
rentes. Cette facult esthtique ne peut tre duque, ni par la
culture intellectuelle, ni par l'exercice, mais seulement par le con-
tact avec le beau.
11
y
a trois attributs primordiaux propres au beau : la simulta-
nit, l'unit, la libert. La simultanit prsente l'esprit l'en-,
semble de l'uvre; elle peut, pour des uvres de grande enver-
gure, n'tre d'abord que partielle, mais elle est indispensable.
L'unit esthtique ne doit pas tre confondue avec l'unit ration-
nelle
;
elle vise faire de l'uvre non pas seulement un tout, mais
une cration vivante
;
l'unit esthtique donne l'uvre son indi-
vidualit. La libert consiste en ce que la facult esthtique doit
poursuivre le beau seul. En consquence, Toppfer condamne l'in-
tention philosophique ou morale dans l'art. Les rgles sont les bar-
(1)
Loc. cit., vol. II, p. 141.
(2)
Loc. cit., vol. II, p. 147-148.
(3)
Loc. cit., vol. II, p. 27.
A. PICTET
135
pires du beau ;
comme telles elles sont utiles, mais il ne faut pas
qu'elles s'tendent trop et qu'elles
introduisent le rationnel dans
l'esthtique.
Toppfer,
examinant les diffrentes dfinitions du beau, les trouve
toutes insuffisantes ; la
nature du beau chappe
l'analyse. Pour-
tant, presque tous les auteurs sont d'accord sur cette
proposition :
la beaut
suprme rside en Dieu ;
c'est devant celte formule que
Toppfer s'incline. C'est parce que le beau dans son essence est Dieu
qu'il chappe l'analyse.
Si nous n'avons su et si nous ne sau-
tions trouver jamais ni par nous-mmes,
ni par d'autres une dfi-
nition du beau, cela vient prcisment de ce que le beau, hors de sa
sphre divine, n'tant jamais que relatif, d'une part aucune
dfini-
tion ne saurait en saisir les lments essentiels
dans le relatif, tan-
dis que d'autre part aucune
dfinition ne saurait les embrasser-
dans l'absolu (1).
Pour la question du vrai et du beau, l'auteur accepte
simplement
le mot qu'il attribue Platon : le beau est la splendeur du vrai

et que le philosophe grec n'aurait jamais pu prononcer sans con-
tredire sa propre doctrine.
3.
_
si la thorie de Toppfer, qui voit dans l'art
l'expression de
la pense humaine, est peu
philosophique,
celle d'Adolphe Pic-
Het
(2),
fort importante, est beaucoup plus profonde.
Le jugement du beau prsente, selon Pictet, qui suit ici les con-
clusions de l'esthtique
allemande, trois caractres : Yindpendance,
la ncessit et l'universalit.
Le beau est indpendant ;
il se distingue.de
l'agrable.
Ce der-
nier terme ne s'applique
proprement qu'aux impressions qui flat-
tent les sens ;
il exprime une jouissance moins intime, moins pro-
fonde que celle du beau (3).
Le beau se distingue du bien. Pour
deux raisons :
1
l'lment
phnomnal de la forme, ncessaire
la beaut, est tranger la bont, et
2 le plaisir du bien implique
un "but ;
le beau ne se rapporte qu' lui-mme. Le beau se distingue
de l'utile.
Ce qui caractrise partout et toujours le sentiment
esthtique,
c'est qu'il reste libre de tout intrt, de tout but, de
(1)
Loc. cit., vol. II, p. t90.
(2)
A. Pictet. Du beau dans la nature, l'art et la posie. FAudes esthti-
ques. Paris et Genve, 1856.
13) Loc. cit., p.
88.
136
LES CRITS
SECONDAIRES
tout rsultat. Le beau plat en soi, non point parce qu'il flatte notre
sensualit,
non point parce qu'il est utile ou moral, non point parce
qu'il est vrai, mais tout simplement
parce qu'il est beau, et l'im-
pression qu'il fait natre participe de cette indpendance absolue
de tout rapport accessoire
(1).
Ainsi le beau est tout t'ait ind-
pendant et le jugement qui l'accompagne possde ce premier carac-
tre
d'indpendance.
Ce jugement est en plus ncessaire et universel. Quand nous
avons ressenti
l'impression du beau, nous ne nous arrtons pas
cette jouissance ;
nous formulons le jugement : cela est beau, au-
quel nous attribuons une valeur
universelle et ncessaire. Cette
prtention l'universalit et la ncessit ne sait pas se justifier
par des arguments logiques, mais en appelant immdiatement
elle-mme (2).
L'impossibilit o se trouve le jugement de se jus-
tifier par la logique, trouve son
explication dans le fait qu'il vient
de l'intuition, et il faut entendre par l une vue immdiate im-
pliquant la ralit
(3).
Dans l'objet beau, il
y
a un quilibre entre l'ide et la forme

et c'est cet quilibre qui constitue la beaut. Dans l'objet beau,
ainsi que nous l'avons vu, il doit
y
avoir fusion,
identification com-
plte de l'intrieur et de l'extrieur, de l'ide et de la forme; car
ces deux principes, dont l'un est le sens et l'autre le signe-, ne se
rvlent et ne se manifestent que l'un par l'autre, l'ide par la
forme, la forme par l'ide. Il faut donc, en un mot, que dans le
phnomne du beau, l'ide devienne forme, et la forme toute
ide
(4).
Cette conception, toute mtaphysique, tient une trs petite place
dans l'uvre de Pictet. Au contraire, cet auteur consacre une belle
partie de son tude la description des effets
du beau, chez celui
qui le contemple. Les effets du beau sont ou physiologiques ou
moraux. Voici le rsum des effets
physiologiques :
I" Envahissement
irrsistible de tout notre tre
;
toute notre
attention est absorbe par le beau.
a) Immobilit du corps et de la physionomie.
b) il fixe et pntrant, anim d'un clair.
(1)
Loc. cit., p.
91.
(2)
Loc. cit., p.
105.
(3)
Loc. cil., p.
107.
(4)
Loc. cit., p.
110.
A. PICTET
137
c) Le reste de la physionomie se modle sur l'impression reue.
2"
a) Dilatation de la poitrine.
b) Bien-tre qui circule dans les membres. On prouve comme
un sentiment de lgret, comme une tendance s'lever et
quitter la terre
(1).
c) Chez quelques personnes l'motion va jusqu'aux larmes.
Voici le rsum des elets moraux :
1
Attraction vers le beau

amour dsintress du beau.
2
Admiration du beau, dont le degr plus lev est le ravisse-
ment et le degr suprme l'extase.
3
Influence morale exerce sur nous par le beau. Tels sont les
elets du beau. Ainsi, crit Pictet, pour nous rsumer, le senti-
ment du beau se distingue en ceci de tout autre, qu'il nous pntre
d'une manire complte, et qu'il touche, pour ainsi dire, tous les
principes de notre nature sans s'assimiler aucun en particulier. Il
flatte nos sens, mais il n'veille point notre sensibilit
;
il se fait
aimer, mais d'un amour dsintress ;
et, sans faire appel
aucune
notion morale, il nous porte vers le bien par cela seul qu'il lve
l'me en la purifiant
(2).
v
Cette nutnration des effets du beau, tout en tant incomplte,
est rellement d'un grand intrt, et nous pensons qu'elle constitue
la partie la plus importante du livre de l'esthticien
genevois.
Pictet examine le sublime, le ridicule et le laid. Voici l'analyse
du sentiment du sublime : en premier lieu, le sublime est un fait
purement esthtique, c'est--dire il possde, tout comme le beau,
tes trois caractres : indpendance, ncessit et universalit. Les
caractres du sublime sont :
1
la grandeur. Il faut que l'objet
soit grand par comparaison au type, l'ide, la classe
laquelle
il appartient. Cette grandeur nous la saisissons, non par raisonne-
ment, mais par intuition. L'impression que nous recevons est
subite, irrflchie, absolue en elle-mme
(3) ;
2 dans le "beau, la
forme est l'enveloppe transparente de l'ide qu'elle exprime
;
dans
le sublime, l'ide dborde la forme. Pour que le beau se produise,
il faut que l'ide se rende visible en descendant tout entire dans
la forme
;
pour que le sublime paraisse, il faut que la forme gran-
(1)
Loc. cit., p. 93.
(2)
Loc. cit.,
p. 97. Ailleurs, Pictet dfinit le phnomne artistique : un
plaisir galement indpendant des sens, de l'intelligence et de la morale
;
un
plaisir qui ne relve que de lui-mme . Loc. cit., p.
163.
(3)
Loc. cit.,
p.
166.
138
LES CRITS SECONDAIRES
disse et s'lve pour atteindre, non pas la ralisation sensible de
l'ide qui reste insaisissable, mais son expression partielle, indi-
recte et symbolique
(1).
Voici comment se prsente le sublime : .Il
y
a d'abord, comme
pour le beau, sensation, puis effort de l'imagination pour saisir
l'ensemble de la forme par un seul acte d'intuition. Mais cet effort
est vain, puisque la forme, mme dans sa grandeur, ne renferme
point compltement l'ide qui seule lui donnerait l'unit. Alors,
tourmente de cette contradiction, l'imagination s'efforce de d-
passer la forme pour la complter ;
mais ses ailes ne pouvant la
soutenir au dessus du monde sensible dans la rgion de l'infini,
elle retombe accable sur elle-mme dans le sentiment de son im-
puissance et de son nant. C'est l l'lment de douleur que ren-
ferme l'impression du sublime
(2).
Et voici les effets du sublime :
1
Le sublime lve l'me ;
2
on prouve une sensation de fris-
son, dcoulant de ce phnomne de crainte en prsence de notre
nant. En mme temps il
y
a tonnement. L'me, ragissante cette
impression pnible, dgage de la forme l'ide qu'elle saisit : de l
le sentiment d'lvation.
Pictet voit dans le laid la disconvenance ou disharmonie de la
forme et de l'ide ;
et, dans le comique un contraste entre l'ide et
la forme. Son analyse de ces deux phnomnes est peu intres-
sante. Enfin, notre auteur pense, comme Cousin, que le beau, avec
le vrai et le bien se confondent dans l'unit divine, d'o ils dcou-
lent.
Le systme de Pictet, qui porte trs distinctement l'influence de
l'esthtique germanique
(3),
est intressant cause du grand nom-
bre d'observations qu'il contient et surtout cause de l'numra-
tion des effets du beau, numration qu'on oublie trop dans les
autres tudes. Mais comme on peut le voir ds le premier coup
d'il, ce n'est pas une thorie d'une grande originalit, puisque
presque toutes les ides directrices qu'elle contient se trouvent
dj dans les esthtiques mtaphysiques franaises ou allemandes
de l'poque.
(1)
LOC, Bit., p.
174-17:;.
(2)
Loc. cit.,
p.
17(1.
(3)
Et surtout de l'esthtique de Kant.
A. PICTET
139
Notons que c'est le dernier grand systme esthtique, ten-
dances mtaphysiques, qu'on rencontre dans le xix" sicle, crit en
franais, et il faut avouer que non seulement il n'est pas le pire,
mais qu'il rsume bien toutes les tendances des systmes prc-
dents, tout en renfermant des observations fort originales et int-
ressantes.
CHAPITRE V
Les laurats de l'Acadmie.
1. A. Ed. Chaignet.

2. Ch. Lvque.

3. P.Voituron.
L'Acadmie
des Sciences morales et politiques, en 1858, un
de ses concours, proposa comme sujet : la Science du beau.
Charles Lvque fut couronn, A. Ed. Chaignet et Paul Voituron
obtinrent des mentions. Le livre de Lvque devait avoir un avenir
acadmique illustre. Coup sur coup, l'Acadmie franaise et l'Aca-
dmie des Beaux-Arts le couvrirent de lauriers.
f .

L'ouvrage de Chaignet
(1)
prsente quelque intrt et
contient quelques ides originales.
Chaignet tudie le beau, comme presque tous les autres esthti-
ciens, dans le sujet et dans l'objet, ou suivant son expression :
comme tat d'me et en lui-mme. Les caractres de l'tat psychi-
que, en prsence du beau, sont :
1
le dsintressement de toute fin
pratique. Si un paysan, un prtre et un artiste admirent, tous trois,
un beau chne, les deux premiers n'admirent pas l'objet en lui-
mme, mais seulement pour les services qu'il rend ou la grandeur
de Dieu qu'il montre. Leur plaisir n'est pas esthtique. Ce qui
couronne, ce qui constitue mme l'tat esthtique, c'est l'indpen-
dance du plaisir prouv, dont il ne faut pas chercher la cause
hors de l'objet contempl. Malgr le nom de beau dont ils dsignent
leur impression, le plaisir que ressentent le prtre et l'artisan devant
le chne, n'est pas le plaisir de la beaut
(2) ;
2 le beau donne
une impression d'affranchissement de la ralit
;
3 l'tat esthti-
que est accompagn d'un besoin d'activit
;
c'est le dsir de re-
produire la vivante image de l'objet, ou la profonde motion qu'il
(1)
A. Ed Chaignet, les Principes de la science du beau. Paris, 1859-18C0
(684 pages).
(2)
Loc. cit.,
p. 31.
142

LES LAURATS DE L'ACADMIE
a cause ;
c'est le dsir d'en perptuer, ou du moins d'en prolonger
le souvenir et d'en augmenter l'intensit
(1).
Ce besoin de crer, d'exprimer une motion ou un sentiment, est
la caractristique par excellence de l'tat esthtique. Il est la source
mme des arts : ... l'tat esthtique qui a pour origine une im-
pression, une modification de la sensibilit, contient en soi un acte
de l'intelligence qui s'efforce de fixer et de communiquer ou l'im-
pression ressentie, ou la beaut qui l'a produite
;
passif sa source,
il a abouti une action tellement active qu'elle est cratrice
(2).
Pour cette raison, Ghaignet appelle parfois l'tat esthtique un
acte, alors qu'ailleurs, il le nomme un sentiment

pour lui, il est
les deux.
Cet acte esthtique, il le compare, comme Platon, un acte
d'amour, en
y
retrouvant les mmes caractres : dsir de posses-
sion et gnration pour perptuer cette possession. Voici la con-
clusion de Chaignet : Considr dans l'homme qui gote, le beau
est une inclination naturelle et agrable de la volont, un acte
d'amour intelligent et volontaire, par consquent personnel, accom-
pagn d'une conception intrieure et idale et d'un dsir plus ou
moins nergique d'expression d'un acte crateur plus ou moins
complet
(3).
Cette puissance d'expression n'existe videmment pas au mme
degr chez les diffrents individus ; chez beaucoup elle ne se tra-
duit que par des paroles, des exclamations ou seulement par des
penses
;
chez l'homme de gnie elle cre le chef d'uvre.
Examinons maintenant le beau dans l'objet. Ce que l'on trouve
dans l'objet beau, c'est l'idal; mais, pour que l'idal se mani-
feste, il a besoin de s'individualiser. On voit comment la thorie
de Chaignet est l'inverse de celles de Quatremre de Quincy et
de Cousin, pour qui l'idal se manifeste par le gnral. ... donner
par la magie du style, nous dit Chaignet, des ides gnrales et
abstraites, la forme de l'individualit, qui seule leur permet de
vivre et d'agiter les curs, voil le grand principe
(4).
Ainsi,
c'est l'individuel qui doit caractriser l'objet beau.
Mais alors, on peut se demander quel est le but de l'art, quelle
fin poursuit il? Pourquoi l'homme exprime t il son idal dans la
(1)
Loc. cil., p. 57.
(2)
Loc. cit.,
p. 68.
(3)
Loc. cit.,
p. 157-158.
(4)
Loc. cit., p. 103.
A. ED. CIIAir.NET 143
forme individuelle? Chaignet rpond cette question d'une ma-
nire tirs intressante. L'art est une fiction o l'homme, ralisant
son idal, peu! s'carter pour un instant de la vie relle qui l'op-
prime. L'homme qui n'est pas compltement libre se cre par
l'imagination un inonde o il vite toute contrainte; il retailla
cration et ce simulacre, dont il sait la vanit, plat son orgueil.
Cette conception d'une force compltement libre, chappant aux
freins qui entravent sa course et rabaissant son vol ambitieux;
cette cration d'une individualit sinon toute puissante, du moins
indpendante, d'un absolu se refltant et se dveloppant dans une
forme sensible et dans des actes visibles, c'est l'idal, c'est le
beau
(1).
La beaut se distingue radicalement de la vrit
;
c'est une vaine
fiction. L'art est donc la prodjuclion d'une apparence qui repr-
sente un idal, c'est--dire une fiction (2).
L'imagination de celui
qui contemple, retrouve dans cette fiction son idal propre. Mais,
comme par un effet d'optique, la vision cleste dont le type accom-
pli est en moi, descend dans l'objet et se confond tellement avec
lui que je les identifie
;
la forme est alors transforme, l'objet est
idalis, spiritualis, tel point que je ne le distingue plus de
l'idal : je dis alors qu'il l'exprime
(3).
Le but de l'art est d'exciter l'esprit produire en soi l'idal le
plus conforme celui qu'a conu l'artiste et plus parfait si possi-
ble
(4).
La beaut, cette conception idale, avons-nous dit, est une fic-
tion, mais une fiction qui contribue au bonheur' de l'homme.
C'est le rve veill de la vie. Sans elle, l'homme pourrait-il
vivre ? Entre la matire qu'il mprise et Dieu qui l'accable, sa
pense partage pourrait-elle ne pas succomber ?
(5).
Il n'existe ni de beau moral, ni de beau matriel, ni de beau reli-
gieux, ni de beau naturel

le seul beau qui existe, c'est le beau
esthtique qui reflte l'idal.
Telles sont les ides directrices de cet ouvrage, et on doit avouer
qu'elles sont fort intressantes. Malheureusement, la lecture du
livre est trs difficile cause du manque de composition et de
(1)
Loc.
144 LES LAURATS DE L'ACADMIE
l'abus de l'abstraction
;
son ensemble se prsente sous un aspect
nuageux.
2.

L'homme de science doit se soumettre aux faits


;
or nous
nous trouvons en prsence d'un fait indniable, c'est que le livre
de Charles Lvque, sur le beau
(1),
a t couronn par trois Aca-
dmies ;
ce livre donc doit possder toutes les qualits indispensa-
bles un pareil succs. Effectivement il les a toutes. Les divisions
des chapitres sont trs nettes
;
la langue est potique
;
les ides
leves, idalistes ;
le point de vue moral est respect
;
il renferme
une tude historique, ce qui ajoute l'rudition l'imagination et
la posie.
Dans cette partie historique, d'o Lvque bannit le plus grand
esthticien franais, l'abb Dubos, et o l'on trouve des erreurs de
date regrettables
(2),
Lvque, critiquant la thorie de Crousaz,
crit : C'est une fatigante accumulation d'exemples qui n'expli-
quent rien... On n'est ni plus verbeux, ni moins concluant
(3).
On peut appliquer une partie de cette critique Lvque lui-
mme : son livre ne renferme que trop de mots
;
ses exemples ont
t ridiculiss par plus d'un critique
;
mais il faut avouer que ses
conclusions sont bien tranches, bien nettes, bien solides : indice
d'un esprit qui ne souponne gure la complexit des phnomnes
dont il s'occupe, et qui croit trop son propre systme.
Les quelques ides personnelles et intressantes qu'on trouvait
encore dans le livre de Chaignet, font place ici cet idalisme,
issu de Cousin et del philosophie allemande, que nous avons ren-
(1)
Charles Lvque, la Science du beau, tudie dans ses principes, dans
ses applications et dans son histoire, 2 vol., 1861.

Platon considr comme fondateur de l'esthtique, 1857.

Le Spiritualisme dans l'art, 1864.

Articles dans les revues suivantes : Reue des Deux-Mondes, 1"


sept. 1863,
1"
oct. 1866, 1
er
sept. 1873. Revue philosophique, 1882, t. I, p. 1
;
t.
1, p. 256
;
1883, t. I, p. 1 ;
t. IF, p. 1
;
1884, t. I, p. 36
;
1889, t. I, p. 113. (Ces articles trai-
tent des questions musicales). Journal des savants, fv. 1893; fv. 1896
;
1897.
Nous ne donnons pas cette bibliographie comme absolument complte.
(2)
Lvque soutient que Baumgarten a publi ses thories esthtiques neuf ans
aprs YEssai du P. Andr. La vrit historique, qu'il faut connatre, est que
Baumgarten exposa ses thses dans une dissertation ayant pour titre : De non-
nullis ad poema pertinentibus, et publie en 1735, c'est--dire cinq ans avant
le livre du P. Andr. Lvque crit, propos de YEssai du P. Andr, qu'il est
le premier ouvrage franais digne d'une srieuse attention (Loc. cit., t. Il,
p. 480).
(3)
Loc. cit., t. II, p. 480.
CH. LVQUE 145
contr vers 1860 dans les crits esthtiques, en train de mourir,
perdant peu peu toute consistance, disparaissant comme les fan-
tmes de la caverne s'vanouissent au lever du soleil.
Charles Lvque s'arrte dans les champs, par un beau jour tout
ensoleill, prend un lys et le comparant avec un jeune enfant et
avec... la vie de Socrate, dcouvre les huit caractres du beau. Ces
caractres sont les suivants : la grandeur, l'clat des couleurs et la
grce, qu'on peut grouper sous la rubrique de la grandeur, et
d'autre part : l'unit, la varit, l'harmonie, la proportion, et la
convenance qui constituent l'ordre. Lvque avoue, avec modestie :
Si le lys avait un neuvime caractre de beaut, je n'hsiterais
pas l'ajouter la liste des prcdents. Mais je ne dcouvre pas ce
neuvime caractre
(1).
11 est fort regrettable pour la science de
ne pouvoir s'enrichir de cette nouvelle dcouverte.
La grandeur et l'ordre sont donc les deux grands et essentiels
caractres du beau. La beaut, nous dit Lvque, est essentielle-
ment une puissance invisible, grande et ordonne
(2).
Dans le
chapitre spcialement intitul : Mtaphysique du beau (distinction
inutile, car rien dans le livre n'est du-domaine physique
),
L-
vque ajoute que cette puissance grande et ordonne n'est pas une
nigme, mais un tre connu par l'exprience et la raison
;
en elfet,
cette puissance n'est autre chose que l'me. Le beau, dans tous
les cas possibles, c'est la force ou l'me agissant avec toute sa puis-
sance et conformment l'ordre, c'est--dire de faon accomplir
sa loi
(3).
Comme la beaut est, grande et ordonne, ainsi ses effets sur
notre sensibilit sont grands et ordonns : ce sont d'une part le
plaisir

le beau nous plat
;
d'autre part l'amour

nous aimons
le beau. En rsum, nous dit Lvque, lorsque j'analyse le sen-
timent esthtique sous la double forme qu'il alfecte, savoir la
dlectation et l'amour, j'y dcouvre une srie de caractres qui
sont : la grandeur, l'unit, la varit et la convenance. Or, ce sont
l prcisment les caractres que j'ai constats dans l'ide du beau.
Mais tous ces caractres se ramnent naturellement deux : la
grandeur vivante et gracieuse, d'une part, c'est--dire la grandeur
agissant avec nergie et facilit
;

d'autre part, un ensemble de


(1)
Loc. cit., vol. F, p.
'62.
(2)
Loc. cit., vol. I, p. 80.
(3)
Loc. cit., vol. I, p. 161.
10
146 LES LAURATS DE L'ACADMIE
rapports excellents et constants, savoir l'unit, la varit, l'har-
monie, la proportion et la convenance, qui, lorsqu'ils sont runis,
constituent ce que la raison appelle d'un seul mot : l'ordre. Enfin,
le sentiment du beau est videmment une puissance ^de jouir et
d'aimer. Donc l'effet du beau sur ma sensibilit est d'y dvelopper
la puissance de jouir et d'aimer dans le sens de la grandeur et de
l'ordre, ou, si l'on veut, de rendre essentiellement grande et ordon-
ne ma puissance de jouir et d'aimer
(1).
Lvque se pose le problme de l'existence du beau, indpendam-
ment du sujet qui le contemple. Le beau a-t-il, en dehors de l'me
qui le connat, le gote et l'imite, une existence relle et objective ?
Ce beau, dont j'affirme l'existence, ne serait-il pas, d'aventure,
une pure imagination de mon esprit, sans aucune ralit extrieure
positive et objective
(2).
Lvque rpond cette grave question
ngativement
;
pour lui, le beau existe ternellement, absolument,
comme ide en Dieu : c'est l'idalisme platonicien. ... La beaut
idale de chaque espce d'tre existe d'une existence pour moi
objective, minente, effective, en Dieu, titre de pense ternelle
de l'ternelle intelligence
(3),
et Lvque ajoute que cette beaut
idale ne dpend gure de la personnalit, elle ne varie pas quand
se forme ma connaissance
;
elle ne prit pas quand ma connaissance
se dtourne ou s'vanouit. Dieu n'et il cr jusqu'aujourd'hui
aucun tre capable de connatre le beau, les belles fleurs n'en exis-
teraient pas moins et n'en seraient pas pour cela moins belles. Tout
au contraire, ma connaissance esthtique dpend de l'existence de
la beaut
(4).
Cette thorie idaliste facilitera la tche de L-
vque quand il se demandera quel est le but de l'art.
En effet, l'imitation est le moyen et non le but; l'artiste, quand
il imite la nature, choisit son modle. La discussion laquelle
nous venons de nous livrer, conclut Lvque, nous a appris que
l'art imite trs peu et nglige souvent les formes qui n'expriment
pas la beaut, tandis qu'il s'applique saisir et mettre en saillie
les formes les plus propres signifier clairement la belle force ou
la belle me. Ces formes sont le plus souvent noyes au milieu
d'autres formes qui les cachent. Par une intuition rapide, l'artiste
(1)
Loc. cit., t. I, p. 109.
(2)
Loc. cit., t. I, p.
133.
(3)
Loc. cit., t. I, p. 140.
(4)
Loc. cit., t. I, p.
141.
Cil. LVQUE 147
les dmle; puis il les accuse vivement, tandis qu'il supprime les
autres, ou n'en conserve que ce qui est absolument ncessaire pour
maintenir toutes les apparences de la vie. Or, imiter ainsi, c'est--
dire en reproduisant de prfrence les manifestations les plus ex-
pressives de l'invisible, c'est beaucoup moins copier qu'interprter.
Ce dernier mot est le vrai
;
il rend exactement le procd vritable
et le seul lgitime de l'art. L'art est donc l'interprtation de la
belle me ou de la belle force, au moyen de leurs signes les plus
expressifs, c'est--dire au moyen de formes idales
(1).
Ainsi l'art doit imiter la belle forme et exprimer par l mme
l'idal. On voit comment l'idalisme de Lvque se rapproche de
celui de Cousin et de Quatremre de Quincy et comment, en par-
lant de la belle forme, il nous rappelle la belle nature que l'artiste
doit imiter selon l'abb Batteux. Lvque est encore d'accord avec
Cousin, quand il spare l'art de la morale, de la religion et de la
politique. L'art ne doit viser qu' produire les effets du beau.
L'objet de l'art tant le beau, rien que le beau, la fin de l'art doit
tre de produire sur nous, par la reprsentation du beau, les effets
que produit le beau lui-mme. Le beau interprt par l'art ne sau-
rait avoir une autre fin, un autre but, que la fin et le but du beau
lui mme... La fin de l'art est donc de verser dans nos mes les
dlicieuses motions du beau. Cela nous amliore
(2).
Les thories, expliquant le joli, le sublime, le laid ou le ridicule,
gravitent autour de la thorie du beau et sont fort peu intressantes.
La classification des arts de Lvque ne prsente rien d'original
ni de nouveau.
Parmi les critiques qui ont tudi la Science du beau, nous de-
vons signaler tout spcialement Emile Saisset
(3).
Saisset se de-
mande pourtjuoi Lvque reconnat huit caractres dans le beau.
a Plein d'une confiance intrpide dans sa thorie, il se porte lui-
mme le dfi de retrouver les huit traits de beaut de son lis dans
quelque objet de la nature ou de l'a-rt qu'on veuille lui assigner.
(1)
Loc. cit., vol. II, p. 7-8,
(2)
Loc. cit., vol. II, p. 14.
(3)
Emile Saisset, L'Ame et la vie, suivi d'un examen critique de l'esthti-
que franaise, 1864 (Reproduction d'un article publi daDS la Revue des Deux-
Mondes, 1861).
Consulter aussi le rapport de Barthlemy-Saint-Hilaire sur les mmoires pr-
sents au Coucours de l'Acadmie des sciences morales et politiques. Ce rapport
a t lu dans les sances des 16 et 20 avril 18ij9.
148 LES LAURATS DE L'ACADMIE
Quand on fait de ces gageures avec soi-mme, il est entendu qu'on
les gagne toujours (l).
Saisset montre les consquences funestes de la thorie des types
idaux. Dans l'art, cette conception aboutit au genre acadmique

on ne fait plus un homme en particulier mais l'homme

c'est
le poncif. Il critique aussi le manque d'tude psychologique qu'on
remarque dans la Science du beau. En effet, Lvque substitue la
psychologie, la mtaphysique ;
il a beau dire que sa thorie des
huit caractres lmentaires n'est qu'un simple prologue psycholo-
gique, la vrit est que ce prologue est toute la pice. Si l'on s'en
rapportait l'ordre et au titre des chapitres, ce serait la psycho-
logie qui conduirait par degrs l'auteur la mtaphysique. Il n'y
a l qu'un artifice d'exposition. Sous le spcieux prtexte que le
beau ne peut tre senti qu'aprs avoir t connu, l'auteur au lieu
de commencer par l'analyse sincre des diverses impressions que
le beau laisse dans nos mes, n'a rien de plus press que de nous
drouler toute sa thorie mtaphysique des caractres du beau
(2).
Nous n'avons rien ajouter la critique qu'adressait dj, en
1861, Emile Saisset au laurat des Acadmies. Pour nous ce livre,
creux et sans originalit, vrai squelette des thories allemandes et
de celles de Cousin, est leur aboutissement naturel

car quand
on ne se base pas sur l'observation de la ralit et sur l'tude pa-
tiente des faits, on aboutit des idologies creuses.
Nous devons ajouter que notre jugement sur l'uvre de L-
vque, venant aprs leiriple couronnement acadmique, ne peut et
ne doit gure influer sur l'esprit des personnes bien pensantes

nous avons t svre, voil tout. Gustave Flaubert, dans une lettre
adresse M'
ne
Roger des Genettes (1872),
le fut encore davan-
tage
;
voici, en effet, comment il jugeait Lvque : Jwlis mainte-
nant l'esthtique du sieur Lvque, professeur au Collge de
France ! Quel crtin! Brave homme du reste et plein des meilleures
intentions. Mais qu'ils sont drles les universitaires, du moment
qu'ils se mlent de l'art .
3.

Paul Voituron, dont les Recherches philosophiques sur les
principes de la science du beau
(3)
lui valurent une mention hono-
(1)
L'Ame et la vie, p. H8.
(2)
lbid.
(3)
2 vol., 1861.
P. YOITURON 149
rable au Concours de 1860, expose dans son ouvrage l'idalisme
vague de Cousin, avec les indispensables thories puises dans
l'esthtique allemande et avec quelques variantes d'ordre religieux.
Son livre est presque aussi nul que celui de Lvque, ce qui n'est
pas peu dire.
Il faut tudier, selon Voituron, l'aide de la mthode cartsienne,
le beau en nous et en Dieu, et non pas dans les objets extrieurs.
C'est donc en rentrant en nous-mmes, en recherchant ce qui con-
stitue notre tre pensant dans son fondement, et, par del encore
en nous levant Dieu, que nous pourrons saisir les premiers prin-
cipes du beau
(1).
La notion du beau est absolue, ncessaire et
universelle
(2) ;
elle existe en Dieu, de toute ternit, comme attri-
but de son Etre absolu. Le beau rside dans l'unit et la varit et
en mme temps dans l'utilit ou convenance et l'ordre
(3).
L'ide
du beau n'est pas sensible mais rationnelle. L'art exprime l'idal
mieux que la nature. Nous pouvons donc dfinir l'art : la mani-
festation de l'idal par le moyen de la beaut sensible
(4).
Telles sont les ides principales qu'on trouve exposes dans les
mille pages que Paul Voituron s'est donn la peine d'crire sur le
beau.
U)
Loc. cit., vol. I, p. 59.
(2)
Loc. cit., vol. I, p. 96.
(3)
Loc. cit., vol. I, p. 462-163.
(4)
Loc. cit., vol. I, p. 251.
CHAPITRE VI
Un cas curieux : L'esthtique de P. J. Proudhon.
Nous
avons dj rencontr, en examinant les thories de Jean-
Jacques Rousseau, ce que nous appelons un cas anormal de
systmatisation . Mais ce premier exemple n'tait pas encore
assez accus ;
avec la thorie de Proudhon nous en avons un cas
vraiment typique.
Un systme, avons-nous rpt plusieurs reprises, est un essai
pour expliquer le monde ;
la science est un systme mais dont
toutes conclusions concident avec l'exprience, c'est--dire avec
les donnes de la ralit.
Tous les systmes doivent respecter la ralit, et en fait tous en
tiennent bien compte plus ou moins. Aussi leur valeur respective
est-elle, en raison directe de leur fidlit, dans l'interprtation des
faits rels.
Quand un individu, dans la vie courante, ne tient pas compte
des donnes de la ralit extrieure, et cela un tat aigu, nous
pouvons dire que c'est un malade. Quand il explique le monde,
non d'aprs les donnes que la ralit lui fournit, mais d'aprs une
conception personnelle et spciale, nous nous trouvons en pr-
sence d'un cas de systmatisation.
Cette anomalie peut se prsenter mme chez ceux qui se sont
fix, pour but spcial de leurs tudes, d'expliquer le rel. Prou-
dhon, le clbre socialiste, nous prsente un cas anormal de syst-
matisation en esthtique. Nous esprons le dmontrer ci-aprs.
Le livre de P. J. Proudhon, qui a pour objet le problme du
beau et pour titre : Du principe d$. l'art et de sa destination sociale,
est une uvre posthume, publie en 186o. Quelques chapitres ont
t rdigs d'aprs les notes de Proudhon, et sont moins intres-
sants que le reste de l'uvre (1).
(1)
Nous nous sommes abstenu de prendre des documents dans ces chapitres

ou si nous en avons pris ils portent bien l'empreinte de Proudhon. Au com-


mencement du livre on trouve la liste exacte des chapitres crits entirement
par Proudhon.
152
UN CAS CURIEUX
Examinons, avant tout, les ides directrices de ce livre
;
nous
pourrons l'analyser mieux ensuite.
J'appelle donc, nous dit Proudhon, esthtique, la facult que
l'homme a en propre d'apercevoir et dcouvrir le beau et le laid,
l'agrable et le disgracieux, le sublime et le trivial, en sa personne
et dans les choses, et de se faire de cette perception un nouveau
moyen de jouissance, un raffinement de volupt
(1).
Les effets de cette facult, chez l'artiste, sont :
1
Un certain sentiment, une vibration ou rsonnance de lame,
l'aspect de certaines choses ou plutt de certaines apparences
rputes par elle belles ou horribles, sublimes ou ignobles (2).
2
L'estime de soi, l'amour-propre, qui est la force motrice du
sentiment esthtique.
3
Le pouvoir d'imitation que possde l'homme.
L'objet de l'art est ce qu'on nomme l'idal. On peut trouver
l'idal mme dans la photographie ;
mais ce qui est vrai c'est que
l'idal est plus ou moins apparent
(3).
L'art n'est rien que par l'idal, nous dit Proudhon, ne vaut que
par l'idal; s'il se borne une simple imitation, copie ou contre-
faon de la nature, il fera mieux de s'abstenir
(4).
Et, comme
dfinition de l'idal, voici ce que Proudhon nous offre : le mot
idal se dit donc de tout objet runissant au plus haut degr toutes
les perfections, plus beau que tous les modles offerts par la na-
ture : beaut idale, figure idale. On en fait un substantif, lidal,
c'est--dire la forme parfaite qui se rvle nous en tout objet, et
dont cet objet n'est qu'une ralisation plus ou moins approche (o).
Proudhon conclut que l'art doit desservir cette facult esthti-
que que possde l'homme et qui consiste dans l'aperception des
ides pures, archtypes des choses

par suite du beau et du su-
blime, ou de l'idal,

que la mission de l'artiste n'est pas de nous
montrer, mais de nous faire sentir, au moyen de la parole ou des
signes, et en se servant de figures, que nous avons appeles des
idalismes
(6).
,
Mais l'art a un but social et moral. Je dfinis donc l'art : une
(1)
Du principe de l'art, etc., p.
17.
(2)
Loc. cit., p. 19.
(3)
Loc. cit., p.
32.
(4)
lbid.
(o) Loc. cit., p.
35.
(G) Loc. cit., p.
42.
]'. .1. PROUDHON
1 53
reprsentation idaliste de la nature et de nous-mmes, en vue du
perfectionnement physique et moral de notre espce
(1).
C'est l
l'ide gnratrice du livre de Proudhon.
L'art doit se mettre au service de la socit. Il rsulte de ce
qui prcde ue l'art n'a pas sa raison suprieure ou sa fin en lui-
mme, pas plus que l'industrie
;
qu'il n'est pas en nous facult
dominante, mais facult subordonne, la facult dominatrice tant
la justice-el la vrit
(2).
t'ne autre ide essentielle du livre, c'est que l'art ne peut tre
que le produit de la collectivit. La personnalit de l'artiste doit
s'elacer pour faire place la foule. Proudhon essaie de dmontrer
cette ide en examinant l'histoire de l'art. Ainsi en Egypte et au
Moyen-Age, l'art est grand parce qu'il est le produit d' une force
de collectivit sociale
(3).
On voit que les ides de Proudhon ne se lient pas bien : son
idalisme ne cadre gure avec ses ides d'art collectif et ayant une
mission sociale

pourtant nous avons fait de not^e mieux pour
arriver unir ces dilfrentes affirmations.
Les ides principales se rsument donc ainsi :
1 l'art a une mis-
sion sociale et
2
l'art est le produit d'une collectivit.
Passons maintenant l'analyse de l'uvre.
I" Proudhon ignore compltement la question qu'il essaie de
traiter dans son livre. Il n'est pas artiste
;
il n'a pas de dispositions
pour l'art
;
il n'a mme pas de got. Il ignore l'histoi/e de l'art
;
il
ne connat pas davantage les systmes esthtiques.
Mnard l'avait dj observ en 1867, lorsqu'il crivait : En
somme, la moralit de ce livre est que, s'il faut avoir fait certaines
ludes pour bien juger des uvres d'art, il suffit d'avoir infiniment
d'esprit pour en parler d'une faon amusante
(4).
Mais Proudhon lui-mme l'avoue d'une faon formelle. Je ne
sais rien, par tude ou apprentissage, de la peinture, pas plus que
de la sculpture et d la musique. J'en ai toujours aim les produc-
tions, comme tout barbare aime ce qui lui semble beau, ce qui
brille, qui flatte son imagination, son cur et ses sens, comme les
enfants aiment les estampes. Je les aime davantage depuis que je
(1)
Loc. cit., p. 43.
(2)
Loc. cit., p.
44.
(3)
Loc. cit., p. 66 G7.
(4)
R. Mnard, Les Thoriciens de l'art, paru dans l'Anne philosophique,
1867, p.
413.
154 UX CAS CURIEUX
me suis avis, il n'y a pas longtemps de cela, d'en raisonner
(1).
Ailleurs il crit : Je n'ai pas l'intuition esthtique
;
je manque de
ce sentiment primcsautier du got qui fait juger d'emble si une
chose est belle ou non
;
ce n'est toujours que par rflexion et ana-
lyse que j'arrive l'apprciation du beau
(2).

Ces passages, qui sont d'une sincrit la manire de Rousseau,
suffiraient pour appuyer notre premire remarque. Mais plus loin
nous donnerons des jugements ou critiques sur les uvres d'art
qui tablissent d'une faon incontestable que Proudhon ignore
peu prs entirement la ralit dont il s'occupe.
2
Proudhon fait preuve d'une confiance illimite en son propre
jugement et d'un orgueil naf et enfantin. C'est le second caractre
de cet ouvrage et il ne peut tre que la consquence naturelle du
premier. Seuls les ignorants
(3)
ont une confiance illimite en eux-
mmes et sont fiers de leurs conclusions. L'homme qui sait, sait
avant tout qu'il sait bien peu de choses, comme disait dj Socrate.
Voici un example de cet orgueil enfantin : il est certain qu'avant
d'crire son livre, Proudhon avait eu plusieurs entretiens avec
Courbet

d'ailleurs une partie du livre est consacre l'tude de
l'uvre du peintre. Or, voici quelques confessions de Proudhon
lui-mme : Un jour, lorsque je commenais m'occuper de ce
livre, je dis Courbet que je prtendais le connatre mieux que lui-
mme : que je l'analyserais, le jugerais, et le rvlerais au public
et lui tout entier. Cela parut l'effrayer; il ne douta pas que je
ne commisse faute sur faute
;
il m'crivit de longues lettres pour
m'clairer, lettres qui m'ont appris fort peu de choses, et me fit
sentir que je n'tais point artiste
(4). A quoi je rpliquais que j'tais
artiste autant que lui : non pas artiste peintre, mais artiste cri-
vain, attendu qu'il m'tait frquemment arriv dans mes ouvrages
de faire trve momentanment la dialectique pour l'loquence;
et, comme l'art est le mme partout, que je me croijais parfaite-
ment comptent dans la question. Ceci parut le calmer un peu, et il
ne songea plus qu' se faire connatre moi tel qu'il croit tre, ce
qui n'est pas tout fait la mme chose que ce qu'il est. Courbet,
plus artiste que philosophe, n'a pas pens tout ce que je trouve :
(1)
Loc. cit.,
p.
10-11.
(2)
Loc. cit.,
p. 13.
(3)
Et les imbciles ; mais ce n'est pas le cas de Proudhon.
("4) On voit par cette phrase que Courbet donne raison aussi notre premire
remarque, c'est--dire que l'art est tranger Proudhon.
1'
.1. PROUDIION
155
c'est tout simple. Assurment il n'a pas conu son sujet des Curs
avec la puissance que j'y vois et que j'indique
(1).
II nous semble que ce long passage montre mieux que toute
autre preuve, cet orgueil si naf dont le livre de Proudhon est
rempli. On le rencontre chaque page, chaque ligne, dans cha-
que tournure de phrase.
3
D'o ce troisime caractre : emploi exagr, pour ne point
dire constant, des formes personnelles : je, moi, etc.
Dans les citations que nous avons donnes, on peut vrifier notre
remarque, mais voici encore d'autres exemples. Examinant l'art de
la Renaissance,
Proudhon crit : Ces belles saintes, avec leur-
expression chrtienne, me paraissent assurment plus belles, moi,
que les desses impassibles des Grecs... Je suis amoureux des
saintes de Raphal, toutes saintes, vierges, martyres et vtues
qu'elles sont
;
je le suis mme de la vierge Marie jusqu' son ma-
riage. Oui, je suis amoureux de cette belle grande jeune fille,
imite de la Diane chasseresse, et donne un vieillard prdestin
au rle d'ange gardien
;
je ne le suis pas des desses antiques, bien
que nues, ni de Diane, ni de Pallas, ni de Vnus mme. La Madone
n'chappe mon amour que par l'enfant qu'elle porte dans ses
bras : c'est le respect de la maternit qui la sauve... (2).
(Notons
en passant, dans cette citation, la manire de juger l'art, de Prou-
dhon). Voici un autre passage que nous prenons au hasard entre
mille. La Vnus de Milo me paratra, si vous voulez, le chef-
d'uvre de la statuaire. Trs bien ! que voulez-vous que j'en fasse,
moi citoyen du xix
e
sicle, peine dgag du christianisme. Si je
rflchis que cette statue tait l'image d'une divinit, cela me fait
sourire, et tout le charme esthtique s'vanouit. Je mettrai sur ma
chemine une rduction de cette figure, comme j'y mets une co-
quille rare, une pice de porcelaine ou un vase de cristal (3).
La comptence de Proudhon comme juge d'art, est caractrise
par ce passage, qui doit avoir spcialement nerv Zola, quand il
s'est cri que la conception de l'art de Proudhon est bien de
l'homme... qui veut que les roses se mangent en salade et que
l'uvre de Proudhon est celle d'un brave homme qui juge
l'art comme on juge la gymnastique et l'tude des racines
(1)
Loc. cil.,
p.
279-280.
|2)
Loc. cit., p. 76. Les points se trouvent dans le texte.
(3)
Loc. cit., p.
320.
156 UN CAS CURIEUX
grecques
(1).
Zola, si superficiel dans ses thories, n'a pas pu
envisager la question d'un peu plus haut et voir que la thorie de
Proudhon constitue un document , mme un document trs
prcieux

et qu'on ne se fche pas contre un fait
(2).
4
Revenons l'analyse de l'uvre de Proudhon. De l'emploi
constant de la forme personnelle, dcoule un autre caractre : le
ton prophtique et absolu que prennent les jugements et dfinitions
de Proudlion. Les citations que nous avons faites dmontrent ce
caractre. Il suffit de rappeler celle-ci : Je dfinis donc l'art...,
etc.
5
Dans un autre ordre d'ides, on remarque la grande animosit
de Proudhon contre les faits qui contredisent sa thorie
;
ou il se
fche contre eux, ou il les nie tout simplement, ou il ne les cite
mme pas. Par exemple, l'art de la Renaissance n'entre pas bien
dans sa thorie de l'art collectif, puisque c'est cette poque que
nous trouvons les plus grandes personnalits artistiques et non pas
la foule anonyme. Proudhon s'crie : Pour en finir, il ne fallait
pas moins que cette exhumation de l'antiquit, un art vampire
tomb sur l'Europe en mme temps que la syphilis, qui ne dispa-
ratra qu'avec lui
(3).
Autre exemple : Que nous peut faire,
nous autres hommes du xix
e
sicle, dmocrates socialistes, hom-
mes de travail, de science et de progrs, ce dieu ambigu ? Le droit
de l'homme a t promulgu la place des dcrets de Trente et de
Nice
;
le Christ qu'il nous faut n'est point un Christ mystique,
la faon de Lonard de Vinci, de Raphal ou de Michel-Ange, en-
core moins de M. Renan
;
c'est un Christ justicier, de la trempe de
Danton et de Mirabeau, un Christ rvolutionnaire
(4).
Cette animosit contre les faits est trs caractristique dans le
livre de Proudhon. Elle se concilie bien avec un mpris complet
des opinions contraires la sienne ;
mme un mpris de l'exp-
rience tout fait exceptionnel. Par exemple, Proudhon soutiendra
cette normit, en contradiction avec le bon sens, que dix mille
(1)
E. Zola, Mes haines, 1866. Article : Proudhon et Courbet.
(2)
Le livre de Proudhon a exaspr Flaubert. Voici un passage d'une lettre de
ce dernier Ed. et J. de Goncourt : (12 aot 1865). Je viens de lire le Proudhon
sur l'art ! On a dsormais le maximum de la pignouferie socialiste. C'est
curieux, parole d'honneur ! a m'a fait l'effet d'une de ces fortes latrines, o l'on
marche chaque pas sur un tron. Chaque phrase est une ordure. Le tout
la
gloire de Courbet ! et pour la dmolition du romantisme. Saint Polycarpe !

(3)
Loc. cit., p.
79.
(4)
Loc. cit., p.
81.
P. .1. I'ROUDIION
157
lves qui ont appris dessiner comptent plus pour le progrs
de l'art que la production d*un chef-d'uvre (I). Proudhon niera
L'uvre entire d'Ingres, celle de Delacroix, except son Boissy
d'Anglas et celle de David, except son Serment du Jeu de paume
et son Marat expirant ; leurs autres uvres ne cadrent pas bien
avec ses thories.
6 Ainsi nous passons au sixime caractre du livre de Proudhon,
qui est le plus important, c'est sa manire de juger, ou plutt de
centraliser autour de son systme la ralit entire. Cela demande
des explications.
Proudhon pense que dans une uvre d'art, ce qui est l'impor-
tant, ce n'est gure la forme, qu'on pourrait volont changer ou
modifier, mais la pense. Il l'avoue plus d'une reprise, et non
seulement il l'avoue, mais c'est l'aide de ce principe qu'il arrive
centraliser la ralit esthtique autour de son ide matresse. Ce
travail, probablement, a t fait dans son cerveau
inconsciemment
et involontairement
car il semble tre parfaitement sincre. Voici
ce qu'fl crit : .... en peinture, ni plus ni moins qu'en littrature
et en toute chose, la pense est la chose principale, la dominante;
... la question du fond prime toujours celle de la forme, et... en
toute cration de l'art, avant de juger la chose de got, il faut vider
le dbat sur l'ide {'2). On verra jusqu' quelles
consquences
inimaginables il poussera, en l'appliquant, cette ide.
Zola a bien saisi la mthode de Proudhon.
Proudhon, a-t-il
crit, a vu comme moi les tableaux dont je parle, mais il les a vus
autrement, en dehors de toute facture, au point de vue de la pure
pense, tne toile, pour lui, est un sujet
;
peignez-la en rouge ou
en vert, que lui importe. Il le dit lui-mme, il ne s'entend en rien
la peinture, et raisonne tranquillement sur les ides. 11 commente,
il force le tableau signifier quelque chose
;
de la forme,
pas un
mot. C'est ainsi qu'il arrive la bouffonnerie
(3).
Examinons les exemples : 11 nie l'uvre d'Ingres. Pour quelle
raison ? Quel motif grave le conduit un tel ostracisme ? La voici
la raison, dans toute sa simplicit : Quelle ide dcouvrir dans les
sujets suivants qui forment la liste des principaux ouvrages de
(1)
Loc. cit., p. 172 note.
(2)
Loc. cit.,
p. 14.
(3) E. Zola, Mes haines. Article : Proudhon et Courbet.
158
UN CAS CURIEUX
M. Ingres : Apothose d'Homre, Odalisque, etc.
(1).
Si Proudhon
admire le serment du Jeu de paume et le Marat expirant de David,
ou le Boissy d'Anglas de Delacroix, c'est pour les ides politiques
que ces sujets renferment. Mais les meilleurs exemples nous pour-
rons les puiser dans l'tude qu'il fait de l'uvre de Courbet.
Voici son commentaire sur la Baigneuse de Courbet : Oui, la
voil bien cette bourgeoisie charnue et cossue, dforme par la
graisse et le luxe ;
en qui la mollesse et la masse touffent l'idal
et prdestine mourir de poltronnerie, quand ce n'est pas de gras-
fondus : la voil telle que sa sottise, son gosme et sa cuisine nous
la font. Quelle ampleur! quelle opulence! on dirait une gnisse
attendant le sacrificateur
(2).
Il est inutile de dire que Courbet
n'a mis absolument aucune intention de celles que lui prte Proud-
hon, dans cet inoffensif tableau, qui n'est qu'une simple tude
de nu.
Voici encore deux autres exemples

deux analyses des tableaux


de Courbet. Elles sont tout fait caractristiques de la manire
'
qu'emploie Proudhon pour centraliser les faits en les faussant, au-
tour de sa thorie.
Le commentaire des Casseurs de pierre. Les casseurs de pierre
sont une ironie l'adresse de notre civilisation industrielle, qui
tous les jours invente des machines merveilleuses pour labourer,
semer, faucher, moissonner, battre le grain, moudre, ptrir, filer,
tisser, coudre, imprimer, fabriquer des clous, du papier, des pin-
gles, des cartes
;
excuter enfin toutes sortes de travaux, souvent
fort compliqus et dlicats, et qui est incapable d'affranchir l'homme
des travaux les plus grossiers, les plus pnibles, les plus rpu-
gnants, apanage ternel de la misre
(3).
Et le commentaire du tableau intitul : Les Curs ou le Retour de
la confrence, de Courbet : Ce qu'a voulu montrer Courbet, la
faon des vrais artistes, c'est l'impuissance radicale de la discipline
religieuse,

ce qui revient dire de la pense idaliste,

sou-
tenir dans le prtre la vertu svre qu'on exige de lui
;
c'est que la
perfection morale cherche par la foi, par les uvres de dvotion,
par la contemplation d'un idal mystique, se rduit de lourdes
(1)
toc. cit., p. 129.
(2)
lbid., p.
215.
(3)
Loc. cit., p.
237.
P. J. PROUDHON 150
chutes, et que le prtre qui pche est victime de sa profession, bien
plus qu'hypocrite et apostat
(1).
Zola, dans l'article cit, s'crie : Et Proudhon examine ainsi
chaque toile, les expliquant toutes et leur donnant un sens poli-
tique, religieux, ou de simple police de murs .
Au fond, la question dpasse les limites de l'explication
;
il s'agit,
en ralit, d'une falsification, volontaire ou involontaire, peu im-
porte, de Ta ralit. Proudhon agit de la mme faon qu'un mde-
cin, qui devant un thermomtre indiquant 41 degrs de ^fivre,
annoncerait que son malade se porte bien

et cela volontairement
ou non. Proudhon fausse les faits les plus incontestables

des faits
historiques connus mme par des collgiens. Ainsi, l'art de la
Renaissance ne prsentant pas le caractre collectif et anonyme de
celui du Moyen-Age, Proudhon ne trouve pas la Renaissance le
cachet des grandes poques. Pourtant, s'il
y
a eu une grande
poque pour l'art, c'est bien la Renaissance. 11 crit : il n'est pas
possible de refuser une originalit Raphal, Michel-Ange,
Lonard de Vinci, au Titien, au Corrge . C'est- dire, je regrette,
moi Proudhon, de ne pouvoir nier ces faits

mais rellement ils
sont trop connus ;
ce que je ne fais pas individuellement, je peux
le faire en bloc. Ainsi il continue : Pourtant il manque la Re-
naissance le cachet des grandes poques, la puissance de collecti-
vit
(2).
Nous pensons que tous ces exemples sutisent pour tablir ce
dernier caractre du systme de Proudhon, c'est--dire le fait que
Proudhon, quand il ne nie pas purement et simplement le rel qui
contredit son systme, tche de le fausser, de le falsifier, ou, en un
mot, de le centraliser autour de son systme, pour mieux soutenir
ses thses.
Maintenant tirons nos conclusions. Le livre de Proudhon, avons-
nous dit en .commenant, prsente un cas anormal de systmati-
sation. Nous supposons que personne ne pourra contester ce carac-
tre anormal ou morbide de cette uvre

si on entend seulement
par morbide un fait qui ne prsente pas les formes les plus gn-
rales (3).
Les thories de J.-J. Rousseau prsentent, peu prs,
(1)
Loc. cit., p. 266.
(2)
Loc. cit.,
.p.
77.
(3)
E. Durkheim donne cette dfinition du lait normal. Nous appellerons nor-
maux les faits qui prsentent les formes les plus gnrales et nous donnerons aux
autres le nom de morbides ou de pathologiques {La Mthode sociologique,
160
UN CAS CURIEUX
les mmes caractres que le systme de Proudhon, ainsi que les
divers crits esthtiques de L. Tolsto. Mais, nous pensons que
c'est le systme de Proudhon qui est rellement typique.
Le domaine de l'esthtique, cause mme des faits vagues et
extrmement complexes qu'il contient, a toujours t propice
l'closion des systmes les plus baroques. Ce cas typique de Proud-
hon, ce systme caractres anormaux, nous fournit quelques
indices utiles que nous pourrons appliquer l'tude des systmes
normaux. On accepte aujourd'hui que les faits morbides sont ins-
tructifs, car ils prsentent les caractres du normal, grossis.
Quel caractre prsente, avant tout, la thorie de Proudhon ?
Celui de vouloir, en faussant la ralit, la plier un dogme. Quelle
est la consquence de cette violence que la ralit subit? La stri-
lit, l'inutilit des conclusions et, dans le cas de Proudhon, le ridi-
cule et l'ineptie. Quel systme esthtique, de tous ceux que nous
avons examins jusqu'ici, chappe ces deux dfauts, que nous
trouvons au maximum dans le livre de Proudhon ? Examinons celui
de Cousin.
Victor Cousin ne se soumet pas la-ralit

il l'ignore presque
totalement. Or, il arrive cette explication : le vrai, le beau et le
bon sont trois attributs de Dieu . Explication nulle. La science ne
demande pas les causes premires inconnues pour toujours

mais des causes secondes. Cette nullit peut tre dmontre par les
consquences pratiques. A quoi aboutit le systme de Cousin ?
Peut-on le perfectionner? Peut-on en faire quelques applications
pratiques? Srement non.
Or, les caractres de la science fconde

c'est--dire du sys-
tme qui correspond au rel

c'est qu'il est perfectible l'infini
;
c'est qu'il peut avoir des applications pratiques. Si nous avons soif
de connatre, c'est parce que jious avons besoin d'agir. Le monde
nous crase
;
nous devons le modifier, sous peine de mort. La
science pour la science est possible aujourd'hui

l'origine cette
formule tait une absurdit.
La science n'a pas pour but de faire des mandarins ou des gens
qui s'enferment dans leur tour d'ivoire

elle a pour but d'agir sur


la ralit, de la modifier pour augmenter l'empire et le bien-tre
de l'homme.
p. 70). Par ailleurs, Durkheim donne d'autres critres du fait morbide ; nous em-
ployons ici ce mot dans le sens indiqu, sans nous appesantir davantage.
P. .1. PROUDHON
ICI
Le meilleur critre des systmes faux, c'est d'une part leur per-
fection

ils ne sont pas perfectibles, ils sont dj parfaits

et
d'autre part leur inutilit.
Il serait fructueux d'tudier, trs srieusement, des cas morbides
de systmatisation, comme ceux que nous avons signals; il fau-
drait faire des monographies ou des tudes compares sur l'esth-
tique de Rousseau, de Proudhon ou de Tolsto, pour mieux mettre
en lumire les caractres essentiels de tout systme.
D'ailleurs l'tude d'un systme anormal doit nous faire mieux
saisir aussi la diffrence qui existe entre un systme esthtique
et une thorie artistique. On se rappelle, au commencement de ce
livre, la distinction que nous avons tablie entre ces deux stades
de la rflexion esthtique de l'homme. Dans la thorie artistique,
l'artiste essaie ou de donner les rgles pour produire l'uvre, ou
de justifier ces rgles. La thorie artistique, avons-nous dit, a un
but didactique ou polmique
;
de toute ncessit donc, cause de
son laboration htive et du point de vue o se place son auteur,
elle ne correspond qu' une parcelle de la ralit

elle est fausse.
La thorie romantique fut abandonne pour la thorie naturaliste,
qurn'est pas plus vraie que la thorie symboliste et mystique.
Mais les systmes esthtiques et surtout la science esthtique,
visent un tout autre but. Ils ne veulent pas indiquer l'artiste la
manire de fabriquer des chefs-d'uvre

mais rendre compte des


faits, expliquer, analyser le mcanisme de la vie esthtique de
l'homme.
Il
y
a l, la mme diffrence qui existe entre les conseils de notre
mre pour la nourriture qu'il faut soigneusement choisir afin de
bien digrer et l'tude objective des organes digestifs par un pro-
fesseur de la Facult. Confondre ces deux actes, c'est faire rtro-
grader la science l'poque homrique.
En examinant, dans la suite, les thories qui ont vu le jour
partir de 1865, nous verrons comment la question de l'tude objec-
tive du domaine esthtique s'enrichit de plus en plus.
11
CHAPITRE VII
Le progrs des ides positives et scientifiques
dans l'esthtique.
1. La critique littraire.

2. Auguste Comte.

3. Sainte-Beuve.

4. G. Flaubert.

5. H.Taine.

6. E. Vron.

7. Les thories de jeu.

8. E. IIen-
NEQUIN.
1.

Les progrs de la science au xix


e
sicle ne pouvaient pas
ne pas avoir une rpercussion sur l'esthtique. La critique, et sp-
cialement la critique littraire, a beaucoup contribu l'volu-
tion des ides esthtiques vers la science.
Au xvm
e
sicle, nous avons vu que la relativit de l'uvre d'art
tait une des ides les plus courantes. M
me
de Stal, au commen-
cement du xix
e
sicle, croit innover en envisageant l'uvre d'art
comme fonction de la socit
;
mais cette ide, que l'art dpend de
l'tat social et l'exprime en partie, n'est au tond que la thse de
la relativit de l'uvre d'art, applique la socit spcialement.
Victor Cousin n'exprime-t il pas dans l'Introduction l'histoire
de la philosophie une thorie analogue, sans pourtant en tirer aucun
profit rel? Oui, messieurs, dit il, donnez-moi la carte d'un pays,
sa configuration, son climat, ses eaux, ses vents, et toute sa go-
graphie physique
;
donnez-moi ses productions naturelles, sa llore,
sa zoologie, et je me charge de vous dire a priori quel sera l'homme
de ce pays, et quel rle le pays jouera dans l'histoire, non pas acci-
dentellement, mais ncessairement; non pas telle poque, mais
dans toutes
;
enfin l'ide qu'il est appel reprsenter. Cousin
exagre

mais au fond de sa pense on trouve le dterminisme
scientifique et l'ide de la relativit.
Cette mme conception, mieux exprime, on la rencontre dans
l'uvre de Villemain, entre 1820 et 1835. Lui aussi, dans son Ta-
bleau de la littrature franaise au xvm
e
sicle, essaie d'tablir,
plus clairement que les autres, l'influence rciproque des ides,
164 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
des murs et des lettres
;
il innove mme, en mettant ct de
l'histoire littraire, la biographie des hommes dont il s'occupe. A
cette poque, la littrature est considre comme l'expression de
la socit, dans le plein sens du mot. Villemain montre qu' il est
dsormais entendu que l'uvre littraire soutient d'troites rela-
tions, qui peuvent aller jusqu' l'entire dpendance, avec l'tat
politique, avec les actions ou les influences du dehors, et de tout
enfin ce qu'on va bientt appeler les grandes pressions environ-
nantes
(1).
On retrouve cette ide de la dpendance de l'uvre d'art, mme
dans les crits tout t'ait secondaires vers la mme poque
(2),
ainsi, dans un petit livre de Louis Dussieux, paru en 1838 et inti-
tul : L'Art considr comme le symbole de l'tat social, nous lisons
une phrase qui ne laisse aucun doute : Les productions des beaux
arts sont l'expression, le reflet ou le calque de l'poque et de l'tat
social qui les ont enfantes
(3).
Mme ide dans un gros volume de A. Bignan, intitul : Essai
sur l'influence morale de la posie (1838). Bignan pense que les
murs se rpercutent sur la littrature et que celle-ci influe son
tour sur les murs.
Nous avons dit dj que Lamennais voyait dans l'uvre d'art
l'expression de l'tat religieux et social et de la mentalit de celui
qui la cre. Laprade reprendra cette mme ide plus lard
(4),

peu prs de la mme faon que le fera Henri Houssaye
(5).
2.

Dans le Cours de philosophie positive (1830-1842), d'Au-
guste Comte, il est certain que cette ide de la dpendance de l'art
du milieu social ou religieux joue un grand rle. Mais, tandis que
les auteurs que nous avons cits se contentent de formuler cette
dpendance, Comte en fait une application fort fructueuse pour
l'ensemble de son systme.
On ne trouve point une esthtique dans le Cours de philosophie
positive, pour une raison bien simple : Comte pensait qu'une tho-
rie des beaux-arts serait chose impossible, puisqu'elle exigerait le
(1)
Brunetire, L'Evolution des genres, 1889, p. 214.
(2)
Mme dans la Prface du second volume des Odes de Victor Hugo (1824).
(3)
Loc. cil., p. 1.
(4)
Victor de Laprade, Le Sentiment de la nature avant le christianisme,
1866.
(5)
H. Houssaye, Etudes sur l'art grec, 1867.
AUGUSTE COMTE
165
dveloppement pralable de toutes les sciences fondamentales, sur
lesquelles elle reposerait
(1);
en cela l'auteur est fidle
sa
clbre
classification des sciences ;
mais, en caractrisant les
diverses phases de dveloppement par o l'humanit a pass,
Comte s'arrte, chaque fois, l'art, pour noler l'volution de l'essor
esthtique.
Les premiers essais de tous les beaux-arts, sans en excepter la
posie, remontent incontestablement jusqu' l'ge du ftichisme (2).
Cette conception religieuse, qui animait la nature entire, devait
tendre favoriser minemment l'essor spontan de l'imagination.
Les facults esthtiques se rapportent surtout la vie affective;
pp,
l'tat de ftichisme, tat o l'on transportait tous les corps
extrieurs notre sentiment fondamental de la vie, on constate une
prpondrance gnrale de la vie affective. Telle semble tre la
raison pour laquelle le ftichisme favorisa les beaux-arts, et sur-
tout la posie et la musique, premiers arts, selon Comte.
Mais l'ge d'or, pour les beaux-arts, fut l'tat du polythisme. Le
polythisme, en effet, a imprim un admirable essor
l'ensemble
des beaux arts. Il ne faut pas pourtant croire que, dans la socit
antique, les arts jouaient un rle trop prpondrant. Dans tous
les degrs de la vie sauvage, il est ais de reconnatre que la puis-
sance sociale de la posie et des autres beaux-arts, quelque consi-
drable qu'elle puisse tre, demeure toujours
ncessairement se-
condaire envers l'influence thologique, qu'elle peut utilement
aider, et dont elle doit tre hautement protge, mais sans jamais
pouvoir la dominer
(3).
Les arts donc taient au second plan,
soumis l'empire thologique, car, soit pour l'individu, soit pour
l'espce, jamais les facults d'expression n'ont pu dominer directe-
ment les facults de conception, auxquelles leur nature propre les
subordonne toujours
ncessairement.
Ouelles sont les raisons qui ont fait la prosprit des arts pen-
dant l'ge du polythisme? Tout d'abord, le passage du sentiment
l'imagination. Tandis que dans le ftichisme, le sentiment est
prdominant, comme nous l'avons dit, dans l'tat polythique, c'est
l'imagination qui rgne ;
or, l'volution esthtique de l'homme
.dpend de l'imagination. En second lieu, cet ge, la fonction
(1)
Cours, vol. I, p.
55-56. Nous employons la
2' dition, 186t. J. B. Baillire
et 01s, Paris.
(2)
Ibid., vol. V, p. 51.
13) Ibid., vol. V, p. 99.
166 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
sociale et intellectuelle des beaux arts, et surtout de la posie et de
la musique, devait devenir tout fait prdominante. En effet,
une telle constitution religieuse attribuait spontanment aux fa-
cults esthtiques une participation accessoire, et pourtant directe,'
aux oprations thologiques fondamentales
(1).
Sous le poly-
thisme, quand la philosophie avait introduit, pour l'explication
d'un phnomne, une divinit nouvelle, l'art devait s'en emparer
pour lui donner un costume et des murs convenables sa desti-
nation, ainsi qu'une histoire dtaille

en un mot, pour rendre
cette divinit concrte. Tandis que dans le ftichisme, les dieux
taient dj concrets, dans le polythisme, l'art devait les rendre
tels. Sous cet tat religieux, les beaux-arts taient investis d'une
sorte de fonction dogmatique. Une troisime cause de la prosprit
des arts l'ge polythiste est le fait que cette conception reli-
gieuse ouvre le champ moral et mme social leur activit, le
ftichisme ne leur ayant offert que le champ purement matriel.
Enfin, le polythisme, religion par excellence populaire, assurait
aux arts une popularit qu'ils n'ont jamais depuis retrouve.
Sous le troisime et dernier tat thologique, l'ge du mono-
thisme, les beaux-arts devaient perdre quelque peu le
magnifique
essor que leur imprima le polythisme. Pourtant la musique et
l'architecture firent des rapides progrs pendant le Moyen Age,
poque caractrise, d'une part, par l'accentuation de l'indpen-
dance personnelle et, d'autre, par l'embellissement de la vie domes-
tique
(2).
Le catholicisme aida les beaux arts en dveloppant l'acti-
vit spculative chez toutes les classes et en offrait une destination
permanente chacun de ces arts
;
en effet, les cathdrales de-
vinrent des muses, o la musique, la peinture, la sculpture et
l'architecture figurrent. La religion catholique usa mme, envers
les artistes, de puissants moyens d'encouragement individuel.
Le Moyen Age est le berceau de la grande volution esthtique
des socits modernes. Tant que l'esclavage et la guerre ont carac-
tris l'conomie sociale, il est clair que les beaux arts ne pouvaient
rellement acqurir une grande popularit. L'volution industrielle,
propre la fin du Moyen Age, favorisa les beaux-arts en les vulga-
risant
(3).
(1)
Ibid., vol. V, p. 101.
(2)
Ibid., vol. VI,
p. 146.
(3)
Ibid., vol. VI, p. 1G2.
A.UGUSE COMTE
16?
Comte pense que le rgime positif,
qui est l'tat vers lequel
l'humanit
voluera de plus en plus, sera trs fcond pour les
beaux arts. L'essor esthtique ne
suppose pas seulement un tal
social assez fortement caractris pourcomporter une idalisation
nergique : il demande, en outre, que cet tat quelconque soit
assez stable pour permettre spontanment, entre l'interprte et le
spectateur, cette intime harmonie pralable sans laquelle l'action
(U^ beaux-arts ne saurait obtenir habituellement une pleine effica-
cit

(1).
Or, ces deux conditions ne se sont rencontres que chez
les anciens; elles ne pourront tre ralises de nouveau que sous
l'ascendant de la gnration positive rserve notre sicle.
Telle est la conception de l'volution historique de l'art, qu'on
trouve dans le Cours de philosophie positive. Quant a l'ordre d'appa-
rition des diffrents arts, voici ce que Comte crit : Il consiste en
ce que chaque art a d se dvelopper d'autant plus tt, qu
:
il tait,
par sa nature, plus gnral, c'est--dire susceptible de l'expression
la plus varie et la plus complte, qui n'est point toujours, beau-
coup prs, la plus nette ni la plus nergique
;
d'o rsulte, comme
srie esthtique
fondamentale, la posie, la musique, la peinture,
la sculpture et enfin l'architecture, en tant que moralement expres-
sive
[2).
Pour Comte, les facults esthtiques de l'homme sont, en quel-
que sorte, intermdiaires entre les facults purement morales et les
facults proprement intellectuelles : leur but les rattache aux unes,
leur moyen aux autres. Elles sont destines l'idale reprsenta
tion sympathique des divers sentiments qui caractrisent la nature
humaine. Elles peuvent agir et sur l'ducation morale et sur l'du-
cation intellectuelle. La science, il est vrai, a besoin de l'esprit
analytique et abstrait, tandis que l'art est fond sur l'esprit synth-
tique et-concret. Pourtant ces deux esprits possdent des affinits
secrtes
;
ainsi, sous le polythisme, l'essor primitif du gnie esth-
tique exera une grande influence sur l'tat mental de l'humanit,
pour prparer, sous le monothisme, la naissance du vrai gnie
scientifique.
Telles sont les ides principales d'Auguste Comte, louchant l'art
et l'esthtique. Elles font partie de sa conception gnrale de l'uni-
vers, comme une pierre fait partie d'un mur, et il est malais de
(1)
Ibid., vol VI, p. 155.
(2)
Ibid., vol. V, p.
111.
168 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
bien saisir leur valeur et leur importance si l'on ignore l'ensemble
du systme auquel elles appartiennent.
Auguste Comte, mieux que personne, a mis en pleine lumire la
dpendance troite des arts de l'tat social ou religieux dans lequel
ils prennent naissance et se dveloppent. Mais, beaucoup plus que
cette dmonstration de la relativit sociale de l'art, l'esprit gnral
de son Cours de philosophie positive devait avoir une influence salu-
taire sur l'volution de l'esthtique.
3.

Cette mme ide de la relativit de l'uvre d'art, on la
retrouve dans les ouvrages de Sainte-Beuve, expose au point de
vue de la critique littraire. 11 ne faut pas chercher un systme, ni
une esthtique complte dans les livres de Sainte-Beuve; quelques
ides parses dans ses nombreux crits et les critiques qu'il a for-
mules contre Taine, c'est tout ce qu'on peut glaner dans son im-
mense uvre.
Sainte-Beuve saisit toute la complexit du problme de la relati-
vit de l'uvre d'art
;
il comprend que pour dterminer un fait
aussi complexe qu'une uvre d'art, toutes les sciences humaines
ne suffisent pas, la psychologie, la physiologie, la considration
du rapport des uvres non plus seulement avec leur temps, mais
avec leur auteur, avec son temprament, avec son ducation,
largit encore la base, dplace le point de vue, et transforme les
mthodes de la critique
(1).
Vers 1851, dj, Sainte-Beuve sentait le besoin d'introduire la
ralit dans la critique. Ce que j'ai voulu en critique, crivait-il,
y'a t d'y introduire une sorte de charme et en mme temps plus
de ralit qu'on n'en mettait auparavant, en un mot, de la posie
la fois et quelque physique
(2).
Et cette pense que nous avons trouve chez l'abb Dubos et vers
la fin du xvm
e
sicle, chez Marmontel, d'une histoire naturelle de la
posie, nous la retrouverons, mais cette fois applique, dans l'u-
vre de Sainte-Beuve. Je n'ai plus qu'un plaisir, crit-il, janalysc
j'herborise, je suis un naturaliste des esprits.

Ce que je voudrais
constituer, c'est l'histoire naturelle littraire
(3). Et, un peu plus
loin, Sainte-Beuve ajoute : 11
y
a lieu plus que jamais aux juge-
(1) F. Hrunetire, L'Evolution des genres, p. 17.
(2)
Portraits littraires, t. III. Pense 10, 1831, p. 54<>.
(3)
Loc. cit., Pense 20.
SAINTE-BEUVE
169
ments qui tiennent au vrai got, mais il ne s'agit plus de venir
porter des jugements de rhtorique. Aujourd'hui, l'histoire litt-
raire se fait comme l'histoire naturelle, par des ohservations et par
des collections (I).
Sainte-Beuve indique comment il faut mener l'enqute sur
l'homme et l'uvre qu'on tudie, comment il faut constituer les
collections de documents. Le passage suivant, si caractristique,
est trs connu : On ne saurait s'y prendre de trop de faons, et
par trop de bouts, pour connatre un homme, c'est--dire autre
chose qu'un pur esprit. Tant qu'on ne s'est pas adress sur son
auteur un certain nombre de questions, et qu'on n'a pas rpondu,
ne fut-ce que pour soi seul et tout bas, on n'est pas sr de le tenir
tout entier, quand mme ces questions sembleraient les plus tran-
gres la nature de son esprit :

Que pensait-il en religion?
Comment tait-il alfect du spectacle de la nature?
Comment se
comportait-il sur l'article des femmes? sur l'article de l'argent?
Etait-il riche, tait-il pauvre?

Quel tait son rgime? etc.

Enfin, quel tait son vice et son faible? Tout homme en a un. Au-
cune des rponses ces questions n'est indiffrente pour juger
l'auteur d'un livre ou le livre lui-mme, si c'est surtout un ouvrage
littraire, c'est--dire o il entre de tout.
Ce que Sainte-Beuve comprend, c'est surtout la complexit de la
question dont il s'occupe : ainsi il critique et avec beaucoup de
force les thories trop simplistes de Taine. Nous rencontrerons
plus loin ces critiques qui restent. encore entirement vraies.
If. Lanson, dans le mme ordre d'ides, crit que la mthode de
Sainte-Beuve vrai dire, ne lui indique qu'une direction gn-
rale : ramasser tout ce qu'il peut du vrai, en regardant tout ce
qu'il peut du rel. Il demeure toujours libre de choisir ses moyens :
il n'en exclut aucun. Il les essaie tous tour de rle, pour tter ce
qu'ils donnent. 11 regarde dj le milieu, et le moment, et la race,
mais il regarde bien d'autres choses encore : ce n'est pas trois
questions qu'il se pose sur un crivain, c'est vingt
(2).
C'est l le mrite capital de Sainte-Beuve
;
tout en ayant com
pris que l'uvre d'art est relative et qu'on doit la dterminer, il
n'a pas cru que la question ft aussi simple qu'elle le paraissait de
prime abord. ... Lorsqu'on dit, crit-il, et qu'on rpte que la
(1)
Loc. cit., Pense 21.
(2) G. Lanson

Sainte-Beuve. Revue de Belgique, 15 janv. 1905, p. 25.
170 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
littrature est l'expression de la socit, il convient de ne l'entendre
qu'avec bien des prcautions et des rserves
(1).
Taine a simplifi trop le problme
;
il a cru qu'en fixant quel-
ques relations, on dterminait du mme coup l'apparition de
l'uvre. En comparant ces deux conceptions, nous saisirons
mieux leurs diffrences.
4:.

Dans la Correspondance de Gustave Flaubert on trouve
des ides esthtiques peu diffrentes de celles de Sainte-Beuve et,
coup sr, fort intressantes.
Anatole France, dans La Vie littraire, a crit : Les ides de
Flaubert sont pour rendre fou tout homme de bon sens. Elles sont
absurdes et si contradictoires que quiconque tenterait d'en conci-
lier seulement trois serait vu bientt pressant ses tempes des deux
mains pour empcher sa tte d'clater. La pense de Flaubert tait
une ruption et un cataclysme. Cet homme norme avait la logique
d'un tremblement de terre
(2).
Mais, Anatole France semble avoir
t, pour une t'ois, trop svre; les ides artistiques et esthtiques
de Flaubert
(3)
ne nous paraissent pas aussi incohrentes que veut
nous le faire croire le critique de La Vie littraire.
Un des problmes esthtiques qui semble avoir le plus et le plus
longtemps proccup l'esprit de Flaubert, est celui du fond
et de la
forme dans l'uvre d'art. Il crivait dj en 1846 M
me
X. :
Pour-
quoi dis-tu sans cesse que j'aime le clinquant, le chatoyant, le pail-
let ! pote de la forme ! c'est l le grand mot que les utilitaires
jettent aux vrais artistes. Pour moi, tant qu'on ne m'aura pas, d'une
phrase donne, spar la forme du fond, je soutiendrai que ce sont
l deux mots vides de sens. Il n'y a pas de belles penses sans belles
formes et rciproquement
Supposer une ide qui n'ait pas de
forme, c'est impossible, de mme qu'une forme qui n'exprime pas
une ide
(4).
Onze ans aprs, Flaubert crira des penses analo
gus sur la mme question. Vous me dites que je fais trop atten-
(1)
Nouveaux Lundis, t. VIII, Articles sur Taine, p. 66 138 (crits en 1864
et publis en volume eu 1867).
(2)
La Vie littraire. 3
e
srie. Art. Les ides de G. Flaubert. Vol. III,
p.
298.
(3)
Consulter
:

Correspondance. Quatre sries : 1830-18;50, 1850-1854,
1854-1869, 1869-1880.

Prface aux Dernires chansons (posies posthumes de Louis Bouilhet).


1870.

l'ar les champs et par les grves. 1847 (publi ;ipres la mort de Flaubert).
(4)
Lettre JM
mt
X. du 18 sept. 1846.
G. FLAUBERT
171
lion la forme. Hlas! c'est comme le corps et l'me, la forme et
l'ide
;
pour moi, c'est tout un et je ne sais pas ce qu'est l'un sans
l'autre. Plus une ide est belle, plus la phrase est sonore, soyez-en
sre. La prcision de la pense fait (et est elle-mme) celle du
mot
(1).
Et, on retrouve la mme ide dans une lettre Ceorge
Sand de 1876 ;
en vrit, pour Flaubert l'intime union du fond et
de la forme fut une de ses ides directrices. C'est en se fondant sur
elle qu'il donnait une solution au problme de la moralit dans
l'art. Sa nice, dans la Prface de la Correspondance, nous dit, en
elfet, que Flaubert
jugeait qu'aucun livre n'est dangereux, s'il
est bien crit; cette opinion venait chez lui de l'union intime qu'il
faisait du fond et de la forme, quelque chose de bien crit ne pou-
vant pas tre mal pens, conu bassement. Ce n'est pas le dtail
cru, le fait brut qui est pernicieux, nuisible, qui peut souiller l'in-
telligence, tout est dans la nature ;
rien n'est moral ou immoral,
mais l'me de celui qui reprsente la nature la rend grande, belle,
sereine, petite, ignoble ou tourmentante. Des livres obscnes bien
crits, il ne pouvait en exister, selon lui
(2).
En gnral, pour Flaubert, le but de l'art est de raliser le beau.
On reproche aux gens qui crivent en bon style de ngliger
l'ide, le but moral, crivait-il M
me
X..., comme si le but du m-
decin n'tait pas de gurir, le but du rossignol de chanter, comme
si le but de l'art n'tait pas le beau avant tout
(3).
LJmotion que
le beau procure l'aide surtout de la rverie
(4),
est dsintres-
se (o).
L'art doit prsenter Y idal; ce dernier terme prend une signifi-
cation toute spciale chez Flaubert. Voici un passage d'une letlre
adresse M
me
X., o le romancier explique sa conception de
l'idal : Il ne faut jamais craindre d'tre exagr, tous les trs
grands l'ont t, Michel-Ange, Rabelais, Shakespeare, Molire
;
il
s'agit de faire prendre un lavement un homme (dans Pourceau-
gnac), on n'apporte pas une seringue, non, on emplit le thtre de
seringues et d'apothicaires, cela est tout bonnement le gnie dans
son vrai centre, qui est l'norme. Mais pour que l'exagration ne
paraisse pas, il faut qu'elle soit partout continue, proportionne,
(1)
Lettre M
1
"
Leroyer de Chantepie, du 12 dc. 1857.
(2)
Loc. cit. vol. I, p. XXV.
(3)
Lettre M
me
X. du 18 sept. 1846.
(4)
Lettre M"' Leroyer de Chantepie du 18 fv. 18o9.
(5)
Lettre M
me
X. 1833. Vol. II, p.
236.
172 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
harmonique elle-mme
;
si vos bonshommes ont cent pieds, il
faut que les montagnes en aient vingt mille, et qu'est-ce donc que
l'idal, si ce n'est ce grossissement-l?
(1).
Plus tard, Flaubert
reviendra cette ide
;
ainsi, il crira : Notre cur ne doit tre
bon qu' sentir celui des autres. Soyons des miroirs grossissants
de la vrit externe
(2).
Mais, en gnral, l'idal pour lui se con-
fondra avec le gnral
(3)
et le typique
(4).
L'art est un mensonge suprieur et, comme tout mensonge, doit
produire en nous l'illusion. La premire qualit de l'art et son
but est l'illusion)) (5).
Flaubert crit ailleurs : Oui, travaille, aime
l'art.

De tous les mensonges, c'est encore le moins menteur


(6).
Et, dans la Prface aux Dernires cliansons de Louis Bouilhet
(1870),
il crit : Enfin, si les accidents du monde, ds qu'ils sont perus,
vous apparaissent transposs comme pour l'emploi d'une illusion
dcrire, tellement que toutes les choses,
y
compris votre existence,
ne vous sembleront pas avoir d'autre utilit, et que vous soyez rso-
lus toutes les avanies, prts tous les sacrifices, cuirasss toute
preuve, lancez-vous, publiez! L'ide de Flaubert est que dans
l'art on doit peindre les faits extrieurs au point de vue d'une
bla(/uc suprieure, c'est--dire comme le bon Dieu les voit d'en haut.
Toutes ces ides esthtiques de Flaubert que nous venons d'ex-
poser, n'offrent qu'un intrt tout fait secondaire. Si nous avons
class l'auteur de Salammb la suite de Sainte-Beuve et dans le
mme chapitre que Taine, c'est qu'il a des affinits avec ces esth-
ticiens. En effet, Flaubert a dvelopp des ides positives ef scien-
tifiques sur la critique littraire et l'esthtique qui nous paraissent
fort intressantes. // faut faire, crit-il, de la critique comme on
fait
de l'histoire naturelle, avec absence d'ide morale, il ne s'agit
pas de dclamer sur telle ou telle forme, mais bien d'exposer en
quoi elle consiste, comment elle se rattache une autre et par quoi
-
elle vit (l'esthtique attend son Geoffroy Saint-llilaire, ce grand
(1)
Lettre M"* X. de l'anne 18153. Vol. II, p. 247. A noter que Victor Hugo
avait dvelopp une ide analogue dans la Prface de Marie Tudor. Voici le
passage : Dgager perptuellement le grand travers le vrai, le vrai travers
le grand, tel est donc, selon l'auteur de ce drame, le but du pote au thtre. Et
ces deux mots, grand et vrai, renferment tout. La vrit contient la moralit,
le grand contient le beau .
(2) Lettre M
mc
X. de l'anne 1853. Vol. II, p. 349.
(3)
Lettre E. Keydeau de l'anne 1861. Vol. III, p.
201t.
(4)
Lettre G. Sand de l'anne 1866. Vol. III,
p.
306.
(5)
Lettre M"" X. de l'anne 1853. Vol. II, p.
320.
(6)
Lettre M" X. de l'anne 1846 (9 aot).
G. FLAUBERT
\~\]
homme qui a montr la lgitimit des monstres). Quand on aura
pendant quelque temps trait l'me humaine avec l'impartialit
que l'on mel dans les sciences physiques tudier la matire, on
aura fait un pas immense ; c'est le seul moyen l'humanit de se
mettre un peu au dessus d'elle-mme. Elle se considrera alors
franchement, purement dans le miroir de ses uvres, elle sera
comme Dieu, elle se jugera d'en haut.

Eh bien, je crois cela
faisable; c'est peut-tre, comme pour les mathmatiques, rien
qu'une mthode trouver. Elle sera applicable avant tout l'art
et la religion, ces deux grandes manifestations de l'ide
;
que l'on
commence ainsi, je suppose : la premire ide de Dieu tant donne
(la plus faible possible), le premier sentiment potique naissant (le
plus menu qu'il soit), trouver d'abord sa manifestation, et on la
trouvera aisment chez l'enfant sauvage, etc.
;
voil donc un pre-
mier point
;
l vous tablissez dj des rapports
;
puis, que l'on
continue, et en tenant compte de tous les contingents relatifs, cli-
mat, langue, etc.
;
donc, de degr en degr, on peut s'lever ainsi
jusqu' l'art de l'avenir, et l'hypothse du Beau, la conception
claire de sa ralit, ce type idal o tout notre effort doit tendre
;
mais ce n'est pas moi qui me chargerai de la besogne, j'ai d'autres
plumes- tailler
(1).
Ailleurs, Flaubert avait dj crit : La
conclusion, la plupart du temps, me semble acte de btise. C'est l
ce qu'ont de beau les sciences naturelles : elles ne veulent rien
prouver. Aussi quelle largeur de faits et quelle immensit pour la
pense ! Il faut traiter les hommes comme des mastodontes et des
crocodiles; est-ce qu'on s'emporte propos de la corne des uns et
de la mchoire des autres ? Montrez-les, empaillez-les, bocalisez les,
voil tout, mais les apprcier, non
;
et qui tes-vous donc vous-
mmes, petits crapauds ?
(2).
On voit, par ces passages, comment
Flaubert concevait une science sociale et une esthtique objective.
Ces mmes ides positives, un moment donn, il les mlange
avec ses ides artistiques et arrive ainsi, bien avant Zola, une
conception scientifique du roman. Mais vite Flaubert rejette cette
conception btarde de l'art; il critique d'ailleurs Zola de s'y tre
arrt. L'aplomb de Zola, crit il en matire de critique, s'expli-
que par son inconcevable ignorance
(3).
(l,i Lettre M- X. de l'anne 1853. Vol. II, p. 338.
(2)
Lettre M
rae
X. de l'anne 1853. Vol. II, p.
196-197.
(3)
Lettre M" R. de Genettes, 1878. Vol. IV, p. 292.
174 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
Dans la Correspondance de Flaubert, on trouve, ct de ces
ides intressantes, une conception du beau pur, ternel, rsidant
dans la l'orme. Le romancier compare cette beaut divine, dans une
lettre trs connue adresse George Sand, un mur nu de l'Acro-
pole. C'est cette conception qu'Anatole France, dans la critique
que nous avons cite, semble condamner surtout. En effet, les
ides de Flaubert sur ce concept absolu sont fort vagues
;
mais
ct de cette ide platonicienne dans laquelle Flaubert s'enfonce
comme un buffle dans un lac couvert de hautes herbes , selon
le mot d'Anatole France, on rencontre ses ides scientifiques sur
la critique littraire et l'esthtique en gnral, qui nous semblent
d'un haut intrt.
5.

L'uvre esthtique de Taine forme un systme tendances


scientifiques

mais un systme bien dfini auquel on ne peut ni
retrancher, ni ajouter rien d'essentiel
(1).
On peut la diviser en deux parties : celle, la plus importante, qui
gravite entire autour de l'ide du dterminisme scientifique et
l'autre que l'on trouve dans son livre : L'Idal dans l'art et qui
trahit un idalisme mal dissimul sous des apparences pseudo-
scientifiques.
La vie de Taine est trop connue pour qu'on soit oblig de la rsu-
mer longuement ici. N en 1828, docteur en 1853 et laurat de
(1)
Hipp. Taine, Philosophie de l'art, 1865.

Philosophie de l'art en Italie, 1866.

De l'idal dans l'art, 1867.

Philosophie de l'art en Grce, 1869.


Les quatre essais sous le titre gnral Philosophie de l'art, 1881,2 vol. (Nous
utilisons la
13
dition, 1909). Ou peut consulter spcialement sur l'esthtique de
Taine les ouvrages suivants :
Ant. Molire, Etude sur la philosophie de l'art de M. Taine, 1866.
E. Zola, Mes haines (Art. M. II. Taine, artiste), 1866.
Ren Mnard, Les Thoriciens de l'art (l'Anne philosophique), 1867.
M. Reymond, L'Esthtique de M. Taine (extrait du Contemporain), 1883.
Amde de Margerie, //. Taine, 1894.
Monod, Renan, Taine, Michelet, 1891 (pour la biographie).
G.*Pelissier, Nouveaux essais sur la littrature contemporaine (Taine cri-
tique littraire), 1895.
G. Barzelotti, La philosophie de H. Taine, 1900 (publie en italien, en 1895).
Mockel, La Mthode de Taine (Revue de Belgique), 1897.
E. Faguet, Politiques et moralistes du xix
c
sicle. Troisime srie : Taine,
1900.
Pladau, Rfutation esthtique de Taine, 1906.
Les tudes moins importantes uous les signalerons, en les citant, plus loin.
II. TAINE 17."i
l'Institut en is.'i.'i, il tait dj cette poque admirateur de la m-
thode scientifique. En
1856,
publiant son livre couronn, l'Essai
s)ir Tite f.ice, il ajoute dans la Prface cette phrase qui irrita l'Aca-
dmie. L'homme, dit Spinoza, n'est pas dans la nature comme
un empiie dans un empire, mais comme une partie dans un tout,
et les mouvements de l'automate spirituel qui est notre tre sont
aussi rgls que ceux du monde matriel o il est compris . Ces
quelques mots contiennent en germe toutes ses ides futures.
Le 26 octobre 18<i'i, Tairie remplaa Viollet-le-Duc, comme pro-
fesseur d'esthtique et d'histoire de l'art l'Ecole des Beaux-Arts.
Cette nomination alarma Monseigneur Dupanloup qui lana son
Avertissement la jeunesse et aux pres de famille, dirig contre
Taine, Renan et Littr.
De fvrier mai 1864, Taine voyagea en Italie, et partir de
186o il publia, au fur et mesure, les leons d'esthtique qu'il
donnait l'Ecole des Beaux Arts. Il
y
professa de 1864 1883 avec
une interruption de 1876 1877. Ses leons, douze par an, rsu-
mes, forment la Philosophie de l'art.
Examinons sa doctrine.
L'uvre d'art, comme l'univers entier, est strictement dter-
min. Pour saisir le sens de l'uvre, il faut trouver les conditions
qui lui ont donn naissance. Ces conditions peuvent tre rsumes
en trois classes
; il faut dterminer :
1
le milieu dans lequel l'u-
vre a vu le jour
;
2
la race qui l'a cre et 3
le moment historique
pendant lequel l'uvre a t produite.
Dans l'Histoire de la littrature anglaise
(1863), nous trouvons
dj le dveloppement complet de toutes ces ides. Voici comment
Taine expose sa thorie du milieu dans ce livre : L'homme n'est
pas seul dans le monde ;
la nature l'enveloppe et les autres hom-
mes l'entourent; sur le pli primitif et permanent viennent s'taler
les plis accidentels et secondaires, et les circonstances physiques
et sociales drangent o compltent le naturel qui leur est livr.
Tantt le climat a fait son effet... Tantt les circonstances poli-
tiques ont travaill... Tantt enfin les conditions sociales ont
imprim leur marque...
Ce qu'on appelle la race, d'aprs la Prface de XHistoire de la
Littrature anglaise, ce sont ces dispositions innes et hrdi-
taires que l'homme apporte avec lui la lumire et qui ordinaire-
ment sont jointes des diffrences marques dans le temprament
et dans la structure du corps. Elles varient selon les peuples. 11
y
176 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L ESTHTIQUE
a naturellement des varits d'hommes comme des varits de tau-
reaux et de chevaux, les unes braves et intelligentes, les autres
timides et bornes
;
les unes capables de conceptions et de cra-
tions suprieures, les autres rduites aux ides et aux conceptions
rudimentaires; quelques-unes appropries plus particulirement
certaines uvres et approvisionnes plus richement de certains ins-
tincts .
D'aprs la mme Prface, voici comment il faut entendre le mo-
ment. Avec les forces du dedans et du dehors, il
y
a l'uvre
qu'elles ont dj faite ensemble, et cette uvre elle-mme contribue
produire celle qui suit
;
outre l'impulsion permanente et le milieu
donn, il
y
a la vitesse acquise. Quand le caractre national et les
circonstances oprent, ils n'oprent point sur une table rase, mais
sur une table o des empreintes sont dj marques. Selon qu'on
prend la table un moment ou un autre, l'empreinte est diff-
rente, et cela suffit pour que l'effet total soit diifrent. Il en est ici
d'un peuple comme d'une plante : la mme sve sous la mme
temprature et sur le mme sol produit, aux divers degrs de son
laboration successive, des formations diffrentes, bourgeons,
fleurs, fruits, semences, en telle faon que la suivante a toujours
pour condition la prcdente, et nat de sa mort. Que si vous regar-
dez non plus un court moment, mais quelqu'un de ces larges dve-
loppements qui embrassent un ou plusieurs sicles, comme le
moyen-ge ou notre dernire poque classique, la conclusion sera
pareille. Une certaine conception dominatrice
y
a rgn
;
les hom-
mes, pendant deux cents ans, cinq cents ans, se sont reprsent un
certain modle idal de l'homme, au moyen-ge, le chevalier et le
moine, dans notre ge classique l'homme de cour et le beau par-
leur
;
et cette ide cratrice et universelle s'est manifeste dans le
champ de l'action et de la pense, et, aprs avoir couvert le monde
de ses uvres involontairement systmatiques, elle s'est alanguie.
puis elle est morte, voici qu'une nouvelle ide se lve, destine
une domination gale et des crations aussi multiples.
Transportons ces trois ides dans le domaine de l'esthtique.
L'uvre d'art n'est pas isole

l'oasis dans le dsert

elle forme
un ensemble avec les uvres contemporaines, c'est l'arbre dans la
fort. Autour de l'artiste de gnie, on peut rassembler les artistes
de second ordre, cette gerbe de talents dont il n'est que la plus
haute tige
(1).
Et toute cette famille d'artistes on doit la replacer
(1)
Philosophie de l'art, vol. I, p. 4.
H. TAINK 177
dans la socit o ils ont vcu. De mme, crit Taine, qu'il
y
a
une temprature physique qui, par ses variations, dtermine l'ap
plication de telle ou telle espce de plantes, de mme il
y
a une
temprature morale qui, par ses variations, dtermine l'apparition
de telle ou telle espce d'art (l). Pour comprendre une oeuvre
d'art, un artiste ou une famille d'artistes, il faut les placer exacte-
ment dans le milieu o ils ont vcu, il faut saisir les murs de ce
milieu et l'tat gnral de l'esprit.
Ainsi, si l'on arrivait dfinir la nature de chaque art en dfi-
nissant les conditions qui le font natre, prosprer et mourir, nous
aurions, d'aprs Taine, une esthtique, non dogmatique, mais
scientifique et historique.
Une telle philosophie des beaux-arts, ayant la mthode scienti-
fique pour appui, ne proscrit ni ne pardonne
;
elle constate et ex-
plique..., elle fait comme la botanique qui tudie, avec un intrt
gal, tantUl'oranger et le laurier, tantt le sapin et le bouleau
;
elle est elle-mme une sorte de botanique applique, non aux
plantes, mais aux uvres humaines
(2).
La loi donc, de la production de l'uvre d'art, est la suivante :
L'uvre d'art est dtermine par un ensemble qui est l'tat
gnral de l'esprit et des murs environnantes
(3).
Dterminer
cet ensemble, c'est dterminer l'uvre d'art et c'est l la. tche de
l'esthticien.
Cette loi

c'est--dire le fait que l'tat gnral des murs et
des esprits, cette temprature morale, agit et dtermine la produc-
tion de l'uvre

on peut la vrifier ou logiquement en prenant
un cas possible ou historiquement. Voici la preuve logique : suppo-
sons un milieu o la tristesse domine
;
l'artiste sera amen pro-
duire une uvre triste. S'il se rencontre des naturels joyeux, ils
seront attrists par leurs malheurs personnels. L'ducation et la
conversation courante les rempliront d'ides tristes. La facult par-
ticulire et suprieure par laquelle ils dgagent et amplifient les
caractres saillants des objets ne dmlera dans les objets que les
caractres tristes.'L'exprience et le travail des autres ne leur four-
niront de suggestions et de coopration que dans les sujets tristes.
Enfin, la volont dcisive et bruyante du public ne leur permettra
(1)
Loc. cil,, vol. I, p. 9.
(2)
Loc. it , vol. I, p.
12-13.
(3)
Loc. cit., vol. I, p. 49.
12
178 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
que des sujets tristes. Par consquent, l'espce des artistes et des
uvres d'art propres manifester la belle humeur et la joie dispa-
ratra ou finira par se rduire presque rien
(1).
Taine accepte une slection naturelle entre les talents : ... on
pourra concevoir, dit-il, la temprature morale comme faisant un
choix entre les diffrentes espces de talent, ne laissant se dvelop-
per que telle ou telle espce, excluant plus ou moins compltement
les autres
(2).
. D'autre part, Taine donne, pour vrifier sa loi, quatre cas histo-
riques comme preuves. Dans l'antiquit grecque, la perfection cor-
porelle et l'quilibre des facults, que la vie trop crbrale ou trop
manuelle ne drange pas, donnent naissance la statuaire grecque,
calme, parfaite, quilibre, correspondant bien son milieu. Au
moyen ge, l'intemprance de l'imagination surexcite et la dli-
catesse de la sensibilit fminine, donnent le jour la cathdrale
;
l'intrieur de l'difice reste noy dans une ombre froide et les
hommes qui
y
entrent ont l'me triste et
y
cherchent des ides dou-
loureuses. Au xvm
e
sicle, le savoir-vivre du monde et la dignit
des salons aristocratiques produisent la noble tragdie, les jardins
de Versailles et l'art d'crire classique. Enfin, aux temps moder-
nes, la grandeur des ambitions dchanes et le malaise des dsirs
inassouvis, aboutissent l'closion superbe de la musique qui,
mieux que tout autre art, exprime la pense flottante et les dsirs
sans objet et sans limite
(3).
Les longues tudes sur l'art en Grce, en Italie et aux Pays-Bas
sont en mme temps l'illustration, la vrification et l'application
de cette ide du dterminisme qu'exercent le milieu, la race et le
moment sur la production de l'uvre d'art.
Examinons maintenant la partie proprement dogmatique et ida-
liste de l'esthtique de Taine. Qu'est-ce que l'art et en quoi consiste
sa nature? La posie, la sculpture et la peinture sont des arts
d'imitation
;
ils imitent une ralit extrieure. Mais l'imitation
exacte, qui est une condition utile, n'est pas le but de l'art.
L'artiste en prsence de l'objet imiter, doif avant tout avoir
une sensation originale, qui ne peut tre acquise ni par l'tude, ni
par la patience. Cette sensation, selon Taine, est spontane et
(1)
Loc. cil., vol. I, p. 62.
(2)
Loc. cit., vol. I, p.
56.
(3)
Loc. cit.. vol. I, p.
65-102.
II. TAINE 179
s
groupe autour de soi le cortge des ides accessoires, les rema-
nie, les faonne, les mtamorphose et s'en sert pour se manifes-
ter))
(1).
A l'aide de cette sensation, l'imitation de l'artiste, au lieu d'tre
une simple copie est tout autre chose. L'artiste n'imite que les
rapports et les dpendances mutuelles des parties
(2).
Mais, l'ar-
tiste en modifiant les rapports des parties, les modifie dans le
mme sens, avec intention, de faon rendre sensible un certain
caractre essentiel de l'objet, et, par suite, l'ide principale qu'il
s'en fait
(3). Ce caractre essentiel est une qualit dont toutes les
autres drivent suivant des liaisons fixes
(4).
Ce caractre essentiel dans la nature n'est que dominant, par
l'art il devient dominateur. Ainsi le propre d'une uvre d'art est
de rendre le caractre essentiel, ou, du moins, un caractre im-
portant de l'objet, aussi dominateur et aussi visible qu'il se peut,
et, pour cela, l'artiste lague les traits qui le cachent, choisit ceux
qui le manifestent, corrige ceux dans lesquels il est altr, refait
ceux dans lesquels il est annul
(5).
Taine donne donc la dfinition suivante de l'uvre d'art :
L'uvre d'art a pour but de manifester quelque caractre essen-
tiel ou saillant, partant quelque ide importante, plus clairement
et plus compltement que ne le font les objets rels. Elle
y
arrive
en employant un ensemble de parties lies dont elle modifie syst-
matiquement les rapports
(6).
Ces ensembles correspondent
des objets rels pour les trois arts d'imitation, la sculpture, la
peinture et la posie; au contraire, ils deviennent des rapports
mathmatiques dans la musique et l'architecture.
L'artiste se forme une ide du caractre essentiel ou saillant, et
d'aprs cette ide, en modifiant les rapports des diffrentes parties
de l'objet qu'il imite, il cre l'uvre d'art. L'uvre, ainsi cre
d'aprs l'ide de l'artiste, rvle ce qu'on nomme Yidal. Ainsi
les choses passent du rel l'idal lorsque l'artiste les reproduit
en les modifiant d'aprs son ide, et il les modifie d'aprs son ide
lorsque, concevant et dgageant en elles quelque caractre notable,
(1)
Loc. cit.,
180 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS LESTHTIQUE
il altre systmatiquement les rapports naturels de leurs par-
ties, pour rendre ce caractre plus visible et plus dominateur
(1).
Mais alors on peut se poser cette question trs lgitime : Si
toutes les uvres d'art doivent exprimer l'idal, c'est--dire rendre
dominateur un caractre notable, comment les classerons-nous ?
comment jugerons-nous leur mrite ? En d'autres termes, quel
sera le critre en matire artistique ? 11 n'y en aura pas -un, mais
trois.
Tout d'abord, on pourra examiner comment une uvre d'art
rend dominateur le caractre notable. C'est la question de la forme.
On la jugera alors d'aprs le degr de convergence des
effets.
Ensuite, on pourra se demander quelle est l'importance du carac-
tre notable. Mais ici la question se subdivis. Ce caractre notable,
qui correspond la force ou au fond qire l'uvre exprime, on
peut le juger par rapport d'autres forces, c'est le degr d'impor-
tance du caractre ou, par rapport lui-mme, c'est le degr de
bienfaisance du caractre. Examinons ces divers critres qui nous
aideront classer les uvres d'art, en commenant, comme le fait
aine, par ^'importance du caractre.
Il existe dans les sciences naturelles le principe de subordination
des caractres. Dans un tre naturel quelconque certains carac-
tres ont t reconnus comme plus importants que d'autres. La
possession des mamelles est plus fondamentale que la disposition
des membres ou la possession des ailes. ... La conclusion qu'au
bout de leur travail, les sciences naturelles lguent aux sciences
morales, c'est que les caractres sont plus ou moins importants,
selon qu'ils sont des forces plus ou moins grandes
;
c'est que l'on
trouve la mesure de leur force dans le degr de leur rsistance
l'attaque ;
c'est que, partout, leur invariabilit plus ou moins
grande leur assigne dans la hirarchie leur place plus ou moins
haute; c'est qu'enfin leur invariabilit est d'autant plus grande
qu'ils constituent dans l'tre une couche plus profonde et appar-
tiennent, non son agencement, mais ses lments (2).
Appli-
quons ce principe l'homme.
Tout d'abord nous voyons qu'il
y
a des murs, des ides, un
genre d'esprit qui dure trois ou quatre ans, ce sont ceux de la mode
et du moment. Au-dessous s'tend une couche de caractres un
(1)
Loc. cit., vol. 11, p.
223-224.
(2)
Loc. cit., vol. II, p.
244-245.
H. TAINK 18
1
pou plus solides; elle dure vingt, trenle, quarante ans, environ
uni' demi priode historique. Le personnage romantique de 1830
nous offre un exemple de cette seconde couche. Les couches du
troisime ordre possdent des caractres plus importants et qui
durent une' priode historique entire. C'est le Moyen-Age, la Re-
naissance, l'poque classique. En creusant plus profondment,
nous nous trouvons en prsence des caractres stables, inalt-
rables, qui ne changent gure : ce sont les caractres des peu-
ples ou des nations qui durent autant que la vie de ces peuples.
C'est le granit primitif, nous dit Taine, au-dessous duquel on
trouve les caractres propres la race humaine, inaltrables pour
jamais.

A cette chelle de valeurs morales correspond, chelon par


chelon, l'chelle des valeurs littraires. Toutes choses gales
d'ailleurs, selon que le caractre mis en relief par un livre est
plus ou moins important, c'est--dire plus ou moins lmentaire et
stable, ce livre est plus ou moins beau, et vous allez voir les cou-
ches de gologie morale communiquer aux uvres littraires qui
les expriment, leur degr propre de puissance et de dure
(1).
En ralit, nous trouvons qu'il
y
a une littrature de mode qui
dure un ou deux ans; c'est la romance, la farce, la brochure, la
nouvelle en vogue. Ensuite, il
y
a des uvres qui correspondent .
des caractres plus durables et semblent des chefs-d'uvre la
gnration qui les lit
;
ce qui explique le succs de VAstre de
d'Urf ou des romans de M
110
de Scudry. Enfin, nous trouvons
les uvres qui expriment des caractres inaltrables de l'homme
et qui restent des chefs-d'uvre immortels.
Ce qui est vrai de la littrature, est vrai aussi des arts plasti-
ques. Au rang le plus bas il existe les peintres des habits la
mode
;
ensuite on rencontre ceux qui peignent les particularits
de profession ou de condition et au rang le plus haut ceux qui
expriment la beaut du corps humain. Le critre, que nous avons
dvelopp pour les uvres littraires, peut donc s'appliquer
toutes les uvres d'art.
Examinons maintenant le second critrium de l'uvre d'art. Il
est un second point de vue auquel on doit comparer les caractres,
car ils sont des forces naturelles, et, ce titre, ils peuvent tre
valus de deux faons : on peut considrer une force, d'abord par
il) Loc. cit., vol. II, p. 257.
182 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
rapport aux autres, ensuite par rapport elle-mme. Considre
par rapport aux autres, elle est plus grande lorsqu'elle leur rsiste
et les annule. Considre par rapport elle-mme, elle est plus
grande lorsque le cours de ses effets la conduit, non pas s'annu-
ler, mais s'accrotre
(1).
En d'autres termes, il s'agit du degr
de bienfaisance que chaque force prsente.
L'homme, dans la socit, vit ;
or, la vie a deux directions :
l'homme connat ou agit
;
l'homme se sert ou de son intelligence
ou de sa volont. Les caractres de ces deux facults qui aident
l'homme dans l'action ou la connaissance, sont bienfaisants et les
contraires malfaisants. La facult qui tient, dans la socit actuelle,
le plus haut degr de bienfaisance, est, sans aucun doute possible,
la facult d'aimer. A cette classification des valeurs morales corres-
pond une classification des valeurs littraires. Toutes choses gales
d'ailleurs, nous dit Taine, l'uvre qui exprime un caractre bien-
faisant est suprieure l'uvre qui n'exprime qu'un caractre
malfaisant
(2).
Ainsi, en se fondant sur ce nouveau critre, Taine
esquisse un second classement des uvres littraires. Tout d'abord
on rencontre les caractres ralistes ou comiques : Harpagon, Tar-
tuffe, M. Homais, etc., mes rapetisses et boiteuses qui cu-
rent la longue, car il est dplaisant de voir de la vermine,
mme quand on l'crase
(3).
Ensuite, il existe les types puissants
mais incomplets et en gnral dpourvus d'quilibre, tels qu'on
les rencontre chez Shakespeare ou Balzac, ce sont les Hamlet,
Romo, ou les Goriot, Grandet, cousin Pons, etc. Les vritables
hros tiennent le sommet de l'chelle : Eugnie Grandet. D'ail-
leurs, ces crations idales naissent surtout aux poques primitives
et naves dans les pomes piques : Achille, Roland, etc.
Pour l'homme physique, le premier caractre bienfaisant, c'est
la sant
;
l'intgrit du type naturel vient ensuite et bien avant les
difformits gnrales ou professionnelles. D'aprs cet ordre de va-
leurs physiques bienfaisantes, on peut classer les uvres des arts
plastiques exactement comme les uvres littraires.
[/importance du caractre et la bienfaisance sont deux faces
d'une qualit unique, la force

ou ce que nous pourrions ap-
peler le fond, le sujet de l'uvre d'art. Mais ct du fond
(1)
Loc. Cit., vol. II, p.
282.
(2)
Loc. cit., vol. II, p. 289.
(3)
Loc. cit., vol. II, p.
291.
II. TAINK
1^3
il
y
a la forme ;
il
y
a donc encore un critre, celui que Taine
appelle : le degr de convergence des
effets
el qui correspond dans
sa dfinition de l'uvre d'art, la manire de rendre dominateur
le caractre.
Taine crit : ... dans un tableau, une statue, un pome, un
difice, une symphonie, tous les effets doivent tre conver-
gents
(1).
Dans la littrature, les caractres, les situations, les
vnements, l'action et le style doivent tre en harmonie. Plus
l'artiste a dml et fait converger dans son uvre des lments
nombreux et capables d'effet, plus le caractre qu'il veut mettre en
lumire devient dominateur ;
l'art tout entier tient en deux paroles :
manifester en concentrant (2).
Dans les arts plastiques, l'corch
et la peau doivent
s'harmoniser comme doit- concorder l'attitude
avec la physionomie, les lignes, les masses et la couleur. D'aprs
ce principe, on peut classer une dernire fois, les uvres d'art :
Toutes choses gales d'ailleurs, elles seront plus ou moins belles,
selon que la convergence des effets sera chez elles plus ou moins
complte
(3).
Pendant les poques primitives, l'artiste ne sait pas faire con-
verger tous les effets

en littrature comme dans les arts plas-
tiques
_
de mme pendant les poques de dcadence, tout en
sachant tous les procds de son art trs bien, comme son sen-
timent est faible, la convergence des effets est faible aussi. Cette
convergence des effets on la trouve au centre des ges littraires
ou artistiques : c'est le moment o un art fleurit; auparavant il
tait en germe ;
un peu plus tard il sera fan.
Tels sont donc les trois critres de l'uvre d'art que Taine pro
pose. Nous pouvons maintenant embrasser d'un seul coup d'il le
systme esthtique de Taine. D'une part, un strict dterminisme,
qui tait dj entier dans eette phrase de la prface de La Fontaine
et ses fables
: l'homme est un animal d'espce suprieure qui pro-
duit des philosophies et des posies, peu prs comme les vers
soie font leurs cocons et comme les abeilles font leurs ruches . Ce
dterminisme s'appuie sur le milieu, la race et le moment. D'autre
part, un idalisme caractres
scientifiques qui, malgr tout,
cadre assez mal avec le dterminisme.
Ces deux thses, et surtout la premire, sont appuyes sur un
(1)
Loc. cit., vol. II, p.
315.
(2)
Loc. cit., vol. II, p.
324.
(3)
Loc. cit., vol. II, p.
32..
184 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
nombre incalculable d'exemples, sur des vues gnrales et pour
ainsi dire panoramiques de l'histoire de l'art, et sur une tude des
conditions sociales, politiques, gographiques ou conomiques des
diffrentes poques que Taine examine.
Essayons d'analyser ces thories pour trouver leur ct faible
;
et, comme l'esthtique de Taine a t trs longuement tudie par
plusieurs penseurs, examinons, avant tout, leurs critiques.
Un des points du systme de Taine qu'on a le plus critiqu, c'est
que dans la production de l'uvre d'art il oublie un des lments
les plus importants, si ce n'est le plus important de tous

la per-
sonnalit de l'artiste et le gnie crateur.
Sainte-Beuve, dont nous avons vu que les ides, parce qu'elles
taient moins systmatises, taient moins troites que celles de
Taine, ds 1864, adresse cette critique ce dernier. C'est qu'il
n'y a rien, je le rpte, crit Sainte-Beuve, de plus imprvu que le
talent, et il ne serait pas le talent s'il n'tait imprvu, s'il n'tait
un seul entre plusieurs, un seul entre tous
(1).
Et il continue :
Je ne sais si je m'explique bien
;
c'est l le point vif que la m-
thode et le procd de M. Taine n'atteint pas, quelle que soit son
habilet s'en servir. Il reste toujours en dehors, jusqu'ici, chap-
pant toutes les mailles du filet, si bien tiss qu'il soit, cette chose
qui s'appelle l'individualit du talent, du gnie. Le savant critique
l'attaque et l'investit, comme ferait un ingnieur
;
il la cerne, la
presse et la resserre, sous prtexte de l'environner de toutes les
conditions extrieures indispensables : ces conditions servent, en
effet, l'individualit et l'originalit personnelle, la provoquent, la
sollicitent, la mettent plus ou moins mme d'agir ou de ragir,
mais sans la crer. Cette parcelle qu'Horace appelle divine, et qui
l'est du moins dans le sens primitif et naturel, ne s'est pas encore
rendue la science, et elle reste inexplique. Ce n'est pas une rai-
son pour que la science dsarme et renonce son entreprise coura-
geuse. Le sige de Troie a dur dix ans
;
il est des problmes qui
dureront peut-tre autant que la vie de l'humanit mme ().
Plus loin dans la mme srie d'articles, Sainte-Beuve crit : Je ne
dirai pas avec un pote de nos jours et des plus originaux : Qu'est-
ce qu'un grand pote? C'est un corridor o le vent passe. Non, le
(1)
Nouveaux Lundis, t. VIII, p. 87. Les articles sur Taine ont t crits
en 1864.
(2)
Nouveaux Lundis, t. VIII, ibid.
H. TAINE 185
pote n'est pas une chose si simple, ce n'est pas une rsultante ni
mme un simple foyer rflecteur; il a son miroir lui, sa monade
individuelle unique, 11 a son nud et son organe travers lequel
tout ce qui passe se transforme et qui, en renvoyant, combine et
cre ;
mais le pote ne cre qu'avec ce qu'il reoit. C'est en ce point,
je pense, que je redeviens tout fait d'accord avec M. Taine
(1).
Sainte-Beuve essaiera de montrer que le dterminisme de Taine
n'est pas suffisant, car ou ne connat jamais toutes les causes, et
en plus la force individuelle et cratrice nous chappe. ... Ce
qu'il faut lui rpondre, crit-il en 1857,
quand il s'exprime avec
une affirmation si absolue, c'est que, entre un fait aussi gnral et
aussi commun tous que le sol et le climat, et un rsultat aussi
compliqu et aussi divers que la varit des espces et des indivi-
dus qui
y
vivent, il
y
a place pour quantit de causes et de forces
plus particulires, plus immdiates, et tant qu'on ne les a pas sai-
sies, on n'a rien expliqu. Il en est de mme pour les hommes et
pour les esprits qui vivent dans le mme sicle, c'est--dire sous
un mme climat moral : on peut bien, lorsqu'on les tudie un un,
montrer tous les rapports qu'ils ont avec ce temps o ils sont ns
et o ils ont vcu ;
mais jamais, si l'on ne connaissait que l'poque
seule, et mme la connt-on fond dans ses principaux caractres,
on n'en pourrait conclure l'avance qu'elle a d donner naissance
telle ou telle nature d'individus, telles ou telles formes de
talents. Pourquoi Pascal plutt que La Fontaine? pourquoi Chau-
lieu plutt que Saint Simon? On ignore donc le point essentiel de
la difficult : le comment de la cration ou de la formation, le mys-
tre chappe
(2).
Ces passages mettent bien en relief la conception de Sainte-
Beuve. On
y
voit aussi que les ides de l'auteur des Lundi, tout en
restant dterministes et scientifiques, laissent une large place et
l'individualit et la complexit de la vie.
C'est ici qu'il faut rapprocher les ides de l'abb Dubos et celles
de Taine. La conception de Dubos est pareille celle de Sainte
Beuve

Dubos disait que le gnie est une plante qui pousse d'elle-
mme et ce qu'il essayait de dterminer, c'est seulement le sol sur
lequel elle pousse, car il respectait l'individualit de l'artiste et
(1)
Loc. cit., p.
93..
(2)
Causeries du Lundi, t. XIII, p.
214-215.
186 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS LESTHTIQUE
tenait compte de la grande complexit des faits
(1).
Le dtermi-
nisme de Taine est trop simple et trop rigide la l'ois, c'est cause
de cela mme qu'il ne tient pas compte de la personnalit de l'ar-
tiste.
Tous les critiques, aprs Sainte-Beuve, ont mis en vidence ce
dfaut du systme de Taine. Flaubert avait entrevu le point le plus
vulnrable de la thorie de Taine, en 1860 dj. En ei'et, dans une
lettre de cette anne adresse M
me
Roger des Genetles, nous
trouvons le passage suivant : Tant mieux si la littrature an-
glaise de Taine vous intresse. Son ouvrage est lev et solide,
bien que j'en blme le point de dpart. 11
y
a autre chose dans
l'art que le milieu o il s'exerce et les antcdents physiologiques
de l'ouvrier. Avec ce systme-l on explique la srie, le groupe,
mais jamais Yindividualit, le fait spcial qui fait qu'on est celui-l.
Cette mthode amne forcment ne faire aucun cas du talent. Le
chef-d'uvre n'a plus de signification que comme document histo-
rique. Voil radicalement l'inverse de la vieille critique de La
Harpe. Autrefois, on croyait que la littrature tait une chose toute
personnelle et que les uvres tombaient du ciel comme des aro-
lithes. Maintenant on nie toute volont, tout absolu. La vrit est,
je crois, dans l'entre-deux
(2).
Parmi les critiques, nous signalons une tude d'Antoine Mollire
(1866)
dans laquelle cet auteur expose des ides analogues celles
qui feront le succs du livre d'Hennequin, que nous tudierons plus
loin. Pour Mollire, les artistes mdiocres sont absorbs par le mi-,
lieu o ils vivent, comme le pense Taine
;
mais les grands gnies
dirigent leur milieu. Les artistes, les crivains vulgaires ou trop
avides des succs sont assez semblables ces harpes oliennes,
rsonnant passivement sous tous les souffles qui passent sur elles.
Les artistes, les crivains de gnie convaincus
marchent, au con-
traire, au but que la vraie gloire a montr comme ces conqurants
indomptables qui ne savent que vaincre ou mourir. Bien loin de
(1)
Pour Dubos, le gnie contient un rsidu mystrieux en cela Dubos se
rapproche de M. Sailles, dont nous examinerons la thorie dans le chapitre
suivant. On peut consulter une comparaison des thories de Dubos et de Taine,
dans le livre de Braunschvig, L'Abb Dubos rnovateur de la critique au
xvm
e
sicle, 1904, p.
48-49.
(2)
Lettre M"" R. des Genettes, 1800, vol. 111, p.
195-196. On retrouve les
mmes ides dans une lettre George Sand du 2 fvrier 1869.
Correspondance,
vol. 111, p. 386, et dans la Prface aux Dernires Chansons de Louis Hoiiilhel,
qui est de 1870.
II. TAINE 187
subir leur milieu, ils le font ou le bravent
(1).
Et plus loin : .le
le rpte : les crivains et les ai-listes sont des initiateurs aussi bien
que dos influencs
; et j'ai peine croire que Corneille et Bossuet.
Molire et Bourdaloue aient plus reu qu'ils n'ont donn
(2).
Zola crit aussi, en 1866, que la personnalit gne terriblement
Taine. J'ai des larmes en moi, ajoute-t-il avec une prtentieuse
bonhomie, M. Taine affirme que je ne pourrai pleurer parce que
tout mon sicle est en train de rire gorge dploye. Moi, je suis
de l'avis contraire, je dis que je pleurerai tout mon saoul si j'ai
besoin de pleurer. J'ai la ferme croyance qu'un homme de gnie
arrive vider son cur, lors mme que la foule est l pour l'en
empcher
(3).
Mnard soutient, en 1867, la mme critique dans un article trs
intressant, en donnant des exemples
;
ainsi, comment expliquer
la personnalit d'Ingres ct de romantiques comme Delacroix
ou V. Hugo?
(4).
Plissier, Reymond, Faguet, Mockel, dans leurs tudes sur la
philosophie esthtique de Taine, soutiennent exactement les m-
mes ides. La critique d'Hennequin nous l'examinerons plus loin.
Guyau trouve aussi le mme dfaut dans l'uvre de Taine. M.
Taine, dit-il, a crit d'admirables tudes d'ensemble sur l'art en
Grce, en Italie, aux Pays-Bas; mais vouloir connatre le gnie
propre et personnel de tel sculpteur ou de tel peintre d'aprs ces
tudes de milieux extrieurs, c'est comme si on voulait dterminer
l'ge d'un individu d'aprs la moyenne d'une statistique, ou les
principaux vnements d'une vie par l'histoire d'un sicle
(5).
Une autre objection qu'on a leve contre l'esthtique de Taine,
c'est qu'il s'y montre beaucoup plus logicien qu'homme de science.
C'est encore Sainte-Beuve qui, le premier, formula cette critique
capitale : M. Taine a le bonheur d'tre savant, et, ce qui est
mieux, d'avoir l'instrument, l'esprit scientifique joint au talent
littraire
;
tout s'enchane dans son esprit, dans ses ides
;
ses opi-
nions se tiennent troitement et se lient : on ne lui demande pas de
supprimer la chane, mais de l'accuser moins*, de n'en pas montrer
trop nu les anneaux, de ne pas trop les rapprocher, et, l o dans
(1)
A. Mollire, Elude sur la philosophie de l'art de M. Taine,
1866, p.
6.
(2)
Loc. cil., p.
20-21.
(3) E. Zola, Mes haines : M. H. Taine, artiste, 1866.
(4)
Mnard, les Thoriciens de l'art, 18f>7. IL' Anne philosophique.)
5]
L'Art au point de vue sociologique,
p. 32.
188 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
l'tat actuel de l'tude, il
y
a lacune, de ne pas les forger prmatu-
rment. // procde trop par voie logique et non la faon des sciences
naturelles. Si l'on peut esprer d'en venir un jour classer les
talents par famille et sous de certains noms gnriques qui r-
pondent des qualits principales, combien, pour cela, ne faut-il
pas auparavant en observer avec patience et sans esprit de systme,
en reconnatre au complet, un un, exemplaire par exemplaire, en
recueillir d'analogues et en dcrire
(1).
Ce passage est rellement
admirable

et montre clairement un des dfauts du systme de
Taine, sur lequel nous insisterons plus loin, et en mme temps la
mthode et l'esprit scientifique de Sainte-Beuve.
La logique, selon Monod, est la facult matresse de Taine
(2).
El, c'est parce qu'il est avant tout logicien, qu'il transformera les
ides de Sainte-Beuve en systme. Plissier, son tour, dmontra
clairement cette particularit de l'esprit de Taine : ... ce que
Taine apporta de nouveau, c'est surtout le dogmatisme dans les
principes et la rigueur dans les dductions. L'esprit scientifique
qui se drobait chez Sainte-Beuve, ou du moins qui se dissminait
travers une multitude de points de vue, de retours et de retours,
de circonvolutions plus ou moins fortuites et capricieuses, il l'a
condens en formules. Sainte-Beuve fut bien l'initiateur de la cri-
tique naturelle, elle eut dans Taine son organisateur
(3).
Brunetire

qui pour cela mme admire Taine, et il a tort de
le faire

exprime la mme ide : Le mrite et le talent de
M. Taine, c'est la puissance et la fcondit de son imagination cons-
tructivc, si je puis hasarder ce mot : et de ces magnifiques palais
d'ides o se complaisait jadis errer la pense des grands mta-
physiciens, c'est son vrai titre de gloire qu'il
y
en ait peu d'aussi
vastes et d'aussi beaux que le sien. Seulement, ce que l'on essayait
avant lui de construire dans les nuages, il a, lui, essay de le fon-
der en terre, plus solidement, avec des matriaux qui fussent"
l'abri de l'injure du temps
;
et ces matriaux, il les a demands ou
emprunts la science
(4).
Nous verrons, plus loin, que Brune-
tire s'illusionne sur Ja solidit sinon des matriaux, au moins de
la construction

ce qui est bien pis.
(1)
Causeries du Lundi, t. XIII, p.
218.
(2)
G. Moowd, Renan, Taine, Michelel. 1894.
(3)
G. Plissier, Notiveaux essais de littrature contemporaine, 189b,
p.
167.
(4)
Brunetire, L'Evolution des fenres, 1890, p.
24S.
II. TAINE
189
Taine est avant tout
logicien, nous dit Faguet
;
il aime raison
ner tout droit, par esprit gomtrique . L'abstraction, opra-
tion gomtrique
par excellence, lui plat excellemment (1).
De
mme, Barzelotti
aussi remarque, dans l'uvre esthtique de
Taine, cette tendance au
systme qui lui t'ait accorder trop de foi
la logique
(2).
On a adress d'autres critiques l'esthtique de Taine. Son ida-
lisme, avec ses trois critres, cadre trs mal avec sa conception
dterministe et se trouve en contradiction avec cette phrase : la
science ne proscrit ni ne pardonne
;
elle constate et explique ou,
avec celte autre, dans laquelle comparant la philosophie de l'art
la botanique, Taine crit : elle fait comme la botanique qui tu-
die, avec un intrt gal, tantt l'oranger et le laurier, tantt le
sapin et le bouleau
(3).
On a dit Taine, que si l'art doit manifester l'essence de l'objet,
comme l'essence est une, les chefs d'uvre qui manifestent cette
essence devraient tre identiques quand ils ont le mme sujet

or ce n'est pas le cas


(4).
Mais toutes ces critiques secondaires sont ngligeables
;
les seu-
les rellement srieuses sont :
1
celle qui porte sur Y individualit
de l'artiste, que Taine nglige ;
et
2
celle qui marque le ct essen-
tiellement logique et non scientifique de son systme. Examinons-
les notre tour.
La question de la personnalit de l'artiste

ou plutt du gnie
crateur chappant, au dterminisme

ne se pose pas pour nous.


(1)
E. Faguet, Politiques et moralistes du XIX' sicle, 3
e
srie,
p.
250.
(2)
G. Barzelotti, La philosophie de H. Taine, 1900, p.
249.
(3)
j'.-P.
DuraDd (de Gros), qui se flatte de parler au nom de la science, cri-
tique Taine justement pour son manque de critre. Dans les Nouvelles recher-
ches sur l'esthtique et ta morale, publies en 1900 (Alcan) mais crites, sem-
ble til, ds 1805, on trouve un article contre Taine, fort violent. A cette poque,
Tuine n'avait pas encore parl de ses trois critres. Durand, au nom de la science,
fait remarquer que l'esthticien doit dvoiler l'art son but lgitime, son but
uaturel et normal, et lui faire connatre les meilleures voies pour l'atteindre.
(Ibid., p. 105). Durand dans une note, date de 1900, se montre peu juste envers
Taine'; voici cette note : Les fantaisies esthtiques et thiques de Taine que je
combattais il y
a 35 ans, en crivant ce chapitre, ces fantaisies hautes prten-
tions philosophiques et scientifiques o la philosophie, la science et le bon sens
taient outrageusement mconnus, ces doctrines insenses, tranchons le mot, ne
se sont pas impunment accrdites dans un public pris avant tout de brio lit-
traire. Je tiens Taine pour l'un des principaux artisans du dtraquement actuel
de l'esprit franais. (Ibid., p.
105-106, note). 11 est certainement inutile de
dfendre Taine

mais ne doit-on pas' sourire devant ces ridicules accusations ?
(4)
C'est Vron, dans sou Esthtique, p. 87,
qui formule cette critique.
190 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
Elle ne se pose pas, car elle est du domaine de la mtaphysique.
Dire que le gnie chappe aux lois de la nature, c'est fort ilatteur
pour ceux qui ont ce don divin

pour M. Bergson qui en a et qui
soutient cette opinion

c'est fort dsagrable pour la science,
mais ce n'est pas dmontr et c'est essentiellement indmontrable.
D'autre part, on a soutenu que le systme de Taine n'est pas tout
fait scientifique, mais en partie logique. Ici les critiques ne sont
pas alls assez loin. Le systme de Taine, tout entier, repose sur
un grave malentendu que nous tcherons de mettre en vidence.
L'auteur de la Philosophie de l'art a certainement voulu faire
uvre de science, il a dsir fonder l'esthtique scientifique
l'instar des autres sciences positives

sur ce point il ne reste au-
cun doute.
Il est certain que toute science nouvelle qui nat, ne doit pas
contredire les lois essentielles des sciences infrieures qui existent
dj : ainsi la psychologie doit forcment respecter les lois de la
physiologie et cette dernire celles de la physique. Mais, ce res-
pect ne doit absolument pas empcher la nouvelle science de trou-
ver des lois nouvelles s'appliquant son domaine propre et d'un
ordre, pour ainsi dire, plus lev que les lois dj existantes. Ainsi
les lois de la sociologie, tout en ne contredisant pas les lois de la
physique, de la physiologie et de la psychologie, sont d'un ordre
plus lev et se diffrencient totalement des lois de ces sciences
plus lmentaires par rapport la sociologie. Si la nouvelle science
n'apporte pas des lois diffrencies des autres lois dj connues, si
la nouvelle science ne fait qu'appliquer ces lois connues sans rien
y
ajouter de nouveau et de spcial

cette nouvelle science n'existe


pas en tant que telle, en ralit elle n'est qu'une simple applica-
tion des lois des autres sciences.
Or, que fait l'auteur que nous analysons ? Taine croit qu'en uti-
lisant les lois dj connues des sciences naturelles et en se fondant
sur quelques vagues analogies entre ces sciences et l'esthtique,
on peut fabriquer, du jour au lendemain, une nouvelle science.
En ralit, il n'apporte aucune loi spciale l'esthtique et toutes
celles qu'il lui applique ne sont mme pas de l'ordre psychologique,
qui serait celui qui se rapprocherait le plus de l'esthtique, mais
simplement de l'ordre physique. Lui-mme d'ailleurs, assez mala-
droitement, rapproche l'esthtique de la botanique. Ainsi, dire que
l'apparition de l'uvre d'art est dtermine par des causes natu-
relles, c'est rpter ce qu'on savait dj au xvm
e
sicle, quand on
il. taink
1!M
voyait dans l'art une chose relative et c'est en mme temps ragir
contre les thories mtaphysiques du commencement du xix" si-
cle; en un mot, c'est poser la question un peu plus scientifique-
ment qu'on ne l'avait pose jusqu'alors. Mais en partant de cette
ide dterministe, vouloir btir l'esthtique positive d'aprs les
analogies qu'on trouve entre une uvre d'art et une pomme ou
une poire, c'est se tromper grossirement. C'est l l'erreur pro
fonde de Taine.
Lu-livre d'art dpend du milieu, du moment et de la race, c'est
hien entendu, mais pourquoi nous arrter l ? Le milieu, la race
et le moment dpendent de l'tat gnral du systme plantaire,
qui, lui-mme, dpend de la nbuleuse primitive, qui, elle-mme,
dpend du grand Tout. Autant dire, tout de suite, avec Cousin,
que le Beau est un attribut de Dieu. Vouloir appliquer aveugl-
ment le dterminisme, ce n'est pas faire uvre de science, mais de
mtaphysique. Et l'esthtique de Taine a tous les caractres du
systme mtaphysique. La psychologie, proprement dite, est r-
duite un vague idalisme qui ne diffre gure de celui deQuatre-
mre de Quincy ou de Cousin. Ce systme, parfait en tant que
systme, n'est pas perfectible

ses consquences pratiques sont
nulles. Enfin, et c'est l le point essentiel, Taine falsifie et fausse la
ralit pour mieux la faire entrer dans son systme. C'est Zola qui
fil allusion le premier ce fait. Je me dfie, crivit-il, de M.
Taine, comme d'un homme aux doigts prestes, qui escamote tout
ce qui le gne et ne laisse voir que les lments qui le servent
;
je
me dis qu'il peut avoir raison, mais qu'il se trompe peut-tre lui-
mme, emport par son pre recherche du vrai
(4).
Mnard aussi, avait remarqu que Taine laissait de ct les ar-
tistes qui contredisaient sa thorie. Mais M. Venturi, dans une
lettre G. Barzelotti, relve des erreurs, volontaires ou involon-
taires, graves
;
des- oublis ou des fausses interprtations qui ne
s'expliquent pas de la part d'un rudit de la valeur de Taine. Nous
renvoyons aux ouvrages qui ont signal cette falsification
(2)
de
la ralit
(3).
(1)
Zola, Mes haines. M. H. Taine, artiste, 1866.
(2)
Nous prenons ce mot sans aucun sens pjoratif.
(3)
Venturi, Lettre a G. Barzelotti, 1900.
Delaborde, Des opinions de M. Taine sur l'art italien, 1866.
Pladan, Rfutation esthtique de Taine, 1906. Pladan signale ces er-
reurs mais son livre est rellement infrieur tous les points de vue.
192 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L ESTHTIQUE
Pour nous, ce dernier caractre dmontre, mieux que tout le
reste, que le systme de Taine n'a rien de commun avec la science.
Mais reconnaissons-lui
cependant de rels mrites. Tout d'abord, il.
a ragi, d'une faon salutaire, contre les thories mtaphysiques.
Nous avions dj vu que vers 1865 les travaux esthtiques, s'ins-
pirant de la thorie de Cousin, sont moins que mdiocres. Taine a
prpar le terrain pour l'apparition des travaux vraiment fconds.
D'un autre ct, dsirant faire uvre de science, il a attir l'at-
tention des savants sur le problme esthtique et sur la ncessit
d'une tude objective des faits esthtiques.
Enfin, Taine enrichit la critique

qui ne pourra jamais devenir
scientifique par dfinition

de la meilleure mthode possible,
celle qui consiste placer une uvre dans son milieu pour la com-
prendre. Brunetire crit, qu'avec Taine, si la critique ne de-
vient pas une science, elle aspire le devenir; et qu'en tous cas,
elle cherche un supplment ses moyens d'information dans les
moyens, si je puis ainsi dire, dans les mthodes et dans les proc-
ds de l'histoire naturelle
(1).
6.
C'est un point de vue scientifique que se place Lon
Dumont, en 1875, lorsqu'il essaie d'analyser le sentiment du su-
blime, du beau et du risible
(2).
Malheureusement, les rsultats
auxquels aboutit Dumont sont fort insignifiants
mais l'intention
et le dsir d'tudier les faits esthtiques objectivement sont re-
tenir.
Les plaisirs du got rsultent d'une augmentation d'excitation
de l'imagination et de l'intelligence. Sur cette base, Dumont fonde
sa thorie du sublime, du beau et du comique.
Le sublime, c'est l'infini, l'immense, l'indfinissable.
Corneille,
qui s'y connaissait, le dfinissait
l'incomprhensible. Le plaisir,
da'ns le sublime, tient ce que l'objet tant inpuisable, nous per-
met d'employer toute la force disponible pour la pense, force qui
peut tre norme certains moments; nous ne sommes
limits
que par la fatigue qui commencerait se manifester ds que nous
dpasserions cette quantit de force, ou par le
dtournement
de notre attention vers, d'autres objets en vue
d'viter cette
(1)
L'Evolution des genres, p.
17-18.
(2)
Thorie scientifique de la sensibilit. Le plaisir et la peine, 1875,
sp-
cialement le chapitre V. v
E. VRON
193
fatigue
(I). L'admiration est le sentiment qui correspond pai'
excellence au sublime. Dumont pense que moins on comprend, plus
on admir. Les ignorants sont plus enclins l'admiration que les
gens instruits ; de tous les sentiments, celui du sublime est assu-
rment celui que la culture intellectuelle cbez les individus et le
progrs des sciences ou de la philosopbie en gnral tendent le
plus alaiblir
(2).
Le beau est expliqu par une thorie analogue. Le beau, crit
Dumont, est ce qui prsente une grande complication dans l'unit
d'une mme conception, de telle sorte que cette conception, pour
tre ralise dans l'imagination, exige un emploi de force consid-
rable... c'est la varit dans l'unit, c'est l'aperception, dans un
seul tout, d'une grande quantit. de dtails et d'lments en har-
monie les uns avec les autres
(3).
Au fond, c'est la trs vieille
thorie de unit et de la varit, de laquelle Dumont donne une
interprtation psychologique.
A l'unit et la varit, Dumont ajoute un troisime caractre que
l'objet beau doit possder, c'est la conformit aux habitudes de
notre imagination, c'est- dire ce qu'on appelle les associations
d'ides
(4).
Cette conformit aux associations d'ides augmente
le plaisir parce qu'elle rend la conception de l'objet plus nergique.
Dumont divise la beaut en beaut coexistante, dont les lments
se prsentent simultanment la perception et l'imagination : elle
appartient la vue et aux arts plastiques et pittoresques (forme et
couleur)
;
et en beaut de succession, dont les diverses parties se
ralisent dans le temps : elle emploie le sens de l'oue et constitue
la beaut du mouvement, la beaut littraire, morale et musicale.
Dumont essaie aussi d'expliquer le comique : selon lui, nous
rions chaque fois que nous nous trouvons en prsence de faits qui
sont de nature nous faire penser d'une mme chose qu'elle est et
qu'elle n'est pas (o). Quand notre entendement est oblig, cause
des circonstances"'extrieures, d'accepter deux ides contradic-
toires dans l'unit d'une mme conception, il en rsulte une sorte
de rencontre intellectuelle dont le rire est la traduction (G).
(i) Ibid., p.
170.
(2)
Ibid., p.
173.
(3)
Ibid., p. 174.
(4)
Ibid., p. 176.
(o) IbuL, p. 205.
(6)
Ibid.
13
194 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L 'ESTHTIQUE
Le rire peut tre envisag comme l'emploi d'un excs de forces
qui n'ont pu tre dpenses en conceptions intellectuelles.
Toutes ces explications ne sont pas d'une grande originalit
;
pourtant le livre de L. Dumont a le mrite de faire entrer le
problme esthtique l o il doit tre tudi, c'est--dire dans le
domaine psychologique.
Le trs prtentieux ouvrage de J.-l\ Durand (de Gros), intitul
Nouvelles recherches sur l'esthtique et la morale, et crit vers
1864
(1),
dont les tendances semblent tre, au moins dans l'esprit
de l'auteur, scientifiques, n'apporte rien de bien remarquable. Nous
le citons ici seulement pour montrer comment on fait des efforts,
l'poque que nous tudions, pour faire entrer Festhtique da'ns sa
phase scientifique. Il esterai que ces efforts parfois restent st-
riles, comme c'est le cas pour Durand. Cet auteur emploie le mot
esthtique dans son sens tymologique et kantien, de science
de la sensation et du sentiment. Le domaine donc qu'il tudie
devient ainsi fort vaste et son tude atteint toutes les limites de
l'incohrence.
Le beau, crit Durand, c'est la proprit par laquelle les objets
font sur notre me une impression agrable qui nous incite agir
d'une certaine faon l'gard de ces objets ou de leurs analogues ,
et il ajoute : Or, je prtends que cet aiguillon, qui pousse et
dirige de la sorte notre activit, est en soi un bien, c'est--dire que
le rsultat naturel de ces excitations est conforme notre intrt,
tend notre bonheur
(2).
D'ailleurs, Durand est toujours proc-
cup de la question morale. Voici un passage significatif': Et
maintenant, quelle est la mission de l'art lui-mme ? Je n'hsite
pas rpondre : c'est de nous rvler le beau, le vrai beau, c'est de
l'exprimer, c'est de le faire sentir, c'est de le faire aimer
;
c'est,
par un effet conscutif, de nous marquer ce qui est bon et ce qui
est mauvais, ce qui est bien et ce qui est mal
(3).
Toutes les proccupations pseudo-scientifiques de l'auteur abou-
tissent un piteux rsultat : il faudrait dterminer le beau en
soi, dit-il ... le sens du beau (et, dans notre thorie, le beau,
quelqu'autre nom d'ailleurs que l'usage lui donne, ce sera tout ce
(1)
Il n'a t publi chez Alcan qu'en 1900.
(2)
Loc. cit., p. 154.
(3)
Loc. cit., p. 106.
E. VRON 195
qui produit la sensation de plaisir, unie ou non au sentiment d'ad-
miralion) est sujet cent sortes d'illusions et d'hallucinations, et
que, consquemment pour oprer le tri difficile du vrai beau d'avec
le beau de mauvais aloi, le beau doit tre dtermin en soi, dans
ses qualits objectives, ainsi qu'il convient, comme nous l'avons
vu plus haut, pour tous les agents de sensation spcifique,
lumire, son, chaleur, etc.
(1).
Il est regrettable qu'on n'ait pas publi cet ouvrage l'poque o
il a t crit
(1864),
poque laquelle il n'aurait pass que pour
nul.
EEsthtique d'Eugne Vron
(2)
prsente le mme effort pour
tudier objectivement les faits esthtiques.
Vron veut surtout ragir contre ce spiritualisme acadmique,
dernire incarnation des thories de Cousin. Dj, en 1862, dans
la prface de son livre, intitul : Supriorit des arts modernes sur
les arts anciens, Vron critiquait les thories mtaphysiques qui ne
s'appuvent pas sur les faits : Chaque fois, crivait-il, quej'ai
tent de pntrer dans la sphre de leurs hautes spculations, il
m'a sembl que je plaais ma tte sous la cloche d'une machine
pneumatique, et que l'air me manquait
;
et c'est en pensant pro-
bablement aux succs acadmiques de Ch. Lvque, qu'il conti-
nuait : Je renonce donc dsormais toute tentative de ce genre,
et je me rduis admirer la force de constitution qui permet
quelques natures privilgies de vivre dans le vide. Je sais bien
que cela seul me condanvne n'tre jamais couronn par aucune
acadmie
;
mais je m'en console en pensant qu'il vaut encore
mieux vivre sans couronne que de mourir asphyxi
(3).
Dans L'Esthtique, Vron crit que son livre a pour but, comme
la collection entire dont il fait partie, de ragir contre ces
antiques habitudes d'esprit qu'entretient avec tant de soin, et
(1)
Loc. cit.,
p. 99.
(2)
Eugne Vron. L'Esthtique (Bibliothque des sciences contemporaines.
Paris, 1878).
Supriorit des arts modernes sur tes arts anciens. Paris,
1862.
(3)
Ces lignes sont de 1862. Le livre couronn de Lvque fut publi en 18G1.
L'allusion donc, vise Lvque n'en pas douter. Il est fort possible que Vron
ait prsent, au mme concours, un mmoire

en effet, il
y
avait quatre con-
currents. Nous prsentons cette hypothse possible, sans avoir eu l'occasion de
la contrler.
196 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
malheureusement aussi avec tant de succs, la vieille tradition
acadmique, ddaigneuse du fait
(1).
Le dterminisme absolu de l'uvre d'art est une des ides direc-
trices du livre de Vron. L'art n'est autre chose qu'une rsultante
naturelle de l'organisme humain, qui est ainsi constitu qu'il trouve
une jouissance particulire dans certaines combinaisons dformes,
de lignes, de couleurs, de mouvements, de sons, de rythmes,
d'images
(2).
Et, un autre endroit, aprs avoir examin l'art
prhistorique, Vron conclut que l'art, loin d'tre un rsultat
factice d au hasard d'un concours de circonstances qui auraient
pu ne pas se rencontrer, est un produit spontan, immdiat et
ncessaire de l'activit humaine
(3).
Vron accepte l'influence du milieu sur l'artiste, sans attribuer
cette influence une part exagre comme le fait Taine. Il est trs
rare, et l'on peut dire, il est presque impossible, que l'artiste ne
soit pas de son temps. Sans admettre, comme on l'a dit, qu'il soit
ncessairement un simpk cho, une harpe olienne vibrant au
souille des motions contemporaines, il est certain que, pour une
foule de raisons qu'il serait trop long d'exposer ici, l'artiste, le
pote vivent surtout de la vie du milieu o ils se trouvent pla-
cs...
(4).
Vron accepte aussi l'ide de Taine, que le jugement
dans l'art doit tre autant que possible objectif. 11 n'y a pas moins
de ridicule condamner l'art flamand et hollandais au nom de la
sculpture grecque qu' condamner la sculpture grecque au nom de
l'art flamand et hollandais. Courbet est aussi lgitime que Raphal.
Il est permis de prfrer l'un l'autre, selon les affinits et les
attractions naturelles de chacun, mais l'esthtique n'a le droit
d'exclure ni l'un ni l'autre, moins d'introduire dans la science la
passion et la partialit
(5).
L'Esthtique de Vron prsente donc rsumes toutes les ides
fcondes et neuves qu'on rencontre dans la Philosophie de l'art de
Taine ;
d'une part, la volont de ragir contre les ides mtaphy-
siques et, d'autre part, l'ide du dterminisme de l'uvre d'art et
le dsir d'une tude objective. Mais Vron se gardera bien d'ac-
cepter les lments idalistes de la conception de Taine.
(1)
L'Esthtique, p. 306.
(2)
lbid., p. V.
(3)
lbid., p.
34.
(4)
lbid., p. VII.
(o) lbid,, p.
VIII.
E. VRON
191
Quel est le kit de l'art, selon Vron? On peut donc, crit-il,
comme dfinition
gnrale, dire que l'art est la manifestation d'une
motion
se traduisant au dehors soit par des combinaisons
expres-
sives de
lignes, de formes ou de couleurs, soit par une suite de
gestes, de sons et de paroles soumis des rythmes particu-
liers
(1).
La puissance avec laquelle s'exprime cette motion est
le seul critrium de l'uvre d'art. Cela pos, nous voyons que
l'uvre d'art agit de deux faons,
quand elle procure l'motion
esthtique : par uWplamr
direct et par l'admiration sympathique.
Analysons le plaisir. Les jouissances de l'il et de l'oreille con-
sistent, comme toutes les autres jouissances, dans une exagration
momentane de l'activit crbrale, produite par une vibration
acclre des fibres nerveuses. Les sensations de l'oue et de la vue
se rallient aux centres o s'laborent les sentiments et les ides

ce qui les distingue des sensations de l'odorat, du got et du tou-
cher. Or, il existe un certain nombre de sentiments esthtiques,
comme les notions d'ordre, d'harmonie, de proportion, de couve
nauce, de varit,
d'unit; ces sentiments esthtiques apparaissent
spontanment l'occasion des sensations que nous devons l'oue
et la vue. Et, ce sont ces lments additionns la sensation
qui font qu'elle nous plat. Quand ces lments manquent, au lieu
d'un plaisir, nous prouvons une soulrance. On voit que cette
explication
psycho-physiologique,
qui ressemble en partie
celle
de Dumont, laisse beaucoup dsirer.
Examinons maintenant
l'admiration sympathique : elle s'adresse
l'auteur de l'uvre que nous contemplons. Selon Vron, ce que
l'on admire surtout dans une uvre, c'est moins l'uvre elle-mme
que le gnie qui l'a cre. Ce qui nous frappe et nous meut dans
l'uvre d'art, ce que nous admirons dans cette expression de la vie
morale et physique, c'est non pas cette vie elle-mme, mais la puis
sance et l'originalit avec laquelle l'auteur a rendu l'impression
qu'elle fait sur lui et la manire dont il en comprend les manifes-
tations ;
ce qui cause enfin la jouissance esthtique, ce n'est pas la
personnalit des tres reprsents, mais travers celle-l, celle de
l'artiste lui-mme
{2).
Cette ide de l'importance de la personnalit de l'artiste,
la-
quelle Vron sacrifie tout, constitue le leitmotiv de son livre. Vron,
(i) Ibid., p. 106.
(2) Ibi., p. 184.
198 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
par exemple, se pose la question que se posait dj l'abb Dubos
;
il se demande pourquoi l'imitation trop exacte de la ralit ne pro-
cure pas d'motion esthtique
;
pourquoi, si l'on voyait rellement
mourir Didon, on n'aurait pas la mme motion que quand on lit
le quatrime livre de l'Enide ? Pourquoi nos mlodrames, qui
prsentent presque des luttes relles, n'motionnent pas esthti-
quement ? Vron rpond que l'auditeur ou le spectateur sent
qu'entre le spectacle et lui, il
y
a la personnalit du pote
;
c'est
cette personnalit qui procure l'motion esthtique
;
si on l'enlve,
le caractre esthtique de l'uvre se perd du mme coup. Pour
que nous prouvions l'motion esthtique, il faut que nous puis-
sions retrouver l'homme.dans l'uvre
;
c'est lui que notre admi-
ration s'attache plus ou moins consciemment, et c'est prcisment
ce sentiment d'admiration qui nous fournit la notion du beau
artistique
(1).
Ailleurs, Vron crit : De toute uvre d'art
on peut dire que c'est la personnalit de l'artiste qui en fait la prin-
cipale valeur...
(2).
L'excitation des fibres nerveuses et le plaisir
qui en dcoule, ne suffit pas pour produire l'motion esthtique,
nous dit ailleurs Vron, pour que la jouissance devienne relle-
ment esthtique, il faut qu'il s'y joigne, comme nous l'avons dit,
un sentiment d'admiration sympathique pour l'artiste dont le talent
ou le gnie" a produit ^'uvre qui nous fait prouver cette jouis-
sance
(3).
Nous examinerons plus loin ce que l'on doit penser de cette
admiration sympathique pour l'auteur
;
pour le moment, conten-
tons-nous de rpter que pour Vron la personnalit de l'artiste est
la chose capitale dans l'art, et, qu'en France, cette thorie tait
trs en vogue au moment o Vron crivait : il suffit de rappeler
la dfinition de l'art, de Zola : l'art est la nature vue travers un
temprament.
Vron crit : ... Quel que soit le dosage de ces mlanges, il est
certain que les deux lments primitifs : ralit, personnalit, s'y
trouvent toujours, en dpit des thories contraires qui rduisent
l'art ou au plagiat photographique des choses relles, ou la divi-
nation conjecturale des types idaux
(4).
Mais, peu peu, Vron
(1)
Ibid., p. 389.
(2)
Ibid., p. 123 note.
(3)
lbid., p. 77.
14) Ibid., p.
XIV.
B. VRON
199
ira jusqu* nier compltement la ralit au profit de la personna-
lit.
En somme, le degr de ralit que contient une uvre d'art
n'a d'importance esthtique que parce qu'il nous permet de me-
surer la puissance de pntration qui a t ncessaire pour la saisir
et la force d'imagination qui a permis de la reproduire avec ce
ivlief que nous admirons

(1).
Et voici un passage o il rduit la
ralit bien peu de chose : Vrit, personnalit, voil les deux
termes de la formule complte de l'art : vrit des choses, person
nalit de l'artiste. Mais
y
regarder de prs, ces deux termes n'en
font qu'un. La vrit des choses dans l'art, c'est surtout la vrit
de nos propres sensations, de nos propres sentiments, c'est la
ralit telle que nous la voyons et la comprenons en vertu de notre
temprament, de nos prfrences, de nos organes, c'est notre per-
sonnalit mme. La ralit, telle que la donne la photographie, la
ralit prise en dehors de nous et de nos impressions, c'est la
ngation mme de l'art (2).
Telles sont, brivement rsumes, les ides esthtiques d'Eugne
Vron. On
trouve dans son livre des tudes sur les diffrents arts
fort intressantes. L'auteur cite de prfrence Fromentin et Viollet-
le-Duc, deux autorits pour les questions techniques qu'on ne sau-
rait trop recommander.
Cependant, ce travail esthtique ne forme pas un systme bien
coordonn ;
c'est une critique que M. G. Sailles adressait dj, en
|N7
(
). Vron.
Toutes les ides de l'auteur nous semblent justes
;
mais elles sont ajoutes les unes aux autres; elles sont juxtapo-
ses, elles ne sont pas coordonnes. C'est de l'excellente critique,
c'est de la mauvaise
philosophie (3).
M. G.
vSailles, dans le mme article, indique le but que Vron
se proposait
: L'auteur a voulu faire uvre de savant, prendre
la beaut comme objet d'tude, sans prjug, sans parti-pris, en
la regardant du dehors comme une chose matrielle, et substituer
ainsi
l'observation
impartiale des faits aux rveries de la mtaphy-
sique. Pour
y
russir, il prtend appliquer la connaissance des
sentiments
qu'veillent la beaut et du gnie qui la cre la mthode
employe
par les savants dans l'tude des phnomnes de la na-
ture ;
il prtend observer les uvres d'art comme des faits et de
(1)
Ibid., p.
12012t.
(2)
Ibid., p.
447.
,3) La science et la beaut. Reue philosophique, 1879, t. I,
p.
610.
200 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
ces faits multiples dgager des lois invariables, puis, se tournant
de l'objet vers le sujet, chercher les rapports de l'organe crbral,
instrument de plaisir et de la connaissance, l'uvre belle dont il
jouit. Que serait donc l'esthtique? Une physique des uvres d'art
complte par une physiologie du systme nerveux (l).
M. G. Sailles remarque que Vron n'arrive aucun rsultat
positif et scientifique et que les quelques mrites que son livre
possde, il les doit la psychologie.
Aujourd'hui, personne ne tenterait tie faire sortir l'tude de
l'esthtique du domaine psychologique

et il est fort douteux que


Vron lui-mme ait essay de le faire. Ce que Vron voulait viter
l'esthtique, c'est l'influence mtaphysique ou l'tude des faits
esthtiques l'aide d'une psychologie a priori et ne se fondant pas
sur ces faits.
Le mrite du livre de Vron est de rejeter les formules logiques
et systmatiques de Taine et de ne retenir que l'esprit dterministe
et en un mot scientifique de la Philosophie de l'art. Cet ouvrage,
d'autre part, ne forme pas un systme bien coordonn, en cela
la remarque de M. Sailles est juste
;
mais, l o M. Sailles voit
un dfaut, nous voyons un mrite et mme un mrite immense.
L'uvre de l'abb Dubos ne forme non plus un systme dfini et
pourtant elle est de beaucoup suprieure celle du Pre Andr qui
atteint la plus grande rigidit systmatique. M. Sailles ajoute que
l'ouvrage de Vron est de l'excellente critique et de la mauvaise
philosophie. L encore, nous ne sommes pas d'accord avec lui

ce livre n'est rien d'autre qu'un ttonnement vers l'esthtique scien-
tifique, et c'est pour cette raison exactement qu'il n'est pas syst-
matique ;
et pourtant, il nous semble encore trop systmatique.
Vron, il est vrai, assouplit un peu la rigidit gomtrique des
thories de Taine et
y
ajoute son ide sur la personnalit de l'ar-
tiste. Que la personnalit cratrice joue un rle dans la cration de
l'uvre, cela est incontestable et prouv par les faits
c'est ainsi
qu'on prfre une toile de Rubens une crote d'un rapin
quelconque. Mais dire que l'motion esthtique se rduit une
sympathie admirative pour l'auteur de l'uvre, c'est commettre
une erreur dont les consquences sont trs graves. Nous devons
ajouter tout de suite, que ce n'est pas Vron seul qui tombe dans
(l) Loc. cit., t. I, p. 617.
h. vekon
201
cette erreur, mais tous les esthticiens

ce qui lui appartient en
propre est de L'avoir formule en systme
Puisque Vron soutient que l'motion esthtique rside dans
l'admiration sympathique pour le gnie crateur, c'est qu'il s'ap-
puie sur quelque fait concret, rel, qui lui semble indniable. Ce
fait est sa propre exprience. Oui, pour nous qui avons une duca-
tion raline, pour nous dont le mtier est la critique d'art, l'his-
toire de l'art, ou une autre branche d'tudes touchant l'art, l'mo-
tion esthtique se cantonne dans cette admiration dont parle Vron

et cela pour une raison bien simple, c'est que le phnomne


artistique, l'motion esthtique ne se produit plus chez nous, ou si
elle se produit encore, elle n'est plus dans son tat pur : elle subit
une dformation professionnelle. Ainsi, le seul sujet que tous les
esthticiens peuvent observer leur aise ne prsente plus le ph-
nomne esthtique l'tat normal

c'est leur moi dform.
C'est pour cette mme raison que tous les esthticiens, dont
l'ducation est plus ou moins classique, quand ils donnent des
exemples, les puisent dans les littratures classiques

ce sont des
exemples morts depuis longtemps pour l'humanit qui vit, des
exemples qui ont un relent de bibliothque. Les esthticiens pro-
duisent la mme impression, qu'un moraliste qui puiserait tous
ses exemples dans l'Iliade,
YOdytsre ou les popes hroques des
divers autres peuples. L'esthticien nous dirait que c'est dans le
classique qu'on trouve les chefs-d'uvre
comme le moraliste
soutiendrait que c'est dans l'pope qu'on trouve les hros. Tous
les deux auraient raison

mais le concret, le vrai, celui qui int-
resse la science, on ne le trouve que dans la ralit, dans la vie de
tous les jours.
Nous voudrions demander Eugne Vron, si la petite ouvrire
qui lit le matin dans le mtro son roman vingt-cinq centimes,
s'occupe du nom ou de la personnalit de l'auteur. Autant qu'on
n'explique pas le cas de la petite ouvrire on ne fait pas de la
science on analyse les quelques
piplinomnes esthtiques qu'on
remarque chez les personnes dont le mtier est de s'occuper d'esth-
tique et d'art. Tous les esthticiens ont fait cela, except deux :
l'abb Dubos, qui avait du gnie et
y
a chapp en partie, et Proud-
hon. C'est pour cela, au fond, que les exemples de Proudhon sont
plus intressants au point de vue de la documentation
malgr
toute leur barbarie

que les exemples de Taine.
L'esthtique ne sera jamais scientifique, si on se contente de
202 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L ESTHTIQUE
quelques
analogies avec les sciences naturelles
comme le fait
Taine

ou si on se contente d'analyser les motions devant l'art
de quelques raffins

comme l'ont fait tous les esthticiens. Ce
qu'il faut, ce sont des documents, des faits de tout ordre :
psycho-
logique, physiologique ou sociologique

des faits caractristiques,


rudimentaires ou morbides. Nous devons, avant tout, expliquer le
cas de la petite ouvrire .
7.

A l'poque laquelle nous sommes parvenus, c'est--dire
entre 1880 et 1890, poque caractrise, dans le domaine esth-
tique, par une pousse vigoureuse vers l'tude objective et scienti-
fique, un fait intressant doit attirer notre attention. Aprs les
diverses tentatives pour fonder l'esthtique sur une base solide,
tentatives qui, nous l'avons vu, ont toutes peu prs avort, les
esthticiens franais subissent l'influence des thories anglaises de
l'cole de Spencer, J. Sully et Grant Allen.
Charles Renouvier, Th. Ribot, Elie Rabier et d'autres auteurs
exposent dans leurs ouvrages les thses connues sous le nom de
thorie du jeu. J. M. Guyau, la mme poque, combat ces mmes
doctrines avec beaucoup de vigueur, en leur attribuant d'ailleurs
une importance
considrable. Enfin, E. Hennequin comme
M. G. Sailles s'y rattachent en partie, tout en apportant des vues
personnelles intressantes, comme nous le verrons. On peut dire
qu'c partir de 1880, tous les crits esthtiques franais voluent
autour de la thorie de jeu, mme quand ils lui sont hostiles. Ce
succs de l'cole anglaise s'explique par le fait qu'elle apportait une
thorie solide et surtout fonde sur des observations relles, au
moment mme o, plus que jamais, on ressentait le besoin de ra-
liser une esthtique positive.
La thse principale de cette doctrine est que la source de l'art se
trouve dans un superflu de vie, que l'activit artistique est une
activit de luxe et qu'enfin l'art est une forme de jeu. Spencer, qui
fit la fortune de cette thorie, grce la manire positive de son
expos (l), avouait l'avoir puise dans les crits de Schiller. En
elet, Schiller exposa cette thorie dans ses Lettres sur l'ducation
esthtique de l'homme. Lui-mme, d'ailleurs, subissait en partie
l'influence de Kant qui ramenait le beau au libre jeu de l'intelli-
gence et de l'imagination. Plus tard, Schopenhauer, de son ct,
il) Herbert Spencer, Principles of
PsycKology, t. II, dernier chapitre.
LES THORIES DE .JEU 203
avait repris la. mme doctrine et l'exposa dans le premier tome de
son livre : Le monde comme volont et comme reprsentation (1).
Mais avant Kant et Schiller, un philosophe anglais, Home, dve-
loppa des thses analogues. Enfin, qu'il nous soit permis de rpter
ici que, pour nous, le vrai pre de cette doctrine est l'abb Dubos
qui, ds le commencement du xvm
e
sicle, soutenait que l'art pr-
sente des motions artificielles pour viter l'ennui l'homme. Il
rapprochait l'art, le lecteur doit s'en souvenir, des divers jeux et
amusements et mme des jeux du hasard.
Mais laissons de ct cette question purement historique, qui
d'ailleurs nous semble dfinitivement rsolue, pour nous occuper
de la doctrine du jeu en elle-mme. Charles Renouvier, dans son
livre sur Victor Hugo
(2),
condense en six formules toute la thorie
de Schiller. Nous ne faisons que copier ici ces principes, qu'on ne
pourrait ni mieux prsenter, ni mieux rsumer.
I. Le sentiment du beau ne dpend pas des qualits des objets
externes, mais des affections psychiques du sujet qui se les repr-
sente, et qui ils sont offerts ou qui les imagine.
II. Ce sentiment est indpendant de toute reconnaissance des
qualits de son objet comme bonnes, utiles ou agrables
sauf
bien entendu ce qui s'attache de bon ou d'agrable au sentiment
pris en lui-mme ;

il est affaibli ou dtruit, dans la mesure o


quelque passion vient s'y mler, relative la nature utile ou nui-
sible de l'objet. Il est donc essentiellement dsintress.
III. Il n'est ni universalisable ni transmissible l'aide de con-
cepts et de raisonnements ;
il n'est jamais ncessaire, et ce qu'il
peut avoir d'universel tient seulement l'harmonie entre des
esprits pareillement atects.
IV. Les actions humaines conscientes tant relatives des fins,
les fins de celles qui ont le beau pour objet sont purement for-
melles, et consistent exclusivement dans le plaisir que procure le
beau, dans la conservation et dans le jeu des reprsentations qui
s'y rapportent, et dans l'exercice des puissances qui s'y dploient.
V. Ce jeu des reprsentations, quand il passe de l'ordre contem-
platif l'ordre de l'action ou de la libre cration, conduit l'art,
(1)
Consulter : A. Fauconaet, L'esthtique de Schopenhaucr. Ed. Alcan, 1913,
spcialement les pages 372 et 376.
(2)
Victor Hugo, le pote. Ed. Colin, 1893. Nous employons la
6' d. de 1912.
Ce livre est compos d'articles primitivement parus dans la Critique
philoso-
phique, 1889.
204 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
qui est une sorte d'imitation ou de reproduction dsintresse,
entirement formelle, de phnomnes quelconques reprsents
part de toute passion intresse qui puisse s'attacher ces mmes
phnomnes comme rels. Cette transformation de la ralit, leve
au beau par l'intermdiaire de l'art, est telle, que, prenant ici la
peinture et le paysage comme exemple, on peut dire que le beau,
dans la nature, n'est pas pour l'artiste un objet donn au dehors,
avant toute ide du tableau comme reprsentation interne, mais
qu'il est ce tableau lui-mme, en l'ide qu'il s'en fait comme fixe
par un procd spcial l'aide duquel il donne un corps cette
reprsentation mme.
VI. Le beau et l'art ne diffrent que comme diffrent la contem-
plation de l'uvre et l'uvre elle-mme, non pas morte, mais en
acte de se faire. Cet acte est le jeu du beau, et comme toute la ma
tire de nos reprsentations est prise ici de l'exprience, cet acte
consiste en de libres reproductions, imitations, interprtations des
choses mmes qui nous apparaissent dans la nature ou dans la vie
humaine. Tout contemplateur est un artiste en puissance; tout
artiste, depuis l'enfant dans ses jeux d'enfant, jusqu'aux grands
conteurs et potes, est un homme qui joue avec les reprsentations
et qui les reproduit et combine en mille manires, sans autre in-
trt ni attrait que ceux de la reprsentation en elle-mme
(1).
Schiller rsumait excellemment sa thorie, en disant que l'homme
n'est compltement homme que l o il joue. L'art donc est ce qui
complte l'homme.
Spencer, en dveloppant cette mme thorie, tchait de l'appuyer
pour la consolider sur des faits d'ordre biologique, psychologique
et sociologique. Il partait du jeu des animaux et des enfants pour
s'lever jusqu'aux plus hautes manifestations de l'art. Enfin, Grant
Allen essayait de mieux fixer ce concept de jeu, en disant que le
jeu, proprement dit, serait l'exercice des jonctions actives (jeux
.d'enfants, lawn-tennis, foot-ball, etc.), et l'art, celui des fonctions
rceptives ou reprsentatives (contemplation d'une statue, d'un
tableau
;
audition d'un pome ou d'un morceau de musique, etc.).
Cette distinction semble tout fait inadmissible, car jamais nous
ne sommes passifs en contemplant une avre d'art notre esprit
travaille et, c'est d'ailleurs de ce travail intime que
dpend en
(i) Reuouvier. Victor Hugo, le pote, p.
316-318.
E. HENNEQUIN 205
grand partie l;i jouissance
esthtique. Th. Uibot a essay de mieux
prciser la nature de ce jeu. Voici ce qu'il crit : Le caractre
propre de cette activit superflue, de cette forme de jeu, c'est
qu'elle se dpense en une combinaison d'images et aboutit une
cration qui a son but en elle mme
; car l'imagination cratrice a
quelquefois pour but l'utilit pratique. Elle ne diffre des autres
formes du jeu que par les matriaux employs et la direction
suivie. On peut dire plus brivement : c'est le jeu de l'imagination
cratrice sous sa forme dsintresse
(1).
Ribot pense que c'est
dans la danse qu'on trouve primitivement la transition entre le jeu
sous sa forme simple de mouvements dpenss pour le plaisir et
l'activit proprement esthtique. On voit, sans commentaire,
qu'ici est la soudure entre l'activit motrice de luxe et la cration
esthtique : la danse est l'une et l'autre
(2).
Telle apparat dans son ensemble et avec les diffrentes relouches
qu'elle a successivement subies, cette thorie du jeu.
35.

Les thories de Taine, qui ont eu un retentissement con-
sidrable et en France et l'tranger, ont t l'objet de trs vives
attaques
;
nous avons examin dj quelques critiques adresses
la Philosophie de l'art. Mais, la plus importante de toutes et qui fait
faire un pas la question, est celle d'Emile Hennequin.
Le livre d'E. Hennequin, intitul La Critique scientifique
(3),
est
le complment naturel de celui de Taine. Taine soutenait que
l'uvre d'art est le produit de la race, du milieu et du moment

Hennequin essaie de renverser cette thorie.


En premier lieu, la race est un mot vague qui ne correspond
rien de rel. Il n'y a point de races pures et les individus ne portent
gure les caractristiques de leurs races. Hennequin dmontre
cette ide par des exemples trs prcis et qui semblent irrfutables.
S'appuyant encore sur des exemples, il rfute la thorie de la slec-
tion des artistes faite par le milieu. Il sera clair, ajoute Hennequin,
aprs ces dveloppements, que l'influence du milieu social, dii
spectacle ambiant, des gots contemporains sur l'artiste, est essen-
tiellement variable, au point qu'il est impossible d'y faire fond pour
conclure d'une uvre la socit au milieu de laquelle elle s'est
(1)
La psychologie des sentiments
(1896), p. 323.
(2)
Loc. cit., p. 32o.
(3)
1888.
206 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
produite. D'une part, cette influence n'existe pas pour la plupart
des suprmes gnies, comme Eschyle, Michel-Ange, Rembrandt,
Balzac, Beethoven
;
d'autre part, cette influence cesse peu prs
d'exister dans les communauts extrmement civilises, telle que
l'Athnes des sophistes, la Rome des empereurs, l'Italie de la Re-
naissance, la France et l'Angleterre modernes
; enfin, cette influence
variant en raison directe de la civilisation, il faudrait une enqute
pralable sur l'tat de la socit laquelle appartient une uvre,
avant qu'il fut permis de conclure de celle-ci celle-l
(1).
D'ail-
leurs, nous dit Hennequin, si l'on voulait multiplier les exemples,
le nombre des artistes en opposition avec leur milieu serait plus
grand que le nombre de ceux du cas contraire.
L'observation psychologique nous dmontre qu'une uvre d'art
n'meut que les personnes qui sont capables de ressentir les mo-
tions que l'uvre suggre. Bref, il est dmontrable par l'analyse
qu'on ne comprend en art que ce que l'on prouve et l'on peut
poser cette loi :- une uvre d'art n'exerce d'effet esthtique que sur
les personnes dont ses caractres reprsentent les particularits
mentales
;
plus brivement :^une uvre d'art n'meut que ceux
dont elle est le signe r>
(2).
Ainsi, Hennequin accepte une ressemblance entre l'uvre et le
milieu

mais, au lieu de dire comme Taine, que le milieu a fait
pousser l'uvre, comme du sol sort le chne, il soutient le con
traire : c'est l'uvre qui forme le milieu. Nous voyons clairement
comment un artiste libre des influences de la race, du got et des
murs ambiantes, crant une uvre qui est le signe de son me,
d'une me dont le caractre n'est ni national ni actuel, ni conforme
celles dont les uvres sont l'apoge du succs, dtache de la
masse vague du public et attire lui, comme par une force magn-
tique, une foule d'hommes. Cette foule l'entoure parce qu'il l'ex-
prime
;
elle existe parce qu'il a paru; le centre de force est dans
l'artiste et non dans la masse, ou plutt le centre de force est dans
le caractre abstrait de ressemblance qui peut exister entre un
artiste et ses contemporains
(3).
Et la preuve de ce fait est la sui-
vante : la mme poque nous trouvons des gnies, tout fait
contraires, qui tous sont en vogue. Or, nous ne pouvons videm-
(1)
La critique scientifique,
p.
116-117."
(2)
Ibid.,
p. 138-139. Rousseau avait fait une remarque analogue.
(3)
Ibid.,
p.
157-158.
E. HENNEQUIN
"207
ment pas accepter que tous expriment le mme milieu
;
mais, on
peut trs bien accepter que ces divers milieux ont t forms sous
l'influence
des gnies crateurs.
m Ainsi, conclut Hennequin, ce n'est point une assertion inexacte
de prtendre dterminer un peuple par sa littrature, seulement il
faut le faire non en liant les' gnies aux nations, mais en subordon-
nant celles-ci ceux-l, en considrant le peuple par les artistes, le
public par ses idoles, la masse par ses chefs (l). Une littrature
exprime une nation, non parce que la nation lui a donn le jour,
mais parce qiuelle l'a adopte et admire.
On voit que la thorie d'Emile Hennequin a le mme rapport
avec celle de Taine, que le ct concave avec le ct convexe de la
mme sphre. Toutes les deux acceptent le mme fait : la ressem-
blance entre un milieu et une oeuvre : mais, Taine pense que le
milieu forme l'uvre et Hennequin croit que l'uvre forme le
milieu. Ce dernier se fonde surtout sur le fait qu'au mme moment
et dans le mme pays on admire les talents les plus contraires

donc ce n'est pas le milieu qui les a fait natre.
Nous avons dj dit, propos de Taine, notre opinion sur cette
question ;
nous avons signal aussi une critique d'Ant. Mollire
(2)
(1866)
dans laquelle cet auteur soutient, contre Taine, que le milieu
absorbe les petits talents et, qu'au contraire, les grands gnies
faonnent et forment leur milieu. La solution de Mollire est la
plus raisonnable, mais la question est rellement oiseuse
;
mme la
critique littraire ne peut en tirer aucun profit
(3).
Hennequin avait conu une nouvelle science, Yesthopsychologie,
qui, se fondant sur le fait que l'uvre d'art rvle l'me de son
auteur et l'me de ceux qui l'admirent, aurait pour but la connais-
sance complte des grands artistes d'une part, et la connaissance
des vastes groupes sociaux agrgs. ceux ci par admiration et par
similarit. A la fin de son livre, Hennequin a ajout une tude mo-
dle'd'esthopsychologie, ayant pour sujet : Victor Hugo.
Il est inutile de dire le peu de srieux que prsente la tentative
de fonder une nouvelle science du jour au lendemain
;
d'ailleurs,
la meilleure preuve de l'inutilit de cet essai, c'est qu'il n'a pas
(1)
Ibid., p. 161.
(2)
C'est l'auteur d'une Mtaphysique du Beau (1849)
dont nous avons signal
ailleurs la mdiocrit.
(3)
Consulter : Ribot, Essai sur l'imagination cratrice, 1900. Paris, Ed.
Alcan, p.
124-129 (4
e
d.). Ribot se rapproche de la thorie d'Em. Hennequin.
208 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
trouv de continuateur et que sa tombe tait tout prs de son ber
ceau. En cela, il n'a fait que partager la fortune de la science
fonde sur des analogies et fabrique par Taine.
Cette partie de l'uvre d'Emile Hennequin a pourtant un mrite
;
elle met bien en vidence que les rapports qui existent entre un
milieu et un artiste gnial sont beaucoup plus compliqus qu'on ne
peut se l'imaginer et que, dans la critique littraire surtout, on doit
se mfier de trop htives gnralisations. Hennequin nous force
donner raison la mthode patiente et pleine de prcautions de
Sainte-Beuve.
Mais, dans le livre d'Emile Hennequin, il
y
a une autre thorie,
qu'on a peu analyse, mais qui nous semble tre du plus haut
intrt. Comment Hennequin dfinit-il l'uvre d'art ou l'uvre litt-
raire ? L'uvre littraire, nous dit-il, est un ensemble de phrases
crites ou parles, destines, par des images de tout ordre, soit
trs vives et prcises, soit plus vagues et idales, produire chez
ses lecteurs ou ses auditeurs une sorte spciale d'motion, l'mo-
tion esthtique qui a ceci de particulier qu'e//e ne se traduit pas
par des actes, qu'elle est fin en soi
(1).
Et voici comment il conoit
l'uvre d'art en gnral : l'uvre d'art est en rsum un en-
semble de moyens et d'effets esthtiques tendant susciter des
motions qui ont pour signes spciaux de n'tre pas immdiatement
suivies d'acte, d'tre formes d'un maximum d'excitation et d'un
minimum de peine et de plaisir, c'est- dire, en somme, d'tre fin
en soi et dsintresses
(2).
On voit, par ces dfinitions, que ce qui caractrise, selon Henne-
quin, l'motion esthtique, c'est sa strilit au point de vue de l'ac-
tion. (( Un roman, pour prendre un cas prcis, est une suite de
phrases crites, destines reprsenter un spectacle mouvant
;
l'motion qu'on ressent aprs l'avoir lu et en le lisant est sa fin
;
cette motion se distingue de celle que produirait le spectacle rel
substitu au spectacle reprsent du roman, en ce qu'elle est plus
faible comme toute reprsentation
;
en ce qu'elle est inactive, en
ce qu'elle ne provoque sur le moment ni des actes, ni des ten-
dances un acte. On ne se porte pas au secours du hros que
l'on assassine au dernier chapitre, et, s'il se marie, la joie qu'on
peut en ressentir est sans suites pratiques
(3).
(1)
Loc. cit.,
p. 26.
(2)
Loc. cit.,
p. 209.
(3)
Loc. cit.,
p.
27-28.
E. IIENNKnUIN 200
L'motion esthtique est par excellence inactive

c'est l son
caractre essentiel et prdominant

elle est inactive parce que
nous savons que le spectacle qui la fait natre est faux et n'atteint
ni notre vie relle ni notre scurit.
Hennequin donne dans son livre d'admirables exemples. Les
plus grandes uvres, crit-il, que l'art humain a produites, sont
des uvres montrant des images tristes et dveloppant des ides
lugubres qui restent grandioses, saisissantes, charmantes et ne
font jamais, quelque point qu'on les pousse, de peine nocive, de
vrai mal, de mal dont on veuille se dfendre (I).
C'est parce que l'uvre d'art ne prsente pas la ralit, mais un
mensonge, que l'motion reste inactive. Les causes de l'motion
esthtique, nous dit Hennequin, sont, contrairement aux causes de
l'motion relle, une hallucination que l'on sait inconsciemment
tre fausse, que l'on sent n'avoir rien de menaant, une hallucina-^
tion mouvante, dont les images sans cesse combattues en vertu
de leur caractre factice, rprimes et modifies par tout le cours
ambiant de la vie, par la conscience gnrale qu'a le sujet de sa
scurit, de sa non-soulrance,

cessent d'agir comme des images


relles, demeurent sans cohsion avec le- reste du cours mental, ne
s'associent pas des prvisions positives de peine ou de plaisir per-
sonnels, et restent ainsi seulement excitantes, comme on n'prouve
d'un assaut avec des pes mouchetes, que l'exhilaration d'un
exercice
(2).
L'art, ainsi, cre dans notre esprit une vie fort puissante et exci-
tante, mais qui ne se manifeste et ne se traduit ni par des actes,
ni par du vrai plaisir, ni de la douleur relle. Et il doit ce carac-
tre au fait que notre existence n'est pas en jeu

les prils et
dsastres que nous voyons sont faux et nous savons leur caractre
mensonger.
On voit comment ces conclusions d'Emile Hennequin qui font le
vrai intrt du livre, ressemblent aux thories de l'cole anglaise
et celles de l'abb Dubos. Spencer soutient: que l'art est un jeu
;
Hennequin fait faire un pas la question
;
l'art n'est pas un jeu
d'enfants, mais il partage le mensonge, la fiction et la convention
de tout jeu. Pour Schiller comme pour Spencer et pour Hennequin,
l'art est un jeu, parce que, avant tout, nous ne le prenons pas au
(1)
Loc. cit., p. 34.
(2)
Loc. cit.,
p.
37-38.
14
210 LE PROGRS DES IDES POSITIVES DANS L'ESTHTIQUE
srieux

les motions qu'il nous procure restent hors de notre vie


relle.
A la longue, l'motion esthtique peut exercer une influence sur
notre mentalit ;
Hennequin le reconnat. Mais au moment de la
jouissance esthtique, le monde tjue l'art nous prsente nous appa-
rat trs clairement comme une fiction, un artifice, un monde que
nous ne devons pas prendre au srieux. L'abb Dubos, le premier, et
c'est l son titre de gloire, a aperu le ct artificiel des passions
que l'art nous procure. Il a fallu deux sicles pour que nous nous
apercevions de la vrit de cette vue gniale.
Il est certain que la thorie d'Emile Hennequin doit tre perfec-
tionne et elle peut l'tre

mais dans son ensemble, c'est une
thse qui correspond la vraie nature de l'uvre d'art et de l'mo-
tion esthtique. C'est justement cette thorie qui fait le principal
mrite de la Critique scientifique et non pas le cercle vicieux qui
consiste se demander si c'est le milieu qui influe sur le gnie,
ou si c'est le gnie qui fait natre le milieu.
CHAPITRE VIII
Les potes.
I. J. M. GUYAU.
2. G. SAILLES.
Les
uvres de Guyau et de M. Sailles ragissent contre le
courant scientifique ;
cette raction est-elle fconde ? apporte-
t elle des nouveaux lments l'esthtique ? Les critiques de
Guyau,
adresses la thorie du jeu, ouvrent elles des nouveaux
horizons l'investigation scientifique ? A toutes ces questions le
prsent chapitre tchera de rpondre.
f
.
j, \[. Guyau exposa ses doctrines sur l'art, dans deux
tudes publies l'une en 1884 et l'autre, posthume, en 1889
(1),
tudes dont le principal attrait rside dans l'exposition potique des
ides et dans l'imagination toujours infatigable et souvent char-
mante de l'auteur.
On est forc d'examiner ces deux ouvrages sparment, car, tout
en dveloppant les mmes motifs, ils prsentent des diffrences
apprciables.
Le point de dpart des Problmes de l'esthtique contemporaine,
est une critique de la thorie qui rapproche l'art du jeu
;
d'aprs
cette doctrine, comme nous l'avons dj vu, l'art est un drivatif,
un emploi non nuisible du surplus de forces libres
;
l'art est un jeu
qui emploie le disponible de nos forces inutilises. Selon Spencer,
ce qui caractrise l'art, c'est qu'il n'est pas li aux fonctions vitales,
c'est que son utilit n'est pas indispensable pour notre vie. Le beau,
comme l'avait dj remarqu Kant, est inutile.
Guyau, dans les Problmes surtout, tchera de dmolir cette
(1)
Les problmes de l'esthtique contemporaine, 1884. (Nous utilisons la
T dition, 1911 ;
L'art au point de vue sociologique, 1889
;
A consulter :
A. Fouille, La morale, l'art et la religion d'aprs Guyau, 1889. Dans cet
ouvrage on trouve une bibliographie des tudes faites sur la philosophie et l'es-
thtique de Guyau ;
E. Boirac, Etude sur l'art au point de vue sociologique
(Revue philosophique. Juin 1890.)
212 LES POTES
conception qui lui parat et fausse au point de vue scientifique et
funeste pour l'avenir de l'art.
Tout d'abord, si l'art est un jeu, comment distinguerons-nous
l'un de l'autre? Grant Allen, nous l'avons vu, soutient que le jeu
est l'exercice dsintress des fonctions actives et l'art celui des
fonctions rceptives. Cette distinction entre la pure sensation et
l'action, parat tout fait insuffisante. Il est impossible de ddou
bler notre tre, de supposer qu'en nous cela seul est esthtique qui
est passif
(1).
Guyau serait plutt dispos accepter que tout jeu
renferme des lments esthtiques.
Une autre objection qu'on peut adresser aux thories du jeu, est
la suivante : l'utile n'est pas, comme elles le soutiennent, en oppo-
sition avec le beau. Guyau prend comme exemple l'architecture
;
pour qu'un difice nous plaise, il faut qu'il nous paraisse accom-
mod son but; ainsi l'utilit semble tre un premier degr de
beaut
(2).
Jusqu'ici, Guyau semble avoir raison
;
mais il ira plus loin. Au
fond, il le sent bien, toutes ces critiques s'adressent plutt des
dtails qu'au cur de la question. Ce qui fait l'intrt des thories
du jeu, c'est qu'elles envisagent l'art comme une fiction. C'est ce
caractre exclusif de fiction que Guyau niera. La fiction, crit-il,
n'est point comme on l'a prtendu, une des conditions ncessaires
du beau
(3).
Guyau donne des exemples et ajoute : Cela revien-
drait dire que tel discours de Mirabeau ou de Danton, improvis
dans une situation tragique, produirait moins d'effet esthtique
sur l'auditeur qu'il n'en produirait sur nous... La Mona Lisa de
Lonard ou la Sainte-Barbe de Palma le Vieux ne pourraient s'ani-
mer sans dchoir. Comme si le vu suprme, l'irralisable idal
de l'artiste n'tait pas d'insuffler la vie son uvre, de crer au
lieu de faonner! S'il feint, c'est malgr lui, comme le mcanicien
construit malgr lui des machines au lieu d'tres vivants. La
fiction, loin d'tre une condition du beau dans l'art, en est une
limitation. La vie, la ralit, voil la vraie fin de l'art
;
c'est par
une sorte
d'avortement qu'il n'arrive pas jusque-l
(4).
C'est l
l'ide-malresse de l'uvre de Guyau : la vie. La vie est le but de
(1)
Les Problmes, etc., p.
12.
(2)
Loc. cit., p. 17.
(3)
Loc. cit., p. 31.
(4)
Loc. cit., p.
32.
.]. M. GUYAU 213
l'art L'artiste a pour fin de la crer, et s'il feint, c'est pour nous
faire croire qu'il ne feint pas.
Mais, si la vie est le but de l'art, comme la vie est srieuse, lait
est chose srieuse par excellence

c'est--dire le contraire du jeu.


Pour dmontrer cette ide, (iuyau recherche le beau, dans les .
sensations, les mouvements et les sentiments. En vertu de sa
thorie, M. Grant Allen est port logiquement rserver le nom
d'esthtiques
aux sensations de l'oue ou de la vue qui seules
n'intressent pas la vie en gnral. Pour nous, nous croyons que
toute sensation agrable, quelle qu'elle soit, et lorsqu'elle n'est pas
par sa nature mme lie des associations rpugnantes, peut rev-
tir un caractre esthtique en acqurant un certain degr d'inten-
sit, de retentissement dans la conscience
(1).
Dans le chaud et le froid, Guyau trouve dj un certain caractre
esthtique. 11 cite cet exemple, devenu clbre, qu'un jour, en
buvant du lait aux Pyrnes, il lui sembla saisir une symphonie
pastorale par le got, au lieu de le faire par l'oreille. Les sensations
de got, unies avec celles de la fracheur et de la soif calme, en
cette occasion mmorable, devinrent rellement esthtiques. Ce
qu'il
y
a de certain, c'est que dans Les problmes, Guyau est port
confondre l'agrable avec l'esthtique. Si toute sensation,
crit-il, peut avoir un caractre esthtique, quand et comment
acquiert elle ce caractre?

C'est l, nous l'avons dj dit, une
simple affaire de degr, et il ne faut pas demander des dfinitions
du beau trop troites, contraires par cela mme la loi de conli
imit qui rgit la nature
(2).
On voit par ce passage qui ne laisse
aucun doute, que Guyau ne trouve qu'une diffrence de quantit et
non de qualit entre l'agrable et le beau.
Toute sensation passe par trois moments :
1 le choc primordial,
o nous ne distinguons pas encore clairement la sensation
;
2 le
moment o cette sensation devient douloureuse ou agrable, et
3"
la diffusion nerveuse, c'est--dire la phase o la sensation
s'largit et excite tout le systme nerveux; elle envahit la cons-
cience entire et ainsi tend devenir esthtique ou
anti-esthtique.
L'motion esthtique nous semble ainsi consister
essentiellement
dans un largissement, dans une sorte de rsonnance de la sensation
travers tout notre tre, surtout notre intelligence et notre volont.
(1)
Loc. cit., p. 61.
(2)
Loc. cit., p. 72.
2\\ LES POTES
C'est un accord, une harmonie entre les sensations, les penses et
les sentiments. L'motion esthtique a gnralement pour base,
pour pdale, comme on dirait en musique, des sensations agrables
;
mais ces sensations ont branl le systme nerveux tout entier :
elles deviennent dans la conscience une source de penses et de
sentiments
(1).
C'est dans cette rsonnance de la sensation agrable travers
tout notre tre que Guyau l'ait rsider l'motion esthtique et le
sentiment de la beaut. La valeur de l'uvre d'art dpend de la
force avec laquelle tout notre tre est branl
;
l'motion produite
par l'artiste sera d'autant plus vive que, au lieu de faire simple-
ment appel des images visuelles ou auditives indiffrentes, il
tchera de rveiller en nous, d'une part les sensations les plus
profondes de l'tre, d'autre part les sentiments les plus moraux et
les ides les plus leves de l'esprit. En d'autres termes, l'art devra
intresser indistinctement l'motion toutes les parties de nous-
mmes, les plus infrieures comme les suprieures
(2).
On peut rsumer maintenant ainsi les ides principales des
Problmes : l'art n'est pas le jeu
;
il possde le srieux de la vie
avec laquelle il se confond ;
de l'agrable, qui est dans la vie
mme, sort l'motion esthtique qui n'est autre chose qu'une
stimulation gnrale de notre tre.
Les problmes de l'esthtique contemporaine ne sont pas une
uvre compltement mre. Guyau nie la thorie du jeu, avec des
arguments terriblement faibles ;
il dmontre que l'utile n'est pas
en opposition avec le beau, et il donne comme exemple les uvres
de l'architecture. Mais personne n'a soutenu le contraire
;
per-
sonne, dans l'cole du jeu, n'a dit qu'une chose utile ne peut pas
tre belle. C'tait Guyau dmontrer que les choses utiles sont
belles, parce qu'elles sont utiles. Alors il rapprocherait le beau et
l'utile, le beau et le srieux. Il ne le fait pas, car il ne pourrait le
faire.
Guyau soutient, d'autre part, que l'motion esthtique n'est
autre chose que le sentiment de l'agrable et que tous les sens
peuvent
y
participer. Ici encore, il est en contradiction avec les faits
les plus connus. L'agrable peut tre esthtique, mais il n'est pas
(1)
Loc. cit., p.
73-74.
(2)
Loc. cit., p. 81.
J. M. GUVAU 215
esthtique parce qu'il est agrable

et, c'est ce que Guyau
soutient.
II nie, en plus, le rle de la fiction dans l'art. Pourquoi le nie-t-il ?
est-il en contradiction avec quelque fait nouveau ? Ne correspond il
plus la ralit? Du tout; il le nie, parce qu'il ne cadre pas bien
avec son systme
;
il le nie en le reconnaissant comme rel, puis-
qu'il crit : que l'art s'il feint, c'est malgr lui, etc.
(1)

donc
il feint; cela est une constatation et non le dsir d'un mtaphysi-
cien.
Enfin, Guyau met la place de la thorie du jeu, la thorie vi-
taliste. L'art c'est la vie
(2).
Mais pourrait-on lui rpondre, tout
(
est la vie. La mode fminine volue, vit, vibre, se transforme,
meurt, prend naissance avec la vie. Le commerce, l'industrie, c'est
encore la vie. La religion c'est la vie. Tout est la vie. Guyau ne
craint d'ailleurs gure cette objection, puisque, plus tard il en-
globera tout dans cette seule ide : la vie. Mais, expliquer les
nigmes qui nous entourent par un concept aussi vaste que celui
de la vie, c'est ne rien expliquer.
Examinons son second livre sur l'art. Les problmes, uvre de
premire jeunesse, est encore fragile comme conception. Dans
L'art au point de vue sociologique, nous retrouvons les mmes thses
mais mries, solidement assises, beaucoup plus travailles.
Dans Les problmes, l'motion esthtique tait une sorte de r-
'sonnance de la sensation dans notre conscience tout entire

notre
conscience, produit de diffrentes parties de tout notre tre, est
comme une socit rudimenlaire et microscopique et qui, mo-
tionne esthtiquement, vibre tout entire.
Celte conception s'largit dans L'art au point de vue sociologique.
Nous vibrons avec la socit relle
;
notre conscience se met
l'unisson, non pas avec une socit rudimentaire, mais avec la
socit des tres vivants ou fictifs qui la dpassent en complexit.
La sensation agrable s'largissait pour inonder notre tre

main
tenant, c'est notre tre qui s'amplifiera pour embrasser toute une
socit.
Le pivot de la premire thse de Guyau, tait la sensation qui
envahissait l'tre tout entier dans la seconde thse, l'tre, le
(1)
Ibid., p. 32.
(2)
Od trouve une thorie analogue, mais beaucoup moins profonde, dans un
livre d'Albert Colligoon, L'art et la vie. Metz, 1867.
216 LES POTES
moi sert de centre et la socit entire de priphrie. Dans la pre-
mire conception , la sensation s'largissait par des processus
psycho-physiologiques inconnus

dans la seconde, le moi em-
brasse l'univers par la sympathie. Voici comment s'exprime Guyau,
montrant les deux tapes de son systme. La solidarit et la
sympathie des diverses parties du moi nous a sembl constituer le
premier degr de l'motion esthtique
;
la solidarit sociale et la
sympathie universelle va nous apparatre comme le principe de
l'motion esthtique la plus complexe et la plus leve
(1).
Comment Guyau conoit-il la sympathie et quel rle assigne t-il
l'art? Sa thorie de la sympathie nous rappelle celle de Sully
-
Prudhomme : D'abord, il n'y a gure d'motion esthtique sans
motion sympathique
;
et pas d'motion sympathique sans un objet
avec lequel on entre en socit d'une manire ou d'une autre, qu'on
personnifie, qu'on revt d'une certaine unit et d'une certaine vie.
Donc, pas d'motion esthtique en dehors d'un acte de l'intelli-
gence par lequel on anthropomorphise plus ou moins les choses en
faisant de ces choses des tres anims, et les tres anims en les
concevant sur le type humain
(2).
Et voici le rle de l'art : En rsum, l'art est une extension,
par le sentiment, de la socit tous les tres de la nature, et
mme aux tres conus comme dpassant la nature, ou enfin aux
tres fictifs crs par l'imagination humaine. L'motion artistique
est donc essentiellement sociale
;
elle a pour rsultat d'agrandir la
vie individuelle en la faisant se confondre avec une vie plus large
et universelle. Le but le plus haut de l'art est de produire une mo-
tion esthtique d'un caractre social
(3).
Le plaisir caus par l'motion peut tre analys comme il suit :
1
en plaisir intellectuel, provenant de la reconnaissance des objets
par la mmoire

et dans les objets nous reconnaissons toujours
quelque chose de nous-mmes;
2
en plaisir sympathique pour
l'auteur. On sympathise avec lui, tout en sentant et critiquant
ses dfaillances. Sur ce point, Guyau se rapproche de la thorie
(1)
L'art au point de vue sociologique, p. 13.
(2)
lbid.
(3)
Loc. cit., p. 21. Dans cette dfinition, ou doit remarquer le sens abusif
dans lequel est employ le mot socit. Comme l'a trs bien observ Th. Ribot :
a qui dit socit dit solidarit
;
tout autre emploi du mot est arbitraire.

Psychologie des sentiments. [18%) p. 3i0. Dans les livres de Guyau on doit
chercher tout autre chose que la rigueur scientifique.
J. M. GUYAU
217
d'Eugne
Vron, que nous avons dj analyse
;
:}" en un plaisir
provenant de la sympathie que nous ressentons pour les tres ou
objets reprsents par l'auteur. Pour faire natre ce dernier plaisir,
l'art doit nous prsenter, avant tout, des tres sympathiques. Le
but dernier de l'art est toujours de provoquer la sympathie
;
l'anti-
pathie ne peut jamais tre que transitoire, incomplte, destine
ranimer l'intrt par le contraste, exciter les sentiments de piti
envers les personnages marquants par l'veil des sentiments de
crainte ou mme d'horreur. En somme, nous ne pouvons pas
prouver l'antipathie absolue et dfinitive pour aucun tre vivant.
Peu importe donc, au fond, qu'un tre soit beau, pourvu que
vous me le rendiez sympathique. L'amour apporte la beaut avec
lui (1).
Le gnie possde une grande aptitude
sympathiser avec les
divers tres sociaux. Selon nous, crit Guyau, le gnie artistique
et potique est une forme
extraordinairement
intense de la sym-
pathie et de la sociabilit, qui ne peut se satisfaire qu'en crant un
monde nouveau, et un monde d'tres vivants. Le gnie est une
puissance d'aimer qui, comme tout amour vritable, tend nergi-
quement la fcondit et la cration de la vie (2).
Nous avons dj vu que Guyau n'accepte pas les ides de Taine
sur l'apparition du gnie
;
celles d'Emile Hennequin ne le satisfont
pas davantage. Pour Guyau, le gnie est avant tout crateur

dterminer
l'influence du milieu sur le gnie ou l'inverse, c'est
essayer de rsoudre un problme insoluble.
Les artistes dcadents et ceux que Guyau appelle les dsqui-
librs, ont comme caractristique d'tre des insociables. La litt-
rature des dcadents, comme celle des
dsquilibrs, a pour carac-
tristique la prdominance des instincts qui tendent
dissoudre la
socit mme, et c'est au nom des lois de la vie individuelle ou
collective qu'on a le droit de la juger (3).
Telles sont les ides essentielles de L'art au point de vue socio-
logique. Mais derrire toutes ces ides
comme un
accompagne-
ment sourd

nous trouvons toujours le leitmotiv des
Problmes,
l'ide de la vie.
La vie est, avant tout, le but et la raison de l'art.
Exprimer
la
(1)
Loc. cit., p.
6G.
(2)
Ibid., p. 27.
(3)
Ibid.,
p.
377.
218 LES POTES
vie, nous taire sympathiser avec la vie, telles sont les phrases qui
reviennent tout instant dans ce livre, si plein de vie et de posie.
Le vritable objet de l'art, c'est l'expression de la vie
(1).
L'art, c'est de la vie concentre, qui subit dans cette concentra-
tion les diffrences du caractre des gnies
(2).
L'art doit nous
prsenter des tres vivants. La vie, tut-elle celle d'un tre inf-
rieur, nous intresse toujours par cela seul qu'elle est la vie
(3).
Ailleurs, Guyau crit : L'art vritable est, selon nous, celui* qui
nous donne le sentiment immdiat de la vie la plus intense et la
plus expansive tout ensemble, la plus individuelle et la plus
sociale
(4).
Alfred Fouille a bien mis en lumire ce trait de la philosophie
de Guyau. L'ide dominante, a-t-il crit, que Guyau se proposait
de dvelopper, c'est celle de la vie comme principe de l'art, de la
morale, de la religion. Selon lui, et c'est la conception gnra-
trice de tout son systme

la vie bien comprise enveloppe, dans


son intensit mme, un principe d'expansion naturelle, de fcon-
dit, de gnrosit (o).
L'art au point de vue sociologique est un livre beaucoup plus int-
ressant que Les 'problmes. On
y
trouve toutes les ides des Pro-
blmes, mais approfondies, enrichies, en un mot, mries. Guyau
abandonne un peu ses paradoxes sur la beaut de l'utile et se
rapproche de la thorie du jeu. Dans cet ouvrage posthume

c'est l, peut-tre, la cause du manque d'unit qu'on remarque dans
la rdaction

on trouve une grande multitude d'exemples et d'ob-


servations psychologiques fort intressantes
;
nous nous bornons
signaler l'tude sur la posie du soutenir, tude fconde et que
l'esthtique ne devait pas ngliger car, le fait que l'loignement
dans l'espace ou le temps rend les objets potiques, est incontes
table.
Le plus grand mrite de Guyau est de saisir l'extrme complexit
(1)
ibid.,
p. 57.
(2)
Ibid., p. 65.
(3)
Ibid., p. 66.
(4)
Ibid., p. 75.
(5)
La morale, l'art et la religion d'aprs Guyau
(6
e
d.),
p.
17. Consulter
dans la Grande Revue, Tome premier, p.
278-282, la rponse d'Al. Fouille
une enqute sur l'esthtique de Tolsto. Fouille rapproche et compare ingnieu-
sement les thories du philosophe russe et celles de Guyau. Dans l'Anne philo-
sophique de Fillon (1890), ou trouve une analyse de l'uvre de Guyau, par
L. Dauriac, assez intressante.
J. M. GUYAI 219
des phnomnes dont il s'occupe ;
ainsi, il ragit contre la grande
simplicit des thories de Taine.
Les livres de Guyau sont pleins de posie, pleins d'un charme
qui en rend la lecture agrable et l'auteur sympathique. Mais, plus
d'une fois, cette posie, ces brillantes mtaphores, ces splendides
descriptions usurpent la place qui aurait du tre consacre
l'analyse exacte, des faits prcis, des ides nettes. Nous sommes
blouis, comme par les rayons dors du soleil

mais pareilles aux


rayons dors, les ides sont insaisissables, parfois vagues et Ilot-
tantes. On n'a jamais pu concilier la posie vagabonde et foltre
avec le terre terre et le prosasme de la science.
Les travaux esthtiques de Guyau ont t tudis par diflrents
crivains
;
nous signalons, entre autres, une tude de M. E. Boirac
dans la Revue philosophique (1).
M. Boirac pense que l'esthtique
entre, avec la conception de Guyau, dans sa troisime tape
volutive. L'esthtique
platonicienne ou esthtique de l'idal forme
la premire phase; pour elle, le beau, c'est la vrit, l'ordre, la
perfection, raliss dans les choses. La seconde phase issue des
thories de Kant, peut tre nomme celle de l'esthtique de la
perception. Le beau est relatif au plaisir qu'il nous cause, et ce
plaisir est l'effet d'un acte subjectif, de l'acte de la perception.
L'cole anglaise se rattache cette seconde phase. Elle ne fait
qu'exagrer
l'importance de l'ide du jeu esthtique, indique
par Kant. Enfin, selon toujours M. Boirac, Guyau fait entrer
l'esthtique dans sa dernire phase, celle de la sympathie. Joulroy
a bien entrevu l'importance de ce principe, mais c'est dans l'uvre
de Guyau que cette hypothse sche et mtaphysique devient un
systme vivant et complet,
grce a l'interprtation biologique et
sociologique qu'il a su donner de ce principe . M. Boirac croit que
l'on doit se poser maintenant le problme de la conciliation de celle
thorie de Guyau avec les deux autres

la doctrine
platonicienne
et la thse kantienne.
M. Boirac semble commettre une erreur fondamentale.
Dire que
Guyau fait faire un pas au problme de la sympathie, pos par
Jouffroy et tudi par Sully -Prudhomme, c'est exagrer la porte
des thories de Guyau

car, enfin, on peut se demander en
quoi consiste ce progrs dans l'uvre de ce dernier. Une science
(1)
Elude sur l'art au point de vue sociologique (Revue
philosophique,
juin 1890).
220 LES POTES
progresse quand elle substitue des hypothses vagues des hypo-
thses plus prcises. Or, Guyau substitue aux hypothses de Jouf-
froy, des hypothses encore plus vagues et beaucoup moins pr-
cises.
Diviser l'volution de l'esthtique, comme le fait M. Boirac, c'est
donner libre cours l'imagination la plus audacieuse. Le seul critre
qu'on puisse employer pour juger et classer les thories, est celui
de la science ou plutt celui de la vrit qu'elles contiennent. Une
thorie est vraie quand elle ne contredit pas l'exprience. La
science est un systme qui russit.
Les thories de Guyau n'ont rien de commun avec l'exprience
et la science. Guyau, dans ses livres, vide son cur plein de posie,
construit un monde idal, rve la vie

cette vie qui devait lui
faire dfaut trop tt malheureusement. Mais des faits, de l'exp-
rience, il se proccupe aussi peu que le fait Cousin ou le Pre
Andr. Guyau ragit contre les doctrines tendances rellement
objectives.
Enfin, M. Boirac rattache les thories de Spencer la thorie de
la subjectivit de Kant, en se fondant sur le fait que Kant aussi a
envisag l'art comme un jeu. Mais, entre ces deux points de vue,
il
y
a toute la diffrence qui existe entre une hypothse mtaphy-
sique gratuite et une hypothse qui essaie de s'appuyer sur des
faits prcis. Confondre la thorie du jeu avec celle de Kant, c'est
ne pas saisir le mrite de la premire qui rside, avant tout, dans
le souci constant de s'appuyer sur le rel. Or, ce mme souci de
s'appuyer sur les faits pour les expliquer, manque dans les thories
de Guyau
;
elles sont des hypothses brillamment exposes, pleines
de charmes, mais vagues, sans prcision, tout fait gratuites et
dont la valeur relle, au point de vue de la science, est nulle.
11 serait rellement dsastreux

et il est heureusement im-
possible

que l'esthtique entire passt par cette troisime
phase, rsume dans l'uvre de Guyau, comme le dsire M. Boirac.
C'est l'uvre de Guyau qui est en retard sur l'volution de la
science esthtique. Nous avions vu que cette branche d'tudes
avec Taine, l'cole anglaise et Hennequin, tait entre dans sa
phase dfinitive

celle de l'lude objective et scienlifiquer.
Les uvres de Guyau, ne s'appuyant pas sur l'exprience, mais
sur les rves de ce charmant esprit, forment un systme incomplet
puisqu'il est dmenti par les faits, mais intressant, brillant,
potique.
G. SKAILLES
221
2.

Le livre de M. Gabriel Sailles, intitul Essai sur le gnie
dans l'arl{\). prsente de grandes allinits avec l'uvre de Guyau.
L'auteur, pote amoureux de la vie, rappelle le jeune malade des
l'roblmes et de L'art sociologique. On retrouve dans ce travail la
raction contre les thories tendances scientifiques, mais on
y
retrouve galement des hypothses ne s'loignanl pas heaucoup de
la thorie qui envisage l'art comme une fiction par excellence.
M. G. Sailles tudie surtout le gnie dans l'art et c'est cette
tude qui l'oblige de lixer sa conception gnrale de l'art. On sou-
tenait, l'poque o M. Sailles crivait sa thse, que le gnie est
une chose monstrueuse, anormale, avoisinant bien plus la folie
que l'tat normal
(2).
Les psychologues ont abandonn cette con-
ception aujourd'hui.
Le gnie, selon M. Sailles, est l'tat naturel et normal de
l'esprit
(3).
-
Le gnie n'est pas, comme on l'a soutenu, une
sorte de maladie mentale, une folie avorte
;
le gnie, c'est la sant
de l'esprit
(4).
On a tort d'tudier le gnie comme un monstre;
il vaudrait mieux l'tudier dans la continuit de son volution.
Voici comment M. Sailles le dfinit : Le gnie, au sens le plus
tendu du mot, c'est la fcondit de l'esprit, c'est la puissance
d'organiser des ides, des images ou des signes, spontanment,
sans employer les procds lents de la pense rflchie, les d-
marches successives du raisonnement discursif (o).
Le gnie n'est ni un monstre, ni un miracle

c'est l'esprit
mme. Il se manifeste dj dans la sensation
;
chaque sensation
est compose de mille autres sensations qui nous chappent. Il
y
a
l un travail d'unification inconsciente. Les cinq sens nous pr-
sentent cinq mondes qui semblent irrductibles. L'esprit confond
les sensations des divers sens dans l'unit de l'objet qu'elles cons-
tituent; l'esprit ramne l'unit les sensations des divers sens
en les combinant dans la notion de l'objet
(6).
Ainsi, dans la
sensation il
y
a un travail inconscient de notre esprit.
(1)
Essai sur le gnie dans l'art, 1884. Nous utilisoos la 4
e
dition (1911).
On peut consulter les deux biographies psychologiques.

Eugne Carrire
(Librairie Colin) et Lonard de Vinci (Ed. Perrin), du mme auteur.
(2)
Moreau de Tours avait dit : le gnie est une nvrose
;
aprs lui, Lombroso
avait essay de prciser et de rattacher le gnie l'pilepsie larve.
(3)
Essai sur le gnie dans l'art,
p. 4.
(4)
Ibid., p. 174.
(o) lbid., p.
2-3.
(6)
lbid., p. 9.
222 LES POTES
Mais les sensations s'organisent pour crer le monde. Les vibra-
tions de l'ther, seule donne du monde extrieur, sont incalcu-
lables
;
l'esprit les ramne l'unit de la sensation visuelle
;
les
sensations des divers sens le transportent dans cinq mondes sans
rapport, il les identifie dans l'unit de l'objet, qu'il compose de leur
ensemble harmonique
;
les objets sont distincts, perus tour tour,
il met entre eux l'unit en les saisissant comme dans une seule
intuition, en les parcourant si vite qu'il les embrasse d'un seul
regard. L'esprit ne rflchit pas le monde, il le cre
;
son premier
acte est un eiort spontan vers l'harmonie
;
il commence vivre
en ralisant la beaut
(1).
Mais l'esprit ne s'arrte pas l
;
ayant cr le monde, il essaie
de classer ses divers caractres, d'analyser les ressemblances ou
diffrences, de dcouvrir ce qui est permanent ct de ce qui est
passager, enfin d'y introduire l'ordre et l'unit par la pense rfl-
chie et consciente

c'est l'uvre de la science. Ainsi, la science
continue la vie, elle en est une forme suprieure : elle nat et se
dveloppe quand les ides s'organisent... Deux termes sont en
prsence : le monde, l'esprit... L'esprit sans le monde n'est qu'une
forme vide... seule l'unit n'est qu'une abstraction
;
le monde sans
l'esprit se dissout; seul le multiple, c'est le chaos... La condition
de la vie et de la pense, c'est l'unit dans la diversit, c'est l'har-
monie
(2).
Ainsi l'esprit travaille pour l'ordre
;
la science continue la vie
ou plutt, elle est la vie mme
;
elle manifeste en toutes ses con-
clusions le gnie amoureux de l'ordre, de l'harmonie et de la
beaut. Au fond de la science, de l'esprit et du gnie, il
y
a la vie

tout repose sur elle, comme sur le granit primitif les couches
superposes.
La grande caractristique de l'esprit et du gnie c'est le besoin
d'organisation, d'harmonie et d'ordre. L'esprit cre le monde en
organisant les sensations ;
il le cre encore en
y
mettant l'ordre
et l'harmonie, par la science. Mais le monde rsiste l'esprit
;
il brave la science par l'inconnu et la morale par le mal. Le gnie
cherchera ailleurs une matire docile o il pourra satisfaire plei-
nement son besoin d'ordre et d'harmonie. Il crera l'uvre d'art
;
mais comment et avec quelle matire ?
(1)
Ibid.,
p. 14.
(2)
lbid., p. 30.
G. SAILLES
223
Le monde est connu par les modifications qu'il provoque en
nous

ce sont les sensations. Ces sensations, quand la cause
extrieure a disparu, peuvent renatre dans l'esprit de l'homme
et constituer ce que nous appelons les images. A toute sensation
rpond une image. Donc nous avons dans notre esprit un monde
idal entier qui dilre peu du monde rel et qui est constitu par
des matriaux spirituels et dociles, par les images. L'image est
une sensation spiritualise
(1).
Mais l'image n'est pas chose inerte et morte
;
elle tend agir,
se raliser, retourner au monde dont elle sort. L'image est un
lment spirituel, ml la vie intrieure, obissant toutes ses
lois
;
l'image tend s'exprimer par le mouvement. Dans ce rapport
de l'image l'esprit et au mouvement est contenu le germe de

l'art
(2).
D'une part, l'image dans l'esprit partage la vie de l'esprit, s'orga-
nise, aspire vers l'unit et l'harmonie, d'autre part, elle tend se
transformer en mouvement, se raliser. Ces deux moments cor-
respondent la conception et l'excution de l'uvre d'art. Exa-
minons le premier moment

la vie de l'image. Les images

cette matire spiritualise et docile

vivent dans notre esprit.
Imaginer, c'est vivre
;
des degrs divers, tout homme est
artiste
(3).
L'imagination se mle toute notre vie
;
elle modifie
mme nos perceptions. L'aspect des choses change selon les
images que nos habitudes leur associent
(4).
Cette vie des images, nous pouvons la suivre dans le souvenir et
dans l'esprance

car, la ralit se trouvant loigne, le champ
imaginatif demeure plus vaste. Nous ne reproduisons pas ce qui
a t. L'esprit est si naturellement pote qu'il l'est sans le soup-
onner. Nous croyons revivre notre vie passe
; c'est une illusion.
Mille dtails sont oublis
;
ce qui reste, c'est une impression domi-
nante, un sentiment gnral de tristesse ou de joie qui s'impose
la conscience (o). Dans l'esprance, le phnomne est encore plus
grossi. L'avenir n'est personne, nous nous en emparons (G).
Nous avons vu que dans la sensation dj le gnie se manifeste.
(1)
lbid., p. 81.
(2)
lbid., p. 94.
(3)
lbid., p. 98.
(4)
lbid., p. 101.
(5)
lbid.,
p. 106.
(6)
lbid., p. 107.
224
LES POTES
C'est le gnie encore qui cre le monde et l'ordonne par la science.
Le gnie apparat dans la vie des images. Ainsi, crit M. Sailles,
l'imagination cratrice est encore le gnie qui dirige la pense
scientifique et l'entrane vers la vrit en s'eforant vers la vie.
Mais c'est ce gnie, disposant son gr d'une matire qui ne se
distingue pas de lui, ne travaillant plus reproduire ce qui est,
mais se produire lui mme dans une ralit qui exprime ses lois
fidlement. Avec cette libert du gnie, l'art commence : art tout
individuel encore enferm dans l'esprit dont il ne peut sortir sans
renoncer lui-mme, mais o dj s'entrevoient les procds et les
conditions de l'art vritable, d'o dj se dgage cette vrit :
l'idal n'est que le mouvement naturel de la pense vers la vie
toute harmonieuse
(1).
C'est dans celte vie des images que nous
devons chercher la conception de l'uvre d'art. L'uvre est conue
sous l'influence d'une motion premire comme dans le germe
dj frmit l'tre vivant. C'est un sentiment vague, qui, peu
peu, devient un centre autour duquel s'organisent les images. Il
y
a l un travail inconscient et pour ainsi dire mystrieux. L'uvre
d'art se fait en
y
pensant toujours, alors mme qu'on n'y pense
pas
(2).
C'est l, par excellence, la puissance du gnie.
Le gnie, c'est la vie elle-mme
;
c'est l'esprit ne s'attachant
aucune ide sans qu'elle devienne aussitt le principe d'un mouve-
ment vital qui lui donne toute sa valeur, en groupant autour d'elle
tout ce qui la complte ou l'exprime
;
c'est l'esprit dgageant de la
diversit des ides confuses, par cela seul qu'elles vivent en lui,
avec leurs rapports l'unit qui les ordonne
(3).
Mais, avons-nous dit, l'image qui vit dans l'esprit tend d'autre
part se raliser, se transformer en mouvement. L se trouve le
second moment de la cration artistique ;
aprs la conception,
l'excution.
En gnral, l'image tend se raliser
;
dj, au plus bas degr,
l'image des aliments fait affluer la salive dans la bouche
;
une image
triste peut provoquer des larmes. Les exemples analogues ces
cas sont nombreux. De mme, il existe une imagination cratrice
du mouvement; il
y
a mme une mmoire des mouvements qui,
chez l'animal, devient l'instinct. Il est dmontr que, ds que
(1)
Ibid., p.
129-130.
(2)
Ibid., p. 170.
(3)
Ibid., p.
174-175.
G. SAILLES
225
limage apparat, le mouvement correspondant tend se raliser.
D'une faon gnrale, imaginer un mouvement, c'est l'baucher
;
l'imaginer avec persistance et intensit, c'est l'accomplir (1).
Dans l'art, l'excution correspond cette ralisation de l'image

mais au lieu de raliser l'image en actes, l'artiste, par une ruse,
ralise l'image tout en la conservant telle quelle, c'est- dire en lui
laissant son caractre propre d'image, caractre tout spirituel.
L'art suppose une sorte d'industrie, de ruse, par laquelle on
utilise le rapport de l'image au mouvement. L'image tend devenir
le mouvement qui fait d'elle une ralit :
liminons ce qui ne
dpend pas de nous ;
faisons rpondre l'image un mouvement
qui, crant une apparence, nous donne l'image elle-mme. Alors
seulement nous pourrons voir l'esprit et, en saisissant la vie et ses
lois dans une ralit sensible, contempler la beaut
(2).
C'est l le nud de la conception de M. Sailles. Si les images
se transformaient en mouvements rels, l'artiste manquerait son
but. Les images doivent, tout en se ralisant en partie, rester
images. L'art est un jeu,
une coquetterie, un miroir que se pr-
sente la vie, et o, en se regardant, elle contemple la beaut. Il ne
cherche pas l'objet au-del de l'image
;
il ne veut que l'image, que
son harmonie
(3).
M. Sailles revient sur cette ide : L'image est lie au mouve-
ment : quand, cre par le dsir, elle reprsente une suite d'actes
qui mnent la satisfaire, ces actes sont accomplis
;
quand elle est
voulue pour elle-mme, quand elle est l'objet du dsir, elle se pro-
longe en mouvements propres crer une apparence qui donne la
ralit et la possession de l'image
(4).
Ainsi, avons-nous dit, la ralit rsiste l'esprit
;
l'esprit alors
cre l'uvre d'art avec des lments dociles
;
ces lments sont les
images ralises en tant qu'images
(.'>).
(1)
lbid., p. 134.
(2)
lbid., p.
148.
(3)
lbid., p.
188.
(4)
lbid., p.
189-190.
(5)
Schopenhauer avait exprim la mme ide. Consulter : A. FauconDet

L'esthtique de Schopenhauer, 1913, p. 142, 143 et 388. Voici un passage de
l'auteur allemand que Fauconnet traduit : L'image nous facilite mieux que le
rel, l'aperception de l'ide dont elle est, par suite, une approximation plus pro-
chaine pour la raison gnrale suivante : l'uvre d'art est un objet qui a dj
travers une pense, un sujet
;
par consquent elle est l'esprit ce que les
aliments carns sont notre corps, c'est--dire une nourriture vgtale dj pr-
pare, assimile par un autre organisme.
15
226 LES POTES
'
L'art et le gnie sont, comme nous l'avons dit, la vie mme

mais, M. Sailles le reconnat, l'art est une fiction, un monde


spirituel et fictif obissant au gnie. L'art nous donne ce que
la ralit nous refuse. Il cre une vie artificielle et complte
en crant un monde qui, fait de l'esprit, rpond toutes ses
lois
(1).
Dans cette vie artificielle, le dsordre et l'anarchie
n'existent pas plus que le mal ou l'inconnu. L'art est un paradis
momentan
(2). Le beau est dans l'esprit
;
il est l'esprit mme.
On peut le dfinir par l'unit, l'ordre et l'harmonie.
Tel est l'ensemble de ce travail sur le gnie et sur l'art.
Jules Lematre a observ
(3)
que M. Sailles englobe dans le
gnie l'esprit entier/Ainsi, tout acte de la vie participant de l'esprit
devient gnial : Ne suffisait-il pas de prouver que le gnie c'est
encore l'esprit ? Pourquoi vouloir que l'esprit, ds ses premires
dmarches, soit dj le gnie ? Pour que le gnie soit chose nor-
male, est-il ncessaire d'tendre si trangement le sens de ce mot?
Pour que Pascal ou Corneille soient, au fond, des hommes
comme tout le monde, est-il indispensable que j'aie, moi, du gnie,
ds que je m'avise de penser ou seulement d'ouvrir les yeux ?
Jules Lematre fait remarquer aussi, que M. Sailles oublie d'in-
diquer le critre du gnie. A quoi reconnatra-t-on, en eiet, le
gnie ? Car les descriptions qu'on nous fait des dmarches du
gnie conviennent aussi bien un imbcile ou un mdiocre
artiste qu' un grand pote.
Enfin, Lematre conclut que l'uvre de M. Sailles n'est pas au
point de vue positif, assez solide. Le joli chteau en l'air que son
livre d'esthtique ! Et quel plaisir on trouve le parcourir, dfaut
de profit, le profit tant d'ailleurs chose extrmement rare en ces
matires.
Les autres critiques ont, plus ou moins, rpt les mmes ides.
Il est certain que le mot gnie est pris dans un sens trs large et
que Lematre a raison en critiquant cet emploi abusif du mot.
M. Sailles ne donne pas le critre du gnie, car il est inutile
;
puisque tout selon lui est gnial, tout critre est chose superflue.
En ralit, M. Sailles btit un systme, o les deux mots : gnie
et vie, expliquent tout. Nous pouvons donc appliquer son uvre
(1)
Ibid., p. 272.
(2)
Ibid., p. 272.
(3)
Questions d'esthtique. Revue politique et littraire, 1884.
G.
SAILLES 227
la mme critique que celle que nous avons adresse celle de
Ciuyau.
La raction contre le courant scientifique, que les systmes de
Guyau et de M. Sailles prsentent, nous semble n'apporter rien de
nouveau ni de fcond l'esthtique. Elle offre des uvres, bril-
lantes par l'imagination ou par leurs formes potiques, amusantes
lire, mais peu prs nulles au point de vue de la connaissance
de la vie esthtique de l'homme.
CHAPITRE IX
Les derniers crits.
1. Les monographies.

2. Conclusion.
1.

Vers la fin du xix sicle, on remarque que l'ide d'une
esthtique
scientifique devient de plus en plus la proccupation
prdominante de tous les esthticiens. Seulement, et ceci est un
vrai bonheur, au lieu de rencontrer de grands chafaudages
bases scientifiques,
chafaudages inutilisables, nous trouvons de
consciencieux ouvriers qui ramassent des matriaux prcieux,
taillent les pierres, prparent les poutres utiles la construction
de l'difice futur. Les mono/rapliies s'accumulent h partir de 1890
et avec les monographies on peut dire que l'esthtique entre dans
sa phase rellement scientifique et positive.
Il existe pourtant encore quelques auteurs attards qui cherchent
la solution du problme esthtique d'un seul coup
illusion
humaine pardonnable, illusion qui prit naissance le jour o Jupiter
fit sortir Athna tout arme de sa tte
;
mais Jupiter tait un dieu

il existe aussi d'autres auteurs qui se rattachent encore intime-


ment aux erreurs de Taine. Parmi ces derniers, nous devons citer
Ferd: Brunetire qui nous prsente un cas navrant. Taine croyait
btir la science esthtique en se fondant sur les analogies qu'elle
prsente avec les sciences naturelles. Brunetire poussera ces ana-
logies plus loin

il comparera l'uvre d'art, non plus une pomme
ou une poire, mais un quadrupde ou un oiseau, un crocodile
ou un poisson. Il enrichira donc la science de Taine en
y
ajoutant
des nouvelles analogies. Brunetire avoue, avec grande conviction,
son erreur : ... nous pourrions dire qu' la critique fonde sur
les analogies qu'elle prsente avec l'histoire naturelle de Geoffroy
Saint-Hilaire et de Cuvier, nous nous proposerons de voir si l'on
ne pourrait pas substituer ou ajouter, pour la complter, une cri-
tique son tour qui se fonderait sur l'histoire naturelle de Darwin
et de Haeckel (1).
Cette critique, fonde sur les ides de
Haeckel.
(1)
L'volution des genres, etc. (1889)
Hachette d., p.
18.
230
LES DERNIERS CRITS
aurait l'avantage apprciable, par son allure pseudo-scientifique,
d'blouir les littrateurs qui, habituellement, cause de leur du-
cation classique, respectent tout ce qui se dit scientifique. La cri-
tique que prconisait Anatole France serait pourtant beaucoup
plus fconde pour l'esthtique, puisqu'au moins elle lui procurerait
des documents. Pour A. France, le bon critique est celui qui
raconte les aventures de son me au milieu des chefs-d'uvre (1).
Comme Brunetire chafaude ses petites histoires scientifiques
s'abritant derrire l'autorit de Taine, de Darwin et de Haeckel,
ainsi E. Rabier et mme Ch. Renouvier brodent des motifs ida-
listes sur le canevas que la thorie du jeu de Schiller et de S*pencer
leur offrait. Selon E. Rabier
(2),
l'art doit mettre en vidence
Yidal que la nature ne prsente pas assez en relief. De son ct,
Renouvier
(3)
pense que l'art doit purger les passions, comme l'a
dj excellemment dit Aristote. Ces deux auteurs se rattachent
troitement, pour le reste de leur conception, la thorie du jeu,
comme nous l'avons dj dit.
Parmi les esthticiens importants de la fin du xix
e
sicle, nous
devons citer Jules
Combarieu, qui s'est occup spcialement du
problme que la musique pose
(4).
Avec lui commence l're des mo-
nographies que nous traversons encore aujourd'hui, et qui enrichira
le domaine esthtique en apportant seulement des connaissances
partielles, c'est vrai, mais aussi utiles que fcondes. Il est difficile
de rsumer ici ces travaux
monographiques, dont le principal m-
rite ne rside pas dans les quelques
hypothses qu'ils prsentent,
mais surtout dans le nombre plus ou moins considrable des faits
observs qu'ils numrent et analysent. Sans vouloir entrer dans
les dtails, disons que pour Combarieu, du langage instinctif sont
ns par volution, d'une part le langage musical qui correspond
proprement l'motion et, d'autre part, le langage potique qui
se rapproche de la pense. Combarieu se rattache la thorie de
Spencer, selon laquelle le chant n'est rien d'autre que l'emploi et
(1)
La vie littraire. Articles publis dans le Temps entre 1887 et 1891. Pre-
mire srie, p. Ml IV. Ed. Calmann-Lvy.
(2)
Leons de philosophie. I. Psychologie. Chap. XLV : Notions d'esthtique
(1884).
' -
(3)
Except les ouvrages de cet auteur dj cits, consultez :
Science de ta
morale. Tome premier. Livre deuxime. Section 2.
(4)
J. Combarieu. Les rapports de la musique el de la posie {considrs
an point de vue de l'expression). Alcau d. 1893 (thse).
LES MONOGRAPHIES
231
l'accentuation du langage naturel de la passion, port son plus
haut degr
;
l'auteur anglais pensait que la musique est ne la
suite dune volution dont on peut marquer ainsi les tapes : des
rcits lgendaires et des harangues o la passion nave des pre-
miers hommes mettait tous ses elets sont sortis, peu peu, la
posie pique, la posie lyrique, le rcitatif, enfin le chant, et, en
dernier lieu, la musique instrumentale.
Dans sa thse de doctorat (1893), Combarieu dveloppait dj
l'ide que la pense musicale est le critre mme de l'art. Il cri
vail : L o il n'y a pas de pense musicale, il n'y a point de mu-
sique,- mais un vain bruit indigne d'tre cout
(1).
Cette concep-
tion deviendra plus tard le leitmotiv de ses ouvrages postrieurs
;
notamment, dans son dernier volume intitul : La Musique, ses
lois, son volution
(2),
remarquable par la nettet et la prcision
des ides, il dfinira la musique : l'art de penser avec les sons et, il
soutiendra que la pense musicale est la manifestation d'un ms-
tinct gnral et profond, plus ou moins obscur, incontestablement
existant dans l'humanit. Mais, ce livre cause de sa date ne rentre
pas dans le cadre de notre tude historique.
Les problmes musicaux ont t tudis par une foule de savants
pendant les dernires annes du xix
a
sicle et surtout au commen-
cement du xx". La liste seule de ces travaux monographiques for-
merait une bibliographie volumineuse. Contentons-nous de signaler
un ouvrage trs important de M. Lionel Dauriac
(3),
rempli d'ob-
servations intressantes
;
les explications peu originales de l'au-
teur, d'ailleurs, ne sont pas satisfaisantes. M. Dauriac combat la
conception de Combarieu sur la pense musicale
;
il expose une
thorie sur la forme en musique (Il nous semble que ces deux
thories ne sont gure inconciliables). Enfin, pour M. Dauriac, la
musique, en nous offrant une distraction, nous fait entrer, du
mme coup, dans un paradis artificiel et nous procure quelque
bonheur dans cette vie thorie que nous avons rencontre plus
d'une fois dj et notamment chez l'abb Dubos. Le principal m-
rite du livre de M. Dauriac, se trouve dans la grande richesse de
documents et d'observations qu'il renferme.
La peinture n'a pas t nglige non plus. M. Lucien Arrat lui
(1)
Les rapports de la musique et de la posie. Ed. Alain, p.
131.
(2i Ed. FlammarioD, 19115.
(3)
Essai sur l'esprit musical, 1904. Ed. Alcan. Articles parus dans la Revue
philosophique de 1893 1902, mais remanis.
232 LES DERNIERS CRITS
a consacr des tudes intressantes. Dans la Psychologie du peintre
(1892),
si l'on ne trouve ni des qualits de classement, ni des qua-
lits d'ordre, ni mme des vues psychologiques intressantes, on
pardonne tous ces dfauts, parce que ce livre est un vrai arsenal
de documents de tout ordre, touchant la peinture et les peintres
;
dans Mmoire et imagination (1894) et, dans Art et psychologie
individuelle
(1906),
nous rencontrons les mmes dfauts et les
mmes qualits. Il est certain que des travaux comme ceux de
M. Arrat, en ne les prenant que comme des collections importantes
de faits, ont une grande valeur pour l'esthtique.
On trouve des tudes proprement psychologiques des diverses
branches de l'activit esthtique, dans les ouvrages de Th. Ribot.
Nous avons dj dit que cet auteur se rattache la thorie du jeu
de Spencer, laquelle, d'ailleurs, il apporte diverses amliorations.
Dans son Essai sur l'imagination cratrice
(1900),
uvre de pre-
mier ordre, Ribot pense que l'imagination esthtique n'a aucun
caractre essentiel qui lui soit exclusivement propre et qu'elle ne
diffre des autres formes (scientifiques, mcaniques, etc.) que par
ses matriaux et sa fin, non par sa nature premire
(1).
Dans cet
ouvrage de Ribot, comme d'ailleurs dans toutes ses autres uvres,
on rencontre des petites tudes ou simplement des remarques
touchant les faits esthtiques, qui ne sont gure ngliger.
M. Paul Souriau a enrichi l'esthtique de plusieurs monogra-
phies d'une grande valeur. La suggestion dans l'art (1893),
L'esth-
tique du mouvement
(1889),
Larverie esthtique (1906),
L'esthtique
de la lumire
(1913),
sont des livres remarquables. Dans son
ouvrage sur la Suggestion, M. Souriau a tudi le rle de l'hypnose
et de la suggestion, pendant la contemplation esthtique. Peut tre,
a-t-il un peu exagr ce rle
;
nous ne devons pas lui en vouloir,
car son livre est si riche en analyses psychologiques fines, en obser-
vations intressantes, en documents de toute sorte, que cela ferait
oublier les dfauts les plus graves

dfauts, d'ailleurs, qu'il
ne prsente pas. Dans ses autres monographies on remarque les
mmes qualits d'observation unies plus de rigueur scientifique.
M. F. Paulhan et M. Ch. Lalo,au commencement de notre sicle,
enrichissent l'esthtique en ajoutant des nouvelles monographies
toutes celles que nous avons dj cites. La date laquelle leurs
travaux ont t publis, ne nous permet pas de les analyser ici.
(1)
Loc. cit., p. 160
(4
e
dition).
CONCLUSION
233
Enfin, citons pour terminer, la monographie de M. II. Bergson
sur le rire
(1).
Dans cette tude on trouve de remarquables qualits
d'observation et d'analyse
; mais, M. Bergson ne se contente pas
d'apporter seulement une simple pierre l'norme difice que la
science btit
;
son esprit synthtique avance des hypothses, ing-
nieuses et intressantes, mais invrifiables pour le moment. Le sys-
tme philosophique de M. Bergson est trop connu pour qu'on soit
oblig de le rsumer ici o, d'ailleurs, il ne serait pas sa place.
Disons seulement que, pour lui, l'artiste doit soulever un certain
voile, tiss par la socit, pour se mettre face face avec la ralit.
L'art, ainsi, devient une vision directe du rel.
M. Bergson, quand il ramasse des faits sur le phnomne du rire,
fait avancer la science

mais, ds qu'il essaie d'imposer la ralit


sa conception personnelle, conception brillante d'ailleurs, il aban-
donne ses tendances scientifiques pour suivre l'esprit mtaphysique
que chacun de nous, malgr tout, possde. Esprons que l'uvre
esthtique que M.
Bergson publiera un jour fera avancer l'esth-
tique en synthtisant, dans la mesure du possible, toutes les con-
naissances positives que nous possdons dans cette branche du
savoir humain.
2.

Arrivs la fin de la longue route que noiis avons parcou-
rue, tchons, en nous mettant un point culminant, d'embrasser
d'un seul coup d'il, vol d'oiseau, le pays explor.
Avant le xvnr
3
sicle, on ne rencontre point de thories esth-
tiques en France. Les crits sur l'art, pourtant, abondent. On
trouve et l'art de faire des chansons, ballades, virelais et rondeaux,
et les rgles de la rhtorique, et le livre de perspective, et les con-
seils pour bien btir et petits frais. Ce sont l des doctrines d'art.
Les systmes esthtiques apparaissent aprs la querelle des anciens
et des modernes, au commencement du xvm
e
sicle. L'esprit philo-
sophique, qui caractrise ce sicle, a srement contribu rclu-
sion des systmes esthtiques. D'autre part, la querelle, qui fora
les gens de faire de l'histoire de l'art compare, puisqu'on essayait
d'craser les modernes l'aide des anciens, aiguisa l'esprit critique.
Si ces deux causes on ajoute, d'une part, une certaine tendance
vers l'introspection psychologique, lgue par le cartsianisme et,
d'autre part, un certain tarissement des facults artistiques cra-
Il)
Le rire, essai sur ta signification du comique. 1900.
234 LES DERNIERS CRITS
trices qui arrta la production des chefs-d'uvre

on a, peu
prs les causes qui firent natre les systmes esthtiques. 11 est
donc naturel que, vers le commencement du xvm sicle, on se
pose les questions embarrassantes : A quoi bon l'art ? quoi sert-
il ? qu'est-ce que l'art ? qu'est-ce qu'une uvre d'art ? a-t elle un_
but prcis ? Quel est le critre de l'uvre ? Essayer de rpondre
ces questions c'est, du mme coup, passer de la thorie artistique
au systme esthtique.
Nous avons vu les premiers systmes, celui de Crousaz, de l'abb
Dubos, du Pre Andr et de l'abb Batteux. Comme toutes les autres
sciences se confondent en naissant avec la philosophie ou mme
avec la mtaphysique, puisqu'elles essaient d'expliquer, d'un seul
coup, des ensembles fort compliqus, ainsi l'esthtique son ber-
ceau se prsente sous la forme du systme parfait, donnant rponse
tous les problmes. Les premiers systmes esthtiques ont donc
pour proccupation principale de rduire l'unit les multiples faits
esthtiques. Les dfinitions lgues par l'antiquit, comme celle du
beau qui consisterait dans Yunit et la multiplicit, ou celle de l'art
qui aurait pour but l'imitation de la nature, satisfont largement les
premiers esthticiens.
On doit, pourtant, faire une rserve pour l'abb Dubos qui
tmoigne d'une pntration psychologique remarquable. Ne se
contentant gure de ces gnralits vagues, il esquisse dj les
thories sur la relativit de l'art que nous retrouvons la fin du
xix
e
sicle. Pour lui, l'art, qui n'est qu'un jeu, dpend du milieu
o il fleurit, du moment o il apparat. L'art est chose, relative,
c'est--dire capable d'tre dtermine par certaines relations qui
l'entourent. Cette conception de la relativit de l'art, nous la
retrouvons pendant le xvm
e
sicle dans les crits pars de Voltaire,
de Rousseau et de Marmontel. Mais l'ide prdominante de l'esth-
tique franaise, pendant ce sicle, est celle du but moral que doit
poursuivre l'art. Presque tous les esthticiens sont d'accord sur ce
point
;
tous essaient de faire de l'art une succursale de la morale.
Le xix
c
sicle n'apporte, au commencement, aucun changement
dans les ides esthtiques. M
me
de Stal, Kratry, Stendhal lui-
mme et tous les crivains s'occupant d'esthtique vers 1815, ne
cherchent dans l'art que l'utilit sociale, le but humanitaire et le
ct moral. Pourtant ils n'abandonnent pas l'ide de la relativit de
l'art. On arrive, en effet, envisager l'art comme l'expression et la
fonction de la socit. Le moment le plus critique pour l'est h
CONCLUSION
235
tique, fut la priode suivante (de 1818 1800). caractrise par le
rgne de l'idalisme. Dans la conception de V. Cousin, qui tait
influenc
par l'esthtique allemande, lait devient le moyen d'ex-
primer l'archtype idal des tres. Le beau n'est qu'un des trois
attributs de Dieu, dont les deux autres sont le bien et le vrai. Le
jugement que nous mettons devant un objet beau, est universel,
invariable, absolu. Cette thorie, dplorable pour l'esthtique dont
elle entrava tout progrs pendant trente ans, correspond en art
l'cole de David et d'Ingres, au no-acadmisme froid qui aboutit
chez les lvesau simple poncif.
Malheureusement la thorie de V. Cousin eut une influence
norme. Presque tous les esthticiens, entre 1818 et 1800, parlent
du beau absolu, des attributs de Dieu, de l'archtype en art, de
l'universalit du jugement, etc. Le rsultat le plus tangible de
cette priode idaliste, fut le triple couronnement de Ch. Lvque,
un lve de Cousin, dont les deux volumes sur le beau ridiculiseront
longtemps encore les trois Acadmies qui les couronnrent. Jamais
l'esthtique n'a t plus pauvre, ni plus nulle que pendant la dicta-
ture de Cousin. Ce laps de temps a t pour elle une poque cri-
tique.
Le progrs des ides scientifiques et positives, qui se constate
vers 1850, devait avoir une rpercussion intressante en esth-
tique. On reprit l'ide de la relativit de l'art ; on envisagea l'uvre
d'art comme une chose non pas orgueilleusement et nuageusement
divine, mais simplement et positivement humaine. Sainte-Beuve, le
premier, annona l'volution. Aprs lui, Taine, trop systmatique
et trop philosophe, fit faire un pas la question. Ce qu'il
y
a de
certain, si l'on laisse toutes les constructions systmatiques de Taine
de ct, c'est qu'on s'aperut vers 1808 que la mme mthode
objective, patiente et positive, qui fait avancer les sciences, doit
aussi s'infiltrer et s'installer dans l'esthtique. Vron, Hennequin,
avec quelques nuances, reprsentent la mme tendance. En mme
temps, l'influence de Spencer se fait sentir; on envisage l'art
comme un jeu et cette thorie semble, pendant quelque temps,
triompher. Mme Guyau qui la critique, est forc de la prendre en
considration srieuse. Enfin, vers la fin du xix sicle on arrive
dcouvrir l'utilit extrme des questions de dtail; nous avons
vu comment partir de 1890 les monographies esthtiques se mul
tiplient. Ce fut l la victoire la plus dcisive de l'esthtique scien-
tifique,
i
236 LES DERNIERS CRITS
L'esthtique passa ainsi>des ttonnements du xvm
e
sicle, poque
d'incubation dirait-on en mdecine, un tat critique qui corres-
pond l're du rgne de l'idalisme de Cousin, et enfin, un tat
de convalescence, de fcondit dans les rsultats obtenus, qui com-
mence avec Taine et que nous traversons encore aujourd'hui. La
lenteur des conqutes relles que l'esthtique scientifique ralise
ne doit gure nous dcourager. Les premiers pas de toutes les
sciences lurent pnibles et douloureux. Pour nous, nous l'avons
rpt plus d'une fois pendant ce long travail, l'esthtique scien-
tifique, vers laquelle nous voluons, est en train de se raliser
aujourd'hui. Cette esthtique, qu'elle se serve de la physiologie,
de la psychologie ou de la sociologie, a surtout besoin de docu-
ments de tout ordre.
La conclusion donc, et la morale qu'on doit tirer de l'his-
toire de l'esthtique franaise, est que plus que jamais, les mono-
graphies, les tudes de dtail, les simples collections de faits esth-
tiques bien observs, ont utiles et mme indispensables. Ce n'est
pas en construisant des chteaux en l'air qu'on btit une maison
relle, mais en accumulant des cailloux et des pierres.
FIN.
ERRATA
Page 12, ligne 13 de la note, au lieu de : 1850, lire : 1859.
Page 21, ligne 13, au lieu de : Nicolle, lire : Nicole.
Page 90, ligne 32, au lieu de : la bea.ut, chose, lire : la beaut chose.
Page 91, ligne 5, au lieu de : n'arrive , lire : n'arrive pas .
Page 157, ligne 4, et page 158, ligne 2, au lieu de : Serment du Jeu de
paume, lire : Serment du Jeu de paume.
Page 174, ligne 8 de la note, au lieu de : Ant. Molire, lire : Ant.
Mollire.
TABLE ALPHABETIQUE
DES NOMS PROPRES CITS DANS CET OUVRAGE
Alberg (Ch. d') 86.
Alembert (D') 69

70.
Andr (Le Pre) 34

40. 44. 45.
52. 69. 70. 104. 1-29. 144. 200. 220. 234.
Aristote 27. 230.
Arrat L. 231

232.
Auguste 23.
Ballanche P, S. 81. 82.
Balzac 12.
Balzac (H. de ) 182. 206.
Barthlemy-Saint-Hilaire Jules 147.
Barthez P. .1. 84

86.
Barzelotti G. 174. 189. 191.
Bastier Paul 21. 26.
Batteux (L'abb) 40

45. 130. 147,
234.
Baudelaire Ch. 2. 3. 88. 113. 130. 131.
Baumgarten 14t.
Beethoveu 206.
Bel 30.31.
Benoit F. 83. 87. 97.
101/"
Bergson H. 190. 233.
Beul E. 130.
Bignan A. 131. 164.
Blanc Ch. 130.
Bodin Jean 26.
Boileau 3. 4. 5. 6. 26. 33.
Boirac E. 211. 219. 220.
Bonnet Jacques 28. 29.
Bossuet 21. 187.
Boudron (L'abb) 121.
Bouhours 26.
Bouilhet Louis 170. 172. 186.
Bouillier F. 120.
Boulland Auguste 131.
Bourdaloue 187.
Braunschvig M. 21. 26. 27. 28. 33. 186.
Brunet 62.
Brunetire F. 12. 81. 164. 108, 188. 192.
229-230.
Burke 1*8.
Caffaro (Le Pre) 21.
Canova 89.
Carrache 20.
Catherine II 62.
Catherinot Nicolas
41.'
Caylus (Le comte de ) 28.
Csar 23.
Chaignet A. Ed. 141

144.
hassang A. 130.
Chastellux (Chevalier de) 68. 7475.
Chaulieu 185.
Chaussard P. 76.
Cicron 27.
Clair (Le P. Ch. ) 132.
Clment Flix 132.
Collignou Albert 215.
Combarieu J. 230

231.
Comte Aug. 164

168.
Condillac (L'abb de

) 41 . 47. 48

53.
()9. 128.
Condorcet 80.
Corneille 26. 187. 192. 226.
Corrge 89. 159.
Couder Aug. 131.
Courbet 154. 156. 158. 196.
Cousin Victor 38. 45. 83. 95. 100. 102

110. 112. 113. 115. 118. 120. 127. 128.


129. 130. 131. 138. 142. 144. 147. 148.
149. 160. 163. 191. 192. 195. 220. 235.
2.56.
Crbillon fils 60.
Croce B. 14. 52. 53.
238
TABLE ALPHABETIQUE
Crousaz (J. P. de ) 13

16. 33.
83. 73. 144. 234.
Cuvier 229.
45.
Dacier (M
me
) 26. 59. 60.
Damiron 115.
Danton 156. 212.
Darwin 229. 230.
Dauriac L. 218. 231.
David 97. 157- 158. 235.
Delaborde 191.
Delacroix 157. 158. 187.
Descartes 12. 16. 20. 24. 38. 45. 104.
Descuret F. 129.
Destouches 70.
Diderot 14. 28. 38. 39. 41. 42. 47. 53.
54

58. 61.62. 68. 87.


Dubos (L'abb) 16-34. 42.44.45. 60.
74. 80. 81. 90. 93. 144. 168. 185. 186.
198. 200. 201. 203. 209. 210. 231. 234.
Dumont Al. 121.
Dumont L. 198,-194. 197.
Dupanloup (Monseigneur) 175:
Durand (J. P. de Gros) 189. 194

195.
Durkeim E. 159. 160.
Dussieux Louis 164.
Emeric-David 83
Eschyle 206.
Esope 59.
Estve Pierre 69.
83.
Gaborit (L'abb ) 121. 132.
Garnier A. 102. 107.
Gautier Th. 132.
Gautier 65.
Genettes (M
ffit
Roger de -) 148. 173. 186.
Geoffroy Saint-Hilaire Etienne 172. 229.
Gioja Melchior 89.
Girodet 89.
Goncourt (Ed. et J. de -) 156.
Grant Allen 202. 204. 212. 213.
Grimm 28.
Guigniaut M. 95.
Guillaume (D
r
J. M. A.) 120.
Guthlin (L'abb ) 132.
Guyau J. M. 82. 187. 202. 311
- 330.
221. 227. 235.
Haeckel 229. 230.
Hegel 115.
Hennequin E. 186. 187. 202. 305-310.
217. 220. 235.
Hill H. 87.
Hippocrate 26.
Hoeffding H. 65. 67. 68.
Hogarth 68.
Home 203.
Horace 27. 28. 43. 59. 184.
Houssaye Henri 132. 164.
Hugo Victor 3. 4. 5. 6. 164. 172. 187.
203. 207.
Hutchinson 70.
Ingres 157. 158. 187. 235.
Faguet E. 174. 187. 189.
Fauconnet A. 203. 225.
Flix (Le R. P.) 132.
Fnelon 21. 26. 27. 41.
Feydeau E. 172.
Flaubert G. 148. 156. 170
174. 186.
Fontaine Andr 29. 41. 69.
Fontenelle 11. 12. 21. 26. 70. 80.
Fouille Al. 211. 218.
France An. 170. 174. 230.
Frron 60.
Fromentin Eug. 199.
James W. 63.
.lanet Paul 109. 113.
Joufiroy Th. 45. 107. 108. 115

131.
122. 126. 129. 132. 219. 220.
Jules II 23.
Kant Em. 21. 113. 118. 138. 202. 203.
211. 219. 220.
Kratry 59. 87. 93
-
93. 128. 235.
Krantz Em. 12. 20. 33. 38.
DES NOMS CITS
239
La Bruyre 26.
Ladevi 93.
La Footaine 1N.'>.
La Harpe 90. 180.
Lalo Ch. 232.
Lamennais 9.'i. 110114. 128. 131.
132. 164.
La .Motte 21. 80.
Lanson G. 12. 109.
Laprade (Victor de) 131. 164.
Launay (Cordier de ) 83
-
84.
Lauraguais (Comte de ) 69.
Le Brun 28. 29. 41.
Lematre Jules 220.
Lenoir Al. 87.
Lon X 23.
Leroyer de Chantepie (M"
e
) 171.
Le Sage 59.
Lessing 27. 29. 34.
Lvque Charles 141. 144

148. 149.
195. 23:;.
Littr 175.
Locke i9.
Lombroso 221.
Louis
XIV 4. 11. 23.
L. B. B. 80.
Lucrce 20.
Malebranche 26. 38. 104.
Marcenay de Chuy
70.
Margerie (A. de) 17L
Marmontel
41. 02. 7S

74. 168. 234.
Massias (Baron ) 127. 128.
Mazure M. P. A. 128. 129.
Mnard B. 133. 174. 187. 191.
Mercier 87.
Michel-Ange
136. 139. 171. 206.
Mirabeau 76. 156. 212.
Mockel 174. 187.
Molire 33. 118, 171. 187.
Mollire Ant. 129. 174. 186. 207.
Monod 174. 188.
Montesquieu 17. 26. 41. 47. 53

54.
70. 80. 90.
Morel Aug. 17. 18.
Moreau de Tours 221.
Napolon 84.
Newton 36.
Nicole 21.
Paillot de Montabert 130.
l'aima le Vieux
212.
Pascal 21. 124. 185. 226.
Paulhan F. 232.
Pladan
174. 191.
Plissier G. 174. 187. 188.
Perrault 11. 12. 27. 80.
Petit de Julleville
62.
Philippe 23.
Pictet Ad. 132. 135

139.
Piles (Fortia de
) 86.
Piles (Boger de) 27. 28. 29. 41.
Pillon 218.
Platon 37. 57. 75. 135. 142.
Plutarque
27.
Poinsinet de Sivry 70
7S. 113.
Poussin
20.
Prvost (L'abb)
60.
Proudhon
63. 68. 151
161. 201.
Quatremre de Quincy 45. 82. 83. 95

102. 103. 110. 111. 112. 142. 147. 191.


Quintilien 27.
Quirini (Monseigneur)
61.
Babelais 171.
Babier Elie 202. 230.
Bacine 4. 33. 90.
Ha.phal
90. 155. 156. 159. 196.
Baymond G. M. 76.
Bembrandt 206.
Benan E. 109. 110. 156. 175.
Benouvier Ch. 202. 203. 204. 230.
Beverony Saint-Cyr 82.
Beymond M. 174. 187.
Bibot Th. 202. 205. 207. 216. 232.
Bichepin J. 82.
Bigault 12.
Bobert Cyprien 131.
Bocafort 75.
240 TABLE ALPHABETIQUE
Rousseau J. J. 20. 47. 62

68. 73. 76.


151. 154. 159. 16t. 206.234.
Rubens 90. 200.
Ruysdael 134.
Saint-Augustin 14. 39.
Sainte-Beuve 120. 168-170. 172. 184.
185. 186. 187. 188. 208. 235.
Saint-Evremond 33.
Saint-Prosper (De ) 86.
Saint-Simon 185.
Saisset Emile 147. 148.
186. Sand George 171. 172. 1
Schakespeare 90. 171. 182.
Schiller 21. 34. 202. 203. 204. 209. 230.
Schneider R. 100. 101.
Scbopenhauer A. 202. 225.
Scudery (M" de) 181.
Sailles G. 186. 199. 200. 202. 221
-
227.
Sran de la Tour 39. 70.
Shaftesbury 53. 68.
^
Simonide 27.
Socrate 145. 154.
Sophocle 67.
Souriau Paul 97. 233.
Spencer 21. 34. 202. 204. 209. 211. 220.
230. 232. 235.
Spinoza 175.
Stal (M" de-) 58. 79

81. 83. 110.


163. 235.
Stendhal 87-92. 131. 235.
Stewart Dugald 116.
Sully J. 202.
Sully-Prudhomme 121

126. 216. 219.


Sulzer 68.
Sutter David 130.
Taine H. 23. 26. 33. 34. 115. 168. 169.
170. 172. 174

192. 196. 200. 201.


202. 205. 206. 207. 208. 217. 219. 220.
229. 230r 235. 236.
Terrasson (L'abb ) 59.
Tissandier J. B. 129. 130.
Titien 20. 30. 159.
Tolsto L. 63. 110. 160. 161. 218:
Toppfer R. 5. 132
-
135.
Tourneux Maurice 62.
Turgot 80.
Urf (D-) 181.
Vauvenargues 41. 118.
Venturi 191.
Vron Eug. 189. 19S

202. 217. 235.
Vico 80.
Villemain 163. 164.
Vinci (Lonard de -) 156. 159. 212.
Viollet-le-Duc 175. 199.
Voituron P. 141. 148

149.
Voltaire 16. 28. 47

48. 61. 62. 234.


Vries (Hugo de ) 23.
'Wagner 2. 3.
Walckenaer 53.
Winckelmann 68. 74. 75. 97. 100.
Zola E. 3. 4. 5. 6. 125. 155. 156. 157. 159.
173. 174. 187. 191. 198.
BIBLIOGRAPHIE GNRALE
DE
L'ESTHETIQUE FRANAISE
Des origines 1914
16
N, b.
Dans cette bibliographie nous avons
class les travaux esthtiques par ordre
chronologique, en n'indiquant que la pre-
mire dition de chaque ouvrage.
Nous ne citons pas les traductions des
livres
trangers concernant l'esthtique,
faites en franais.
L'index
alphabtique, qu'on trouvera
la fin de cette bibliographie, facilitera la
recherche de tout ouvrage dont on ne
connat ni le titre, ni la date de publica-
tion, mais seulement le nom de l'auteur.
Nous pensons que cette bibliographie
est peu prs complte en ce qui concerne
les livres traitant des sujets esthtiques
;
nous n'en pouvons pas dire autant en ce
qui concerne les articles parus dans les
revues. Nous avons fait tout notre possible
pour en cataloguer le plus grand nombre.
Nous serons reconnaissant envers les
lecteurs
qui voudront bien nous signaler
les erreurs
invitables ou les omissions
que
prsente cette bibliographie.
BIBLIOGRAPHIE
DE
T Esthtique Franaise
1392. Eustache Deschamps, dit Morel.

Ci commence l'Art de Dic-
tier et de fre
Chansons, Balades, Virelais et Rondeauti. Edi-
tion G. A. Crapelet. Paris, 1832. (Le plus ancien art potique
connu, en langue franaise).
1411. Anonyme.

Cy commencent les rgles de la seconde rectorique,
etc. (Livre obscur. Il n'est pas antrieur 1411). Manuscrit
unique de la Bibliothque Nationale : F. fr nouv. acq. 4237
(78 fol. de texte).
15
e
sicle. Jehan Molinet.

Cy commence un petit traittie compile par
maislre Jehan Molinet a l'instruction de cexdx qui veulent
aprendre l'art de Rthorique. Manuscrit de la Bibliothque
Nationale, n" 7984/2159 F fr. in-4 de 32 feuilles.
1493. Henry de Croy.

Sensuyt lart et science de Rethoricque pour
faire Rimes et Balades. (Il est, quelques petites variantes, la
reproduction imprime de l'uvre de Molinet). La plus an-
cienne dition est de 1493.
1505. Linfortun' (pseudonyme).

Le jardin de plaisance et (leur
de rhtorique. Imprime a paris le XXIX jour du moys doc-
tobre mil cinq cens et cinq. Publi par Antoine Vrard vers
1501. Consulter la reproduction : Paris, 1910.
1518. Patrice de Sienne.

De institutionne reipublicae. Traduit ds
1520.
15S1 . Pierre Fabri.

Cy ensuyl le grant et vraye art de plaine retho-
ricque, etc.
16
e
sicle. Anonyme.

L'art de rethoricque pour rimer en plusieurs sottes
de rimes. (Commencement du
16'
sicle). Sans date, nom
d'auteur ou imprimeur.
1539. Gracien du Pont.

Art et science de rthorique, etc.
1545. J. Peletier.

Art potique d'Horace, (ou 1544).
1548. Thomas Sibilet.

Art potique francoys, etc. Paris, 1555.
(Sibilet le date de 1548).
IV
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
1549. Joachim du Bellay.

La deffense et illustration de la langue
franaise. (La seconde partie est la plus intressante pour
l'esthtique).
1554. Claude de Boissire.

L'art potique rduit et abrg, etc.
1555. Antoine Fo(u)quelin.

La rhtorique franoise.
Ch. Fontaine.

Le quintil Horatian sur la Dfene et illustra-
tion de la langue francoyse. (Critique du livre de J. du
Bellay).
J. Peletier.

L'art potique franais.
1560. Jean Cousin.

Livre de perspective.
1561. Philibert Delorme.

Nouvelles inventions pour bien bastir et
petits frais.
Scaliger.

Potique.
1565. Ronsard.

Abrg de l'art potique franais.
1573. Jacques de la Taille de Bondaray.

La manire de faire des
vers en franais comme en grec et en latin.
1597. Delaudun d'Aigaliers.

L'art potique franais. (On trouve
le nom de l'auteur crit de cette faon : P. de Laudun d'Ayga-
liers).
1605. Vauquelin de la Fresnaye.

Art potique (achev ds 1590).
1610. P. de Deimier.

L'acadmie de l'art potique, etc.
1613. Esprit Aurert.

Les^margurites potiques. (Au mot : posie,
il
y
a tout un art potique). Lyon.
1637. Franciscus Junius (Franois du Jon).

Depictura veterum.
1638. Chapelain.

Les sentiments de l'Acadmie sur la tragi-comdie
du Cid, rdigs par Chapelain et Conrard avec des observa-
tions par le Cardinal de Richelieu. Paris. Camusat.
1639. Georges de Scudry.

Apologie du thtre.
1640. Pilet de la Mesnardire.

Potique.
1650. Corneille.

Eptre ddicatoire de Don Sanche.
Friart de Chambray.

Le parallle de l'architecture antique
et de la moderne.
1657.
Franois Hedelin, abb d'Aubignac.

La pratique du thtre.
Hilaire Pader,

Peinhire parlante (pome).
1658.
Colletet.

L'art potique.
Hilaire Pader.

Songe nigmatique sur la peinture universelle.
1660.
Corneille.

Discours de l'utilit et des parties du pome dra-
matique.


Discours de la tragdie.


Discours des trois units.
1663. Friart de Chambray.

Ide de la perfection de la peinture.
(Au Mans).
1663. Franois Hdelin, abb d'Aubignac.
Dissertations concernant
le pome dramatique, etc.
Molire.

Critique de l'cole des femmes.
DE L'ESTHTIQUE Y
1666. Prince de Conti.

Trait de la comdie et des spectacles.
Andr Flibien.

Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des
plus excellents peintres anciens et modernes. La
1"
partie est de
1666, la
2'
de 1672, la
3'
de 1679, la
4
de 168o, et la
5
de 1688.
Racine.

Lettre l'auteur des Hrsies imaginaires.
1667. Andr Flibien.

Confrences de l'Acadmie royale de pein-
ture et de sculpture pendant l'anne 1607.
Nicole.

Trait de la Comdie (crit vers 1658).
Racine.

Les Prfaces de ses tragdies. 1667 1677.
1 868. Charles-Alphonse du Fresnoy.

De Arte grapliica, etc. (pome
latin sur l'art de la peinture). 11 existe une traduction par
R. de Piles (1673).
-
1669. Le Rlond de Latour.

Lettre du sieur Le Blond de Latour
un de ses amis, touchant la peinture. Rordeaux.
Molire.

Prface de Tartuffe.
1671. Le Pre Rouhours.

Entretiens d'Ariste et d'Eugne.
1673. Saint-Evremond.

De la tragdie ancienne et moderne.
Roger de Piles.

Dialogue sur le coloris.
1674. Roileau.

L'art potique.
Rapin.

Rflexions sur la potique d'Aristote et sur les ou-
vrages des potes anciens et modernes.
1675. Ren Le Rossu.

Trait du pome pique,
1676. Andr Flibien (sieur des Avaux).

Des principes de l'archi-
tecture.
1680. Henry Testelin.

Table de prceptes.


Sentiments des plus habiles peintres du temps
sur la pratique de la peinture, etc.
1681. Anonyme.

Avis ncessaire aux peintres, aux statuaires et aux
graveurs pour se sauver dans l'exercice de leur art. Chlons.
Jacques Restout.

Rforme de la peinture. Caen.
1 685. Fontenelle.

Rflexions sur la potique.
1686. Soanen.

Sermon sur les spectacles. (1686 ou 1688).
1687. Nicolas Catherinot.

Trait de la peinture. Rourges. (Publi
de nouveau dans la Revue universelle des arts. Tome X, p.
178).
Ch. Perrault.

Le sicle de Louis Le Grand.
1688. Fontenelle.

Digression sur les anciens.
La Rruyre.

Les caractres. (Chap. des Ouvrages de l'Esprit).
Perrault.

Parallles des anciens et des modernes de 1688
1697.
1 694 Roileau.

Rflexions critiques sur (pielques passages du rhteur
Longin.
Rossuet.

Les maximes et rflexions sur la comdie.
Roursault.

Lettre d'un thologim illustre...
si la comdie
peut tre permise. (En tte des uvres dramatiques).
P. Le Rrun.

Discours sur la comdie.
VI BIBLIOGRAPHIE GNRALE
P. de la Grange.

Rfutation d'un crit favorisant la com-
die. (Rponse Boursault).
Leval.

Rponse la lettre d'un thologien dfenseur de la
comdie. (Rponse Boursault).
Laurent Pgurier.

Rfutation des sentiments relchs d'un
nouveau thologien touchant la comdie. (Rponse Bour-
sault).
1697. Perrault.

Hommes illustres.
1698. Monier.

Histoire des arts qui ont rapport au dessin.
1699. Dupuy du Grez.

Trait sur la peinture pour en apprendre
la thorie et se perfectionner dans la pratique.
Roger de Piles.

Abrg de la vie des peintres.


L'ide du peintre parfait.
1707. Flirien.

L'ide du peintre parfait, pour servir de rgle aux
jugements que l'on doit porter sur les ouvrages des peintres.
Londres.
La Motte.

Discours sur la posie en gnral et sur l'ode en
particulier.
1708. Roger de Piles.

Conversations sur la connaissance de la pein-
ture.


Cours de peinture.
1713. Fnelon.

Lettre sur les occupations de l'Acadmie Franaise.
1715. Jacques Bonnet.

Histoire de la musique et de ses effets
depuis
son origine jusqu' prsent. Paris. (En collaboration avec
P. Bonnet et Bourdelot).
J. P. de Crousaz.

Trait du Reau, o l'on montre en quoi
consiste ce que l'on nomme ainsi, par des exemples, etc. Ams-
terdam.
M
me
Dacier.

Des causes de la corruption du got. Amster-
dam.
La Motte.

Rflexions sur la critique. Paris.
1716. Fnelon.

Lettre l'Acadmie.
1719. L'abb J. B. Dubos.

Rflexions critiques sur la posie et la
peinture. Paris. (2 vol. Les autres ditions ont 3 vol.)
A consulter : Marcel Braunschvig.
L'abb Dubos rnovateur de la
critique au XVIII
e
sicle. Toulouse 1904.
Auguste Morel.

Elude sur l'abb Dubos. (Mmoire
couronn par l'Athne de Beauvaisis). Paris 1850.
1731. Antoine Coypel.

Discours prononcez dans les confrences de
l'Acadmie royale de peinture et de sculpture.
1723. Jacques Bonnet.

Histoire gnrale de la danse sacre et pro-
fane... et le parallle de la peinture et de la posie. Paris.
1726. Bel (conseiller au parlement de Bordeaux).

Dissertation o
l'on examine le systme de M. l'abb Dubos louchant la prf-
rence que l'on doit donner au got sur la discussion, pour
1>K l'bsthtique
VII
juger
des ouvrages d'esprit. Cette dissertation se trouve dans
le recueil intitul : Continuation des
mmoires de littrature
et d"histoire de M. de Sallengre, tome 111,
1"
partie, p.
3-42.
Paris, 1827.
Charles Coypel.

Discours sur la peinture, prononcs dans
les'confrences de l'Acadmie.
17S8.
Voltaire.

Essai sur la posie pique.
1733. Rmond de
Saint-Mard.

Lettres sur la dcadence du got en
France.
1735. L'abb de Marsy.

La peinture, (traduction du latin o ce
pome a t crit primitivement).
1736. Cartaud de la Villate.

Essai historique et philosophique
sur le got. Amsterdam.
Une autre dition la Haye, 1737.
1741. Le Pre Andr.

Essai sur le beau. 2 vol. (Dans les uvres
philosophiques de l'auteur, avec une Introduction de Victor
Cousin. 1843).
1745. Dezallier
Dargenyille.
-
Abrg de la vie des plus fameux
peintres, 1745-1752. 3 vol.
1746. L'abb Batteux.

Les beaux-arts rduits un seul principe.
Paris.
L'abb de Condillac.

Essai sur l'origine des connaissances
humaines (et le sous-titre : Ouvrage o l'on rduit
un seul
principe tout ce qui concerne
l'entendement humain). Amster-
dam.
1747. La Font de Saint- Yenne.

Rflexions
sur quelques causes de
l'tat prsent de la Peinture en France. La Haye.
L'abb Le Blanc.

Lettre sur l'exposition des ouvrages de pein-
ture, sculpture, etc., de l'anne 4747.
1749. Charles Coypel.-

Rflexions
sur l'art de peindre en le compa-
rant l'art de bien dire. Manuscrit 171 de la Bibliothque de
l'cole des Beaux-Arts.
1750.
D'Alembert.

Discours
prliminaire de l'Encyclopdie.
Rousseau.

Discours sur les sciences et les arts.
1751 . Diderot.

Recherches
philosophiques sur l'origine et la nature
du beau. (C'est l'article : Beau de
l'Encyclopdie).


Lettres
sur les Sourds et Muets l'usage de ceux qui
.
entendent et qui parlent. (Dans cet ouvrage Dide-
rot critique
l'uvre de l'abb Batteux :
Les Beaux-
Arts rduits un seul principe).
On peut consulter les diffrents
Salons de
Diderot et La politique de Diderot, feuillets in-
dits extraits d'un manuscrit de la
bibliothque
particulire des czars. Publi par Maurice Tour-
neux. 1883. Paris. (Extrait de la
Nouvelle Revue,
1"
et 15 sept. 1883).
VIII
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
1752. C. E. Briseux.

Trait du beau essentiel dans les arts. Paris,
2 vol.
Louis Racine.

Rflexions sur la posie.
1733. Pierre Estve.

L'esprit des beaux-arts ou Histoire raisonne
du Got. 2 vol. Paris.
La Font de Saint-Yenne.

Sentiments sur quelques ouvrages
de peinture, sculpture et gravure crits un particulier de
province.
Pre Laugier.

Jugement d'un amateur sur l'exposition des
tableaux de l'an 4753.
1755. Trublet.

Essais sur divers sujets de littrature et de morale.
Amsterdam, 3 vol.
1756. Pierre Estve.

Dialogues sur les arts entre un artiste am-
riquain et un amateur franais. Amsterdam et Paris.
A. de Marcenay de Ghuy.

Ide de la gravure (Imprim
dans le Mercure, avril 1756. Un des collaborateurs de l'Ency-
clopdie reproduisit cet crit l'article : Graveur. Marc, de
Ghuy dvoila le larcin : Anne littraire 1759).
'
1757. D'Alembert.

Rflexions stir l'usage et sur l'abus de la Philo-
sophie dans les matires de got. Dans l'article : Got de
l'Encyclopdie. Tome VII.
Montesquieu.

Essai sur le got. (Ces rflexions ont t pu-
blies pour la premire fois dans le VII* vol.de l'Encyclopdie,
o elles formaient une partie de l'article : Got. Le fils de
Montesquieu, dans les uvres posthumes, de 1783, en publia
une dition augmente. Les Archives littraires, tome II,
p. 301 (1804), contiennent trois chapitres nouveaux, donns
par Walckenaer. Il est fort probable que l'Essai sur le got
dans les choses de la nature et de l'art de Montesquieu a t
crit en 1748.
1758. Jacques Lacombe.

Le spectacle des Reaux-arts ou Considra-
tions touchant leur nature, leur objet, leurs effets et leurs
rgles principales, avec des observations sur la manire de les
envisager, sur les dispositions ncessaires pour les cultiver et
sur les moyens propres pour les tudier et les perfectionner.
Paris, 1758-1761.
Marmontel.

Apologie du thtre. Mercure, nov. 1758-janv.
1759.
J. J. Rousseau.

Lettre d'Alembert sur son article Genve
dans le Vil' volume de l'Encyclopdie et particulirement sur
le projet d'tablir un thtre de Comdie en cette ville.
1759. Charles Desprez de Boissy.

Lettres sur les spectacles.
1760. Charles Bonnet.

Essai analytique des facults de l'me.
Watelet.

L'art de peindre.
1E I.
ESTHTIQUE IX
1761. E. M. Falco.net.
uvres compltes; Lausanne, 1701-1808.
176S. Skran de la Tour.
L'art de sentir et de juger en matire de
got. Paris, 2 vol.
1763. Charles .Nicolas Cochin.

Les Misotechnites aux enfers, ou
Examen des observations sur les arts
,
par une socit
d'amateurs. A msterdara
.
Marmontel.

La potique franaise. 3 vol. Paris. (Rdit
dans ses Elments de Littrature. 3 vol. Paris, 1786).
1764. M. P. G. de Charanon.

Sur le sort de la posie en ce sicle
piiilosophe. Paris, in-8"
1765. Chevalier De Chastellux.

Essai sur l'union de la posie et
de la musique. La Haye.
Diderot.

Essai sur la peinture (faisant suite au Salon de 1765)


publi en 1795.
1768. L'abb F. Arnaud et J. B. A. Suard.

Varits littraires, ou
recueil de pices tant originales que traduites concernant la
philosophie, la littrature et les arts. Paris, 4 vol., 1768 1769.
Poinsinet de Sivry.

Trait des causes physiques et morales
du rire, relativement l'art de l'exciter. Amsterdam. (Le pre-
mier trait du rire, en franais).
1770. A. de Marcenay de Ghuy.

Essai sur la beaut. Paris.
1771. Charles Desprez de Boissy.

Histoire des ouvrages pour et
contre le thtre.
177S. Cailhava de l'Estendoux.

L'art de la comdie, etc. Paris,
4 vol.
1773. Diderot.

Paradoxe sur le Comdien. (Ecrit en 1773, corrig
en 1778 et publi en 1830).
Marmontel.

Chefs-d'uvres dramatiques et remarques sur la
langue et le got.
A consulter : Lenel.

Un homme de lettres au XVIll' sicle : Mar-
montel. 1902.
Louis-Sbastien Mercier.

Du thtre ou Nouvel Essai sur
l'art dramatique. Amsterdam.
1777.. Chevalier De Chastellux.

Idal, article dans le Supplment
de l'Encyclopdie.
1779. Boy.

L'expression musicale mise au rang des chimres.
Paris, in-8.
M. P. G. de Charanon.

Observations sur la musique et prin-
cipalement sur la mtaphysique de l'art. Paris, in-8.
1785. M. P. G. de Charanon.

De la musique considre en elle-
mme et dans ses rapports aver la parole, les langues, la posie
et le thtre. Paris, in
-8.
C" de Lacpde.

Potique de la musique. Paris.
Villoteau.

Recherches sur l'analogie de la musique avec les
X BIBLIOGRAPHIE GENERALE
arts qui ont pour objet l'imitation du langage. 2 vol. (et
1807).
1786. Marmontel.

Essai sur le got. Lu l'Acadmie le 17 avril
1786.
1788. Watelet.

Dictionnaire des beaux-arts. 2 vol., 1788-1805. En
collaboration avec Levesque.
1789. Quatremre de Quincy.

Dictionnaire d'architecture. Tome I,
in-4 (2
e
vol., 1832).
1791. Q. de Quincy.

Considrations sur les arts du dessin en France,
suivies d'un plan d'acadmie, etc. in-8.
1795. M
rac
de Stael-Holstein.

Essai sur les fictions. (Recueil de
morceaux dtachs). Lausanne.
1796. Emeric-Dayid.

Muse olympique de l'cole vivante des Beaux-


arts. in-8.
Q. de Quincy.

Lettres au gnral Miranda sur les prjudices
qu'occasionneraient aux arts et aux sciences le dplacement des
monuments de l'art, de l'Italie, le dmembrement de ses coles
et la spoliation de ses collections, 1796, 1815, 1836. in-8.
1 797. Ponce.

De l'influence de la nature, des climats, des murs sur
l'architecture.
1798. P.-J.-B. Purlicola Chaussard.

Essai philosophique sur la
dignit des arts. Paris, (an VI). in-8.
Rorin.

Influence de la peinture sur les murs. (Prix).
1799. Georges -Marie Reymond.

De la peinture considre dans
ses
effets sur les hommes en gnral et de son influence sur les
murs et le gouvernement des peuples. Paris, (an VII).
1800. J. P. Papon.

L'art du pote et de l'orateur.
M
mt
de Stael-Holstein.

De la littrature considre dans
ses rapports avec les institutions sociales.
1801. P. -S. Ballanche.

Du sentiment considr dans ses rapports
avec la littrature et les arts. Lyon. in-8.
Lerarrier an.

Des causes physiques et morales qui ont
influ sur les progrs de la peinture et de la sculpture chez les
Grecs. in-8.
1803. Taillasson.

Danger des rgles dans les arts. in-8.
1803 Quatremre de Quincy.

De l'architecture gyptienne consi-
dre dans son origine, ses principes et son got et compare
sous les mmes rapports l'architecture grecque. in-4.
Rverony Saint-Cyr.

Essai sur le perfectionnement des
beaux-arts par les sciences exactes. Paris. 2 vol. in-8".
1804. Wilgiun-Taillefer.

L'architecture soumise au principe
de la nature et des arts.
1805. Dagesci.

Projet d'organisation d'une nouvelle direction des
arts et moyens de les faire /leurir dans toutes les villes
de
l'Empire franais. in-8.
DE L ESTHTIQUE M
Emehic-David.

Recherches sur l'ari statuaire chez les anciens.


Paris.
Quatremre de Quincy.

Essai sur l'idal dans ses applica-
tions pratiques aux uvres de l'imitation propre de*
arts du
dessin. Deux articles publis dans les Archives littraires, 1805
;
(runis en volume en 1837. in 8).
1806. Cordier de Launay.

Thorie circonsphrique des deux genres
de beau, avec application toutes les mythologies et aux cinq
beaux arts. Berlin. (Paris, 1812. in
8).
Quatremre de Quincy.

Considrations morales sur la des-
tination des ouvrages de Vart. Lues l'Institut en 1806, et
plus tard publies en volume. (1815. in-8).
A consulter : M. Gligniaut.
Notice historique sur la vie et les
travaux de M. Quatremre de Quincy. (Lue l'Ins-
titut le 5 Aot 1864). Paris, 1866.
F. Benoit.

' L'art franais sous la Rvolution et
l'Empire. 1897.
Schneider.

L'esthtique classique chez Quatremre
de Quincy. Paris, 1910.
1807. P. J. Barthez.

Trait du beau. Ouvrage posthume. La
2'
dition de 1895 porte le titre : Thorie du beau dans la nature
et les arts.
Lebrun.

Thorie de l'architecture grecque et romaine, d-
duite de l'analyse des monuments antiques, in f.
Noverre.

Lettres sur les arts imitateurs en gnral et sur la
danse en particulier. 2 vol.
Taillasso.n.

Observations sur quelques grands peintres. in-8.
1808 C. F. Nieuport.

Rponse la question propose par la Socit
royale de Haarlem en 1808, sur la diffrence entre le sublime
et le beau.
1809. F. Ancillon.

Mlanges de littrature et de philosophie. Paris,
2 vol.
H. de Valori.

La peinture, pome en trois chants. in-8.
1810. Fontanier.

La comdie, son origine, sa nature, ses diffrentes
espces, son influence sur les murs, (thse).
J. F. Sobry.

Potique des arts. in-8".
181 1. Ch. d'ALBERG.

Prids, ou de l'influence des beaux arts sur
la flicit publique. Parme.
A. Lens.

Du bon got ou de la beaut de la peinture.
Bruxelles, (1811 ou 1812).
1813. Emeric-Davdd-.

Premier discours historique sur la peinture


moderne, renfermant l'histoire abrge de cet art depuis Cons-
tantin jusqu'au commencement du XIII' sif-cle, in-8.
J. N. Paillot de Montabert.

Dissertation sur les peintures
du moyen ge et sur celles qu'on a appeles gothiques, in-8".
Barbier Michel Cubires de Palmeseaux.
- Essai sur l'art
XII BIBLIOGRAPHIE GNRALE
potique en gnral, et en particulier sur la versification fran-
aise. Paris.
Le Comte Fortia de Piles.

Quelques rflexions d'un homme
du monde sur les speclactes, la musique, etc. Paris.
De Saint-Prosper.

Essai sur la comdie. Paris.
1813. L. R. B.

Rflexions gnrales sur le thtre. Rouen.
J. N. Paillot de Montarert.

Thorie du geste dans Vart
de la peinture. in-8.
1814. Quatremre de Quincy.

Le Jupiter Olympien ou l'art de la
sculpture antique considr sous un nouveau point de vue,
etc. in-f.
1815. F. X. J. Droz.

Etudes sur le beau dans les arts.
Le Clerc Dupuy.

Fragments d'un mmoire indit sur cette
question propose en l'an VI par l'Institut : Quelles ont t les
causes de l'excellence de la scidpture antique et quels seraient
les moyens d'y parvenir, in
8
(Le mmoire est de 1801).
Chevalier Alexandre Lenoir.

Considrations gnrales sur les
sciences et les arts, etc. Paris.
1816. Delamalle.

Essais d'institutions oratoires, l'usage de ceux
qui se destinent au barreau. Paris, 2 vol.
F. P. G. Guizot.

Essai sur les limites qui sparent et les liens
qui unissent les Beaux-Arts. Paris.
Thodore Jouffroy.

Le sentimettt du beau est diffrent de
celui du sublime : ces deux sentiments sont immdiats. (Thse).
(Facult de Paris, 12 aot 1816).
1817. Stendhal.

Rome, Naples et Florence.
.

Histoire de la peinture en Italie, 2 vol.
1818. Anonyme.

De l'influence des romans sur les murs. Paris et
Avignon.
Victor Cousin.

Du vrai, du beau et du bien.
Le cours sur le Beau a t donn en 1818. En 1845,
nous en ayons
la premire dition. Il existe une rdaction fidle du cours primitif :

Cours de philosophie sur le fondement des ides absolues


du vrai, du beau et du bien. Publi par Ad. Garnier, 1836.
Les ides directrices du Cours se trouvent dj dans l'article inti-
tul :

Du beau rel et du beau idal, paru dans les Ar-
chives philosophiques en 1818, et rimprim dans les Fragments
philosophiques, 1826.
A consulter : Paul Janet.
Victor Cousin et son uvre,
188.'5.
Ernest Renan.

Essais de morale et de critique
(Etude sur Cousin), 1867.
H. Hill.

De l'influence
qu'exercent les ouvrages d'imagination
sur les murs. Cambrai.
Kratry.

Inductions morales et
physiologiques.
A consulter : Anonyme.
-
Du beau, de sa nature et des divers sys-
tmes qui ont t mis ce sujet. Bordeaux. 1868.
de l'esthtique
XIII
Ladevi. Examen critique de ta thorie du beau de
M. Kratry. (Thse). Facult de Paris, 26 aot 1829.
1821. Chevalier Alex. Lenoir.

Observations scientifiques et critiques
sut-
le gnie et les productions des peintres et des autres artistes
les plus clbres de l'antiquit, du moyen ge et des temps mo-
dernes. Nouvelle dition en 1824, sous le titre :

Considra-
tions sur le qnie et les principales productions, etc.
1822. Joly.

Sur le sublime. (Thse). 7 aot 1822. Facult de Paris.
Kratry.

Du beau dans les arts d'imitation, avec un examen
raisonn des productions des diverses coles, 2 vol.
1823 Kratry.

Examen philosophique des considrations sur le
sentiment du sublime et du beau d'Em. Kant. Paris.
Chevalier Alex. Lenoir.

La vraie science des artistes, ou
recueil de prceptes et d'observations formant un corps com-
plet de doctrine.
Quatremre de QiNGY.

Essai sur la nature, le but et les
moyens de l'imitation dans les beaux-arts. Paris.
1824. A. Jal.

L'artiste et la philosophie.
Baron Massias.

Thorie du beau et du sublime, ou loi de la
reproduction par les arts. Paris.
1826. Victor Hugo.

Prface du Globe.


Prface de Cromwell.
Nie. Ponce.

Mlanges sur les Beaux-arts.
(Recueil de ses
opuscules). in-8.
1827. Larroque.

Influence du thtre sur les murs (thse). Fa-
cult de Paris, 3 nov. 1827.
Humbert de Superville.

Essai sur les signes inconditionnels
de l'art. Leyde, 1827-1859.
Alfred de Vigny.
Prface de Cinq-Mars.
1828. J. N. Paillot de Montabert.

Trait complet de peinture.
1829. F. G. Bertrand.

Du got et de la beaut considre dans les
productions de la nature et des arts, (thse). Facult de Caen.
Girodet.
v

uvres posthumes suivies de sa correspondance.


in-8.
Sainte-Beuve.

Vie, posies et penses de Joseph Delorme.
Stendhal.

Promenades dans Rome. 2 vol.
1830. Prenns.

Du sublime et du beau, (thse). Facult de Besan-
on, 23 janvier 1830.
1831. Chenavard.

Sur le got dans les arts. (Discours prononc
l'Acadmie royale de Lyon le 14 juillet 1831).
J. Janin. Etre artiste. Article dans L'Artiste, vol. I,
p. 9.
Alfred Johannot.

Point de vue de la critique, dans l'Artiste,
vol. I, p. 109.
XIV
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Du beau, particulirement en littrature, (thse).
Facult de Dijon, 22 aot 1831.
1833. L'abb Lechat.

Du beau, (thse). Facult de Paris, 30 aot
1833.
1834.
Lodin de Lalaire.

Quelques ides sur l'esthtique, (thse).
1835.
Mazure.

Cours de philosophie. (On
y
trouve un chapitre sur
l'esthtique).
Schwalb.

Sur le beau, (thse). Facult de Paris, 27 juillet
1837.
1836. J. Bordes de Parfondry.

Etude sur l'art. Critique spciale.
Dans l'Artiste XIV, 213, 249, 261. Vue sur l'art, lbid. XII, 61,
1836-1837.
M
me
Caroline Raty.

De l'influence de la scne sur les murs
en France. Paris.
C. Robert.

Essai d'une philosophie de l'art.
1837. A. Guillot.

Qu'est-ce que l'inspiration dans l'Artiste, vol.
XIV, p. 38.
1838. A. Bignan.

Essai sur l'influence morale de la posie. Paris.
Louis Dussieux.

L'art considr comme le symbole de l'tat
social, etc. Paris.
R. Saint-Hilaire.

Quid sit in artibus pulchritudo. (Du beau
dans les arts), (thse). Facult de Paris, 24 nov. 1838.
1839. Edgard Quinet.

Considrations sur l'art, (thse). Facult de
Strasbourg,
1"
fvrier 1839.

'

Du gnie de l'art. Bvue des deux Mondes.


15 oct. 1839.
1840. Adolphe Garnier.'

Quid poesis ? (thse).
1841. F. de Lamennais.

De l'art et du beau. Il forme le troisime
volume de l'Esquisse d'une philosophie.
A consulter : Paul Janet. La philosophie de Lamennais.
1842. Emeric David.

Mmoire sur cette question : a Quelle est l'in-
fluence de la peinture sur les arts d'industrie commerciale.
(an Xll). Publi la suite de l'ouvrage du mme auteur de
l'anne 1796, en 1842.
Alfred Michiels.

Histoire des ides littraires en France au
XIX' sicle et de leurs origines dans les sicles antrieurs.
Bruxelles.
1843. Th. Jouffroy.

Cours d'esthtique. (Prface de Damiron).
L'abb Laffetay.

De la beaut littraire, considre dans son
principe et dans les conditions qui la ralisent, (thse). Facult
de Caen, 16 nov. 1843.
1845. Auguste Nisard.

Examen des potiques d'Aristote, d'Horace
et de Boileau. (thse). Facult de Paris, 28 mai 1845.
1846. L. Vitet.

Fragments et mlanges. Le tome
1"
intitul : Beaux-
DE l'esthtique XV
arts, critique littraire et artistique. (Articles publis par le
tdobe ou la Revue Franaise avant 1830 ou par la Revue des
deux Mondes entre 1830 et 1846).
1847. J. B. Flix Descuret.

Thorie morale du
got ou le
got con-
sidr dans ses rapports avec la nature, les beau.r arts, les
belles lettres et les bonnes murs.
Rod. Toppfer.

Relierions et menus
propos d'un peintre gene-
vois, ou Essais sur le beau dans les arts. Paris, 2 vol.
A consulter : Th. Gautier.
Du beau dans l'art d'aprs M. Toppfer.
Revue des deux Mondes, I
e
'
septembre 1847.
1848. Docteur J. M. Amde Guillaume.

Du bon et du beau.
Question extraite du
2*
volume de la Physiologie des sensa-
tions.
Wiertz.

Peintres, peinture et critique.
1849. P. A. Jeauron.
Origines et progrs de l'art. Eludes et re-
cherches.
Antoine Mollire.

Mtaphysique de l'art. Lyon.
1850.
Emile Burnouf.

Des principes de l'art d'aprs la mthode et
les doctrines de Platon, (thse). Facult de Paris, 30 mai 1850.
Egger.

Essai sur l'Histoire de la critique chez les Grecs, suivi
de la Potique d'Arislote.
J. B. Tissandier.

L'esprit de la posie et des beaux-arts, ou
thorie du Beau.
,
Zieger.
Etudes cramiques. Recherche des principes du beau
dans l'architecture, l'art cramique et la forme en gnral.
1851.
Franois Guizot.

Etudes sur les beaux-arts en gnral.
Sainte-Beuve.

Divers articles.
A consulter : V. Giraud. Table alphabtique et analytique, etc.,
1903.
G. Lanson.

Sainte-Beuve. Revue de Belgique,
15 janv.
1905.
1852. Ch. B.nard.

Hegel, philosophie de l'art, essai analytique et
critique.
Aug. Boulland.

Mission morale de l'art.
Ad. Garmer.

Trait des facults de l'me, comprenant l'his-
toire des principales thories psychologiques. 3 vol.
1853.
Gustave Flaurert.
Correspondance. (Quatre sries, 1830-
1850, 1850-1854, 1854-1869 et 1869-1880. I<a troisime srie

particulirement les lettres de l'anne 1853



est la plus
intressante pour l'esthtique. Pour cette raison, nous citons
cette date la Correspondance de G. Flaubert). 4 volumes,
chez Charpentier, d., Paris.
M. de Poletika.

Essais philosophiques.... suivis d'observa-
tions sur le beau. (Publis par H. de Jacob).
1854. E. Delacroix.

Questions sur le Beau. Revue des deux Mondes,
15 juillet 1854.
XVI
BIBLIOGRAPHIE GNRALE
1855. J. E. Alaux.

Essai sur l'art dramatique. (Thse).
Maxime du Camp.

Prface des Chants modernes. Paris.
N. Chtelain.

Du got considr sous ses faces diverses.
Comte de Choulot.

L'art des jardins. Paris.
B. de Mercey.

Etudes sur les beaux-arts. 1855-1857.
J. N. Paillot de Montabert.
L'Artistaire. Livre des princi-
pales initiations aux beaux-arts, la peinture, la sculpture, etc.
1856.
L'abb Jouve.

Dictionnaire d'esthtique chrtienne ou thorie
du beau dans l'art chrtien.
Le Comte Lon de Laborde.

De l'union des arts et de l'indus-
trie. 2 vol.
Adolphe Pictet.

Du beau dans la nature, l'art et la posie.
Etudes esthtiques. Paris et Genve.
1857.
L'abb P. F. Baelden.

Essai sur le beau, ou Dieu principe,
centre et
fin
du monde universel, du beau, de la littrature
et de l'art. Bruxelles.
Champfleury.

Le ralisme. Paris.
E. Delacroix.

Des variations du beau. Revue des deux
Mondes, 15 juin 1857.
Jules Jamin.

L'optique et la peinture. Revue des deux Mondes,
1
er
fvr. 1857.
Charles Lvque.

Platon considr comme fondateur de l'es-
thtique.
Thor.

Nouvelles tendances de l'art.
1858.
Antoine Charma.

Rsum du cours d'esthtique profess la
Facult des lettres de Caen. Caen.
J. Lesfauris.

Essais d'esthtique, prcds de notions nou-
velles sur le vrai, le beau, le bien.
1859.
A. Ed. Chaignet.

Les principes de la science du Beau.
H. Delaborde.

De l'art et de la critique d'art. Revue de*
deux Mondes,
1"
mai 1859.
Nol Seguin.

Introduction une esthtique nouvelle.
Alf. Tonnel.

Fragments sur l'art et la philosophie, publis
par G. S. Heinrich.
1860.
Victor Courdaveaux.

Du beau dans la nature et dans l'art.
Paris.
Fabisch.

De la dignit de l'art. (Discours). Lyon.
J.
Milsand.

Une nouvelle thorie de l'art en Angleterre.
M. John Ruskin, Revue des deux Mondes, 1
er
juillet 1860 et
15 aot 1861.
1861.
Lop. Derome.

L'art et la dmocratie.
Victor de Laprade.

Questions d'art et de morale. Paris.
Charles Lvque.

La science du beau tudie dans ses prin-
cipes, dans ses applications et dans son histoire. 2 vol.
DE L ESTHTIQUE XVII
A consulter uue critique dans le livre d'Emile Saisset : Un nourri essai
d'esthtique. Revue des deux Mondes, 15 nov. 1801.
N. Martin.

Le parfait connaisseur ou l'art de devenir un cri
tique d'art en deux heures (imit de l'allemand).
Perreyre.

De la vocation dans les arts.
Emile Saisset.

Un nouvel essai d'esthtique. Revue des deux
mondes, 15 nov. 1861. Reproduit dans

L'me et la vie, suivi


d'une tude sur l'esthtique franaise, 1864.
Paul Voituron.

Recherches philosophiques sur les principes
de la science du beau, 2 vol., 1861-1862.
1862. Chesneau.

Les chefs d'cole.
L. Dumont.

Des causes du rire.
L. Dumont et Buchner.

Jean Paul et sa potique. Paris.
(Forme la Prface de la traduction de la Potique de Jean-
Paul, publie en 1862. 2 vol., Paris).
F. de Lasteyrie.

Causeries artistiques.
M. Maignier.

Dfvnion et analyse esthtique de l'art. Gre-
noble, 1862-1865.
Pfau.

Etudes sur l'art. Bruxelles.
Eugne Vron.

Supriorit des arts modernes sur les avis
anciens. (Posie, sculpture, peinture, musique).
A consulter un article de F. T. Perrens. Revue des deux Mondes,
lo sept. 1863.
1863. Lon Dumont.

Le sentiment du gracieux.
Edouard Lagout.

Esthtique nombre, application du beau
l'analyse harmonique de la statuaire nouvelle.
Docteur E. V. Lger.

Essai sur le canon artistique.
Charles Lvque.

Article sur le Rire dans la Revue des deux
Mondes,
1"
sept. 1863, reproduit dans la 2
e
dition de la
Science du beau.
C. A. N. Maignien.
-
Etudes de littrature et d'art.
C. de Remusat.

L'art parla critique. Revue des deux Mondes,
1"
novembre 1863.
Viollet-le-Duc.

Onze confrences sur l'esthtique. Revue des
Cours littraires, 1863-1864.
1864. Ernest Chesneau.

L'art et les artistes modernes en France et
en Angleterre.
Emile Desgiianel.

Physiologie des crivains et des artistes ou
Essai de critique naturelle.
Charles Lvque.

Le spiritualisme dans l'art. Ce livre est
compos d'une introduction et de trois tudes :
1
Le spiritua-
lisme dans la sculpture, crite pour la Revue des deux Mondes,
15 janv. 1864 ;
2
Un sculpteur
spiritualisle : Charles Simart,
crite pour le Journal de l'instruction publique, 1857, et
3 Le
spiritualisme dans la peinture. Un peintre spirituaMste et phi-
17
XVIII
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
losophe : Nicolas Poussin, et un appendice : Les origines pla-
toniciennes de l'esthtique spiritualiste. Discours dit au Collge
de France le 12 fv. 1857.
Joseph Milsand.

L'esthtique anglaise, tude sur M. John
Ruskin.
Mouel.

Histoire de la sagesse et du got depuis ls plus an-
ciens temps de la civilisation grecque jusqu' Socrate.
Charles Mullexdorf.

Du beau dans ses rapports avec le vrai
et le bien.
L. Viardot.

Causerie sur les arts. (Extrait de la Revue Ger-
manique).
L. Vitet.

Etudes sur l'histoire de l'art. Paris, 4 vol.
1865. Charles Beauquier.
Philosophie de la musique.
F. Bouillier.

Du plaisir et de la douleur.
Ant. Campaux.

Des rapports de la beaut plastique et de la
beaut morale. Strasbourg.
Charles Clment.

Etude sur les beaux-arts en France.
L'abb Guthlin.

Les doctrines positivistes. 2
e
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V. de Heurle.

Le ralisme dans la littrature et les arts.
Gabriel de Minut.

De la beaut, discours divers, etc.
Proudhon.

Du principe de l'art et de sa destination sociale.
David Sutter.

Esthtique gnrale et applique, contenant les
rgles de la composition dans les arts plastiques.
H. Taine.

Philosophie de l'art.
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La philosophie de H. Taine trad. par A. Die-
trich. 1900. (Publi en italien en 1895).
E. Faguet.
Politiques et moralistes du XIX
e
sicle. (Art. sur
Taine). 1900. Troisime srie.
Amde de Margerie.

H. Taine. 1894.
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La mthode de Taine. Revue de Belgique, dc. 1897.
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Rfutation esthtique de Taine. 1906.
G. Plissier.

Nouveaux essais sur la littrature contempo-
raine. [Taine critique littraire). 1895.
Marcel Reymond.
L'esthtique de M. Taine'. (Extrait du Contem-
porain). 1883.
E. Zola.

Mes haines. (Art. : M. H. Taine, artiste.) 1866.
1866. Eug. Battaille.

Du rle et de l'importance de l'imitation
dans les arts. Versailles. (Confrences de l'Htel de Ville de
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Auguste Couder.

Considrations sur le but moral des beaux-
arts. Paris.
Victor Guigou.

Le gnie de l'art chrtien.
V. de Lai'rade.

Le sentiment de la nature avant le christia-
nisme. Paris.
DE L ESTHTIQUE
MX
Charles Lvkque. Les arts du dessin et la science. Revue
du
deux Mondes,
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H. Taine.

Philosophie de l'art en Italie.
Louis Viardot.
D'une dfinition de l'ait
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peindre. Gazette des Beaux-arts, l" pr., t. XX,
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Emile Zola.

Mes haines. Paris.
1867. Andr Albrespv.
Influence de la libert et des ides reli-
gieuses et morales sur les beaux-arts.
E. Beul.

Causeries sur l'art.
Charles Blanc.
Grammaire des arts du dessin. Architecture,
sculpture, peinture, etc.
Alexis Chassang.

Le spiritualisme et l'idal dans l'art et le
posie des tires. 1867-1868.
Albert Collignon.

L'art et la rie.
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Auguste Couder.

De la beaut.
B. P. Flix.

L'art devant le christianisme.
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Henri Houssaye.

Etudes sur l'art grec. Histoire d'Apelle.
L. et B. Mnard. La sculpture ancienne et moderne. (Ouvrage
couronn par l'Acadmie des Beaux-Arts).
B. Mnard.

Les thoriciens de l'art. Dans l'Anne philoso-
phique. 1867.
Parrocel.

Des artistes, de leur mission, etc. Marseille.
Stendhal.
Mlanges d'art et de littrature.
H. Taine.

De l'idal dans l'art.
Le duc de Valmy.

Le gnie des peuples dans les arts.
A. de Vigny.

Journal d'un pote.
1868. Ch. Beaudelaire.

L'art romantique. Ed. Calmann-Lvy.


Curiosits esthtiques.
David Sutter.

Cours d'esthtique gnrale et applique ;
dis-
cours d'ouverture.
1869. Emile Boutmy.

Philosophie de l'architecture en Grce. Paris.
Langel.

L'optique et les arts.
H. Taine.

Philosophie de l'art en Grce.
1870. Louis Benloew.

Essai sur l'esprit des littratures. Lu Grce
et son cortge ou la loi esthtique.
Gustave Flaubert.

Prface aux Dernires Chansons. (Posies
posthumes) de Louis Bouilhet.
Ingres.

Notes et penses sur les Beaux-arts. Gazette des
Beaux-Arts,
1"
Fv. 1870.
1871. L'abb Prosper Gaborit.

Le' beau dans la nature et dans les
arts. 2 vol.
L'abb J. B. Mrit.

Lettres sur le beau en littrature.
XX
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
1873. A. Albrespy.

Les confrences du P. Flix sur les beaux-arts.
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Anonyme.

Rflexions
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Ph. Gauckler.

Le beau et son histoire.
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Etudes esthtiques. L'art dramatique. La
posie. L'esprit de la France dans la littrature.
Ed. Lagot.
L'quation du beau. Loi des sensations agrables,
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Ch.
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Le sens du beau chez- les btes. Revue des dtux
Mondes.
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sept. 1S73.
L'abb
Ortrand.

Essai sur les rapports du beau et de la po-
sie avec le irai, (thse). Facult de Rennes.
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F. Van den Rosch.

Les lettres et la vie. Paroles pour la jeu-
nesse. Rruxelles.
1913. F.
Raldensperger.

La littrature. Cration. Succs. Dure.
C. Rellanger.

L'art du peintre, la peinture et les peintres
depuis les temps les plus reculs jusqu' nos jours. Ecoles tran-
gres.
G.
Denoinville.

Sensations d'art. 8
e
srie.
H. Fauconnet.

L'esthtique de Schopenhauer. Alcan, d.
P. Figari.

Champ o se dveloppent les phnomnes esth-
tiques. (Extrait du
Bulletin de la Bibliothque amricaine).
E. Gaudart.

La musique esprantiste.
V.
Giraud.

Matres d'autrefois et d'aujourd'hui. Essais d'his-
toire morale et littraire.
P. Jury.

De la prire la beaut.
Tristan
Leclre.

Les derniers tats des lettres et des arts. La
peinture.
A.
Louvet.

L'art d'architecture et la profession d'architecte.
Tome
II : L'exercice de la profession.
Roger
Marx.

L'art social. Prface d'A. France.
G. Mra.

L'esthtique de Chateaubriand. Gense et dveloppe-
ment. Etude
psychologique.
(Extrait de la Jeune fille contem-
poraine).
G. Mourey.

Propos sur les beauts du temps prsent.
J. Muller.

Les derniers tats des lettres et des arts. Le roman.
J. Muller et G. Picard.

Les tendances prsentes de la litt-
rature franaise.
Fr.
Pauliian.

L'esthtique du paysage. Alcan, d. Paris.
G. de Rgy.

L'volution
ornementale depuis l'origine jusqu'au
XIV sicle.
Ernest P. Romada.

Contribution une philosophie de la
peinture du X\T au XIX' sicle.
L. Rougier.

La reprise de la
querelle des Anciens et des Mo-
dernes.
E. Se.

Petits dialogues sur le thtre et l'art dramatique.
DE L ESTHETIQUE Ll
J. Serre.

Chez
les Jeunes. Les sources et les tendances le la
posie contemporaine.
A. Soubies.

De la modernisation des oeuvres anciennes.
l'aul Souriau.

L'esthtique de la lumire.
R. Tripier.

Considrations pratiques sur l'art, les artistes,
les
muses. Peinture et sculpture.
1914. P. Bont.

Mditations sur la beaut du monde.
M. Coulombeau.

Six causeries sur l'art. L'idal dans le
<
Prince Czernicheff.

Le culte du beau. Thorie mystique des
pierres.
J. E. Fidao-Justiniani.

L'esprit classique et la prciosit au
XVII
e
sicle.
J. B. Jouberton.

La musique est la langue naturelle de l'me.
Utilit de la musique notre poque.
L. La Bose.

L'art et l'poque.
N. Le Poutounel.

L'ducation posthume de M. de la Verdu-
rette.
Essai d'une psychologie des beaux arts l'usage des gens
du monde.
Henri Loison.

Concision, posie et sociologie.
A. Maquaire.

La musique au foyer. Art
d'agrment et source
de profits.
P. Marcel.

Les peintres et la vie politique en France au
XVII' sicle. (Extrait de la Revue du XVIIF sicle).
C. Mauclair.

Histoire de la musique europenne. 1850-1914.
Les hommes, les ides, les irueres.
L. BosEiNTiiAL.

Du romantisme au ralisme. Essai sur rvo-
lution de la peinture en France de 1830 1848.
G. Seillire.

Le
romantisme des ralistes. G. Flaubert.
F. Vandrem.

Baudelaire et Sainte-Beuve. (Articles parus
dans les numros de Fvrier et Mars du Temps
prsent).
E. Van de Velde.

La musique et les arts plastiques. (Elude-
confrence).
Index alphabtique de la Bibliographie
(Les dtes qui accompagnent les noms propres dam cet index correspondait
celles de la Bibliographie).
Ahbelous Tli. 1907.
Adam (Ch. E. ) 1885.
'
Adam Paul 1907.
Alanx J. E. 1855. 1873. 1885.
Alberg (Cl), d') 1811.
Albert Ch. 1901. 1904. 1909.
Albrespy Andr 1867. 1872.
Alembert (D'-j 1750. 1757. 1758.
Ancillon F. 1809.
Adr Paul 1906. 1912.
Andr (Le Pre) 1711.
Anonymes 1411. xvi' sicle. 1681. 1818
(bis). 1872. 1900. 1902 (bis). 1903. 1910.
1912.
Antbeaume (Dr. A.) 1908.
Antokolski N. M. 1897.
Aristote 1674. 1850. 1887. 1888. 1893.
1896. 1897. 1898. 1900.
Armand A. 1882.
Arnaud A. 1768.
Arnoult Lon 1895. 1897 (bis).
Arrat Lucien 1884. 1888. 1889. 1891.
1892. 1895. 1899. 1903. 1906.
Aubert Esprit 1613.
Aubignac (L'abb d' ) 1657. 1663.
Auzeude A. M. 1912.
Azbel 1899 (bis). 1901.
Bach J. S. 1907.
Baelden (L'abb P. F.) 1857.
Bas Ed. 1898 (bis). 1903. 1903.
B"ahnsen 1878.
Baldeusperger F. 1913.
Bailanche P. S
v
1801.
Barat Em. 1904.
Barbey d'Aurevilly J. 1906.
Barine A. 1908.
Barlet 1895.
Barre*1911.
Bartet (M J.-) 1903.
Barthez P. .1. 1807.
Barzelptti G. 1865.
Basch V. 1896. 1902.
Bastier Paul 1903.
Battaille Eug. 1866.
Batteux (L'abb) 1746. 1751.
Baudelaire 1868. 1914.
Baudin P. 1912.
Bayard E. 1906. 1908. 1911.
Bazaillas A. 1905. 1908.
Bazalgetti L. 1898.
Bazin K. 1906.
Beaubourg M. 1901.
Bcaujou 1900.
Beaunier A. 1902. 1906.
Beauquier Cli. 1865. 1884.
Beaurin-Uressier L. 1897.
Bel 1726.
Blanger P. A. 1900.
Bellaigue C. 1909.
Bellanger C. 1913.
Bellot 1908.
Buard Ch. 1852. 1876. 1877. 1880.
(bis). 1887. 1889.
Bndite L. 1912.
Benlw Louis 1870.
Benoit F. A. 1806. 1897.
Braud II. 1906.
Berger Pierre 1907.
Bergmaus C. 1902.
Bergson H. 1900.
Bernard E. 1899.
Bernard L. 1905.
Bertaut J. 1908.
Berteaux E. 1911.
Bertrand E. 1893.
Bertrand F. G. 1829.
Bethune de Villers .1. 1883.
Heul E. 1867.
Bierm M. 1911.
1883
LIV INDEX ALPHABETIQUE
Bignan A. 1838.
Bigot C. 1879.
Blake William 1907.
Blanc Charles 1867. 1875. 1882. 1888.
BlmoDt E. 1890. 1907.
Boileau 1674. 1694.
Boillin J. L. 1910.
Boirac 1884.
Bois J. 1897.
Boissire (Claude de ) 1554.
Bonasse H. 1906.
Boncour J. P. 1012.
Bonnet Ch. 1760.
Bonnet J. 1910.
Bonnet J. 1715. 1723.
Bonnet P. 1715.
Bonuier (D
r
P.) 1909.
Bordeaux H. 1897. 1900.
Bordes de Parfondry J. 1836.
Bordier 1902.
Boschot A. 1911.

Bossuet 1694..
Bouchaud (P. de -) 1903. 1906. .
Boucher M. 1912.
Bouchor M. 1888.

Boudron (L'abb P.) 1878.
Bouhours (Le Pre) 1671.
Bougot Aug. 1877.
Bouilhet Louis 1870.
Bouillier F. 1865.
Boulenger (L'abb F.) 1900.
Boulland Aug. 1852.
Bounafl Ed. 1902.
Bourdeau J. 1883.
Bourdelot 1715.
Bourget Paul 1883. 1885. 1888. 1906.
1912.
"
Bourgoin J. 1899.
Bournon F. 1910.
Boursault 1(194.
Boutarel A. 1886.
Bout P. 1914.
Boutmy Emile 1869.
Bouyer R. 1909.
Boy 1779.
Boyer A. 1910.
Brabant (Le P. B.) 1905.
Braunschvig M. 1719. 1904. 1907.
Bray L. 1902.
Bray S. 1901.
Brmont L. 1894.
Breton Jules 1890.
Breuil J. 1905.
Bricon E. 1900. 1909.
Brieger-Wasservogel L. 1910.
Briseux C. E. 1752.
Brisson A. 1907.
Brocard A. 1899.
Broussolle J. C. 1898. 1902. 1905.
Brunetire F. 1884. 1890. 1898. 1903.
1907.
Brunier J. 1906.
Buchner 1862.
Buis Ch. 1893. 1910.
Burdeau 1878.
Burnouf Emile 1850.
Butcher 1897.
Cailhava de l'Estendoux 1772.
v
Calvin 1902.
Camp (Maxime du ) 1855.
Campaux Ant. 1865.
Canudo R. 1908.
Capart J. 1902.
Cardon G. 1908.
Carez F. 1901. 1905.
Caro 1884.
Cartaud de la Villate 1736.
Carteron (Ch. et Eug.) 1891.
Cartier Et. 1879. 1881.
Casella G. 1906.
Cassagne Al. 1906.
Catherinot Nie. 1687.
Cattier E. 1897.
Caylus (Comte de ) 1910.
Cesbron A. 1908.
Chabaneix (D
r
)
1897.
Chabanon (M. P. G. de -) 1764. 1779. 1785.
Chabuf H. 1901.
Chaignet A. Ed. 1859. 1888.
Chambray (Friart de-)
J50.
1662.
Chambrun (Le comte de) 1890.
Champfleury 1857.
Chantavoine J. 1912.
Chapelain 1638.
Chapou (Mgr 11. L.-) 1908.
Charbonuel.l. R. 1903. 1909.
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Chassang Alexis 1867.
Chastellus
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Chateaubriand 1913.
Chtelain N. 1855.
Cbauliaux Ph. 1880.
Chaussard (P. J. B. Publicola) 1798.
Chavanne (E. de) 1903.
Chenavard 1831.
Cherbulliez V. 1892. 1896.
Cherfils C. 1907. 1909.
Chesneau Ernest 1862. 1804. 1880.
Choulot (Comte de

)
18o.">.
Clair (Le Pre Ch.)
1882.
Claris Ed. 1902.
Claudel Paul 1907.
Clment Charles 1865.
Clment Flix 1878.
Clre J. F. C. 1905.
Clerget F. 1903 (bis).
Cloquet L. 1894. 1895.
Cochin Charles -Nicolas 1763.
Cochin H. 1903.
Cnil 1887.
Colomb Casimir 1880.
Colletet 1658.
Collignon Albert 1867.
Combarieu J. L. J.
1893. 1907. 1909.
Condillac (L'abb de) 1746.
Condorcet (La marquise de)
1902.
Conrard 1638. .
-Conti (Prince de) 1666.
Coosemans E. 1912.
Cordier A. 1877.
Corneille 1650. 1660. 1888.
Coster (G. H. de-) 1880.
Couder Auguste 1866. 1867.
Coulombeau M. 1914.
Courdaveaux Victor 1860. 1875.
Cousin Jean 1560.
Cousin Victor 1741. 1818.
Cousot Fr. 1897.
Couyba Ch. M. 1902. 1908 (bis).
Coypel Charles 1726. 1749.
Coypel Antoine 1721.
Cozanet Albert 1897.
Croiset 1897
Crousaz (J. P. de) 1718
Croy (Henri de ] 1493.
Curzon (11. de) 1908.
Czemichell (l'rince) 1914.
Dacier E. 1899.
Dacier (M""]
1715.
Dadolle P. 1886.
Daelen E. 1905.
Dagesci 1805.
Dalcroze Jacques 1900.
Daly Csar 1885.
Damiron 1843.
Dauriac Lionel 1891. 1904. 1905. 1908.
Dauv 1904.
Daxhelet A. 1904.
Debuchy P. 1904.
Deimier (P. de) 1610.
Delaborde II. 1859.
Delacroix E. 1854. 1858.
Delacroix II. 1902.
De la Grange P. 1694.
Delamalle 1816.
De la Porte P. V. 1898.
Delauduu d'Aigaliers 1597.
Delmer Louis 1892.
Delorme Philibert 1561.
Delville Jean 1897. 1900.
Denis M. 1912.
Denise L. 1906. 1909.
Denoinville G. 1901. 1909. 1913.
Dcrome Lop. 1861.
Descartes 1882. 1883.
Descbamps (Eust. dit Morel) 1392.
Deschauel Emile 1864.
Descuret (J. B. Flix )
1847.
Desgranges 1897.
Desjardius Paul 1899.
Desprez de Boissy Ch. 1759. 1771.
Dezallier
Dargenville 1745.
Diderot 1751. 1765. 1773. 1902. 1909.
Dimier L. 1900.
Divoire F. 1912.
Dody J. 1904. 1905.
Dony E. 1905.
Dorchain A. 1905.
LVI INDEX ALPHABTIQUE
Dornis 1912.
Doucet .1 . 1909.
Doumergue E. 1902.
Doumic R. 1903. 1908. 1909.
Doutrepont G. 1902.
Dromard (Dr. G.) 1908 (bis).
Drovin 1898.
Droz F. X. J. 1815.
Dubedout (L'abb E.) 1900.
Du Bellay J. 1549.
Dubos (L'abb J. B.) 1719. 1726. 1908.
Dubosc 1900.
Dubosq 1900.
Dubufe G. 1908.
Ducros E. 1911.
Dufour G. 1875.
Dugas L. 1903.
Duhamel G. 1910.
Du Jardin 1892.
Dumas Al. 1895.
Dumesnil G. 1903.
Dumon K. 1894.
Dumont Alph. 1876.
Dumont L. 1862 (bis). 1863. 1875.
Dumont-Wilden L.
1901."
Dupr Dr. 1911.
Dupuy E. 1902.
Dupuy du Grez 1699.
Durand H. 1912.
Durand (de Gros) J. P. 1900.
Durkeim E. 1898.
Dussauze H. 1912.
Dussieux Louis 1838.
Dutry Albert 1891.
Ecorcheville .). 1906.
Egger 1850.
Egger V. 1901.
Eliade P. 1904 (bis).
Emeric-David 1790. 1805. 1812. 1842.
Erckmann-Cliatrian 1885.
Eruault E. 1904.
Ernest-Charles 1902.
Ery L. 1901.
Espinas 1880.
Estve Pierre 1753. 1756.
Etienne (L'abb L.) 1905.
Eymieu A. 1911.
Fabert A. 1910.
Fabisch 1860.
Fabri Pierre 1521.
Faguet E. 1865. 1897 (bis). 1902. 1903.
Falconnet E. M. 1761.
Fath R. 1901.
Fauconnet H. 1913.
Faure E. 1907.
Favre 1900.
Flibien Andr 1666. 1667. 1676. 1707.
Flix 1901.

Flix R. P. 1867. 1872.
Feller Jules 1897.
Fuelon 1713. 1716.
Fnon F
;
1887.
Fr Ch. 1896.
Ferrand Dr. 1895.
Fessy A. 1900.
Feugre G. 1897.
Fidao-Justiniani J. E. 1914.
Fierens-Gevaert Hip. 1896. 1897. 1903
(bis). 1905.
Figari P. 1913.
Flach J. 1910.
Flandreysy (J. de) 1904.
Flaubert G. 1853. 1870. 1914.
Fiers (R. de ) 1900.
Fleury Al. 1894.
Fleury (Dr. M. de ) 1903.
Fonsegrive G. L. 1884. 1911.
Fontainas A. 1904.
Fontaine Andr 1903. 1909. 1910.
Fontaine Charles 1555.
Fontaine L. G. 1878.
Fontanier 1810.
Fonteuelle 1685. 1688.
Fouille A. 1881. 1883. 1884. 1889.
Fo(u)quelin Antoine 1555.
Fouquires (A. de) 1910.
Fornel de la Laurencie (De

)
1910.
Fra Angelico 1902.
France A. 1887. 1913.
Franois Ad. 1895.
Franqueville 1889.
Frdault (Dr. I'.) 1903.
Fresnoy (Charles Alph. du

)
1668.
Fromentin E. 187(5.
Frommel G. 1907.
Fuiuel Ch. 1898.
Fulconis V. 1888.
DE LA HlBLKMiKAI'lllK l.\ II
(iaborit (L'abb Prosper
-)
1871. 1899.
1900.
Gaillard de Champris H. 1908.
Galabert Ed. 1S98.
Galin P. 1910.
Gallet R. 1900.
Garnier Ad. 1818. 1840. 1832.
Garder P. L. 1904.
Gasiou P. 1911.
Gaubert E. 1906.
Gauckler Ph. 1872.
Gaudart E. 1913.
Gauguin 1912.
Gaultier P. 1904. 1906 (bis).
Gautier Th. 1847. 1911.
Geoffroy G. 1898. 1900.
Geoffroy .1. L. 1897.
Grard-Varet L. 1898.
Germaiu Alph. 1893. 1894. 1895. 1901.
1902. 1904.
Gevaert F. A. 1900.
Gheon H. 1911.
Ghil Reu 1891. 1909.
Gide A. 1905. 1911.
Gielkens Em. 1898. 1900.
Gilbert E. 1903.
Gille Ph. 1894.
Ginisty P. 1910.
Giraud A. 1885.
Girand V. 1851. 1902. 1903 (bis). 1911.
1913.
Girodet 1829.
Gleizes A. 1912.
Godfernaux 1894.
Godin G. 1901.
Gossez A. M. 1911.
Goujon H. 1907.
Gounod C. 1898.
Gourmont (Jean de ) 1910. 1912.
Gourmont (R. de ) 1898. 1900. 1902.
1904. 1905. 1906. 1909. 1911. 1912.
GrammontM. 1904.
Grasserie (R. de la ) 1893.
Grasset J. 1902.
Greef (G. de-) 1895.
Greux G. 1903.
Griveau M. 1892. 1895 (bis). 1896 (bis).
1897. 1898. 1901.
Groos 1902.
Gros J. M. 1904.
Gros Johanns 1904.
Grucker Em. 1883. 1892.
Gsell P. 1911.
Guroult G. 1881.
(iuiard A. 1910.
Guiguiaut M. 1806.
Guigou Vict. 1866.
Guillaume E. 1886.
Guillaume (Dr. J. M. A.) 1848.
Guillot A. 1837.
Guizot F. P. G. 1816. 1851.
Guthlin (L'abb ) 1865.
Guyau J. M. 1881. 1883. 1884. 1889.
Guyot E. 1894.
Gwelle (L'abb H.-) 1905.
Ilalvy E. 1897.
Halftants (L'abb P.) 1911.
Hallays Andr 1896.
Hallez Dr. 1901.
Hamel H. 1901. 1905.
Hamel M. 1900.
Hartmann 1877.
Havard H. 1881. 1899. 1904.
Hbert H. 1905.
Hecq G. 1896.
Hegel 1852.
Hellouin Fr. 1906.
Hennebicq J. 1899. 1907.
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Houssaye A. 1875.
Houssaye Henri 1867.
Hue G. 1904.
Hugo V. 1826. 1893. 1901. 1910.
Humblet L. 1912.
Hur J. 1910.
Huret Jules 1891. (Voir errata).
LVIII INDEX ALPHABTIQUE
Jngegnieros J. 1907.
Ingres 1870.
Jaccoud 1901.
Jall Marie 1896. 1904.
Jal A..1824.
Jamet L. 1897.
Jamin Jules 1857.
Janet Paul 1818. 1841. 1897.
Janin J. 1831.
Janmot L. 1887.
Janssen 1902.
Jaouen J. 1900.
Jappy 1884.
Jean-Paul 1862.
Jeauron P. A. 1849.
Joet de Lyris 1905.
Johannot Alfred 1831.
Joly 1822.
Joly E. 1901.
Jouberton J. B.
1914."
Jouffroy Th. 1816. 1843.
Jouin H. 1888.
Jourdain 1908.
Jouve (L'abb -) 1856.
Joyau 1879.
Juglar L. 1901. 1902.
*
Junius Frauciscus 1637.
Jury P. 1913.
Kahn A. 1907.
Kahn G. 1901. 1902. 1905. 1912.
Kant 1896.
Kempenaers (L'abb Ch.) 1908.
Kratry 1818. 1822. 1823.
Krantz Em. 1882. 1883.
Laberthonnire 1903. 1904.
Laborde (Le C
,e
Lon de ) l'856.
Labrouste L. 1902.
La Bruyre 1688.
Lacaze-Duthiers (Grard de ) 1904.
1906. 1908 (bis).
Lacpde (C' de ) 1785.
Lacombe Jacques 1758.
Lacombe P. 1897. 1898.
Lacome P. 1911.
Lacouture Ch. 1900.
Lacuzon A. 1905.
Ladevi 1818.
Lafletay (L'abb ) 1843.
La Font de Saint-Yenne 1747. 1753.
Laforgue J. 1903.
Lagot Ed. 1863. 1873.
Lagrene 1910.
Lahor J. 1901. 1902.
Lalande A. 1899.
Lalo Ch. 1908 (bis). 1910.
Lamennais (F. de) 1841.
La Motte 1707. 1715.
Landry E. 1911.
Lange (D. de ) 1908.
Langel 1869.
Langlois E. 1902.
Lauson
G.
1851. 1908.
Lapauze H. 1905.
Laprade (Vict. de) 1861. 1866.
Larguier de Bangels J. 1900.
Larmandie (L. de ) 1908.
Laroppe A. 1905.
La Bose L. 1914.
Larroque 1827.
L/irroumet G. 1900.
Lasserre P. 1907.
Lasteyrie (F. de ) 1862.
Latour 1897.
Laugier (Pre

)
1753.
Launay (Cordier de) 1806.
Laupts (Dr. H.) 1895.
Laveleye (E. de) 1881.
Laviguac A. 1902. 1909.
Lazerges H. 1882.
Lebarbier 1801.
Lebesque Ph. 1905. 1906. 1911.
Le Blanc (L'abb-) 1747.
Le Blond M. 1896. 1901.
Le Blond de Latour 1669.
Le Bossu (Ben -) 1675.
Lebrun 1807.
Le Brun P. 1,694.
Le Brun R. 1911.
Le Cardouuel G. 1905.
Lecbalas A. 1905:
Lechalas Georges 1884. 1885. 1902.
Lechat (L'abb ) 1833.
DE LA MHLHH.RAIMIIE
LIX
Le Clerc Dupuy 1815.
Loclprcq E. 1880. 1882. 1883. 1S87. 1891.
Leclre T. 1913.
Le Danlec F. 1899. 1901. 1908.
Lee VernoD 1902. 1903. 1905.
Le Foyer L. 1896.
Legavre L. 1910.
Lger (Dr. E. V.-) 1863.
Le Helloco L. 1902.
Lehr H. 1898.
Lejay 189:;.
Lemalre J. 1884. 1888.
Lemercier d'Erm C. 1912.
Lemonnier C. 1901.
Le Natur 1884.
Lenel 1773.
Lenoir (Chevalier Al.-) 1815. 1821. 1823.
Leopir P. 1889.
Lens A. 1811.
Le Pailleur A. 1907.
Le Poutounel N. 1914.
Le Roy A. 1904.
Lesfauris J. 1858.
Lessing 1892. 1897.
Letaille A, 1911.
Letourneau Ch. 1894.
Levai 1694.
LvqueCh. 1857. 1861. 1863. 1864. 1866.
1873. 1882. 1893. 1896. 1897.
Levesque 1788.
Levrault L. 1900. 1901. 1902.
Libert J. 1906.
Livre P. 1911.
Linfortun 1505.
Lipps 1902.
Liszt F. 1886.
Locquin J. 1912.
Lodin de Lalaire 1834.
Loison H. 1914.
LoisefA. 1909.
Lombard A. 1908.
Louvct A. 1913.
L. KT B. 1813.
Lulli 1906.
Lamet L. 1904.
Lussy M. 1906.
Maeterlinck L. 1903.
Magnard Al. 1894.
Magne E. 1909.
Maignau M. 1912.
Maignien C. A. N. 1863.
Maignier M. 1862.
Malapert P. 1898.
Malpel Ch. 1911.
Maquaire A. 1914.
Maquin E. 1907.
Marcel P. 1914.
Marcenay de Ghny (A. de) 1756. 1770.
Marest (Azar du

) 1901.
Margerie (Am. de) 1865.
Marguery E. 1899.
Marinetti F. T. 1911.
Marmontel 1758. 1763. 1773. 1786.
Marmontel 1884.
Marsy (L'abb de) 1735.
Martha C. 1884.
Martin H. 1908.
Martin N. 1861.
Marty H. 1909.
Marx R. 1913.
Maryllis P. 1899.
Massias (Baron) 1824.
Mauclair Camille 1901. 1903. 1904. 1906.
1909 (bis). 1914.
Maulde de la Clavire R. 1901.
Maurel Victor 1893.
Maury L. 1912.
Mazure 1835.
Medardo 1902.
Meerens C. 1902.
Mgret Ad. 1892.
Mlinand 1895.
Mlotte P. 1911.
Muard L. 1867.
Mnard R. 1867. 1881.
Mends C. 1900. 1903.
Mentr F. 1905.
Mra (i. 1913.
Mercerean A. 1912.
Mercey (B. de ) 1855.
Mercier D. 1894.
Mercier (L. Sbast. ) 1773.
Mr C. 1905.
Mrit (L'abb J. B.-) 1871.
Misnardire (P. de) 1640.
Metziuger J. 1912.
LX INDEX ALPHABETIQUE
Michalis G. 1910.
Michel E. 1900.
Michelet Era. 1890.
Michiels Alfr. 1842.
Milsand Jos. 1860. 1864.
Minut (Gab. de) 1865.
MiomaDdre (F. de) 1903.
Mithouard A. 1900. 1904.
Mitton F. 1909.
Mockel A. 1865. 1894. 1897.
Molire 1663. 1669.
Molinat C. A. 1883.
Molinet Jehan xv
e
sicle.
Mollire Ant. 1849. 1863.
Monry (Dr. A.) 1909.
Monfort Eug. 1902.
Monier 1698.
Monnier J. 1905.
Montagne R. P. 1900.
Montargis F. J. G. 1890. 1892.
Montesquieu 1757.
Mony A. 1903.
Moras J. 1910. 1912.
Morel Aug. 1719.
Morel 1864.
Morice Ch. 1888. 1889.
Mot (Jean de ) 1902.
Motte Em. 1899.
Mouclier M. 1905.
Mourey Gab. 1899. 1913.
Mourre Ch. 1898.
Mouton E. 1885.
Mullendorf Ch. 1864.
Muller J. 1913 (bis).
Munier R. P. 1912.
Mntz Eug. 1893.
Nass L. 1908.
Nathan Dr. 1911.
Naville 1883. 1892.
Nerval (G. de
-
)
1908.
Nicole 1667.
Nietzsche 1907.
Nieuport C. F. 1808.
Nin J. J. 1909.
Nisard Aug. 1845.
Normandy G. Ch. 1904,
Noverre 1807.
Og (Dr. E.-) 1904.
Olivier-Hourcade 1912.
Ombiaux (M. des ) 1912.
Ortrand (L'abb) 1873.
Ossdat (L'abb C) 1909.
Overloop (E. van ) 1881.
Pader Hilaire 1637. 1658.
Paillard-Fernet G. 1902.
Paillot de Montabert J. N. 1812. 1813.
1828. 1835.
Paillolte P. 1903.
Palmeseaux (Barbier Michel Cubires de)
1812.
Papon (J. P.) 1800.
Pareto V. 1911.
Paris L. 1896. .
Parmentier F. 1908.
Parrocel 1867.
Pascal (Forthuny) 1894.
Paschal L. 1906. 1910.
Paulban Fr. 1885. 1889. 1891. 1898. 1900.
1904. 1903. 1907. 1913.
Pgurier Laurent 1694..
Pcladan Jos. 1865. 1885. 1888. 1894. 1898.
1900. 1903. 1905. 1907. 1908 (bis).
Peletier J. 1545. 1555.
Plissier G. 1865. 1905.
Pnjon 1893.
Prenns 1830.
Prs Jean 1898. 1905.
Prez B. 1879. 1888 (V. aussi Errata).
Pergament H. 1903.
Perrault Ch. 1687. 1688. 1697.
Perrens F. T. 1862.
Perreyre 1861.
Perrin (A. Sainte-Marie ) 1904.
Pessard G. 1912.
Ptroz P. 1875.
Petrucci R. 1901. 1909.
Pfau 1862.
l'hilbert 1883.
Picard G. 1913.
Pictet Adolphe 1856.
Pierret E. 1902. 1909.
Piles (C
u
Fortia de ) 1812.
Piles (Roger de) 1668. 1672. 1699.
1708.
Pirro A. 1907.
DE LA
BIBLIOGRAPHIE
LXI
Plancouard
L. 1912.
Platon 1850. 1898.
Pletinck Th. 1907.
Poe E. 1908.
Poincar H. 1910.
Poiusinet de Sivry 1768.
Poinsot Ch. 1911.
Poinsot M. C. 1907. 1908.
Poizat A. 1911.
Poletika (M. de ) 1853.
Ponce Nie. 1797. 1820.
Pont (Gracien do ) 1539.
Poussin
18G4. 1909.
Prat L. 1902.
Prvost Gabriel 1898.
Proudhon 1865.
Proust Antonin 1892.
Provensal H. 1904.
Pujo 1894.
Puyo C. 1909.
Quet E. 1900.
Queurlon (P. de) 1901.
Quex J. 1900.
Quincey 1908.
Quincy (Quatremre de) 1789. 1791.
1796. 1803. 1805. 1806. 1814. 1823. 1910.
Quinet Ed. 1839 (bis).
Rabier Elie 1884.
Racine 1666. 1667.
Racine Louis 1752.
Rageot M. G. 1903.
Rambosson
J.
1879'
Rameau 1906.
Rapin 1674.
Raty Caroline
1836.
Recouvreur
1896.
Rcy (G. de-) 1913.
Reggio A. 1904.
Rgnault Fi. 1895. 1898.
R]' a Marcel 1907.
Rmond Dr. 1912.
Rmusat (C. de ) 1863.
Renan Ernest 1818.
Renard G. 1900.
Rnaux (P.
de Boubers)
1902.
Renouvier Ch. 1874. 1893.
Renucci A. 1900.
'
Restout Jacques
1681.
Rett 1903.
Reul (Paul de)
1894.
Rverony
Saint-Cyr
1803.
Rey Pailhade
(E. de)
mu.
Reymond
(Georges-Marie)
1799.
Reymond 11. 1909.
Reymond Marcel
1865.
188(5.
Ribot Th. 1896. 1897.
1900.
Ricardou A. 1890. 1896.
Richelieu
(Cardinal de)
1638.
Richer^Dr.
P.-)
1887.
1889.
1897.
1901
1902.
Rio A. F. 1873.
Riotor L. 1908 (bis).
Rivire Th. 1905.
Robert C. 1836.
Robert P. 1910.
Robin 1798.
Robinot 1874.
Rocafort J. 1890.
Rodiu A. 1902. 1911.
Rodocanachi
E. 1905.
Rolin H. 1893.
Rolland
Romain
1903.
Romada E. P. 1913.
Romains Jul. 1905.
Ronsard 1565.
Rosenthal
L. 1914.
Rossi 1886.
Rouch J. 1910.
Rougier L. 1913.
Roumgure
J. L. 1906.
Rousseau H. 1900.
Rousseau
J. J. 1750. 1758. 1902.
Roussel-Despierre
Fr. 1903.
Rouvin Charles
1892.
Roux A. 1901.
Royre .1. 1905.
Ruint de Gourmier J. 1900.
Ruskin John 1860. 1864. 1894. 1904. 1907.
Ruyssen Th. 1904.
Saint-Auban
(De) 1901.
Saint-Augustin 1898.
Saint-Cyr (Charles de
) 1911.
Sainte-Beuve 1829. 1851. 1908. 1914.
LXII
INDEX ALPHABTIQUE
Saint-Evremond 1672.
Saint-Hilaire R. 1838.
Saint-Mard (Rmond de ) 1733.
Saint-Prosper (De) 1812.
Saint-Sans Camille 1900.
Saint-Thomas-d'Aquin 1883. 1896.
Saisset Emile 1861.
Salomon Michel 1901.
Sand George 1879.
Sarto (Franois del
.) 1881.
Sauvageot (David) 1889.
Sauvebois G. 1911.
Scaliger 1561.
Schiller 1890. 1892. 1902.
Schneider R. 1806. 1910 (bis).
Schopenhauer 1905. 1913.
Schiitz-Robert 1906.
Schwalb 1835.
Schweisthal Martin 1892.
Scudry (G. de) 1639.
Sailles G. 1877. 1879. 1884. 1886.
Sch A. 1908.
Se E. 1913.
Sguin iNol 1859. 1879.
Seillire G. 1914.
Sepet M. 1901.
Sran de la Tonr 1762.
Serre J. 1913.
Sertillanges (L'abb) 1899. 1909.
Sibilet Thomas 1548.
Sienne (Patrice de) 1518.
Simart Ch. 1864.
Sizeranne (R. de la ) 1896. 1899. 1902.
1904. 1909.
Slingeneyer E. 1884.
Smets A. 1910.
Soanen 1686.
Sobry J. F. 1810.
Socrate 1864.
Soldi Em. 1899.
Solvay Lucien 1881. 1883.
Sorel A. 1901. 1910.
Sorel Georges 1890. 1901.
Soret J. L. 1892.
Sortais (Le P. Gaston) 1898. 1902 (bis).
1903.
Souben R. P. J. 1901.
Soubies A. 1913.
Souriau Paul 1889. 1893. 1894. 1897.
1901. 1904. 1906. 1913.
Souza (Robert de-) 1899. 1901. 1904.
1906. 1912.
Sprimont (Charles de ) 1900.
Stal- Holstein (M
mt
de) 1795. 1800.
Stapfer 1901. 1906.
Star Maria 1901.
Stendhal 1817 (bis). 1829. 1867.
Stern 1902.
Stevens Alf. 1886.
Strenz H. 1911.
Striefling L. 1912.
Suard J. B. A. 1768.
Sully (James) 1876. 1878. 1880.
Sully Prudhomme 1883. 1901.
Superville (Humbert de ) 1827.
Surau T. 1903.
Sutter David 1865. 1868.
Taccone-Galluci (Baron N.

)
1885.'
Taeye (Edmond L. de) 1891.
Taillasson 1802. 1807.
Taille de Bondaray (J. de la ) 1573.
Taine H. 1865. 1866. 1867. 1869. 1881.
Tarde G. 1891.
Tardif E. 1903.
Teincey J. 1904.
Tramond (Guy de ) 1905.
Testelin Henry 1680.
Thalasso A. 1906.
Thiery (L'abb A.) 1892. 1896.
Thogorma J. 1911. 1912.
Thor 1857.
Thorel 1901.
Tissandier J. B. 1850.
Tissot J. 1831.
Tollemonde (G. de) 1910.
Tolsto 1898. 1904.
Tonnel Alf. 1859.
Toppfer Rod. 1847.
Trabaud 1878.
Trlat E. 1904.
Tripier R. 1913.
Troublt J. 1902.
Trublet 1755.
Tschui A. 1906.
Turner 1907.
Udine (Jean d') 1910.
DE LA lIItLIOr.nAl'IUE LXIII
1912.
1894.
Vachon Marias 1903.
Vaillat L. 191*.
Valette M. 1890. 1899.
Vallet (L'abb P.-) 1883.
Valmy (Duc de-) 1867.
Valori (H. de) 1809.
Van den Bosch F. 1905.
Vandrem F. 1914.
Vandervelde E. 1905.
Van de Velde E. 19i
Van de Velde IL
Vanor G. 1889.
Van Vetter G. 1909.
Vaschide 1904.
Vauquelin de la Fresnaye 1605.
Vellay Ch. 1905.
Verdier 1904.
Vron Eug. 1862. 1878.
Vron Th. 1874.
Veuillot F. 1904.
Vial F. 1906. 1909.
Viardot L. 1864, 1866. 1873.
Vibert J. G. 1902.
Vignola Am. 1901.
Vigny (A. de -) 1827. 1867.
Vildrac Ch. 1902. 1910.
Villoteau 1785.
Vincent (L'abb^Ch. ) 1903.
Vincent.]. 1908!
Vinet Er. 1874.
Vinci (Lonard de) 1906.
Viollet-le-Duc 1863.
Visan (T. de) 1911.
Vitet L. 1846. 18fii.
Voituron Paul 1861.
Voivenel (Dr. P.) 1908. 1912.
Voltaire 1728.
Vuagneux Henri 1893.
Vulliaud P. 1906.
Vurgey 1908.
Vurpas 1904.
Wagner R. 1908.
Walder G. 1910.
VValgrave A. 1902.
Warnery H. 1904.
Warrains F. 1905.
Watelet 1760. 1788.
YVeber J. 1883.
Wechniakoff Th. 1899.
Weill Alex. 1892.
Wry Lon 1900.
Wiertz 1848.
Wilgrin-Taillefer 1804.
Wil motte M. 1909.
Winiarski L. 1899.
Wiry L. 1909.
Witkowski G. J. 1908.
Wolgraf .1. C. 1900.
Wulf (Maurice de -) 1892. 1904.
Wyzwa 1885. 1903.
Zieger 1850.
Zola Em. 1865. 1866.
ERRATA
Page XIX, anne 1868, au lieu de Beaudelaire, lire :
Baudelaire.
Page XXV, anne 1888, ajouter B. Prez : La psychologie de l'enfant
;
l'art et
la posie chez l'enfant. A consulter dans la Revue philosophique, Dec. issu,
une analyse de F. Paulhan.
Page XXVI, anne 1891, ajouter : J. Huret.
Enqute sur l'volution
littraire.
Page XXXII, le livre de J. P. Durand (de Gros) est de 1900, o on le trouve cit
;
par erreur nous l'avons inscrit aussi dans l'anne 1899.
Page
XXXVII, ligne 4, au lieu de L. De Helloco, lire : L. Le Helloco.
ACHEVE D'IMPRIMER
LE VINGT -NEUF SEPTEMBRE
MIL NEUF CENT VINGT
PAR
L'IMPRIMERIE GOUSSARD
A MELLE (DEUX-SVRES)
BH
Moustcxydes,
Theodosios
221
i'iauroeides
F8M6 Histoire de l'esthtique
franaise
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