La Chirurgie de Guerre
La Chirurgie de Guerre
La Chirurgie de Guerre
2010 2000
La chirurgie de guerre – les soins apportés aux blessés dans les conflits armés et autres
situations de violence – reste l’un des piliers de l’identité du CICR. Au fil des années et
de par le monde, les équipes hospitalières du CICR ont, hélas, été les témoins de bien
des souffrances humaines, physiques et mentales.
En soignant les malades et les blessés dans tant de zones de conflit, le CICR et ses
partenaires au sein du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge ont acquis une vaste expérience qu’ils tiennent à partager. Ils ont constitué un
pool de ressources humaines, toujours disposé et préparé à intervenir pour soulager
au moins une partie de ces souffrances.
Le but de ce nouveau manuel est de présenter une part de cette expertise, souvent
durement acquise au prix de sacrifices, dans l’espoir qu’un jour elle ne sera plus
nécessaire.
Jakob Kellenberger
Président
Comité international de la Croix-Rouge
1
2
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 9
3
Chapitre 5 L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE 97
5.1 Introduction : but et objectifs 99
5.2 L’impact des conflits armés en termes de santé publique 99
5.3 L’épidémiologie et le chirurgien de guerre 102
5.4 Questions générales de méthodologie 105
5.5 Étiologie des blessures 109
5.6 Distribution anatomique des blessures 111
5.7 Blessures mortelles 114
5.8 La létalité du contexte : retard de traitement 119
5.9 Mortalité hospitalière 121
5.10 Analyse statistique de la charge de travail dans les hôpitaux du CICR 123
5.11 Conclusions : enseignements à tirer d’une étude de l’épidémiologie
des victimes de guerre 126
Annexe 5. A Base de données chirurgicales du CICR 128
Annexe 5. B Création d’une base de données chirurgicales concernant
les blessés de guerre 130
4
Chapitre 9 LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS 197
9.1 Introduction 199
9.2 Établissement des priorités : le système de triage du CICR 201
9.3 Comment effectuer le triage 204
9.4 Documentation relative au triage 206
9.5 Plan d’urgence pour un afflux massif de blessés :
plan de triage en cas de catastrophe 207
9.6 Personnel 209
9.7 Espace 211
9.8 Équipement et fournitures 212
9.9 Infrastructures 213
9.10 Services d’appui non médical 213
9.11 Formation 213
9.12 Communication 214
9.13 Sécurité 214
9.14 Résumé de la théorie et de la philosophie du triage médico-chirurgical :
établir des priorités 215
Annexe 9. A Modèle de fiche de triage 217
Annexe 9. B Plan d’urgence en cas d’afflux massif de blessés à l’hôpital 218
5
Chapitre 14 LES PLAIES BORGNES : PROJECTILES RETENUS 281
14.1 Le chirurgien et le corps étranger 283
14.2 Indications précoces d’intervention 283
14.3 Indications tardives d’intervention 286
14.4 Technique d’ablation d’un projectile 287
ACRONYMES 345
BIBLIOGRAPHIE 347
6
7
8
INTRODUCTION
INTRODUCTION
Notre but commun est de protéger et secourir les victimes
des conflits armés et de préserver leur dignité. Cet ouvrage
est dédié aux victimes de situations qui n’existeraient pas
dans un monde meilleur.
En temps de paix, les services de santé dans nombre de pays à bas revenu sont limités
ou inexistants : confrontés au fardeau supplémentaire des blessés par armes ces ser-
vices sont rapidement débordés. Quand un conflit armé éclate, un système de santé
déjà précaire en est toujours l’une des premières victimes. La perturbation des filières
d’approvisionnement, la destruction des locaux et le départ précipité du personnel
médical sont des phénomènes par trop fréquents.
Cette opinion fréquemment exprimée reste d’actualité. Pour les chirurgiens qui la
pratiquent, qu’ils soient militaires ou civils, la chirurgie de guerre possède ses carac-
téristiques particulières dues d’une part à la nature spéciale des situations de conflit
armé, avec leurs limitations et leurs dangers, et d’autre part à la physiopathologie par-
ticulière des blessures que provoquent les projectiles à haute énergie et les armes à
effet de souffle. Les soins apportés aux blessés par armes obéissent certes aux normes
chirurgicales, mais ils sont prodigués dans des conditions extrêmes, c’est pourquoi la
prise en charge d’une blessure par balle due à la violence criminelle dans un contexte
civil ne s’extrapole pas facilement à la chirurgie de guerre.
Travailler avec des ressources limitées signifie que la chirurgie qui peut être pratiquée
trouve ses limites non pas dans l’expertise du chirurgien, mais bien plutôt dans le
niveau des pratiques de l’anesthésie et des soins infirmiers postopératoires, ainsi que
dans la disponibilité ou non des équipements de diagnostic et de thérapie.
Des ressources limitées, même en temps de paix, peuvent parfois mener au décès
de patients qui auraient survécu si des moyens plus sophistiqués avaient été dispo-
nibles. Cette situation fréquente dans les hôpitaux des pays à bas revenu – proches
ou éloignés des centres urbains – se trouve naturellement exacerbée en période de
conflit armé.
Du fait de ces caractéristiques, la chirurgie de guerre est donc très différente de celle
qui se pratique en temps de paix, quand la plupart des interventions sont program-
mées, la majorité des traumatismes contondants, et le chirurgien appliqué à faire son
possible, en utilisant toute la gamme des moyens nécessaires, pour chaque patient.
Par ailleurs, en situation de conflit armé, le travail du personnel médical est régi par
un ensemble spécial de règles qui viennent s’ajouter à la déontologie médicale cou-
tumière : le droit international humanitaire, également appelé « droit des conflits
armés », ou encore « droit de la guerre ». Les soins chirurgicaux dispensés en période
de conflit armé présentent donc une autre spécificité, importante pour la sécu-
rité des patients et du personnel médical vivant et travaillant dans des situations
dangereuses.
L’expérience du CICR
Depuis sa création, le CICR prodigue des soins médicaux aux blessés de guerre – par
exemple pendant la guerre franco-prussienne (1870) – mais c’est dans les décennies
1970 et 1980 que les activités humanitaires déployées auprès des victimes de conflits
armés et autres situations de violence, déjà considérables, ont connu un formidable
essor : assistance en faveur des réfugiés, des déplacés internes et des populations
résidentes touchées par la crise, et soins médicaux pour les malades et les blessés.
Nombre de nouvelles organisations ont été fondées et, conjointement avec les
agences des Nations Unies, elles déploient des efforts incessants pour répondre à ces
défis humanitaires.
10
INTRODUCTION
Le CICR a mis en place de vastes programmes pour assurer des soins chirurgicaux aux
victimes de la guerre. Plusieurs hôpitaux du CICR, gérés de manière indépendante,
ont été établis. Du personnel chirurgical a été recruté auprès de diverses Sociétés
nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi qu’en Suisse. Enthousiastes
et idéalistes, ils sont partis en grand nombre accomplir leurs missions humanitaires.
Les chirurgiens étaient des praticiens dûment formés et expérimentés ; toutefois,
jusqu’alors, leur formation et leur expérience avaient essentiellement eu pour cadre
les structures hospitalières sophistiquées d’un pays industrialisé. La courbe d’appren-
tissage à gravir allait être rude.
Le CICR, lui aussi, a dû surmonter bien des difficultés. Il a acquis une expertise consi-
dérable en matière de soins aux victimes de conflit dans des situations où le système
de santé est gravement perturbé. Ce savoir-faire est le fruit de l’expérience vécue dans
trois types de programmes différents, mais liés entre eux, menés dans divers pays
touchés par des conflits armés et autres situations de violence à travers le monde.
11
LA CHIRURGIE DE GUERRE
ouvrages de référence, mais les conditions et les moyens qui y sont décrits se ren-
contrent rarement dans les régions touchées par les conflits armés d’aujourd’hui.
Beaucoup des « leçons » dispensées dans ces ouvrages ont peu d’utilité – voire même
aucune pertinence – pour ceux qui pratiquent la chirurgie de guerre humanitaire
ou assurent le fonctionnement d’hôpitaux publics dans bien des pays disposant de
ressources limitées.
Les soins chirurgicaux du CICR visent à être économes, non spécialisés, et basés sur de
solides principes scientifiques : ils donnent de bons résultats en dépit des contraintes.
Les protocoles cliniques et les techniques chirurgicales décrits dans le présent manuel
constituent les procédures standard utilisées par le pool de chirurgiens expérimentés
du CICR.
Prendre la plume
Soucieux de relever le défi constitué par ces conditions, nos prédécesseurs au sein
du département de chirurgie de la division médicale du CICR ont publié un manuel
de base, intitulé La chirurgie des blessés de guerre, destiné aux chirurgiens partici-
pant à leur première mission humanitaire.
Les trois premières éditions de cet ouvrage ont été largement diffusées et saluées,
à travers le monde entier, par les chirurgiens appelés à traiter des blessés de guerre
pour la première fois. Les chirurgiens généralistes opérant dans un hôpital isolé, en
milieu rural, en ont peut-être le plus bénéficié.
Le premier volume, consacré aux grands thèmes, comporte des chapitres entière-
ment nouveaux, d’intérêt plus général, pertinents non seulement pour les chirur-
giens, mais aussi pour les responsables de l’organisation et de la coordination des
programmes chirurgicaux en période de conflit armé et autres situations de vio-
lence. Il présente les caractéristiques des soins chirurgicaux pour les victimes de la
guerre, en particulier les aspects épidémiologique, organisationnel et logistique en
s’appuyant sur l’expérience du personnel sanitaire du CICR et d’autres confrères. Le
second volume traitera des traumatismes, dus aux armes, des différents systèmes
anatomiques.
Les techniques chirurgicales présentées dans cet ouvrage partagent bien des prin-
cipes fondamentaux des services médicaux plus sophistiqués. Cela étant, ces tech-
niques découlent aussi d’improvisations éprouvées, et de méthodes de traitement
très simples qui recourent à des moyens technologiques adaptés au plus près aux
circonstances qui prévalent, caractérisées par des infrastructures, un équipement et
des ressources humaines limités.
12
INTRODUCTION
Il est entendu que le pronom masculin est utilisé au sens générique et que toute
mention de noms commerciaux ou de marques est faite uniquement à des fins
d’illustration et n’implique aucune validation particulière de la part du CICR.
Nous espérons que le présent ouvrage sera utile aux chirurgiens civils et militaires,
de même qu’aux chirurgiens Croix-Rouge/Croissant-Rouge, qui sont appelés à
relever pour la première fois le défi de soigner des victimes des conflits armés et
autres situations de violence, dans des conditions précaires et parfois même
périlleuses.
13
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Remerciements
Le présent manuel est basé sur La chirurgie des blessés de guerre, ouvrage publié
par le CICR en 1988, sous la direction de Daniel Dufour, Michael Owen-Smith et
G. Frank Stening.
La deuxième édition (1990) a été révisée par Robin Gray (Royaume-Uni) et la troisième
(1998) par Åsa Molde (Suède).
Nous tenons à leur exprimer notre gratitude pour leur travail de pionniers ainsi que
pour la simplicité et la clarté de leur démarche, qui nous a servi de modèle.
Beat Kneubuehl (Suisse) est intervenu en tant que conseiller scientifique pour les
questions de balistique. Sylvain Vité (Suisse), juriste au CICR, a mis à disposition son
expertise technique en matière de droit international humanitaire et a révisé les pas-
sages s’y rapportant. Massey Beveridge (Canada) a été notre conseiller technique
pour les brûlures et les greffes de peau ; il a apporté d’importantes contributions aux
chapitres sur ces sujets.
14
INTRODUCTION
La réunion qui s’est tenue à Genève en mars 2002 – Atelier des chirurgiens cadres du
CICR – a permis de réviser la classification Croix-Rouge des plaies pénétrantes ainsi
que les catégories de triage du CICR et d’établir le Protocole d’antibiothérapie du
CICR. Ont notamment participé à cet atelier :
Par ailleurs, les travaux d’une autre réunion tenue à Genève en novembre 2002
– Atelier des anesthésistes cadres du CICR – ont servi de base au chapitre sur l’anesthé-
sie. Le protocole du CICR concernant le contrôle de la douleur a été établi lors de cet
atelier, auquel ont notamment participé :
Ces réunions ont également contribué à préciser la définition des critères du CICR
dans trois domaines : adoption de nouvelles technologies, niveau d’expertise requis
en matière d’analyses de laboratoire et, enfin, stratégies générales pour les pro-
grammes chirurgicaux du CICR.
Le présent ouvrage est paru en édition originale en anglais en 2009 sous le titre War
Surgery : Working with limited resources in armed conflict and other situations of violence.
La révision du texte final ainsi que la responsabilité de la production ont été assurées
par Christiane de Charmant ; la conception graphique est due à Pierre Gudel. Nous les
remercions de leur contribution.
Les auteurs sont membres du personnel du CICR et aucun soutien extérieur, d’ordre
financier ou matériel, n’a été reçu pour la publication du présent ouvrage.
15
16
Chapitre 1
LES SPÉCIFICITÉS 1
DE LA CHIRURGIE
EN SITUATION
DE CONFLIT
17
LA CHIRURGIE DE GUERRE
1.4 Différences entre chirurgie de guerre militaire et non militaire : l’approche du CICR 27
1.4.1 Coopération entre militaires et civils 27
1.4.2 Contraintes : la sécurité 27
1.4.3 Contraintes : la logistique 28
1.4.4 Contraintes : l’équipement hospitalier 28
1.4.5 Contraintes : la transfusion sanguine 29
1.4.6 Contraintes : la géographie et le climat 29
1.4.7 Contraintes : le choc culturel 29
1.4.8 Contraintes : le facteur humain 30
18
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
Les éléments qui différencient les soins aux blessés civils des soins aux blessés de
guerre sont multiples – comme le sont les différences entre l’expérience du CICR et
celle des services de santé des forces armées conventionnelles.
La plupart des chirurgiens travaillant aujourd’hui dans le monde ont acquis leur forma-
tion en traumatologie auprès des accidentés de la route. Cela étant, bien des préceptes
qui s’appliquent à la prise en charge des blessés dans un contexte civil sont également
valables dans une situation de conflit armé : la chirurgie de guerre obéit aux normes de
la chirurgie classique. La génération des chirurgiens qui ont principalement dû traiter des
victimes d’accidents agricoles ou industriels connaissait très bien les dangers de la gan-
grène gazeuse et du tétanos ; ces praticiens étaient tout à fait conscients de la nécessité
de bien exciser la plaie et de pratiquer une fermeture primaire différée. Il était relative-
ment facile, pour eux, de passer de la pratique de la chirurgie civile dite « septique » au
traitement des blessures de guerre. La réalité est tout autre pour beaucoup de chirurgiens
formés aujourd’hui : laparoscopie, radiologie interventionnelle et clous non alésés intra- 1
médullaires ne vous mènent pas très loin quand vous avez devant vous une blessure de
l’abdomen causée par une mine terrestre ou une plaie à la cuisse due à une mitrailleuse.
La spécialisation des chirurgiens à un stade précoce et les technologies modernes sophis-
tiquées sont bénéfiques pour beaucoup de patients en temps de paix ; elles peuvent par
contre constituer une entrave à la pratique de la chirurgie en période de conflit armé.
Michael E. DeBakey1
Ces défis et bien d’autres auxquels sont confrontés les praticiens qui traitent des
blessés de guerre pour la première fois signifient qu’ils doivent changer d’état d’esprit
et adopter un nouveau « logiciel mental professionnel ».
1 DeBakey M E. Military surgery in World War II – a backward glance and a forward look. NEJM 1947 ; 236 : 341 – 350.
Michael E. DeBakey (1908 – 2008), chirurgien américain d’origine libanaise, a été un pionnier de la chirurgie
cardio-vasculaire moderne. Son traité sur le traitement des traumatismes vasculaires est un ouvrage de référence.
Il a inventé le concept des hôpitaux chirurgicaux mobiles militaires (Mobile Army Surgical Hospitals – MASH) pour
les forces armées des États-Unis pendant la guerre de Corée.
19
LA CHIRURGIE DE GUERRE
N. I. Pirogov2
Figure 1.3 2 Nikolai Ivanovich Pirogov (1810 – 1881) : anatomiste et chirurgien russe, professeur à l’Académie de médecine
militaire de Saint-Pétersbourg. Fondateur de la chirurgie de campagne moderne pendant la guerre de Crimée
Les personnes qui soignent les malades et les (1854), il imagina de recourir au plâtrage et à l’emploi généralisé de l’anesthésie sur le champ de bataille ;
blessés. il rédigea un manuel de référence sur la chirurgie de campagne. Représentant de la Croix-Rouge russe il a
inspecté les hôpitaux des deux parties durant la guerre franco-prussienne en 1870.
3 Liste modifiée et adaptée de diverses sources bibliographiques.
20
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
Figure 1.4
Chirurgie dans un environnement technique limité.
Malgré les dépenses très importantes engagées pour leurs hôpitaux de campagne
par les forces armées des pays industrialisés modernes, les limitations de l’équipe-
ment dans les situations tactiques sont largement reconnues. C’est bien souvent l’ab-
sence de matériel de diagnostic sophistiqué, plutôt que les capacités et l’expertise
techniques du chirurgien, qui détermine ce qui peut être fait. Il convient de faire la
part des choses entre ce qui est essentiel et ce qui n’est que souhaitable.
21
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les combattants ne sont pas tous disciplinés et dûment formés. Quiconque se trouve
au milieu d’un conflit armé risque d’être confronté à un syndrome spécifique, ren-
contré bien trop souvent parmi les jeunes combattants sous l’influence du « cocktail
toxique » que composent testostérone, adrénaline, alcool et cannabis (et parfois aussi
d’autres substances).
Le cadre dans lequel se déroule le travail chirurgical peut changer rapidement. Les
T.A. Voerten/CICR
Les décisions en matière de triage sont parmi les plus difficiles de toute la pratique
médicale et peuvent susciter des dilemmes éthiques. Un conflit peut surgir entre les
R. Bigler / CICR
critères d’ordre médical et les critères d’ordre tactique liés à la nécessité militaire qui
peut imposer une forme ou une autre de compromis. Les personnes qui pratiquent le
Figure 1.6 triage doivent être prêtes à accepter ces compromis nécessaires, tout en maintenant
Afflux massif de blessés : les principes du triage leur intégrité médicale professionnelle (voir le Chapitre 9).
médico-chirurgical.
La chirurgie de guerre exige une logique de prise en charge « par phases ». Le trai-
tement des blessés de guerre se déroule en cinq phases, le plus souvent (mais pas
forcément) dans cinq lieux différents. C’est le dispositif classique prévu par la plani-
fication militaire : il coûte cher, notamment en termes de moyens de transport et de
discipline pour assurer son organisation. Des concepts modernes peuvent être inté-
grés dans cette approche, comme les équipes chirurgicales avancées pratiquant une
chirurgie de sauvetage et de réanimation (damage control surgery). Les cinq étapes
sont les suivantes.
1. Premiers secours prodigués sur place (par le blessé lui-même ou par un camarade,
ou encore par un auxiliaire médical de terrain ou secouriste).
22
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
En raison du taux de rotation rapide du personnel médical qui traite un grand nombre
de patients aux différentes étapes de la chaîne de prise en charge, il est nécessaire
de suivre des protocoles standard de traitement, dont la définition ne peut pas être
laissée à la discrétion ou à l’inspiration du moment d’un chirurgien en particulier.
La voix de l’expérience
La voix de l’expérience
Figure 1.7
Soins préhospitaliers inadéquats.
23
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La voix de l’expérience
Rien, dans la pratique civile courante, n’est comparable aux polycriblage provoqué par
des éclats d’obus, aux amputations traumatiques de membres arrachés par les mines
antipersonnel, ou encore aux effets dévastateurs du transfert élevé d’énergie cinétique
d’une balle de fusil militaire. Là encore, l’approche « normale » qui prévaut dans un centre
de traumatologie moderne doit s’adapter à la prise en charge des blessés en période de
conflit armé. Les chirurgiens pratiquant dans un pays à bas revenu et devant traiter beau-
coup de pathologies septiques, trouveront bien plus facile de s’adapter à cette pathologie
que ceux qui travaillent habituellement avec une technologie sophistiquée, des soins
infirmiers abondants et de bonne qualité, le tout dans un environnement aseptique.
La majorité des blessures touchent les extrémités et doivent être traitées de façon à ce
qu’elles cicatrisent aussi vite que possible sans s’infecter. Une infection – potentiellement
fatale (tétanos, gangrène gazeuse, septicémie hémolytique) – est le plus grand danger que
courent les survivants. Comme dit plus haut, les règles de la chirurgie septique s’appliquent.
Les principes de base de la prise en charge des blessures de guerre comprennent les
étapes suivantes.
4 Pas de fixation interne de l’os, telle est la règle du moins dans la phase aigüe. L’expérience récente a montré
la possibilité de pratiquer une ostéosynthèse une fois que les tissus mous ont cicatrisé, en l’absence de toute
infection. Toutefois, l’intervention ne peut être pratiquée que par des mains expertes, avec des soins infirmiers
de première qualité et dans d’excellentes conditions d’hygiène. Dans la pratique standard du CICR, aucun type
de fixation interne n’est pratiqué. Le risque, autant dire la probabilité, d’un recours abusif à cette technique en
interdisent sa mise à disposition.
24
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
La voix de l’expérience
Une chirurgie correcte donne au patient les meilleures chances de survivre et de jouir
d’une bonne qualité de vie ; elle abrège en outre son séjour à l’hôpital. Des soins de
physiothérapie de bonne qualité sont requis pour assurer une mobilisation précoce
après la chirurgie ainsi qu’un bon résultat fonctionnel. Le traitement n’est terminé que
lorsque le patient a complété sa rééducation physique. Des ateliers orthopédiques
doivent permettre d’équiper les amputés de prothèses et autres appareils appropriés
(orthèses, béquilles ou fauteuils roulants).
Tout conflit armé provoque des destructions, des perturbations et une désorganisa-
tion : le système de santé publique est l’un des tout premiers à en souffrir. Les consé-
quences humanitaires sont un manque de ressources essentielles telles que l’eau,
la nourriture et le logement/abri et entraînent un dépassement des capacités du
système de santé publique, ce qui complique encore davantage la tâche de soigner la
population civile vivant dans une zone de conflit : résidents et déplacés internes, mais
aussi réfugiés fuyant vers ou depuis les pays voisins (voir le Chapitre 5).
La chirurgie de guerre est « polymorphe ». Les besoins des blessés sont les mêmes,
mais les moyens et les ressources disponibles pour y répondre varient beaucoup
d’un pays à l’autre et d’une situation à l’autre, et ont engendré différentes approches
de la chirurgie de guerre. La prise en charge des blessés de guerre par les services
sanitaires militaires d’un pays industrialisé n’est pas la même que celle qui est assurée
par un hôpital public, en milieu rural, dans pays à bas revenu. Bien que les principes
de prise en charge des blessures soient pareils dans les deux cas, les possibilités de
diagnostic et les moyens thérapeutiques sont très différents, et doivent s’aligner sur
les ressources technologiques, financières et humaines disponibles. Évidemment, de
par le monde, bon nombre de ces contraintes se rencontrent aussi dans la pratique
de la chirurgie civile, tant pour la prise en charge des traumatismes quotidiens que
pour des interventions programmées.
25
LA CHIRURGIE DE GUERRE
4. Acteurs non étatiques, groupes de guérilla, populations n’ayant pas accès en toute
sécurité aux structures publiques : la chirurgie de campagne est pratiquée par les
rares médecins et infirmiers ayant reçu une formation minimale, car il n’existe aucune
alternative. L’accès aux victimes en toute sécurité pour les professionnels de santé
tout comme l’accès des victimes elles-mêmes aux soins médicaux, sont impossibles
ou rarement possibles, posent problème et constituent toujours un défi à relever.
H. Du Plessis / Service de santé de l’armée sud-africaine, U. Pretoria
Figure 1.8
Chirurgie pour les victimes de conflit armé dans un hôpital moderne.
F. McDougall / CICR
Figure 1.9
Un autre type de chirurgie pour les victimes de conflit armé.
26
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
La chirurgie de guerre non militaire est pratiquée dans des structures médicales
civiles (ministère de la Santé, hôpitaux de missionnaires et hôpitaux privés) ainsi que
dans les hôpitaux du CICR ou d’autres organisations humanitaires. Cette section pré-
sente en détail l’expérience acquise par le CICR et explique son approche.
Pour le CICR, les buts de la chirurgie de guerre peuvent se résumer ainsi : protéger les
malades et les blessés et aider à préserver leur dignité ; sauver la vie, sauver le membre ;
minimiser le risque d’un handicap résiduel, appareiller et rééduquer les amputés. Outre
l’action menée auprès des victimes directes, le CICR tente également de soutenir le
système de santé en aidant le personnel sanitaire local à maintenir l’infrastructure et les
ressources humaines nécessaires pour pouvoir recommencer à fonctionner après la fin
du conflit, et assurer ainsi à la population civile au moins un accès aux soins de santé de
base. L’assistance du CICR aux structures de santé locales peut revêtir plusieurs aspects :
construction et rénovation des bâtiments ; eau et assainissement ; nourriture pour les 1
patients et le personnel ; équipement et fournitures ; salaires de base. Divers program-
mes de formation destinés aux médecins et aux infirmiers peuvent aussi être inclus. Par
ailleurs, le CICR met parfois en place ses propres hôpitaux indépendants, dont le per-
sonnel expatrié est complété par du personnel recruté sur place (voir le Chapitre 6).
Le CICR veille à maintenir son indépendance, ainsi que l’indépendance d’un « espace
humanitaire » bien distinct du travail d’« assistance et reconstruction » des forces
armées déployées sur le terrain. Beaucoup d’organisations humanitaires partagent
cette opinion et cette approche.
Si les forces armées déploient les moyens nécessaires pour protéger leurs structures
sanitaires contre le « chaos létal du champ de bataille »5 le CICR dépend de l’emblème de
5 Butler F. Tactical Combat Casualty Care : combining medicine with good tactics. J Trauma 2003 ; 54 (Suppl.) :
S 2 – 3.
27
LA CHIRURGIE DE GUERRE
la croix rouge et de ses négociations avec toutes les forces belligérantes pour assurer sa
protection physique. Le CICR n’a pas de fusil pour se protéger, et il est tout aussi dépen-
dant des autorités et des responsables locaux que le sont les hôpitaux publics. Il ne peut
compter que sur les limites imposées par le droit international humanitaire, sur la dis-
cipline des combattants et sur ses propres compétences en matière de négociations
diplomatiques. D’autres organisations humanitaires qui travaillent dans des zones de
guerre sont confrontées à des contraintes similaires.
Figure 1.10
Un environnement semé d’embûches.
Figure 1.11
Équipement chirurgical limité.
28
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
K. Barrand / CICR
couvrent toute la gamme des programmes d’assistance.
L’expérience du CICR montre qu’il est possible de pratiquer une chirurgie de bonne
qualité avec une technologie de base telle qu’un simple appareil de radiologie et un Figure 1.12
oxymètre de pouls comme seul appareil de monitoring électronique en salle d’opé- Fournitures de base.
ration et dans la salle de réveil. Un laboratoire CICR est, lui aussi, limité à l’essentiel ; il
n’est pas équipé pour réaliser la mise en culture bactériologique et l’antibiogramme ;
il ne dispose pas non plus de composants sanguins.
6 Voir Bibliographie.
29
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Dans beaucoup de sociétés, il est fréquent qu’un membre de la famille reste aux côtés
d’un patient hospitalisé et contribue aux soins (hygiène et alimentation) tout en
apportant un soutien psychologique. Cette tradition doit être acceptée.
Les armées modernes peuvent « projeter vers l’avant » des compétences techniques
en déployant des équipes chirurgicales avancées à proximité du champ de bataille.
Le but consiste à pratiquer une chirurgie d’urgence, souvent une chirurgie de damage
control, le plus tôt possible après la blessure pour sauver des vies et réduire ainsi le
nombre de soldats tués au combat. Le CICR a aussi déployé des équipes chirurgicales
de terrain – en Somalie (1992), au Sud-Soudan (2000) et au Darfour (2005) – mais dans
un but différent : la protection des non-combattants et des combattants blessés qui
ne participent plus aux hostilités, mais qui n’avaient pas d’autre accès à des soins
chirurgicaux. L’accomplissement de cet acte médical et la protection de l’accès aux
soins chirurgicaux sont basés sur les principes essentiels qui guident le CICR en sa
qualité d’acteur humanitaire neutre et impartial.
7 Commission sur la chirurgie du Département militaire fédéral. Chirurgie de guerre (Aide-mémoire 59.24.f). Berne,
Armée suisse, 1970 et 1986.
30
LES SPÉCIFICITÉS DE LA CHIRURGIE EN SITUATION DE CONFLIT
Les qualités suivantes sont notamment nécessaires pour le personnel travaillant dans
les hôpitaux du CICR ou au sein d’équipes chirurgicales de terrain :
• professionnalisme ;
• jugement avisé et bon sens ;
• adaptabilité.
31
LA CHIRURGIE DE GUERRE
3. Facilité de réparation
Faut-il recourir à des spécialistes, le cas échéant sont-ils disponibles ?
5. Coût
Le coût seul n’est pas un critère d’exclusion si l’équipement est nécessaire ; il faut cepen-
dant en tenir compte, avec les autres facteurs, dans l’analyse des coûts-bénéfices.
10. Durabilité
Il convient d’envisager uniquement les technologies qui pourront être maintenues
après le retrait du CICR.
32
1
33
34
Chapitre 2
LE DROIT
INTERNATIONAL
2
HUMANITAIRE
APPLICABLE
35
LA CHIRURGIE DE GUERRE
36
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Léon Trotsky
L’une des spécificités des blessés de guerre et des personnes qui leur viennent en aide
réside dans leur relation avec le droit international humanitaire, principalement les
Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels.
Henry Dunant, un homme d’affaires suisse qui voyageait dans la région, a été bou-
leversé par cette tragédie. Mû par la compassion, il a spontanément organisé les
La vision consistait à apporter, en toute neutralité, des soins médicaux aux soldats Figure 2.1
blessés sur le terrain, par le biais de deux idées fondamentales. La bataille de Solférino, 1859.
• La création dans chaque pays d’une société de secours aux blessés qui, en temps
de paix déjà, formerait des volontaires qui pourraient aider les services de santé des
armées, les médecins et les infirmiers prêts à soigner les soldats blessés en cas de
guerre ; c’est ainsi que naîtront plus tard les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et
du Croissant-Rouge.
Cinq citoyens de Genève, dont Henry Dunant, membres d’une association caritative, ont
créé en 1863 le « Comité international de secours aux militaires blessés », en réponse à
l’ouvrage de Dunant. Ce « Comité de Genève » a persuadé le gouvernement suisse de
convoquer une conférence diplomatique en 1864, afin de formaliser la protection
des services de santé sur le champ de bataille par le biais d’un traité reconnu sur le
plan international. Douze gouvernements ont participé à cette conférence. C’est ainsi
qu’a été adoptée la Convention pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans
les armées en campagne, signée à Genève le 22 août 1864. Le Comité de Genève est
devenu le Comité international de la Croix-Rouge et l’emblème de la croix rouge a été
adopté en tant que symbole de la protection des services de santé qui prenaient soin
37
LA CHIRURGIE DE GUERRE
des malades et des blessés. Les autres emblèmes – croissant rouge, lion-et-soleil rouge
et cristal rouge – ont été introduits plus tard. Cette Première Convention de Genève a
constitué une étape décisive sur la voie de la formalisation du droit des conflits armés ;
elle a également créé pour les États signataires l’obligation de mettre sur pied des ser-
vices de santé au sein de l’armée pour soigner leurs propres blessés. Désormais, les
soldats ne devaient plus être simplement considérés comme de la « chair à canon ».
Tout au long de son histoire, l’humanité a connu la guerre. Toutes les sociétés humai-
nes se sont dotées de règles coutumières qui régissent la manière dont les guerres
sont menées. Plus de 500 cartels, codes de conduite, pactes et autres textes destinés
à réglementer la conduite des hostilités ont été élaborés avant l’apparition du droit
humanitaire moderne. Les premières « lois de la guerre » ont été proclamées par les
grandes civilisations plusieurs millénaires avant notre ère : « J’établis ces lois pour
empêcher le fort d’opprimer le faible », a déclaré Hammourabi, roi de Babylone.
CICR
Tout comme il n’existe aucune société, d’aucune sorte, qui ne possède son propre
Figure 2.2 ensemble de règles, il n’a jamais existé de guerre sans quelques règles (vagues ou
I. Amélioration du sort des blessés et des précises) relatives à l’engagement et à la fin des hostilités, ainsi qu’à la manière de les
malades dans les forces armées en campagne. conduire.
c’est-à-dire l’énoncé de ce qui est permis, et de ce qui est interdit, pendant les conflits
Figure 2.3 internationaux et non internationaux. Tous les États du monde ont maintenant ratifié
II. Amélioration du sort des blessés, des malades les Conventions de Genève, et sont donc liés par ces instruments juridiques.
et des naufragés des forces armées sur mer.
Les quatre Conventions de Genève sont principalement destinées à réglementer
le comportement des combattants et à protéger les personnes qui ne participent
pas ou ne participent plus aux hostilités dans les conflits armés entre États (conflits
internationaux).
I. Convention pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces
armées en campagne (CG I : révision de la Convention de 1864).
II. Convention pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés
des forces armées sur mer (CG II : révision de la Convention de 1899).
CICR
Figure 2.4 III. Convention relative au traitement des prisonniers de guerre (CG III : révision de la
III. Traitement des prisonniers de guerre. Convention de 1929).
En réponse aux nouveaux besoins apparus dans les conflits armés contemporains,
les dispositions des Conventions ont été développées et complétées en 1977 par
CICR
Le DIH réglemente les aspects humanitaires des conflits armés. Il vise à définir les
droits et les obligations des parties à un conflit dans la conduite de la guerre ainsi
qu’à protéger les personnes qui ne participent pas, ou ne participent plus, aux hosti-
lités (civils, soldats blessés ou malades, prisonniers de guerre). Ces personnes doivent
être respectées, protégées et traitées avec humanité par toutes les parties. Tous les
blessés et malades doivent aussi recevoir les soins médicaux exigés par leur état. Les
personnes qui leur prodiguent ces soins doivent être respectées et protégées, aussi
longtemps qu’elles sont engagées dans leurs tâches humanitaires.
Les divers traités de DIH sont toujours plus complexes, mais le message qui les sous-
tend demeure simple : la dignité humaine de toutes les personnes doit être respectée
en tout temps, sans aucune discrimination. Tout ce qui peut être fait doit être fait pour
atténuer les souffrances des personnes « hors de combat », c’est-à-dire des person-
nes qui ne prennent aucune part directe aux hostilités ou qui ont été mises hors de
combat par une maladie, leurs blessures ou leur captivité.
• Les personnes qui ne sont plus impliquées dans les combats (combattants malades,
blessés ou naufragés et prisonniers de guerre) et les personnes qui ne prennent
pas une part directe aux hostilités (civils) ont droit au respect de leur vie et de
leur intégrité physique et morale. En toutes circonstances, ces personnes seront
protégées et traitées avec humanité sans aucune distinction défavorable.
• Les combattants faits prisonniers et les civils placés sous l’autorité d’une partie
adverse ont droit au respect de leur vie, de leur dignité et de leurs droits et
convictions personnels. Il est interdit de tuer ou de blesser un ennemi qui se rend.
• Le choix des méthodes et moyens de guerre n’est pas illimité, et il doit être
proportionnel aux buts militaires recherchés. Il est interdit d’utiliser des armes
et des méthodes de guerre qui causent des souffrances inutiles ou des maux
superflus.
• Lors des attaques, une distinction doit être faite entre la population civile et
British Museum, Londres
les combattants, de même qu’entre les biens civils et les objectifs militaires. En
conséquence, les opérations ne seront dirigées que contre des objectifs militaires.
Figure 2.6
Soldats aveuglés par des armes chimiques
pendant la Première Guerre mondiale : un
exemple de moyens de guerre causant des
maux superflus.
39
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le DIH vise principalement à protéger les personnes qui ne participent pas, ou plus,
aux hostilités. Les règles du DIH imposent des obligations à toutes les parties à un
conflit, y compris les groupes non gouvernementaux. Principalement conçus pour le
temps de paix, les droits de l’homme ont une portée universelle. Leur but principal
est de protéger les individus contre le comportement arbitraire de leur propre gou-
vernement. Le droit des droits de l’homme ne traite pas de la conduite des hostilités.
Les signes distinctifs de la croix rouge, du croissant rouge et du cristal rouge sont
destinés à être arborés par certains membres du personnel sanitaire et du personnel
religieux, ainsi que leur matériel, qui doivent être respectés et protégés en période
de conflit armé (usage protecteur de l’emblème). Ils servent aussi à indiquer que des
personnes ou des biens sont liés au Mouvement international de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, y compris dans les situations autres que les conflits armés (usage à
titre indicatif de l’emblème). Leur utilisation est strictement définie (voir l’Annexe 2. A :
Les signes distinctifs).
1. Le personnel et les services médicaux des forces armées sont les toutes premières
personnes autorisées à utiliser le signe distinctif, en tant que signe de protection.
Les personnes et les objets arborant les emblèmes ne doivent pas faire l’objet d’at-
taques, mais au contraire, doivent être respectés et protégés ; les personnes doivent
être encouragées dans leur travail.
B. Fjortoft / CICR
B. Heger / CICR
V. Louis / CICR
40
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Humanité
Impartialité
Neutralité
Indépendance
Volontariat
Unité
2
Universalité
En temps de paix, comme en période de conflit, les forces armées et la Société natio-
nale de chaque pays sont tenus de faire largement connaître les droits et les devoirs
découlant du DIH. Cette diffusion est nécessaire non seulement pour que ces règles
soient connues, comprises, acceptées et respectées par les combattants, mais aussi
pour que la population tout entière comprenne et soutienne la Croix-Rouge ou le
Croissant-Rouge de son pays, afin qu’elle soit plus efficace, pour le bien de chacun,
en période de conflit comme en temps de paix. Une partie des activités de diffusion
portent sur le respect dû aux emblèmes de la croix rouge, du croissant rouge et du
cristal rouge en tant que signe de protection.
41
LA CHIRURGIE DE GUERRE
L’expression « personnel sanitaire » n’est donc pas limitée au sens étroit des mots.
L’ensemble du personnel exigé pour assurer le traitement adéquat des blessés et des
malades est couvert par la protection prévue par le DIH, aussi longtemps que ces per-
sonnes constituent une partie intégrante du service sanitaire.
Les unités sanitaires, militaires ou civiles, incluent ce qui permet d’accomplir les tâches
médicales :
• tous les bâtiments ou installations (hôpitaux, dispensaires, postes de premiers
secours, hôpitaux de campagne, tentes, etc.),
• les centres de transfusion sanguine et de médecine préventive,
• les dépôts et entrepôts médicaux et pharmaceutiques.
Le transport sanitaire peut être organisé par les voies terrestre, maritime et aérienne :
• ambulances, camionnettes ou camions,
• navires hôpitaux, bateaux de sauvetage,
• aéronefs médicaux, etc.
Le personnel sanitaire ne doit pas faire l’objet d’attaques. De plus, il doit être autorisé
à soigner les malades et les blessés en toute liberté. Ses membres doivent arborer le
signe distinctif de la croix rouge, du croissant rouge ou du cristal rouge sur fond blanc,
et porter une carte d’identité. Le personnel sanitaire militaire n’est autorisé à porter
les armes que pour se défendre et pour défendre les blessés et les malades contre le
pillage. Ils ne doivent, cependant, pas utiliser les armes pour empêcher la capture par
l’ennemi de leurs patients, de leurs unités ou d’eux-mêmes – s’ils agissaient ainsi, ils
perdraient leur statut de personnes protégées.
Si des membres du personnel sanitaire tombent sous le contrôle des troupes enne-
mies, ils seront autorisés à poursuivre leurs tâches auprès des blessés et des malades.
Ils ne seront pas obligés de commettre des actes contraires à la déontologie médi-
cale, ni de s’abstenir d’effectuer des actes qu’elle exige. Un patient reste un patient,
et les membres du personnel médical ont la responsabilité de prodiguer des soins
conformément à leur formation et aux moyens dont ils disposent. Si des membres
du personnel médical capturés ne sont pas indispensables pour assurer des soins aux
autres prisonniers, ils devraient être rapatriés. Ceux qui sont retenus ne seront pas
considérés comme des prisonniers de guerre et leur travail sera facilité.
La population civile doit respecter les blessés et les malades, même s’ils appartiennent
à l’ennemi, et elle ne doit commettre aucun acte de violence contre eux. Les civils sont
autorisés à recueillir et à soigner les blessés et les malades, quelle que soit leur natio-
nalité, et ils ne seront pas sanctionnés pour avoir agi ainsi. Au contraire, ils doivent
être aidés dans cette tâche.
Les unités sanitaires jouissent d’un statut de protection aussi longtemps qu’elles ne
sont pas utilisées pour commettre des actes dirigés contre l’ennemi (par exemple,
abriter des combattants valides, entreposer des armes ou des munitions, ou encore
servir de postes d’observation militaire). Si cette condition n’est pas respectée, ces
unités cessent d’être protégées et deviennent des cibles militaires légitimes. Des
contrôles stricts doivent donc être établis, de manière à sauvegarder le statut de pro-
tection des unités et transports sanitaires.
Pour renforcer leur protection, les unités et les transports sanitaires doivent être clai-
rement marqués d’un emblème de la croix rouge, du croissant rouge ou du cristal
rouge, aussi grand que possible. L’emblème est le signe visible de la protection confé-
rée par les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels.
42
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Comme pour tout accord international, les gouvernements des États ont une respon-
sabilité distincte chaque fois qu’ils deviennent partie à un traité.
• La réciprocité ne constitue pas une condition préalable exigée pour qu’un pays 2
adhère à ces règles, et les applique ; toutefois, cette condition existe dans la réalité
et dans la pratique. Il est de l’intérêt de tous que chacun applique le droit de son
propre accord.
• Les États sont responsables de protéger les personnes qui ne participent pas, ou
plus, aux hostilités.
• En temps de paix, les États doivent promouvoir et diffuser le DIH et former les
membres de leurs forces armées à respecter le DIH.
• En tout temps, les États doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour la
prévention et la répression de tous les cas de non-respect ou d’usage abusif des
signes distinctifs.
Figure 2.10
Bien trop souvent l’emblème de la croix rouge est utilisé pour indiquer un service de santé, quel qu’il
soit, sans tenir compte du statut juridique privilégié de l’emblème.
43
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Figure 2.11
Ce véhicule du CICR a été pris pour cible par des « éléments incontrôlés ».
44
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Certes, les règles humanitaires sont plus difficiles à appliquer dans ces types de
conflit. Le manque de discipline parmi les belligérants, l’armement de la population
civile (par les armes qui inondent le pays) et la distinction toujours plus floue entre
combattants et civils, font que, souvent, les confrontations prennent un tour extrême-
ment brutal, laissant peu de place au respect du DIH.
C’est donc dans ce type même de situation que des efforts particuliers sont requis
pour promouvoir et diffuser le droit humanitaire. Une meilleure connaissance de
ces règles juridiques ne saurait suffire à résoudre les problèmes sous-jacents qui ont
conduit au conflit ; en revanche, elle réussira probablement à en atténuer les consé-
quences les plus meurtrières.
2
2.7 Retour à la réalité : les règles sont parfois bafouées
Le droit énonce des règles : mais quelle est la réalité sur le champ de bataille ? En
période de conflit comme en temps de paix, quelle que soit la législation appli-
cable (nationale ou internationale), les lois sont violées et des crimes sont commis.
Les exemples de violations du DIH revêtent des formes multiples : un objectif mili-
taire est entouré d’unités sanitaires afin d’empêcher qu’il soit pris pour cible ; des
armes sont cachées dans un hôpital ; des combattants valides sont transportés à
bord d’une ambulance ; un aéronef arborant l’emblème est utilisé pour des mis-
sions de reconnaissance ; le statut de non-combattants des soldats malades ou
blessés n’est pas respecté – au contraire, bien trop souvent leur survie est vue par
certains comme une invitation à « finir le travail », et des atrocités sont alors com-
mises. Bien trop souvent aussi, les hôpitaux et le personnel médical sont la cible
d’attaques, ou sont empêchés d’accomplir leur devoir de soigner les malades et les
blessés – certains percevant leur action comme une façon d’apporter « secours et
assistance à l’ennemi ». Toutes ces violations ont trois points communs : elles affai-
blissent gravement le système de protection prévu par le DIH ; elles écartent de leur
but humanitaire des personnes et des biens arborant l’emblème de la croix rouge,
du croissant rouge ou du cristal rouge ; enfin, elles mettent des vies en danger en
faisant croître la méfiance.
T. Pizer / CICR
Figure 2.12
Malheureusement, les hôpitaux ne sont pas à l’abri des attaques : cette photographie montre une
violation flagrante du DIH.
45
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les auteurs du présent ouvrage ont bien trop souvent été menacés ou empêchés
d’atteindre et de soigner les victimes ; ils ont aussi vu leur hôpital subir une attaque
ou être bombardé. À travers le monde entier, des collègues, tant civils que militaires,
continuent, encore et encore, de souffrir « simplement » parce qu’ils veulent accomplir
leur devoir humanitaire, éthique et juridique de soigner leurs patients.
L’action humanitaire est basée sur une « philosophie optimiste », pour reprendre les
mots de Jean Pictet2. Pourtant, ce « refus de désespérer de l’homme », n’empêche pas
le réalisme de cette philosophie : l’action humanitaire est difficile, cela se sait. Ses plus
grands ennemis peuvent bien être ni les armes ni les catastrophes, mais plutôt l’égo-
ïsme, l’indifférence et le découragement. Il convient toutefois de garder espoir. Au
contraire, chacun devrait voir dans ces difficultés une incitation à redoubler d’efforts
pour instruire les personnes impliquées dans un conflit armé. La déontologie médi-
cale avance « main dans la main » avec le DIH et le principe fondamental d’impartia-
lité : les malades et les blessés ont droit à être soignés, quelles que soient leur origine
ou convictions politiques.
2 Jean Pictet (1914 – 2002) a été directeur général et vice-président du CICR. Il a été responsable des travaux
préparatoires qui ont conduit à la révision, en 1949, des Conventions de Genève ainsi qu’à l’adoption de leurs
Protocoles additionnels de 1977 ; ses écrits ont constitué la base des Principes fondamentaux du Mouvement
international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, adoptés en 1965 et révisés en 1991.
46
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Un autre problème majeur, dans les conflits armés de caractère non international
(conflits internes), est la question de la neutralité, spécialement d’une Société natio-
nale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge. L’exigence de non-discrimination
concerne tout particulièrement les Sociétés nationales ; de fait, elle est l’une des
conditions de leur reconnaissance. Chaque Société nationale doit être ouverte à tous
ceux qui souhaitent en devenir membres, et elle doit permettre à tous les groupes
sociaux, politiques et religieux d’être représentés. Cette représentativité est la garan-
tie de la capacité de la Société de s’engager dans des activités exclusivement humani-
taires et de résister à toutes les considérations partisanes.
Il est reconnu qu’il n’est pas toujours facile d’appliquer le principe de neutra-
lité, ne serait-ce que parce que toute personne a des convictions personnelles.
Quand la tension monte et que les passions s’exacerbent, chaque membre de la
Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge doit faire preuve d’une grande maîtrise de
soi, et s’abstenir d’exprimer ses opinions dans l’exercice de ses fonctions. Il n’est
pas demandé aux volontaires d’être neutres, car toute personne a droit à ses opi- 2
nions. Il leur est demandé d’agir de manière neutre. C’est là une distinction impor-
tante. La difficulté suivante tient au fait que, bien souvent, les parties au conflit
ont une piètre opinion d’un comportement neutre. Dans les pays en proie à un
conflit interne, les forces armées n’arrivent pas à comprendre pourquoi la Société
nationale ne condamne pas les activités de ceux qu’elles considèrent comme des
« bandits ». Comment s’attendre à ce que les forces armées comprennent que la
Société de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge veuille porter assistance à l’un
ou l’autre de ces « bandits » mis hors de combat ? Quant à l’opposition dans le
pays, elle sera critique des liens de la Société nationale avec les autorités.
Quiconque tente de travailler des deux côtés à la fois pour venir en aide aux non-
combattants est considéré, dans le meilleur des cas comme un naïf et, dans le pire
des cas comme un traître. La nature extrêmement polarisée de beaucoup de luttes
est aujourd’hui telle que le fait de ne pas prendre parti constitue un acte hostile
en lui-même. C’est la raison pour laquelle la neutralité et l’impartialité de la Croix-
Rouge et du Croissant-Rouge doivent être expliquées. Comme l’a déclaré un secou-
riste d’une Société nationale : « Mon meilleur argument c’est de dire à l’une des
parties au conflit que si je prends parti pour elle, en ignorant les victimes de l’autre
partie, je ne pourrais plus jamais apporter mon aide à ses propres blessés. »
47
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le CICR en bref
Le CICR a été désigné « gardien et promoteur » du DIH par les États parties aux
Conventions de Genève. Il travaille en période de conflit armé pour protéger et aider
les victimes : blessés et malades, prisonniers de guerre et autres personnes privées de
liberté et la population civile.
Le CICR ne prend pas parti, ni ne détermine ce qui est « bien » ou « mal » dans un
conflit. Cependant, la neutralité du CICR n’est pas un principe apprécié de tous. Nom-
breux sont ceux qui expriment leur indignation vis-à-vis de sa neutralité, croyant à
tort que neutralité rime avec manque d’engagement et de courage. Le CICR, pour sa
part, a parfois bien du mal à convaincre les parties à un conflit que la seule chose qu’il
doit accorder – à chacune et de façon équitable – est sa volonté de servir et que ses
activités sont, en conséquence, proportionnées aux besoins – donc inégales quand la
détresse est plus grande d’un côté que de l’autre.
Le rôle du CICR, en matière de protection, consiste à agir pour défendre les per-
sonnes qui ne prennent pas, ou ne prennent plus, part aux combats : les blessés ou
les malades, les personnes privées de liberté ou les prisonniers de guerre et, enfin,
les civils, y compris les habitants de territoires administrés ou occupés par une puis-
sance ennemie. Le CICR s’adresse aux autorités compétentes pour s’assurer que ces
victimes seront traitées avec humanité. Le CICR a le droit d’avoir accès aux prisonniers
de guerre (IIIe Convention de Genève) ainsi qu’aux personnes détenues, protégées par
la IVe Convention de Genève, ce qui inclut les visites dans les camps de détention.
Le CICR a une politique officielle de discrétion. Ce n’est que lorsqu’il observe des
infractions graves et répétées au DIH, que ses démarches confidentielles sont restées
vaines, et qu’il estime que le seul moyen d’aider les victimes est de solliciter le soutien
de la communauté internationale qu’il entreprend des démarches publiques. Parfois,
une telle prise de position prend la forme d’un appel lancé aux États parties aux
Conventions de Genève, dont la responsabilité est de respecter et de faire respecter le
DIH. De telles initiatives sont néanmoins l’exception plutôt que la règle.
Les délégués du CICR doivent être prêts à s’entretenir avec toutes les personnes qui
sont responsables de violations du DIH et des droits de l’homme. Ils ne peuvent pas
porter de jugement publiquement sur ces personnes, mais ils doivent leur parler au
nom de tous ceux à qui le droit de s’exprimer est refusé et qui n’ont pas d’autre recours
48
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
possible. Ce faisant, les délégués prennent souvent des risques considérables quant à
leur propre sécurité et leurs interlocuteurs font parfois la sourde oreille. Néanmoins, si
elle permet d’atténuer les souffrances ne serait-ce que d’un seul homme, d’une seule
femme ou d’un seul enfant, cette politique consistant à s’abstenir de toute dénoncia-
tion publique est amplement récompensée.
En tant qu’institution neutre et indépendante, le CICR est autorisé par les Conven-
tions de Genève et leurs Protocoles additionnels à dispenser les premiers secours et
d’autres soins sur le terrain aux victimes de conflit armé. Les autorités militaires sont
tenues de permettre au CICR de recueillir et de soigner les blessés ou les malades de
toute nationalité, même dans les territoires envahis ou occupés. Le CICR peut offrir
ses services aux parties, en particulier dans le domaine médical pour établir des zones
neutres ou des zones hospitalières, mettre en place des hôpitaux pour les malades
et les blessés, aider les hôpitaux existants et fournir des services de rééducation phy-
sique pour les amputés (victimes des mines antipersonnel, en particulier).
Le CICR aide à organiser, ou fournit directement, les secours aux victimes de conflit
armé. Ces secours couvrent les besoins les plus essentiels, tels que nourriture, eau
potable, abri, vêtements et soins médicaux.
2
Activités du CICR
EXPÉRIENCE DU CICR
Éthiopie
Érythrée
• Formation en soins infirmiers dans le service de soins intensifs pour les blessés de
guerre.
Si le CICR est autorisé à prodiguer des soins aux blessés et aux malades en période de
conflit armé, il est aussi impliqué dans les efforts de reconstruction post-conflit, ainsi
que dans l’assistance au développement : et parfois, il parvient au bon équilibre.
3
EXPÉRIENCE DU CICR
« Nous tenons à remercier les médecins et les infirmiers du CICR. Nous vous
remercions de votre venue… et de votre départ. »
Rui Paolo3
3 Rui Paolo, directeur des services hospitaliers, ministère de la Santé publique, Dili, Timor Leste, en juin 2001,
à l’occasion du transfert par le CICR de la responsabilité de l’administration de l’Hôpital général de Dili au
ministère timorais de la Santé publique.
50
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Les signes distinctifs de la croix rouge, du croissant rouge et du cristal rouge sur fond
blanc sont les symboles de l’action humanitaire impartiale et ne représentent aucune
croyance religieuse particulière. Ils procurent une protection aux services de santé
des forces armées ainsi qu’aux travailleurs humanitaires dans les situations de conflit
armé. Ils sont aussi utilisés à des fins d’identification par les Sociétés nationales du
Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge du monde entier.
En cas de conflit armé, les signes distinctifs sont un signe visible de la protection
conférée par le droit international humanitaire au personnel médical et à l’équipe-
ment médical. Les personnes et les biens arborant ces emblèmes ne doivent pas être
attaqués, mais au contraire respectés et protégés.
L’usage des signes distinctifs à des fins de protection en période de conflit armé est
exclusivement autorisé aux instances suivantes :
• unités, transports et personnel sanitaires et personnel religieux des forces armées ;
• unités, transports et personnel sanitaires civils, de même que personnel religieux
civil, ayant reçu des autorités compétentes l’autorisation spéciale d’utiliser
2
l’emblème ;
• unités, transports et personnel sanitaires qu’une Société nationale de la Croix-
Rouge ou du Croissant-Rouge a mis à la disposition du service sanitaire des forces
armées.
Les personnes ainsi que les bâtiments, structures et biens arborant l’emblème ne
doivent pas être attaqués, endommagés ni empêchés de fonctionner ; au contraire,
ils doivent être respectés et protégés, même si, sur le moment, ils ne sont pas en train
de prendre soin de personnes blessées ou malades, ou de leur offrir un hébergement.
L’usage perfide des emblèmes est explicitement interdit.
Afin d’assurer une protection efficace en temps de guerre, l’usage à titre indicatif de
l’emblème doit être strictement contrôlé en temps de paix. Il ne peut être utilisé que
par :
• les Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge, pour indiquer que des
personnes ou des biens sont associés à la Société en question (usage à titre indicatif
et non pas usage protecteur de l’emblème qui, en ce cas, doit être de petite taille pour
éviter toute confusion avec l’emblème utilisé à titre protecteur) ;
• exceptionnellement, des ambulances et des postes de premiers secours qui se
consacrent exclusivement au traitement gratuit des blessés et des malades, avec
l’autorisation d’une Société nationale.
L’usage abusif de l’emblème est un grave problème. En temps de paix, hôpitaux, dis-
pensaires, cabinets médicaux, pharmacies, organisations non gouvernementales et
entreprises commerciales ont tendance à utiliser l’emblème pour bénéficier de sa
réputation. Ils ne sont pas habilités à le faire. Ces abus affaiblissent évidemment la
valeur protectrice de l’emblème en temps de guerre.
Les Parties aux Conventions de Genève sont tenues de prendre les précautions néces-
saires pour la prévention ou la répression de tout abus des signes distinctifs.
51
LA CHIRURGIE DE GUERRE
À noter :
4 Bien qu’il ne soit plus utilisé, le lion-et-soleil rouge sur fond blanc est encore reconnu par les Conventions de
Genève.
52
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Né de la compassion ressentie par un citoyen suisse, Henry Dunant, à la vue des morts
et des blessés gisant abandonnés sur le champ de bataille de Solférino, le Mouve-
ment international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est convaincu que son
premier devoir est de rendre moins inhumaines les guerres qui ne peuvent pas être
évitées, et d’atténuer les souffrances qu’elles engendrent. Son but est d’introduire un
peu d’humanité dans les horreurs de la guerre. Le Mouvement a été fondé à la suite
d’un conflit et pour des conflits, dans le but d’aider les personnes en détresse sur le
champ de bataille.
Les idéaux humanitaires du Mouvement sont reflétés dans les sept Principes fonda-
mentaux qui, en tout temps, guident les activités de toutes ses composantes : huma-
nité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité.
Les États ont confié au CICR les rôles de promoteur et de gardien du droit international
humanitaire, ainsi que la tâche de le développer et de le diffuser dans le monde entier.
Les fonctions du CICR sont définies dans ses propres Statuts, dans ceux du Mouve-
ment de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ainsi que dans les traités internatio-
naux connus sous le nom de Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles
additionnels de 1977.
53
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Toute personne peut devenir membre de la Société nationale de son pays, et les
services sont fournis en fonction du seul critère des besoins. Les Sociétés nationales
doivent remplir des conditions rigoureuses pour obtenir leur reconnaissance par le
CICR et devenir membres de la Fédération internationale. Parmi ces conditions figu-
rent le respect des Principes fondamentaux et la reconnaissance, par leur gouverne-
ment, de leur statut de société de secours volontaire, auxiliaire des pouvoirs publics.
Impartialité
Il ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de religion, de condition sociale et
d’appartenance politique. Il s’applique seulement à secourir les individus à la mesure
de leur souffrance et à subvenir en priorité aux détresses les plus urgentes.
Neutralité
Afin de garder la confiance de tous, le Mouvement s’abstient de prendre part aux
hostilités et, en tout temps, aux controverses d’ordre politique, racial, religieux et
idéologique.
Indépendance
Le Mouvement est indépendant. Auxiliaires des pouvoirs publics dans leurs activités
humanitaires et soumises aux lois qui régissent leur pays respectif, les Sociétés natio-
nales doivent pourtant conserver une autonomie qui leur permette d’agir toujours
selon les principes du Mouvement.
Volontariat
Le Mouvement est une institution de secours volontaire et désintéressé.
54
LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE APPLICABLE
Unité
Il ne peut y avoir qu’une seule Société de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge
dans un même pays. Elle doit être ouverte à tous et étendre son action humanitaire
au territoire entier.
Universalité
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, au sein duquel
toutes les Sociétés ont des droits égaux et le devoir de s’entraider, est universel.
55
56
Chapitre 3
LES MÉCANISMES
VULNÉRANTS 3
1 Remerciements : la section de ce chapitre consacrée à la balistique est basée en grande partie sur les travaux
de M. Beat Kneubuehl, docteur en sciences médico-légales, de l’Institut de médecine médico-légale de
l’université de Berne, en collaboration avec le Centre d’acquisition de systèmes et de matériels militaires et
civils d’Armasuisse et le Laboratoire de balistique de l’armée suisse à Thoune. En poursuivant depuis plusieurs
années sa coopération et sa collaboration avec les praticiens du CICR, M. Beat Kneubuehl a permis à toute une
génération de chirurgiens de guerre de mieux comprendre les mécanismes lésionnels ainsi que le potentiel
vulnérant des armes. Il est à espérer que grâce aux connaissances ainsi acquises, il sera possible d’assurer une
meilleure prise en charge chirurgicale aux victimes des conflits armés et autres situations de violence dans
lesquelles les armes de guerre sont utilisées. Le glossaire figurant à la fin de l’ouvrage cité dans la Bibliographie a
été utilisé comme référence de base pour la version française du présent ouvrage.
57
LA CHIRURGIE DE GUERRE
3.2 Balistique 63
3.2.1 Introduction 63
3.2.2 Balistique interne 64
3.2.3 Balistique externe 66
3.2.4 Résumé 67
58
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Accidents de la route 3
Les véhicules militaires roulent souvent à grande vitesse, en terrain difficile, sur des routes
qui ne sont jamais sûres. Par ailleurs, l’environnement dans lequel se produit l’accident
est parfois hostile du fait de la présence de forces ennemies, de champs de mines, etc.
Coups
Les mauvais traitements infligés à des prisonniers, des officiels, des personnes soup-
çonnées d’être des sympathisants de l’adversaire, ou à d’autres civils encore, sont un
phénomène, hélas, bien trop fréquent.
2 Le mot « shrapnel » est dérivé du nom d’un officier anglais, le Major-Général Henry Shrapnel (1761–1842), qui a mis au point
un nouveau type d’obus d’artillerie. Le terme, à l’origine, ne faisait référence qu’aux billes métalliques dispersées lors de l’écla-
tement de cet obus. Aujourd’hui, le terme « shrapnel » est souvent utilisé pour décrire les fragments métalliques délibéré-
ment inclus dans certains engins explosifs – obus, bombes ou autres munitions. En français, les termes techniques utilisés
pour désigner ces particules sont « éclats » ou « fragments », et les deux sont utilisés indistinctement dans le présent manuel.
59
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les éclats sont projetés à très grande vitesse mais, du fait de leur caractère non aéro-
dynamique, leur vitesse initiale décroît rapidement. Ainsi, plus la victime se trouve
éloignée du lieu de l’explosion, plus ses blessures seront superficielles. Inversement,
à proximité de l’explosion, les multiples fragments à haute énergie, combinés avec
l’effet de souffle, provoqueront de graves polycriblages mutilants, souvent fatals.
Sous la force de l’explosion, des pierres ou des briques risquent aussi d’éclater, des
vitres peuvent voler en éclats. La force du souffle ou « du vent de blast » peut trans-
porter d’autre débris qui produisent à leur tour des fragments pénétrants appelés
projectiles secondaires, (voir Section 3.1.4).
Les blessures par éclats sont habituellement multiples (polycriblage) et c’est au point
d’entrée que le « tunnel lésionnel » est toujours le plus large ; il n’y a pas forcément
d’orifice de sortie.
B. Kneubuehl
a b c d e f a b c
Figure 3.2.1 Figure 3.2.2
Exemples de munitions de pistolet : Exemples de munitions de fusil militaire :
a. 5,45 x 19 mm3 a. 5,45 x 39 mm Kalachnikov
b. 6,35 mm Browning b. 7,62 x 39 mm Kalachnikov
c. 7,63 mm Mauser c. 7,62 x 54R Dragunov
d. 9 mm Luger
e. 45 calibre arme automatique
f. balle demi-blindée 50 calibre AE (Action Express)
B. Kneubuehl
B. Kneubuehl
Figure 3.2.3 Figure 3.2.4
Pistolet semi-automatique 9 mm Luger (SIG- 7,62 x 39 mm AK-47 Kalachnikov (fusil d’assaut
Sauer P 228). militaire).
3 Le standard international du calibrage d’une balle est exprimé en mm (diamètre) x mm (longueur). Dans les pays anglo-
saxons, le calibre s’exprime en 100e ou 1000e de pouce. Ainsi, le calibre 45 équivaut à un diamètre de 45/100 de pouce.
4 Paragraphes du préambule de la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 à l’effet d’interdire l’usage de
certains projectiles en temps de guerre.
60
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
CICR
CICR
CICR
Types de blessures
Les mines antipersonnel causent trois types de blessures distincts, déterminés par
l’effet de souffle ou par la projection d’éclats.
Type 1 :
Une personne pose le pied sur le plateau de pression d’une mine à effet de souffle.
L’explosion et l’effet de souffle local primaire provoquent une amputation trauma-
tique ou une grave blessure du pied et de la jambe de contact. L’autre jambe, les
parties génitales, l’abdomen ou le petit bassin, de même que le bras controlatéral,
peuvent également être atteints. La gravité de la blessure est fonction de la quan-
R. Coupland / CICR
tité d’explosif contenue dans la mine par rapport à la masse corporelle de la victime
(Figure 3.4).
Type 2 :
Figure 3.4
En heurtant le fil de trébuchement attaché à une mine à fragmentation, la victime
Effet en « parapluie » d’une mine à effet de
provoque l’explosion. Les mines à fragmentation causent les mêmes blessures que les souffle ; les tissus superficiels sont moins lésés
autres armes à fragmentation, telles que bombes ou grenades. La gravité de la bles- que les plans tissulaires profonds. Les plaies
sure est fonction de la distance séparant la victime du lieu de l’explosion. sont gravement contaminées par de la boue, de
l’herbe et des morceaux de chaussure qui
Type 3 : pénètrent profondément dans les tissus au
moment de l’explosion.
Une personne manipule une mine pour la mettre en place ou l’enlever ou, dans le cas
d’un enfant, simplement pour jouer. L’explosion provoque de graves blessures à la main
et au bras ainsi que, fréquemment, des blessures au visage et aux yeux ou au thorax.
Pour de plus amples informations sur les blessures par mine antipersonnel, se repor-
ter au Volume 2 du présent ouvrage.
5 Dans certains pays où une forme de guerre « traditionnelle » a encore cours, un couteau lourd et de grande taille
– appelé machette ou panga – est souvent utilisé comme arme. La victime est blessée à la tête, au cou ou à l’épaule.
61
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Quand l’onde de choc heurte une personne sans protection, elle affecte toutes les
parties du corps, en particulier celles qui habituellement contiennent de l’air. La
victime d’un blast peut ne présenter aucune blessure externe visible. Une seule explo-
0
sion, de grande force, peut faire un grand nombre de blessés. Les explosions surve-
nant dans un espace clos (bâtiment, bus, etc.) sont plus meurtrières que celles qui se
Temps produisent à l’air libre.
Blessures secondaires
Il s’agit notamment des blessures par éclats. Des fragments peuvent provenir du
boîtier de la bombe ou de son contenu (projectiles primaires). Les bombes de fabrica-
tion artisanale, appelées « engins explosifs improvisés » ou EEI, peuvent être remplies
d’écrous et de boulons, de vis et de billes. Le « vent de blast » peut déplacer divers
objets (projectiles secondaires) qui provoquent alors des blessures pénétrantes.
Blessures tertiaires
Ces effets sont directement dus au « vent de blast ». Ils comportent la désintégration
totale du corps des victimes se trouvant à proximité immédiate du lieu de l’explosion ;
ou des amputations traumatiques ou une éviscération de celles qui sont un peu plus
éloignées. Ce mouvement massif d’air peut provoquer l’effondrement de bâtiments
ou projeter des personnes contre des objets. Les plaies peuvent être contondantes,
d’écrasement (crush) ou pénétrantes.
Blessures quaternaires
Il s’agit de plusieurs types de lésions d’origines diverses : brûlures, asphyxie par
monoxyde de carbone ou gaz toxiques, ou encore inhalation de poussière, de fumée
ou d’autres polluants.
Les différentes blessures causées par des explosions de forte puissance corres-
pondent à toute une gamme de traumatismes. De nombreux patients souffrent
de plusieurs blessures liées à toute une série d’effets : un seul système d’arme est
polytraumatisant.
L’onde de choc d’une mine marine explosant sous la glace, ou la « gifle de pont » (deck
slap en anglais) subi par un navire atteint par une torpille, produit une onde de choc
qui peut provoquer de graves fractures osseuses chez les personnes se trouvant sur le
pont ou à l’intérieur du navire. De la même manière, certaines mines antichar envoient
une onde de choc à travers le plancher du blindé, infligeant aux occupants des fractures
62
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
fermées aux pieds et aux jambes. Le pied apparaît comme un « sac de noix », des os
brisés à l’intérieur d’une peau restée intacte – phénomène baptisé « pied de mine »
pendant la Première Guerre mondiale. Les mines antipersonnel à effet de souffle ont
des effets localisés, « vaporisant » les tissus du pied de contact, comme décrit ci-dessus.
Pour de plus amples informations sur les blessures par effet de souffle, se reporter au
Volume 2 du présent ouvrage.
3.1.5 Brûlures
Une forte explosion peut causer des brûlures par flux thermique ou la carbonisation
des tissus. Les bombardements déclenchent parfois des incendies secondaires dans les
bâtiments ; de même le réservoir d’un véhicule qui heurte une mine antichar peut s’en-
flammer. Les brûlures sont courantes parmi les équipages des chars, navires et aéronefs
frappés par des missiles. Certains types de mines antipersonnel à effet de souffle provo-
quent à la fois des brûlures et une amputation traumatique du membre atteint.
Une bombe entourée de matériel radioactif – appelée « bombe sale » – n’est pas une
bombe atomique. L’explosion est causée par des moyens conventionnels, et selon la
force de l’explosion, le matériel radioactif peut être dispersé sur une vaste zone. Le
bombardement d’installations de médecine nucléaire et autres laboratoires ou de
centrales atomiques, peut aussi libérer du matériel radioactif dans l’atmosphère.
Pour de plus amples informations, le lecteur est invité à se référer aux textes militai-
res standard, de même qu’aux documents de l’Organisation pour l’interdiction des
armes chimiques (OIAC) et aux documents pertinents de l’Organisation mondiale de
la Santé pour les agents biologiques. La question des armes nucléaires ne sera pas
abordée ici.
3.2 Balistique
3.2.1 Introduction
Des blessures dues à l’effet de souffle et des plaies pénétrantes dues à des projectiles
surviennent dans les conflits armés, mais aussi quand les armes de guerre sont utili-
sées en temps de paix. Ces armes causent des blessures spécifiques mais variables.
Les techniques chirurgicales habituelles suffisent pour traiter les blessures simples. En
revanche, la prise en charge des blessures de guerre causées par des armes à haute
énergie requiert une bonne compréhension des mécanismes lésionnels propres aux
divers projectiles. On parle ici de « balistique lésionnelle ». Seule une bonne compré-
hension de certains phénomènes physiques permet au chirurgien d’évaluer les dif-
férentes variétés de blessures rencontrées lors d’un conflit armé, et de percevoir la
différence entre les blessures de guerre et les traumatismes rencontrés dans la prati-
que civile quotidienne.
63
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Définitions de base
La balistique est la partie des sciences de la mécanique qui étudie le déplacement et
le comportement d’un projectile, ainsi que ses effets sur la cible.
Balistique interne
La balistique interne s’intéresse aux processus qui interviennent à l’intérieur du
canon d’un fusil quand un coup est tiré : pressions des gaz après combustion de la
poudre propulsive, énergie et chaleur libérées, et trajet du projectile dans le canon,
figurent parmi les phénomènes étudiés.
Balistique externe
La balistique externe décrit la trajectoire du projectile une fois qu’il a quitté le
canon de l’arme. Plusieurs facteurs influencent le vol : gravité, résistance de l’air et
déflection due au vent de travers, stabilité du projectile (rotation ou mouvement
de toupie et oscillation – tournoiement ou mouvement de précession : ce dernier
étant le yaw des auteurs anglo-saxons), de même que tout contact avec un objet
dur avant que le projectile n’atteigne la cible (effet de ricochet).
Balistique terminale
La balistique terminale décrit ce qui se passe quand le projectile atteint la cible, de
même que tout contre-effet produit par la cible sur le projectile. Si des tissus bio-
logiques constituent la cible, la balistique terminale prend le nom de « balistique
lésionnelle » et décrit les effets sur les tissus.
En plus des balles de chasse (Figure 3.7), des fusils spéciaux et leurs munitions exis-
tent aussi pour la chasse : il s’agit de fusils à canon lisse qui projettent de multiples
billes en plomb ou en acier, avec des diamètres de 2 à 9 mm (Figure 3.8).
Les balles de chasse ne sont pas censées être utilisées par des combattants lors d’un
conflit armé. Ces balles sont construites de manière à tuer, et non à blesser, dans le
cadre de la chasse au gros gibier. En effet, pense-t-on, il est estimé plus « humain » de
tuer « propre et net » les bêtes visées. Néanmoins, un chirurgien sera confronté à des
blessures causées par ces armes lors d’accidents ou d’activités criminelles, ou encore
parce qu’elles on été employées au combat, en violation du droit.
Les restrictions sur l’emploi de certaines balles à des fins militaires, imposées par le
droit international, ne s’appliquent pas aux usages non militaires. Ainsi, les chirur-
giens civils voient parfois des blessures par arme à feu bien plus dévastatrices que
celles que rencontrent les chirurgiens militaires sur le champ de bataille.
6 Lindsey D. The idolatry of velocity, or lies, damn lies, and ballistics. J Trauma. 1980 ; 20 : 1068 –1069.
64
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Chevrotine
Étui
Bourre en
feutre
Poudre
B. Kneubuehl
B. Kneubuehl
Amorce
a b c d e f
Figure 3.7 Figure 3.8
Différents types de balles, selon leur construction. Cartouche de fusil à canon lisse et charge de tir.
a. Balle britannique, Mark II, de calibre 303, e. Balle « demi-blindée » : une partie n’est pas
produite à Dum Dum, en Inde, en 1896 (voir la recouverte, et par conséquent le noyau de
note de bas de page n° 8). plomb est libre à la pointe. Ce genre de balle
b. Balle blindée : balle militaire entièrement est censé être utilisé uniquement pour la
recouverte de cuivre, mais dotée d’un noyau chasse ; son utilisation par des combattants
3
mou (en plomb non durci). en période de conflit armé est prohibée par le
DIH.
c. Balle à noyau dur : le plomb a été remplacé
par de l’acier ou du tungstène pour obtenir f. Balle demi-blindée à tête creuse : c’est
une meilleure puissance de pénétration. aussi une balle de chasse, à pointe creuse ;
également interdite en période de conflit
d. Balle traçante : contient, dans sa base, une armé.
substance pyrotechnique qui se consume
en vol et illumine la trajectoire. Utilisée pour
identifier et localiser précisément la cible.
Vitesses initiales
Les armes à feu sont classiquement divisées en deux catégories : les armes à vitesse
élevée (fusils) et les armes à faible vitesse (armes de poing). Ces dernières tirent des
balles relativement lourdes, à une vitesse initiale faible (entre 150 et 200 m/s). Un fusil
d’assaut militaire typique tire des balles plus petites à une vitesse comprise entre 700
et 950 m/s. Ces données ne permettent toutefois pas de connaître la vitesse exacte de
la balle au moment où elle atteint sa cible.
Le canon de fusil
Une balle est un projectile long et cylindrique qui, pour avoir de la stabilité en vol,
doit atteindre un niveau élevé de rotation autour de son axe longitudinal, ce qui
produit un effet gyroscopique. Pour obtenir cet effet de rotation, les canons de fusil
sont construits avec, à l’intérieur, des rayures en spirale : ces canons « rayés » sont uti-
lisés dans toutes les armes de poing et les fusils dont le projectile atteint une vitesse
élevée (Figure 3.9).
Comme leur nom l’indique, les canons des fusils à canon lisse ne sont pas « rayés », ce
qui limite l’exactitude et la portée du tir (Figure 3.10).
B. Kneubuehl
à cartouche sont en une seule pièce, c’est un « pistolet ». Si plusieurs chambres à car-
touche tournent derrière le canon, c’est un « revolver ». Si les deux mains sont nécessai-
res pour opérer l’arme, elle est appelée « arme d’épaule » ou « fusil ».
La puissance de feu définit la manière dont chaque coup est tiré. Dans le cas des
armes à un coup, chaque tir est chargé individuellement. Une arme à répétition
inclut un magasin qui contient une série de cartouches que l’on charge manuel-
lement, l’une après l’autre. Si le chargement se répète automatiquement après
chaque coup, mais que chaque coup est tiré individuellement, c’est une arme semi-
automatique. Si le chargement automatique des cartouches permet de tirer plu-
sieurs coups – en rafale – avec un seul mouvement de gâchette, il s’agit d’une arme
automatique.
Dans l’usage militaire moderne, la plupart des armes sont des fusils automatiques et
des pistolets mitrailleurs ou des pistolets semi-automatiques.
Figure 3.12 En outre, si la « poussée » est assez forte, la balle peut être déformée ou même voler
Ricochet : effet sur une balle après contact avec en éclats avant de frapper la cible.
un obstacle.
66
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
3.2.4 Résumé
Il existe donc un assez grand nombre de variables qui interviennent dans la déter-
mination des caractéristiques d’un projectile avant qu’il n’atteigne la cible. Ces
divers éléments influencent le comportement du projectile à l’intérieur de la cible
ainsi que son « efficacité » (potentiel vulnérant). Ces variables sont notamment les
suivantes :
• vitesse au moment de l’impact ainsi que toute vitesse résiduelle s’il y a un orifice de
sortie ;
• masse, forme, configuration interne et composition du projectile ;
• type d’arme (arme de poing ou fusil) ;
• stabilité du projectile en vol ;
• tout mouvement de précession au moment de l’impact.
EK = ½ m v2
Cette formule définit l’énergie cinétique totale que l’objet possède ; par contre, elle ne
définit pas l’énergie cinétique transférée quand le projectile pénètre et traverse une
cible. Pour une balle ou un fragment dont la masse ne change pas, l’énergie cinétique
est calculée à partir de la différence entre la vitesse au point d’entrée et la vitesse au
point de sortie.
m (v12 – v22)
EK EXP =
2
S’il n’y a pas de sortie, v2 = 0 et toute l’énergie cinétique a été transférée. Si la balle vole
en éclats, la masse (m) change elle aussi, et E K EXP est modifié.
• Haute énergie : armes d’épaule dont le projectile a une vitesse initiale supérieure à
600 m/s ou une grande masse.
Les fragments métalliques projetés par une explosion ont une vitesse initiale très
élevée qui, cependant, diminue rapidement avec la distance parcourue. Le potentiel
vulnérant dépend de la masse du fragment et de la distance entre le point d’explo-
sion et la victime.
67
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les simulants utilisés sont notamment des blocs de gélatine ou de savon à la glycé-
rine, spécialement préparés et ayant une densité et/ou une viscosité proches de celles
du tissu musculaire. Le savon est plastique et toute déformation subsiste, représen-
tant l’empreinte maximale des effets balistiques. La gélatine est élastique : les défor-
mations disparaissent presque entièrement et sont donc étudiées à l’aide de caméras
à haute vitesse. Si le stress sur la gélatine excède la limite de son élasticité, elle craque
et se déchire, montrant des fissures radiées ou lignes de fracture.
Sur la base de ces études de laboratoire, cinq catégories ont été définies pour décrire
le comportement des projectiles : balles non déformantes et déformantes, tirées par
des fusils ou des armes de poing et, enfin, fragments.
Figure 3.13
Trajet d’une balle de fusil non déformante dans
du savon. Phase 3 :
canal terminal
Phase 1 :
canal étroit
Phase 2 :
cavité temporaire
B. Kneubuehl
40 cm
Phase 1
Canal étroit, en ligne droite, d’un diamètre d’environ 1,5 fois le calibre de la balle. Plus
la vitesse est élevée, plus large est le canal. La longueur du canal étroit varie selon le
type de balle (allant généralement de 15 à 25 cm).
Phase 2
Le canal s’élargit et devient la « cavité temporaire primaire ». Le diamètre relevé de
cette cavité varie de 10 à 15 fois le calibre de la balle.
Figure 3.14
La balle bascule dans la gélatine ou le savon :
elle opère une rotation de 270° autour d’un
axe transversal, perpendiculaire à l’axe long.
Cavité temporaire (Représentation schématique de l’image d’une
Canal étroit balle surimposée sur des blocs de savon. Les
proportions entre la balle et la trajectoire sont
Canal terminal exagérées par souci de clarté).
B. Kneubuehl
40 cm
Phase 3
Le basculement ralentit, et la balle continue dans une position latérale à une vitesse
considérablement réduite. Dans certains cas, un étroit canal rectiligne est observé ;
dans d’autres, le basculement semble continuer, mais incliné vers l’arrière, la balle
prenant à nouveau une position latérale ; une seconde cavité se forme (mais elle n’at-
teint pas la taille de la cavité temporaire primaire). La balle progresse ensuite lente-
ment vers l’avant ; enfin, elle s’arrête, toujours avec le cul tourné vers l’avant.
Dans un milieu élastique tel que la glycérine, tout ce qui reste dans le canal de tir à la
fin du processus, ainsi que tous les effets temporaires, forment ce que l’on nomme le
« canal permanent ».
Des références à ces définitions de base des diverses phases du canal de tir seront
faites tout au long de ce chapitre.
À noter :
Ces trois phases se manifestent avec toutes les balles de fusil blindées ; toutefois,
Énergie
chaque balle possède un canal de tir spécifique. Le canal étroit du AK-47 de calibre
7,62 mm est long (15 à 20 cm), alors que le AK-74 de calibre 5,45 produit un canal
étroit de moins de 5 cm avant que la cavitation commence.
R. Coupland / CICR
69
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Figure 3.16
40 cm
Fragmentation d’une balle blindée pendant la
phase 2 (cavitation temporaire).
B. Kneubuehl
Paillette de plomb éjectée Corps principal de la balle Extrémité arrière de la balle
La balle s’aplatit sur les côtés, se plie au milieu et, finalement, la chemise (le blindage)
se fend et le plomb contenu à l’intérieur s’échappe (Figure 3.17). C’est ce qui produit
l’image de la « pluie de plomb », souvent vue sur les radiographies (Figures 3.15, 4.5
et 10.5). Si la balle se casse, le plus petit fragment dévie généralement vers le bas. La
fragmentation dépend de la construction et de la vitesse de la balle ; à des vitesses
d’impact inférieures à 600 m/s, aucune balle entièrement blindée ne se déforme ni ne
se casse.
Si la balle se fragmente, la cavité temporaire primaire est de plus grande taille que
CICR
lorsque la balle reste intacte. Le transfert d’énergie cinétique est alors bien supérieur,
Figure 3.17 ce qui a des répercussions importantes sur le plan clinique.
La chemise s’est brisée, exposant le plomb se
trouvant à l’intérieur. 3.3.4 Balles de fusil à déformation : balles Dum Dum8
Certaines balles (balles de fusil de chasse, par exemple) sont construites de manière à
toujours se déformer, par exemple en s’aplatissant : c’est le cas des balles à tête creuse,
demi-blindées, à pointe molle, etc. (Figure 3.7 e. et f.). Ces balles sont généralement
regroupées sous le nom de balles « Dum Dum » : leur emploi à des fins militaires est
proscrit par le droit international.
Comme leur nom l’indique, les balles déformantes sont conçues pour changer faci-
lement de forme (effet de « champignonnage »), augmentant ainsi leur diamètre
apparent, mais sans perdre de masse. Une fois tirée, la balle conserve toujours
son poids original. Ce type de projectile est utilisé principalement dans les armes
de poing (avec une vitesse initiale inférieure à 450 m/s). Elles sont utilisées à des
fins non militaires (par des forces de police spéciales et des criminels). Les balles
qui agissent par fragmentation, en revanche, se cassent, perdent de leur masse
et créent un « mur » de particules, et, par conséquent, une augmentation de leur
diamètre effectif en agrandissant la surface d’impact de la balle. Elles sont utilisées
pour la chasse.
8 En 1897, estimant que les balles existantes étaient inefficaces, et causaient des blessures insignifiantes, l’armée
britannique a mis au point une balle destinée à ses troupes coloniales et fabriquée dans son usine de munitions
de Dum Dum, ville située au nord-est de Calcutta (Kolkata). La balle à tête ronde était chemisée de métal
(cuivre-nickel) recouvrant entièrement un noyau de plomb, à l’exception de sa pointe dépourvue de blindage
sur 1 mm. Cette balle a été utilisée contre les Afridis Afghans en 1897–1898, puis lors de la bataille d’Omdurman,
au Soudan, en 1898. Les effets ont été dévastateurs. Jugée « inhumaine » au sens de la Déclaration de Saint-
Pétersbourg de 1868, la balle a été proscrite par la Convention de La Haye de 1899 : les projectiles qui causent
des « maux superflus » sont interdits. À titre d’exemple, les Conventions mentionnent les projectiles dont la
chemise en métal ne couvre pas complètement le noyau de plomb. Depuis lors, tous les projectiles possédant
les même caractéristiques (qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain) ont reçu le nom
collectif de « balles Dum Dum ».
70
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Figure 3.18
Balle de fusil demi-blindée se déformant dans
du savon. La balle prend immédiatement
la forme d’un champignon après l’impact,
puis continue selon une trajectoire linéaire.
(Représentation schématique d’une balle
surimposée sur des blocs de savon).
B. Kneubuehl
40 cm
La principale différence entre une balle blindée et une balle demi-blindée est la pro-
fondeur de pénétration à laquelle intervient le transfert d’énergie maximum dans le
3
canal de tir. Le volume des cavités est le même dans les deux exemples illustrés dans
la Figure 3.19, indiquant un transfert égal d’énergie cinétique.
Figure 3.19
Blocs de savon montrant une comparaison entre
les profils balistiques des balles entièrement
blindées ou demi-blindées – le transfert de
Transfert d’énergie
Transfert d’énergie
Le même effet peut être démontré dans le cas de l’utilisation d’un simulant d’os en
matière synthétique encastré dans de la gélatine (Figure 3.20).
Figure 3.20
Comparaison entre une balle blindée et une
balle demi-blindée : simulant d’os en matière
plastique enchâssé à faible profondeur dans de
la gélatine. La balle blindée brise le simulant
d’os pendant la phase de canal étroit ; le canal
de tir est pratiquement le même avec ou sans
le simulant d’os. À la même profondeur, la
balle demi-blindée fracasse complètement le
simulant d’os.
blindée blindée
71
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Effet de ricochet
Une balle blindée qui heurte un obstacle avant d’atteindre sa cible est déstabilisée. Après
l’impact, il n’y a presque aucun canal étroit, et le canal de tir ressemble à celui d’une balle
Dum Dum (Figure 3.21). Ce phénomène a d’importantes conséquences sur le plan clinique.
Figure 3.21
Balle de fusil blindée après effet de ricochet
dans du savon. L’important angle d’incidence
après le ricochet déstabilise la balle, qui bascule
facilement et de manière précoce dans le canal
de tir. Noter que la cavitation survient presque
immédiatement au moment de l’impact,
comme dans le cas d’une balle demi-blindée.
B. Kneubuehl
40 cm
À noter :
Le type de blindage, complet ou partiel, n’est pas le seul facteur qui détermine le comporte-
ment d’une balle. Il est tout-à-fait possible de fabriquer une balle qui se fragmente à vitesse
élevée, se déforme à vitesse moyenne et conserve une forme stable à faible vitesse.
Figure 3.22
Balle blindée standard de pistolet militaire
dans du savon, aucun basculement de la balle.
(Représentation schématique d’une balle
surimposée sur des blocs de savon). B. Kneubuehl
40 cm
Balles déformantes
Une balle de pistolet déformante à pointe molle ou demi-blindée – utilisée notam-
ment par les forces spéciales de la police – s’écrase et prend la forme d’un champi-
gnon au point d’entrée (Figure 3.23). Le grand diamètre d’impact provoque une
réduction brutale de la vitesse et un important transfert d’énergie cinétique, avec une
cavité temporaire immédiate et de grande taille.
Figure 3.23
Balle déformante d’arme de poing dans
du savon : effet de « champignonnage ».
(Représentation schématique d’une balle
surimposée sur des blocs de savon).
B. Kneubuehl
40 cm
72
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
3.3.6 Éclats
Les fragments éparpillés lors de l’explosion d’une bombe, roquette ou grenade ne
sont pas aérodynamiques, car ils sont de forme irrégulière. Leur vitesse diminue rapi-
dement avec la distance en raison de la résistance à l’air. Ils ont une trajectoire en vol
instable et une rotation irrégulière autour d’un axe indéfini. Au moment de l’impact,
la plus grande section entre en contact avec la surface de la cible, transférant immé-
diatement un maximum d’énergie cinétique. Aucun tournoiement et aucun bascule-
ment ne se manifestent dans la cible.
Figure 3.24
Profil d’un fragment dans du savon : le diamètre
le plus large se situe à l’entrée, la cavité est de
forme conique.
B. Kneubuehl
40 cm
3
Le plus grand diamètre de la cavité du canal de tir se trouve à l’entrée, et il est plus
large que le diamètre du fragment. La cavité diminue ensuite constamment selon une
forme conique (Figure 3.24).
En conséquence, un fragment léger mais rapide tend à transférer la plus grande partie
de son énergie peu de temps après l’impact sur la cible ; un fragment lourd et lent
pénètre plus profondément et dissipe son énergie tout au long du canal de tir, plus
long dans ce second cas.
Figure 3.25
Deux fragments ayant la même énergie cinéti-
que – noter la différence en termes de transfert
d’énergie le long de la trajectoire, démontrée
a par la différence entre les deux cavités :
a. fragment de faible poids et rapide ;
b. fragment lourd et lent.
b
B. Kneubuehl
Le déplacement des projectiles cause des blessures par le biais du transfert dans le
corps humain de l’énergie cinétique qui détruit, déchire et déforme les tissus. La balis-
tique lésionnelle est étudiée dans le but de comprendre les mécanismes qui sont à
l’origine de ces blessures.
73
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Dans le monde réel de la pratique clinique, tant de variables entrent en jeu qu’il est bien
vain d’être prédictif : le chirurgien n’a aucune certitude que telle ou telle balle occasion-
nera toujours telle lésion spécifique. Il est cependant possible d’être descriptif : au terme
d’un bon examen clinique, le chirurgien est mieux à même de comprendre l’anatomo-
pathologie qu’il voit, comment elle a été créée et quelle sorte de prise en charge chirur-
gicale elle requiert. Le type de blessure, sa localisation anatomique et l’importance de la
destruction effective des tissus sont les facteurs cliniques déterminants.
Ce transfert d’énergie cinétique compresse, coupe ou cisaille les tissus, causant une
blessure soit par écrasement, soit par lacération, soit par étirement. En termes de
dommage tissulaire produit, le transfert local d’énergie à chaque point, tout au long
du trajet de la balle, est plus important que la quantité totale d’énergie transférée.
Quand une balle frappe un corps humain, on note les trois mêmes phases que dans
le cas de simulants utilisés en laboratoire, à condition que la trajectoire de la balle
soit assez longue. Dans les expériences de laboratoire réalisées avec de la glycérine,
le « canal permanent » a été défini comme étant ce qui reste du canal de tir au terme
du processus et de tous les effets temporaires. Dans le cas de tissus biologiques, la
« cavité permanente (résiduelle) de la blessure » du canal de tir constitue la lésion tis-
sulaire définitive, après que tous les effets temporaires ont été pris en compte. C’est là
le tunnel lésionnel que le chirurgien voit, et c’est ce qui constitue le résultat final de
l’écrasement, la lacération et de l’étirement des tissus9.
À des niveaux d’énergie plus élevés, quand une balle bascule ou se déforme, une
zone de tissu plus grande est exposée à sa section effective, et subit un écrasement.
9 Beaucoup de confusion a été créée dans la littérature chirurgicale par les auteurs qui donnent au dommage
immédiat par écrasement – correspondant à l’étroit canal de tir rectiligne de la phase 1 (parfois appelé « tunnel
d’attrition ») – le nom de « cavité permanente », par opposition à « cavité temporaire » quand une lésion par
étirement survient. Dans le présent manuel, en accord avec le laboratoire d’Armasuisse, le nom de « cavité
lésionnelle permanente » ou « tunnel lésionnel » est donné au canal qui reste à la fin du processus lésionnel et
constitue la somme des dégâts par écrasement, lacération et par étirement.
74
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Le tunnel de la blessure laissé par un écrasement n’est pas égal sur toute sa longueur :
il augmente sous l’effet du tournoiement de la balle dans les tissus.
L’étirement des tissus survient pendant la cavitation, qui se produit lors de toute bles-
sure par projectile, quels que soient l’énergie, le type ou le mouvement du projectile
et à tous les points le long du canal de tir. Il existe même un effet mineur de cavitation
pendant la phase 1 (canal étroit).
Le volume de la cavité est déterminé par la quantité d’énergie transférée ainsi que par
le coefficient d’élasticité des tissus qui détermine leur résistance à l’étirement. Cette
cavitation par étirement agit sur les tissus qui ont déjà été lésés par écrasement et
lacération, et vient s’ajouter au dommage immédiat local. Dans le cas de blessures
dues à des projectiles à faible et moyenne énergie, cette cavitation est minimale.
3
Quand une balle bascule (ou se déforme, ou se fragmente), la libération d’énergie
cinétique est bien plus grande et elle vient se surimposer à un écrasement des tissus
plus étendu. Il en résulte une cavité temporaire de phase 2, de grande taille : un refou-
lement massif et momentané des tissus qui s’écartent du trajet de la balle.
Comme dans la gélatine, la cavité subit des pulsations : une accélération élastique
est suivie par une décélération des tissus alentour : action de cisaillement. Le quasi-
vacuum existant dans la cavité aspire de l’air, des contaminants, des bactéries et des
corps étrangers (fibres textiles provenant des vêtements, poussière, etc.) – à travers
l’orifice d’entrée et tout orifice de sortie, le cas échéant.
Dans les blessures à haute énergie, le volume de la cavité temporaire peut atteindre
jusqu’à 25 fois celui de la cavité permanente résiduelle ; son diamètre de 10 à 15 fois celui
de la balle. Bien que ce volume soit proportionnel à l’énergie cinétique transférée, et qu’il
affecte l’amplitude du dommage tissulaire, d’autres facteurs liés aux tissus peuvent jouer
un rôle encore plus important dans la détermination de l’étendue réelle de la blessure.
Les nerfs et les tendons sont mobiles, et les vaisseaux sanguins sont élastiques ; ils
sont généralement écartés du chemin par la cavitation.
L’os cortical, dense et rigide, résiste à l’étirement. Cela étant, si le processus de cavita-
tion accélère et refoule une masse musculaire d’assez grande taille avec suffisamment
d’énergie, l’os est courbé au-delà de sa résistance à la traction et il se casse ; il peut
même se fracasser violemment (en particulier dans le cas de la diaphyse d’un os long).
Ce phénomène est un exemple de fracture à distance, survenant sans impact direct
de balle. Le même mécanisme intervient lors d’une fracture par traumatisme conton-
dant – toutefois, en ce cas, le transfert d’énergie qui déforme l’os vient de l’extérieur.
75
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Liens et démarcations
La manière plus ou moins étroite dont les tissus sont liés entre eux ainsi qu’avec les
structures à proximité (telles que des fascias d’épaisseur variable) a également une
incidence sur l’importance du dommage permanent que l’étirement par cavitation
laisse derrière lui. Si un côté d’une structure est fixe et que l’autre côté a une liberté
de mouvement, une force de cisaillement se développe entre eux. Les extensions
des fascias peuvent aussi servir de conduits pour la dissipation de l’énergie – voie de
moindre résistance – qui atteint des tissus plus éloignés.
Figures 3.26.1 et 3.26.2
Fondation Harold et Esther Edgerton, reproduction avec
Sur le plan clinique, ce phénomène peut créer des paradoxes apparents. Par
exemple, une balle lourde et lente peut causer une blessure plus grave dans un
tissu très élastique, tel que le parenchyme pulmonaire, qu’une balle plus légère,
plus rapide, ayant davantage d’énergie cinétique. Une balle plus lourde et plus
lente produit davantage d’écrasement (crush). Une balle plus rapide et plus légère
consomme plus d’énergie en créant la cavité temporaire, et ne laisse donc qu’un
petit dommage résiduel. Néanmoins, la balle plus rapide et plus légère cause
davantage de dommages dans des tissus moins élastiques (foie, cerveau), qui ne
tolèrent pas aussi bien un étirement.
76
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Dans une plaie des muscles du squelette, trois zones histologiques ont été décrites
(Figure 3.27)11.
Figure 3.27
Représentation schématique des changements
histopathologiques dans le canal de tir :
3.27.1 Canal de tir géométrique
d c ba d c b a
3.27.2 Phase de cavitation temporaire maximale
3.27.3 Tunnel lésionnel final
a. zone de tissus écrasés
b. zone de contusion
B. Kneubuehl
B. Kneubuehl
B. Kneubuehl
c. zone de commotion
Figure 3.27.1 Figure 3.27.2 Figure 3.27.3 d. tissus non affectés
Ces modifications histologiques sont plus graves en cas de transfert important d’éner-
gie cinétique – basculement ou déformation de la balle – et ne se modifient pas
beaucoup pendant 72 heures. Le dommage tissulaire est irrégulier le long du tunnel
lésionnel ; dans quelle mesure ce dommage est irréversible n’est pas immédiatement
apparent. Les conséquences pour la prise en charge de la blessure et la chirurgie
qu’elle requiert sont évidentes (voir le Chapitre 10).
La longueur du canal de tir dans le corps, l’existence d’un orifice de sortie et les carac-
téristiques des structures traversées sont autant de facteurs qui influencent l’impor-
tance de la blessure finale causée par une balle à haute énergie.
10 Fackler ML, Breteau DVM et al. Open wound drainage versus wound excision in treating the modern assault
rifle wound. Surgery 1989 ; 105 : 576 – 584.
11 Wang Z, Feng JX, Liu YQ. Pathomorphological observation of gunshot wounds. Acta Chir Scan 1982 ; 508 :
185 – 189.
77
LA CHIRURGIE DE GUERRE
40 cm
B. Kneubuehl
Petit orifice d’entrée Petits orifices de sortie
La partie du corps blessée peut ne pas être assez longue pour qu’une cavitation tem-
poraire puisse survenir. Les Figures 3.29.1 et 3.29.2 montrent de petits orifices d’entrée
et de sortie qui se trouvent le long du canal étroit de phase 1, accompagnés de peu de
dommage tissulaire.
Fracture
Entrée
Sortie
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 3.29.1 Figure 3.29.2
Petits orifice d’entrée et de sortie, plaie La radiographie montre une petite fracture en forme
transfixiante. de « poinçon », par perforation de l’acromion :
blessure du canal étroit de phase 1 seulement.
La plaie est de grande taille quand la sortie a lieu pendant la cavitation (Figures 3.30.1
à 3.30.3).
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
78
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Sortie
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Entrée
Figure 3.31.1 Figure 3.31.2
Orifices d’entrée et de sortie de petite taille mais La même blessure après excision et cicatrisation
avec de graves dommages entre les deux. partielle de la plaie.
Avec une balle d’arme de poing, les effets de la cavitation sont minimaux, et le tunnel
lésionnel final est presque entièrement dû à l’effet d’écrasement, quelle que soit la
longueur du canal de tir (Figures 3.32.1 et 3.32.2).
3
B. Kneubuehl
B. Kneubuehl
40 cm
Petit orifice d’entrée Petit orifice de sortie
Figure 3.32.1 Figure 3.32.2
Petits orifices d’entrée et de sortie d’une balle Blessure à la cuisse par balle d’arme de poing.
blindée d’arme de poing : démonstration dans
un bloc de savon.
Le cas des os
L’impact direct d’une balle sur un os varie selon l’endroit où il se produit dans le canal de
tir. Trois situations cliniques se présentent, correspondant aux trois phases du canal de tir.
Dans le premier cas, la balle stable de la phase 1 provoque une petite fracture en forme
de « poinçon », par perforation de l’os. Une petite cavitation se crée, puis l’os s’effondre
sur lui-même. Le diamètre du trou final est inférieur au calibre de la balle (Figure 3.29.2).
Dans le second cas, l’os est fracassé en de multiples fragments. En effet, il se produit
une plus grande libération d’énergie cinétique en raison de la surface d’impact plus
CICR
large de la balle lors de son basculement pendant la phase 2 (Figure 3.33). Chaque
Figure 3.33
fragment osseux crée son propre dommage local par écrasement et par lacération ;
Grave fracture comminutive du tibia.
le muscle est tailladé entre les fragments. Par la suite, la cavitation temporaire agit
sur ce muscle déchiqueté, dont la résistance à la traction est diminuée ; la cavité est
plus étendue et, finalement, le tunnel lésionnel résiduel est plus large. Les fragments
osseux restent toujours à l’intérieur de la cavité temporaire ; ils ne produisent pas une
nouvelle (deuxième) lésion en dehors de la cavité. Les morceaux de muscle déta-
chés et les fragments osseux restent à l’intérieur de la plaie finale, qui est générale-
ment très grave. Ces éléments ont évidemment une grande signification clinique par
rapport à l’intervention chirurgicale requise pour ces blessures.
Ricochet
R. Coupland / CICR
Comme cela a été vu dans les simulants de tissus humains, l’effet de ricochet d’une Impact
balle blindée crée une blessure qui ressemble à celle d’une balle demi-blindée
(balle Dum Dum) : il y a transfert précoce de l’énergie par écrasement et étirement
Figure 3.34
(Figure 3.34). Ce phénomène peut être important dans le cas d’un soldat portant un
La blessure provoquée par le ricochet d’une balle
gilet de protection balistique. Si le gilet est transpercé par une balle, la blessure peut blindée ressemble à celle d’une balle Dum Dum.
être plus grave que si la victime n’avait pas eu cette protection. La tête de l’humérus a littéralement explosé.
79
LA CHIRURGIE DE GUERRE
À noter :
Sur le plan clinique, une radiographie montrant une « pluie de plomb » devrait alerter
le chirurgien, qui doit s’attendre à de graves lésions résultant d’un important transfert
d’énergie cinétique (Figures 3.35, 4.5 et 10.5).
Figure 3.35
Fragmentation d’une balle : effet « pluie de
plomb ».
CICR
D’autres projectiles secondaires sont constitués par des objets auxquels la balle com-
munique suffisant de mouvement par le biais du transfert d’énergie cinétique. Ces
projectiles secondaires peuvent être soit des corps étrangers – boucle d’un ceinturon,
petite pierre, contenu métallique d’une poche, ou encore contenu d’un gilet pare-
éclats – soit des corps autologues tels que dents, plombages dentaires ou dentiers,
ou encore fragments osseux (un chirurgien du CICR a même trouvé un morceau de
mandibule fracassé qui s’était logé dans le cou du patient).
Cette onde de choc sonique possède une forte amplitude mais elle est de très courte
durée : très fugace, elle ne suffit donc pas pour déplacer ou blesser les tissus. Néan-
moins, les chercheurs ont relevé des changements microscopiques cellulaires de
même qu’une stimulation des nerfs périphériques, si la pression générée atteint un
certain seuil. La stimulation nerveuse survient immédiatement, alors que le dommage
cellulaire n’est apparent qu’au bout de six heures. Une neurapraxie occasionnelle, de
courte durée, semble être le seul dommage cliniquement significatif.
80
LES MÉCANISMES VULNÉRANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Par ailleurs, les vaisseaux sanguins contenus dans les tissus sont comprimés et vidés
de manière soudaine, sous l’effet de la compression des tissus. Cela crée, dans la
colonne de sang, une onde de pression hydraulique qui se propage en s’éloignant du
site de cavitation. Le résultat clinique peut être une thrombose ou une dissection de
l’intima ou de la muscularis.
Les fragments ne basculent pas dans les tissus, comme cela a été montré dans les
simulants tissulaires. En conséquence, la plupart des lésions tissulaires sont dues à un
écrasement et à une lacération. À la fin du trajet, les bords acérés d’un éclat de forme
irrégulière sectionnent les tissus. Une balle, au contraire, a tendance à écarter les
tissus à la fin de son trajet. Le profil de la blessure ressemble à un cône de destruction
de tissus (le diamètre le plus large se situant à l’entrée, étant donné que la plus grande
partie de l’énergie est transférée à la surface). Le diamètre de l’orifice d’entrée varie :
il peut être de 2 à 10 fois supérieur au calibre du fragment, en fonction de sa vitesse
d’impact, de sa masse et de sa forme (Figures 3.36.1 à 3.36.3).
R. Coupland / CICR
Entrée
40 cm
Figure 3.36.1
R. Coupland / CICR
Les éclats gros et lents pénètrent plus profondément et écrasent davantage les tissus ;
les petits fragments rapides provoquent davantage d’étirement en plus de l’écrase- Figures 3.36.2 et 3.36.3
ment. Cela signifie qu’un fragment lent de grande taille tend à causer le même type Blessure par éclat avec un orifice d’entrée plus
de blessure quels que soient les tissus, alors que les lésions dues à des fragments large que l’orifice de sortie.
rapides de petite taille varient en fonction de l’élasticité des tissus. Néanmoins, dans
toutes les plaies par éclats, l’étendue des lésions tissulaires excède toujours la dimen-
sion du fragment en cause.
81
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Pour décrire la distribution inégale des dommages tissulaires dans les zones de contu-
sion et de commotion, les expressions « par sauts » ou « en mosaïque » ont été utili-
sées12. Cela tient probablement au fait que l’énergie a été transférée à la fois le long
des fibres musculaires (effet d’écrasement) et à travers ces fibres (effet de cisaillement
et d’étirement).
Les tissus situés à l’intérieur et autour de la plaie subissent des changements patho-
logiques – réversibles et irréversibles – de même que des réactions inflammatoires.
Il peut être extrêmement difficile de diagnostiquer, parmi les tissus atteints, ceux
qui vont cicatriser et ceux qui ne sont plus viables et ne cicatriseront pas (voir le
Chapitre 10).
L’information la plus utile à tirer de cette présentation est la suivante : de petits pro-
jectiles peuvent causer tout autant des blessures légères et de petite taille que des
blessures graves et de grande taille ; un petit orifice d’entrée peut être associé à une
lésion interne étendue. Rien ne peut remplacer un bon examen clinique du patient
et de la plaie. L’ampleur de l’écrasement, de la lacération et de l’étirement est bien
représentée par les différents degrés de la classification Croix-Rouge des blessures de
guerre (voir le Chapitre 4).
Pour le patient, les effets vulnérants de l’arme en cause impliquent cependant bien
plus que l’anatomopathologie locale. Comme dans le cas de tous les traumatismes
et de beaucoup de maladies, l’état physiologique et psychologique de la victime doit
aussi être pris en compte. De jeunes militaires en bonne santé, dûment formés à leur
rôle en temps de guerre et mentalement préparés à être blessés, ainsi qu’à infliger
des blessures et à tuer autrui, ne sont pas dans le même état d’esprit que des civils.
L’état psychologique ne peut pas être calculé en se référant à la balistique. Seuls les
facteurs exposés ci-dessus peuvent expliquer un grand nombre d’anecdotes relatant
comment une personne blessée, parfois à plusieurs reprises, a été capable de pour-
suivre sa progression ou de continuer à combattre.
12 Wang ZG, Tang CG, Chen XY, Shi TZ. Early pathomorphologic characteristics of the wound track caused by
fragments. J Trauma 1988 ; 28 (1Suppl.) : S89 – S95.
82
3
83
84
Chapitre 4
LA CLASSIFICATION
CROIX-ROUGE
DES BLESSURES 4
DE GUERRE
85
LA CHIRURGIE DE GUERRE
4.6 Conclusions 95
86
LA CLASSIFICATION CROIX-ROUGE DES BLESSURES DE GUERRE
La gravité des blessures par armes résulte à la fois du degré de lésion tissulaire et des struc-
tures qui peuvent avoir été blessées. En conséquence, la gravité clinique d’une blessure
dépend de sa taille et de son site. Le système de notation et de classification des blessures
utilisé par le CICR1 est basé sur les caractéristiques de la blessure elle-même, et non pas sur
l’arme utilisée et la vitesse ou énergie cinétique présumée du projectile.
Tout système de classification des blessures aidera le chirurgien, s’il permet d’apprécier
la gravité des lésions, s’il a une influence sur la prise en charge et s’il permet de faire
un pronostic plus sûr. Il facilite en outre la constitution d’une base de données fiable,
pouvant être utilisée pour mener des études comparatives. Le système de classification
Croix-Rouge des blessures de guerre, présenté ici, remplit en bonne partie ces critères.
4
4.1.1 Normalisation de l’appréciation des blessures de guerre
et de la communication les concernant
Le calcul du « score » des blessures constitue un outil clinique fort utile pour rensei-
gner le personnel et les collègues sur la gravité d’une blessure sans avoir à enlever les
pansements. C’est aussi l’un des facteurs à prendre en considération lors des opéra-
tions de triage.
1 Ce chapitre est basé en grande partie sur la brochure Classification Croix-Rouge des plaies perforantes du
Dr Robin M. Coupland. Lors de l’atelier des chirurgiens cadres qui s’est tenu à Genève en 2002, le système
original d’attribution de « scores » aux blessures a été révisé (voir Introduction).
2 Tumeur, ganglion lymphatique, métastase.
87
LA CHIRURGIE DE GUERRE
sures de guerre. Il convient de relever que les informations recueillies sur le terrain ont
déjà servi de base scientifique, notamment dans le cadre de la campagne en vue de
l’interdiction des mines antipersonnel. Elles ont ainsi contribué à l’adoption de nou-
Figure 4.1 velles normes de droit international humanitaire.
La largeur de deux doigts équivaut
approximativement à la longueur d’une balle de
fusil militaire.
4.2 Principes de la classification Croix-Rouge
des blessures
M corps étranger métallique Des balles ou des fragments sont-ils visibles à la radiographie ?
M 0 = non
M 1 = oui, un corps étranger métallique est visible
M 2 = oui, de multiples corps étrangers métalliques sont visibles
R. Coupland / CICR
Tableau 4.1 Paramètres utilisés pour le score des blessures.
Figure 4.2.3
Blessure par arme à feu ; fracture F 1 (comminu-
tion sans grande importance clinique) du péroné.
88
LA CLASSIFICATION CROIX-ROUGE DES BLESSURES DE GUERRE
E (entrée) centimètres
X (sortie) centimètres
C (cavité) C 0, C 1
F (fracture) F 0, F 1, F 2
V (structure vitale) V 0, VN, VT, VA, VH
M (corps étrangers métalliques) M 0, M 1, M 2
Tableau 4.2 Score des blessures : tableau récapitulatif.
Les scores des blessures sont consignés sur la fiche d’admission du patient après
une intervention, ou après l’examen initial si le patient ne subit aucune intervention
chirurgicale.
EXPÉRIENCE DU CICR
Fiche d’admission utilisée dans les hôpitaux du CICR (le score des blessures y
est consigné).
89
LA CHIRURGIE DE GUERRE
4.2.1 Exemples
Les deux schémas ci-dessous (Figures 4.3 et 4.4) présentent diverses blessures par
projectiles ainsi que leur score selon le système du CICR.
Figure 4.3
Exemples de scores attribués aux blessures.
a. Trajet simple de la balle.
b. Trajet produit par une balle avec cavitation
temporaire à la sortie. a
c. Trajet simple atteignant une structure vitale
(artère). b
d. Transfert d’énergie faible provoquant une
fracture simple. c d
e. Plaie par fragment, avec transfert d’énergie
élevé, provoquant une fracture comminutive.
CICR
E X C F V M
Blessure (a) 1 ? 2 0 0 0 0
Blessure (b) 1 4 1 0 0 0
Blessure (c) 1 0 0 0 H 1
Blessure (d) 1 0 0 1 0 1
Blessure (e) 6 0 1 2 0 1
Figure 4.4
Autres exemples de scores attribués aux
blessures.
c
CICR
E X C F V M
Blessure (a) 1 ? 1 1 0 0 0
Blessure (b) 1 ? 1 1 2 0 0
Blessure (c) 1 6 1 2 0 2
90
LA CLASSIFICATION CROIX-ROUGE DES BLESSURES DE GUERRE
2. Dans le cas de blessures multiples, un score n’est attribué qu’aux deux plaies les
plus graves.
4. Quand un seul projectile cause deux blessures distinctes (par exemple, en traversant le
bras pour pénétrer ensuite dans le thorax), les deux scores sont reliés par une accolade.
5. Seules les blessures pénétrantes sont à prendre en compte ; ne pas inclure les
plaies superficielles tangentielles comme, par exemple, une plaie de 20 cm de
long et d’1 cm de large, mais sans pénétration profonde du fascia.
CICR
blessure admet deux doigts avant l’excision chirurgicale, il s’est sans doute
produit davantage qu’un simple écrasement provoqué par une balle se déplaçant Figure 4.5
perpendiculairement à son axe longitudinal : c’est-à-dire un étirement et une Balle fracturée et fragmentée : score M 2.
lacération par cavitation. Une blessure C1 risque fort de présenter d’importantes
lésions tissulaires, quelle qu’en soit la cause. 4
7. Gravité de la fracture : il est inévitable que certaines fractures se situent entre les scores
F1 et F2 ; pour simplifier, on renonce à une définition plus précise ici. Des distinctions
plus fines sont présentées dans le Volume 2 du présent ouvrage. Une blessure avec une
fracture comminutive du péroné mais avec un tibia intact constitue un exemple de
comminution insignifiante au point de vue clinique, c’est-à-dire F1 (Figure 4.2.3).
8. Une lésion est dite « vitale » quand la blessure met en jeu le pronostic vital
du patient et implique, en plus de la simple prise en charge de la plaie, une
intervention chirurgicale supplémentaire : craniotomie, drainage pleural ou
thoracotomie, ou laparotomie, par exemple. Le score VH inclut les vaisseaux
poplités et brachiaux, mais pas les vaisseaux plus distaux. L’issue des blessures à
la tête, au thorax ou à l’abdomen, ou de toute blessure causant une hémorragie
périphérique massive, est seulement en partie déterminée par la taille clinique des
blessures, telles que répertoriées dans la classification Croix-Rouge (voir ci-dessous).
9. Fragments métalliques : noter la différence entre une balle intacte (score M1) et
CICR
une balle fragmentée (M2), comme illustré par la Figure 4.5. Si la chemise d’une
balle blindée a été fracassée, laissant s’échapper le plomb contenu à l’intérieur Figure 4.6
sous forme de fragments, cela indique que la balle a subi un stress violent et qu’il Éclats d’obus multiples : score M 2.
y a eu un transfert élevé de l’énergie cinétique aux tissus (Figures 3.35 et 10.5).
Noter aussi la différence entre, d’une part, les multiples fragments métalliques prove-
nant d’une grenade ou d’un obus (Figure 4.6) – qui sont fréquents et ne représentent
pas nécessairement un transfert élevé d’énergie cinétique – et, d’autre part, une balle
fracturée et fragmentée qui, au contraire, produit un tel effet. Si les fragments métal-
liques sont nombreux, ne pas tenter de les compter, mais indiquer M = 2.
10. La classification Croix-Rouge reste applicable même s’il est impossible de faire des
radiographies. Dans ce cas, le score F est apprécié cliniquement ; le score M n’est pas
établi, sauf si des fragments sont trouvés au cours de l’excision chirurgicale. Il faut
K. Barrand / CICR
éviter de faire des radiographies dans le seul but de pouvoir établir les scores M et F !
11. Amputation traumatique d’un membre (Figure 4.7) : ce type de blessure est fréquent
parmi les victimes des mines antipersonnel à effet de souffle. L’extrémité ouverte du Figure 4.7
membre arraché correspond à la fois à un orifice d’entrée et à un orifice de sortie, dont le Amputation traumatique de l’avant-bras.
diamètre représente la somme des scores E et X. Elle équivaut à une cavité (C = 1), tandis E X C F V M
que la partie manquante, « vaporisée », du membre est notée comme une fracture grave 20 ? 1 2 0 0
(F = 2). Le niveau de l’amputation traumatique (au-dessus ou au-dessous du genou ou
du coude) détermine le score relatif aux structures vitales (V = 0 ou V = H).
91
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Une fois le score de la blessure calculé par la méthode expliquée dans la Section 4.2,
ci-dessus, son degré de gravité peut être défini à partir des scores E, X, C et F, et son
type peut être décrit à partir des scores F et V.
Degré 1
E + X est inférieur à 10 cm, avec des scores C 0 et F 0 ou F 1.
(Transfert d’énergie faible)
Degré 2
E + X est inférieur à 10 cm, avec des scores C 1 ou F 2.
(Transfert d’énergie élevé)
Degré 3
E + X est égal ou supérieur à 10 cm, avec des scores C 1 ou F 2.
(Transfert d’énergie massif )
Ces trois degrés de gravité représentent le résultat d’un simple bilan clinique, corres-
pondant au transfert effectif de l’énergie cinétique du projectile dans les tissus. Les
blessures de grande taille sont plus graves et mobilisent davantage de ressources ;
cela est particulièrement vrai des blessures aux membres.
Type TM
Lésions des tissus mous : scores F 0 et V 0.
Type F
Blessures avec fractures : scores F 1 ou F 2 et V 0.
Type V
Lésions de structures vitales, mettant en jeu la vie du patient : scores F 0 et V = N, T, A
ou H.
Type VF
Blessures avec fractures et touchant des structures vitales mettant la vie du patient
en danger ou risquant d’exiger une amputation : scores F 1 ou F 2 et V = N, T, A ou H.
Tableau 4.3 Catégories de blessures selon le type et la gravité.
92
LA CLASSIFICATION CROIX-ROUGE DES BLESSURES DE GUERRE
Le type de fracture peut être défini de manière plus détaillée, notamment pour
évaluer la perte de substance osseuse. De telles subdivisions peuvent être utiles dans
une étude spécialisée des blessures de guerre avec fractures (se reporter au Volume 2
du présent ouvrage).
En conséquence, le résultat des blessures à la tête, au thorax et à l’abdomen n’est pas uni-
quement, ni même principalement, déterminé par la taille de la blessure, telle que définie
par la classification Croix-Rouge. Les divers facteurs affectant la mortalité liée à des bles-
sures vitales (par exemple, dans le cas de l’abdomen, nombre d’organes blessés, degré
de contamination fécale, perte de sang en cours d’intervention, retard dans la prise en
charge chirurgicale, etc.) seront examinés dans le Volume 2 du présent ouvrage.
Néanmoins, comme expliqué dans le Chapitre 5, pour permettre une meilleure analyse
des résultats du traitement, une distinction devrait être faite, dans la base de données,
entre les blessures superficielles et les blessures pénétrantes à la tête, au thorax et à
l’abdomen. L’utilisation de la classification Croix-Rouge permet une telle différenciation.
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 4.8.1 Figure 4.8.2
Deux plaies par éclat à la cuisse. Le chirurgien Les deux plaies sont de type TM. La plus petite
évalue la plus grande cavité. est de degré 1, la plus grande de degré 2.
Fracture
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 4.9.1 Figure 4.9.2
Blessure transfixiante du genou par balle. Petite fracture au-dessus du condyle latéral.
R. Coupland / CICR
Figure 4.9.3
R. Coupland / CICR
Figure 4.9.4
La blessure est de type V(H)F, degré 1.
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
94
LA CLASSIFICATION CROIX-ROUGE DES BLESSURES DE GUERRE
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 4.11.2
Blessure de degré 2, type TM.
Figure 4.11.1
Une balle a effleuré la fesse gauche, avant de
pénétrer dans la fesse droite à la hauteur du
sillon inter-fessier. L’orifice de sortie est situé
latéralement.
4
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 4.12.1 Figure 4.12.2
Plaie crânio-cérébrale par éclat, avec orifice Le cône de destruction tissulaire s’étend
d’entrée dans l’os pariétal droit. Noter les graves jusqu’au lobe occipital. Degré 2, type V(N)F.
fractures linéaires.
4.6 Conclusions
95
96
Chapitre 5
L’ÉPIDÉMIOLOGIE
DES VICTIMES
DE GUERRE 5
97
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les études épidémiologiques sont une pratique courante en médecine. Les praticiens
doivent comprendre les caractéristiques de leur population de patients ainsi que le
rapport entre les circonstances particulières et l’issue du traitement. Ces éléments
aident à identifier les facteurs à haut risque.
S’agissant des victimes de guerre, l’ensemble des effets du conflit doit être analysé :
l’impact sur les populations civiles et sur les militaires, les effets directs dus aux bles-
sures de guerre, et les conséquences indirectes en termes de santé publique. Ces élé-
ments aident le CICR, comme d’autres organisations, à décider de leur intervention
dans le domaine de l’assistance (voir le Chapitre 2).
Tout d’abord, les répercussions d’un conflit armé sur la santé publique seront briève-
ment évoquées. Ensuite les aspects purement chirurgicaux seront abordés de façon
plus détaillée, en commençant par les questions de méthodologie et les définitions.
Elles seront suivies par une présentation de l’expérience, tant historique que propre 5
au CICR, et de ses résultats. Les conclusions cliniques pertinentes seront soulignées
tout au long du chapitre, de même que les problèmes de méthodologie récurrents.
Aux fins de cette présentation, les auteurs ne se réfèrent directement qu’à la seule
expérience du CICR en période de conflit armé et à l’importance des études épi-
démiologiques pour déterminer le type d’activités chirurgicales entreprises par le
CICR. Par ailleurs, référence sera faite aux statistiques, publiées dans divers ouvrages
scientifiques bien connus et articles de revues, relatives à différents conflits et qui
ont contribué à faire évoluer la pratique clinique (voir la Bibliographie).
G.W. Odling-Smee1
Le lourd tribut payé par les civils dans les guerres contemporaines ne constitue
donc pas un phénomène nouveau. Toutefois, dans certains conflits récents – guerres
révolutionnaires de libération nationale, guerres civiles, différends territoriaux et
frontaliers, ou encore jacqueries paysannes – la déstabilisation des infrastructures
1 Odling-Smee GW. Ibo civilian casualties in the Nigerian civil war. BMJ 1970 ; 2 : 592 – 596.
99
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Une approche de santé publique montre toute la gamme des impacts, sur le plan
humanitaire, de l’emploi des mines antipersonnel, en particulier pendant la période
2 Zwi A, Ugalde A. Towards an epidemiology of political violence in the third world. Soc Sci Med 1989 : 28 :
633 – 642. Cited in Lautze S, et al., 2004.
3 Tiré de Perrin P. Guerre et santé publique – Manuel pour l’aide aux prises de décisions, Genève, CICR, 1995.
100
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Les mines terrestres et autres munitions non explosées ne sont pas les seuls vestiges
militaires de guerre. Les combattants démobilisés, mais toujours armés, sont rarement
réintégrés avec succès dans la vie sociale et économique. La violence criminelle rem-
place la violence politique ; la paix combinée avec un taux élevé de criminalité offre
peu de répit au lendemain de la guerre. Enfin, les coûts sociaux et économiques conti-
nuent de jeter une ombre sur la vie quotidienne de la population.
Il importe aussi de tenir compte du coût social des violences délibérées d’ordre phy-
sique, psychologique et sexuel commises en tant que méthode de guerre. La torture
et le viol ont de lourdes conséquences et un impact à long terme sur la société.
Dans certains conflits, le fardeau des blessures de guerre est plus lourd que celui de
l’impact du conflit sur la santé publique. Il en a été ainsi, notamment, lors des guerres
en ex-Yougoslavie (1991 – 1999), au Liban (1975 – 1990) et au Rwanda (1994). Il
convient aussi de tenir compte du nombre relativement peu élevé d’habitants dans
certains pays : même si les pertes sont peu nombreuses, proportionnellement, le bilan
peut être lourd.
Le type de combat peut faire courir davantage de risques aux civils. Les blessés de
guerre sont parfois si nombreux que les services médicaux civils sont débordés ; cela
peut se produire même lorsque les effets sur la santé publique sont supérieurs aux
effets directs des traumatismes subis (Biafra 1967 – 1970, Uganda 1987, République
démocratique du Congo de 1997 à la date de rédaction du présent ouvrage).
Les statistiques de mortalité ne suffisent pas à refléter l’étendue et la gravité des bles-
sures de guerre. Les taux de morbidité et d’invalidité par suite de blessures témoi-
gnent des lourdes conséquences socio-économiques sur le long terme.
Récemment, néanmoins, des femmes sont apparues dans les rangs des combattants
de divers groupes révolutionnaires de guérilla.
Quand une population civile se trouve elle-même au cœur des combats, le profil
Figure 5.2
démographique des victimes est plus proche de sa pyramide démographique. Ce
Le nombre de personnes blessées et tuées par
phénomène a des conséquences cliniques pour le traitement des maladies endémi- traumatisme direct peut excéder, et de loin, les
ques et des pathologies chroniques parmi les blessés. effets sur la santé publique.
101
LA CHIRURGIE DE GUERRE
5.2.4 Méthodologie
Dans toute situation d’urgence complexe, caractérisée par le chaos et des conditions
accablantes, il est notoirement difficile d’assurer un monitoring de la santé publique
et de collecter des données dans ce domaine. Disparition de personnes, déplacement
de populations, contraintes de temps, manque d’accès aux populations et insécurité
ambiante, posent des problèmes considérables aux quelques membres du personnel
en mesure de mener des études fiables. De surcroît, pendant une guerre civile, la dis-
tinction entre civils et militaires n’est pas toujours évidente.
Le ratio de blessés et de malades militaires par rapport aux civils peut constituer une
information politique et militaire très sensible, facile à exploiter à des fins de propa-
gande par les divers protagonistes. Pour tenter d’éviter cela, quand les délégués du
CICR établissent que les civils sont expressément pris pour cible par les combattants,
l’institution mène auprès des autorités compétentes – par le biais de ses procédures
confidentielles traditionnelles – des démarches spécifiques au sujet de la conduite
des hostilités.
Ces dernières années, beaucoup d’auteurs ont parlé de l’impact que les conflits armés
et les situations d’urgence complexes peuvent avoir sur la santé publique. Le CICR
a publié son premier ouvrage de référence sur ce sujet, Guerre et Santé publique, en
1996 ; de plus, conjointement avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et un
certain nombre d’universités à travers le monde, le CICR organise chaque année une
douzaine de cours H.E.L.P.4 consacrés à la gestion de l’aide humanitaire.
Dans beaucoup de conflits, bien que ne possédant aucune expérience militaire anté-
rieure, les chirurgiens civils se trouvent fortement impliqués dans la prise en charge
des blessés de guerre. Or, les études épidémiologiques montrent clairement que les
blessures subies au combat diffèrent de celles qui se rencontrent dans la pratique
civile, notamment par une étiologie et une pathologie différentes, des blessures à
causes multiples, un retard dans l’accès aux soins et des conditions de travail difficiles,
qui demandent des philosophies de traitement différentes.
4 H.E.L.P. : Health Emergencies in Large Populations / Urgences sanitaires pour de grandes populations : cours de
santé publique pour la gestion de l’assistance humanitaire. (P. Perrin, Genève ; CICR : 1999.) Le lecteur souhaitant
se documenter davantage est invité à se référer aux publications figurant dans la Bibliographie.
102
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Divers indices ont été développés pour définir les divers types des blessures de guerre, qui
varient selon le caractère du conflit et la nature des armes utilisées. Certains indices sont
particulièrement significatifs : létalité des agents vulnérants ; distribution anatomique des
blessures ; temps écoulé entre la blessure et la prise en charge du patient ; enfin, taux de
mortalité préhospitalière et postopératoire. Une bonne connaissance de ces indices aide
à déceler les facteurs à haut risque qui ont une incidence sur l’issue du traitement chirur-
gical et permet aussi de déterminer l’ensemble des compétences spécialisées requises
(chirurgie orthopédique, vasculaire, viscérale, etc.). Les types de blessures ont aussi un
impact sur les activités de l’hôpital et sur la charge de travail chirurgical et ils influencent la
standardisation des protocoles de prise en charge des patients.
• La qualité des protocoles cliniques en vigueur doit être mise à l’épreuve : des
modifications sont à apporter si les résultats sont insatisfaisants ou imprévus.
Beaucoup de chirurgiens seront confrontés pour la première fois aux pathologies
de guerre, dans des conditions bien différentes de celles de leur cadre de travail
habituel. Parfois, c’est une application stricte et rigide des protocoles qui s’impose,
alors que dans d’autres circonstances, il faudra improviser et s’adapter.
• Le fonctionnement de la chaîne de prise en charge des blessés doit, lui aussi, être
mis à l’épreuve : les données recueillies, tant préhospitalières qu’hospitalières,
aident à évaluer l’efficacité des premiers soins prodigués sur le terrain et du système
d’évacuation. Les chirurgiens, civils ou militaires, peuvent être impliqués dans
Les professionnels de santé ont joué un rôle essentiel dans la collecte de données
épidémiologiques, basées sur des études cliniques afin d’élaborer l’argumentaire
humanitaire des campagnes qui ont abouti à l’interdiction de deux types d’armes : les
armes à laser aveuglantes et les mines antipersonnel6.
Sur le terrain, les délégations du CICR établies dans les zones de conflit armé veillent
au respect du DIH par les belligérants. C’est là un élément essentiel du mandat du
CICR qui est d’apporter protection et assistance aux victimes des conflits armés et de
promouvoir le respect du DIH. Les études épidémiologiques réalisées en milieu hos-
pitalier et préhospitalier peuvent contribuer à établir certaines infractions au DIH. Par
exemple, les statistiques de mortalité peuvent aider à élucider les cas où des prison-
niers de guerre déclarés morts au combat ont en réalité été exécutés. Le CICR entre-
prend ensuite, auprès de la partie en cause, une série de démarches confidentielles
visant à promouvoir le respect des normes humanitaires.
La plupart des publications sur ce thème sont des études rétrospectives de grande
ampleur, rédigées par des chirurgiens militaires de pays industrialisés ; certaines excep-
tions existent et sont citées dans la bibliographie figurant à la fin du présent ouvrage. La
plupart des chirurgiens n’ont guère reçu de formation en épidémiologie ou en métho-
dologie des statistiques, et les chirurgiens civils sont en général peu familiarisés avec
la terminologie militaire. C’est pourquoi, bien souvent, le chirurgien amené pour la
première fois à traiter des blessés de guerre qui souhaite se documenter sur ce thème
devra affronter un vocabulaire et une méthodologie qui le laisseront perplexe.
Différences et disparités
Outre les différences entre les traumatismes de la guerre et ceux de la vie civile, des
disparités existent entre, d’une part, l’expérience des interventions du CICR (et des
autres agences humanitaires) et des structures du ministère de la Santé publique et,
d’autre part, les services sanitaires des forces armées classiques. Le reste de ce chapi-
tre présente certaines de ces différences et disparités.
6 Respectivement : Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes de 1995 (Protocole IV à la Convention sur
l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme
produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, 1980) et Convention
sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur
destruction, 1997 (connue sous le nom de Convention d’Ottawa).
7 Burnham G, Lafta R, Doocy S, Roberts L. Mortality after the 2003 invasion of Iraq : a cross-sectional cluster sample
survey. Lancet 2006 ; 368 : 1421 – 1429 ; Dudley HAF, Knight RJ, McNeur JC, Rosengarten DS. Civilian battle
casualties in South Vietnam. Br J Surg 1968 ; 55 : 332 – 340.
104
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
R. M. Hardaway III 8
• Les dossiers des patients tenus à l’hôpital sont souvent incomplets ou contiennent
des erreurs administratives.
• L’accès aux soins médicaux pour les blessés – spécialement les civils ou les
combattants impliqués dans une guerre civile ou une guerre de guérilla menée par
des forces irrégulières – n’est pas toujours possible ou doit se faire « en secret ».
8 Hardaway RM III. Viet Nam Wound Analysis. J Trauma 1978 ; 18 : 635 – 643.
105
LA CHIRURGIE DE GUERRE
• Des patients peuvent parfois disparaître de l’hôpital avant la fin de leur traitement
parce qu’ils craignent pour leur sécurité personnelle.
• Les familles n’amènent pas toujours leurs morts à l’hôpital pour y faire enregistrer
leur décès.
Qui compte ?
Différents hôpitaux – qu’ils soient militaires, publics, ou gérés par des missions reli-
gieuses, des organisations non gouvernementales ou le CICR – ont tous des objec-
tifs, mandats et habitudes de travail. Ils collectent tous des données chiffrées, mais
souvent pour des motifs très différents, et pour établir des statistiques très différentes
(voir l’Annexe 5. A : La base de données chirurgicales du CICR).
Une armée conventionnelle bien organisée peut dire combien de ses soldats ont été
tués ou rendus invalides ; des pensions et des indemnités doivent être versées et, par
conséquent, les structures administratives nécessaires existent. En revanche, tant les
forces irrégulières impliquées dans une guérilla que les structures médicales civiles
sont incapables (à quelques rares exceptions près) de tenir de telles statistiques par-
faitement à jour.
Les blessés qui atteignent les hôpitaux – où la plupart des études sont faites – ne
sont qu’un « échantillon » de l’ensemble des victimes ; ils ne représentent pas toute la
réalité de la guerre.
Les études n’indiquent pas toujours clairement si toutes les blessures légères ou
superficielles sont exclues ou non des calculs. C’est l’évidence même : une lacération
du cuir chevelu diffère sensiblement d’une blessure crânio-cérébrale ouverte. Le
lecteur devrait noter que les blessures contondantes à la tête, au thorax et à l’abdo-
men ne sont pas toujours clairement différenciées des blessures pénétrantes. L’uti-
lisation de la classification Croix-Rouge des blessures de guerre permet une telle
distinction (voir le Chapitre 4).
Morts au combat Individus blessés au combat qui décèdent avant d’atteindre un centre de
soins. Comparable aux morts en l’état de la vie civile.
Blessés au combat Blessés qui survivent assez longtemps pour atteindre un centre de soins
5
où officie un médecin capable d’assurer le maintien des fonctions vitales,
dans un contexte préhospitalier ou hospitalier.
Décédés de leurs plaies Individus blessés au combat qui meurent plus tard des suites de leurs
blessures.
Retournés au service ou enregistrés Individus blessés au combat, mais non hospitalisés et retournés au service
uniquement à titre informatif actif dans les 72 heures. Peut inclure des patients enregistrés dans un
contexte préhospitalier : ils sont fichés uniquement à titre informatif et ne
sont pas évacués.
Mortalité hospitalière Blessés décédés après une intervention dans un établissement chirurgical.
Tableau 5.2 Définitions épidémiologiques normalisées utilisées par les forces armées des États-Unis10.
EXPÉRIENCE DU CICR
9 Carey ME. Learning from traditional combat mortality and morbidity data used in the evaluation of combat
medical care. Mil Med 1987 ; 152 : 6 –12.
10 Holcomb JB, Stansbury LG, Champion HR, Wade C, Bellamy RF. Understanding combat casualty care statistics.
J Trauma 2006 ; 60 : 397 – 401.
107
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Ces exemples en disent long sur la sociologie des soins médicaux en période de
conflit armé, ainsi que sur les effets sur les résultats statistiques. Lors de combats en
zone urbaine, tous les habitants civils qui sont blessés (même très superficiellement)
cherchent à recevoir un traitement médical et seront enregistrés en tant que blessés
de guerre. Tous se ruent à l’hôpital ! Bien des raisons expliquent qu’ils se présentent
dans un hôpital ou une clinique : sophistication médicale d’une population urbaine
habituée à recevoir des soins curatifs ; nécessité de se rassurer et de se sentir dans
un refuge « sûr » ; espoir, pour tous ces blessés, d’obtenir un jour une compensation
financière ; enfin, recherche d’un simple soutien psychologique par une population
civile traumatisée.
Dans les hôpitaux et les cliniques, le grand nombre de patients présentant des bles-
sures superficielles ne représente certes pas la totalité de la charge de travail chirur-
gical. Néanmoins, ils sont un immense fardeau pour les différents services – urgences
(triage et premiers secours) et soins infirmiers (pansements) – ainsi qu’en termes de
tâches non cliniques (administration, enregistrement, blanchisserie et cuisine). En de
telles circonstances, une analyse statistique est à la fois difficile et fastidieuse (comme
ce fut le cas à Monrovia) ou quasiment impossible (à Kisangani, notamment).
Pour les structures de santé civiles, le nombre total de « pertes » n’est qu’un
élément de mesure parmi d’autres du fardeau social et économique de la guerre,
et des conséquences humanitaires de la désorganisation de la société.
5. Ces divers indices de mortalité sont importants. Cependant, ils ne disent rien de
la gravité des blessures chez les survivants – morbidité et invalidités résiduelles
– ni de la charge de travail chirurgical, alors que ces éléments peuvent avoir, à
long terme, un effet bien plus lourd sur les populations civiles et les structures
sanitaires. Le nombre d’interventions par patient, le taux d’infection, le taux
d’amputation et la durée d’hospitalisation permettent de mieux définir la gravité
de l’état des blessés de guerre et d’évaluer la charge qu’ils constituent pour
l’hôpital. Les conséquences humanitaires de tels effets intéressent directement
le DIH.
108
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Tous les belligérants ne disposent pas des mêmes systèmes d’armes. Les armées
5
conventionnelles des pays industrialisés recourent aux bombardements aériens, à
l’artillerie, aux blindés ; leurs troupes d’infanterie sont souvent munies d’un équi-
pement de protection personnelle. Les armées conventionnelles des pays à bas
revenu tendent à s’appuyer essentiellement sur l’infanterie et l’artillerie. Dans les
zones rurales, les formations de la guérilla tendent des embuscades, et utilisent
des armes à feu individuelles et des mines terrestres ; dans les zones urbaines, les
guérillas ou miliciens mènent essentiellement des combats de rue, armés de fusils,
de lance-grenades (RPG) et, parfois, de mortiers de courte portée. Les systèmes
d’armes dont disposent les combattants peuvent aussi changer au cours d’une
même guerre.
Par « mines terrestres » on entend à la fois les mines antichar et antipersonnel (MAP) ;
habituellement, aucune différenciation n’est faite entre ces deux types d’engins. Les
mines antichar peuvent être l’agent vulnérant, mais le mécanisme du traumatisme
peut être de plusieurs types : effet de souffle, contondant, brûlure, ou fragment péné-
trant. Les mines antipersonnel peuvent être soit à effet de souffle, soit à fragmenta-
tion. La gravité de la blessure diffère selon le mécanisme et l’étiologie, mais elle ne
peut pas toujours être déterminée d’après les catégories utilisées dans une étude
donnée.
109
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La catégorie des « blessures par éclats » regroupe souvent les blessures dues aux obus,
aux bombes, aux grenades et aux mines antipersonnel. Les différences sont cependant
importantes en termes de traitement chirurgical. Souvent, les plaies superficielles, de
petite taille, causées par des éclats de grenade préformés ne nécessitent pas de chirurgie ;
il n’en va jamais ainsi des blessures causées par des fragments de mine antipersonnel (voir
le Chapitre 10). Le Tableau 5.3 donne une indication de la distribution des blessures selon
le projectile en cause (données collectées dans un certain nombre de conflits).
100% Figure 5.3
Des tactiques de combat différentes produi-
80% sent des distributions très différentes des
agents vulnérants.
60%
40%
20%
0%
Lokichokio, Kenya JFK Memorial Hospital, Khao-i-Dang, Thaïlande
Monrovia, Libéria
Pour leur part, les casques et les gilets de protection balistique les plus récents, couvrant le
thorax et le haut de l’abdomen, modifient l’exposition relative des régions anatomiques.
À l’exception des tirs ciblés du franc-tireur, les projectiles causent des blessures de
manière aléatoire. Traditionnellement, pour calculer l’exposition aux blessures lors
des combats, les pourcentages de surface corporelle qui servent à évaluer les brû-
lures sont pris pour base, mais ajustés en fonction des nécessités opérationnelles des
soldats (Tableau 5.5). Il convient de noter que l’exposition de la tête et des membres
est surreprésentée quand on la compare aux cas de brûlures.
citent que le site de la blessure la plus grave ; d’autres ajoutent une catégorie séparée
pour les « sites multiples ». Certaines études comptent les « blessures » et non pas les
« blessés », de sorte que le nombre des sites de blessure excède celui des patients.
Beaucoup d’études ne définissent pas clairement la méthode de comptage ; dans cer-
tains rapports, seuls les survivants sont pris en compte alors que d’autres donnent le
nombre total des pertes, incluant les « morts au combat » et « blessés au combat ». Là
encore, la méthodologie n’est pas toujours spécifiée.
La délimitation des régions anatomiques n’est pas non plus uniformisée. Différentes
études utilisent différentes définitions pour les régions anatomiques ; il n’existe aucune
définition standard universelle. Certaines ne mentionnent que le « torse » ; dans certai-
nes études, « la région pelvi-fessière » ne figure pas dans la catégorie « abdomen », alors
qu’elle y est incluse dans d’autres. Pour que les résultats soient véritablement exacts,
les catégories « tête », « visage » et « cou » devraient être clairement distinctes, mais c’est
rarement le cas. Or ces blessures présentent des problèmes cliniques – lésion cérébrale,
asphyxie, hémorragie – et des degrés de létalité très différents.
* Plaies aux fesses et au dos – qui sont toutes des blessures multiples par éclats – en tant que chiffre distinct.
** Plaies multiples.
Tableau 5.6 Répartition anatomique des blessures majeures ; certaines statistiques incluent à la fois
les morts et les survivants, d’autres incluent des blessures légères. Le nom de pays entre
parenthèses indique la source des informations (voir la Bibliographie).
112
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
En parcourant la littérature à ce sujet, le lecteur trouvera des chiffres très différents pour
une même guerre, en fonction de la source et de la méthodologie. Cela peut être frustrant.
Néanmoins, certaines approximations historiques sont présentées dans le Tableau 5.6. À
noter que les blessures aux membres prédominent, leur proportion variant entre 50 et 79 %.
Les blessures au bassin, aux fesses et au dos ainsi que les lésions des tissus mous sont
indiquées séparément. Par contre, il n’est pas fait de différence entre blessures à la
tête, au visage et au cou.
Tissus mous (des membres, notamment) 47 % Tissus mous (des membres, notamment) 56 %
Extrémités (fracture des os longs) 26 % Extrémités (fracture des os longs) 22 %
Abdomen 8% Abdomen 14,5 %
Thorax 4% Thorax 11 %
Cou 2% Visage & cou 6%
Visage 6% Tête 6%
Tête 2% Vaisseaux périphériques 6%
Multiples 5% Multiples 6%
Tableau 5.8 R épartition des blessures selon le Tableau 5.9 R épartition des blessures selon le site des
site des lésions tissulaires primaires lésions tissulaires primaires (hôpital militaire
(États-Unis)13. de campagne français à Sarajevo)14.
Statistiques du CICR
Dans les contextes où le CICR intervient, les évacuations sont souvent difficiles et
un grand nombre de blessés atteints de lésions mineures des tissus mous ne se pré-
sentent pas à l’hôpital : dans les statistiques des hôpitaux CICR, les lésions des tissus
mous représentent encore 36 % des blessures, les fractures des extrémités 46 % et les
blessures centrales représentant une menace vitale 20 %.
Divers autres rapports du CICR confirment ces résultats (Tableaux 5.10 et 5.11).15
Parties du corps Total Blessures par balle Blessures par éclats Blessures par mines
atteintes (N = 1 033) (N = 231) (N = 508) (N = 294)
Tissus mous 73 % 67 % 75 % 70 %
Os 39 % 52 % 20 % 63 %
Thorax 7% 7,5 % 9% 4%
Abdomen 11 % 10,5 % 14 % 7,5 %
Cerveau 2,5 % –% 5% 1%
Autre 4% 2,5 % 4% 4%
Tableau 5.11 L ésions tissulaires selon le type d’arme, hôpital du CICR à Khao-i-Dang 1984 – 198516.
Sur le plan clinique, le point important à noter pour les chirurgiens est la très lourde
charge de travail que représentent les lésions des tissus mous et orthopédiques.
Même pour les forces armées d’un pays industrialisé riche, procéder à une autopsie
formelle complète lors de chaque décès au combat est une pratique onéreuse qui, de
fait, est assez rare. Trois exemples de distribution anatomique de blessures mortelles
sont présentés dans le Tableau 5.12.171819
Tableau 5.12 Répartition anatomique des blessures mortelles.
15 Kjaergaard J. Les blessés de guerre de l’hôpital de campagne du CICR à Beyrouth en 1976. Schweiz Z Milit Med 1978; 55: 1 – 23.
battlefield casualties. Injury 1987 ; 18 : 96 – 99.
16 Trouwborst A, Weber BK, Dufour D. Medical statistics of battlefield
17 Garfield RM, Neugut AI. Epidemiologic analysis of warfare. JAMA 1991 ; 266 : 688 – 692.
18 Champion HR et al., 2003.
19 Gofrit ON, Kovalski N, Leibovici D, Shemer J, O’Hana A, Shapira SC. Accurate anatomical location of war injuries :
analysis of the Lebanon war fatal casualties and the proposition of new principles for the design of military
personal armour system. Injury 1996 ; 27 : 577 – 581.
114
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Comme on devait s’y attendre, les blessures centrales prédominent, en particulier les
blessures à la tête, au visage, au cou et au thorax.
Nombre
de décès Figure 5.4
Distribution trimodale des décès par
traumatisme.
Décès immédiats
5
Décès précoces Décès tardifs
En temps de guerre, outre les graves blessures à la tête et au torse (cœur, foie et princi-
paux vaisseaux sanguins), certaines victimes souffrent d’une désintégration physique
totale du corps ou sont carbonisées. Il est estimé que 70 % des décès surviennent
dans les 5 minutes, et que bien peu (ou même rien) ne peut être fait pour ces patients,
qui représentent environ 17 à 20 % des blessés graves.
En ce qui concerne les blessures de guerre, il existe trois causes majeures de décès
précoce :
• hémorragie continue, menant à l’exsanguination ;
• voies aériennes entravées en raison d’une plaie crânio-cérébrale pénétrante non létale ;
• respiration compromise en raison d’un pneumothorax sous tension.
Beaucoup de ces décès précoces peuvent être évités pendant l’« heure dorée », à
condition que des mesures adéquates de premiers secours sur le terrain soient mises
en œuvre en temps voulu.
Des mesures de premiers secours précoces et efficaces peuvent limiter les infections
et autres complications dans un contexte de conflit armé, où les plaies sont immé-
diatement souillées et contaminées. Des soins inadéquats augmentent la morbidité
(infections, invalidités) et la mortalité.
1. Blessures non secourables, subies par les « morts au combat », pour qui rien ne
peut être fait (entre 17 et 20 %) ;
EXPÉRIENCE DU CICR
Toutes les blessures pénétrantes à la tête ne sont pas graves au point d’être
incompatibles avec la vie. Néanmoins, en raison de soins préhospitaliers précaires
et d’évacuations longues et difficiles, un grand nombre de patients qui survivent
à ces blessures (« blessés au combat ») succombent plus tard (« décédés de leurs
plaies ») en raison d’un contrôle inadéquat des voies aériennes, entraînant une
asphyxie, ou des vomissements et l’aspiration du contenu gastrique.
De tels cas sont survenus au cours d’une guerre récente, en Afrique, impliquant
une armée conventionnelle. Un grand nombre de patients présentant des
traumatismes crânio-cérébraux curables ont été évacués par camion, couchés
à l’arrière, progressant sur des pistes poussiéreuses pendant trois jours. Dans
ces conditions, assurer la surveillance d’un patient après une intubation
endotrachéale était impossible.
21 Suljevic I, Surkovic I. Medical aspects of the mass-scale civilian casualties at Sarajevo Markale Market on
August 28, 1995 : triage, resuscitation, and treatment. Croat Med J 2002 ; 43 : 209 – 212.
116
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Vingt-trois personnes sont décédées immédiatement sur les lieux et dix autres étaient
mortes en l’état (79 % de décès ont donc constitué le premier pic). Cinq patients ont
succombé pendant la chirurgie (second pic, 12 %) et quatre autres une semaine plus
tard (troisième pic, 10 %), comme le montre la Figure 5.5. La distribution trimodale
des décès semble donc s’être confirmée.
Figure 5.5
Décès
Distribution trimodale des décès après les tirs de
60%
mortier sur le marché de Markale à Sarajevo.
50%
40%
30%
20%
10%
0%
0 1 heure 2 heures 2 - 6 heures 6 jours 7 jours 8 jours 9 jours
Délai écoulé depuis la blessure
En outre, dans les zones rurales reculées, où les évacuations sont difficiles, tant les
forces armées que les populations civiles sont susceptibles de connaître la distribu-
tion trimodale des décès, telle qu’initialement décrite. Dans de telles circonstances,
c’est la géographie qui détermine les chances de survie après une blessure grave.
5
5.7.3 Ratio entre nombre de morts et nombre de survivants
Beaucoup d’auteurs ont relevé que le ratio entre le nombre de morts et le nombre de
survivants dans les conflits modernes tendait à être d’environ 1 : 4 sur le long terme.
Cela correspond à notre taux de létalité minimum d’environ 20 à 25 %.
Beaucoup de facteurs peuvent fausser les résultats spécifiques dans certaines circons-
tances particulières, y compris :
• l’inclusion de blessures légères dans les calculs – le fameux problème de
méthodologie ;
• la situation tactique : noter le taux de mortalité de 40 % lors du tir de mortiers sur le
marché de Markale, ainsi que les brûlures dont sont victimes les équipages de chars
ou de navires, ou encore suite à une embuscade surprise bien « réussie » ;
• la létalité de systèmes d’armes en particulier (mines antipersonnel, napalm, etc.) ;
• tout retard dans l’évacuation médicale ; et
• l’exécution de prisonniers blessés, en violation des lois de la guerre.
Il est reconnu depuis longtemps que des systèmes d’armes différents ont une léta-
lité différente. En général, et si l’on prend en compte un grand nombre de pertes, les
pourcentages suivants apparaissent :
Des études de santé publique et des enquêtes du CICR ont été réalisées dans des pays
pauvres, tels que le Mozambique, la Somalie, le Cambodge, l’Afghanistan et l’Angola,
où les mines antipersonnel ont été largement utilisées dans des zones rurales, où le
système d’évacuation est peu organisé et où les structures chirurgicales sont limitées.
Ces études révèlent un taux de mortalité bien supérieur à 50 % dans les cas d’amputa-
tion traumatique par mine antipersonnel.
Dans ces études et dans ces chiffres de mortalité, il est difficile d’exclure les facteurs
non liés aux armes. Il convient de souligner que la létalité des armes inclut leur emploi
réel dans les conditions du terrain ainsi que la totalité de leurs effets sur les plans
socio-économique et humanitaire. Cet aspect est important au regard du DIH et, de
fait, il a constitué l’un des éléments importants qui ont incité les États à négocier en
1997 la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du
transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (Convention d’Ottawa).
1. Les blessures à la tête et au torse sont les plus létales ; elles sont la principale
cause de mortalité. La grande majorité des survivants présentent des blessures
aux membres, qui constituent la plus grand part du travail chirurgical et la
principale cause de morbidité.
4. Les décès dus à un traumatisme fermé à la tête sont relativement plus nombreux
dans un contexte civil de tous les jours que lors de conflits armés.
118
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
6. Les autres 20 % des décès par hémorragie sont dus au saignement des vaisseaux
sanguins périphériques, compressibles (50 % des blessures au cou et 50 % aux
membres). En conséquence, environ 10 % de tous les décès sont dus à une
hémorragie des membres.
7. Les taux de mortalité par suite de choc hémorragique sont plus élevés lors de
conflits armés qu’au quotidien dans un contexte civil en temps de paix.
8. Sur le plan médical, il n’y a pas grand-chose à faire pour la plupart des décès immédiats
sur le champ de bataille et, quel que soit le degré de sophistication des services de
santé, le pourcentage de « morts au combat » atteint toujours un certain seuil.
5
5.8 La létalité du contexte : retard de traitement
Pendant une grande partie de la Première Guerre mondiale, les évacuations ont
duré plusieurs jours, alors qu’elles n’ont pris en moyenne que 10,5 heures pendant
la Deuxième Guerre mondiale. L’utilisation d’hélicoptères par les forces armées
américaines a raccourci ce délai à 6,3 heures en Corée et à 2,8 heures au Viet Nam.
La durée du transfert des blessés israéliens pendant la guerre de 1982 au Liban a
été en moyenne de 2,3 heures. L’utilisation d’hélicoptères a radicalement modifié
l’évacuation et les soins préhospitaliers pour les forces armées des pays industriali-
sés ; toutefois, pour être véritablement efficace, elle exige une supériorité aérienne.
Bien qu’ayant également révolutionné les systèmes d’urgence dans la vie civile, ces
moyens d’évacuation sont rarement à disposition dans les pays à bas revenu.
Le déploiement par l’armée soviétique d’« équipes chirurgicales spéciales » dans des bases
avancées en Afghanistan a raccourci le temps pour atteindre une unité chirurgicale : 31 %
des blessés étaient en salle d’opération en l’espace d’une heure et 39 % en l’espace de deux
heures. Cumulativement, grâce à ce système, 92 % des blessés ont été pris en charge dans
les 6 heures. Ces chiffres sont à comparer à la moyenne générale pendant cette guerre
(avant et après la mise en place de ces équipes) : 88 % des blessés opérés dans les 12 heures.
Les troupes américaines en Afghanistan et en Irak ont aussi déployé sur le terrain
des « équipes chirurgicales avancées » (Forward Surgical Teams et Forward Resusci-
tative Surgery Suites) : les soins chirurgicaux sont habituellement prodigués entre
1 et 4 heures après la blessure. En Irak, des rapports préliminaires indiquent qu’en
moyenne, les militaires américains blessés ont été évacués vers une unité chirurgicale
avancée dans un délai d’une heure et demie.
5.8.3 Combats en zone urbaine : les hôpitaux sur les lignes de front
Lors de combats en zone urbaine, les affrontements peuvent avoir lieu littéralement devant
la porte de structures chirurgicales ; il est arrivé plus d’une fois qu’un patient soit blessé
devant l’entrée d’un hôpital. Lors de la guerre civile au Liban, pendant une grande partie des
affrontements à Beyrouth, le temps d’évacuation n’a été que de quelques minutes.
Des délais d’évacuation comparables ont été enregistrés par les équipes du CICR à
Kaboul en 1992 et à Monrovia, au Libéria, en 2003. Les équipes chirurgicales du CICR
et du Croissant-Rouge somalien travaillant à l’hôpital Keysaney, dans le nord de
Mogadiscio, ont également témoigné de délais d’évacuation aussi courts, de 1992
jusqu’à la date de rédaction du présent ouvrage.
Parmi les membres des forces armées américaines décédés pendant la Deuxième
Guerre mondiale ainsi qu’au Viet Nam, 88 % ont été tués au combat et 12 % ont suc-
combé à leurs blessures. Pour les conflits en Irak et en Afghanistan, les statistiques
sont, respectivement, de 77 et de 23 %23.
Ce même effet a été observé dans les taux de mortalité hospitalière enregistrés dans
des établissements du CICR (Tableaux 5.13 et 5.14).
Des temps d’évacuation plus longs font entrer en jeu le « triage naturel » : en cas d’évacua-
tion tardive, les blessés les plus gravement atteints meurent avant d’atteindre l’hôpital.
Forcément, le port d’un gilet de protection balistique et l’inclusion dans les chiffres de 5
plaies mineures ou superficielles, à la tête ou au tronc, sont des éléments qui faussent
la distribution anatomique des blessures et le ratio.
En conséquence, dans les études portant sur des guerres de guérilla et des opérations
anti-insurrectionnelles menées en terrain géographique difficile, les ratios indiqués
sont bien inférieurs : les patients les plus gravement atteints (blessures concernant
une zone critique) meurent avant d’être pris en charge (Tableau 5.15).
Conflit Ratio
Thaïlande (opérations anti-insurrectionnelles) 0,39
Érythrée (guerre d’indépendance) 0,26
Ouganda (guerre de guérilla) 0,21
Afghanistan (moudjahidin) 0,07
Sud-Soudan (guerre de guérilla / hôpital CICR à
0,33
Lokichokio)
Tableau 5.15 Ratio entre les blessures concernant des zones critiques et les blessures aux membres dans
divers conflits insurrectionnels25.
D’autres patients décèdent peu de temps après leur arrivée, ou « sur la table d’opé-
ration », lors d’une ultime tentative de leur sauver la vie. Avec un délai d’évacuation
légèrement plus long, beaucoup de ces patients auraient été « morts au combat » car
ils auraient succombé avant d’atteindre l’hôpital, comme mentionné plus haut. Néan-
moins, ils sont enregistrés en tant que « décédés de leurs plaies » et sont, eux aussi,
inclus dans les statistiques de mortalité hospitalière.
Le taux de mortalité postopératoire enregistré dans les hôpitaux du CICR varie : 2,2 %
à Quetta, 3,1 % à Peshawar, 4,2 % à Khao-i-Dang, 4,8 % à Kaboul, et 6,1 % lors de la
bataille de Monrovia, où les délais d’évacuation ont été extrêmement courts.
122
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
À des fins statistiques, on notera que la plupart des patients, s’ils sont convenable-
ment pris en charge, subissent deux opérations : le parage et la fermeture primaire
différée de la plaie. Cela s’explique par un certain nombre de facteurs :
• à la différence des militaires, le CICR ne dispose pas d’une série d’échelons de
traitement opératoire – toutes les interventions sont réalisées dans le même hôpital
(voir les Chapitres 1 et 6) ;
• il est rare que les chirurgiens du CICR réalisent des débridements en série planifiés
des plaies de guerre (voir le Chapitre 10) ;
• certains patients doivent subir une troisième opération (greffe cutanée) pour fermer
la plaie, voire davantage si une brûlure complique une blessure pénétrante (voir le
Chapitre 11) ;
• d’autres patients n’ont besoin que d’une seule intervention – craniotomie, drainage
thoracique ou laparotomie ; 5
• certains patients ne nécessitent aucune opération, s’ils ont été admis exclusivement
à des fins d’observation – blessés relevant de la catégorie de triage « en attente »,
paraplégiques, etc. (voir le Chapitre 9) ;
• les petites blessures superficielles sont souvent traitées de manière conservatrice
(pansements et antibiotiques), à l’exception de celles causées par les mines
antipersonnel (voir le Chapitre 10).
Tableau 5.17 Nombre d’interventions par patient (N = 16 172).
Pour simplifier, le nombre d’interventions est décrit de la manière suivante : deux ou Figure 5.6
moins ; trois ; quatre et plus (Figure 5.6). Nombre d’interventions par patient, schéma
simplifié (N = 16 172).
123
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les deux tiers de tous les patients figurant dans la base de données du CICR ont subi
deux opérations ou moins de deux, ce qui indique un minimum de morbidité et une
bonne prise en charge chirurgicale. Un certain nombre de facteurs influencent cette
charge de travail : délai d’évacuation, gravité de la blessure, type de blessure et méca-
nisme du traumatisme. Une brève analyse de certains de ces facteurs est présentée
dans les sections ci-dessous.
≤2 opérations Ces chiffres sont confirmés par un examen de la base de données tout entière
(84%)
(Tableau 5.19).
Figure 5.7.1
Nombre d’interventions par patient pour des Délai d’évacuation N = 16 172 ≤ 2 ops 3 ops ≥ 4 ops
blessures de degré de gravité 1 (N = 6 729). < 6 heures 2 409 81 % 9% 10 %
6 – 24 heures 3 727 70 % 13 % 17 %
24 – 72 heures 2 785 69 % 13 % 17 %
> 72 heures 7 251 71 % 12 % 17 %
≥ 4 opérations Tableau 5.19 Nombre d’opérations par patient, en fonction du délai d’évacuation (concerne tous les
(23%)
hôpitaux du CICR, période 1990 – 1999).
Figure 5.7.2
5.10.4 Nombre d’interventions en fonction de la gravité de la blessure
Nombre d’interventions par patient pour des
blessures de degré de gravité 2 (N = 5 974). Les blessures de guerre sont classées selon trois degrés de gravité croissante, conformé-
ment à la classification Croix-Rouge des blessures de guerre (voir le Chapitre 4). La distri-
bution dans la base de données chirurgicales du CICR se présente de la manière suivante.
• Degré 1 : 42 %.
≤2 opérations • Degré 2 : 37 %.
≥ 4 opérations (40%)
(41%)
• Degré 3 : 21 %.
124
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Une nette différence apparaît donc dans le nombre d’opérations nécessaires pour
chaque patient en fonction du degré de gravité de la blessure selon la classification
Croix-Rouge des blessures de guerre. De toute évidence, la charge de travail chirurgi-
cal est influencée par la gravité de la blessure et la classification Croix-Rouge permet
de déterminer cette gravité.
Degré 2 N = 5 974
< 6 heures 788 77 % 11 % 12 %
6 – 24 heures 1 186 62 % 16 % 22 %
24 – 72 heures 1 110 58 % 17 % 25 %
> 72 heures 2 890 56 % 18 % 26 %
5
Degré 3 N = 3 469
< 6 heures 497 47 % 17 % 35 %
6 – 24 heures 847 37 % 19 % 44 %
24 – 72 heures 493 39 % 19 % 42 %
> 72 heures 1 632 40 % 20 % 40 %
Tableau 5.21 Nombre d’opérations par patient, en fonction du degré de gravité (selon la classification Croix-
Rouge) et du délai écoulé depuis la blessure.
Il semble donc que la classification Croix-Rouge représente mieux la morbidité et la
charge de travail du service de chirurgie que le seul délai d’évacuation sur un hôpital ;
toutefois, la combinaison de ces deux indicateurs est encore plus révélatrice. Les bles-
sures de degré 3 sont généralement très graves : le temps que prend l’évacuation ne
paraît donc pas induire une différence importante. Tout simplement parce que beau-
coup de ces patients succombent à leurs blessures avant d’atteindre l’hôpital.
Aucune distinction n’est faite dans la base de données du CICR entre mines anti-
personnel, mines antichar et munitions non explosées. En outre, certaines blessu-
res classifiées comme étant causées par des fragments peuvent fort bien être dues
à la fragmentation de mines antipersonnel. Le personnel de l’hôpital ne peut se fier
qu’aux dires du patient et, naturellement, beaucoup de patients ignorent les différen-
ces entres divers systèmes d’armes ; ils ne parlent que de « bombes » ou de « fusils ».
Tableau 5.22 Nombre d’opérations par patient en fonction de l’arme vulnérante.
125
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Il est évident que les blessures par mine impliquent une plus grande charge de
travail et une morbidité plus élevée que les blessures par arme à feu ou par éclats
(Tableau 5.22 et Figure 5.8).
Figure 5.8 80%
Nombre d’interventions par patient en fonction 70%
de l’arme vulnérante (schéma simplifié).
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Mines Arme à feu Éclats
≤ 2 opérations 3 opérations ≥ 4 opérations
Bien que la létalité des armes soit un facteur important, il convient de prendre en
compte l’ensemble des effets : charge de travail chirurgical, morbidité et souffrances,
ainsi que les conséquences socio-économiques. Ce n’est pas pour rien qu’au fil des
décennies, plusieurs traités internationaux sont venus successivement proscrire les
gaz toxiques, les armes bactériologiques, les armes à laser aveuglantes, les mines
antipersonnel et les bombes à sous-munitions.
1. Pour la population civile d’un pays pauvre les effets de la guerre, en termes de
santé publique, sont souvent plus graves que les effets des traumatismes directs.
Dans certains conflits, le fardeau des blessures de guerre est plus lourd et la
morbidité post-traumatique peut avoir des effets plus durables que la mortalité.
C’est particulièrement vrai des situations post-conflit où l’environnement est
gravement contaminé par les mines antipersonnel dont les répercussions socio-
économiques se font sentir pendant bien des années.
3. Dans un contexte civil, et plus particulièrement dans un pays pauvre, la phase des
soins préhospitaliers est celle qui devrait être améliorée en priorité. Beaucoup
peut être fait pour prévenir les décès et réduire la morbidité en assurant de
manière précoce et efficace les premiers secours et le maintien des fonctions
vitales.
126
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
5. Les blessures à la tête et au torse sont celles qui engagent le plus souvent le
pronostic vital. Les lésions des tissus mous et aux membres constituent la plus
grande partie du travail chirurgical.
6. Les blessures par balle ont des conséquences plus lourdes que les plaies par
éclats. Ce sont toutefois les brûlures et les blessures par mine antipersonnel qui
représentent la plus lourde charge de travail et la morbidité la plus élevée.
127
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le CICR a créé un registre centralisé des traumatismes avec une base de données sur
les blessures de guerre en 1990, destiné à donner à l’organisation une indication de la
charge de travail chirurgical de ses hôpitaux indépendants (c’est-à-dire des hôpitaux
mis en place et gérés par le CICR).
Tous les blessés de guerre pris en charge dans un hôpital du CICR sont enregistrés : un
formulaire est rempli au moment de leur départ ou de leur décès. À noter qu’il n’est
pas demandé aux patients s’ils sont combattants ou civils.
Les données suivantes sont enregistrées pour chaque patient : âge et sexe, cause et
site anatomique de la blessure, temps écoulé entre la blessure et l’admission à l’hô-
pital. Les blessures par projectile (plaies pénétrantes) sont classifiées selon la classifi-
cation Croix-Rouge décrite dans le Chapitre 4. L’accent est mis sur la charge de travail
chirurgical, telle que définie par la gravité des blessures, le nombre d’interventions par
patient, le nombre de transfusions sanguines requises et la durée de l’hospitalisation.
Ces hôpitaux indépendants du CICR ont soigné les victimes de conflits armés carac-
térisés par des types de combats très différents. Au 31 décembre 2007, la base de
données contenait des enregistrements concernant 32 285 patients blessés de
guerre. Tous les dossiers ne sont cependant pas complets.
Les conflits mentionnés ci-dessus étaient tous de nature différente. Le temps écoulé
entre la blessure et son traitement a souvent atteint des extrêmes : de quelques
minutes à plusieurs semaines. En raison des difficultés logistiques et des grandes
distances à parcourir, le CICR a rarement pu organiser l’évacuation des victimes de
manière efficace et en temps voulu. Des exceptions notables ont été constituées
grâce aux postes de premiers secours mis en place en Afghanistan, à proximité de la
frontière avec le Pakistan et aux alentours de Kaboul. Le programme d’évacuations
médicales par voie aérienne pour le Sud-Soudan, coordonné avec les Nations Unies
(Operation Lifeline Sudan), a permis de transférer plus de 20 000 patients jusqu’à
l’hôpital du CICR à Lokichokio, dans le nord du Kenya ; néanmoins, les distances et
les retards dans le signalement des patients ont rarement permis que l’évacuation se
fasse en temps voulu.
128
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Le CICR a mis en place d’autres hôpitaux et ses équipes chirurgicales ont aussi travaillé
dans des hôpitaux publics locaux : en ce cas, cependant, leurs patients ne sont pas
inclus dans la base de données chirurgicales du CICR. Outre cette base de données,
les autres sources majeures d’informations sont notamment l’hôpital Keysaney à
Mogadiscio, géré par le Croissant-Rouge somalien (de 1992 à aujourd’hui) et le JFK
Memorial Hospital à Monrovia, Libéria (2001 à 2004), administré conjointement par le
CICR et le Conseil des Gouverneurs de l’hôpital.
Néanmoins, les statistiques du CICR sont citées tout au long du présent manuel afin
d’illustrer une expérience non militaire acquise dans différentes zones de combat,
pour donner une idée de ce que peut être la réalité du champ de bataille, surtout
pour les populations qui ne prennent pas part aux combats.
5
129
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les catégories suivantes peuvent être enregistrées dans une base de données électro-
nique (Approach ®) ; ou dans les colonnes d’un simple tableur (Excel ®, par exemple),
les patients étant enregistrés dans les lignes. Des enseignements ont été tirés des
insuffisances apparues dans la base de données chirurgicales du CICR. La présente
version a été modifiée en conséquence.
Données administratives :
• hôpital (si la base de données contient des informations sur des patients traités
dans plusieurs hôpitaux)
• date d’admission
• date de sortie
• âge
• sexe
• semaines
Arme vulnérante :
• arme à feu
• mine antipersonnel
• mine antichar
Mécanisme du traumatisme :
• balle
• éclats
• contondant
• brûlure
À noter :
Une bombe, un obus d’artillerie ou une mine antichar peuvent projeter des éclats
pénétrants et causer des blessures par effet de souffle ou de brûlure ; de plus, en
détruisant un véhicule ou un bâtiment, leurs explosions peuvent aussi provoquer des
traumatismes contondants. En ce cas, une seule arme est notée, mais plusieurs méca-
nismes de blessure sont enregistrés. Il en va de même pour les mines antipersonnel.
130
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DES VICTIMES DE GUERRE
Données cliniques :
• nombre d’interventions
• nombre d’anesthésies
Données anatomiques :
• tête
• visage : maxillo-facial
• cou
• thorax
• abdomen
• bassin, fesses
Classification Croix-Rouge :
Ces informations devraient être relevées pour les deux blessures les plus importantes,
éventuellement davantage. La première blessure (1) devrait correspondre à la pre-
mière région anatomique, la deuxième blessure (2) à la deuxième région anatomique,
etc.
• Blessure 1 : Entrée
• Blessure 1 : Sortie
• Blessure 1 : Cavité
• Blessure 1 : Fracture
• Blessure 1 : Degré
• Blessure 1 : Type
• Blessure 2 : Entrée
• Blessure 2 : Sortie
• Blessure 2 : Cavité
• Blessure 2 : Fracture
131
LA CHIRURGIE DE GUERRE
• Blessure 2 : Degré
• Blessure 2 : Type
Opérations importantes :
• craniotomie
• thoracotomie
• drainage thoracique
• laparotomie
Commentaires :
132
5
133
134
Chapitre 6
LA CHAÎNE
DE PRISE EN CHARGE
DES BLESSÉS
6
135
LA CHIRURGIE DE GUERRE
ANNEXE 6. A Évaluation initiale d’un hôpital accueillant des blessés de guerre 146
ANNEXE 6. C Intervention humanitaire en faveur des blessés et des malades : contextes typiques 154
136
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
Les conflits armés d’aujourd’hui sont menés sous plusieurs formes : guerre classique
entre forces armées conventionnelles, combats urbains entre milices, ou attaques
isolées et sporadiques, mais violentes, perpétrées par la guérilla dans des zones rurales
reculées. Le conflit peut être généralisé ou prendre la forme d’affrontements armés
périodiques et irréguliers, de faible intensité, ou d’actes de terrorisme individuel. Bien
souvent, les civils constituent la majorité des victimes (voir le Chapitre 5). Sur le terrain,
les situations varient considérablement mais les problèmes médicaux sont partout
pareils. Un système doit être mis au point et adapté afin de pouvoir prodiguer en temps
voulu les meilleurs soins possibles aux blessés, en toutes circonstances.
Les blessés sont transférés d’un maillon à l’autre de la chaîne de prise en charge, qui
commence par des procédures simples, visant à préserver la vie et éviter les ampu-
tations (« sauver la vie, sauver le membre »), puis progresse vers des niveaux de
sophistication supérieurs. Le principe des « échelons de soins » prévu dans un système
militaire a été décrit dans le Chapitre 1. Dans la pratique civile aussi, les patients
tendent à suivre une chaîne d’évacuation et de traitement. Toutefois, dans beaucoup
de pays, cette chaîne n’est pas très efficace.
Les blessés et les malades ont le droit d’être soignés et d’avoir accès aux soins médi-
caux que nécessite leur état. Les emblèmes de la croix rouge, du croissant rouge et
du cristal rouge symbolisent la protection juridique octroyée par le DIH aux blessés
et aux malades, ainsi qu’au personnel médical, auquel incombe le droit et l’obligation
de leur prodiguer des soins. Dans la réalité, le niveau de protection effective de ces
emblèmes dépend de la formation et du degré de discipline des forces combattantes,
et de la manière dont elles se conforment aux règles de comportement sur le champ
de bataille, reconnues sur le plan international et énoncées dans les Conventions de
Genève et leurs Protocoles additionnels. La protection conférée par le DIH commence
par l’intervention des secouristes sur le terrain et couvre tous les échelons des soins.
Des mesures spéciales doivent être prises pour éviter toute nouvelle blessure aux vic-
times et pour les protéger contre les éléments (voir le Chapitre 7).
137
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les premiers soins peuvent être prodigués sur place par le blessé lui-même, par un
camarade, ou encore par un soldat sanitaire de section ou un secouriste. Les premiers
secours commencent sur les lieux même de la blessure, mais peuvent ensuite être dis-
pensés n’importe où, tout au long de la ligne d’évacuation et jusqu’au lieu du traite-
ment définitif. Ils constituent le seul traitement possible sur le champ de bataille.
La mise en place d’un point de rassemblement ou d’une station de triage des blessés
peut être une réaction spontanée. Autrement, un poste de premiers secours déjà
établi, un dispensaire ou un centre de santé primaire peuvent être utilisés à cette
fin. Certains postes de premiers secours verront leur personnel composé de bran-
cardiers et d’auxiliaires médicaux militaires, d’autres auront un effectif composé de
volontaires Croix-Rouge/Croissant-Rouge ou d’autres catégories de personnels civils.
Plus le champ de bataille est proche, plus le rôle des services de santé de l’armée est
important. Dans les contextes ruraux purement civils, les agents de santé commu-
nautaires, les infirmiers ou les assistants médicaux sont souvent les seuls profession-
nels de santé disponibles sur les lieux. Rassembler les blessés dans un lieu spécifique
permet de bien organiser leur premier triage et d’assurer leur évacuation efficace.
Outre les premiers secours de base et le maintien des fonctions vitales, les mesures de
réanimation peuvent débuter dans ces points de rassemblement.
138
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
Les niveaux de compétence des hôpitaux, varient d’un pays à l’autre et d’une région
géographique à l’autre, mais ils correspondent à trois catégories de base.
M. Bleich / CICR
formé, en particulier – ne travaille à plein temps, constituent des exemples typiques.
Ces établissements ont habituellement comme personnel des médecins généralistes
ou des assistants médicaux ayant reçu une petite formation en chirurgie, et disposant Figure 6.4
d’un minimum d’équipement chirurgical approprié. Les hôpitaux proches de la ligne Hoptial de campagne du CICR, Lokichokio, Kenya.
de front et dotés de « chirurgiens de terrain1 », qui existent dans les services de santé
militaire de certains pays, sont l’équivalent de ces hôpitaux ruraux civils. La réanima-
tion de base et certaines opérations simples, mais d’importance vitale, peuvent être
réalisées à cet échelon.
1 Chirurgien de terrain : médecin généraliste ou infirmier expérimenté qui a acquis une grande expérience
chirurgicale « sur le tas » ; présent surtout en Afrique ou dans les rangs de mouvements révolutionnaires où la
formation universitaire n’est pas disponible.
139
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Organisation/ Organisation/
Infrastructures Administration Infrastructures
Administration
Équipement Équipement
Expertise Expertise
Fournitures Fournitures
Finances Finances
Figure 6.5 Figure 6.6
Évaluation initiale d’un hôpital chirurgical accueillant des blessés de Résultats de l’état des lieux d’un hôpital typique dans un pays à bas revenu
guerre. et désorganisé par la guerre.
Les schémas ci-dessus montrent les divers facteurs affectant le fonctionnement d’un
hôpital, qui doit gérer le fardeau supplémentaire que représentent les blessés de
guerre en plus des difficultés inhérentes à un système de santé affaibli : les zones de
dysfonctionnement apparaissent clairement. À cela s’ajoute la présence, parmi les vic-
times, de proches ou d’amis du personnel soignant qui est une source de stress sup-
T. Gassmann / CICR
Figure 6.7.1
6.3 Transport
Volontaires d’une Société nationale installant un
patient dans une barque.
Un moyen de transport, quel qu’il soit, assure la liaison entre les différents maillons
de la chaîne de prise en charge des blessés. Déplacer un patient a cependant un
prix. Tout transport est un traumatisme en lui-même et utilise des ressources supplé-
mentaires. Il implique des risques liés à la sécurité (on parle de « mortalité du voyage
en ambulance ») et aussi bien le patient que les secouristes risquent même d’être
exposés à l’activité militaire. Ces « coûts additionnels » sont à mettre en balance avec
L. Petridis / CICR
La circulation des informations entre les différents niveaux est assurée par divers
moyens de télécommunication – radio et téléphones mobiles – ou, à défaut, par
d’autres moyens (messagers à pied, par exemple). Les réseaux de téléphonie mobile
ont la fâcheuse tendance à s’arrêter de fonctionner – à être « coupés » – en temps de
crise ou de conflit armé. L’efficacité du commandement et des systèmes de communi-
cation dépend du strict respect des procédures établies.
140
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
1. Sécurité (essentiel).
4. Fournitures (appropriées).
Pour exploiter ces possibilités, il faudra que les conditions définies ci-dessus soient
remplies, en particulier la sécurité et l’expertise. L’infrastructure, l’équipement et les
fournitures doivent tous répondre à des exigences minimales et être appropriés aux
tâches à accomplir dans les circonstances qui prévalent.
Les facteurs mentionnés ci-dessus conditionnent le choix des mesures à prendre pour
soigner des blessés hors du contexte hospitalier ; ces mesures varient donc d’un pays
à l’autre et même d’une région à l’autre à l’intérieur d’un même pays.
141
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Comme mentionné dans le Chapitre 1, il existe plusieurs types de chirurgie pour les
blessés de guerre. Le nombre exact d’échelons et le trajet suivi par les victimes sont
déterminés de cas en cas, en fonction du degré de sophistication des soins et de la
logistique à disposition. Dans certaines armées ou dans certains pays, l’organisa-
tion peut être si efficace qu’un soldat blessé peut s’attendre à recevoir un traitement
presque aussi sophistiqué que celui dont il aurait bénéficié en temps de paix.
Dans les pays en développement, cependant, il arrive que le système de soins de santé
soit déjà défaillant avant le conflit, ou qu’il cesse quasiment de fonctionner à cause du
conflit. L’approvisionnement en eau et en électricité n’est pas forcément fiable ; souvent,
le personnel formé fuit la région ; les médicaments et le matériel à usage unique ne
peuvent pas être remplacés ; les budgets et les salaires ne sont pas versés, et les bâti-
ments sont détruits. Tout cela affecte gravement la qualité des soins hospitaliers.
2 Dans les conflits armés, en vertu du droit international humanitaire, les civils sont autorisés à recueillir et à soigner les
blessés et les malades, quelle que soit leur nationalité, et ils ne seront pas sanctionnés pour avoir agi ainsi. Au contraire,
les civils doivent être aidés dans cette tâche. En outre, le DIH prescrit que la population civile doit respecter les blessés et
les malades, même s’ils appartiennent à l’ennemi, et qu’elle ne doit commettre aucun acte de violence à leur encontre.
142
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
Les techniques, elles aussi, diffèrent selon le contexte. Dans un contexte militaire, un
équilibre existe entre les besoins des soldats blessés et les nécessités du combat. Cer-
taines armées enseignent à leurs soldats comment poser un garrot sur eux-mêmes afin
de leur permettre, pense-t-on, de continuer de participer aux combats. Cette logique ne
s’applique pas aux institutions civiles et, de fait, le manuel de premiers secours du CICR3
proscrit l’utilisation d’un garrot sur le terrain, sauf en de très rares circonstances.
V. Louis / CICR
Chaque pays devrait disposer d’un « plan-catastrophe ». Un des volets de la prépa-
ration aux situations d’urgence est la capacité de répondre aussi bien aux situations
Figure 6.8
de conflit armé ou de troubles internes qu’aux catastrophes naturelles. C’est là une
Équipe chirurgicale de terrain du CICR au
procédure normale pour la plupart des forces armées. Habituellement, le ministère Darfour.
de la Santé publique et la Société nationale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge
possèdent eux aussi un plan-catastrophe (qui devrait être intégré dans le programme
national de préparation aux situations d’urgence).
Les personnes appelées à relever les défis posés par un conflit armé doivent savoir
comment mettre en place une chaîne de prise en charge des blessés. Seules une
planification et une formation adéquates permettent d’obtenir la meilleure issue
possible pour les blessés. Les plans doivent être réalistes, flexibles et régulièrement
réexaminés. Si un pays devait être surpris lors de l’éclatement des hostilités, sans
aucun plan préétabli, le processus de planification devrait être accéléré et l’analyse
nécessaire devrait avoir lieu immédiatement.
Tous les plans commencent par une évaluation stratégique des scénarios de conflit pos-
sibles. Que pourrait-il se passer, et où ? Quels sont les besoins à prévoir ? Quelles res-
sources existent ? (voir l’Annexe 6. B : Évaluation stratégique d’un scénario de conflit).
L’analyse des résultats de l’évaluation permet ensuite de définir ce qui devrait être fait,
où et par qui, pour améliorer les soins à prodiguer aux blessés.
3 Giannou C, Bernes E. Les premiers secours dans le contexte d’un conflit armé ou d’autres situations de violence.
CICR : Genève ; 2006. Version française, 2008.
143
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les délégués du CICR sont souvent appelés à aider à organiser une chaîne de prise en
charge des blessés. Parfois, il s’agit d’apporter un soutien à des structures existantes,
gouvernementales ou non gouvernementales. Parfois le CICR se voit obligé, ou prié,
de mettre en place ses propres hôpitaux, gérés de manière indépendante, notam-
ment pour assurer la protection des patients ou de la mission médicale, ou en raison
de graves pénuries de ressources humaines locales.
Dans les deux cas de figure évoqués – soutien aux structures nationales ou établis-
sement d’un hôpital du CICR –, un certain nombre de facteurs doivent être pris en
compte pour assurer d’une part la neutralité et l’indépendance des activités du CICR
et, d’autre part, la qualité et le professionnalisme des soins (la même logique étant
d’ailleurs adoptée par les autres organisations humanitaires). Ces éléments sont
résumés dans la pyramide (Figure 6.9) et la check-list (Section 6.7.1) ci-dessous.
Figure 6.9
La pyramide chirurgicale du CICR.
Chirurgie
l
ne
r s on é et l
Ex
pe Pe atri loca
p l
rti
se ex nne
rso s e
p e , lit rgi
r i t ure , éne s
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on al ité
du utr
CIC
R Ne
144
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
6.7.1 Check-list
Considérations d’ordre politique et opérationnel
• Perception de la neutralité et de l’impartialité de l’institution (image du CICR).
• Rôle joué par l’hôpital pour protéger la mission médicale en assurant des soins
médicaux délivrés en toute neutralité (le cas échéant à travers les lignes ennemies).
Sécurité
• Préoccupations liées à la sécurité de l’hôpital et de son personnel, en raison du
conflit ou de possibles développements dans les hostilités :
– emplacement et environnement – proximité des combats et des cibles militaires ;
– type de bâtiment – nombre d’étages, rez-de-chaussée, cave en sous-sol ou abri
antiaérien, tentes.
Accès
6
• Distance et délai d’évacuation.
Infrastructures
• Hôpital préexistant.
• Entrepôt.
145
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Ce formulaire doit être considéré comme un guide, une sorte de check-list, destiné à
rappeler certains points clés au professionnel de la santé chargé d’évaluer le travail
d’un hôpital.
Il doit permettre d’obtenir rapidement une vision globale et une bonne compréhen-
sion du fonctionnement de l’hôpital et de déceler ses capacités, limites et insuffi-
sances. Des décisions rapides et adéquates pourront ainsi être prises quant au type
de soutien requis par l’hôpital.
Généralités
Services cliniques (seul le volet chirurgical est traité dans cette annexe)
Autres commentaires
Conclusion
Généralités
Date :
Interlocuteurs :
2. Population desservie :
12. Sécurité : la zone est-elle sûre ? L’hôpital est-il sécurisé, c’est-à-dire clairement
marqué, clôturé, avec présence de gardes, et absence d’armes à l’intérieur du
périmètre de l’hôpital ?
Gestion et administration
I Direction générale
IV Statistiques
1. Murs et toit :
5. Chauffage/ventilation/climatisation :
1. Systèmes de gestion des déchets (y compris des produits toxiques tels que
révélateurs et fixateurs pour le développement des films radiologiques, etc.) :
I Pharmacie
II Laboratoire
3. Source d’approvisionnement :
1. Personnel et gestion :
1. Personnel et gestion :
148
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
Services cliniques
I Consultations externes et soins ambulatoires
4. Existe-t-il un registre contenant des données sur tous les patients vus chaque jour ?
9. Principales pathologies :
1. Nombre de lits :
5. Existe-t-il une procédure standard de transfert des patients dans les unités
appropriées ou en salle d’opération ?
2. Hygiène du bloc :
IV Stérilisation
3. Protocoles en place ?
149
LA CHIRURGIE DE GUERRE
V Anesthésie
VI Soins infirmiers
1. Une supervision est-elle exercée 24 heures sur 24 par des infirmiers dans les
unités des services ?
5. Une laparotomie peut-elle être réalisée en toute sécurité avec une surveillance
infirmière du patient (signes vitaux) assurée pendant les 24 heures suivant
l’intervention, dans une pièce bien éclairée, avec administration de perfusions et
d’antibiotiques intraveineux ?
8. Des membres de la famille sont-ils impliqués dans les soins prodigués aux
patients ?
3. Y-a-t-il une personne qui contrôle un système d’entrée des patients dans le
service et assure qu’ils sont examinés soit pour être envoyés au bloc opératoire
soit pour recevoir un traitement ?
5. Y a-t-il une visite régulière des patients, et/ou des réunions sont-elles
régulièrement organisées pour discuter des cas ?
150
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
4. Infrastructures et lits :
5. Une laparotomie peut-elle être réalisée en toute sécurité : les patients examinés
quelques jours après l’opération présentent-ils une plaie en cours de cicatrisation
et s’alimentent-ils normalement ?
7. Quel type de traitement orthopédique est possible dans les unités (plâtre,
traction osseuse, fixation externe ou ostéosynthèse) ?
IX Service de physiothérapie
1. Les patients se déplacent-ils avec des béquilles dans l’hôpital ? Si ce n’est pas le
cas, pourquoi ?
3. Ressources humaines : 6
Autres commentaires
1. Particularités du contexte :
Conclusion
1. Première impression générale (propreté et hygiène, personnel présent, présence
de patients) :
5. Plan d’urgence/plan-catastrophe :
6. Propositions :
7. Étape suivante :
151
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les principaux éléments à prendre en compte pour effectuer une étude stratégique
d’une situation de conflit visant à déterminer certains facteurs influençant la chaîne
de prise en charge des blessés, sont présentés ci-dessous.
1. Géographie :
c. civils
a. moyens privés
b. transports publics
c. service d’ambulances
11. Évaluation du travail réalisé dans les hôpitaux, et capacité des hôpitaux à
recevoir et à traiter les patients (voir l’Annexe 6. A : Évaluation initiale d’un hôpital
chirurgical accueillant des blessés de guerre).
152
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
b. ministère de la Santé,
153
LA CHIRURGIE DE GUERRE
De nombreux facteurs ont une incidence sur le déploiement des équipes médicales
humanitaires : cette annexe aide à analyser certains d’entre eux. La terminologie utili-
sée vise à décrire un contexte opérationnel et n’a aucune signification juridique.
Scénarios possibles
1. Activité militaire, catastrophe naturelle ou accident majeur ? (Les infrastructures
de santé sont-elles intactes ?)
1. Situation optimale :
Accès adéquat aux soins médicaux en dépit des violences et du conflit.
2. Situation austère :
Déjà avant le conflit, l’accès aux soins était précaire à cause de la pauvreté.
3. Situation extrême :
Accès aux soins très restreint en raison des violences et du conflit (situation
parfois aggravée par la pauvreté préexistante).
154
LA CHAÎNE DE PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
Exemple Conflit armé Conflit armé non Troubles civils / insurrection Actes de bandi-
international international / tisme généralisés
guerre de guérilla et autres délits
Description Guerre ouverte, Imprévisibles ; accrochages
Combats intenses Peuvent coïnci-
entre le pays X et de type action éclair, souvent
à l’intérieur d’un der avec n’im-
ses alliés et le pays Y pays donné avec des intérêts personnels porte laquelle
et ses alliés favorables à la persistance de des situations
l’anarchie énumérées ici
Belligérants / Facilement repé- Tous ne portent pas Individus armés, gangs, Individus ou
Combattants rables, et portant l’uniforme bandits et groupes de groupes ne
des uniformes Forces gouverne- miliciens défendant que
distinctifs mentales affrontant leurs propres
des groupes mili- intérêts
taires bien organisés
Lignes de front Bien connues Peuvent ne pas Liées à des alliances se renver- Aux franges du
exister, ou changer sant constamment au sein des conflit, prêts à
très rapidement factions ou entre les factions tirer parti des
en présence circonstances
Chaîne de Structurée et avec Points de contact Pas évidente, et pouvant varier Chef traditionnel
commandement des points de ténus dans les d’une faction à l’autre (dépend et local, person-
contact accessibles deux camps souvent d’un chef entouré nalisée (par ex. :
d’un petit groupe de partisans gangs de rue)
et soutenu par une partie de la
population)
Respect du DIH Les parties connais- Un certain degré Très peu de respect, avec un Le DIH n’est pas
sent leurs obliga- de respect effondrement total de l’ordre connu, ou pas
tions et tentent de public respecté
les respecter
6
Tâches Classiques Classiques Extrêmement difficiles ?
humanitaires
Niveau de Faible Croissant et moins Très élevé, se rapprochant Menace très
risque prévisible peut-être d’un niveau réelle et très
inacceptable dangereuse
Obstacles au Peu, ou pas Davantage de Capacité d’intervention grave- Nombreux
travail médical d’obstacles restrictions, négo- ment limitée – véhicules, radios, obstacles ; la plus
ciations, contrôles marchandises, etc., sont convoi- grande prudence
et retards, etc. tés par les parties belligérantes est requise
Scénarios-types
Dans les conflits armés contemporains, les personnels et les structures de santé
sont appelés à « fonctionner » dans des circonstances diverses. Les scénarios les plus
typiques sont notamment les suivants :
• Bonnes communications
3 La terminologie utilisée ici décrit un contexte opérationnel et n’a aucun caractère juridique.
155
LA CHIRURGIE DE GUERRE
• Infrastructures en mauvais état : routes défoncées, décombres et débris dans les rues
• Environnement très difficile : froid ou chaleur extrêmes, saison des pluies ou saison sèche
• Environnement difficile
156
6
157
158
Chapitre 7
159
LA CHIRURGIE DE GUERRE
7.2 L es premiers secours dans la chaîne de prise en charge des blessés 162
160
LES PREMIERS SECOURS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
Les premiers secours, ou premiers soins, comprennent la prise en charge initiale d’un
blessé ou d’un malade jusqu’à ce que son état soit stable, que l’on y ait remédié, ou
jusqu’à ce qu’une aide médicale professionnelle soit disponible. La manière dont les
premiers secours sont dispensés est tributaire des conditions de sécurité, du nombre
et de l’état des blessés se trouvant dans un lieu donné, des ressources pouvant être
mobilisées pour les soins, des moyens de transport, de l’accès aux hôpitaux chirurgi-
caux et de leur capacité à accueillir et traiter les patients.
L’expérience montre que les soins prodigués pendant la phase préhospitalière sont
un facteur déterminant de l’issue de la prise en charge des blessés de guerre. Les pre-
miers secours permettent de sauver des vies et de diminuer la morbidité. Ils rendent
les interventions chirurgicales plus faciles et allègent le fardeau du travail hospita-
lier ultérieur. Par ailleurs, de 40 à 60 % des civils et des soldats blessés en période de
conflit armé ne nécessitent pas d’hospitalisation. Les mesures de premiers secours
– et l’administration orale d’un simple antibiotique et d’un analgésique – constituent
tout le traitement dont ces patients ont besoin. Dans la terminologie militaire, ils sont
appelés « retournés au service » (voir le Chapitre 5).
Fournir des premiers secours est l’une des responsabilités fondamentales des services
de santé des forces armées, des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge et, de plus en plus souvent dans les conflits armés d’aujourd’hui, du personnel
médical des hôpitaux publics, en zone urbaine comme en zone rurale. Le rôle essen-
tiel joué par les communautés locales qui procurent une aide sur place ne devrait
pas être oublié – comme Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge et inspirateur
des Conventions de Genève, l’a constaté au lendemain de la bataille de Solférino du
24 juin 18591.
Les commandants n’aiment pas voir leurs effectifs diminuer quand des soldats bien
portants, en état de combattre, doivent assurer l’évacuation des blessés parce que les
premiers secours sont inadéquats sur le terrain : de fait, leur capacité opérationnelle
s’en trouve doublement réduite.
Des compétences avancées peuvent être ajoutées au programme de formation des per-
sonnes spécialement affectées aux premiers secours sur le terrain, telles que les auxi-
liaires médicaux militaires et les équipes de secouristes des Sociétés nationales de la
Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, en tant que projection vers l’avant des ressources.
Les premiers secours commencent sur les lieux de la blessure, mais ils peuvent être
administrés partout, indifféremment, tout au long de la chaîne de prise en charge,
jusqu’au lieu de traitement définitif.
Lieu de la blessure
Les premiers soins, prodigués sur place, sur le terrain et souvent sur le champ de
bataille proprement dit, peuvent être administrés par le blessé lui-même, ou par un
camarade, si les combattants ont reçu la formation nécessaire. Sinon ils seront appor-
tés par un auxiliaire médical militaire (soldat sanitaire de section), un membre de la
Croix-Rouge/du Croissant-Rouge ou autre secouriste civil.
Point de rassemblement
Une méthode courante et pratique consiste à rassembler tous les blessés en un seul
lieu, en fonction de la situation tactique, pour évaluer leur état, commencer les pre-
miers soins s’ils n’en ont pas encore reçu, et stabiliser ceux pour qui des mesures de
première urgence ont déjà été prises.
Il convient ensuite de décider qui doit être évacué en vue de la poursuite du traite-
ment, conformément aux priorités du triage médical. Un poste de premiers secours
constitue le point de rassemblement idéal.
Évacuation
La décision de transporter un blessé doit être soigneusement réfléchie par rapport
aux dangers et difficultés inhérents à toute situation de conflit armé. Quelle que soit
la méthode de transport utilisée tout au long de la chaîne d’évacuation, les mesures
de premiers secours devraient être poursuivies de bout en bout.
162
LES PREMIERS SECOURS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
Les accidents de la route, les autres types d’accidents, les maladies ne connaissent pas
de répit : ils touchent tant la population civile locale que les combattants. Le travail
efficace des secouristes est tout aussi nécessaire qu’en temps normal.
Il est donc important de saluer leurs connaissances et de célébrer leur courage et leur
dévouement. Le droit international humanitaire leur confère des droits et des devoirs impor-
tants ; ils doivent donc êtres instruits en conséquence. De même, ils doivent être formés aux
méthodes et à la pratique du triage médical. Il est important de bien les accueillir quand
ils arrivent à l’hôpital avec un blessé ; il convient aussi de leur donner un feedback sur les
mesures qu’ils ont prises et sur l’évolution de l’état des patients qu’ils ont déjà conduits à l’hô-
pital, de manière à assurer un bon transfert des patients, et à les préparer pour les tâches à
venir. Le chirurgien joue un rôle crucial dans la communication avec les secouristes.
Par leur présence avant, pendant et après les situations d’urgence, les secouristes
contribuent à ranimer l’esprit humanitaire des individus et des communautés, à inspi-
rer la tolérance et, à terme, à instaurer un environnement plus sain et plus sûr.
Les secouristes sont exposés au danger, courent de grands risques et sont même parfois
pris pour cible lors d’une embuscade ou d’un échange de tirs. Bien trop souvent, lors
de l’explosion d’une bombe, les secouristes se précipitent sur les lieux ; une deuxième
bombe explose quinze minutes plus tard, faisant bien plus de victimes que la première.
Il arrive aussi que l’espace de travail des sauveteurs soit limité par une foule de passants
excités et en colère ou par les amis, les camarades ou les membres de la famille des vic-
times qui profèrent parfois même des menaces contre les secouristes.
Le secouriste doit tenir compte des conséquences qui en résultent et accepter les
contraintes nécessaires à la sécurité des patients et à la sienne. Un sauveteur blessé
a besoin d’être secouru à son tour, et il ne peut pas aider les autres. Pour le personnel
163
LA CHIRURGIE DE GUERRE
militaire, l’administration des premiers secours « sous feu ennemi » est une probléma-
tique traitée différemment selon la doctrine et la formation de chaque armée.
Comme dit plus haut, les malades et les blessés bénéficient d’une protection en vertu
du DIH, qui spécifie les droits et les responsabilités des secouristes qui leur viennent en
aide. La possibilité de prodiguer des soins dans de meilleures conditions de sécurité
peut être obtenue par le biais de négociations ou d’un accord de cessez-le-feu. Les mili-
taires peuvent décider parfois de lever la menace ou d’assurer la sécurité par le recours à
la force armée. Cela ne dispense pas les secouristes de prendre des mesures de sécurité
avant un déploiement sur le terrain. Les circonstances déterminent quand et comment
les soins peuvent être prodigués en assumant un niveau de risque acceptable.
Bien trop souvent, les contextes opérationnels dans lesquels le CICR travaille sont
caractérisés par des moyens de transports inexistants ou restreints, et par l’impossi-
bilité – en raison de contraintes politiques ou de sécurité – de déployer du person-
nel sur le terrain pour administrer les premiers secours. Certains patients succombent
donc à leurs blessures alors qu’ils auraient pu survivre. D’autres souffrent d’infections
et autres complications qui réduisent leur qualité de vie. Le défi consiste à déployer et
à organiser au mieux le personnel, le matériel et les équipements de premiers secours
nécessaires, sur le terrain. C’est aussi un défi pour des forces armées, mais avec une
connotation différente : en raison de considérations tactiques, les soldats doivent
parfois avoir remporté la bataille avant de pouvoir soigner ou évacuer les blessés.
L’analyse de la distribution trimodale des décès (voir le Chapitre 5) a montré que les
mesures de premiers secours devaient d’abord cibler spécifiquement les blessures
qui sont graves mais auxquelles il est possible de survivre. Les mesures immédiates
d’urgence vitale prioritaires sont donc les suivantes.
2. Maintenir la respiration.
Dans un deuxième temps, les mesures de premiers secours sont destinées à la grande
majorité des blessés : ceux qui souffrent de fractures et de lésions des tissus mous,
susceptibles d’entraîner des invalidités.
Un examen complet correct exige que le patient soit entièrement dévêtu. Certaines
contraintes d’ordre culturel et religieux, de même que la situation tactique, imposent
parfois des limites, et cette condition ne peut pas toujours être remplie sur le terrain.
Tout blessé qui saigne perd de sa chaleur corporelle, même dans les tropiques. Il est
important d’éviter une hypothermie qui peut avoir des conséquences ultérieures
désastreuses en provoquant une coagulopathie (voir le Chapitre 18). Le blessé doit être
couvert d’un drap ou d’une couverture, selon le climat, et une protection doit être placée
sous le patient, car une grande partie de la chaleur corporelle se dissipe dans le sol.
7.5.1 Emplacement
Le choix du site doit être guidé par certaines règles. L’emplacement du poste doit
être sûr : assez loin des combats pour ne pas être exposé aux dangers, mais assez près
pour permettre un transfert rapide des blessés. Pour des raisons opérationnelles et
de sécurité, l’endroit choisi doit être signalé le plus tôt possible au centre de com-
mandement ou de régulation de la chaîne de prise en charge des blessés. La pré-
sence du poste de premiers secours doit être annoncée aux bénéficiaires potentiels
de ses services : la population locale et les combattants. Un emblème distinctif (croix
rouge, croissant rouge ou cristal rouge) – d’assez grande taille pour être vu de toutes
les directions et du plus loin possible – permettra de signaler le poste de premiers
secours et de le placer sous la protection du droit international humanitaire.
7.5.2 Infrastructure
Un poste de premiers secours est une unité fonctionnelle. Sa mise en place peut donc
se faire de manière improvisée : il peut être monté sous tente ou installé dans une
165
LA CHIRURGIE DE GUERRE
école ou tout autre bâtiment disponible ; il peut aussi être aménagé dans un dispen-
saire ou un centre de santé déjà existant. Certaines conditions minimales devraient
cependant être remplies : protection appropriée contre les éléments ; taille suffi-
sante pour recevoir les blessés étendus sur des civières ; espace aisément accessible
aux blessés en état de marcher (éviter de longs escaliers, par exemple) ; enfin, accès
adéquat pour l’entrée et la sortie des ambulances et grand parking pour les véhicules.
T. Gassmann / CICR
CICR
Figure 7.1.1 Figure 7.1.2
Poste de premiers secours : établi. Poste de premiers secours : improvisé.
À noter :
7.5.4 Organisation
Tout poste de premiers secours doit être organisé de manière à pouvoir accueillir un
afflux massif de blessés, et le personnel doit savoir comment y faire face. Les principes
et la pratique du triage médico-chirurgical doivent être bien compris par toutes les
personnes présentes grâce aux exercices de simulation (voir le Chapitre 9).
166
LES PREMIERS SECOURS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
EXPÉRIENCE DU CICR
Il est arrivé que le CICR doive mettre en place un poste de premiers secours à
l’improviste, la sécurité de l’accès aux structures chirurgicales ne pouvant être
assurée. Pendant la longue guerre civile qui s‘est déroulée en Sierra Leone, des
combats ont éclaté à plusieurs reprises dans la capitale, Freetown. Pendant l’un
de ces épisodes, en 1998, la délégation du CICR a été transformée en poste de
premiers secours : le parking est devenu zone de réception et aire de triage, et les
divers bureaux ont été transformés en chambres communes et unités de soins
intensifs. En l’espace de 10 jours, six infirmiers et trois volontaires de la Croix-
Rouge ont traité au total 244 blessés de guerre et 228 malades, tandis qu’une
équipe chirurgicale de Médecins sans Frontières (MSF) opérait à l’hôpital général.
Du fait des combats de rue, il a souvent été dangereux pour les patients de se
rendre à l’hôpital ; beaucoup sont restés deux ou trois jours dans le poste de
premiers secours improvisé, en attendant leur évacuation.
Le CICR soutient les programmes et les activités de premiers secours dans les
contextes de conflits armés et autres situations de violence. Ces programmes com-
portent notamment les volets suivants :
• déploiement de personnel médical pour assurer le fonctionnement des postes de
premiers secours ;
• formation, dans les zones auxquelles aucune autre organisation n’a accès (par
exemple pour des forces irrégulières de groupes de guérilla) ;
• soutien à des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et autres
organisations, afin de les aider à adapter leurs programmes de premiers secours aux
spécificités de la préparation et de l’intervention en période de conflit ;
• développement des capacités (en termes de stratégie, gestion et planification) des
institutions nationales et locales, ainsi que des chefs d’équipe ;
• approvisionnement en fournitures et équipement ;
• assistance dans le cadre de l’organisation d’un système de soins d’urgence ;
• élaboration de normes et production de documents de référence (voir la Bibliographie).
167
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les techniques de premiers secours sont décrites en détail dans les manuels cités
dans la Bibliographie. Le reste de ce chapitre sera donc uniquement consacré à quel-
ques sujets susceptibles de donner lieu à des controverses ou à des malentendus, ou
qui sont spécifiques aux situations de conflit armé.
168
LES PREMIERS SECOURS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
EXPÉRIENCE DU CICR
Il convient de noter qu’une chute peut fort bien provoquer à la fois une perte
de conscience et une lésion du rachis cervical ; en revanche, aucune précaution
spécifique visant à protéger le rachis cervical n’est requise en cas de perte de
conscience due à une blessure par balle à la tête.
Une fois que la présence d’une hémorragie catastrophique externe, qui est assez
évidente, a été exclue – ce qui constitue la grande majorité des cas –, le secouriste
devrait passer immédiatement à l’algorithme standard ABCDE.
En dernier recours, quand tout le reste a échoué, un garrot peut être posé afin de maîtri-
ser provisoirement l’hémorragie tout en bourrant la plaie de compresses (tamponne-
ment) et en appliquant un bandage compressif. Le garrot devrait ensuite être enlevé.
R. Coupland / CICR
E. Winiger / CICR
Figure 7.3.1 Figure 7.3.2
Garrot improvisé : quelle efficacité ? Garrot improvisé : quelle nocivité ? Ici, un garrot est resté en place plus de
six heures, à la suite de quoi une amputation transfémorale très haute a été
nécessaire.
169
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Pour maîtriser une hémorragie périphérique, la technique qui est, de loin, la plus
fréquemment utilisée et la plus efficace consiste, pour le secouriste, à exercer une
pression directe sur la plaie, puis à poser un bandage compressif ; si les premières
mesures n’ont pas suffi, il faut exercer une pression digitale proximale sur l’artère
(dans l’aisselle ou dans l’aine), tamponner la plaie avec des compresses, puis poser un
bandage compressif.
L’utilisation d’un garrot est recommandée dans le cas de blessures par écrasement
(personnes coincées sous les décombres d’un bâtiment effondré à la suite d’un trem-
blement de terre ou d’un bombardement). Toutes les précautions d’usage doivent
être prises pour assurer la réhydratation et la réanimation du blessé, de manière à
éviter les complications dues à la myoglobinémie inévitable.
Pour de plus amples informations sur les blessures par écrasement (crush injury), se
reporter au Volume 2 du présent ouvrage.
Une grande part de cette controverse concerne en fait les systèmes de gestion des
urgences efficaces de la vie civile, avec de courts délais d’évacuation (moins de deux
heures). Vraisemblablement, seuls les blessés de guerre montrant d’évidents signes
cliniques d’état de choc nécessitent l’administration de perfusions intraveineuses
avant leur hospitalisation. Par ailleurs, dans beaucoup de conflits contemporains, le
transfert à l’hôpital prend bien plus de temps, des jours voire même des semaines ; le
170
LES PREMIERS SECOURS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
risque de « faire sauter le caillot » n’est donc pas réellement pertinent. La réhydrata-
tion – dans le cadre de la réanimation – serait plus appropriée dans ces circonstances.
Les cylindres à oxygène sont l’équivalent d’une bombe s’ils sont atteints par une balle
ou un éclat d’obus. Outre le danger qu’ils représentent, les cylindres sont lourds et
doivent être souvent remplacés (utilisés à haut débit, ils durent peu de temps). En
outre, leur remplissage est complexe et exige une capacité spéciale en usine.
Les cylindres à oxygène doivent être exclus en cas de déploiement en zone dange-
reuse. Telle est maintenant la politique générale du CICR en la matière.
Figures 7.4.1 et 7.4.2
Ambulance détruite par l’explosion d’un cylindre
En fonction des conditions de sécurité, le point de rassemblement ou la station inter- à oxygène qui a perforé le toit à la manière
médiaire peuvent avoir de l’oxygène à disposition. Un concentrateur d’oxygène (qui d’une roquette. Les photographies montrent
requiert une alimentation en électricité) est préférable à des cylindres d’oxygène l’ambulance et le cylindre sur le sol.
comprimé.
L’« échelle de coma de Glasgow » (Glasgow Coma Scale – GCS) est le système stan-
dard utilisé dans les hôpitaux. Néanmoins, une manière plus simple de déterminer
le niveau de conscience réside dans la séquence AVDI (voir ci-dessous). Plus facile à
utiliser sur le terrain par les secouristes, il est également aisé à traduire en valeurs du
système GCS quand le blessé arrive à l’hôpital : le chirurgien dispose ainsi d’un bon
moyen d’apprécier l’évolution de l’état du patient.
Alerte Le blessé est éveillé, lucide, parle normalement et réagit à l’environnement (par
exemple, ses yeux s’ouvrent spontanément quand vous vous approchez)
Réaction à la Voix Le blessé est capable de répondre de manière cohérente quand on l’interroge
Réaction à la Douleur Le blessé ne répond pas aux questions, mais bouge ou hurle en réponse à un sti-
mulus douloureux (pincement des muscles de la nuque, du lobe de l’oreille ou du
mamelon ; frottement de la marge supra-orbitale ou de l’angle de la mandibule)
Inconscience : sans réaction Le blessé ne répond à aucun stimulus
171
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Sur le terrain, sécuriser les voies aériennes est la première mesure à prendre quand la
conscience du blessé est compromise.
Y. Muller / CICR
Figures 7.5.1 et 7.5.2
Différents moyens d’évacuation des blessés :
moderne et traditionnel. La rapidité du transport est moins importante que la sécurité : les accidents d’ambu-
lance sont bien connus. Tous ces paramètres – aggravation de l’état du patient, utili-
sation des ressources et risques pour sa sécurité – doivent être soupesés et comparés
aux bénéfices probables d’un transfert.
172
LES PREMIERS SECOURS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
Pendant les combats urbains, il faut aussi affronter la confusion qui règne ainsi que
l’atmosphère émotionnellement très chargée. Un certain manque de discipline
pour procéder à un bon triage préhospitalier, de même que la « pression » exercée
par les passants, peuvent provoquer une situation chaotique dans l’hôpital rece-
vant les blessés. La première vague d’ambulances transporte les morts et mutilés.
La deuxième vague transporte les personnes qui hurlent et sont hystériques et
angoissées : ces blessés sont lucides et superficiellement atteints. La troisième
vague évacue les blessés graves nécessitant des soins d’urgence ; ces patients sont
immobiles – ils souffrent généralement d’une hémorragie – et ne peuvent pas crier
pour attirer l’attention sur eux.
Dans les zones rurales reculées, si le transport prend un grand nombre d’heures (et
parfois de jours), il est logique de projeter des compétences vers l’avant en formant
des soignants locaux afin qu’ils maîtrisent des techniques plus avancées. Les principes
du triage s’appliquent pour déterminer quels patients sont à évacuer en première
priorité (voir le Chapitre 9). À noter qu’il existe une importante différence entre l’ordre
de priorité à observer pour le traitement, d’une part, et pour l’évacuation, d’autre
part, (notamment si cette dernière doit prendre beaucoup de temps). L’identifica-
tion des blessures auxquelles le patient n’a aucune chance de survivre, permet de lui
éviter – comme à ceux qui voudraient le sauver – de souffrir l’immense douleur et la
frustration qui résultent des efforts déployés en vain pour atteindre un échelon de
soins plus élevé – cela permet aussi de prodiguer de meilleurs soins aux blessés qui
peuvent survivre.
173
174
Chapitre 8
LES SOINS
EN SALLE DES URGENCES
À L’HÔPITAL
175
LA CHIRURGIE DE GUERRE
176
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
La logique de la prise en charge des blessés au service des urgences hospitalière n’est
que la continuation des procédures de maintien des fonctions vitales des premiers
secours ; les moyens à disposition pour le diagnostic et le traitement sont simplement
plus avancés.
Qu’il ait ou non reçu les premiers soins sur le terrain, tout blessé arrivant à l’hôpital
doit être soumis à un examen complet selon le protocole ABCDE. L’état du patient
peut avoir changé pendant le transport ; des blessures importantes peuvent avoir
échappé au secouriste du fait de la confusion régnant sur le terrain ou parce que la
compétence en premiers secours était limitée ou inexistante. Là encore, les efforts
devraient essentiellement porter sur les cas d’asphyxie ou d’état de choc (qui consti-
tuent les causes de décès évitables les plus courantes). L’« heure dorée » commence
sur le lieu de la blessure, et non pas à l’arrivée au service des urgences.
1. Évaluer :
Examen initial : Voies aériennes, Ventilation et échanges gazeux (respiration), Circula-
tion, Déficit neurologique, Environnement et Exposition. Pour les situations imposant
un triage des blessés, voir le Chapitre 9.
2. Agir :
Réanimation d’urgence : agir sur les états cliniques qui engagent le pronostic vital.
3. Évaluer :
Examen complet : palpation de la tête aux pieds, devant et derrière et sur les côtés.
8
4. Agir :
Traitement définitif, chirurgical ou non : stabilisation.
5. Évaluer et agir :
Traitement ou évacuation du blessé, en fonction de la priorité qui lui a été attribuée au
triage, vers un hôpital d’échelon supérieur pour des soins spécialisés si son état l’exige.
À noter :
Dans certains pays, lors de l’examen et du traitement en urgence, les patients doivent
être très clairement séparés des patientes. Cette exigence peut poser problème en
cas d’afflux massif de blessés, mais il est important que l’organisation du service des
urgences en tienne compte.
4. Est-ce que le pronostic vital est mis en jeu, d’après l’algorithme ABCDE ?
Face à un blessé, le réflexe naturel, est de se focaliser sur les saignements. Or, une obs-
truction des voies aériennes met bien davantage sa vie en danger. Les voies aériennes
sont donc prioritaires par rapport à la respiration et à la circulation sanguine. Avec
l’expérience, il est possible de sécuriser assez rapidement les voies aériennes et la
177
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Une fois maîtrisé, le protocole ABCDE permet au médecin d’obtenir réponse à toutes
les questions ci-dessus, en un seul processus intégré.
La plupart des blessés sont conscients, anxieux ou apeurés, et ils souffrent. Ils indi-
quent facilement ce qui s’est passé et où ils ont mal. Ils sont vivants, conscients et le
fait qu’ils parlent signifie que les voies aériennes sont dégagées. Ces signes de vie
peuvent parfois paraître évidents. Néanmoins, on devrait avoir en tête une check-
list et respecter les questions initiales de la séquence ABCDE afin de disposer d’une
méthode d’examen organisée et systématique.
Comme mentionné dans le chapitre sur les premiers secours, tout traumatisme
contondant situé au-dessus du niveau des clavicules exige des soins spécifiques du
rachis cervical, mais ils ne doivent pas être prodigués au détriment d’un problème des
voies aériennes qui met la vie du patient en danger. Les mesures simples à prendre
incluent : stabilisation manuelle dans une position neutre, la tête maintenue dans la
ligne axiale ; collier cervical semi-rigide ; sacs de sable ; bandes adhésives ; panneau
rigide (planche dorsale).
Il est important de déterminer le délai écoulé depuis la blessure, d’évaluer la perte de sang
subie par le patient, ainsi que la présence ou l’absence de toute allergie. Dans le cas de
blessés civils, il convient de tenir compte de maladies préexistantes ainsi que de la prise
éventuelle de médicaments pour des maladies chroniques. Habituellement, des combat-
tants jeunes et en bonne santé ne présentent pas ce genre de problèmes médicaux.
Dans un hôpital, les blessés doivent être complètement déshabillés pour permettre un
examen correct – là encore, les contraintes d’ordre culturel ou religieux seront prises
en compte. Les signes vitaux sont notés, des voies veineuses posées et des échan-
tillons de sang prélevés simultanément pour le groupage, ainsi que pour l’analyse
d’hématocrite ou d’hémoglobine, ce qui permet de disposer ensuite d’une base de
comparaison. D’autres tests – électrolytes, gaz sanguins, glucose, etc. – peuvent être
effectués en fonction des standards locaux et des capacités d’analyses du laboratoire.
L’obstruction des voies respiratoires supérieures constitue une urgence qui exige de
réagir sur le champ. Certaines blessures causent un problème immédiat ; d’autres
peuvent provoquer une obstruction différée des voies aériennes.
La liste suivante présente les traumatismes qui causent couramment des problèmes
de voies aériennes.
Blessures maxillo-faciales
Même si le patient peut respirer de manière adéquate au début, le développement
d’un œdème de la langue, du plancher de la bouche ou du pharynx risque d’obstruer
les voies aériennes après plusieurs heures.
À noter :
Les états cliniques causant une obstruction différée des voies aériennes peuvent se déve-
lopper lentement et risquent de ne pas être décelés à temps, en particulier pendant le
triage d’un grand nombre de victimes alors que la supervision est inadéquate.
Comme pour les premiers secours, le traitement standard d’une obstruction réelle ou
potentielle des voies aériennes s’impose.
1. Ouvrir la bouche.
Pour maintenir les voies aériennes ouvertes, un certain nombre de dispositifs peuvent
être utilisés :
• dispositif oro-pharyngé (canule de Guedel) ;
• dispositif naso-pharyngé ;
• masque laryngé ;
• combitube (sonde à double lumière insérée à l’aveugle dans la trachée et l’œsophage).
Toutes ces méthodes permettent de garder les voies aériennes ouvertes ; par contre,
elles ne peuvent pas assurer la protection contre la régurgitation et l’aspiration du
contenu gastrique.
179
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Cricothyroïdotomie
Il s’agit d’une procédure rapide, sûre et sans saignement important (Figure 8.1). Une
incision horizontale est pratiquée dans la peau et prolongée à travers la membrane
cricothyroïdienne. Le manche du bistouri est introduit et pivoté à 90° pour maintenir
la membrane ouverte jusqu’à ce qu’une canule de trachéostomie de petit diamètre
puisse être introduite.
180
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
Figures 8.1.1 à 8.1.4
Cricothyroïdotomie.
Cartilage thyroïde
Cartilage cricoïde
P. Zylstra / CICR
P. Zylstra / CICR
Fourchette sternale
Figure 8.1.1 Figure 8.1.2
Repères chirurgicaux : la nuque du patient est Une incision horizontale de la peau est pratiquée
placée en extension à l’aide d’un coussin sous au-dessus de la membrane cricothyroïde. Les
les épaules. Les cartilages thyroïde et cricoïde bords de la plaie sont écartés entre le pouce
sont repérés par palpation, la membrane et l’index. L’incision est prolongée à travers la
cricothyroïde est ensuite identifiée comme membrane et élargie en insérant le manche du
étant la dépression entre ces deux cartilages. bistouri, qui est ensuite pivoté à 90°.
P. Zylstra / CICR
P. Zylstra / CICR
Figure 8.1.3 Figure 8.1.4
Une canule de trachéostomie est placée à travers L’ensemble de la procédure ne devrait pas
l’ouverture et fixée. prendre plus de 30 secondes.
Trachéostomie
La trachéostomie devrait rester une procédure programmée. La seule indication spé-
cifique pour une trachéostomie d’urgence, dans le cas de blessures par projectile, est
8
une blessure directe du larynx : une trachéostomie traumatique est ainsi transformée
en trachéostomie chirurgicale. L’urgence du problème déterminera la technique la
plus sûre et la plus appropriée pour sécuriser les voies aériennes.
La cause de la détresse respiratoire doit être établie et traitée. Les patients présentant
un traumatisme crânio-cérébral ont souvent besoin d’une intubation et d’une venti-
lation pour soutenir leur respiration ; il en va de même dans le cas de quadriplégie, de
blast pulmonaire, d’atteinte par agent chimique et d’inhalation de fumée. Une patho-
logie préexistante peut aussi affecter la ventilation chez un patient blessé.
L’examen clinique peut révéler une lésion thoracique qui gêne la respiration :
• volet costal ;
• pneumothorax ouvert ou « thorax soufflant » ;
• pneumothorax sous tension et hémo-pneumothorax.
Pour davantage de détails sur les volets costaux (volets thoraciques), se reporter au
Volume 2 du présent ouvrage.
181
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Thorax soufflant
En cas de plaie béante de la paroi thoracique, un pansement occlusif sur trois côtés
doit être posé en salle d’urgence. Le patient passe ensuite en salle d’opération pour le
débridement et la fermeture de la plaie de la cage thoracique et la mise en place d’un
drain intercostal.
À noter :
état suspect mais qui ne sont pas en détresse respiratoire. Ces patients doivent être
accompagnés, néanmoins, par une personne capable d’effectuer une thoracocentèse
en urgence en cas de décompensation rapide.
Figure 8.3
Valve de Heimlich improvisée : une canule de Signes fiables et Côté Côté Décompensation Signes inconstants
gros calibre est insérée au bord supérieur d’une précoces homolatéral controlatéral préterminale
côte. Un doigt découpé dans un gant chirurgical, Douleurs pleuréti- Hyper-expansion du Mobilité thoraci- Diminution du Déviation trachéale vers
avec une incision de 1 cm de long à l’extrémité, ques (universel) thorax que accrue rythme respiratoire le côté controlatéral
est enfilé sur l’extrémité de la canule et fixé.
« Soif d’air » Mobilité thoracique Hypotension Veines du cou
(universel) diminuée distendues
Détresse respiratoire Hyper-résonance à la SpO2 : en forte Emphysème chirurgical
(universel) percussion diminution de la paroi thoracique
Tachypnée Bruits respiratoi- Diminution du
res diminués à niveau de conscience
l’auscultation
Tachycardie Sons respiratoires
supplémentaires
– crépitants, sibilants
H. Nasreddine / CICR
SpO2 : en diminution
Agitation
Tableau 8.1 Diagnostic de pneumothorax sous tension chez les patients éveillés1.
Figure 8.4.1
Pneumothorax simple mais massif. Le patient
est confortablement allongé et respire sans
effort. Les radiographies (voir Figures 8.4.2 et
8.4.3) sont justifiées.
1 Adapté de Leigh-Smith S, Harris T. Tension pneumothorax – time for a re-think ? Emerg Med J 2005 ; 22 : 8 – 16.
182
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
H. Nasreddine / CICR
H. Nasreddine / CICR
Figure 8.4.2 Figure 8.4.3
Radiographie antéropostérieure montrant un Radiographie latérale.
pneumothorax de grande taille du côté droit. La
flèche indique la balle.
Hémothorax
Un hémothorax doit être traité à l’aide d’un drain thoracique de gros calibre. Cette
procédure peut sauver la vie du patient. Quand il existe des signes cliniques d’hémo-
thorax, il faut placer un tube intercostal avant de prendre les radiographies. Les drains
thoraciques sont habituellement insérés sous anesthésie locale. S’il y a une plaie à
exciser, l’anesthésie à la kétamine sera la plus appropriée.
H. Nasreddine / CICR
Pour des informations sur l’insertion d’un drain thoracique – thoracostomie –, se
reporter au Volume 2 du présent ouvrage.
Figure 8.5
8.4.1 Ventilation assistée
Drain thoracique. 8
Après l’intubation, une assistance ventilatoire peut être nécessaire. Plusieurs patho-
logies courantes demandent une telle assistance :
• traumatisme crânio-cérébral ;
• large volet thoracique ;
• blast thoracique ;
• inhalation de gaz toxique ou de fumée, brûlure de la trachée et des bronches ;
• pneumonie d’aspiration ; et
• diverses autres causes médicales d’insuffisance respiratoire.
Dans un hôpital, il est possible d’administrer de l’oxygène d’appoint fourni soit par
un système central d’alimentation en oxygène, soit par des cylindres d’oxygène com-
primé, soit encore par un extracteur/concentrateur d’oxygène.
183
LA CHIRURGIE DE GUERRE
1. Une seringue de 20 ml est attachée à une longue canule montée sur une aiguille
(ou, alternativement, à une aiguille de rachianesthésie).
3. Le trocart intérieur est maintenant enlevé – si une aiguille spinale est utilisée –,
mais pas l’aiguille de la canule.
7. À la fin de l’aspiration, la canule peut être laissée en place avec une valve à robinet
à trois voies. L’aiguille spinale est doucement retirée, millimètre par millimètre
(si cette dernière est utilisée).
Il faut éviter de procéder à une thoracotomie en salle d’urgence, alors que la salle
d’opération se trouve juste au bout du couloir. Une telle procédure est aussi inutile
que dangereuse dans la plupart des hôpitaux du monde.
184
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
Une blessure pénétrante provoquant une hémorragie centrale dans une cavité cor-
porelle nécessite une intervention chirurgicale ; une grave hémorragie interne peut
exiger une opération urgente dans le cadre du processus de réanimation. Les patients
présentant de tels problèmes sont en première ligne de priorité pour la chirurgie.
Si un vaisseau sanguin qui saigne est repéré dans les profondeurs d’une plaie – et
seulement s’il est clairement visible – un contrôle direct peut être obtenu en clampant
l’artère avec une pince hémostatique.
Dans le même ordre d’idée, les balles, fragments ou autres corps étrangers logés dans
la plaie ne doivent être enlevés qu’au cours de l’intervention chirurgicale.
Degré I :
Jusqu’à 15 % de perte de volémie (750 ml ou moins). Une légère tachycardie est le
seul signe clinique, étant donné que les mécanismes homéostatiques sont capables
de compenser entièrement la perte de sang.
Degré II :
De 15 à 30 % de perte de volémie (750 à 1 500 ml). Une tachycardie bien perceptible ;
une légère diminution de la pression systolique, avec augmentation de la pression
diastolique (pression différentielle diminuée) ; remplissage retardé du lit capillaire des
doigts ; agitation ou anxiété.
Degré III :
30 à 40 % de perte de volémie (1 500 à 2 000 ml). Tachycardie marquée ; tachypnée ;
hypotension ; volume d’urine faible ; image classique de l’état de choc. Les méca-
nismes compensatoires commencent à défaillir.
Degré IV :
> 40 % de perte de volémie (> 2 000 ml). Tous les symptômes classiques de l’état de
choc sont présents : peau froide, moite et pâle ; irritabilité, agressivité et confusion
menant à la perte de conscience avec une perte de plus de 50 % du volume circulant.
I II III IV
Degré
Jusqu’à 750 ml 750 à 1 500 ml 1 500 à 2 000 ml >2 000 ml
(<15 % de perte) (15 à 30 % de perte) (30 à 40 % de perte) (> 40 % de perte)
<100/min 100 – 120/min 120 – 140/min >140/min
Pouls
Plein et bondissant Plein Faible Filant
90 à 120 < 90 < 60
Pression 120
systolique Pouls radial Pouls radial Pouls carotide
Normale
perceptible imperceptible imperceptible
Pression différen-
Normale Diminuée Très diminuée Nulle
tielle du pouls
Retour capillaire Normal Retardé Retardé Nul
Rythme 14 – 20/min 20 – 30/min >30/min >35/min
respiratoire Normal Tachypnée légère Tachypnée marquée Tachypnée marquée
Débit urinaire >30 ml/heure 20 – 30 ml/heure 5 – 20 ml/heure Négligeable
Lucide / assoiffé / Anxieux / apeuré / Hostile / irritable / Confus / léthargique /
Fonction mentale
légèrement anxieux irritable confus sans réaction
Statut Entièrement Vaso-constriction Compensation échouée,
Pronostic vital en jeu
physiologique compensé périphérique tableau clinique classique
La grande majorité des blessés de guerre sont de jeunes adultes, en assez bonne
santé, qui souffrent de blessures aux extrémités et chez qui le volume de sang perdu
n’est pas létal. Ces patients sont hémodynamiquement stables (perte de sang de
degré I) et l’utilité de liquides administrés par voie orale pour leur réanimation – sur
le terrain et à l’hôpital – est probablement sous-estimée. En revanche, une voie vei-
neuse doit toujours être posée en cas de blessures à la tête, au thorax et à l’abdomen,
même avec une perte de sang de degré I.
En cas de traumatisme massif, avec une perte de sang manifestement importante, plu-
sieurs voies veineuses de gros calibre devraient être mises en place. Une dénudation
veineuse peut être nécessaire si le choc est profond. Les sites à disposition incluent :
la veine médiane basilique ou céphalique dans le bras, la grande veine saphène dans
l’aine et, enfin, la petite saphène distale à hauteur de la malléole interne. La dénuda-
tion ne devrait pas se prolonger au-delà de 24 heures, préférablement jusqu’à ce que
186
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
le remplissage vasculaire permette de poser une autre voie veineuse. Le site des bles-
sures influencera le choix de l’emplacement des voies veineuses.
À noter :
Il ne faut pas administrer plus de deux unités de colloïde ou de dextran par 24 heures ;
outre qu’ils sont plus coûteux, les colloïdes sont moins efficaces que le lactate de
Ringer en termes de diffusion dans l’espace interstitiel ; par ailleurs, ils peuvent contri-
buer à l’apparition de défauts de coagulation et interférer avec les tests de compatibi-
lité transfusionnelle.
ou
d’autres pathologies moins courantes, qui se manifestent avec le temps, n’ont pas été
détectées. Les voies aériennes et la respiration doivent être réévaluées afin de dia-
gnostiquer un problème tel que hémopéricarde, pneumothorax sous tension, ou
lésion du myocarde. Un choc neurogénique et une dilatation gastrique aiguë sont
des éventualités à ne pas négliger.
Le délai écoulé depuis la blessure devrait aussi être pris en compte pour évaluer l’évo-
lution de l’état de choc. Si un état de choc relevant du degré IV est présent moins
d’une heure après la blessure, une opération d’urgence est requise pour la réanima-
tion. Si un état de choc de catégorie IV s’est développé en 4 heures, le patient doit être
réanimé avant l’intervention.
Mise en garde :
Aucun effort ne devrait être épargné pour empêcher l’hypothermie chez un patient
victime de choc. Les solutés intraveineux devraient être chauffés (voir la Section 8.8.1,
ci-dessous, ainsi que le Chapitre 18).
188
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
L’oxygène, ainsi que de petites doses d’analgésie administrées par voie intraveineuse,
sont tout aussi importants. Le meilleur analgésique est la morphine (5 mg par voie
intraveineuse, toutes les 10 minutes si nécessaire). La morphine ne doit pas être admi-
nistrée s’il y a le moindre signe de traumatisme cérébral ou de dépression respiratoire.
En ce cas, le tramadol constitue une bonne alternative. Chez les patients en état de
choc, l’analgésie ne doit être donnée que par voie intraveineuse.
La pose d’une sonde naso-gastrique, pour vider l’estomac et empêcher une dilatation
gastrique, ne doit pas être oubliée.
Dans quelques expériences cliniques, un soluté salé hypertonique a été utilisé pour la
réanimation. Les équipes chirurgicales du CICR n’ont pas d’expérience en la matière et
ne sont donc pas en mesure de faire de commentaires.
Quel devrait être le rôle de la transfusion sanguine lorsque le sang est rare ? Ce cas de
figure est bien différent des conditions optimales, lorsque relativement peu de limites
pèsent sur l’administration de sang ou de composants sanguins ; il est pourtant bien
fréquent.
Le but de la transfusion sanguine est de sauver des vies, ou d’empêcher une morbidité
élevée : le but n’est pas de rétablir un niveau d’hémoglobine normal. Le sang est une
denrée rare et coûteuse, et de graves risques sont liés à son administration. Il devrait
donc être utilisé avec prudence. La décision de donner du sang à tel ou tel patient
devrait être basée, principalement, sur son état clinique corrélé avec les résultats des
analyses de laboratoire, d’une part, et les risques encourus et la difficulté d’approvi-
sionnement d’autre part. Une meilleure compréhension de la physiologie du trans-
8
port de l’oxygène, la pénurie de donneurs et le risque accru d’infections virales ont
conduit à l’adoption d’une politique qui accepte une hémoglobinémie plus basse,
sans effets trop préjudiciables pour le patient. Il faut éviter une transfusion pour
« accélérer la guérison », augmenter le confort du patient, ou fournir un supplément
afin de corriger une anémie. (Certains états cliniques, tels qu’un paludisme grave chez
de jeunes enfants font exception à cette dernière règle.)
189
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La pratique du CICR consiste à transfuser du sang total, aussi frais que possible.
Sinon, le sang total est conservé avec un anticoagulant CPD-A (citrate – phosphate
– dextrose – adénine). Au même titre que beaucoup d’hôpitaux ruraux publics, les
programmes chirurgicaux du CICR ne disposent pas de composants sanguins ; dans la
pratique, cette absence n’est pas considérée comme un handicap.
• Des cristalloïdes et/ou des colloïdes sont administrés tout d’abord : si le patient
reste hémodynamiquement instable et si l’hémoglobine est inférieure à 6 g/dl, du
sang lui est administré. Chez un patient stable, l’hémoglobine inférieure à 6 g/dl
n’est pas une indication pour une transfusion. Néanmoins, il existe une valeur seuil
d’hématocrite de 5 à 10 %, au-dessous de laquelle l’administration continue de
cristalloïdes ou de colloïdes risque de provoquer un arrêt cardiaque par « anémie de
lessivage » 3.
Si une transfusion massive de sang stocké est nécessaire, chaque deuxième unité
devrait être complétée par une ampoule de bicarbonate de sodium (44,3 mEq) et
par une ampoule de chlorure de calcium (10 g), administrées par une voie veineuse
séparée. Comme dans le cas des solutés cristalloïdes, le sang doit être amené à la tem-
pérature corporelle pour éviter d’aggraver l’hypothermie. Pour ce faire, un bain-marie
improvisé ou la chaleur corporelle des membres du personnel peuvent être utilisés.
3 Takaori M, Safar P. Treatment of massive hemorrhage with colloid and crystalloid solutions. JAMA 1967 ; 199 :
297 – 302. Cité dans Barkana Y, Stein M, et al. Prehospital blood transfusion in prolonged evacuation. J Trauma
1999 ; 46 : 176 – 180 and Shoemaker WC, Peitzman AB, Bellamy R, et al. Resuscitation for severe hemorrhage.
CritCare Med 1996 ; 24(2Suppl.) : S12 – S23.
190
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
8.6.4 Autotransfusion
Pour traiter des blessés souffrant d’hémorragie massive et sans stocks adéquats,
des équipes chirurgicales du CICR ont souvent pratiqué la récupération du sang et
son autotransfusion. Un hémothorax, un hémopéritoine (rate ou foie), ou encore la
rupture d’une grossesse extra-utérine sont les indications les plus courantes
Pour de plus amples informations sur les autotransfusions en cas d’hémorragie aiguë,
se reporter au Volume 2 du présent ouvrage.
Une première comparaison, concernant tous les blessés, a été établie entre le nombre
d’unités transfusées et le temps écoulé depuis le moment de la blessure ; une
deuxième a classé séparément les patients présentant des blessures centrales (tête,
cou, thorax et abdomen). Finalement, une étude a été faite selon l’arme vulnérante.
La nécessité d’une transfusion a été plus marquée pour les patients admis moins
de six heures après la blessure : elle a diminué de manière constante pour ceux arri-
vant jusqu’à 72 heures et plus. Cela a valu pour tous les patients. Étonnamment, les
patients présentant des blessures centrales ont exigé moins de sang, en moyenne,
que ceux souffrant de plaies périphériques.
8
Les résultats les plus remarquables étaient associés à la cause de la blessure. Dans le
cas de blessures par mine antipersonnel, les besoins en sang dépassaient de loin ceux
des blessés par balles ou par éclats (Tableau 8.3) ; les mines constituaient la principale
raison de la grande quantité de sang utilisée dans les cas de plaies périphériques.
Pourcentage de patients
27,9 % 13,1 % 15,0 % 18,0 %
transfusés
Nombre moyen d’unités /
3,7 2,6 2,7 4,1
patient transfusé
Nombre moyen d’unités /
103,2 34,1 40,5 73,8
100 patients
Tableau 8.3 Sang transfusé selon la cause de la blessure (279 patients ont été classés sous « autres »
blessures).
4 Eshaya-Chauvin B, Coupland RM. Transfusion requirements for the management of war injured : the experience
of the International Committee of the Red Cross. Br J Anaesth 1992 ; 68 : 221 – 223.
191
LA CHIRURGIE DE GUERRE
• la base de référence doit être portée à 100 unités si les mines antipersonnel sont
largement utilisées au cours des combats ;
• pour les patients souffrant de brûlures, de plus grandes capacités de transfusion
sanguine sont nécessaires – même en l’absence d’excision tangentielle précoce
avec greffe immédiate (non pratiquée dans les hôpitaux du CICR) ;
• de longues lignes d’évacuation, avec des retards importants, et l’absence de mines
antipersonnel dans les hostilités peuvent parfois supprimer la nécessité d’une
banque du sang – le sang requis pour la transfusion est collecté pour chaque
patient, de cas en cas.
Ces recommandations peuvent ne présenter que peu d’intérêt pour l’armée moderne
d’un pays industrialisé, dotée des moyens nécessaires pour assurer l’évacuation et la
réanimation très précoces des blessés de guerre ; par contre, elles peuvent être fort
pertinentes dans les situations de ressources limitées.
À noter :
Les lignes directrices du CICR sont devenues encore plus restrictives depuis lors : la
limite a été fixée à 4 unités, et à un niveau d’hémoglobine de 6 g/dl associé à une
hémodynamique instable.
Tout déficit neurologique – central ou périphérique – doit être décelé. Comme men-
tionné plus haut, en présence d’un traumatisme contondant au-dessus des clavicules,
le rachis cervical doit faire l’objet de soins particuliers.
Réaction Points
Ouverture des yeux spontanée 4
à l’appel 3
à la douleur provoquée 2
pas de réaction 1
Réponse verbale patient orienté et lucide et conversation possible 5
patient confus 4
mots inappropriés 3
sons incompréhensibles 2
pas de réaction 1
Réaction motrice obéit à un ordre verbal 6
défense ciblée contre la douleur 5
défense non différenciée 4
flexion à la douleur provoquée 3
extension à la douleur provoquée 2
pas de réaction 1
Tableau 8.4 Échelle de coma de Glasgow (GCS) : pour chaque variable une valeur numérique est attribuée
à la meilleure réaction. Un score de 15 points constitue le maximum, un score de 3 constitue le
minimum.
Un score < 8 indique un grave traumatisme cérébral : le maintien des voies aériennes
(par intubation ou par cricothyroïdotomie/trachéostomie) est indispensable.
192
LES SOINS EN SALLE DES URGENCES À L’HÔPITAL
Des mesures de stabilisation appropriées devraient être prises et une sonde urinaire
mise en place. Un choc neurogénique est fréquent chez les patients paraplégiques, qui
exigent donc souvent une réanimation en perfusion et un vasopresseur intraveineux.
8.8 Environnement/exposition
L’hypothermie doit être évitée à tout prix – tout examen du patient doit être exhaustif
mais rapide – et, si elle survient, traitée agressivement. Avec une température centrale
de 37°C, une température ambiante de 32 à 34°C est considérée comme étant neutre ;
si elle est inférieure, le corps transfère sa chaleur à l’environnement. Après l’examen, le
patient doit rester couvert, même en climat tropical.
Tout doit être fait pour conserver la chaleur chez un blessé (se réchauffer consomme
bien plus d’énergie que maintenir une température normale). Les premières mesures
comprennent le réchauffement de l’oxygène d’inhalation et des perfusions, ainsi que
le réchauffement externe atteignant un maximum de 40 à 42°. Des méthodes plus
agressives de « réchauffement central » telles que lavement rectal et lavage de l’esto-
mac, de la vessie et du péritoine (à 37°C) peuvent être utilisées.
8
La coagulopathie post-traumatique est un danger bien connu chez les patients en
état de choc et soumis à une réanimation agressive, en particulier s’ils ont reçu des
quantités massives de perfusions ainsi que des transfusions de sang conservé. Elle
résulte d’une combinaison de facteurs. La transfusion de sang total frais est très utile
en l’absence de composants sanguins – et même quand ils sont disponibles (voir le
Chapitre 18).
À ce stade, et plus encore que dans le contexte préhospitalier, il est important de dés-
habiller le patient, et de procéder à un examen complet, de la tête aux pieds, devant
et derrière et sur les côtés. Dans certaines sociétés, un tel examen risque de heurter
des traditions culturelles et religieuses (un médecin homme examinant une patiente).
Un compromis doit être trouvé.
Dans l’atmosphère de la salle des urgences d’un hôpital, qui s’y prête mieux, une
approche systématique doit être utilisée pour examiner de manière exhaustive le
cuir chevelu et la tête (bouche, nez et oreilles), le cou, le thorax, l’abdomen, le périnée
(scrotum et urètre, rectum et vagin), le dos et les fesses et, enfin, les extrémités. Les
pouls périphériques, la température et le retour capillaire sont comparés des deux
côtés. La fonction motrice des principaux nerfs périphériques est testée. Le but est de
faire un bilan complet de toutes les blessures, ainsi qu’une appréciation plus fine de
chaque lésion en particulier.
L’examen complet est, en réalité, une palpation complète. L’orifice d’entrée peut être
excessivement petit et être passé inaperçu. Cela se produit en particulier dans le cas
des blessures par éclats à la tête ou au périnée : les cheveux et les poils emmêlés et
imprégnés de sang pouvant facilement dissimuler la plaie (Figure 8.6). L’orifice d’en-
trée doit être identifié par une palpation minutieuse. Il convient aussi de se souvenir
193
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Figure 8.6
Petit orifice
d’entrée temporo-
zygomatique caché
par les cheveux.
M. Baldan / CICR
que, chez les personnes à la peau foncée, une contusion et/ou un érythème peuvent
être plus faciles à sentir qu’à voir.
Entrée
H. Nasreddine / CICR
H. Nasreddine / CICR
H. Nasreddine / CICR
Sortie
Entrée
Une simple silhouette du corps humain (sous forme d’un « homunculus »), de face et
de dos, est utile pour consigner toutes les blessures sur la fiche d’admission.
Les pansements posés sur les membres ne devraient pas être enlevés si le blessé
est hémodynamiquement instable. Ce n’est que quand la réanimation a commencé
et que l’état du patient est sous contrôle que l’examen des blessures des extrémités
peut se faire sans risque, de préférence au bloc opératoire. Néanmoins, les fractures
devraient être immobilisées si cela n’a pas déjà été fait sur le terrain.
L’algorithme ABCDE devrait être répété pour détecter tout changement de l’état du
patient. Réanimation et mise en condition sont poursuivies, tandis que des examens
complémentaires sont réalisés. L’étendue de ces derniers dépend du niveau de sophis-
tication et de compétence de l’hôpital concerné.
Les normes minimales du CICR pour la chirurgie de guerre pratiquée en urgence dans
des circonstances précaires et en milieu hospitalier aux ressources limitées, prévoient
notamment :
• radiographie simple ;
• oxymètre de pouls ;
• hémoglobine ;
• hématocrite ;
• numération et formule leucocytaires ;
• numération plaquettaire ;
• temps de coagulation ;
• temps de saignement ;
• taux de glycémie à jeun ;
• frottis sanguin pour le dépistage du paludisme (et d’autres parasites sanguins, s’il y
a lieu) ;
• dépistage de la drépanocytose (s’il y a lieu) ;
• analyse d’urine par bandelettes, tests de grossesse ;
• groupage sanguin, dépistage et tests de compatibilité.
Quand des actes de chirurgie plus générale, de médecine interne et de pédiatrie sont
couramment pratiqués dans un l’hôpital du CICR, des analyses de laboratoire plus
élaborées s’ajoutent à la liste ci-dessus. Dans des situations plus précaires (telles que 8
les connaissent les équipes chirurgicales de terrain), aucun des examens ci-dessus ne
peut être effectué.
195
196
Chapitre 9
LE TRIAGE
MÉDICO-CHIRURGICAL
D’UN AFFLUX MASSIF
DE BLESSÉS
197
LA CHIRURGIE DE GUERRE
9.5 lan d’urgence pour un afflux massif de blessés : plan de triage en cas de catastrophe
P 207
9.5.1 Planification 207
9.5.2 L’équipe 208
198
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
9.1 Introduction
Face à l’arrivée de nombreux blessés suite à un incident isolé, les moyens à dispo-
sition peuvent atteindre leurs limites, mais il demeure possible de faire au mieux
pour tous les patients. Par contre, en cas d’un afflux massif de blessés, l’hôpital se
trouve submergé ; les ressources ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins
de toutes les victimes. La logique spécifique du triage doit entrer en jeu. Il n’est plus
possible de tout faire pour chaque victime. Le personnel médical doit agir au mieux :
faire le plus possible – mais pas nécessairement tout ce qui est possible – pour le plus
grand nombre. C’est là un nouvel exemple de l’adaptation du « logiciel mental pro-
fessionnel » – l’état d’esprit – qui s’impose dans la pratique de la chirurgie de guerre.
Les deux guerres mondiales du XXe siècle, durant lesquelles une seule bataille pouvait
se solder par des dizaines de milliers de blessés, ont démontré l’importance du triage
et la nécessité de fixer un ordre de priorités dans l’évacuation et le traitement des
blessés. Le concept du triage a été étendu – avec un bénéfice considérable – aux
9
situations de catastrophe naturelle et aux incidents isolés impliquant des victimes en
grand nombre (actes de terrorisme, accidents industriels, incendies dans des institu-
tions sociales, etc.), et il est aujourd’hui généralement accepté dans le monde entier.
Cela dit, les opérations de triage diffèrent, selon qu’il s’agisse d’une catastrophe natu-
relle ou d’une situation de conflit. Une catastrophe naturelle majeure est un événe-
ment impliquant un très grand nombre de victimes et les services hospitaliers sont
submergés ; tous les patients sont blessés au même moment, mais un répit intervient
ensuite. Il en va de même pour des accidents impliquant de nombreuses victimes.
En revanche, un conflit armé peut provoquer une arrivée massive de blessées en flux
continu qui peut se poursuivre pendant des semaines ou même des mois. Il peut n’y
avoir aucun répit jusqu’à la fin des hostilités. Cependant, beaucoup de concepts fon-
damentaux qui sous-tendent le système de triage en temps de guerre s’appliquent
aux situations de catastrophe.
199
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La pratique du triage n’est pas dogmatique. Il ne s’agit pas d’une série de règles, mais d’une
approche logique et d’une philosophie qu’il faut adapter à chaque situation particulière.
Des lignes d’évacuation plus efficaces, des temps de transfert plus courts et de
meilleurs soins préhospitaliers permettent à un plus grand nombre de patients griè-
vement blessés de survivre jusqu’à leur admission dans un hôpital chirurgical. Le
nombre de « morts au combat » diminue, mais le taux de « décédés de leurs plaies »
augmente souvent (voir le Chapitre 5).
Toutefois, dans beaucoup de pays à bas revenu, les blessés civils arrivent souvent à l’hô-
pital sans avoir reçu les premiers soins et sans avoir pu bénéficier d’un service d’ambu-
lances. En ce cas, ce sont habituellement les personnes les moins gravement blessées
qui arrivent en premier à l’hôpital – qui devient alors la première station de triage.
Quels que soient le traitement ou le triage préalables, un nouveau triage doit être
effectué à l’arrivée des blessés à l’hôpital. L’état des patients évolue, et les priorités de
l’hôpital peuvent être différentes de celles du terrain. Tous les patients arrivant à l’hô-
pital lors d’un grand afflux de blessés, doivent passer par le triage1.
Besoins
• Combien de blessés arrivants : 10, 50 ou 100 ?
1 À propos des opérations de triage sur le terrain, voir Giannou C, Bernes E. Les premiers secours dans le contexte
d’un conflit armé ou d’autres situations de violence. Genève : CICR ; 2006. Version française, 2008.
200
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
Ressources
• Combien de chirurgiens et d’anesthésistes ?
Un hôpital peut disposer de trois salles d’opérations entièrement équipées ; mais, s’il
n’y a qu’un seul chirurgien, un seul patient pourra être opéré à la fois. Si trois chirur-
giens et trois anesthésistes sont sur place, mais que l’hôpital ne compte qu’une salle
d’opération, l’équipe peut improviser des locaux opératoires supplémentaires, pour
autant qu’elle dispose de suffisamment de trousses d’instruments chirurgicaux.
EXPÉRIENCE DU CICR
Pendant les combats qui se sont déroulés à Kaboul, en 1992, les blessés affluaient
en grand nombre à l’hôpital du CICR. Quatre équipes chirurgicales y travaillaient,
épaulées par des médecins généralistes afghans possédant une certaine
expérience chirurgicale. L’hôpital disposait de deux salles d’opération, situées
dans différents bâtiments, et équipées de quatre tables pouvant fonctionner en
même temps. La première équipe opérait dans un bâtiment, la deuxième dans
l’autre, la troisième s’occupait du triage, et la quatrième se reposait !
Ces facteurs – besoins et ressources – sont à mettre en regard. Jamais deux situations
de triage ne seront les mêmes. Cet équilibre (qui se modifie constamment) entre les
besoins et les ressources détermine les priorités de traitement parmi tous les patients
qui arrivent à l’hôpital. Aucun dogmatisme n’est de mise au moment de décider quel
patient sera opéré le premier, puisque chaque situation est différente. Seule une
pleine compréhension de la logique et de la philosophie du triage permettront d’éta-
blir efficacement les priorités, et de ce fait de prodiguer les meilleurs soins possibles
9
au plus grand nombre de victimes.
1. Le système doit être aussi simple que possible – l’afflux massif de blessés crée
toujours la confusion, des tensions et de l’anxiété.
2. Tous les membres de l’équipe de l’hôpital doivent comprendre le système qui est utilisé.
201
LA CHIRURGIE DE GUERRE
• Délai écoulé depuis la blessure – élément important pour déterminer le degré de choc et
la réponse à la réanimation, et déceler une ischémie dans un membre (voir le Chapitre 5).
Patients nécessitant une intervention chirurgicale, mais pas en urgence. Dans la pratique,
cette catégorie recouvre un grand nombre de victimes, notamment dans les cas de :
• plaie crânio-cérébrale pénétrante avec score GCS > 8, à condition que le contrôle
définitif des voies aériennes puisse être maintenu ; si un rétablissement chirurgical
de ces voies est nécessaire, catégorie I pour une trachéostomie seulement3 ;
• la plupart des fractures ouvertes : dans la pratique, une grande partie des blessés ;
• lésions importantes des tissus mous : dans la pratique, une grande partie des blessés.
Patients qui ne nécessitent pas d’hospitalisation et/ou de chirurgie parce que leurs
blessures sont mineures et peuvent être prises en charge en ambulatoire.
Ces patients sont souvent appelés « blessés en état de marcher ». Dans la pratique,
c’est un très grand groupe, comprenant notamment les patients présentant des plaies
superficielles, prises en charge sous anesthésie locale en salle d’urgence ou avec de
simples mesures de premiers secours.
Patients si gravement atteints qu’ils ont fort peu de chances de survivre ou, s’ils survi-
vaient, auraient une qualité de vie médiocre. Ce sont notamment les moribonds, ou les
patients souffrant de blessures graves et multiples, dont la prise en charge pourrait être
considérée comme un gaspillage de ressources (en termes de temps d’intervention et
de sang, ressources déjà rares en cas d’afflux massif de blessés). Par exemple les cas de :
• quadriplégie ;
2 Le système de catégories de triage employé par le CICR a été révisé par l’Atelier des chirurgiens cadres du CICR
qui s’est tenu à Genève en 2002 (voir Introduction).
3 À noter : Les hôpitaux du CICR ne sont pas équipés de ventilateurs mécaniques et il n’est pas toujours possible
d’assurer une étroite surveillance des patients intubés. Un rétablissement chirurgical évite beaucoup de
problèmes et, de toute façon, devrait remplacer une sonde endotrachéale si le patient doit rester intubé
pendant plusieurs jours.
202
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
Les patients présentant des plaies superficielles, relevant de la catégorie III, peuvent
être si nombreux, avoir mal, et être si apeurés et excités qu’une grande confusion
naît de leur présence incontrôlée en salle d’urgence ou dans l’aire de triage. Dans les
contextes urbains, ces patients tendent à être les tout premiers à être acheminés vers
un hôpital, au détriment des blessés plus gravement atteints.
Cette catégorisation n’est pas rigide ; des patients attendant une intervention chirur-
gicale peuvent changer de catégorie ; le même patient peut relever de deux catégo-
ries à la fois (par exemple, un patient présentant une grave blessure maxillo-faciale
nécessitant une trachéostomie immédiate et une hémostase de base (catégorie I),
alors que le débridement et la reconstruction primaire de son visage, qui peuvent
nécessiter de longues interventions, peuvent attendre (catégorie II).
À noter :
Au total, 2 393 blessés ont été enregistrés dans quatre hôpitaux et 62 dispensaires.
Seuls 25 % d’entre eux exigeaient des soins hospitaliers et moins encore une
opération chirurgicale. Relevant en grande majorité de la catégorie III, ils auraient
pu recevoir des soins ambulatoires, mais beaucoup sont restés hospitalisés
plusieurs jours.
Le JFK Memorial Hospital a vu arriver 2 567 blessés, dont 1 015 seulement ont
été considérés comme nécessitant une hospitalisation (40 %) ; sur ce nombre,
seuls 718 (71 %) ont subi une opération. Parmi les patients hospitalisés, certains
n’exigeaient pas d’opération (cas de paraplégie), alors que, pour beaucoup
d’autres, il n’y avait simplement pas assez de temps ou de ressources humaines
à disposition. Beaucoup de blessés qui, à l’origine, avaient été placés dans
la catégorie II – et avaient reçu des antibiotiques, des pansements et une
analgésie – sont finalement devenus des patients placés en catégorie III, avec
et sans séquelles.
L’équilibre entre les besoins et les ressources est de nature dynamique et change
constamment : jamais deux situations de triage ne seront les mêmes.
203
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les patients peuvent changer de catégorie. Leur état peut soit se dégrader, soit s’amé-
liorer avec le temps et avec une réanimation préopératoire. En conséquence, une
réévaluation continue des patients est absolument nécessaire.
Afin de catégoriser les blessés, le responsable du triage recherche tout d’abord les
états cliniques qui engagent le pronostic vital en contrôlant :
• voies aériennes, ventilation/respiration, circulation sanguine ;
• indices physiologiques importants (état mental, caractère et taux du pouls, difficulté
de respiration) ;
• site anatomique des blessures (tête, thorax, abdomen) ;
• la gravité des blessures évidentes, évaluée selon la classification Croix-Rouge
(amputation de membre, etc.).
Sur la base d’une appréciation clinique, et uniquement sur cette base, une première
décision est prise de placer le blessé dans l’une ou l’autre des catégories : le nombre
de patients qui se présentent à l’hôpital avec des blessures graves ne joue aucun rôle
dans cette catégorisation.
L’objectif est de reconnaître rapidement les deux types extrêmes de blessures qui
concernent le plus grand nombre de victimes : les plaies très légères (catégorie III) et
les blessures très graves (catégorie IV). Dans le même temps, les morts seront repérés
et séparés. Un minimum de temps est consacré aux patients des catégories III et IV.
En effet, ces patients doivent être rapidement emmenés hors de l’aire de triage et
conduits dans des zones spécialement désignées.
Å. Molde / CICR
Le responsable du triage se concentre sur les patients dont l’état est critique (catégo-
rie I) ou qui sont gravement blessés (catégorie II). Ce sont :
Figure 9.1 • les patients nécessitant une réanimation et une chirurgie immédiate dans le cadre
Responsable du triage assisté par un employé du processus de réanimation ;
administratif. • les patients nécessitant une réanimation continue ; et
• les patients qui toléreront d’attendre un certain temps avant de recevoir l’attention
du chirurgien.
204
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
Le traitement initial est assuré par une équipe affectée à cette tâche. Les patients
devraient ensuite être transférés aussi rapidement que possible en dehors de l’aire de
triage, vers le bloc opératoire ou l’unité désignée pour leur catégorie de triage afin de
libérer l’espace pour les nouveaux arrivants. La réanimation, pour autant qu’elle soit
nécessaire, est poursuivie dans ces zones spécialement assignées.
L’utilisation de la radiologie devrait être limitée, car elle est rarement essentielle dans
ces circonstances : le responsable du triage ne doit pas attendre une radiographie
pour décider de la catégorie de triage.
Le temps pendant lequel les patients attendent une intervention chirurgicale peut
être mis à profit pour réaliser les radiographies et les analyses de laboratoire, si néces-
saire, mais celles-ci ne doivent pas gêner les efforts de réanimation.
La même logique s’applique aux patients placés dans les autres catégories. Le respon-
sable du triage, ou la personne en charge du service, réexamine les patients en caté-
gorie II, et désigne les cas prioritaires à inscrire sur la liste des interventions.
les patients d’une zone à une autre quand ils changent de catégorie. Si, pour chaque
décision, il faut s’en référer à lui, le responsable du triage sera vite submergé.
Dans toute opération de triage, l’aspect le plus difficile est de devoir accepter que
certains patients vont seulement recevoir des analgésiques et être conduits dans un
endroit tranquille où ils pourront mourir avec dignité et dans un certain confort. Une
fois le traitement des patients prioritaires terminé, les patients placés en catégorie IV,
s’ils sont encore en vie, peuvent être à nouveau examinés. Le responsable du triage
peut alors, à ce stade, envisager une intervention chirurgicale pour eux.
Il peut s’avérer nécessaire de transférer vers d’autres locaux, voire en dehors de l’hôpi-
tal chirurgical, des patients ne nécessitant qu’un minimum de soins pour poursuivre
leur convalescence. Il convient en ce cas de bien les identifier et d’en garder la trace,
afin d’assurer la continuité de leur traitement et de l’administration de médicaments.
La documentation est importante, car un patient peut facilement être « égaré ».
Lors du triage d’un grand afflux de blessés, il n’y a ni temps ni lieu pour des désac-
cords : les décisions du responsable du triage doivent être « dictatoriales ». La séance
d’évaluation post-triage offre le cadre approprié pour un débat « démocratique » et
les critiques constructives.
Il est essentiel de disposer de bons dossiers, et aucun effort ne devrait être épargné
pour enregistrer les aspects importants des blessures, le traitement ainsi que la caté-
gorie de triage du patient.
Chaque blessé devrait être correctement identifié, numéroté et muni d’un dossier
médical. De grands sacs-poubelle en plastique, étiquetés avec le numéro d’admission
du patient, sont utilisés pour ses vêtements ; des sacs en plastique plus petits, égale-
ment étiquetés, servent à rassembler ses objets personnels. Ils sont conservés séparé-
ment et les objets de valeur mis en lieu sûr.
Un système doit être créé pour indiquer la catégorie de triage de chaque patient, par
exemple des cartes de couleurs différentes selon la catégorie, attachées à une main
ou à un pied, ou pendues autour du cou du blessé. Ces « étiquettes » sont faciles à
enlever et à changer si le patient change de catégorie de triage. Le fait d’inscrire un
numéro « indélébile » sur le front ou le thorax ne peut que créer de la confusion en
cas de « recatégorisation ».
206
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
Rédigé en style télégraphique, le dossier médical du patient doit être clair, concis,
mais complet, et inclure au minimum :
• nom, âge, sexe, date et heure de la blessure, cause de la blessure, premiers soins éventuels ;
• date et heure de l’admission à l’hôpital ;
• signes vitaux : tension artérielle, pouls, rythme respiratoire, statut neurologique ;
• diagnostic : l’utilisation d’un schéma du corps (homunculus) est très utile ;
• catégorie de triage ;
• instructions préopératoires complètes.
Ces informations de base sont particulièrement importantes si les patients sont transfé-
rés vers une autre structure. La tenue à jour d’une liste des patients admis ou traités est
nécessaire. Elle permet de renseigner les personnes qui viennent prendre des nouvelles
de membres de leur famille ou d’amis. Les autorités locales exigent parfois des infor-
mations sur le nombre d’admissions et de décès. Il faut aussi s’occuper des médias. Ces
différents problèmes sont l’affaire du chef de l’équipe de triage, ou de son remplaçant.
EXPÉRIENCE DU CICR
CICR
Figure 9.2
État d’une fiche d’admission après le triage.
Tout hôpital accueillant des blessés de guerre doit être préparé à recevoir un grand
nombre de victimes. Cette préparation nécessite une planification et une formation.
9.5.1 Planification
La Figure 9.3, montrant une tente de triage, illustre un certain nombre de points clés :
• il y a assez de place pour se déplacer librement ;
• les lits/civières de petite taille et légers sont faciles à déplacer et peu onéreux ;
• de petits chariots contiennent le matériel médical d’urgence ;
• les perfusions pendent à une corde tendue en travers de la tente, ce qui permet de
déplacer facilement les patients ;
• un patient est transporté sur une civière par des brancardiers affectés à ce service ;
• relativement peu nombreux, les membres du personnel présents remplissent les
tâches qui leur ont été allouées, dans un calme apparent.
Cette scène montre une bonne organisation qui requiert une bonne planification de
l’espace, des infrastructures, de l’équipement, du matériel médical et du personnel.
Cette scène illustre une bonne organisation, qui implique une planification de l’es-
pace et des infrastructures.
Figure 9.4
À l’extérieur d’une tente de triage.
CICR
Un système de triage ne s’improvise pas : planification et
formation sont indispensables.
L’équipe de l’hôpital doit être préparée à faire face à toutes sortes de crises. Un plan
de triage en cas de catastrophe devrait être dressé (voir l’Annexe 9. B : Plan d’urgence
en cas d’afflux massif de blessés à l’hôpital). Le but d’un tel plan est de prévoir l’orga-
nisation en termes de :
• personnel ;
• espace ;
• équipement ;
• matériel (médical et non médical) ;
• infrastructures (eau, combustible pour générateurs électriques, etc.) ;
• services d’appui (blanchisserie, cuisine et cafétéria/cantine, etc.) ;
• formation de l’équipe de l’hôpital ;
• système de communication ;
• sécurité.
9.5.2 L’équipe
L’équipe de l’hôpital doit tenir une série de réunions pour mettre au point le plan
de triage en cas de catastrophe. Toute personne travaillant à l’hôpital doit être au
courant du plan et de son propre rôle en temps de crise. Le plan doit être affiché afin
que tout le monde le connaisse bien.
Le plan doit être mis à exécution dès qu’une arrivée massive de blessés est annon-
cée. Il doit inclure un mécanisme pour savoir qui déclare l’urgence et dans quelles
conditions. Les interventions programmées ainsi que les autres activités courantes
devraient être suspendues jusqu’à ce que la situation soit revenue à la normale. Ce
type d’organisation n’exige ni argent ni technologie spéciale. Il faut seulement du
temps, de la volonté, de la discipline et de la motivation. Tout plan d’intervention
en cas de catastrophe devrait être une extension des tâches normales de l’hôpital.
Les tâches des membres du personnel devraient rester proches de celles qu’ils rem-
plissent au quotidien. Le plan ne devrait pas entraîner un changement complet
du système. Introduire beaucoup de nouvelles procédures ne fera qu’ajouter à la
confusion.
208
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
9.6 Personnel
Dans tout scénario de triage clinique en cas de catastrophe, trois rôles cadres sont
essentielles : chef de l’équipe de triage, responsable du triage clinique (trieur),
infirmier/ière-chef.
Plus important encore, l’équipe de l’hôpital doit être capable d’accepter les décisions
prises par le responsable-trieur. Les membres du personnel, les proches des blessés
et les commandants militaires peuvent tenter d’influencer les décisions prises lors
du triage : néanmoins ces décisions doivent être basées sur des raisons purement
9
médicales. Cette condition peut être spécialement difficile à mettre en œuvre dans
un hôpital public, où des amis et des membres de la famille du personnel de l’hôpital
peuvent figurer parmi les victimes. Établir les priorités de traitement selon deux seuls
critères – impératifs médicaux et ressources disponibles – peut conduire à des déci-
sions déchirantes quand des proches du personnel figurent parmi les blessés. En ce
cas, le personnel de l’hôpital doit être capable de poursuivre son travail et d’accepter
de vivre, jusqu’à la fin de ses jours, avec les décisions prises lors du triage. L’expérience
de l’officier de triage et le respect que lui accorde le personnel de l’hôpital doivent
être au-dessus de tout reproche.
Responsable-trieur
9.6.3 Infirmier/ière-chef
L’infirmier/ière-chef est chargé d’organiser le travail du personnel infirmier et para-
médical (laboratoire, pharmacie, etc.) ainsi que du personnel d’appui non médical
(aides-infirmiers, brancardiers et préposés aux chariots d’hôpital, personnel de
cuisine, blanchisserie, nettoyage, etc.). Il s’agit donc essentiellement d’une fonction
de coordination. Tout rôle clinique, ou de supervision, assumé par l’infirmier/ière-
chef dépendra des circonstances particulières de l’hôpital concerné.
209
LA CHIRURGIE DE GUERRE
EXPÉRIENCE DU CICR
1. Pose des voies veineuses et prélèvement de sang en vue du groupage et des tests
de compatibilité.
ORGANISATION OF DISASTER TEAMS
I. TRIAGE (screening) TEAM:
210
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
nombre, une telle pratique serait considérée comme de la négligence : encore une
fois, un certain « ajustement mental » est nécessaire.
Pendant une crise, l’équipe de l’hôpital subit un stress important, tant émotionnel
que physique. Tous les membres du personnel auront besoin de trouver un rythme
de travail supportable, afin de rester efficaces et garder une attitude professionnelle.
Comme déjà mentionné, en période de conflit armé, une arrivée massive de nou-
veaux blessés peut se produire chaque jour, pendant plusieurs semaines d’affilées. Il
est impossible de prévoir combien de temps la situation risque de durer.
EXPÉRIENCE DU CICR
Une situation de triage est épuisante pour tous. Certains, mus par un sentiment
(excessif ) de devoir professionnel, ont de la difficulté à accepter qu’ils ont besoin d’un
répit. Il faut donc insister pour qu’ils se reposent. Travailler pendant des périodes pro-
longées, sans sommeil, n’aboutit qu’à un seul résultat : le personnel n’est plus en état
de traiter de manière adéquate les nouveaux patients qui continuent d’arriver.
9.7 Espace
En cas d’afflux massif de blessés, les différents services de l’hôpital doivent être réa- 9
ménagés conformément au plan préalablement arrêté. Outre le site original de l’hôpi-
tal, tous les locaux alternatifs (bâtiment, abri souterrain, etc.) doivent être inclus dans
le plan, au cas où l’hôpital devrait être évacué pour des raisons de sécurité. L’équiva-
lent, dans une situation de catastrophe naturelle, serait la destruction des bâtiments
de l’hôpital et/ou de ses voies d’accès (tremblement de terre, glissement de terrain,
tsunami, etc.).
La salle habituellement utilisée pour la réception des urgences et/ou les admissions
peut être trop petite pour accueillir un grand afflux de blessés. Une zone vaste et
extensible, pouvant servir d’aire de triage, devrait être présélectionnée. Cette zone
devrait être libérée de tout patient, et être assez spacieuse pour permettre la libre cir-
culation du personnel et des blessés.
R. Aburabi / CICR
R. Aburabi / CICR
Figure 9.6.1 Figure 9.6.2
Aire de triage alternative dans un bâtiment inutilisé : vide. Le même local : plein.
211
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Dans certains contextes, même lorsque les blessés affluent en nombre à l’hôpital, il
sera nécessaire d’avoir des zones séparées pour les hommes et pour les femmes. Il
doit en être tenu compte lors de la planification.
Une fois passés par le triage, les patients devraient être conduits soit au bloc soit dans
les unités désignées.
Les patients placés en catégorie III, atteints de plaies superficielles, pourraient être
transférés dans le service des soins ambulatoires ou dans un lieu de convalescence,
hors de l’hôpital chirurgical. Ce groupe est composé de nombreux patients qui ont
mal, sont lucides, effrayés par les tirs et les bombardements et paniqués. L’organisa-
tion de cet espace, ainsi que l’affectation du personnel adéquat minimal, sont impor-
tantes afin d’isoler ces patients, de leur donner rapidement les soins requis et de leur
permettre de quitter l’hôpital.
Enfin, une pièce tranquille et isolée devrait être aménagée pour les patients placés
en catégorie IV présentant des blessures très graves et que l’on devrait laisser mourir
tranquillement, dans la dignité. La pose d’une voie veineuse et, le cas échéant, l’admi-
nistration d’analgésiques, sont à prévoir.
Certaines mesures devraient être prises pour organiser les visites des amis et des
membres de la famille de tous les patients gravement blessés. Ces dispositions relè-
vent des mesures de sécurité indispensables à mettre en place (voir la Section 9.13).
Inutile de dire que ces boîtes doivent être inspectées régulièrement pour vérifier la
date d’expiration des articles qu’elles contiennent. Les médicaments devront pro-
bablement être conservés à part. Les réserves doivent inclure les antibiotiques et
analgésiques appropriés, de même que de l’immunoglobuline antitétanique et de
l’anatoxine tétanique.
peut être perturbé par la rupture des lignes d’approvisionnement habituelles provo-
quée par les combats.
Des formulaires standard et des dossiers individuels pour les patients, chacun portant
un numéro unique, doivent être préparés et tenus à disposition. Chaque dossier doit
inclure une fiche de triage ou d’admission, un tableau du bilan des entrées et sorties
de liquides ainsi que les demandes d’examens de laboratoire et de radiologie.
9.9 Infrastructures
Des plans doivent être établis, afin que l’hôpital dispose d’un approvisionnement
en eau adéquat, de suffisamment d’électricité et d’un système d’assainissement et
d’élimination des déchets acceptable (le cas échéant, des réserves de carburant pour
les générateurs électriques). Il est également important de disposer d’un stock de
pièces détachées – les pannes ont tendance à survenir en plein cœur d’une situation
d’urgence.
L’attribution des rôles, des responsabilités et des tâches ne se limite pas au personnel
médical. Un système spécial de relais doit être mis en place pour que des techniciens
et des agents d’entretien chargés de faire fonctionner les générateurs et d’assurer
l’approvisionnement en eau soient disponibles en tout temps.
Le personnel hospitalier, les patients et leurs proches, de même que les volontaires,
doivent tous pouvoir s’alimenter. Le linge de l’hôpital doit être lavé et le linge du
bloc opératoire doit être à nouveau stérilisé. Tant le personnel que les installations
de la cuisine, de la cafétéria et de la blanchisserie doivent être inclus dans le plan-
catastrophe. Les proches des patients dérangent beaucoup dans l’aire de triage,
mais leur énergie peut être réorientée et mise à contribution pour le bien de tous. Ils
peuvent en effet donner leur sang et être engagés comme bénévoles (brancardiers,
9
porteurs d’eau, nettoyeurs, aides de cuisine, etc.).
9.11 Formation
Tant les protocoles cliniques que les directives relatives au triage et à la prise en
charge des patients doivent être standardisés et compris de tous les médecins et de
tous les infirmiers. Cela aide à éviter la confusion et les désaccords dans des circons-
tances tendues et fatigantes.
Après chaque opération de triage, et quand cela est réalisable, une réunion générale
du personnel devrait être organisée pour faire le bilan de ce qui a bien marché et de
ce qui s’est mal passé. Cette évaluation permet de « peaufiner » le plan de triage, afin
de l’améliorer en prévision d’un nouvel afflux massif de blessés.
Certains individus, ou même l’équipe tout entière, peuvent avoir trouvé l’expérience
très stressante. Une discussion ouverte et franche – pour évoquer ce qui s’est passé
et les motifs de certaines décisions – peut être très bénéfique et même avoir un effet
thérapeutique.
213
LA CHIRURGIE DE GUERRE
9.12 Communication
Le plan doit inclure les moyens de contacter les membres du personnel qui ne sont
pas de service. Toutefois, si les combats se déroulent dans les alentours de l’hôpital,
le personnel hospitalier risque d’avoir de la peine à s’y rendre. Les systèmes de télé-
phonie mobile ont tendance à tomber en panne (ou sont interrompus par certaines
autorités) lorsque des combats ou des troubles éclatent en milieu urbain.
9.13 Sécurité
Derniers éléments à mentionner, mais certainement pas les moins importants : la sûreté
et la sécurité des locaux de l’hôpital, des patients et du personnel. Quand un conflit
armé se solde par un grand nombre de victimes, en règle générale, chaque blessé
arrivant à l’hôpital est accompagné par deux à quatre personnes – amis, membres de la
famille, camarades d’armes, ou simples passants qui ont participé à l’évacuation ou au
transport du blessé. Parfois, des badauds curieux essayent eux aussi d’entrer à l’hôpital.
La population civile peut être paniquée et considérer l’hôpital comme un lieu sûr. Ce
phénomène bien connu est appelé « réaction de convergence ». La peur et l’excitation
R. Aburabi / CICR
La sécurité doit être assurée en postant des gardes au portail de l’hôpital. Seuls les
blessés devraient être autorisés à entrer, éventuellement accompagnés d’un parent
R. Aburabi / CICR
proche pour respecter les traditions culturelles locales. Toutes les armes doivent être
laissées hors de l’enceinte de l’hôpital.
Figure 9.7.2 L’accès à l’aire de triage devrait être interdit ; un garde devrait être posté là pour
La « tente de triage » vue de l’extérieur. empêcher les autres patients et les badauds de se mélanger aux blessés nouvelle-
ment arrivés.
Il convient d’empêcher que les locaux soient envahis par le grand nombre de proches
et d’amis qui, inévitablement, se précipitent à l’hôpital et gênent le travail du person-
nel médical. Un système pour les visites des amis et des membres de la famille des
patients doit être mis en place afin de réduire les risques de « friction ». Dans certaines
circonstances, il convient aussi d’organiser et de mettre à disposition un héberge-
ment à proximité de l’hôpital.
214
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
Le fait que les gardes soient armés ou pas dépendra des circonstances propres au
pays concerné. Le DIH n’interdit pas la présence de gardes armés si leur but est de
maintenir l’ordre et de protéger les patients et le personnel.
Dans des circonstances extrêmes, il peut être nécessaire de créer, à l’entrée de l’hôpi-
tal ou de l’aire de triage, une sorte de sas destiné à jouer un rôle d’« écluse »4. Un tel
dispositif permet de canaliser et de mieux contrôler la foule, en particulier les indivi-
dus armés.
EXPÉRIENCE DU CICR
R. Aburabi / CICR
En 1992, à l’entrée de l’hôpital du CICR à Kaboul, en Afghanistan, des containers
en acier avec une ouverture aménagée aux deux extrémités ont été utilisés pour
créer un « tunnel » qui a permis de filtrer toutes les personnes qui se présentaient à
Figure 9.7.3
l’entrée. La largeur des portes permettait tout juste le passage d’un brancard et ses
Volontaires à l’intérieur de la « tente de triage »
porteurs. avant l’action.
En 1992 également, à Mogadiscio, en Somalie, l’hôpital CICR/Croissant-Rouge
de Somalie était situé dans une prison réaffectée. Une première série de portails
gardés conduisait à une aire de triage sous une grande tente. Une seconde série de
portails séparait la tente de triage de l’hôpital lui-même, permettant de contrôler
l’entrée de l’hôpital.
R. Aburabi / CICR
été réalisé là. Il s’agissait plutôt d’une « tente de désarmement » : la tente offrait un
espace pour désarmer tous les combattants, enlever aux blessés leurs vêtements
souillés, leurs armes et leurs munitions et leur prodiguer les premiers soins de base.
Figure 9.7.4
Les blessés – non armés – étaient ensuite emmenés sur des civières dans le service
Volontaires après l’action.
des urgences où le triage clinique était réalisé.
4 Un sas est un petit bassin étanche entre deux écluses, par analogie, une petite pièce entre deux milieux
différents. Une écluse est une courte section d’un canal munie, à chaque extrémité, de portes pouvant être
ouvertes ou fermées pour modifier le niveau d’eau afin de relever ou d’abaisser les bateaux empruntant le canal.
Cela permet de contrôler le mouvement entre des zones à différents niveaux d’eau. Par analogie, un portail de
sécurité permet le contrôle des mouvements de personnes entre les différentes zones d’un hôpital.
215
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Il n’y a pas besoin d’argent pour mettre en place un plan d’urgence bien organisé ; en
revanche il faut du temps, de la volonté, de la discipline et de la motivation !
Aussi bon que soit le plan d’intervention en cas de catastrophe et aussi complète
qu’ait été la formation, un afflux massif de blessés est toujours stressant et s’accom-
pagne de confusion. L’équipe doit se montrer flexible et savoir s’adapter. Le triage
ne se résume pas à une série de règles. Il s’agit d’une logique et d’une philosophie
devant être adaptées à chaque situation en particulier. Le triage n’est pas une simple
science ; c’est un art !
À noter :
Dans un contexte militaire, tous les manuels standard de chirurgie de guerre, rédigés
par et pour les forces armées, traitent de l’organisation et de la mise en œuvre d’opé-
rations de triage adaptées aux contraintes militaires.
216
LE TRIAGE MÉDICO-CHIRURGICAL D’UN AFFLUX MASSIF DE BLESSÉS
Nom :
Date : Heure :
État général :
Blessure(s) :
Catégorie de triage :
I II III IV
217
LA CHIRURGIE DE GUERRE
IC : infirmier/ière-chef
RT : responsable-trieur
218
9
219
220
Chapitre 10
PRISE EN CHARGE
CHIRURGICALE
DES BLESSURES
DE GUERRE
10
221
LA CHIRURGIE DE GUERRE
222
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
10.1 Introduction
Å. Molde / CICR
• la physiothérapie et la rééducation fonctionnelle.
Pour le chirurgien l’acte le plus important consiste, dans la majorité des cas, à parer,
exciser ou à débrider la plaie1. Figure 10.1
« Les tissus lésés doivent être enlevés à temps. »
« La gravité de ces infections des blessures [de guerre] est Ibn Sinna, Qanun fi al-Tib.
Alexander Fleming22
K. Barrand / CICR
Les équipes médicales du CICR voient souvent du personnel médical inexpérimenté
d’un pays à bas revenu amené à soigner pour la première fois des patients victimes
Figure 10.2.1
de graves blessures de guerre. La première réaction de tous les novices consiste à
Plaie suturée en première intention « pour
tenter de stopper l’hémorragie en « refermant les trous ». Si le matériel nécessaire est refermer le trou », sans débridement.
à disposition, ils suturent les plaies sans exciser les tissus nécrosés ; s’ils n’ont rien pour
10
suturer, ils « bouchent » les plaies avec des compresses de gaze pour obtenir un effet
similaire. Bientôt, une infection se développe. Le recours aux fréquents changements
de pansements et l’administration anarchique d’antibiotiques pour l’enrayer, ne font
qu’aggraver le gaspillage du matériel, déjà insuffisant, de l’hôpital. La fin de l’histoire
peut être une lente guérison et un lourd handicap, si le patient a de la chance. Bien
plus fréquemment, de très graves complications entraînent le décès du patient. Un
profond sentiment de frustration gagne alors le personnel médical. K. Barrand / CICR
La prise en charge des blessures traumatiques repose sur des principes de base
connus depuis bien longtemps. Ibn Sinna3 les a commentés (Figure 10.1), de même
qu’Alexander Fleming quelque 1000 ans plus tard.
Figure 10.2.2
La prise en charge des blessures de guerre est un art, basé sur de solides principes Sutures enlevées : du pus s’écoule de la plaie.
scientifiques. Une bonne connaissance de la balistique des blessures aide le chirur-
gien à apprécier de manière plus exacte l’étendue des lésions tissulaires, et à juger de
1 Le terme débridement est d’origine française, et signifie suppression d’une bride (débrider) et, ainsi, favoriser
le drainage et soulager la tension par une incision ; le terme incision signifie couper dans les tissus sains : il est
utilisé lorsqu’un chirurgien élargit une plaie. Excision ou exérèse signifient une ablation des tissus. Le mot parer a
été emprunté aux bouchers, qui parent ou nettoient la viande en ôtant les nerfs, les tendons et la graisse : parer
une plaie signifiait, à l’origine, exciser.
Une confusion de terminologie est survenue lors de la Conférence chirurgicale interalliée pour l’étude des plaies
de guerre, tenue à Paris en mars 1917 ; le terme français historique, débridement, a dès lors été utilisé par les
chirurgiens anglophones comme signifiant excision de la plaie – ablation de tissus nécrosés –. Un malentendu
supplémentaire peut venir du fait que l’excision, quand le terme est utilisé dans le contexte de la chirurgie du
cancer, tend à signifier « excision en bloc » avec une grande marge de tissu sain.
Cette tendance s’est retrouvée en français également et, actuellement, on utilise couramment débridement,
excision et parage comme synonymes pour l’acte chirurgical, bien que les gestes de débrider et exciser soient
encore différenciés. On utilisera ce système dans le présent ouvrage.
2 Alexander Fleming (1881 – 1955), médecin britannique, découvreur de la pénicilline. Fleming A. On the
bacteriology of septic wounds. Lancet 1915 ; 186 : 638–643.
3 Ibn Sinna – Avicenne (980 – 1036), médecin et philosophe perse, auteur du Qanun fi la-Tib (Les Lois de la Médecine).
223
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La balistique des blessures nous enseigne que l’effet de cavitation des projectiles fait
pénétrer dans les profondeurs de la plaie des organismes pathogènes, des morceaux
de peau et de vêtements souillés ainsi que de la poussière. Les mines antipersonnel à
effet de souffle projettent dans les tissus proximaux des morceaux de chaussure ou
des os du pied, du gravier, de la terre, des feuilles et de l’herbe ainsi que des frag-
ments de la mine elle-même. Bien que les plaies soient contaminées, l’infection ne
se déclare pas dans les six à huit premières heures. Dans l’idéal, donc, les blessures de
CICR
guerre devraient être parées dans les six heures, mais ce n’est pas souvent le cas.
Figure 10.3
Blessure par mine antipersonnel : les blessures La voix de l’expérience
de guerre sont souillées et contaminées.
Les blessures de guerre sont souillées et contaminées dès
l’instant où elles surviennent.
Quelle que soit l’arme en cause, un examen complet du patient et de ses blessures est
essentiel.
Examiner le patient :
• examen initial et réanimation ;
• examen complet pour déceler toutes les plaies ouvertes ainsi que d’éventuelles
blessures fermées.
À noter :
Entrée Toutes les plaies impliquent des lésions des tissus mous, et beaucoup d’entre elles
sont compliquées par des atteintes à d’autres structures. Les blessures de guerre sont
Sortie
souvent multiples, et la pathologie est elle aussi souvent multiple. Ainsi, l’explosion d’une
bombe peut simultanément causer une blessure primaire par effet de souffle, projeter
des fragments métalliques pénétrants, provoquer un traumatisme fermé et, enfin, des
H. Nasreddine / CICR
L’examen peut parfois révéler une enflure tendue et douloureuse dans le cas d’une
balle qui a traversé le mollet : cela indique la présence d’un hématome et d’une grave
lésion musculaire ; au contraire, les mêmes orifices d’entrée et de sortie présentant
des tissus souples et relâchés sont le signe d’une blessure minimale. Le chirurgien
doit penser « pathologie ».
224
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
Les fractures devraient être identifiées, de même que les lésions périphériques des
systèmes vasculaire et nerveux. Si l’évacuation n’a pas été immédiate, un souffle peut
être perçu et un frémissement (thrill) est ressenti : c’est le signe d’un pseudoanévrisme
ou d’une fistule artérioveineuse. La fonction motrice périphérique et les sensations
sont à contrôler. Une neurapraxie est un phénomène plus fréquent qu’une rupture
de nerf.
La plupart des blessures impliquant des organes vitaux devraient avoir été identi-
fiées pendant l’examen initial des voies aériennes, de la ventilation et de la circula-
tion. Néanmoins, lors d’un examen complet, la palpation de l’ensemble du corps peut
révéler le petit orifice d’entrée créé par un minuscule fragment qui a pénétré dans les
R. Coupland / CICR
méninges, la plèvre ou le péritoine sans affecter immédiatement les fonctions vitales.
Noter que la présence d’air dans les tissus, visible sur une radiographie, ne signifie pas
nécessairement qu’il s’agit d’une gangrène gazeuse. La cavité temporaire associée à
des projectiles à vitesse élevée laisse souvent derrière elle de l’air – palpable et visible
sur les radiographies – dans les tissus sains à une certaine distance de la plaie, dans
l’espace intrafascial ou intramusculaire. C’est habituellement le signe d’une grave
lésion tissulaire. Le diagnostic de gangrène gazeuse est un diagnostic clinique, et la
radiographie n’est pas pathognomonique : voir les Figures 10.6 et 13.2.
CICR
Des moyens de diagnostic plus sophistiqués peuvent être utilisés, bien sûr, en fonc-
10
tion de l’équipement et de l’expertise professionnelle de l’hôpital en question. Figure 10.6
Radiologie montrant la présence d’air dans
les tissus chez un patient ne souffrant pas de
gangrène gazeuse.
10.3 Préparation du patient
Non seulement les blessures de guerre sont souillées et contaminées, mais les champs
de batailles sont eux aussi des lieux sales. Les blessés n’ont pas accès à des installa-
tions sanitaires de base. Toutes les précautions d’usage doivent donc être prises pour
respecter les règles fondamentales d’hygiène. La majorité des victimes présentent
des blessures aux membres et sont hémodynamiquement stables. Une douche tiède
devrait être donnée à tous les patients stables, dès leur admission ; les pansements
devraient être changés autant que nécessaire pour l’examen et le triage. Seuls les cas
critiques passent directement en salle d’opération.
Dans la salle d’opération, avant toute chose, le chirurgien doit préparer la position du
patient – en coordination avec l’anesthésiste et le personnel infirmier – en fonction
de la séquence des opérations. Un garrot pneumatique est très utile pour les blessu-
res aux membres, spécialement avant d’enlever un pansement posé sur le terrain qui
couvre une blessure manifestement grave.
En cas de lésions multiples des tissus mous, celles qui sont situées sur l’aspect pos-
térieur du tronc et des membres devraient être traitées avant celles qui sont situées
sur l’aspect antérieur, sauf en présence d’une preuve clinique de lésion vasculaire.
Beaucoup de blessures du dos ont été « oubliées » après que beaucoup de travail a été
4 Beaucoup d’équipes chirurgicales du CICR ont dû opérer sans équipement de radiologie dans des situations
d’urgence.
225
LA CHIRURGIE DE GUERRE
effectué sur les blessures antérieures. Par ailleurs, il est plus facile pour l’anesthésiste
de terminer l’opération si le patient est couché sur le dos.
Les pansements et les attelles sont soigneusement enlevés sous anesthésie. Sur une
grande zone tout autour de la plaie, y compris toute la circonférence du membre ou
du torse, la peau est nettoyée à l’eau et au savon et avec une brosse ; elle est rasée,
séchée puis passée à la povidone iodée. La plaie est copieusement irriguée.
Le champ opératoire est mis en place. Les draps stériles avec trous ne devraient être
CICR
utilisés que pour les blessures les plus petites et les plus superficielles. La plupart des
Figure 10.7
plaies devront être élargies, et le champ opératoire agrandi en conséquence.
Lavage d’une blessure par mine avant la
chirurgie. La plaie est ensuite entièrement irriguée une nouvelle fois, de manière à la débarras-
ser des saletés et des débris se trouvant à la surface. Dans des conditions optimales,
une solution physiologique stérile devrait être employée. Dans des conditions de res-
sources limitées, de l’eau potable tirée au robinet peut être utilisée. « Si vous pouvez la
boire, vous pouvez la mettre dans une plaie souillée », dit le vieil adage. Au besoin, de
l’eau de source peut être traitée avec de l’hypochlorite de sodium pour atteindre une
concentration de 0,025 % (5 ml d’eau de Javel dans un litre eau).
Ce n’est que dans des cas extrêmes d’asphyxie imminente ou d’hémorragie massive qu’il
est acceptable de déroger aux règles de base de l’hygiène et de la technique stérile.
Voix de la sagesse
Figure 10.8 Le site et l’étendue d’une blessure déterminent la chirurgie nécessaire : tout dépend
Exploration digitale d’une plaie. de l’endroit où se trouve la blessure et de l’importance des lésions tissulaires. La
connaissance de la balistique permet seulement de comprendre les diverses possi-
bilités lésionnelles. Savoir que certaines armes ont un plus grand potentiel lésionnel
n’aide pas le chirurgien dans cette évaluation. À l’exception des blessures dues aux
mines antipersonnel à effet de souffle, même le fait de savoir quelle arme a été utili-
sée n’est souvent d’aucune utilité pratique. Beaucoup de blessures sont causées par
des balles entièrement chemisées de métal qui ont ricoché, créant des blessures éten-
dues, semblables à celles d’une balle Dum Dum (voir le Chapitre 3).
L’élément le plus important d’une lésion tissulaire est la cavité permanente de la bles-
sure. Toutefois, ni la perte d’énergie par le projectile ni la perturbation des tissus le
long de son trajet ne sont uniformes. Le résultat est une « mosaïque de lésions tissu-
laires ». Une blessure peut aussi survenir bien au-delà, sous l’effet d’un étirement et
d’un cisaillement intervenus pendant la cavitation temporaire : nécrose ischémique
tardive dans la paroi des organes creux ; ou détachement de l’intima et thrombose
vasculaire de vaisseaux qui, vus de l’extérieur, paraissent encore intacts. Le temps
écoulé entre la blessure et le traitement, ainsi que l’éventuel début d’une infection,
doivent aussi être pris en compte.
226
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
ne faut – et provoquer ainsi une perte excessive de tissu normal et une plus grande
invalidité résiduelle.
Cela dit, cet art repose bel et bien sur une base scientifique. La classification Croix-
Rouge des plaies pénétrantes établit différentes catégories selon la gravité de la lésion
tissulaire (degré) et les structures lésées (type). Le score ainsi obtenu aide à détermi-
ner l’étendue de la chirurgie nécessaire. Un examen attentif est important, car toutes
les blessures ne nécessitent pas une excision chirurgicale.
1. Stopper l’hémorragie ;
6. Manipuler délicatement les tissus et les traiter avec respect, comme toujours.
Après l’hémorragie, l’infection constitue le plus grand danger qui menace le patient.
Une infection chirurgicale exige un milieu de culture. Dans le cas des blessures par
arme, il s’agit d’un mélange de tissu musculaire nécrosé, hématome, fragments
osseux, peau souillée, corps étrangers (morceaux de vêtement ou de chaussure,
boue, gravier, feuilles, poussière, le projectile lui-même, etc.). On trouve aussi parfois
des fragments osseux extrinsèques (provenant d’une blessure concernant une autre
partie du corps ou une autre personne et qui, en tant que projectiles secondaires,
créent une nouvelle lésion – de telles blessures surviennent lors de l’explosion de
bombes et de mines antipersonnel).
227
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le parage de la plaie est le processus par lequel ces tissus nécrosés ou lésés, grave-
ment contaminés par des bactéries et des débris, sont complètement excisés. Cela
laisse une zone de tissu sain, avec une bonne irrigation sanguine et capable de com-
battre la contamination résiduelle de surface, pour autant que la plaie ne soit pas
fermée. Une exérèse excessive de tissu sain augmente le risque de difformité et d’inva-
lidité résiduelle.
Pour assurer une bonne vascularisation et une bonne oxygénation il faut atténuer la
tension à l’intérieur de la blessure et permettre le drainage de l’exsudat inflammatoire.
Ce résultat est obtenu, d’une part, en procédant à une incision adéquate de la peau et
des fascias (un débridement en bonne et due forme) et, d’autre part, en laissant la
plaie non suturée.
Une trousse d’instruments de base suffit dans la grande majorité des cas : bistouri,
ciseaux de Metzenbaum (tissus) et ciseaux Mayo (sutures), pincettes chirurgicales et
anatomiques, curette à os, six pinces hémostatiques et des écarteurs. Le recours à
la diathermie n’est pas nécessaire ; l’utilisation de matériel de suture résorbable est
préférable.
10.5.2 Peau
La peau est élastique et bien vascularisée ; elle est très résistante aux dommages et
remarquablement viable. Elle devrait être traitée de façon conservatrice. Seule la
peau très abîmée devrait être excisée ; en général, pas plus de 2 à 3 mm des bords
Entrée cutanés de la plaie sont à parer aux points d’entrée et de sortie.
F. Jamet / CICR
Cette première exérèse est suivie par une incision, aussi généreuse que nécessaire,
de la peau saine, pour atteindre les profondeurs de la plaie (Figure 10.9.2). De petits
Figure 10.9.1 orifices d’entrée et de sortie peuvent cacher une lésion interne très importante.
Patient X : orifice d’entrée sur l’aspect antérieur de L’erreur la plus fréquente consiste à tenter d’exciser la plaie à travers un petit orifice
la cuisse. d’entrée ou de sortie. Quand un membre est atteint, l’incision doit se faire dans l’axe
longitudinal, mais pas sur des os sous-cutanés, et dévier de manière habituelle aux
plis de flexion.
Cette extension de la plaie cutanée permet d’une part une meilleure visualisation et
d’autre part la décompression appropriée des tissus plus profonds et, par la suite, leur
drainage.
Figure 10.9.2
Patient X : extension longitudinale de l’incision de
la peau.
228
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
F. Jamet / CICR
soit compromis, tout en favorisant le drainage de l’exsudat inflammatoire et de
l’hématome.
Figure 10.9.3
Une fois l’hémorragie maîtrisée, le soulagement de la
Patient X : ouverture du fascia sur toute la
tension tissulaire est l’acte le plus important dans le débri- longueur de l’incision de la peau. Noter les muscles
dement d’une plaie. contusionnés et nécrosés.
En dessous du fascia, le doigt ganté du chirurgien est l’instrument le plus efficace (et
le moins agressif ) pour sonder la plaie afin de suivre le trajet du projectile et évaluer
l’étendue des lésions. Là encore, il faut prendre garde aux bords coupants des os
fracturés.
Fasciotomie
Un syndrome des loges peut survenir dans n’importe quel espace fascial ; le plus
souvent, cependant, il se rencontre dans la jambe. Le plus grand soin devrait être pris
en présence de toute blessure pénétrante située au-dessous du genou, avec ou sans
fracture du tibia.
10.5.5 Muscles
Un tissu musculaire nécrosé constitue le milieu idéal pour le développement d’une
infection à Clostridium (menant à la gangrène gazeuse ou au tétanos) ainsi que pour
la prolifération de beaucoup d’autres bactéries. Le trajet du projectile à travers les
muscles doit être ouvert, couche par couche, pour être convenablement visualisé. Il
est vital que, tout au long du trajet, tous les muscles gravement contaminés, manifes-
tement nécrosés et détachés soient excisés.
Mise en garde :
229
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Toutefois, les muscles blessés ne subissent pas tous une nécrose. Comment faire la dif-
férence entre un muscle touché mais qui va cicatriser et un muscle lésé qui n’est pas
viable ? Classiquement, il est fait référence aux quatre C de la viabilité d’un muscle :
• couleur,
• consistance,
• contractilité, et
• saignement capillaire.
Les critères des 4 C sont très subjectifs, et l’expérience du chirurgien est déterminante,
mais l’utilisation de ces critères constitue la meilleure démarche clinique à disposi-
tion. La couleur et la consistance – ou texture – du muscle devraient être notées. Pour
tester la contractilité, il suffit de soulever et de saisir à l’aide de pincettes des lam-
beaux de muscle de 2 cm3 : s’ils ne se contractent pas, ils seront excisés aux ciseaux
ou au bistouri. Noter si le bord du lambeau de muscle saigne ou pas. L’exérèse de lam-
beaux d’un volume supérieur à 2 cm3 risque d’éliminer par inadvertance des tissus
sains. Une technique méticuleuse est la clé du succès.
Le fascia intermusculaire devrait être excisé s’il est taché de sang et contaminé.
10.5.6 Hématome
La présence d’un hématome de grande taille signifie en général qu’un vaisseau princi-
pal a été lésé. Le délogement de l’hématome risque de provoquer une perte de sang
soudaine et massive. Il est sage de se préparer à effectuer un contrôle vasculaire avant
qu’un hématome soit évacué. Si un garrot pneumatique est posé en vue de l’interven-
tion, les structures anatomiques doivent être clairement identifiées.
10.5.7 Os et périoste
Le système vasculaire haversien des os est fragile. Les fragments osseux libres, non
pédiculés au périoste ou au muscle sont déjà séquestrés et sont à enlever ; par contre,
tout os encore connecté devrait être conservé. De l’os médullaire exposé devrait
être cureté jusqu’à atteindre la moelle ferme. Tout os laissé in situ doit être nettoyé
et débarrassé du tissu musculaire nécrosé ainsi que de tout matériel étranger ; les
extrémités souillées de l’os sont taillées à l’aide d’une pince-gouge. La perte de subs-
tance osseuse n’est pas importante à ce stade ; c’est la plaie qui est de toute première
5 Pearson W. Important principles in the drainage and treatment of wounds. Lancet 1917 ; 189 : 445 – 450.
230
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
importance. Aucun effort ne doit être épargné pour éviter une infection, car son déve-
loppement ne peut que conduire à une perte osseuse plus grande encore. L’absence
de consolidation d’une fracture (non-union) que provoquerait le retrait de multiples
fragments osseux est un risque surestimé.
Le périoste, en revanche, est résilient. Bien vascularisé, il joue le tout premier rôle dans
l’ostéogenèse. Son exérèse doit être effectuée avec prudence et se limiter aux bords
manifestement souillés et contaminés.
Pour des informations sur les indications relatives à différentes techniques d’immobi-
lisation des fractures et de réparation de perte de substance osseuse, se reporter au
Volume 2 du présent ouvrage.
H. Nasreddine / CICR
H. Nasreddine / CICR
Figure 10.10.1 Figure 10.10.2 Figure 10.10.3
Patient Y : blessure par arme à feu au bras et au Patient Y : ouverture du tunnel lésionnel. Patient Y : fragments osseux détachés, ablation
thorax. faite.
Comme cela a été dit plus haut, l’hémorragie doit être contrôlée si l’artère principale 10
d’un membre est atteinte : l’artère doit être immédiatement suturée ou remplacée par
une greffe veineuse saphène, ou par un stent temporaire pour assurer la survie du
membre. Le chirurgien doit accorder une attention particulière à l’éventualité d’une
lésion vasculaire à proximité de graves fractures comminutives présentant de mul-
tiples fragments.
Tous les nerfs doivent être préservés, dans toute la mesure du possible. Les grands
nerfs sont résistants à la section, bien qu’ils puissent parfois souffrir de neurapraxie.
Ils sont souvent la seule structure qui traverse encore la cavité de la blessure. S’ils
sont lésés, le site et le degré de dommage devraient être enregistrés. Des sutures non
résorbables peuvent être placées aux extrémités proximale et distale, et rapprochées,
de manière à faciliter leur identification lors d’une future opération. L’exploration du
nerf lésé ne devrait être tentée pendant le parage que si elle n’implique pas d’ouvrir
des plans de tissu sain.
Les bouts de tendons endommagés devraient être « mouchés », et seules les fibres
gravement nécrosées enlevées. Les tendons sectionnés, s’ils sont importants et
demandent à être réparés plus tard, devraient être marqués à l’aide d’une suture non
résorbable, comme cela se fait pour les nerfs.
Rien ne devrait être tenté en première intention pour suturer les tendons ou les
nerfs : une telle intervention a peu de chances de succès dans ces blessures gra-
vement contaminées. L’échec de la réparation immédiate ne fera que rendre les
efforts suivants encore plus difficiles. De plus, la réparation prend du temps et de
l’énergie « au mauvais moment » : mieux vaut la prévoir en tant que procédure pro-
grammée. Nerfs et tendons devraient néanmoins être protégés contre une exposition
231
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Pour les techniques relatives à la suture des artères, des nerfs et des tendons, se
reporter au Volume 2 du présent ouvrage.
F. Irmay / CICR
Figures 10.12.1 et 10.12.2
Balle logée dans le médiastin supérieur.
232
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
Les bords de la plaie devraient être écartés pour enlever les caillots de sang, saletés
et fragments de projectile sur les côtés et au fond de la blessure. Une irrigation abon-
dante mais réalisée délicatement, sous basse pression, de préférence avec du sérum
salé à ce stade, permettra de chasser tous les débris et caillots résiduels et de diluer
toute charge bactérienne. Une bouteille de perfusion en plastique, dont le capuchon
a été percé de trous, serrée entre les deux mains fournit une pression suffisante ; en
fonction de la taille de la cavité de la blessure, de un à trois litres de sérum salé sont
F. Jamet / CICR
utilisés. Les fractures compliquées de très grande taille peuvent parfois exiger davan-
tage d’irrigation pour que la plaie ait « l’air » propre.
Toutes les structures dans la cavité de la blessure devraient maintenant être visuali- Figure 10.13
sées et identifiées (Figure 10.13). Le chirurgien doit alors soigneusement explorer la Patient X : aspect final de la cavité de la blessure.
plaie « au doigt » pour déceler tout corps étranger ou toute extension insoupçonnée
de la blessure.
Une fois le garrot pneumatique enlevé, l’écoulement de sang devrait être contrôlé par
F. Jamet / CICR
une pression à l’aide de gaze et par de fines ligatures résorbables. Il vaut mieux éviter
la cautérisation électrique (diathermie), qui laisse derrière elle du tissu brûlé nécrosé,
plus nocif que le corps étranger que constitue un nœud résorbable.
Figure 10.14
La plaie devrait être laissée grand ouverte (Figure 10.14). Il ne sert à rien de poser Patient Y : la plaie est laissée à ciel ouvert.
quelques points de suture pour fermer partiellement la plaie, « juste pour rapprocher
un peu les bords ». Cela irait à l’encontre du but recherché : décompression et drai-
nage extensif de la plaie ; de plus, quand un œdème réactif se développe, un point de
suture lâche devient serré. En outre, bien que la plaie puisse paraître propre, elle n’est
pas stérile. Bactéries et débris microscopiques se trouvent encore dans la plaie : ils ne
seront expulsés qu’avec l’exsudat inflammatoire post-traumatique – pour autant que 10
le drainage soit adéquat.
Un drain devrait-il être mis en place ? Si la plaie est relativement peu profonde et
laissée grand ouverte, il n’y a aucune nécessité de poser un drain. En revanche,
si la plaie présente de profondes poches qui ne peuvent pas être complètement
ouvertes en raison de contraintes anatomiques, un drain souple, de type Penrose ou
en caoutchouc ondulé, peut être nécessaire. Il pourrait être plus utile de tenter un
contre-drainage par le biais d’une incision dans une partie déclive.
Ces procédures ne sont pas nouvelles. Ce sont les règles applicables à toute chirurgie
en milieu septique, telles qu’énoncées dans tous les textes de référence chirurgicaux.
« Ne jamais fermer des plaies infectées. Ne pas fermer des plaies contaminées, ni des
blessures propres subies plus de 6 heures auparavant. Procéder systématiquement à
la toilette de la plaie, à son débridement et à son irrigation avec une solution physio-
logique, jusqu’à ce qu’elle soit complètement propre. Réaliser une fermeture primaire
différée en tant que procédure de seconde intention. »
Voix de la sagesse
233
LA CHIRURGIE DE GUERRE
• plaies pénétrantes par balle avec de petits orifices d’entrée et de sortie, sans
enflure des tissus (hématome/œdème) ni autres signes d’atteintes de structures
importantes (Figure 3.29.1) ;
Figure 10.15.1
• polycriblage superficiel dû au « saupoudrage » par de minuscules éclats ayant
Polycriblage superficiel par des éclats de grenade.
manifestement une faible vitesse et une faible énergie cinétique (par exemple,
grenade à main), comme illustré par la Figure 10.15.1.
assurer l’irrigation du trajet de la balle, avec ou sans drain. Quelques-unes de ces blessures
exigeront cependant une intervention complète (exploration et excision), notamment
dans le cas particulier et bien connu, où le type d’arme est de la plus haute importance :
Figure 10.15.2
les mines antipersonnel à effet de souffle. Même de petites plaies pénétrantes dues aux
Aucune pénétration dans l’articulation et aucune
lésion vasculaire – ces blessures ne nécessitent mines terrestres peuvent être chargées de boue et d’herbe ou de fragments du boîtier de
qu’une simple toilette des plaies. la mine. Tous ces corps étrangers doivent être retirés (Figure 10.16).
morts ; sinon, d’exciser de manière conservatrice et ensuite, 48 heures plus tard, de
Figure 10.16
réexaminer la plaie en salle d’opération.
De grande ou de petite taille, toutes les
blessures par éclats provoquées par les mines La méthode, appelée « parage itératif », consiste à procéder à l’excision de la plaie en
antipersonnel nécessitent un débridement.
plusieurs étapes et de manière expressément planifiée. Le chirurgien doit prendre la
décision suivante : « chez ce patient, parce que je ne suis pas certain de la viabilité des
tissus restants, et parce qu’une exérèse excessive de tissu normal causerait une dif-
formité ou compromettrait la fonction, je procèderai à un second débridement plus
tard » (Figure 10.17).
Dans les armées dotées de moyens d’évacuation très efficaces et de ressources humai-
nes suffisantes, le débridement en série peut être la méthode de traitement préférée.
6 Bowyer GW, Cooper GJ, Rice P. Small fragment wounds : biophysics and pathophysiology. J Trauma 1996 ; 40
(Suppl.) : S159 – S164.
234
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
Il est alors réalisé dans différents hôpitaux, par différents chirurgiens, tout au long de
la chaîne de prise en charge.
Le parage itératif ne peut pas être considéré comme une méthode de traitement
standard dans une situation impliquant un grand nombre de victimes et lorsque la
capacité d’évacuation est insuffisante voire inexistante. Pour traiter tous les blessés
et assurer un second examen et un suivi des patients opérés, il faut suffisamment de
personnel disponible. Or, bien souvent, la charge de travail chirurgical est si lourde,
CICR
ou la situation tactique telle, que le débridement en série n’est pas envisageable. Le
Figure 10.17
chirurgien doit traiter chaque intervention comme étant définitive ; en ce cas, si un
Débridement en série d’une blessure de grande
doute existe quant à la viabilité du tissu, il est plus sage d’exciser. taille : la ligne de démarcation du tissu nécrosé
est devenue visible.
La pratique du débridement en série ne devrait pas être confondue avec une exci-
sion incomplète ou ratée de la plaie, lorsque le patient retourne en salle d’opération
cinq jours plus tard pour une fermeture primaire différée, et que la plaie a été infectée
entre-temps par le tissu nécrosé resté en place. Elle n’est pas prête à être suturée : une
reprise du parage est nécessaire.
M. Baldan / CICR
lacération, laissant souvent un lambeau de peau et de l’aponévrose épicrânienne 10
pendre au-dessus du tissu aréolaire souillé. Si moins de 6 heures se sont écoulées
depuis la blessure, il est envisageable de procéder à une fermeture primaire
Figure 10.18
immédiate, après un parage complet et la pose d’un drain sous-cutané. Si la blessure
Blessure à la tête provoquée par une panga.
date de plus de 6 heures, mieux vaut laisser la plaie ouverte en vue d’une fermeture
primaire différée, à pratiquer 2 à 4 jours plus tard.
10.9.4 Main
L’excision devrait être très conservatrice, tous les tissus viables étant à préserver pour
simplifier la reconstruction et améliorer le résultat fonctionnel. Ces plaies devraient
être laissées ouvertes et une fermeture primaire différée, pratiquée 2 à 4 jours plus
tard. Néanmoins, les tendons et les nerfs devraient être couverts par du tissu sain, en
utilisant des lambeaux de rotation, si nécessaire. Les plaies de petite taille peuvent
être fermées en première intention.
10.9.5 Articulations
Les membranes synoviales devraient être fermées ; si ce n’est pas possible, seule la
capsule est suturée. Il ne semble pas trop grave de ne pas pouvoir fermer complètement
(de façon étanche) la synoviale. La peau et les muscles devraient être laissés ouverts.
10.10 Pansements
Une fois excisée de manière adéquate, la plaie devrait être couverte par un panse-
ment absorbant volumineux confectionné avec des compresses dépliées et chiffon-
nées et renforcé par une couche de coton hydrophile (pansement américain).
Le pansement sera maintenu en place par une bande de crêpe lâche ou par une
bande adhésive non circonférentielle. Un bandage serré autour d’un membre et
imbibé d’un exsudat qui sèche produirait un effet de garrot. La plaie ne devrait pas
être bourrée de compresses compactes car cela empêcherait le drainage. Le but
consiste à laisser sortir l’exsudat inflammatoire de la plaie qui sera absorbé par le pan-
sement. Les tendons et les capsules articulaires exposés peuvent être couverts par
des compresses imbibées de sérum salé.
CICR
CICR
CICR
236
PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES BLESSURES DE GUERRE
Le pansement ne devrait être enlevé qu’en salle d’opération, quand le patient est sous
anesthésie, lors de la fermeture primaire différée. Le changement des pansements
au lit du patient est une invitation aux infections nosocomiales. Le chirurgien devrait
résister à la tentation de changer le pansement afin de « voir un peu ce qui se passe ».
Chaque changement de pansement constitue un traumatisme pour le tissu de granu-
lation, et l’expose à une infection croisée. Il suffit souvent de regarder attentivement
le patient : tout va bien du côté de la plaie si le patient sourit, a bon appétit, et est assis
confortablement dans son lit.
Après quelques jours, toutes les plaies en attente de fermeture primaire différée déve-
loppent une odeur aigre : la « bonne » mauvaise odeur des produits ammoniacaux
provenant de la dégradation des protéines du sérum. Une plaie infectée dégage une
mauvaise odeur caractéristique : la « mauvaise » mauvaise odeur.
10
Tous les patients doivent recevoir une prophylaxie contre le tétanos. De la pénicil-
line (5 méga-unités) devrait aussi être administrée par voie intraveineuse, toutes
les 6 heures, dès le moment d’admission. Ensuite, de la pénicilline devrait être
donnée par voie orale (500 mg), toutes les 6 heures, pendant 5 jours au total (voir le
Chapitre 13).
Pour permettre à la partie blessée de se détendre, et pour que le patient soit prêt pour
la physiothérapie, une bonne analgésie devrait être administrée (voir l’Annexe 17. A :
Protocoles CICR de prise en charge de la douleur).
Des soins infirmiers postopératoires de qualité jouent un rôle crucial, cela va sans dire.
L’expérience du CICR a montré que, bien plus que l’expertise technique du chirurgien,
c’est le niveau des soins infirmiers postopératoires qui limite le plus la sophistication
des procédures chirurgicales réalisables dans un hôpital du CICR. Dans le contexte
d’un pays pauvre ravagé par la guerre, cet élément ne doit pas être sous-estimé.
Chaque fois qu’il existe une lésion étendue des tissus mous, même en l’absence de
fracture, le membre tout entier doit être immobilisé pour assurer le repos. Pour ce
faire, une gouttière postérieure peut être utilisée.
237
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le résultat fonctionnel, à terme, de la cicatrisation des plaies dépend dans une large
mesure d’exercices de physiothérapie appropriés, permettant de conserver la masse
musculaire et la mobilité articulaire ; les exercices devraient débuter de manière
précoce, dans le cadre du processus de guérison.
3. Hémostase.
6. Nutrition.
238
10
239
240
Chapitre 11
FERMETURE PRIMAIRE
DIFFÉRÉE
ET GREFFES CUTANÉES
11
241
LA CHIRURGIE DE GUERRE
242
FERMETURE PRIMAIRE DIFFÉRÉE ET GREFFES CUTANÉES
Toute tentative de fermer des plaies avant qu’elles ne soient propres doit être évitée ;
néanmoins, la fermeture primaire différée d’une plaie est rarement possible au-delà
de 8 jours après l’excision de la plaie en raison de la fibrose cicatricielle. À ce stade, la
cicatrisation par seconde intention aura débuté.
Pour une fermeture primaire différée, le patient est conduit en salle d’opération et la
plaie est ouverte et inspectée sous anesthésie. Si la plaie est propre, le pansement est
sec et de couleur entre verdâtre et noire ; il dégage une odeur d’ammoniaque (« bonne »
mauvaise odeur) du fait des protéines de sérum dégradées. Le muscle adhère à la gaze
et, lorsque la compresse est enlevée délicatement, le muscle se contracte et saigne
légèrement. La surface est d’un rouge éclatant et du sang s’en échappe. Cette plaie
est prête pour une fermeture primaire différée. Les Figures 11.1.1 à 11.1.5 montrent la
séquence complète de la prise en charge d’une plaie avec fermeture par greffe cutanée.
11
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 11.1.1 Figure 11.1.2
Plaie très souillée. Après le parage.
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Une plaie infectée, ou une plaie contenant une contamination résiduelle ou du tissu
dévitalisé, exige une révision chirurgicale. La plaie est ensuite à nouveau laissée
ouverte. La fermeture est à reporter. Cette tentative échouée de fermeture primaire
différée ne doit pas être confondue avec un « parage itératif » (voir le Chapitre 10).
La pose de drains devrait, si possible, être évitée lors d’une fermeture primaire diffé-
rée. Les drains peuvent parfois agir comme des conduits rétrogrades qui permettent
à la flore bactérienne de la peau et aux contaminants de pénétrer dans la plaie, et
ils affaiblissent la résistance des tissus à l’infection : en outre ils constituent des corps
étrangers supplémentaires dans la plaie.
Les drains ne devraient être utilisés que pour les plaies présentant un important
espace mort et un suintement de sang associé, jamais dans une plaie sans espace
mort. Le suintement s’arrête habituellement dans les 24 heures et le drain peut être
retiré. Si on pose un drain, on préférera un drain à succion (de type Redon®) placé
au fond de la cavité ; sinon, un simple drainage par gravité suffira, un drain de type
Penrose souple posé en déclive, par exemple.
244
FERMETURE PRIMAIRE DIFFÉRÉE ET GREFFES CUTANÉES
Si, à cause de la perte de peau, la plaie ne peut pas être fermée par une suture directe
ou par des lambeaux de rotation, une greffe cutanée peut être réalisée, parfois com-
binée avec une suture directe partielle.
Greffes de Wolfe 11
Elles sont les meilleures pour un bon résultat esthétique sur le visage, ou pour couvrir
une zone fonctionnelle sensible sur les mains ou les doigts.
Une plaie profonde (ou une plaie située au-dessus d’un pli de flexion) peut être couverte
d’un pansement, en attendant que davantage de tissu de granulation se développe, et
être greffée ultérieurement. Le tissu de granulation en excès devrait toutefois être totale-
ment enlevé avant d’appliquer le greffon. Un membre présentant une plaie sur un pli de
flexion doit être muni d’une attelle en position d’extension à l’aide d’une gouttière posté-
rieure, de manière à éviter toute contracture en attendant la fermeture de la plaie.
245
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les tissus qui ne peuvent pas accepter des greffes de peau incluent les zones avas-
culaires, telles que membrane hyaline, tendons exposés sans paratenon et cortex
osseux exposé sans périoste : une forme ou une autre de lambeau cutané ou myo-
cutané sera nécessaire pour la fermeture. Si le cortex osseux est exposé, une alterna-
tive peut consister à percer de multiples petits trous dans le cortex pour permettre au
tissu de granulation de se développer à travers l’os spongieux sous-jacent.
Les greffons de peau d’épaisseur partielle devraient être prélevés à l’aide d’un der-
Figure 11.3
matome, tel qu’un bistouri de Humby (Figure 11.4). Un bistouri, tel qu’un De Silva qui
Sites donneurs pour les greffes de Thiersch.
contient une lame de rasoir, ou un scalpel, peuvent être utilisés si le chirurgien ne
dispose pas d’un dermatome ou si la zone à prélever est de petite taille.
P. Zylstra / CICR
Les principes d’utilisation de tous les principaux dermatomes sont les mêmes. Les
lames, à usage unique, sont fixées à l’intérieur. Un contrôle de calibration est ajusté
pour fixer la profondeur de peau requise. Une fois cet ajustement fait, une vis de cali-
Figure 11.4
brage est serrée à l’extrémité opposée du dermatome. Avant l’emploi, il est impor-
Dermatome : il existe différents modèles à lames
jetables – l’épaisseur du greffon prélevé est tant de vérifier l’écart entre la lame et la barre du dermatome : l’instrument est placé
contrôlée à l’aide de la vis située à l’extrémité droite devant une source de lumière et l’écart est contrôlé visuellement. L’espace devrait être
de l’instrument ; le réglage est ensuite bloqué à le même sur toute sa longueur. Il existe aussi des dermatomes électriques ou pneu-
l’aide de la vis située à l’extrémité gauche.
matiques, mais ils ne sont pas habituellement utilisés dans la pratique du CICR.
Prélèvement du greffon
La zone de peau à prélever est lavée à l’eau et au savon et rasée si nécessaire ; de la
povidone iodée est appliquée. Une solution physiologique injectée par voie intra-
dermique ou, mieux encore, une solution d’adrénaline diluée (1 : 500 000), est injec-
tée dans la zone donneuse avant de couper pour faciliter le prélèvement du greffon
et limiter la perte de sang locale. Le site donneur, le tranchant de la lame ainsi que le
bord d’une planchette sont graissés à l’aide de tulle gras.
Figure 11.5.1 Figure 11.5.2
Prélèvement d’un greffon sur la partie médiane de Planchette en bois du chirurgien exerçant une contre-traction.
la cuisse – noter la main gauche de l’assistant qui
aplatit le site donneur en exerçant une pression
vers le haut sur la surface postérieure de la cuisse.
246
FERMETURE PRIMAIRE DIFFÉRÉE ET GREFFES CUTANÉES
P. Zylstra / CICR
comme décrit plus haut, jusqu’à ce qu’ils soient appliqués sur la zone receveuse.
Figure 11.6
Greffes en pastille de Reverdin :
a. La peau est soulevée à l’aide d’une aiguille
et des pastilles de greffons de 1 à 2 cm
de diamètre sont découpées à l’aide d’un
bistouri.
b. Si les greffons sont prélevés sur une ligne, la
zone peut être excisée et la plaie fermée par
suture primaire.
c. Les greffons sont placés sur le site receveur, à
quelques millimètres de distance les uns des 11
autres.
V. Sasin / CICR
Figure 11.7
Site receveur préparé à recevoir un greffon de peau mince.
Le greffon est posé sur le site receveur et taillé de manière à être légèrement plus
grand que le site. Cela permet à la surface sous-jacente d’être complètement en
contact avec le site receveur et tient compte plus tard de la contraction de la greffe.
Il arrive souvent qu’une greffe soit appliquée sur une plaie plus profonde que l’épais-
seur du greffon : en ce cas, les bords du greffon à la base de la plaie doivent être soi-
gneusement appliqués, de façon à couvrir toute la hauteur du défaut de substance.
247
LA CHIRURGIE DE GUERRE
la peau prélevée sur une surface lisse (de préférence une planchette en bois), épi-
derme contre le bois, et en pratiquant de nombreuses incisions parallèles dans le
greffon avec une lame de scalpel n° 15. Idéalement, le ratio d’interstices par rapport
à la peau devrait être 3 : 1. Ainsi, le greffon peut couvrir trois fois sa surface d’origine
(Figure 11.8). Au cours d’une période de 10 à 14 jours, la peau comble les interstices et
une cicatrisation complète est obtenue.
Les greffes en filet sont particulièrement utiles dans les cas où l’autogreffe est insuffi-
sante pour recouvrir complètement des surfaces vives, telles que plaies ou brûlures de
grande taille (voir Figure 11.1 pour un exemple clinique). Des ampligreffes mécaniques
permettant de préparer des greffons en filet existent – et coûtent cher – mais ne font
pas partie de l’équipement standard du CICR, sauf dans les hôpitaux accueillant un
H. Nasreddine / CICR
Figure 11.8 Les greffes peuvent souvent être maintenues en place par un pansement approprié et
Préparation d’un greffon cutané en filet. un bandage élastique. Si sa stabilité ne peut pas être assurée par le pansement qui le
recouvre, le greffon devrait être suturé en place (Figure 11.9). Une technique consiste
à réaliser une suture continue en fil non résorbable 3-0 autour des bords du greffon
pour assurer un bon contact. Une autre technique consiste à laisser plusieurs fils
d’ancrage longs, autour de la circonférence, à nouer par dessus le pansement ; ces fils
sont spécialement utiles pour les petites greffes sur des zones creuses (Figure 11.11).
L’excès de peau du greffon peut soit être retiré une fois la greffe suturée en place, soit
coupé 10 à 14 jours plus tard.
Figure 11.9
Greffe de Thiersch fixée par une suture.
V. Sasin / CICR
Une fois le greffon suturé ou placé sur le site receveur, il devrait être couvert d’une couche
de tulle gras, puis d’une compresse de gaze ou de petits morceaux d’ouate imbibés de
sérum salé, qui doivent être enfoncés dans les concavités du défaut, de manière à assurer
un contact complet entre la greffe et le site receveur. Le pansement est ensuite couvert
d’une épaisse couche d’ouate maintenue en place par une bande de crêpe.
248
FERMETURE PRIMAIRE DIFFÉRÉE ET GREFFES CUTANÉES
3. Le maintien d’un contact étroit entre le greffon et le site receveur. Si le greffon est
sous tension, si du sang ou du sérum s’accumule entre les surfaces, ou s’il y a un
mouvement du greffon sur son lit, un contact suffisant ne peut pas être maintenu.
En conséquence, la perforation du greffon en filet est importante, de même qu’un
contact étroit entre le greffon et le site receveur ; dans le cas de greffes recouvrant
des articulations, une attelle devrait être utilisée pour empêcher les forces de
cisaillement de causer l’échec de la greffe.
Dans la pratique du CICR, la greffe est inspectée une première fois après 48 à
72 heures ; le pansement est enlevé avec soin, à l’aide de deux pincettes anatomiques :
l’une pour retenir le greffon et le garder appliqué sur son lit, l’autre pour décoller le
pansement. Il faut veiller à ne pas arracher le greffon. Si la greffe est saine et adhère
bien à sa base, un nouveau tulle gras et une nouvelle compresse sont mises en place
à l’aide d’un bandage ; aucun autre pansement n’est nécessaire pour les 10 jours sui-
vants, jusqu’à l’ablation des sutures.
Tout hématome ou sérome doit être évacué en exerçant doucement une pression à
l’aide des pincettes et d’un morceau d’ouate imbibée. Un nouveau pansement ferme
de tulle gras est appliqué. Ces greffes sont ensuite inspectées quotidiennement
jusqu’à ce qu’elles adhèrent fermement à leur base.
Toute petite poche de pus devrait être débridée à l’aide de ciseaux pour empêcher
que l’infection ne s’étende. L’épidermolyse intra-épithéliale est un phénomène dans
lequel la couche superficielle de la greffe est perdue alors qu’il reste des cellules épi-
théliales viables à la base. Des cloques foncées apparaissent parfois : elles peuvent
être débridées, mais il convient de veiller à ne pas déranger la greffe sous-jacente qui
peut encore être viable.
249
LA CHIRURGIE DE GUERRE
En revanche, toute greffe morte ou flottant sur une « flaque de pus » doit être enlevée
et la plaie nettoyée avec une solution physiologique. Si le germe Pseudomonas est
en cause (présence de pus bleu-vert), une solution diluée de vinaigre est utile. Si la
zone vive de la plaie a une surface de plus de 2 x 2 cm, elle devrait faire l’objet d’une
nouvelle greffe une fois propre. Si elle est plus petite, elle peut être laissée telle quelle,
pour cicatriser par seconde intention.
Au dixième jour, une greffe saine devrait adhérer fermement ; elle peut alors être
laissée à l’air libre et soumise à une simple inspection quotidienne.
3. Le site donneur est ensuite couvert d’un pansement compressif ferme de tulle
gras, des compresses sèches et un bandage élastique puis entouré d’une bande
adhésive pour empêcher le tout de glisser le long du membre. Le pansement
est laissé en place pendant 10 à 14 jours, sauf en cas de signes d’infection
sous-jacente.
Les greffes de pleine épaisseur (ou « de peau entière ») sont constituées de l’épiderme
et de tout le derme. Elles sont principalement utilisées pour la tête et le cou, mais aussi
pour les mains et les pieds, de manière à assurer une couverture plus épaisse et de
meilleure qualité.
Les greffes de Wolfe ont un certain nombre d’avantages, outre une meilleure texture
et une meilleure couleur. Elles permettent le transfert de peau pileuse, toutes les
structures annexes du derme étant intactes. Elles se contractent moins que les greffes
de Thiersch. Les principaux inconvénients sont un taux d’échec plus élevé et leur
petite taille.
Le site receveur doit être dans un état optimal pour recevoir une telle greffe ;
l’hémostase, en particulier, doit être parfaite. La suture et l’approximation entre le
greffon et le bord du site receveur doivent être réalisées de manière méticuleuse. En
général, ces greffes sont de petite taille parce que l’exsudat du plasma du site receveur
est à peine suffisant pour alimenter et oxygéner la greffe ; de plus, les capillaires du
lit et du bord receveurs ainsi que de la surface inférieure du greffon doivent croître
rapidement pour assurer la survie de la greffe.
250
FERMETURE PRIMAIRE DIFFÉRÉE ET GREFFES CUTANÉES
Figure 11.10
Sites donneurs pour les greffes de Wolfe.
P. Zylstra / CICR
11.3.2 Technique
Le greffon peut être prélevé sous anesthésie locale. La zone donneuse et la zone
receveuse sont désinfectées. Un décalque correspondant exactement à la perte de
substance (défaut) est découpé dans de la gaze, puis placé sur le site donneur en
traçant un trait autour de sa circonférence. Un anesthésique local avec de l’adrénaline
est injecté dans la zone donneuse ; un anesthésique local sans adrénaline est injecté
dans le bord de la zone receveuse ; on laisse agir les deux anesthésiques pendant
cinq minutes avant d’inciser. Le greffon de pleine épaisseur doit ensuite être découpé
avec précision.
Le greffon doit être complètement dégraissé avant l’application. Pour ce faire, le mieux
est de placer le greffon humide, côté épiderme vers le bas, sur le bout du doigt et
d’exciser soigneusement la graisse à l’aide de ciseaux fins. La greffe est laissée telle
11
quelle, sans aucune perforation en filet.
Les greffes au visage peuvent être laissées ouvertes et couvertes avec une pommade
antibiotique. Elles peuvent être essuyées doucement avec de la gaze ou piquées avec
une aiguille au cours des premières 48 heures pour faire sortir les petites accumula-
tions de sérum.
Sur les mains ou sur un pli de flexion, une fois que la greffe a été suturée en place,
un pansement est confectionné avec du tulle gras et des petits morceaux d’ouate
humides, de manière à maintenir la greffe étroitement en contact avec le site rece-
veur. Les sutures sont ensuite nouées par-dessus le pansement, qui devrait être ferme,
mais pas serré au point d’étrangler la greffe.
Le pansement devrait être laissé en place pendant 7 à 10 jours puis enlevé. À ce stade,
chez les personnes à peau claire comme à peau foncée, la greffe peut être de n’im-
porte quelle couleur, de rose ou rose pâle à bronze ou noir. Même une greffe qui a un
aspect assez noir à l’examen peut prendre. Un jugement définitif quant à la survie de
la greffe ne devrait être porté qu’au bout d’un mois.
251
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Figure 11.11
Méthode du nouage utilisée pour sécuriser les
greffes de peau.
b
Certaines plaies de petite taille sont difficiles à suturer sans tension, ou sans une
importante mobilisation de lambeaux de peau, parce que tous leurs bords sont
fibreux. Il y a peu d’intérêt à pratiquer une nouvelle opération chirurgicale ; même
une greffe cutanée n’est pas recommandée. Il vaut mieux laisser ces plaies former du
tissu de granulation et cicatriser par seconde intention (voir, au chapitre suivant, la
Figure 12.10).
252
11
253
254
Chapitre 12
LES BLESSURES
NÉGLIGÉES
OU MAL SOIGNÉES
12
255
LA CHIRURGIE DE GUERRE
256
LES BLESSURES NÉGLIGÉES OU MAL SOIGNÉES
Comme décrit dans le Chapitre 10, les blessures négligées ou mal soignées sont
parmi celles que le chirurgien rencontre actuellement le plus fréquemment dans bien
des zones de conflits en proie aux guerres irrégulières, guerres de brousse, rébellions
et insurrections. Les structures de premiers secours sont inexistantes, les médecins
et infirmiers sont peu nombreux, et de plus la pauvreté et le conflit ont bouleversé
le fonctionnement des services de santé. Il faut parcourir de longues distances en
terrain difficile, et les moyens de transport organisés sont rares. Beaucoup de patients
arrivent à l’hôpital avec des blessures datant de plus de 24 heures, parfois de plu-
sieurs jours, voire des semaines. Même si les blessés atteignent assez rapidement
l’hôpital, leur nombre est tel que les capacités et l’expertise disponibles sont souvent
dépassées. Il en résulte soit un délai d’attente considérable avant le traitement, soit
une prise en charge carrément incorrecte, voire même les deux.
EXPÉRIENCE DU CICR
À l’hôpital ouvert par le CICR à Lokichokio, dans le nord du Kenya, pour les vic-
times du conflit au Sud-Soudan, 12 264 blessés de guerre ont été enregistrés
dans la base de données chirurgicale du CICR entre 1991 et 2006. L’évacuation
était assurée par des avions du CICR et des Nations Unies, et très peu de blessés
ont bénéficié de soins préhospitaliers avant d’être évacués ; 84 % d’entre eux ont
atteint l’hôpital plus de 72 heures après leur blessure. Le personnel du CICR a
rencontré des retards similaires dans l’évacuation vers une structure chirurgicale
dans des pays tels que la Somalie, la République démocratique du Congo, le
Népal ou ailleurs ; il a observé le même phénomène avec des victimes de bles-
sures par crush lors de tremblements de terre, dans des pays à bas revenu.
Toutes les plaies déjà suturées, même si elles paraissent propres, doivent être rou-
H. Nasreddine / CICR
vertes pour permettre le drainage. Comme dit auparavant, les règles élémentaires de
la chirurgie septique s’appliquent. Il ne faut jamais pratiquer une suture primaire de
plaies infectées ou contaminées.
Figure 12.1.1
Ablation de toutes les sutures des plaies précédemment
Patient A : La blessure par balle, dans la région
suturées! iliaque gauche, a été suturée 5 jours plus tôt. Le 12
débridement de la plaie à la cuisse droite a été
Passé un certain délai, on observe quelques lésions mineures des tissus mous (bles- insuffisant.
sures de degré 1) qui cicatrisent de manière spontanée. Toutefois, la plupart des
plaies seront enflammées ou carrément infectées et présenteront un certain degré
d’état septique chronique ; certaines auront même commencé à se putréfier. De telles
complications se rencontrent souvent dans les blessures mal soignées. Le danger de
tétanos, de gangrène et d’infection invasive hémolytique à streptocoques est tou-
jours présent (voir le Chapitre 13). Ces plaies nécessitent une excision agressive.
H. Nasreddine / CICR
H. Nasreddine / CICR
Figure 12.1.2 Figure 12.1.3
La plaie suturée s’est infectée ; une perle de pus est visible sur le bord latéral. Ablation des sutures révélant un pus abondant.
257
LA CHIRURGIE DE GUERRE
CICR
CICR
Figure 12.2.1 Figure 12.2.2
Patient B : Une suture primaire a été réalisée Ablation de toutes les sutures – les bords de la
– noter la tension due à un œdème des tissus et peau sont ischémiques et nécrosés, les tissus
à l’infection. Certaines sutures ont été enlevées. sous-cutanés sont œdémateux.
CICR
Figure 12.2.3
Après une nouvelle excision – la plaie est
plus grande que la blessure initiale.
H. Nasreddine / CICR
Figure 12.3
Blessure du genou par balle, négligée, avec une infection déclarée.
H. Nasreddine / CICR
H. Nasreddine / CICR
Figures 12.4.1 et 12.4.2
Plaie négligée du scrotum, avec du tissu gangréneux.
258
LES BLESSURES NÉGLIGÉES OU MAL SOIGNÉES
À noter :
E. Dykes / CICR
que souvent positive, l’expérience du CICR dans ce domaine ne peut être évoquée
qu’à titre anecdotique.
Figure 12.5
À noter : Plaie infestée par des asticots. (La couleur est
due au violet de gentiane.)
Nombre de preuves cliniques et expérimentales viennent appuyer l’argument selon
lequel l’administration précoce d’antibiotiques (pénicilline, en particulier) peut
retarder l’apparition de graves infections dans les blessures de guerre. La pratique
du CICR consiste à donner de la pénicilline le plus tôt possible et dès l’arrivée au
poste de premier secours. Cependant, des premiers soins adéquats, tels que décrits
au Chapitre 7, sont rarement disponibles dans la plupart des théâtres de conflits
contemporains. Le présent chapitre portera donc essentiellement sur les contextes
de ce type.
L’infection chronique pyogénique d’une plaie négligée possède ses propres carac-
téristiques pathologiques et bactériologiques et son « historique ». Les bactéries ne
forment de colonies individuelles et isolées que dans un laboratoire. L’état naturel des
bactéries, par le biais de la sélection naturelle, est de s’attacher à des surfaces, spé-
cialement à des matières inorganiques ou mortes, telles que des os et du cartilage
séquestrés. En cas d’infection chronique, les bactéries sécrètent un biofilm glycopoly-
saccharide ; c’est la matière visqueuse qui se forme sur les rochers dans une rivière. Le
biofilm protège les bactéries et empêche non seulement les antibiotiques, mais aussi
les macrophages, les leucocytes et les anticorps de les attaquer. Ce biofilm doit être
activement disloqué pour pouvoir éradiquer l’infection.
Figure 12.6
Les bactéries Schéma du processus infectieux chronique1.
De la matière
atteignent
morte
Les bactéries la phase
Les bactéries est présente
progressent stationnaire 12
en nombre
rapidement
significatif
La matière pendant la phase
contaminent Un biofilm
morte est le résultat logarithmique
la plaie se forme
du processus de croissance
souvent
infectieux
lui-même
D. Rowley / Université de Dundee
1 Rowley DI., Université de Dundee : Cours sur l’infection osseuse chronique. Séminaire sur la prise en charge des
blessures de guerre ; CICR : 18 mars 2005 ; Genève.
259
LA CHIRURGIE DE GUERRE
E. Dykes / CICR
Figure 12.7.1
Plaie négligée infectée montrant une couche de biofilm de pus.
R. Coupland / CICR
Figure 12.7.3
Plaie négligée du bras avec du tissu nécrosé,
mais sec.
M. Dalla Torre / CICR
Figure 12.7.2
Plaie négligée d’un moignon d’amputation trau-
matique, sans couche de biofilm.
L’excision chirurgicale est plus difficile à réaliser dans les cas de blessures négligées ou
mal soignées. La ligne de démarcation entre tissu viable et non viable, notamment dans
la musculature et le fascia œdémateux, est moins visible ; de plus, à la zone d’hyperémie
post-traumatique inflammatoire vient s’ajouter une zone d’inflammation infectieuse
et le biofilm. Il est plus difficile d’estimer l’ampleur de l’exérèse requise du fait de la
présence, non seulement, d’une « mosaïque » de dommage tissulaire balistique dans la
cavité permanente elle-même, mais aussi d’une destruction des tissus due au processus
infectieux. Les plaies suppurantes datant de plusieurs jours présentent des zones
d’infection mélangées avec des régions de tissu fibreux en cours de cicatrisation.
La plaie ressemble souvent à une cavité remplie d’une part de tissus mous détachés,
de fragments osseux ou d’extrémités d’os longs fracturés, de débris étrangers et,
d’autre part, de tissu fibreux, le tout couvert par une couche de pus (Figures 12.7.1 et
12.8.2). L’accès peut être difficile à cause de zones de contracture de la plaie dues au
tissu fibreux dur et résistant.
Les principes de la chirurgie restent néanmoins les mêmes. La peau et le fascia profond
doivent être largement réincisés ; la cavité de la blessure doit être largement exposée
pour une bonne visualisation ainsi qu’un bon drainage (comme dans le cas d’un simple
abcès). Le parage vise essentiellement à exciser tous les tissus non viables et gravement
contaminés ainsi que les débris étrangers, et à disloquer la couche de biofilm.
260
LES BLESSURES NÉGLIGÉES OU MAL SOIGNÉES
Comme l’excision chirurgicale est plus difficile dans ces cas, il y a une incidence plus
élevée d’infection persistante. Dans de telles circonstances, plusieurs redébridements
sont parfois nécessaires. Ces plaies sont celles qui pourraient le plus bénéficier d’un
parage itératif : cela dépend de l’expérience du chirurgien.
Il est d’autant plus important de ne pas ouvrir des plans de tissu sain pour tenter d’ex-
traire un projectile, quel qu’il soit. Cela ne servirait qu’à étendre l’infection.
12.3.2 Os
Si une fracture sous-jacente existe dans ces plaies septiques, elle contient habituelle-
ment des fragments osseux détachés et nécrosés qui fournissent la « surface » parfaite
pour l’adhésion bactérienne. Il est essentiel de trouver et d’extraire ces fragments.
Une simple radiographie aidera à les déceler (Figure 12.9.2).
F. Jamet / CICR
F. Jamet / CICR
F. Jamet / CICR
12
• Un fragment osseux mort est de couleur blanc perle ; un os vivant est blanc-gris
mat, moucheté de capillaires rouges.
• Si on le gratte avec une curette, un os a une résonnance différente selon qu’il est
mort (haute et creuse) ou vivant (basse et sourde).
• Un autre signe révélateur peut être observé quand le fragment osseux est saisi avec
une pince, et qu’un mouvement de pronation et de supination lui est imparti. Si
un muscle ou si le périoste maintient le fragment en place, ces structures bougent
avec le mouvement de pronation et de supination. Si le fragment est détaché, et
maintenu seulement par du tissu fibreux, le mouvement rompt l’adhésion fibreuse
et le fragment osseux est libéré.
261
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Une fois que tous les fragments osseux détachés ont été retirés, la cavité de la bles-
sure est ensuite curetée, et une exploration digitale soigneuse est réalisée. La surface
doit être lisse : les bords acérés des os brisés peuvent blesser le doigt qui explore la
plaie ! L’ablation de tous les fragments osseux détachés et morts doit être réalisée ;
ce sont déjà des séquestres. Parfois, plusieurs tentatives (plusieurs re-débridements)
peuvent être nécessaires pour éliminer entièrement ces fragments.
H. Nasreddine / CICR
12.4 Antibiotiques
Une mise en culture bactériologique devrait être faite, pour autant que cela soit
possible. Il est bien plus difficile que l’on ne pourrait le croire de réaliser une mise en
culture et un antibiogramme de bonne qualité dans un hôpital de l’avant. Il faut noter
que la réponse clinique ne suit pas toujours les résultats de laboratoire (positifs ou
négatifs). Non seulement les bactéries « sauvages » ne vivent pas en colonies, mais la
sensibilité in vitro ne correspond pas toujours à la réponse in vivo ; de plus, la flore de
surface ou présente dans les écoulements ne reflète pas toujours les bactéries qui se
trouvent à l’intérieur des tissus.
H. Nasreddine / CICR
262
LES BLESSURES NÉGLIGÉES OU MAL SOIGNÉES
La majorité de ces blessures ne se prêtent pas à une suture différée. Elles nécessitent
une greffe cutanée ou un lambeau de rotation pour être fermées ; ou, si elles sont de
petite taille, elles doivent être laissées telles quelles, pour former du tissu de granula-
tion et cicatriser par seconde intention (Figure 12.10).
C’est pour la cicatrisation par seconde intention que plusieurs traitements tradition-
nels locaux des plaies peuvent être utiles, comme mentionné dans le Chapitre 11. Les
chirurgiens et le personnel infirmier du CICR ont utilisé des pansements de miel ou
de sucre, ou encore une solution salée hypertonique (du sel est ajouté à une solu-
tion physiologique, jusqu’à ce que le sel ne se dissolve plus). Tous ces pansements
favorisent la formation du tissu de granulation et possèdent des propriétés antibacté-
riennes. Il doit cependant être souligné que ces traitements topiques constituent des
adjuvants : ils ne remplacent pas une bonne chirurgie.
F. Jamet / CICR
Figure 12.10
Cicatrisation par seconde intention.
12
Beaucoup de patients qui présentent une blessure très infectée, ou une putréfaction
déclarée, souffrent de malnutrition, sont anémiques et déshydratés. La cicatrisation
des plaies est donc déficiente : des mesures spéciales s’imposent pour améliorer leur
état général.
263
264
Chapitre 13
LES INFECTIONS
DANS LES BLESSURES
DE GUERRE
13
265
LA CHIRURGIE DE GUERRE
266
LES INFECTIONS DANS LES BLESSURES DE GUERRE
Toutes les blessures de guerre présentent une forte contamination bactérienne. Balles
et fragments ne sont pas stérilisés au moment du tir et le projectile contaminé intro-
duit des bactéries par le point d’entrée. La pression négative de la cavité temporaire,
aux orifices d’entrée et de sortie, fait aussi pénétrer des bactéries par aspiration.
D’autres contaminants sont trouvés dans les blessures de guerre : fragments de vête-
ments, poussière, matières organiques diverses (boue, herbe, feuilles, etc.), ainsi que
des éclats de bois et de verre provenant des bâtiments bombardés, par exemple. Des
études menées en Corée et au Viet Nam ont montré que différents types de sol sont
associés à différents organismes – qui varient en fonction des conditions météorolo-
giques et des saisons – et qui présentent donc un risque variable de provoquer une
infection grave (la boue et la terre agricole contaminée par des excréments animaux
ou humains sont apparemment les plus dangereux). En outre, la composition
chimique de certains sols peut inactiver des anticorps et détériorer l’activité phago-
cytaire des leucocytes. Il est même arrivé que des mines terrestres de fabrication
artisanale contiennent comme contaminant du fumier animal.
Dans une plaie contaminée, les bactéries prolifèrent dans les tissus morts, mais
aucune invasion de tissu viable n’a lieu avant que le nombre de bactéries atteigne
un seuil de 106/gramme de tissu. La présence de tissus écrasés, de saletés et d’autres
matières étrangères abaisse le seuil d’infection et d’invasion : il se crée en effet un
environnement dans lequel les bactéries peuvent croître et se multiplier sans que le
système immunitaire du patient soit capable de les éliminer. Un certain nombre de
facteurs de risques liés aux microbes sont impliqués, tels que leur virulence, la produc-
tion d’enzymes et de toxines, etc.
Le corps tente d’ériger une barrière de fibrine pour isoler la masse de muscle nécrosé
et de bactéries. Sans drainage adéquat, un abcès se formera ; avec un drainage appro-
prié, la masse nécrosée sera expulsée au bout de 10 jours1. Dans les deux cas, les
mécanismes naturels de défense du corps entrent en jeu pour isoler les contaminants
et les tissus nécrosés.
13
Quand le mécanisme de défense local ne peut plus faire face, une infection invasive
des tissus profonds et une infection systémique surviennent. L’immunité et la résis-
tance du patient peuvent aussi être affaiblies par la malnutrition ou par une maladie
chronique, notamment le VIH/SIDA. Les mécanismes de défense locaux et la résis-
tance générale constituent les facteurs de risques liés à l’hôte.
Une plage de six heures semble constituer la période critique après la contamination.
Dans la lutte contre l’infection, l’efficacité de la chirurgie et des antibiotiques diminue
en fonction du temps écoulé depuis la blessure, alors que la charge bactérienne aug-
mente de manière exponentielle. Comme dans le système des degrés différentiels de
la classification Croix-Rouge des blessures de guerre (décrit au Chapitre 4), une bonne
compréhension de la pathologie en cause est importante. Elle permet de déterminer
la procédure appropriée et adéquate, ainsi que l’utilité des antibiotiques pour sup-
pléer à l’excision, au drainage et à la résistance naturelle de l’organisme à l’infection.
Comme dit, les lésions des tissus mous banales (degré 1) peuvent être traitées par une
simple toilette de la plaie ; un traitement antibiotique est utile s’il débute dans les six
heures qui suivent la blessure. L’administration précoce d’antibiotiques pour les plaies
1 Fackler ML, Breteau JPL, Courbil LJ, Taxit R, Glas J, Fievet JP. Open wound drainage versus wound excision in
treating the modern assault rifle wound. Surgery 1989 ; 105 : 576 – 584.
267
LA CHIRURGIE DE GUERRE
les plus graves semble inhiber la prolifération bactérienne et limiter une invasion
locale, au moins provisoirement. Tout délai de plus de six heures augmente fortement
le risque d’infection.
Le point important à relever à propos de cette flore bactérienne variée est que la
contamination des blessures n’est pas statique. Les blessures de guerre ont une
« histoire de vie bactériologique » qui évolue dès le moment de la blessure. Ce phé-
nomène est connu depuis la Première Guerre mondiale et les études conduites par
Alexander Fleming2.
Depuis lors, beaucoup d’études ont démontré que la contamination des blessures
évolue au fil du temps, de même que toute infection qui en résulte. Au moment
précis de la blessure, il existe une contamination polymicrobienne, notamment
avec un risque de Clostridia et de streptocoque β-hémolytique. Par la suite, une
auto-contamination par les flores cutanée et gastro-intestinale survient, enfin, une
contamination due à des bactéries hospitalières nosocomiales peut s’installer.
2 Fleming A. On the bacteriology of septic wounds. Lancet 1915 ; 186 : 638 – 643.
268
LES INFECTIONS DANS LES BLESSURES DE GUERRE
Il est essentiel de tenir compte de cette évolution pour bien comprendre le rôle joué
par divers éléments – mesures d’hygiène et de contrôle du milieu, chirurgie adé-
quate et utilisation d’antibiotiques – en d’autres termes, par les facteurs de risques
liés à l’intervention chirurgicale3. La large disponibilité des antibiotiques – et leur
consommation abusive – au cours des cinquante dernières années est venue com-
pliquer encore davantage la bactériologie des plaies. Une « sélection » de souches
résistantes s’est en effet produite dans les hôpitaux. Un certain nombre de facteurs
déterminent le fait que l’infection suit, ou ne suit pas, la contamination, ainsi que, le
cas échéant, le type d’infection qui se déclare.
13.3.1 Définitions
Contamination simple
La littérature chirurgicale classe les blessures de la manière suivante : propres,
propres-contaminées, contaminées et, enfin, infectées ou souillées. Les blessures de
guerre sont considérées comme étant contaminées et souillées.
Dans le passé, les infections des tissus profonds étaient généralement causées par les
Clostridia et le streptocoque β-hémolytique invasif ; elles étaient responsables de la
plus grande partie des dommages tissulaires, ainsi que des signes et symptômes sys-
témiques les plus graves. L’arrivée de la pénicilline a radicalement modifié ce tableau
clinique4.
3 Rubin RH. Surgical wound infection : Epidemiology, pathogenesis, diagnosis and management. BMC Infect Dis
2006 ; 6 : 171. Disponible sur : http://www.biomedcentral.com/1471 – 2334/6/171.
4 Polhemus ME, Kester KE. Infections. Dans : Tsokos GC, Atkins JL, eds. Combat Medicine : Basic and Clinical Research
in Military, Trauma, and Emergency Medicine. Totowa, New Jersey : Humana Press ; 2003 : 149 – 173.
269
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La gangrène gazeuse est une myonécrose œdémateuse qui s’étend rapidement, et qui
survient, classiquement, lors de sévères lésions musculaires, contaminées par des ana-
érobies obligatoires pathogènes, en particulier Clostridium perfringens. Presque tous les
cas présentent une flore bactérienne mixte ; les aérobies consomment l’oxygène à dis-
position et favorisent l’environnement anaérobique nécessaire aux Clostridia.
Les délabrements musculaires présentent toujours des zones d’ischémie, ainsi qu’un
risque de gangrène gazeuse. Mais elle peut aussi se développer si le traumatisme
n’est pas très grave. Quand une plaie est profonde, contient des tissus nécrosés et
est isolée de la surface, un environnement anaérobique est créé : il est donc possible
qu’une infection clostridie s’installe. Cet environnement anaérobique isolé en pro-
fondeur se rencontre en particulier dans les plaies suturées sans parage préalable. La
présence dans la plaie de matière étrangère (surtout de la terre) accroît le risque de
voir se développer une gangrène gazeuse. L’application prolongée de garrots ou de
plâtres serrés, ainsi que le syndrome des loges, présentent aussi des risques élevés.
L’infection est plus fréquente dans les blessures aux membres inférieurs et au périnée
que dans les blessures aux membres supérieurs.
270
LES INFECTIONS DANS LES BLESSURES DE GUERRE
U. Witwatersrand
température du patient dépasse rarement 38°C. Selon la description classique, la
détérioration clinique survient rapidement : en quelques heures, le patient devient
anxieux et apeuré, ou parfois même euphorique, et montre tous les signes d’une
infection grave. Figure 13.1.2
Gangrène gazeuse du bras.
La peau est tendue, pâle, souvent marbrée de bleu, et plutôt plus froide que la
normale. Dans les cas non traités, la pigmentation accrue de la peau à certains
endroits (« bronzage ») devient plus diffuse, des zones de couleur vert-jaune appa-
raissent. Des phlyctènes peuvent se former à l’intérieur de ces zones et se remplir de
liquide rouge foncé ; des taches de gangrène cutanée apparaissent parfois. La peau
peut aussi sembler normale, même quand elle recouvre une gangrène massive.
Par palpation, un crépitement peut être senti sous la peau. L’étendue de la propaga-
tion du gaz n’est pas équivalente à celle de la nécrose du muscle.
À partir du site de la blessure, l’infection s’étend vers le haut et vers le bas du muscle,
mais il est rare qu’elle s’étende à d’autres muscles sains, car la bactérie est un ana-
érobie strict. Même dans les cas de gangrène gazeuse établie, une bactériémie aux
clostridies survient rarement avant que la mort ne soit imminente.
E. Dykes / CICR
couleur du muscle se transforme en un gris-rosé mat, puis en rouge brique et, enfin,
en vert-pourpre foncé.
Figure 13.2
Prise en charge
Radiographie montrant les accumulations de
Tous les patients présentant des blessures par projectile devraient recevoir des anti- gaz entre les groupes de muscles.
biotiques prophylactiques efficaces contre les clostridies : pénicilline, métronidazole
ou érythromycine, par exemple. Néanmoins, les antibiotiques ne peuvent atteindre 13
que des tissus irrigués par le sang et une bonne perfusion tissulaire. Dans les pro-
fondeurs de l’environnement anaérobique des muscles nécrosés, les concentrations
d’antibiotiques sont inefficaces. L’objectif est de pratiquer, sans plus tarder, une inter-
vention chirurgicale.
L’essentiel du traitement d’une gangrène gazeuse établie consiste en une excision sys-
tématique et complète des tissus nécrosés – il est donc parfois nécessaire de pratiquer
une amputation en urgence. L’excision se limite au muscle nécrosé et non à l’étendue
du gaz dans les tissus. Les tissus doivent être excisés jusqu’à ce qu’un muscle aérobie
– sain, rouge, qui saigne et se contracte – soit atteint.
271
LA CHIRURGIE DE GUERRE
13.3.3 Tétanos
Le tétanos est un risque inhérent à toute blessure pénétrante. Le risque est plus grand
dans le cas de plaies gravement contaminées, surtout si elles sont petites, profondes et
de type « ponction ». Une infection pyogénique dans la profondeur d’un tunnel étroit
peut créer l’environnement anaérobique nécessaire. La période d’incubation varie de
3 à 21 jours, mais elle peut aussi être très brève (un jour) ou très longue (plusieurs mois).
E. Dykes / CICR
Figure 13.3
Blessure gravement infectée conduisant au tétanos.
Une protection quasi-totale peut être obtenue par le biais d’une immunisation active
comportant une série complète d’injections d’anatoxine tétanique.
L’agent responsable, Clostridium tetani, est un anaérobie strict. Il produit une toxine
extrêmement puissante, la tétanospasmine, qui se propage le long des nerfs péri-
phériques pour atteindre la moelle épinière et le tronc cérébral. La toxine affecte la
plaque motrice en inhibant la cholinestérase : il se produit ainsi une accumulation
d’acétylcholine et des contractions musculaires toniques. On note en outre une hype-
rexcitabilité des neurones moteurs inférieurs qui cause une rigidité musculaire et un
dysfonctionnement de l’activité dans les muscles antagonistes qui provoque une acti-
Å. Molde / CICR
L’infection peut affecter soit un seul groupe de muscles isolé, soit être plus générali-
sée. Trois degrés cliniques sont décrits :
• peu grave = pas de spasmes généralisés ;
• modéré = spasmes généralisés sur provocation ;
• grave = spasmes généralisés spontanés avec opisthotonus.
Les spasmes musculaires sont très douloureux, et ils peuvent soit durer peu de temps
soit continuer pendant plusieurs semaines. Le plus grand danger est l’asphyxie due
à un spasme du larynx ou une aspiration. On note fréquemment une température
élevée et une sudation abondante nécessitant un remplacement liquidien adéquat.
Le patient reste conscient.
Prophylaxie
La meilleure précaution contre le tétanos est l’immunisation active. Néanmoins, dans
les pays en développement, surtout si un conflit est venu perturber encore davan-
tage les programmes de santé publique, beaucoup de patients ne sont pas vaccinés.
272
LES INFECTIONS DANS LES BLESSURES DE GUERRE
En conséquence, le risque de tétanos chez les victimes de guerre est grand. Dans
certains pays, la pratique du CICR consiste à organiser une immunisation active et
passive de tous les patients.
L’excision précoce et appropriée des tissus nécrosés, en laissant la plaie ouverte, contri-
bue de manière cruciale à empêcher le développement du tétanos. Cette intervention
revêt une importance particulière dans les cas de plaies de petite taille, profondes et
de type « ponction », comme infligées par un poinçon. Pénicilline et métronidazole
sont les médicaments de choix.
Pour tous les patients, quel que soit leur statut vaccinal :
2. pénicilline ;
Pour les patients non vaccinés, et pour ceux dont le statut vaccinal n’est pas
clairement établi, on ajoutera :
À noter :
4. Contrôle des spasmes : le patient devrait être soigné dans un environnement aussi
exempt de stimulation que possible, dans une pièce sombre et tranquille. Pour les cas
graves, et dans les meilleures circonstances, le patient devrait être placé en unité de
273
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Mise en garde :
Une sédation excessive peut être aussi fatale que la maladie elle-même.
5. La gestion des voies aériennes est de la plus haute importance pour empêcher
toute aspiration. Si des laryngospasmes persistent, une trachéostomie peut être
nécessaire ; en ce cas, la décision doit être prise sans tarder. Le nettoyage de la canule
de trachéostomie nécessite une attention particulière à la façon dont il peut stimuler
les spasmes, et adapter la sédation en conséquence. Des exercices de physiothérapie
pulmonaire sont nécessaires pour prévenir toute complication respiratoire.
6. Bilan des entrées et sorties de liquides : une perte excessive peut être provoquée
par la sudation ; ce risque doit être soigneusement contrôlé, de même que le
débit urinaire. Une sonde urinaire de Foley devrait être mise en place.
7. Nutrition : si les spasmes perdurent pendant quelques jours, une alimentation par gas-
trostomie ou jéjunostomie peut être nécessaire. Une sonde naso-gastrique risquerait
de provoquer des spasmes et de s’obstruer. Là encore, la décision de réaliser une telle
procédure doit être prise sans tarder. Un régime hypercalorique doit être administré.
À noter :
Le tétanos clinique ne confère pas d’immunité active. Le patient doit donc terminer
son immunisation après sa guérison.
passent d’une couleur pâle à un rouge éclatant, puis à un brun pourpre foncé. La maladie
Figure 13.5 peut progresser en l’espace de quelques heures : elle se rencontre encore dans des cas de
Infection invasive à streptocoque β-hémolytique blessures mal soignées, spécialement si la prise en charge a été tardive.
de la paroi abdominale.
Le parage de la plaie, un drainage et des doses massives de pénicilline constituent
la base du traitement, accompagné par des mesures de thérapie générale. Une
transfusion sanguine est habituellement nécessaire.
5 Thwaites CL, Yen LM, Loan HT, Thuy TTD, Thwaites GE, Stepniewska K, Soni N, White NJ, Farrar JJ. Magnesium
sulphate for treatment of severe tetanus : a randomised controlled trial. Lancet 2006 ; 368 : 1436 – 1443.
274
LES INFECTIONS DANS LES BLESSURES DE GUERRE
H. Nasreddine / CICR
à la suite d’un traumatisme ou d’une chirurgie au thorax ou à l’abdomen (gangrène
synergique postopératoire) ; elle peut aussi affecter des personnes souffrant d’une
maladie générale, telle que le diabète, ou de malnutrition ; les alcooliques sont par-
ticulièrement en danger. Généralement, l’infection affecte le torse, le périnée ou les
extrémités. La flore bactérienne est mixte, entraînant une synergie entre divers orga-
nismes (anaérobies et aérobies), en particulier les streptocoques microaérophiliques
non hémolytiques, en association avec les staphylocoques hémolytiques.
Les muscles sains ne sont jamais concernés, et le tableau clinique est moins drama-
tique qu’en cas de gangrène gazeuse. Néanmoins, la toxicité systémique met en jeu le
pronostic vital. De fortes douleurs, disproportionnées aux signes locaux surviennent ;
souvent un crépitement peut être senti et, sur de simples radiographies, on peut
noter la présence d’air dans les tissus mous. La peau est décolorée (virant au bleu, au
pourpre ou au noir) avec la formation de phlyctènes menant à des bulles hémorra-
giques et à des indurations. La nécrose peut s’étendre largement, causant une impor-
tante perte de tissus mous. Le diagnostic est principalement d’ordre clinique, et plus
le traitement débute rapidement, plus le résultat est positif.
H. Nasreddine / CICR
• excision agressive du tissu nécrosé et soulagement de la tension, ce qui peut parfois
exiger des débridements en série – une amputation peut être nécessaire en cas
d’infections nécrosantes des membres – ainsi qu’une colostomie de protection en
cas d’infection du périnée accompagnée de contamination fécale ; Figure 13.6.1 et 13.6.2
• plaie laissée ouverte, pour favoriser le drainage ; Fasciite nécrosante avec une importante perte
• triple antibiothérapie par voie intraveineuse : pénicilline, gentamycine et de peau et de tissu.
métronidazole ;
• réanimation avec des perfusions, du sang et une thérapie générale de support.
Une chirurgie réparatrice destinée à couvrir la perte de tissus ne peut être envisa-
gée que lorsque l’état du patient s’est stabilisé et que l’infection a été complètement
éradiquée.
13.4 Antibiotiques
13
Il est important de distinguer l’usage des antibiotiques à des fins prophylactiques de
leur rôle dans la thérapie d’une infection établie. Le chirurgien doit aussi garder à l’es-
prit l’histoire de vie des plaies et leur flore bactérienne, qui ne cesse de se modifier.
Voix de l’expérience
Le chirurgien doit réaliser que de compter sur l’efficacité des antibiotiques ne rem-
placera jamais une bonne chirurgie. Celle-ci implique un bon diagnostic, de bonnes
prises de décision cliniques et une bonne prise en charge holistique du patient.
Parfois, pratiquer une « bonne chirurgie » signifie savoir quand il faut s’abstenir
d’opérer. Comme dit, les plaies simples et banales de degré 1, comme beaucoup
275
LA CHIRURGIE DE GUERRE
de traumatismes par arme à feu dans la vie civile peuvent être traitées de manière
conservatrice et « attentive » au sens premier du terme.
En revanche, la prophylaxie contre les deuxièmes séries d’infections, qui ont pour
origine la flore bactérienne du patient lui-même (peau, tract respiratoire et tract
gastro-intestinal), peut s’avérer opportune. Il faut en effet agir si l’apparition de telles
infections devient un important problème clinique affectant le fonctionnement d’un
hôpital donné, et si elle est prouvée par les études bactériologiques requises. La pré-
valence des infections causées par des bactéries présentant une résistance multiple
aux antibiotiques ainsi que par des organismes opportunistes, tels que Pseudomonas
aeruginosa, a augmenté à la suite de l’emploi incontrôlé des antibiotiques à large
spectre. Là encore, une bonne chirurgie et des mesures correctes d’hygiène et de
contrôle du milieu ne peuvent pas être remplacées par des antibiotiques, qui ne
constituent qu’une thérapie adjuvante.
La prévention des infections nosocomiales est une autre affaire. Des protocoles cli-
niques corrects et des mesures d’hygiène adéquates constituent le moyen de pré-
vention correct : se laver souvent les mains ; éviter les changements de pansement
non indispensables au lit du patient ; isolement des patients infectés ; stérilisation
adéquate ; nettoyage correct des locaux de l’hôpital, etc. Seules de telles mesures
peuvent stopper – et stopperont – une infection nosocomiale. L’utilisation d’antibio-
tiques pour compléter ces mesures dépendra de la virulence des bactéries impliquées.
276
LES INFECTIONS DANS LES BLESSURES DE GUERRE
A travers l’histoire, comme évoqué plus haut, les plus grands tueurs des victimes de
guerre qui ont, dans un premier temps, survécu à leurs blessures, ont été des infec-
tions primaires par streptocoque β-hémolytique et clostridies. Or, il s’agit d’un spectre
relativement étroit de bactéries, contre lesquelles la pénicilline reste le meilleur
antibiotique.
Les antibiotiques topiques et le rinçage des plaies avec des solutions antibiotiques ne
sont pas recommandés.
Le problème particulier, mais fréquent, des blessures négligées ou mal soignées a été
traité dans le Chapitre 12. Comme dit, les patients souffrant de telles blessures sont
particulièrement exposés au risque de développer une gangrène gazeuse, un tétanos
ou une infection invasive. Conformément au protocole d’antibiothérapie du CICR, la
pénicilline et le métronidazole doivent être administrés ; en présence de signes systé-
miques d’infection pyogénique, la gentamycine est ajoutée.
Les antibiotiques sont importants dans le traitement de ces maladies, mais ils ne rem-
placent pas les éléments essentiels de la chirurgie septique : grande excision, bon
drainage, rinçage copieux et plaie laissée grande ouverte.
6 Mellor SG, Cooper GJ, Bowyer GW. Efficacy of delayed administration of benzylpenicillin in the control of
infection in penetrating soft-tissue injuries in war. J Trauma 1996 ; 40 (3 Suppl.) : S128 – S134.
277
LA CHIRURGIE DE GUERRE
MUI = million d’unités internationales
À noter :
Ce protocole a été établi lors de la réunion tenue à Genève en mars 2002 (Atelier des
chirurgiens cadres du CICR – voir Introduction).
278
13
279
280
Chapitre 14
14
281
LA CHIRURGIE DE GUERRE
282
LES PLAIES BORGNES : PROJECTILES RETENUS
De par le monde, dans les zones de guerre d’hier et d’aujourd’hui, des centaines de
milliers de personnes parfaitement saines vont et viennent bien qu’elles aient souffert
de plaies borgnes et que les balles ou les éclats demeurent logés dans leur corps. Ces
corps métalliques étrangers sont rendus responsables de toute douleur ou incapa-
cité : certains patients et leurs proches, focalisés sur ces objets, insistent pour qu’ils
soient retirés, alors que la plaie est complètement cicatrisée.
Face à un patient qui exige d’être opéré, il peut être très difficile, et frustrant, pour le
chirurgien de devoir expliquer qu’un projectile est dangereux tant qu’il se déplace,
mais qu’il cesse de l’être dès qu’il s’est logé quelque part. L’incidence d’une infection
tardive est faible (2 à 3 %)1 et l’embolisation vasculaire est rare (elle est plus souvent
causée par des fragments que par des balles). Le risque d’embolisation – par « migra-
tion » de la balle – est bien moins fréquemment rencontré dans la vie réelle que dans
les cas cliniques publiés dans la littérature chirurgicale spécialisée. Dans une étude
américaine réalisée au Viet Nam et portant sur 7 500 blessés présentant des lésions
artérielles, un taux de 0,3 % a été signalé ; l’embolisation est plus rare encore au sein
de la population générale des blessés2.
M. Baldan / CICR
Toutefois, comme dit, il existe des indications – précoces ou tardives – pour l’abla-
tion de balles et de fragments. Les indications précoces les plus importantes ont été Figures 14.1.1 et 14.1.2
évoquées dans le Chapitre 10 : comme partie intégrante de l’intervention primaire ou Balle logée dans l’utérus d’une femme en fin de
pour éviter le risque d’érosion d’une structure importante (Figures 10.11, 10.12 et 14.1). grossesse. 14
1 Rhee JM, Marin R. The management of retained bullets in the limbs. Injury 1997 ; 28 : 23 – 38.
2 Rich NM, Collins GJ, Andersen CA, McDonald PT, Kozloff L, Ricotta JJ. Missile emboli. J Trauma 1978 : 18 :
236 – 239.
283
LA CHIRURGIE DE GUERRE
M. Baldan / CICR
M. Baldan / CICR
Figures 14.2.1 et 14.2.2
Un éclat a pénétré dans le front et s’est logé dans la région occipitale.
CICR
CICR
CICR
Figures 14.3.1 à 14.3.3
Un éclat a pénétré dans la région
pariéto-occipitale.
CICR
Figures 14.3.4
Le fragment est visible sous l’os.
284
LES PLAIES BORGNES : PROJECTILES RETENUS
R. Coupland / CICR
R. Coupland / CICR
Figure 14.4.1 Figure 14.4.2
Infirmière montrant le site d’entrée d’un Radiographie montrant le fragment, logé dans
fragment. le cou.
M. Baldan / CICR
M. Baldan / CICR
Figure 14.5 Figure 14.6
Balle logée dans l’aisselle : les vaisseaux et les Humérus fracturé ; la balle est retenue dans les
nerfs sont intacts. muscles sous-scapulaires.
M. Baldan / CICR
M. Baldan / CICR
Figures 14.7.1 et 14.7.2
Balle en position extra-synoviale, près de la
hanche. 14
F. Herkert / CICR
Figure 14.8
Balle fragmentée logée dans la masse
musculaire extra-péritonéale.
285
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les scénarios suivants devraient être ajoutés aux indications précoces déjà
mentionnées.
• Un petit fragment métallique ayant pénétré dans l’œil : l’extraction est indiquée
si le fragment s’est logé dans la chambre antérieure et, là encore, seulement
si le chirurgien est expérimenté et dispose de l’équipement nécessaire (loupe
d’amplification, instruments et matériel de suture appropriés).
F. Irmay / CICR
Infection
Le projectile, au même titre que les contaminants environnants, agit comme un nid
d’infection : abcès ou sinus. L’extraction est réalisée en tant qu’opération planifiée
après les procédures de diagnostic nécessaires (radiographie, sinogramme, etc.).
Douleur
Un projectile logé peu profondément, notamment sur un point de pression (paume des
mains, plante des pieds, coude, etc.) provoque une vraie douleur. L’extraction peut être
réalisée en tant que procédure programmée après la guérison du traumatisme aigu.
Douleur
Le corps étranger touche un nerf et cause une douleur radiculaire ou une paresthésie.
Comme dans le cas ci-dessus, l’ablation est réalisée en tant qu’opération programmée.
CICR
Figure 14.10
Fragment métallique logé dans un point de
pression : plante du pied.
CICR
CICR
Figure 14.11.1 Figure 14.11.2
Balle logée dans le compartiment antérolatéral Balle ne pressant sur aucun nerf.
de la jambe, pressant sur le nerf péronéal
commun (nerf sciatique poplité externe).
286
LES PLAIES BORGNES : PROJECTILES RETENUS
Toxicité du plomb
Un tel cas est extrêmement rare et implique en général une articulation synoviale ou
un disque intervertébral ; une intervention ne devrait être envisagée que s’il existe
une élévation documentée du niveau de plomb dans le sérum (supérieur à 10 micro-
grammes/dl chez un enfant et à 40 microgrammes/dl chez un adulte). Une épreuve
diagnostique utile consiste à observer la réponse à un « challenge » thérapeutique
d’acide éthylène-diamine-tétra-acétique (EDTA). Une thérapie standard de chéla-
tion est mise en place (EDTA, Dimecaprol, d-Penicillamine, Succimer). Pour éviter un
empoisonnement aigu au plomb, l’extraction chirurgicale du métal ne devrait pas
être réalisée avant que le titre de plomb dans le sérum n’ait été réduit3. Une telle com-
plication ne survient pas quand le projectile est une balle entièrement chemisée dont
aucun plomb ne s’échappe.
Nous ne traiterons pas ici des blessures non liées à un conflit armé quand un pro-
jectile doit être retiré à des fins d’enquête judiciaire et médico-légale. La législation
nationale du pays concerné détermine exactement les mesures à prendre, sans pour
autant infliger au patient des maux et des souffrances inutiles.
Pour les patients présentant un éclat ou une balle profondément incrustés qu’il faut
extraire, la localisation correcte du corps étranger, avant la chirurgie, est de la plus
haute importance. La plupart des hôpitaux ruraux ou provinciaux n’ont pas d’équipe-
ment de fluoroscopie ou d’amplificateur de brillance, en salle d’opération, permettant
au chirurgien d’opérer sous vision directe.
K. Barrand / CICR
enlevés, et leur position marquée sur la peau au stylo feutre.
Figure 14.12.1 et 14.12.2
Localisation stéréotactique d’un corps étranger
métallique. L’épingle de sûreté est sur la face
antérieure, le trombone sur la face latérale.
3 Linden MA, Manton WI, Stewart RM, Thal ER, Feit H. Lead poisoning from retained bullets : Pathogenesis,
diagnosis, and management. Ann Surgery 1982 ; 195 : 305 – 313.
287
288
Chapitre 15
LES BRÛLURES
15
289
LA CHIRURGIE DE GUERRE
ANNEXE 15. A Nutrition en cas de brûlures graves : calcul des besoins nutritionnels 310
290
LES BRÛLURES
15.1 Introduction
Une brûlure grave est un événement douloureux et met en jeu le pronostic vital,
mobilisant une somme importante de ressources hospitalières et de soins infirmiers.
Le risque vital le plus immédiat est l’effet sur les voies aériennes par l’inhalation d’air
chaud et de fumée, et la formation d’un œdème consécutif. Les plus grands dangers
sont ensuite le choc hypovolémique et l’infection, ainsi que les divers effets physio-
pathologiques complexes qui continuent à se manifester. Toute brûlure est associée à
de nombreuses complications, à une morbidité prolongée, à de multiples opérations
et à d’importantes exigences en termes d’équipement, de matériel et de temps pour
les soins médicaux et infirmiers. Les séquelles à long terme, physiques, esthétiques et
psychologiques, ont un profond retentissement sur le moral des patients et du per-
sonnel. Les établissements modernes spécialisés ont fait de grands progrès dans la
prise en charge réussie des grands brûlés ; malheureusement, de telles structures ne
se rencontrent jamais dans les situations de ressources limitées.
Les principes de traitement sont cependant les mêmes. Le but consiste à agir au mieux
compte tenu de l’austérité des circonstances, quand la dure réalité impose ses limita-
tions frustrantes. C’est sur les personnes jeunes, présentant des brûlures peu étendues
mais potentiellement invalidantes (aux deux mains, par exemple) que la chirurgie aura
le plus d’impact. Les patients présentant des brûlures couvrant 40 à 50 % de la surface
corporelle totale (SCT) survivent rarement dans les conditions du terrain ; mieux vaut
leur administrer suffisamment de liquides pour étancher leur soif, ainsi que des quanti-
tés généreuses d’analgésie. Dans une situation de triage avec de nombreuses victimes,
ces patients relèvent de la catégorie IV : ils ne recevront que des soins palliatifs.
15.2 Pathologie
291
LA CHIRURGIE DE GUERRE
brûlures de pleine épaisseur relativement petites finissent par cicatriser par contrac-
tion, mais cela provoque inévitablement de graves difformités et la perte de fonction.
Une greffe de peau constitue le meilleur traitement.
Figure 15.1
Histologie de la peau et degré de profondeur de la brûlure.
Les différentes régions d’une brûlure présentent des lésions de profondeurs diffé-
rentes. Une brûlure est fondamentalement une blessure ischémique tridimension-
nelle comprenant :
• une zone de coagulation – région centrale de nécrose irréversible de la peau qui
crée l’escarre ;
• une zone de stase – couche intermédiaire de tissu lésé mais viable, présentant une
réaction inflammatoire importante, mais une stase précoce du flux sanguin local ;
• une zone d’hyperémie – aire profonde et périphérique, qui a l’apparence de la
cellulite, mais est seulement hyperémique.
Une réanimation appropriée en fluides préserve les cellules dans la zone de stase ; par
contre, en cas d’infection ou de dessèchement la blessure peut rapidement s’étendre,
à la fois de manière périphérique et en profondeur.
E. Dykes / CICR
Ces pertes sont les plus marquées dans la région de la brûlure ; ce sont elles qui
sont responsables de l’œdème local, qui atteint son point culminant entre 6 et
12 heures après la brûlure. Néanmoins, en cas de réanimation agressive avec des
cristalloïdes pour des brûlures étendues (>25 à 30 % de la surface corporelle totale),
l’hypoprotéinémie provoque un désordre systémique, dont la conséquence est un
œdème généralisé de la peau saine et des tissus internes, notamment l’enflure du
larynx et l’obstruction de la voie aérienne qui en résulte, ainsi que le syndrome de
loge abdominal.
292
LES BRÛLURES
Les brûlures électriques relèvent de deux catégories distinctes. Soit les brûlures sur-
viennent quand une personne provoque un court circuit et qu’un arc électrique en
résulte, engendrant une brûlure instantanée sans qu’aucun courant ne lui traverse le
corps ; ces brûlures peuvent être traitées de la même façon que des blessures ther-
miques. Soit les dommages sont dus à une conduction électrique à haut voltage
(>1 000 volts) – le courant passe à travers le corps et se caractérise par des contrac-
tions musculaires qui empêchent de « lâcher prise » – et sont de type « iceberg ». Ces
brûlures présentent généralement de petites lésions cutanées, mais de graves lésions
P. Zylstra / CICR
des tissus profonds.
Les brûlures chimiques sont causées par des agents particuliers : acides, alcalins et
Figure 15.3
composés spécifiques (napalm, phosphore, agents vésicants, etc.), ayant chacun leurs
Homunculus illustrant la « Règle des 9 » utilisée
caractéristiques propres. pour estimer la surface brûlée chez un adulte.
Chez l’enfant de moins d’un an, la tête et le cou représentent environ 18 % de la SCT,
chaque extrémité inférieure représentant 14 % (Figure 15.4), avec le temps ces pro-
15
portions se rapprochent progressivement de celles de l’adulte.
Bien qu’il soit difficile de catégoriser la gravité des brûlures, les indications ci-dessous
P. Zylstra / CICR
Brûlures mineures :
• 2e degré : moins de 15 % de la SCT ; Figure 15.4
• 3e degré : moins de 3 % de la SCT. Homunculus illustrant l’estimation de la surface
brûlée chez un enfant.
Brûlures intermédiaires :
• 2e degré : entre 15 et 25 % de la SCT ;
• 3e degré : moins de 10 % de la SCT.
Brûlures graves :
• 2e degré : plus de 25 % de la SCT ;
• 3e degré : plus de 10 % de la SCT.
293
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Comme pour toute plaie et tout traumatisme, la prise en charge des brûlures se
compose d’une série de mesures standard.
1. Premiers secours.
2. Réanimation :
– voies aériennes ;
– ventilation/respiration ;
– circulation sanguine/restauration volémique.
3. Analgésie.
4. Antibiotiques prophylactiques.
5. Prophylaxie du tétanos.
6. Nutrition.
7. Hypothermie.
La brûlure doit ensuite être refroidie avec de l’eau ou des serviettes humides (pendant
20 minutes) et couverte de façon à calmer la douleur. Néanmoins, le patient ne devrait
pas rester enveloppé dans du tissu froid et humide assez longtemps pour provoquer
une hypothermie. Une fois la brûlure refroidie, le patient doit être tenu au chaud.
Si l’évacuation sur l’hôpital est retardée et si les voies aériennes ne sont pas en danger,
il faut encourager le patient à boire beaucoup de petites gorgées de liquides, souvent
et régulièrement, et contrôler la couleur et le débit de l’urine.
15.3.2 Réanimation
Les éléments suivants sont à identifier :
• nature de l’agent causal – flamme, ébouillantement, contact, conduction électrique,
arc électrique, substance chimique ;
• éventuels facteurs aggravants – traumatisme additionnel, inhalation de fumée (la
présence de feu dans un espace clos entraîne forcément l’inhalation de fumée) ;
• délai écoulé depuis la blessure – la restauration volémique est calculée depuis le
moment de la brûlure, et non pas depuis l’arrivée du patient à l’hôpital.
Comme pour tous les blessés, l’examen commence par l’algorithme ABCDE. Les brû-
lures profondes au visage, au cou ou à la poitrine causent un œdème du larynx, qui
augmente de manière dramatique avec la restauration volémique. De plus, toute
inhalation de fumée, de gaz chauds ou de produits chimiques contribue au dévelop-
pement de l’œdème. Cependant, un œdème critique du larynx peut survenir lors de
toute brûlure profonde dans cette zone importante. Il faut un examen minutieux du
patient pour repérer la présence de poils brûlés dans les narines ou de suie dans le
nez, la bouche ou la salive.
Les voies aériennes doivent être sécurisées et gardées ouvertes, de préférence par tra-
chéostomie. Cette intervention doit être réalisée avant que ces voies ne soient com-
promises, car elle sera très difficile une fois l’œdème développé. L’incision de tissus
œdémateux peut être compliquée et causer une importante perte de sang.
294
LES BRÛLURES
À noter :
À noter :
Seules les brûlures aux deuxième et troisième degrés devraient être incluses dans
l’évaluation de la surface corporelle totale atteinte. Pour ce faire, le patient doit être
entièrement déshabillé : l’ampleur et la profondeur des brûlures doivent être soi-
gneusement estimées en utilisant la « Règle des 9 ». Le patient doit être pesé, et un
« homunculus » utilisé pour évaluer et noter l’étendue des dommages. Une attention
particulière doit être portée aux brûlures circulaires, susceptibles de nécessiter une
escarrotomie.
La tendance naturelle est de surévaluer l’étendue des brûlures. Dans des séries contrô-
lées, l’écart pouvait atteindre 25 %. Une bonne idée consiste à calculer d’abord la
zone brûlée et ensuite la zone qui n’est pas brûlée ; le total devrait représenter 100 %.
Une autre tendance naturelle consiste à sous-estimer la profondeur des brûlures ; des
réexamens périodiques aideront à obtenir des résultats plus proches de la réalité.
Pour les patients présentant des brûlures intermédiaires et graves, une sonde de Foley
devrait être placé dans la vessie pour contrôler la diurèse horaire – le meilleur moyen
de contrôler l’efficacité de la réanimation. Une sonde naso-gastrique devrait aussi
15
être posée ; en l’absence de dilatation gastrique aiguë, une alimentation entérale
peut être commencée dans les premières 24 heures. Une alimentation précoce via la
sonde naso-gastrique, ainsi que la suppression appropriée des acides (antiacides, blo-
queurs H2) permettent de prévenir une gastrite hémorragique aiguë, dont l’issue est
en général fatale. S’il est difficile de maintenir une voie veineuse, la restauration volé-
mique peut être assurée via la sonde naso-gastrique, ou même par voie orale dans les
cas de brûlures peu étendues. Ces alternatives peuvent être particulièrement utiles
chez les jeunes enfants.
Une analgésie adéquate (narcotique intraveineux) est nécessaire à tous les stades
du traitement des brûlures. La pratique du CICR consiste à donner de la pénicilline
pendant les cinq premiers jours afin de prévenir une infection hémolytique invasive à
streptocoques ; toute autre infection est traitée de manière ponctuelle. La prophylaxie
du tétanos doit être mise en place si nécessaire. Les autres blessures associées (plaies
pénétrantes, fractures, etc.) doivent être diagnostiquées et traitées parallèlement à la
brûlure elle-même.
295
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Pour la plupart, les brûlures mineures présentant des lésions de deuxième degré qui
couvrent moins de 15 % de la surface corporelle totale ne nécessitent pas de réani-
mation formelle par voie intraveineuse ; les patients peuvent absorber des liquides
par voie orale et être soignés de façon ambulatoire. (Certains chirurgiens préfèrent
tout de même hospitaliser un patient ne présentant que 3 % de brûlure de pleine
épaisseur, spécialement au visage, aux mains ou aux pieds.) Les brûlures intermédiai-
res ou graves nécessitent une hospitalisation et l’apport de perfusions intraveineuses.
Le CICR utilise la formule Brooke/Parkland modifiée1 pour la restauration volémique.
1. Les premières 24 heures suivant la brûlure (et non pas depuis le début du traitement).
3. Au-delà de 48 heures.
Si la diurèse est faible, et ne réagit pas à une perfusion accrue dans la deuxième période
de huit heures, le lactate de Ringer sera remplacé pendant la troisième période par un
colloïde, du plasma ou de l’albumine à 5 %, si disponibles. Cependant, si le compartiment
1 Formule Brooke : 2 ml/kg/% de la SCT pendant les premières 24 heures ; formule Parkland : 4 ml/kg/% de la SCT
pendant les premières 24 heures.
2 Sjöberg F. (Département d’anesthésie et de soins intensifs, Hôpital universitaire, Linköping, Suède.) Monitoring
of Resuscitation Adequacy. Actes de la Société internationale de Soins aux Brûlés, 42e Congrès mondial, Société
internationale de chirurgie, 26-30 août 2007, Montréal.
296
LES BRÛLURES
vasculaire est bien rempli, mais que le patient ne produit pas d’urine, les reins sont pro-
bablement en train de défaillir ; ils peuvent réagir au furosémide ou au mannitol.
D’autres signes vitaux doivent être surveillés de près, notamment la circulation san-
guine périphérique, l’état général du patient – niveau de conscience, agitation,
nausées ou vomissements – ainsi que l’hématocrite.
Une surveillance constante est indispensable et, après 12 heures, l’état général du
patient doit être réévalué et ses besoins en fluides recalculés.
À noter :
Il existe non seulement une tendance naturelle à surévaluer la surface corporelle totale
lésée, mais on a en plus constaté que, dans une grande partie de la pratique clinique
moderne, la sur-réanimation était devenue plus fréquente et constituait davantage un
problème que la sous-réanimation. La peur traditionnelle de l’insuffisance rénale a conduit
beaucoup de cliniciens à administrer des perfusions en excès. On parle de la « morbidité de
la réanimation » ou du « fluid creep3 ». Cet excès se manifeste le plus souvent sous la forme
d’un œdème pulmonaire, puis comme syndrome de loge abdominal, cicatrisation des
plaies retardée, susceptibilité accrue à l’infection et, enfin, défaillance multiple d’organes. Il
ne faut pas oublier que la formule de la restauration volémique n’est donnée qu’à titre indi-
catif, et que les quantités réelles de perfusions intraveineuses sont à adapter au cas par cas.
Si le plasma est sûr et s’il est disponible, c’est en principe à ce stade qu’il convient de le
donner. Une albumine à 5 % (à raison de 50 ml/heure pendant 2 à 3 jours) est une alter-
native coûteuse, mais les éléments de preuve appuyant l’une ou l’autre stratégie sont très
ténus. Autrement – et c’est le cas dans la pratique du CICR –, le lactate de Ringer devra
continuer à être donné au taux d’un quart du volume du premier jour ; les perfusions
devront être adaptées au débit urinaire et l’alimentation entérale augmentée, pour autant
que le patient le tolère. Cet apport fournira non seulement une nutrition essentielle mais
aussi de l’eau libre qui couvrira les pertes par évaporation au niveau de la brûlure.
3 Pruit BA Jr. Fluid and electrolyte replacement in the burned patient. Surg Clin N Am 1978 ; 48 : 1291 – 1312.
L’expression anglaise « fluid creep » (to creep, ramper ou avancer pas à pas) décrit comment l’apport en fluides
progresse pas à pas, petit à petit, sans que l’on ne se rende compte du total donné jusqu’à ce qu’il soit trop tard
et que le patient tombe dans une morbidité due à la réanimation elle-même.
297
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le sang total frais est la meilleure réponse. Potassium, calcium, magnésium et phos-
phate sont en général évacués en grandes quantités à ce stade et leur perte devrait
être compensée lorsque cela est possible.
Souvent, les grands brûlés se présentent tardivement. Ceux qui arrivent à l’hôpital
avec du retard, mais dans les premières 24 heures, devraient bénéficier d’un remplis-
sage volémique, et ils devraient recevoir – avant la fin des premières 24 heures suivant
la brûlure – la plus grande partie du volume requis selon les calculs.
Les patients se présentant après 24 heures ont généralement besoin d’une certaine
quantité de fluide, mais celle-ci sera déterminée principalement par l’évaluation cli-
E. Dykes / CICR
15.5 Nutrition
Une fois la réanimation réalisée, les brûlures elles-mêmes, et les éventuelles complica-
tions septiques, sont les plus grandes menaces qui pèsent sur la vie du patient.
Le but du traitement est d’obtenir la guérison de la blessure grâce aux mesures suivantes.
298
LES BRÛLURES
Dans la plupart des cas, la morbidité et la mortalité associées aux brûlures graves sont le
résultat d’une infection. Toutes les méthodes préconisées pour nettoyer la plaie, exciser
les tissus nécrosés et traiter la brûlure visent à endiguer la septicité des brûlures.
Non traitée, une escarre se dessèche et tombe en quelques jours sous l’effet d’une
invasion enzymatique bactérienne du plan entre tissus viables et non viables. Les
brûlures de pleine épaisseur exigeront une greffe cutanée pour cicatriser convena-
blement ; sinon, la cicatrisation ne se fera que par la seule contraction du tissu fibreux,
avec des plaies ouvertes chroniques et une contracture invalidante de la cicatrice.
Dans les brûlures d’épaisseur partielle, des zones de derme viable se trouvent au-
dessous du tissu nécrosé ; lorsque suffisamment de cellules épithéliales subsistent
à la base de phanères (tels que glandes sudoripares et follicules des poils et des
CICR
cheveux), la réépithélialisation se fera graduellement, pour autant que les bonnes
Figure 15.6
conditions soient réunies.
Brûlure du visage avec des phlyctènes intactes.
Par contre, toute infection transformera une brûlure d’épaisseur partielle en brûlure
d’épaisseur totale. En raison de l’ischémie totale ou partielle associée à ces lésions, les
antibiotiques systémiques n’atteignent pas forcément le site de la colonisation bac-
térienne. Un traitement local, à la fois mécanique et antimicrobien, constitue les élé-
ments de base des soins de la plaie.
Tout ce qui peut serrer (bagues, montre portée au poignet, bijoux, etc.) devrait
avoir été enlevé au moment de l’admission. Le patient doit être mis sous sédation
et la brûlure lavée délicatement à l’eau et au savon. Le mieux est d’utiliser de l’eau
courante, propre, sans pression excessive, avec un flux régulier et une tempéra-
Figure 15.7.1
ture confortable pour le patient. Cela permet de rafraîchir la brûlure, de diminuer la
Sites pour les incisions de décharge d’une
douleur et d’ôter les débris superficiels et les vêtements qui adhèrent à la plaie. escarrotomie.
Les phlyctènes petites et intactes ne nécessitent aucune intervention ; par contre,
il faut réséquer les grosses phlyctènes sanguinolentes ou remplies de pus, ainsi
que celles qui gênent le mouvement d’une articulation. Les grandes zones brûlées
peuvent plus facilement être nettoyées sous la douche. Les bains sont à éviter en
raison des difficultés pratiques, ainsi que du risque d’infection croisée, dans les condi-
tions du terrain. L’immersion quotidienne des patients souffrant de brûlures dans des
baignoires (sales) d’eau froide est à proscrire.
M. Beveridge / CICR
Une attention particulière devrait être portée aux brûlures profondes circulaires.
Pendant les premières 48 heures, l’œdème croissant des tissus et l’escarre épaisse et
rigide peuvent provoquer un effet de garrot. Au niveau du thorax, ce « garrot » res-
Figure 15.7.2
treint l’ampliation pulmonaire, tandis qu’au niveau des membres il cause une isché-
Emplacement des incisions de décharge sur
mie périphérique risquant de conduire à une amputation. Il est facile d’éviter une la main. 15
telle catastrophe.
L’escarrotomie devrait être pratiquée avec un couteau bien aiguisé ou par diathermie
électrique à travers la peau brûlée et jusqu’au tissu adipeux sous-cutané.
M. Baldan / CICR
Les incisions de décharge sont pratiquées en suivant les lignes mi-latérales et mi-
médianes de l’extrémité affectée ; elles devraient atteindre (mais sans jamais l’inclure)
la peau indemne. Une incision en « T » à chaque extrémité de l’escarrotomie permet Figure 15.7.3
aux tissus de se dilater sans provoquer une constriction aiguë à l’extrémité de l’inci- Incision de décharge sur le bras.
sion. Sur les mains, les incisions mi-latérales descendant de chaque côté de l’avant-
bras devraient être prolongées sur la face dorsale de la main, puis une seule incision
299
LA CHIRURGIE DE GUERRE
À noter :
Bien que les brûlures de pleine épaisseur soient habituellement insensibles, l’escar-
rotomie devrait être réalisée avec une forme ou une autre d’anesthésie, car les bords
peuvent être très douloureux et l’incision pénètre dans le tissu adipeux sous-cutané.
La kétamine est idéale.
Une attention particulière devrait être portée aux brûlures associées à des fractures
sous-jacentes ainsi qu’aux brûlures s’étendant profondément dans le fascia, car elles
risquent de créer un syndrome des loges. Une fasciotomie formelle, avec excision de
l’aponévrose, peut être nécessaire en plus de l’escarrotomie.
Les brûlures périnéales graves peuvent parfois nécessiter une diversion fécale.
Pansements occlusifs
Les pansements stériles volumineux soulagent la douleur, ils sont confortables
pour le patient et, de plus, ils protègent la plaie contre une infection. Ils absorbent
le sérum et les exsudats, et ils favorisent un environnement humide favorable à la
cicatrisation, en maintenant la partie blessée immobile et au chaud ; ils contiennent
Figure 15.8 des antibiotiques (pommade de sulfadiazine d’argent) qui sont capables de péné-
Tulle gras et pansements occlusifs. trer dans les escarres nécrosées.
300
LES BRÛLURES
Si le pansement est saturé, les bandages de la couche extérieure doivent être changés
pour éviter qu’une contamination bactérienne ne se produise par capillarité. Les pan-
sements doivent être changés chaque jour, ou tous les deux jours, sous analgésie adé-
quate, et la couche interne (sulfadiazine d’argent) ôtée par rinçage sous la douche.
Les plaies doivent être inspectées et nettoyées délicatement lors du changement de
pansement ; les lambeaux d’escarres nécrosées seront enlevés à l’aide de ciseaux et
de pincettes.
Les pansements occlusifs sont les mieux adaptés aux petites zones brûlées, en parti-
culier sur les membres, ou quand les conditions d’hygiène sont moins qu’optimales.
Le patient est placé sur des draps propres et la zone brûlée est complètement décou-
verte. De la pommade de sulfadiazine d’argent est appliquée généreusement sur la
brûlure avec une main gantée stérile ; l’application est répétée deux fois par jour ou
selon les besoins. Si la température de la pièce est basse, le patient peut être couvert
avec un drap propre et une couverture drapés sur un support (arceau) pour éviter
tout contact avec la plaie. Une moustiquaire doit être installée pour protéger le lit
CICR
tout entier.
Figure 15.10
Les avantages de cette méthode sont notamment la simplicité des examens de
Traitement par exposition à l’air libre et cadre de
la brûlure et la facilité des soins infirmiers ; elle favorise la mobilisation précoce par support.
physiothérapie.
Le meilleur traitement des brûlures du visage consiste à les laisser à l’air libre, en procé-
dant à de fréquents nettoyages en douceur, et à l’application de compresses de gaze
imbibées d’une solution salée tiède, alternées avec des applications de pommade
CICR
301
LA CHIRURGIE DE GUERRE
La préparation de la plaie, puis sa fermeture, sont les deux principales étapes du trai-
tement chirurgical des brûlures. Le type d’intervention dépend des compétences et
de la formation du chirurgien, du type de brûlure, et des moyens à disposition pour
assurer le traitement (en particulier le sang pour les transfusions). Comme pour tout
traumatisme soigné dans des circonstances difficiles, il convient de faire un choix judi-
cieux quant à la procédure technique à adopter.
Pour autant qu’une infection soit évitée, les brûlures d’épaisseur partielle génèrent
elles-mêmes un nouvel épithélium. Les plaies doivent être inspectées soigneusement
à mesure qu’elles évoluent. Dans les brûlures superficielles d’épaisseur partielle (et les
sites donneurs en cas de greffe cutanée), les cellules épithéliales se multiplient autour
de minuscules phanères, donnant un aspect typique (« taches de léopard ») chez les
personnes de peau pigmentée. A l’inspection plus minutieuse, une couche argentée,
légèrement mate, de cellules épithéliales peut être vue en train de se développer sur
le derme (Figure 15.12.1). De minuscules perles blanches d’épiderme annoncent la
repousse et la cicatrisation ; les zones de derme rouge framboise en train de granuler
et les zones de graisse n’ont pas suffisamment de cellules épithéliales pour cicatriser
(Figure 15.12.2). Une brûlure qui « granule gentiment » n’est pas une bonne chose,
sauf si une greffe cutanée est prévue.
E. Dykes / CICR
CICR
Figure 15.12.1 Figure 15.12.2
Brûlure d’épaisseur partielle bien engagée sur Brûlure en cours de granulation : pas de
la voie de la cicatrisation. cicatrisation. La couleur pâle des granulations
indique que le patient est anémique.
Dans le cas de brûlures de pleine épaisseur, les escarres peuvent être enlevées com-
plètement soit en une seule procédure, soit en plusieurs étapes. Le but du traitement
est de préparer la plaie pour la fermeture et d’empêcher sa colonisation par des bac-
téries et des mycoses.
302
LES BRÛLURES
qui nécessitera une greffe. Les patients souffrant de ces brûlures nécessitent beau-
coup de soins infirmiers et beaucoup de matériel de pansement ; de plus, même sans
chirurgie, ils auront probablement besoin d’une transfusion sanguine.
15.7.2 Chirurgie
Dans le traitement des brûlures, la détermination du moment et de l’étendue de la
chirurgie figurent parmi les décisions les plus difficiles à prendre. Une bonne planifi-
cation de l’intervention est très importante ; il convient aussi, si possible, de prendre
en compte la manière dont le patient assure sa subsistance. Les zones de greffe et
de prélèvement correspondantes devraient être identifiées à l’avance et le processus
décomposé en étapes aisément gérables. Il convient de prévoir le positionnement des
différentes parties du corps pendant l’opération : par exemple, si le bras est concerné,
il doit être opéré avant la main, car celle-ci doit être disponible pour soulever le bras
pendant l’intervention.
Les mains, les pieds et la surface des articulations sont considérés comme des zones
prioritaires afin de rétablir la fonction ; la décision de pratiquer une greffe précoce de
ces parties doit être mise en regard des avantages métaboliques de la fermeture de
zones plus étendues sur les membres et le torse. Au moins deux semaines devraient
s’écouler avant d’envisager de pratiquer une greffe pour des brûlures au visage : en
effet, même les brûlures assez profondes peuvent parfois graduellement cicatriser
d’elles-mêmes. Les paupières sont ici la première priorité.
L’excision tangentielle
L’ablation de l’épaisseur totale du tissu brûlé est réalisée en une seule fois. Une exci-
sion tangentielle précoce suivie immédiatement d’une greffe réduit la mortalité, la
morbidité, les souffrances et la durée du séjour à l’hôpital. De plus, cette procédure
donne de meilleurs résultats fonctionnels et esthétiques. Il faut cependant mobiliser
des ressources considérables pour une telle intervention qui – sauf dans des centres
spécialisés – se révèle impraticable pour des zones brûlées représentant plus de 10 %
de la surface corporelle totale. C’est une chirurgie sanglante.
Dans les circonstances rencontrées sur le terrain, les chirurgiens devraient se montrer
très conservateurs par rapport à cette technique. Elle est néanmoins recommandée
dans la pratique du CICR pour les petites zones de tissus brûlés, spécialement au
visage, aux mains et aux pieds et à la surface des articulations.
La perte de sang peut être réduite à l’aide d’une bande d’Esmarch pour l’exsangui-
nation du membre et d’un garrot, ainsi que par l’infiltration sous-cutanée d’une solu-
tion d’adrénaline diluée (1 : 500 000). Pour des brûlures au visage, la lidocaïne avec de
15
l’adrénaline peuvent être utilisées. L’infiltration sous-cutanée d’un liquide (solution
salée, solution d’adrénaline diluée, ou anesthésique local), provoque une tumescence
locale qui facilite l’excision. Avec une solution d’adrénaline, tandis qu’il excise l’es-
carre nécrosée, le chirurgien devrait chercher un niveau présentant un derme visible
de couleur blanc perle ou de la graisse jaune luisant et aucune thrombose capillaire.
Après l’excision, les principaux points saignants devraient être cautérisés et la plaie
ensuite enveloppée pendant dix minutes dans de la gaze imbibée d’une solution
d’adrénaline. Ce pansement devrait être enlevé et le processus répété jusqu’à ce qu’il
n’y ait plus aucun saignement actif, avant de procéder à la pose de la greffe cutanée.
Quand l’excision tangentielle est réussie, seuls des tissus nécrosés sont excisés. Il peut
être difficile de juger ce qu’il convient d’enlever tout en laissant une couche viable où
une greffe de peau primaire prendra.
303
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Visage
La peau du visage (en particulier, chez les hommes, la zone où pousse la barbe) est
très épaisse et bien garnie de profondes cellules épithéliales qui assureront la réépi-
thélialisation à terme. En cas de doute quant à la profondeur d’une brûlure du visage,
il vaut mieux attendre deux semaines avant de pratiquer une excision tangentielle.
Comme déjà mentionné, le meilleur traitement des brûlures du visage consiste à les
laisser à l’air libre, en appliquant régulièrement des compresses de gaze imbibées de
solution salée tiède, puis en procédant à un nettoyage doux et à l’application d’une
pommade d’antibiotique locale avec un rasage tous les deux jours. Les brûlures
graves au visage exigeront d’être grattées et nettoyées sous anesthésie générale pour
permettre au chirurgien d’évaluer correctement les zones en cours de cicatrisation
et celles qui, à terme, nécessiteront une greffe. De la gaze imbibée d’adrénaline en
solution salée (1 : 33 000) est utilisée, en exerçant une pression pour maîtriser le sai-
gnement. Quand la plaie est propre, une fine couche de pommade antibiotique est
appliquée ; la procédure expliquée plus haut pour le changement des pansements
doit être reprise, en attendant la décision d’exciser et de greffer – ou non.
L’excision d’une brûlure du visage profonde mais peu étendue peut être réalisée sous
anesthésie locale de lidocaïne avec de l’adrénaline ; des surfaces plus importantes
nécessitent une anesthésie générale, mais une infiltration sous-cutanée simultanée
(solution d’adrénaline diluée) facilitera l’excision et la perte de sang sera moindre.
Une préparation correcte est la clé d’une bonne excision. Les zones à exciser sont
soigneusement marquées à l’encre ou au violet de gentiane. La main et l’avant-bras
auront été préalablement exsanguinés par cinq minutes d’élévation et l’application
d’un bandage Esmarch en caoutchouc, en commençant par la main et en progres-
sant de façon proximale. Un garrot pneumatique est ensuite appliqué. (La pose cor-
recte d’un garrot est douloureuse ; l’opération devrait être réalisée sous anesthésie
générale.) Une solution salée, ou une faible solution d’adrénaline, est infiltrée par
voie sous-cutanée sur la face dorsale de la main. Les bords des zones à exciser sont
marqués avec une lame n° 15.
L’excision tangentielle devrait être réalisée à l’aide d’un petit dermatome ou d’un bis-
touri, en veillant, si possible, à préserver le derme viable et en faisant très attention à
ne pas endommager les gaines des tendons. La main est enveloppée dans une gaze
imbibée d’adrénaline et le garrot brièvement relâché. Le garrot est ensuite regonflé
pendant dix minutes (pour permettre une hémostase naturelle), puis retiré. La main
est alors déballée et les vaisseaux qui saignent encore sont cautérisés par diathermie.
Il sera peut-être nécessaire de répéter à plusieurs reprises l’enveloppement de la main
dans de la gaze imbibée d’adrénaline et la cautérisation des vaisseaux pour assurer
une hémostase parfaite avant l’application des greffons. Le choix se portera sur des
greffes de Thiersch relativement épaisse. Les greffons devraient être soigneusement
posés sur les plaies du dos de la main et des doigts, et fixés par suture. Chaque doigt
devrait être recouvert d’un pansement de tulle gras, puis enveloppé séparément
304
LES BRÛLURES
dans de la gaze, en prenant soin de laisser les bouts des doigts exposés pour pouvoir
évaluer la perfusion.
Enfin, la main devrait être munie d’une attelle et fixée dans la « position de sécurité »
(Figure 15.13) avec le poignet fléchi à 30°, l’articulation métacarpo-phalangienne
fléchie aussi près que possible de 90°, les doigts écartés et les articulations inter-
phalangiennes en extension. Le premier pansement devrait être laissé 5 à 7 jours,
M. Beveridge
puis enlevé avec soin. Ensuite, la greffe devrait être pansée chaque jour avec du tulle
gras, et la main de nouveau munie d’une attelle. La physiothérapie et la mobilisation
devraient commencer dès que les greffes sont fermes. Une main ne devrait jamais Figure 15.13
rester immobilisée plus de dix jours. Des broches de Kirschner enfilées le long des La « position de sécurité » pour immobiliser une
doigts peuvent être utiles dans les cas difficiles. Les mêmes principes généraux main à l’aide d’une attelle.
s’appliquent aux pieds et aux surfaces couvrant les articulations.
Une excision tangentielle précoce permet d’obtenir une guérison plus rapide ainsi
que de meilleurs résultats sur les plans fonctionnel et esthétique, quand elle est prati-
cable ; elle ne devrait cependant jamais être envisagée pour des zones étendues, sauf
si la perte de sang qui en résulte peut être convenablement gérée.
Greffes cutanées
Les mains, les pieds et les surfaces des articulations sont des zones prioritaires pour
les greffes de peau, avec ou sans excision tangentielle. Le thorax antérieur et le cou
ont priorité sur le ventre et les fesses. La peau du dos est très épaisse : les brûlures
au dos peuvent donc être observées pendant quelque temps, en attendant de voir si
elles cicatrisent toutes seules.
Afin de faciliter la pose du greffon, le tissu de granulation gélatineux doit être raclé
avec le dos du manche d’un scalpel avant d’appliquer, puis de panser soigneusement,
la greffe. L’avantage d’une greffe différée est qu’en définitive, la zone à greffer est
souvent devenue plus petite.
Pratiquer une greffe sur des brûlures est une longue procédure. Une plage de temps
suffisante doit être allouée aux différentes opérations. Les étapes de l’intervention
sont à planifier soigneusement, et un seul membre ou une seule zone du corps opéré
à la fois. En général, plus le greffon est mince, plus il a de chances de prendre ; par
contre, plus il est épais, plus satisfaisant sera le résultat sur les plans fonctionnel et
esthétique (voir le Chapitre 11 pour des détails sur les greffes de peau). Un membre E. Winiger / CICR
ou un doigt/orteil qui doit être amputé devrait être considéré comme une « source »
de peau de premier choix pour les greffes. Le prélèvement du greffon chez les enfants,
dont la peau peut être extrêmement fine, devrait être réalisé avec les plus grandes
Figure 15.14.1 15
précautions. S’il ne reste aucune couche de derme solide après le prélèvement, le
Greffe cutanée en filet : site receveur.
site donneur ne cicatrisera pas. À l’exception des greffes au visage, aux mains et aux
pieds, les greffons devraient être posés en filet (meshing) pour permettre au sérum de
s’échapper, et éviter ainsi que le greffon ne se détache du lit receveur.
Il est notoirement difficile d’obtenir une prise adéquate quand une greffe est tentée
sur des plaies anciennes ou sur des sites où les greffes précédentes ont échoué. Une
bonne nutrition et une préparation méticuleuse de la surface sont les clés du succès.
Plusieurs mesures – excision précoce de tissus gravement nécrosés et infectés, thé-
rapie antimicrobienne topique et systémique et supplémentation nutritionnelle
agressive – doivent précéder toute tentative de greffe de peau. La meilleure solution
E. Winiger / CICR
consiste souvent à greffer les zones critiques, tout en laissant se granuler certaines
zones plus grandes mais moins fonctionnelles.
Figure 15.14.2
La surface d’une brûlure excisée est souvent recouverte d’une couche superficielle
Greffe de Thiersch après l’intervention.
d’exsudat et de contamination bactérienne. Des pansements imbibés d’une solution
305
LA CHIRURGIE DE GUERRE
salée hyper-saturée (du sel est ajouté au soluté salé normal jusqu’à ce que le sel ne
se dissolve plus) et changés fréquemment pendant un jour ou deux, produiront une
surface de granulation propre, d’un rouge éclatant, prête à recevoir une greffe.
Le pansement occlusif qui est appliqué après une greffe cutanée joue un rôle impor-
tant dans la survie de la greffe. Il doit être mis en place avec le plus grand soin pour
maintenir le greffon étroitement en contact avec le site receveur pendant les pre-
miers jours et permettre aux capillaires de le pénétrer. Tout sang ou sérum qui sépare
le greffon de son lit provoque l’échec de l’intervention.
La vie d’un grand brûlé est en danger tant que les tissus
morts n’ont pas été excisés et que le défaut n’a pas été
comblé par une greffe cutanée saine.
Les brûlures laissent toujours des cicatrices, et il faut considérer toute greffe pratiquée
à la suite d’une brûlure comme une cicatrice. L’une des pires conséquences des brû-
lures est la grave contracture de la cicatrice qui, plus tard, peut rendre épouvantable
la vie de la victime. La prise en charge de la cicatrice commence avant de pratiquer
une greffe, pendant les soins locaux de la brûlure. Une stricte immobilisation est à
prévoir au moyen de gouttières postérieures et des routines d’élongation doivent être
pratiquées pour empêcher la contracture des articulations principales. Le membre est
immobilisé de façon à contrer la force de la contracture. Si une articulation est brûlée
d’un côté comme de l’autre, elle devrait être immobilisée en extension. Une attelle
thoraco-brachiale avec abduction du bras devrait être utilisée pour les brûlures aux
aisselles. Les patients doivent recevoir une analgésie adéquate pour exécuter les exer-
cices quotidiens d’élongation passive.
CICR
L’essentiel, voire la plupart du bénéfice fonctionnel d’une greffe pour brûlure dépend
Figures 15.15.1 et 15.15.2 du soin avec lequel les membres sont immobilisés et les tissus étirés pour contrôler
Contractures de la cicatrice après une brûlure. le processus de contraction de la cicatrice. Celle-ci est particulièrement forte chez
les enfants. Une opération parfaite peut aboutir à la récurrence d’une horrible cica-
trice, si les tissus ne sont pas pris en charge convenablement pendant les 6 à 12 mois
suivants.
Toute greffe impliquant une articulation doit être immobilisée après l’intervention
au moyen d’une gouttière. Plus tard, quand les greffes ont pris, une attelle plâtrée
couverte de bandage tubulaire et correctement moulue au membre constitue un
excellent moyen d’immobilisation réutilisable ; elle peut être portée pendant la nuit
et enlevée pour la thérapie pendant la journée. Un personnel spécialisé et une anal-
gésie adéquate sont essentiels pour mener à bien le processus d’élongation active et
passive des cicatrices. En effet, si ces exercices le font trop souffrir, le patient ne s’y
soumettra tout simplement pas. Une brûlure impliquant une articulation devrait être
immobilisée et étirée même si elle n’a pas été greffée. De telles mesures permettent
de réduire le degré de contraction de la cicatrice à mesure qu’elle se forme.
et souples. S’il est impossible de s’en procurer, des bandages élastiques ainsi que des
vêtements moulants mais extensibles que l’on trouve dans le commerce peuvent être
utiles. Une crème pour la peau à base aqueuse aidera à soulager les démangeaisons,
tout comme les antihistaminiques. Le massage des cicatrices est aussi utile lorsque
des praticiens de médecine traditionnelle sont présents.
306
LES BRÛLURES
D’une part, les brûlures par arc, qui créent des brûlures instantanées, provoquent en
général des lésions assez profondes au visage ainsi qu’à une main et à un avant-bras,
ou aux deux. Le traitement est le même que pour les brûlures thermiques habituelles.
D’autre part, les blessures par conduction électrique à haut voltage (>1 000 volts) qui
présentent de petits orifices d’entrée et de sortie et s’étendent profondément dans
les muscles, causant une myonécrose. La rhabdomyolyse a un effet systémique, avec
une myoglobinémie et une myoglobinurie menant à une nécrose tubulaire aiguë. Ces
lésions ont aussi un effet local : le « syndrome des loges ».
Tout compartiment suspect doit être libéré promptement par une fasciotomie géné-
reuse, y compris le tunnel carpien dans l’avant-bras. Tout tissu musculaire nécrosé doit
être paré de manière conservatrice. De multiples retours en salle d’opération peuvent
être nécessaires (parage itératif ).
15
15.10.1 Brûlures dues à des agents acides ou alcalins
En général, les acides provoquent une nécrose coagulative de la peau, tandis que les
alcalins puissants provoquent une nécrose liquefactive et pénètrent profondément
dans les tissus. Les actes de « violence à l’acide » impliquant le lancement au visage
d’acide sulfurique concentré sont un phénomène toujours plus fréquent ; utilisé dans
les batteries de véhicules à moteur, cet acide est facile à se procurer dans n’importe
quel garage. Toute brûlure causée par un acide doit être lavée avec beaucoup d’eau
et les yeux doivent être abondamment irrigués. Les alcalins puissants peuvent se pré-
senter sous forme sèche (cristaux de soude/NaOH) : avant de laver le patient à l’eau,
toute substance restant sur lui doit être ôtée à l’aide d’une brosse.
307
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les vêtements contaminés doivent être immédiatement retirés en prenant grand soin
de ne pas contaminer le personnel soignant. Les particules visibles, encore fumantes,
peuvent être enlevées à l’aide d’une spatule ou d’un couteau ; elles doivent être
placées dans une bassine remplie d’eau pour ne plus être en contact avec l’air. Les brû-
lures dues au phosphore doivent ensuite être isolées de l’oxygène et rester mouillées :
elles seront soit rincées à grande eau, soit couvertes de pansements humides, soit la
partie brûlée immergée dans une bassine d’eau. Ces plaies ne doivent en aucun cas
sécher.
Les brûlures dues au napalm sont invariablement d’épaisseur totale, avec une coagu-
lation des muscles et autres tissus profonds. La néphrotoxicité est une complication
grave de la rhabdomyolyse, et la mortalité peut être élevée par rapport à la surface
308
LES BRÛLURES
15.10.4 Magnésium
Certains aéronefs lancent des leurres au magnésium pour échapper aux missiles
qui traquent les sources de chaleur. Le magnésium libère une forte chaleur en
s’enflammant ; certains leurres peuvent atteindre le sol et causer des incendies et
des blessures. La chaleur intense provoque une brûlure de pleine épaisseur. La plaie
doit être excisée en profondeur en ôtant tout contaminant restant, en utilisant la
technique du « no touch ». Certains rapports établis par les équipes chirurgicales du
CICR travaillant à Kaboul, Afghanistan, ont fait état d’effets toxiques secondaires dus à
l’absorption de magnésium, similaires à ceux causés par le phosphore ; ces effets n’ont
pas été confirmés.
Les armes chimiques traditionnelles ont des effets soit neurotoxiques soit vésicants
(formation de phlyctènes). Les armes vésicantes causent des brûlures cutanées et des
blessures par inhalation ; les agents employés, gaz moutarde (ypérite) ou phosgène,
causent des brûlures de la peau similaires aux brûlures par flamme.
Les vêtements du patient doivent être enlevés et éliminés. Le patient est ensuite
décontaminé en utilisant beaucoup d’eau et de savon. Il faut veiller à ne pas conta-
miner le personnel hospitalier, l’équipement et les autres patients avec cet agent
chimique. Les protocoles de décontamination corrects incluent l’utilisation, par les
secouristes ou le personnel de l’hôpital, de vêtements et d’équipement de protection
(masque, gants, bottes, etc.).
15
Une fois la décontamination achevée, les plaies sont traitées de manière tradition-
nelle ; néanmoins, la technique du « no touch » devrait être utilisée pendant le parage
des plaies et les tissus excisés sont éliminés avec soin. La fonction respiratoire du
patient doit être étroitement contrôlée. L’inhalation de vapeurs chimiques brûle les
muqueuses respiratoires et entraîne le développement d’un syndrome de détresse
respiratoire aiguë. La ventilation assistée peut être nécessaire.
4 Le chirurgien doit pratiquer l’excision uniquement avec des instruments (pinces, pincettes, ciseaux) sans toucher
les tissus et le contaminant avec la main gantée.
5 Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques
ou similaires et de moyens bactériologiques ; Convention de 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la
fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
309
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Le facteur de stress est 1,3 pour des procédures mineures, 1,35 pour un traumatisme
du squelette, 1,6 pour une infection grave et 2,1 pour les brûlures graves.
Le facteur d’activité est 1,2 pour les patients alités et 1,3 pour les patients mobilisés.
À âge égal et à taille corporelle égale, les femmes ont des besoins inférieurs d’environ
4 % à ceux des hommes.
Exemple
Pour un homme âgé de 25 ans pesant 60 kg et mesurant 170 cm, alité et gravement
brûlé, les besoins en calories =
[66 + (14 x 60) + (5 x 170) – (6,8 x 25)] x 2,1 x 1,2 = 3 997 kcal/jour
La différence entre le besoin calculé en énergie (3 997 kcal) et l’énergie fournie par les
protéines et le glucose devrait être comblée avec des matières grasses.
Les besoins quotidiens en matières grasses = 3 997 kcal – 480 – 1 440 = 2 077 kcal
Chaque gramme de graisse fournit 9 kcal ; donc, 2 077 ÷ 9 = 231 g de matière grasse.
Plus le volume et la concentration de graisse sont élevés, plus le patient est suscep-
tible de développer une diarrhée. Chez l’adulte gravement brûlé, 3 litres d’alimen-
tation par jour est un objectif raisonnable ; donc, un « cocktail » composé de 40 g de
protéines, 120 g de glucose et 80 g de matières grasses par litre devrait être préparé.
Préparer une pâte de lait en poudre additionné d’un peu d’eau ; ajouter le sucre, le sel, les
comprimés écrasés et l’huile. Ajouter lentement de l’eau en continuant à bien mélanger ;
ajouter la purée de banane et mélanger complètement (à l’aide d’un malaxeur, si possible).
Filtrer le mélange à travers une compresse de gaze et réfrigérer. Irriguer régulièrement la
sonde de nutrition avec de l’eau pour l’empêcher de se bloquer. Utiliser dans les 24 heures.
310
15
311
312
Chapitre 16
LES LÉSIONS
LOCALES DUES
AU FROID
16
313
LA CHIRURGIE DE GUERRE
314
LES LÉSIONS LOCALES DUES AU FROID
O. Litvin / CICR
laire de cristaux de glace).
Figure 16.1
16.2 Types de lésions dues au froid Patient présentant un « pied des tranchées »
affectant les deux pieds.
Les lésions dues au froid peuvent survenir à des températures soit supérieures à 0°C
(lésions sans gelure) soit inférieures (gelures).
16.2.2 Gelures
16
Ces lésions peuvent être soit superficielles (lorsque seules la peau et le tissu adipeux
sous-cutané sont atteints, aussi appelées engelures), soit profondes (touchant des
structures telles que les muscles).
Les gelures surviennent dans les extrémités et les parties du corps exposées : nez,
oreilles, etc. Aux premiers stades de la blessure, il n’est pas facile de distinguer les
lésions superficielles des lésions profondes.
315
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Il faut emmener le patient le plus vite possible dans un lieu abrité et lui enlever bottes
et chaussettes, en évitant de provoquer un traumatisme à la peau. Comme dans le cas
des brûlures, tout ce qui peut serrer (bagues, etc.) doit aussi être enlevé.
Un certain degré d’hypothermie centrale coexistant en général avec une lésion locale due
au froid, la température générale du corps doit être relevée, à l’aide de boissons chaudes,
de couvertures ou de contact peau-à-peau. Il faut éviter la décongélation de l’extrémité
gelée tant que la température centrale du corps n’est pas revenue à la normale.
Une fois l’hypothermie corrigée, il convient d’utiliser toute forme de transfert de chaleur
dont on dispose (contact peau-à-peau, pied-dans-l’aisselle, main-sur-le-nez). Un réchauf-
fement rapide dans de l’eau chaude – 40 à 42°C ou juste supportable pour y tremper le
coude – ne devrait être utilisé que si l’on est sûr que la recongélation peut être évitée.
Une analgésie est indispensable, car la décongélation d’une gelure est extrêmement
douloureuse.
Ne jamais :
• frotter ou masser les tissus atteints ;
• appliquer des pommades ou autres médicaments topiques ;
• ouvrir les phlyctènes ;
• réchauffer par exposition au feu ou à une chaleur radiante ni par utilisation
d’une eau trop chaude.
Diverses mesures peuvent être prises pour favoriser le réchauffement central : perfu-
sions intraveineuses chaudes, lavement rectal et lavage à 37°C de la vessie, de l’esto-
mac et du péritoine. Un thermomètre basse température est nécessaire pour pouvoir
bien contrôler la température centrale du corps (voir le Chapitre 18).
Une fois l’hypothermie suffisamment corrigée, l’attention peut se porter sur la lésion
elle-même. Les lésions superficielles peuvent être réchauffées rapidement dans de
l’eau à 40 – 42°C. En cas de lésions profondes et de vasoconstriction, les membres
encore gelés ou froids doivent être réchauffés avec une chaleur sèche à 37 – 39°C.
Même si un seul membre est atteint, les deux doivent être réchauffés jusqu’à ce que
le lit des ongles redevienne rose. Pendant le processus de réchauffement, le patient
devrait recevoir de l’oxygène 100 %, chauffé et humidifié.
Si le patient est comateux, il ne faut pas présumer qu’il est mort jusqu’à ce qu’il soit
chaud (température centrale du corps à 33°C) – mais mort !
De bons soins infirmiers et des exercices de physiothérapie constituent la base même d’un
traitement conservateur. Les extrémités devraient être gardées sur des draps stériles tendus
sous un cadre (arceau). De petits morceaux d’ouate stérile sont placés entre les orteils ou les
doigts. Des compresses chaudes imbibées de povidone iodée appliqués deux fois par jour
aident à prévenir toute infection superficielle. Quand les phlyctènes apparaissent, des pré-
cautions sont prises pour éviter leur rupture : elles ne doivent pas se dessécher. Le membre
atteint devrait être placé de manière à éviter, le plus possible, toute pression sur la partie
affectée. Un bon résultat fonctionnel sera obtenu d’autant plus facilement que le patient
fera régulièrement des exercices actifs et que le membre atteint sera surélevé. 16
Il est difficile de prévoir dès les premières semaines l’ampleur des éventuelles pertes
tissulaires dues à une gelure, mais elles sont généralement moins importantes qu’on
ne le redoutait. Il est donc important d’attendre la nécrose et la momification, avec
une ligne de démarcation claire et une amputation spontanée des doigts ou des
orteils. Comme dans le cas des brûlures, des incisions de décharge des blessures cir-
culaires, parfois même une fasciotomie, peut être nécessaire.
Le traitement chirurgical des lésions dues au froid doit éviter l’excision de tissus, sauf
en cas d’infection secondaire. Le processus naturel peut ainsi se poursuivre. Ne dit-on
pas : « Gelure en janvier, amputation en juillet » ?
317
318
Chapitre 17
L’ANESTHÉSIE
ET L’ANALGÉSIE
EN CHIRURGIE
DE GUERRE 1
17
1 Ce chapitre est basé en grande partie sur le rapport de l’atelier des anesthésistes cadres du CICR tenu à Genève
en novembre 2002 (voir Introduction).
319
LA CHIRURGIE DE GUERRE
320
L’ANESTHÉSIE ET L’ANALGÉSIE EN CHIRURGIE DE GUERRE
17.1 Introduction
Ce chapitre n’est pas rédigé à l’intention des anesthésistes. Il présente ce que les
chirurgiens devraient savoir de l’anesthésie quand ils travaillent dans des circonstan-
ces difficiles. Il existe plusieurs raisons à cela.
1. Les chirurgiens pratiquent une grande ou une petite intervention. Par contre, il
n’y pas de « petite » anesthésie. Chaque anesthésie est potentiellement fatale. En
salle d’opération, les limites ne sont pas liées au niveau d’expertise du chirurgien,
mais bien davantage au niveau de compétence et de sophistication du service
d’anesthésie. C’est l’anesthésiste qui dit au chirurgien ce qui peut être fait, et
non pas le contraire. Le chirurgien doit comprendre et accepter cet état de fait.
Un seul autre facteur limitatif détermine tout autant que l’anesthésie (sinon
plus) le niveau de sophistication de la chirurgie à réaliser : les soins infirmiers
postopératoires.
3. De plus, dans bien des pays, le nombre de chirurgiens est bien plus élevé que
celui des anesthésistes – état de fait qui semble vouloir perdurer. L’anesthésie
dans les pays à bas revenus, est habituellement administrée par un infirmier
ou un technicien intervenant « sous la direction » – et sous la responsabilité
médicale – du chirurgien qui doit donc comprendre les importantes indications
et contre-indications des diverses techniques d’anesthésie. Inutile de dire que le
chirurgien doit connaître les complications éventuelles de l’anesthésie utilisée,
et la manière de les traiter.
17
321
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Les techniques d’anesthésie locale et régionale sont excellentes et peuvent être utili-
sées pour beaucoup de patients. Elles tendent pourtant à être sous-estimées et donc,
sous-utilisées. Or, une amputation trans-tibiale ou une césarienne peuvent être réali-
sées sous anesthésie locale, par exemple. Ces formes d’anesthésie offrent de bonnes
conditions de sécurité en permettant d’éviter les vomissements et l’aspiration, spécia-
C. Gerber / CICR
lement quand l’heure du dernier repas ne peut pas être déterminée avec précision.
La kétamine est l’anesthésique de choix dans la pratique du CICR pour les inter-
ventions lourdes. L’équipement nécessaire pour l’utilisation de la kétamine est
minimal (il n’y a même pas besoin d’un concentrateur d’oxygène) ; de plus, des
relaxants musculaires peuvent être ajoutés pour obtenir une anesthésie générale
complète. Plus il est éloigné de la zone de combats, plus l’hôpital peut recevoir des
équipements et des fournitures sophistiqués et, en conséquence, recourir à des
techniques plus avancées.
M. Baldan / CICR
Tous les agents anesthésiques présentés ci-dessous, ainsi que leurs caractéristiques,
devraient être bien connus des chirurgiens.
Figure 17.1.4
Appareil d’aspiration électrique.
322
L’ANESTHÉSIE ET L’ANALGÉSIE EN CHIRURGIE DE GUERRE
Dans toutes les formes d’anesthésie locale ou locorégionale, ce qui importe sur le
plan clinique, c’est d’attendre que l’anesthésie fasse tout son effet. L’erreur la plus fré-
quente consiste à administrer une anesthésie par infiltration locale et à inciser immé-
diatement après.
Médicament de Volume
Technique Emploi Remarques
choix recommandé
Si non disponible,
oxybuprocaïne 2 % ou 4 % gouttes
Ophtalmologie
0,4 % de lidocaïne
(xylocaïne)
Anesthésie de
surface lidocaïne 2 % (gel)
ou
Muqueuses
lidocaïne 5 %
(nébuliseur)
Si un volume
supérieur à 40 ml
lidocaïne 1 % avec est exigé, diluer
En général 40 ml
adrénaline avec un volume
Anesthésie par égal de soluté salé
infiltration locale isotonique
Risque de gangrène
Doigts, orteils, lidocaïne 1 % sans ischémique en
20 ml
oreilles ou pénis adrénaline cas d’utilisation
d’adrénaline
Anesthésie loco-
lidocaïne 0,5 % sans
régionale par voie Membre 40 ml
adrénaline
intraveineuse
Les doses indiquées dans le tableau ci-dessus sont destinées à des adultes. De façon
générale, la dose maximale de lidocaïne sans adrénaline est de 3 mg/kg (200 mg pour
un adulte) ; avec adrénaline, elle double : 6 mg/kg.
323
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Une anesthésie générale sûre et adéquate induit principalement les états suivants :
• inconscience (hypnose),
• analgésie,
• amnésie,
• immobilité/myorelaxation.
La kétamine augmente le débit cardiaque et la tension artérielle : elle est donc parti-
culièrement utile chez des patients présentant un choc hémorragique. La kétamine
Figure 17.2
dilate les bronches mais augmente les sécrétions bronchiques et salivaires. L’atro-
Médicaments pour une anesthésie générale
à la kétamine. pine devrait être administrée en premier pour maîtriser la salive et les sécrétions
bronchiques. Il existe d’importantes contre-indications à l’utilisation de l’atropine :
tachycardie marquée, hypertension, sténose valvulaire, hyperthyroïdie, ou fièvre. La
kétamine augmente aussi le tonus musculaire : si elle est utilisée sans myorelaxants,
elle rend plus difficile toute laparotomie (fermeture de l’abdomen, en particulier).
Le diazépam doit être donné dans une Injecter une solution diluée de diazépam très
seringue séparée lentement sur une période de 3 minutes, jusqu’à
ce que le patient soit somnolent
17
17.4.3 Anesthésie par perfusion de kétamine
Il s’agit là de la technique préférée dans la pratique du CICR. Elle n’est pas seulement
plus économique en kétamine, mais elle permet de plus longues opérations sans
réinjections. Elle peut être utilisée soit après l’induction de l’anesthésie par bolus
intraveineux soit comme méthode d’induction en elle-même.
M. Kruck/CICR
Une solution est préparée avec de la kétamine dans du sérum salé et placée dans une
veine autre que celle utilisée pour le remplissage vasculaire. Le taux de perfusion est
titré en fonction de la réponse du patient, tant pour l’induction que pour la poursuite
Figure 17.3
de l’anesthésie. Perfusion de kétamine.
325
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Une anesthésie par perfusion de kétamine peut être combinée avec des relaxants
musculaires et une intubation endotrachéale. Il s’agit là de la procédure standard du
CICR quand une myorelaxation est nécessaire (chirurgie abdominale ou thoracique).
Comme mentionné plus haut, l’absence de ventilateurs mécaniques signifie que le
patient paralysé doit être ventilé manuellement.
EXPÉRIENCE DU CICR
326
L’ANESTHÉSIE ET L’ANALGÉSIE EN CHIRURGIE DE GUERRE
3. Les infiltrations locales ou les blocs anesthésiques sont utilisés, chaque fois que
cela est approprié, conjointement avec d’autres formes d’analgésie.
4. Les analgésiques injectables agissent plus rapidement et sont plus efficaces s’ils
sont administrés sous forme de bolus intraveineux, titré jusqu’à l’obtention de
l’effet désiré. Cela est spécialement vrai en cas d’hypovolémie et d’état de choc,
lorsque la circulation sanguine périphérique est réduite et que, par conséquent,
les voies intramusculaire ou sous-cutanée ne sont pas fiables.
Échelle verbale
L’intensité de la douleur est indiquée par certains mots :
• aucune douleur
• douleur faible
• douleur modérée
• douleur intense
• douleur extrême
Échelle numérique
Des valeurs allant de 0 à 10 sont attribués par le patient pour noter la douleur qu’il
ressent : 0 signifie « aucune douleur » et 10 « la pire douleur imaginable ».
327
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Niveau 1
Paracétamol (comprimés/sirop), aspirine (comprimés/injections), anti-inflammatoires
non stéroïdiens : diclofénac (injections) et ibuprofène (comprimés).
Niveau 2
Tramadol (injections/comprimés)
Niveau 3
Morphine (injections), péthidine (injections), pentazocine (injections/comprimés).
Opioïdes
1. Quand des opioïdes de niveau 3 sont utilisés dans un hôpital, la naloxone doit
aussi être immédiatement disponible.
4. Ne pas associer les opioïdes (tramadol et morphine, par exemple) avant qu’un
laps de temps approprié se soit écoulé.
Dépression respiratoire
1. Diagnostic :
La dépression respiratoire se diagnostique par :
– un score de 3 sur l’échelle de sédation – c’est le signe le plus précoce et le plus fiable ;
– une fréquence respiratoire égale ou inférieure à 8/min – cela intervient après la
sédation ;
– diminution de pO2, mesurée par un oxymètre de pouls – il s’agit d’un signe
tardif, spécialement si le patient reçoit aussi de l’oxygène.
2. Traitement :
– oxygène ;
– assistance respiratoire avec ballon et masque, si nécessaire ;
– naloxone IV, doses à répétitions de 50 mcg/kg jusqu’à l’amélioration des signes
cliniques.
Ne pas oublier que la durée d’action de la naloxone est plus courte que celle de la
morphine ; il est donc parfois nécessaire d’en répéter l’administration ; alternative-
ment, utiliser une perfusion continue (1 à 5 mcg/kg/h).
Un patient ne doit jamais être transféré en salle des patients dans l’unité s’il est à un
niveau de sédation de 3 ou plus, si sa fréquence respiratoire est égale ou inférieure à
8/min, ou si une dépression respiratoire s’est déclarée auparavant.
Kétamine
Une faible dose de kétamine est une bonne alternative en matière d’analgésie si les
opioïdes ne sont pas à disposition, ainsi que pour les patients à haut risque. Adminis-
trer par voie intraveineuse des doses répétées de 0,1 à 0,3 mg/kg, titrées jusqu’à ce
que l’analgésie désirée soit obtenue, ou, alternativement, un bolus intramusculaire de
2 à 3 mg/kg. Généralement, la kétamine n’exige pas, à faible dosage, d’atropine ou de
diazépam en tant que thérapie adjuvante.
Soins préhospitaliers
Pour les premiers secours et soins préhospitaliers, le CICR ne distribue (souvent par le
canal des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) que :
• paracétamol en comprimés/sirop ;
• tramadol par injection – ne provoque pas de dépression respiratoire.
Dans un hôpital où les soins infirmiers sont adéquats, les produits suivants sont aussi
à disposition :
• morphine par injection
– adulte : 1 à 3 mg par voie intraveineuse titrée
– enfant : 0,05 mg/kg par voie intraveineuse titrée
• kétamine à faibles doses (voir ci-dessus). 17
Salle d’opération
Tous les médicaments analgésiques sont à disposition, et leur utilisation intra-
opératoire est vivement encouragée. Le choix du médicament dépend en grande
partie de la qualité du monitoring postopératoire.
1. Opioïdes
Tenir compte du niveau de monitoring postopératoire nécessaire.
3. Kétamine
Des bolus de 0,1 à 0,3 mg/kg peuvent être utilisés pour l’analgésie si des opioïdes
ne sont pas à disposition.
2. Ne pas attendre que la douleur soit ressentie, mais commencer aussitôt que
le patient a repris conscience ; cela signifie également que l’analgésie devrait
débuter avant que la rachianesthésie ait cessé de faire effet.
3. Commencer avec un traitement combiné et diminuer les doses les jours suivants.
DOULEUR LÉGÈRE
Paracétamol
+
Infiltration locale ou bloc
DOULEUR MODÉRÉE
Paracétamol
+
Anti-inflammatoire non stéroïdien
+
Infiltration locale ou bloc
DOULEUR SÉVÈRE
Paracétamol
+
Anti-inflammatoire non stéroïdien
+
Opioïde
+
Infiltration locale ou bloc
330
L’ANESTHÉSIE ET L’ANALGÉSIE EN CHIRURGIE DE GUERRE
CHEZ L’ENFANT
TRÈS JEUNES ENFANTS (0 à 12 mois)
Dose d’attaque : 15 mg/kg
Dose d’entretien : 10 à
Per os/suppositoires
15 mg/kg QID
si disponibles
Dose maximum : 60 mg/
kg/jour
PARACETAMOL
ENFANTS
Dose d’attaque : 20 à
30 mg/kg
Per os/suppositoire si Dose d’entretien : 20 mg/
disponibles kg QID
Dose maximum : 90 mg/
kg/jour
20 mg/kg/jour répartis en
Ne pas administrer aux enfants de moins
3 à 4 doses
de 6 mois (reins immatures)
Dose unique maximum :
IBUPROFÈNE Per os Prudence en cas d’asthme et
200 mg
d’insuffisance rénale
Dose quotidienne
Maximum 72 heures
maximum : 800 mg
1 mg/kg TID Ne pas administrer aux enfants de moins
Dose unique maximum : de 6 mois (reins immatures)
DICLOFENAC IM 50 mg Prudence en cas d’asthme et
Dose quotidienne d’insuffisance rénale
maximum : 150 mg Maximum 72 heures
Non recommandé, mais fréquemment administré dans certains pays européens à des enfants
TRAMADOL
de moins d’un an
1 mg/kg toutes les
IM
4 heures 17
PETHIDINE
Doses de 0,25 à 0,5 mg/
IV Titrer jusqu’à obtention de l’effet souhaité
kg
0,05 à 0,1 mg/kg toutes les
Voie sous-cutanée/IM
MORPHINE 4 heures
IV Doses de 0,05 mg/kg Titrer jusqu’à obtention de l’effet souhaité
Répéter jusqu’à amélioration des signes
NALOXONE IV 4 mcg/kg
cliniques
BID : bis in die (deux fois par jour)
QID : quater in die (quatre fois par jour)
TID : ter in die (trois fois par jour)
331
332
Chapitre 18
CHIRURGIE
DE SAUVETAGE 1
ET HYPOTHERMIE,
ACIDOSE,
ET COAGULOPATHIE
18
1 L’expression anglaise « damage control surgery » est admise dans la communauté médicale francophone et
rejoint, ainsi, d’autres expressions qui sont d’utilisation quotidienne telle que crush injury ou bien scanner.
« Damage control » indiquait initialement, dans le jargon de la Marine américaine, la capacité d’un navire
fortement endommagé de poursuivre sa mission, de limiter les dégâts. En chirurgie, l’expression est utilisée
pour signifier « la capacité physiologique de maintenir les fonctions vitales ». L’expression française « chirurgie de
sauvetage » va dans le même sens et, dans cet ouvrage, les deux termes sont employés sans distinction.
333
LA CHIRURGIE DE GUERRE
334
CHIRURGIE DE SAUVETAGE ET HYPOTHERMIE, ACIDOSE, ET COAGULOPATHIE
EXPÉRIENCE DU CICR
Les collègues afghans travaillant avec les équipes chirurgicales du CICR à l’Hôpital
universitaire de Jalalabad, en 1993, ont mis au point un protocole simple pour le
traitement des patients grièvement blessés par des mines antipersonnel. Beaucoup
de patients avaient subi l’amputation traumatique d’une jambe et de graves
blessures à l’autre : ils succombaient, vidés de leur sang, avant que le parage de la
seconde jambe ne soit achevé.
Nos collègues afghans ont donc décidé de scinder la procédure chirurgicale en deux
temps : la première intervention était destinée à la régularisation de l’amputation
traumatique, l’autre jambe étant simplement lavée et pansée : l’opération se
terminait là. Du sang total frais était demandé à des membres de la famille ; le patient
était complètement réanimé et recevait de la pénicilline. Quarante-huit heures plus
tard, une autre opération était réalisée pour parer la seconde jambe. Cette chirurgie
de sauvetage « à l’afghane » a été mise au point localement en raison de la pénurie de
sang destiné aux transfusions.
Peu de temps après la tenue d’un séminaire sur la chirurgie de guerre à Kinshasa,
deux jeunes médecins généralistes congolais, appartenant aux services de santé de
l’armée et n’ayant qu’une expertise limitée en chirurgie, ont raconté au chirurgien du
CICR l’une de leurs expériences, avant de lui poser une question toute simple. Alors
qu’ils travaillaient dans un hôpital de campagne, ils ont reçu un camarade blessé par
balle à l’abdomen. Son évacuation sur un autre hôpital était impossible. Ils l’ont opéré
et trouvé une grave blessure du foie ; ils n’avaient pas de sang pour les transfusions.
« Nous n’arrivions pas à arrêter le saignement ; ne sachant que faire, nous avons posé
un gros pansement sur le foie et arrêté l’opération », ont-ils raconté. Ils ont ensuite
persuadé quelques autres soldats de donner plusieurs unités de sang. Réopéré plus
de 48 heures après, le patient a survécu. « Avons-nous bien fait ? » ont-ils demandé.
Le chirurgien du CICR leur a répondu qu’ils avaient découvert tout seuls ce qui
constituait maintenant la pratique standard dans beaucoup de régions du monde en
cas d’hémorragie massive.
C’est ainsi qu’un protocole en trois étapes a été défini pour la chirurgie de sauvetage
afin d’éliminer le risque de voir le patient basculer dans la « triade létale » – hypo- 18
thermie, acidose et coagulopathie – qui guette les victimes d’un traumatisme majeur.
Première étape :
Opération, aussi brève que possible, pour maîtriser l’hémorragie et la contamination :
faire le minimum pour résoudre les problèmes qui engagent le pronostic vital du
patient.
Deuxième étape :
Réanimation, pour stabiliser le patient en jugulant les effets du choc, de l’hypo-
thermie, de l’acidose et de la coagulopathie.
335
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Troisième étape :
Réintervention pour la réparation définitive programmée.
Le damage control est manifestement réservé aux personnes très grièvement blessées,
c’est-à-dire une petite minorité des patients. Il s’agit d’une forme très individualisée de
prise en charge, demandant beaucoup de ressources et qui n’est pas forcément com-
patible avec une situation de triage de nombreux blessés. Un patient qui remplirait les
critères du damage control dans un contexte civil ou militaire lorsque les blessés sont
peu nombreux se retrouvera souvent dans la catégorie IV « traitement de support », à
l’issue du triage dans un scénario de guerre avec un afflux massif de blessés.
Dans bien des régions du monde, ni les unités de soins intensifs, ni les composants
sanguins ne sont disponibles ; une approche de damage control dans toute son
ampleur n’est pas compatible avec des ressources limitées. Néanmoins, les principes
de base s’appliquent : des mesures simples peuvent, et doivent, être adaptées pour
tenter d’éviter la triade létale ou corriger les effets de ce syndrome.
Dans les deux exemples cités ci-dessus, l’intervalle entre les opérations a été utilisé
pour obtenir du sang total frais auprès de la famille et des amis, ainsi que pour
stabiliser l’état du patient : cela a aidé à combattre l’hypothermie, l’acidose et la
coagulopathie, sans le savoir. L’attention ne portait que sur l’hémodynamique et le
confort du patient (tenu au chaud) ; pourtant, cela a suffi pour vaincre la triade. Ce qui
avait commencé comme une « chirurgie de réanimation » est devenu subrepticement
de la « chirurgie de sauvetage ».
R. Gray / CICR
CICR
CICR
L’hypothermie – dont les effets chez un patient traumatisé ont longtemps été sous-
estimés – est à redouter même en climat tropical. Si l’acidose métabolique due à l’état
de choc – le métabolisme anaérobique résultant d’une perfusion tissulaire réduite et
d’une hypoxie – et la coagulopathie sont des phénomènes bien connus, la triade que
forment ces troubles en se conjuguant est bien plus courante qu’on ne le réalise et
ses effets sont souvent mortels. Hypothermie, acidose et coagulopathie se combinent
et se renforcent mutuellement, entraînant le patient dans un cercle vicieux « auto-
nome ». Le choc hémorragique peut ne pas être surmonté avant que l’hypothermie
soit corrigée. Or, l’hypothermie peut provoquer la survenue des deux autres éléments
de la triade, et c’est elle qui joue probablement le rôle le plus important dans l’appari-
tion du cercle vicieux.
336
CHIRURGIE DE SAUVETAGE ET HYPOTHERMIE, ACIDOSE, ET COAGULOPATHIE
Un diagnostic précoce est essentiel, mais bien souvent les simples mesures préventives
qui devraient faire partie des premiers secours et être poursuivies pendant l’évacua-
tion puis à l’hôpital, ne sont pas prises. Même si le contexte ne permet pas de prati-
quer un damage control par étapes, il est possible d’intervenir efficacement – avec des
moyens adéquats et appropriés – pour prévenir la triade ou en combattre les effets.
18.2.1 Hypothermie
Physiologie
La température corporelle est maintenue dans un équilibre homéostatique entre la
production et la perte de chaleur. Il existe beaucoup de causes et de facteurs non
traumatiques qui peuvent conduire à l’hypothermie ; les lésions dues au froid ont été
examinées dans le Chapitre 16. Chez un patient ayant subi un traumatisme, le choc
hémorragique diminue la perfusion tissulaire et le métabolisme et, donc, la produc-
tion de chaleur. Ce phénomène est souvent aggravé par l’exposition du blessé aux
éléments, en particulier dans un contexte de conflit armé.
Pathologie
Il est très rare que des patients souffrant d’un traumatisme et d’une hypothermie non
contrôlée inférieure à 32°C survivent. Si cette constatation n’a rien de nouveau, le
niveau critique a cependant été réévalué.
E. Delorme, 18882
2 Delorme E. Traité de Chirurgie de Guerre. Paris : Félix Alcan ; 1888. Disponible à : Internet Archive,
http://www.archive.org/stream/traitdechirurgi00delogoog/traitdechirurgi00delogoog_djvu. txt.
337
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Tableau 18.1 Systèmes de classification de l’hypothermie3.
Les effets cliniques de l’hypothermie sont multiples, et ils se confondent avec une sti-
mulation intense du système sympathique :
• frissons – le patient tente de produire de la chaleur corporelle par ces contractions
musculaires, mais cela conduit à une consommation accrue d’oxygène et à une
hypoxie tissulaire ;
• hypoventilation – conduit à une hypoxémie postopératoire, avec aggravation de
l’hypoxie tissulaire ;
• vasoconstriction périphérique – qui envoie le sang de préférence vers les organes
centraux, ce qui augmente l’hypoxie tissulaire ;
• diminution de la libération d’oxygène dans les tissus (courbe de dissociation de O2
déplacée vers la gauche) ;
• métabolisme ralenti.
À noter :
On note en outre une chute rapide du bilan plaquettaire, ainsi qu’une viscosité du
sang accrue à la suite du choc. Le résultat final est une coagulopathie intravasculaire
disséminée, avec une tendance marquée au saignement.
Tableau clinique
Parmi les signes précoces figurent les frissons et les tremblements ; d’abord, le patient
se plaint du froid, puis il devient confus. On note une cyanose, et les aisselles et l’aine
(qui sont normalement des points chauds) sont froides au toucher en raison d’une
intense vasoconstriction. Tachycardie et tachypnée (avec hypoventilation) surviennent.
Tous ces phénomènes sont des signes de stimulation du système sympathique. Poser
le diagnostic de l’hypothermie est un vrai défi car la plupart des signes précoces relè-
vent de la réponse physiologique normale au stress du traumatisme et de l’hémorragie.
Le chirurgien doit être particulièrement attentif à la présence de frissons et de tremble-
ments. Il est aussi difficile de juger sur le plan clinique à quel moment le patient passe
du stade I au stade II sans un étroit monitoring de la température rectale du patient.
3 Adapté de Kirkpatrick AW, Chun R, Brown R, Simons RK. Hypothermia and the trauma patient. Can J Surg 1999 ;
42 : 333 – 343.
338
CHIRURGIE DE SAUVETAGE ET HYPOTHERMIE, ACIDOSE, ET COAGULOPATHIE
Avec une hypothermie encore plus importante, le patient perd conscience ; brady-
cardie et bradypnée sont prononcées ; le débit urinaire tarit ; une fibrillation ventri-
culaire, résistant à la défibrillation, survient. Parfois, le patient paraît mort : ni pouls
palpable, ni battement de cœur, pupilles dilatées. Les mesures de réchauffement
devraient être poursuivies jusqu’à une température centrale du corps d’au moins
33°C avant de prononcer le décès.
À noter :
Prise en charge
Le traitement commence par des mesures actives de prévention pendant les pre-
miers secours et l’évacuation : le blessé doit être maintenu au chaud ! Il doit être mis à
l’abri du froid et du vent, débarrassé de ses vêtements humides et couvert d’un drap
ou d’une couverture secs, même en climat tropical !
339
LA CHIRURGIE DE GUERRE
S’il est sous anesthésie avec myorelaxation, un patient cesse de frissonner : il est alors
particulièrement en danger. Étant donné que 20 à 30 % de la chaleur corporelle se
perd par la tête et le cou, il faut garder en priorité ces parties du corps au chaud (par
exemple, en couvrant la tête d’une serviette et d’un sac en plastique pendant l’in-
tervention). Le reste du corps, sauf le site opératoire, peut aussi être enveloppé dans
des serviettes sèches, entourées de sacs en plastique pour préserver la chaleur. Une
solution physiologique chaude devrait être utilisée pour le lavage pleural ou périto-
néal. Le temps d’intervention devrait être aussi bref que possible ; un abdomen ou un
thorax ouvert entraîne inévitablement la perte de la chaleur corporelle qui, à ce stade,
est tout aussi critique que la perte de sang.
Ces mesures simples permettent non seulement de prévenir l’hypothermie ; leur mise
en œuvre précoce aide aussi à traiter cet état.
Si une approche axée sur la chirurgie de sauvetage est utilisée, ou même si un blessé
présente des signes d’hypothermie postopératoire, la réanimation devrait inclure des
mesures actives de réchauffement central du patient :
• lavage de l’estomac, du colon et de la vessie à l’eau chaude (37 – 39°C) ; et
• perfusion continue de solutés à la même température.
Tableau 18.2 : Résumé de la prise en charge de l’hypothermie chez un patient ayant subi un traumatisme.
340
CHIRURGIE DE SAUVETAGE ET HYPOTHERMIE, ACIDOSE, ET COAGULOPATHIE
18.2.2 Acidose
Comme dit, l’état de choc conduit à l’hypoperfusion tissulaire et à l’hypoxie, suivies
d’une augmentation du métabolisme anaérobique. Cette acidose est renforcée par
les effets de l’hypothermie. La réanimation complète et la stabilité hémodynamique
d’un patient tenu bien au chaud – ce qui assure une bonne perfusion tissulaire –
constituent le meilleur antidote. L’injection par voie intraveineuse de bicarbonate de
sodium est risquée et exige un monitoring sophistiqué du patient.
4 Kashuk J, Moore EE, Milikan JS, Moore JB. Major abdominal vascular trauma – a unified approach. J Trauma
1982 ; 22 : 672 – 679.
341
LA CHIRURGIE DE GUERRE
Du sang total chaud, aussi frais que possible, constitue probablement le meilleur trai-
tement ; de plus, comme cela a été mentionné maintes fois dans le présent manuel,
dans des conditions de ressources limitées, c’est souvent tout ce dont on dispose.
Avec de nombreux donneurs potentiels (famille et amis), il peut être possible de
constituer une petite réserve.
Le sang total est testé et, de préférence, transfusé dans l’heure suivant la collecte.
Dans la pratique du CICR, ce sang le plus frais est réservé en cas :
• d’hémorragie massive, avec début de coagulopathie et d’hypothermie ;
• de choc septique ;
• de morsure de serpent avec hémolyse ;
• d’embolie de liquide amniotique.
Du calcium devrait être administré par voie intraveineuse, séparément, à raison d’au
moins une ampoule par deux unités de sang transfusé.
342
CHIRURGIE DE SAUVETAGE ET HYPOTHERMIE, ACIDOSE, ET COAGULOPATHIE
18
343
344
ACRONYMES
ACRONYMES
ABCDE (Airway, Breathing, Circulation, Disability, Environment/Exposure)
=> Voies aériennes, Ventilation et échanges gazeux (respiration),
Circulation, Déficit neurologique (central ou périphérique),
Environnement et exposition.
CG Convention(s) de Genève
ECG électrocardiogramme
EEG électroencéphalogramme
EK énergie cinétique
IC infirmier/ière-chef
IM intramusculaire
IV intraveineux
mEq milliéquivalents
345
LA CHIRURGIE DE GUERRE
RT responsable-trieur
UI unité internationale
346
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Les publications mentionnées sous la rubrique références générales ont servi tout au
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une situation de triage est disponible dans : Hayward-Karlsson J, Jeffrey S, Kerr A,
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À noter :
Tout manuel standard écrit par et pour les forces armées traite de l’organisation et de
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MISSION
Organisation impartiale, neutre et indépendante, le Comité international de la Croix-
Rouge (CICR) a la mission exclusivement humanitaire de protéger la vie et la dignité des
victimes de conflits armés et d’autres situations de violence, et de leur porter assistance.
Le CICR s’efforce également de prévenir la souffrance par la promotion et le renforcement
du droit et des principes humanitaires universels. Créé en 1863, le CICR est à l’origine des
Conventions de Genève et du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge, dont il dirige et coordonne les activités internationales dans les conflits armés et les
autres situations de violence.
366
Comité international de la Croix-Rouge
19, avenue de la Paix
1202 Genève, Suisse
T + 41 22 734 60 01 F + 41 22 733 20 57
E-mail : shop@icrc.org cicr.org
© CICR, juin 2010. Original : anglais