Analyse Systemique Et Strategique Des Li

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Master 2 Droit Anglais et Nord-Américain des affaires

Dirigé par Pr Sophie Robin-Olivier


2016

« Analyse systémique et stratégique des limites


du programme de clémence américain et
européen »

Gabriel Mezhrahid

1
Sous la direction de Christophe Lemaire

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ET EXPRESSION ANGLAISE

Art Articles
ANC Autorité nationale de concurrence
Commission Commission Européenne
Cass Com Cour de Cassation, chambre commerciale
DoJ Département of justice
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
Private enforcement Actions privées
Public enforcement Actions publiques
Plea bargaining Procédure négociée
TFUE Traité de fonctionnement de l’Union Européenne
REC Réseau Européen de la Concurrence
Leniency program Programme de clémence

2
Remerciements

Ce mémoire est le résultat d’un travail d’un an de recherche et n’aurait pu aboutir sans
la précieuse aide de plusieurs personnes :

Je tiens en premier lieu à exprimer toute ma reconnaissance à mon Directeur de


mémoire Monsieur le Professeur Lemaire pour ses précieux conseils et à Madame le
Professeur Robin Olivier pour avoir accepté d’être le second membre de mon jury.

J’adresse mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et personnes


qui m’ont apporté une précieuse aide au cours de ce travail de recherche.

Merci à mes parents, David et Etienne pour leur soutien et leur relecture.

Merci à Rebecca d’être toujours là pour moi.

3
SOMMAIRE

INTRODUCTION

I. La clémence en droit et l’étude de ses limites……………………………..p 7


II. L’avènement du modèle de clémence américain…………………………p 12
III. Distinctions conceptuelles entre l’approche américaine et européenne de la
clémence………………………………………………………………….p 19
IV. La rationalisation économique des programmes de clémence…………..p 27

TITRE I. ANALYSE SYSTÈMIQUE DES FAILLES DU MODÈLE DE


CLÉMENCE EUROPÉEN ET AMERICAIN..................................................p 30

CHAPITRE 1. L’enchevêtrement des procédures et évaluation du risque latent à


la délation………………………………………………………………………….p 31

Section 1. L’incidence d’une action pénale sur le délateur potentiel  : la prise en


compte du « risque prison »……………………………………………………p.32

A. Le risque pénal collatéral………………………………………………... p 33


B. Une nécessité de coordination……………………………………………p.36

Section 2. La clémence et les deux visages de Janus : La conjugaison du public et


du private enforcement………………………………………………………....p.38

A. Le modèle américain et l’abus de l’action privée…………………………p39


B. L’action privée en Europe…………………………………………………p41

Section 3. Problématiques de confidentialité et risques liés à la procédure de


discovery…………………………………………………………………………p43

A. Le discovery américain, un frein à la clémence…………………………...p44


B. L’approche européenne du traitement des documents de clémence…….....p47

Section 4. L’ombre de la procédure de transaction sur les mécanismes de


clémence………………………………………………………………………...p 51

A. Etats des lieux en matière de transaction………………………………….p 52


B. Conjugaison du mécanisme de transaction et de l’outil de clémence…….p 54

CHAPITRE 2. L’efficacité du programme de clémence face à la globalisation du


marché……………………………………………………………………………….p56

4
Section 1. Le défaut d’articulation des procédures de clémence dans les rapports
intra-européens……………………………………………………………….....p.57

A. Un modèle « pour les gouverner tous »…………………………………………..p 57


B. Des divergences persistantes……………………………………………………..p 59 

Section 2. L’absence d’articulation des procédures de clémence dans les rapports


internationaux extra-européens…………………………………………………p 62

A. Coopération des nations et sanctions en « cascade »………………………………p 63


B. La nécessité d’une demande de clémence simultanée……………………………..p 64

Section 3. L’extraterritorialité des poursuites anti-concurrentielles en matière


d’entente……………………………………………………………………….p 67

A. De la territorialité théorique à l’extraterritorialité pratique………………………p 67


B. La faille systémique des cartels d’exportations………………………………….p 69

TITRE II. Approche stratégique de l’outil de clémence par les


membres du cartel……………………………………………...p 72

CHAPITRE 1 De l’art de l’instrumentalisation du programme de clémence : l’épée


et le bouclier du délateur…………………………………………………………….p 72

Section 1. Utilisation offensive de la procédure de clémence par les entreprises. p73

A. Instrumentalisation offensive du programme de clémence sur des bases


concurrentielles………………………………………………………………………p 75
B. Instrumentalisation offensive du programme de clémence sur des bases anti-
concurrentielles……………………………………………………………………….p 77

Section 2 : Approche défensive de la procédure de clémence par les


entreprises.............................................................................................................p79

A. Les facteurs classiques d’instrumentalisation défensive du programme de


clémence……………………………………………………………………………..p 79
B. L’instrumentalisation par le mensonge……………………………………………p 81

Section 3 : Instrumentalisation cyclique : une récidive encouragée ?.................p 85

A. Itinéraire d’un récidiviste en série : étude empirique……………………………..p 85


B. Solutions…………………………………………………………………………..p 87

5
CHAPITRE 2 : l’essoufflement du mécanisme de clémence face aux données
empiriques……………………………………………………………………………p 90

Section 1 : Questionnements quant à l’efficacité du mécanisme dissuasifs sur les


cartels « stables »………………………………………………………………. p 91

A. Facteurs de stabilité du cartel……………………………………………………..p. 91


B. L’influence des outils d’investigation des autorités de concurrence sur les cartels
« stable »……………………………………………………………………………..p. 93

Section 2 : la sanction optimale comme corollaire nécessaire à l’efficacité de la


politique de clémence…………………………………………………………..p. 95

Section 3 : Parade structurelle des cartellistes et circulation binaire de


l’information…………………………………………………………………...p 100

CONCLUSION GÉNÉRALE………………………………………………...p. 103

BILBLIOGRAPHIE…………………………………………………………..p 105

«  Au pardon qui sourit la sagesse commence, il n’est pas d’équité sans un peu de
clémence »
-George Courteline

6
INTRODUCTION
-I-
La clémence en droit et l’étude de ses limites

La clémence au sein du prisme juridique. Non dénuée d’une certaine


connotation religieuse, la notion de clémence semble à première vue s’écarter du
champ lexical juridique. Celle-ci semble renvoyer à une forme d’indulgence, tant
celui qui la réclame ne possède aucun droit dont il ne puisse se prévaloir et celui qui
l’accorde n’est en rien tenu de la dispenser1. Si l’on admet le postulat selon lequel le
droit est juste,2 l’arbitraire d’une décision de clémence dénuée de justifications
d’ordre public se voit exclut du prisme juridique. La stricte justice, doit à l’opposé,
conduire à la punition d’un fait dommageable à autrui, voire dans certain cas, au
durcissement de la loi en cause3. Or, la clémence est l’acte par lequel une sanction
dûment méritée est réduite ou supprimée par une autorité en charge de la prononcer.
Cette indulgence injustifiable moralement, s’écarte du concept de justice. C’est en
cela que la notion tient d’une prérogative souveraine, longtemps considérée Divine,
dont la Bible ne cesse de faire référence4. Elle est un attribut Divin accordé à
l’Homme, dont l’application se doit d’être en principe désintéressée et se suffire à elle
même. Ainsi, comme l’exprimait Shakespeare, « La clémence est au dessus de
l’autorité du sceptre, elle trône dans le cœur des rois, elle est l’attribut de Dieu
même  ; et le pouvoir terrestre qui ressemble le plus à Dieu est celui qui tempère la

1
Jean Christophe Roda « La clémence en droit de la concurrence : étude comparative des
droits américain et européens », Thèse soutenue en 2006, sous la direction de Catherine
Prieto, p 23
2
J.Ghestin et M.Fabre-Magnan, Traité de Droit Civil, Introduction générale, LGDJ, 1994,
n°32, p 27
3
A.Sériaux, Le Droit : une introduction, Ellipses, 1997, n°204 p.199
4
Voir Premier testament: “Car l'oppression cessera, la dévastation finira, Celui qui foule le
pays disparaîtra. 5Et le trône s'affermira par la clémence; Et l'on y verra siéger fidèlement,
dans la maison de David, Un juge ami du droit et zélé pour justice. » Esaïe 16 : 5 ; Voir
Coran : “Allah possède cent formes de clémence et en a distribué une entre Djinn, humains,
bêtes et bestioles. C’est grâce à leur part que les uns font preuve de clémence et de
compassion à l’égard des autres ». (Mouslim 6908)

7
justice par la clémence »5. Cette vision régalienne de la clémence dénote une
première facette du concept que certains auteurs ont qualifié de « clémence fin en
soi  6». Elle ne fonctionne pas de manière intéressée et n’est ni un prétexte ni une
stratégie. Cette définition n’est cependant qu’en partie satisfaisante et semble éluder la
fonction utilitaire et plus pragmatique de l’outil de clémence, aussi appelée,
« clémence-moyen ».

La clémence-moyen, le second visage de Janus. Ainsi dissociée du concept


subjectif de justice, certains penseurs, à l’image de Sénèque ont vu dans cette
prérogative, un outil au service de celui qui l’octroie pour arriver à ses fins 7. Si le
Prince8 use de la clémence à des desseins politiques, c’est que celle-ci est une arme
juridique ; arme dont le champ sémantique renvoie en premier lieu à son usage de
prédilection qu’est le droit pénal. Il est aisé d’imaginer que la clémence fût et est
toujours utilisée comme une « élégance des tyrans pour se faire de la publicité »9. Si
« (les monarques) ont tant à gagner par la clémence, c’est qu’elle est suivie de tant
d’amour, qu’ils en tirent tant de gloire que c’est presque toujours un bonheur pour
eux d’avoir l’occasion de l’exercer  10» disait Montesquieu. La clémence n’est donc
plus une fin en soi, mais un moyen pour atteindre un but précis. Pierre Bonnassie
décrit judicieusement ce phénomène de clémence-moyen11.

Illustrations d’une clémence politique. Les illustrations d’une clémence


dénuée de gratuité mais non dénuée d’objectifs politiques, remontent jusqu’au
fondement du droit civil,  à savoir le droit romain. En effet, une exemption de peine
pouvait être octroyée au citoyen romain, qui par ses aveux, avaient facilité la
condamnation de ses complices12. Cette pratique fut abandonnée au Moyen-âge au

5
W Shakespeare, « Le marchand de Venise », Acte IV, scène I
6
Thèse JC Roda, Supra p.21 (clémence vertueuse immédiate qui se suffit à elle même et
n’appelle à aucun dessein particulier)
7
Sénèque, « De la clémence » II,IV, p14
8
Prince selon l’usage utilisé par Machiavel en d’autres termes : souverain, monarque ou toute
entité politique détenant un pouvoir sur un Etat.
9
Jean Anouilh, “Pauvre Bitos ou le diner de têtes” (1956)
10
Montesqieu, « De la clémence du prince », in De l’esprit des lois, Tome II, Bibliothèque de
la pléiade p.331.
11
P.Bonnassie, Cours de Droit du Marché Commun, PUAM, 1972, p234
12
T Mommsen, “Histoire romaine” Volume I, p.196

8
profit d’une clémence princière ou papale monnayable dont la seule fin était
d’accroître la trésorerie royale. Supprimée pendant la révolution puis réintroduite
durant le premier empire, la clémence refait surface en droits français contemporain
sous l’angle du droit de grâce présidentielle et de l’article 422-1 du nouveau Code
pénal concernant la délation de complicité d’actes de terrorisme. Bien qu’il semble
injuste d’accorder grâce à un terroriste, quant bien même celui-ci aiderait à
condamner ses complices, une vision plus macro-juridique et utilitariste du bien
collectif amène à redessiner les canons de la justice. C’est dans un jeu d’équilibriste
entre morale et logique, qu’il convient d’admettre que la clémence, même parfois
moralement injustifiée, est nécessaire.

L’approche américaine de la clémence. Outre atlantique, le système


juridique américain a aussi su tirer profit de l’utilisation de la clémence-moyen dans sa
lutte criminelle à l’aide d’outils de réduction de peine comme le « leniency for
testimony deals » et autres « plea bargainings ». Il est ainsi courant que les organes
de poursuites proposent aux détenus des « deals » leur permettant d’alléger leur peine
en échange d’informations nécessaires à l’enquête. Comme l’a déclaré Justice Lewis
Powel, « Un système criminel qui ne permettrait pas l’adoption d’actes
discrétionnaires de clémence serait totalement étranger à la notion de justice »13.
L’existence d’une forte tradition utilitariste du système américain n’est certainement
pas étrangère aux succès des techniques reposant sur les offres de clémence 14.
L’utilitarisme est en cela le cœur de tout programme de clémence visant un but
politique, maximiser le profit collectif au détriment parfois de considérations
morales.

L’avènement logique du programme de clémence en droit de la


concurrence. Le caractère répressif du droit de la concurrence, rend ainsi naturelle
l’apparition d’un programme de clémence au cœur de cette discipline. La première
esquisse de l’indulgence des autorités de concurrence se fait tout d’abord sentir par
l’ajustement des sanctions face aux circonstances atténuantes des faits d’espèce. Sans
réels fondements juridiques, ces atténuations de peines illustraient simplement une
des facettes du pouvoir discrétionnaire des juges, ne créant cependant aucun recours
13
McCleyskey v Kemp, Majority view L Powel , 481 US 279 (1987)
14
J.C Roda supra p25

9
juridique certain pour le défendeur. La mise en place d’une politique comportant de
réelles bases juridiques remonte à l’élaboration du premier programme de clémence
par la Division Antitrust des Etats-Unis en 1978. Le programme fonctionne sur le
même principe que son corollaire de droit pénal général: L’entreprise membre d’une
entente qui dénonce à l’autorité de concurrence l’existence de la pratique et qui
coopère à son démantèlement obtient (en droit américain) une immunité des
poursuites.

Un outil sous le joug de limites. Si l’outil de clémence marque un tournant


sans précédent dans la lutte contre les ententes, celui-ci n’en demeure pas moins sujet
à certaines limites. En effet, l’étude approfondie des programmes de clémence
américain et européens amène à un questionnement légitime sur leur efficacité, trop
souvent surestimée. Le recul de 38 ans d’existence aux Etats-Unis et de 20 ans dans
l’Union Européenne permet ainsi d’y poser un regard froid et objectif et ainsi de se
détacher d’une apparente réussite statistique. Il ressort ainsi d’une partie de la
doctrine, un sentiment naissant que le programme de clémence serait arrivée à
maturation15. Soumis à un dysfonctionnement systémique et des détournements
stratégiques, le programme de clémence, s’avère dans certain cas inefficace si ce n’est
contre-productif.

Une analyse systémique des limites. Notre analyse vise ainsi à élaborer une
approche critique sur le mode de fonctionnement des programmes de clémence des
deux côtés de l’Atlantique. Le premier angle de problématique se base sur une étude
systémique, soit une étude de l’interaction interne des agents du système de clémence.
Un système se définit comme « Un ensemble, formant une unité cohérente et
autonome, organisé en fonction d’un but ou d’un ensemble de but, au moyen d’un jeu
de relations, le tout immergé dans un environnement »16. Le système se qualifie ainsi
par son environnement et les interactions qu’il génère. Une approche des limites
systémiques est ainsi l’étude d’un mécanisme dans sa globalité, visant à comprendre
les failles d’articulation et d’interaction dont il est la constituante. Cette approche,

15
Christophe Lemaire “Les politiques de clémence en Europe : un regard Francais de la loi
NRE au programme de clémence” Revue de concurrence Lamy n°3, 2005
16
Le Gallou «  Systémique, théorie et application » Lavoisier tech et doc, 1992

10
bien qu’à première vue réservée aux disciplines scientifiques tend à se développer au
sein des sciences juridiques17

Une analyse stratégique des limites. Notre seconde approche quant à elle,
tend à se concentrer sur l’utilisation détournée et donc stratégique du programme de
clémence. Près de 40 ans d’existence ont permis aux entreprises, de se former à
l’exercice du programme de clémence et ainsi d’en déceler ses parades structurelles.
Sorte de monstre de Frankenstein du droit de la concurrence, l’arme fétiche de la
Division Antitrust et de la Commission semble pouvoir se retourner contre ses
inventeurs. L’ingéniosité d’exploitation des différentes failles du programme par les
entreprises mène à une utilisation offensive comme défensive de ses mécanismes.
Qu’il s’agisse d’assainir une filiale ou d’épurer un marché cartellisé, l’utilisation
détournée du programme de clémence peut s’avérer tout aussi utile pour les
entreprises qu’il ne l’est pour les autorités de concurrence.

Pourquoi étudier les limites du programme de clémence ? Les études


économiques démontrent que 80 à 85 %18 des ententes découvertes par les autorités de
concurrence à travers le monde le sont par le biais d’un programme de clémence. Au
vu de ces statistiques, le mécanisme de clémence ne peut être considéré comme un
simple outil d’investigation pour les autorités de concurrence. Il semble en effet qu’il
s’agit là, de leur quasi seule arme efficace dans le jeu de cache-cache qui persiste
entre les autorités de concurrence et les cartellistes. Ainsi, si les membres d’une
entente ne perçoivent pas un intérêt certain à actionner la clémence, tout porte à croire
que l’entente subsistera de longues années avant d’être découverte par les autorités.
Une vision pragmatique et utilitariste du droit de la concurrence amène ainsi à
réfléchir sur la nécessité d’améliorer le programme de clémence, tant chaque fois
qu’il n’est pas actionné, marque le signe d’une entente qui se stabilise sur le marché.

17
Christophe Samper « Argumentaire pour l’application de l’approche systémique  en
droit » Arch philosophique, (1999)
18
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” (2009)

11
Si l’objet de notre étude porte sur une approche comparative des limites du
programme de clémence aux Etats-Unis et en Europe, il convient cependant
d’introduire brièvement les deux mécanismes19. Nous verrons en premier lieu
l’ascension du modèle américain et en second lieu les distinctions conceptuelles avec
son corollaire européen.

-II-
L’avènement du modèle de clémence américain

L’émergence d’une conscience économique en matière de concurrence. Si


l’on se penche sur l’histoire économique moderne des Etats-Unis, il ressort que celle-
ci s’est écrite au rythme de la formation d’ententes secrètes. Le début du XIXe siècle
et l’avènement de la révolution industrielle instaurent une ère économique nouvelle.
L’industrialisation massive modifie le modèle classique des petites structures
sociétaires pour l’apparition d’opérateurs géants sur les marchés en expansion, tels
que l’énergie, la sidérurgie et le transport ferroviaire. En réponse aux risques
cycliques d’instabilité de la demande lié à la croissance, ces entreprises dominantes
décidèrent de s’organiser en trust afin d’assurer la maitrise du marché. 20 Rapidement
identifiées comme dommageables pour les consommateurs, ces pratiques se voient
interdites par un premier volet de législation antitrust dont l’outil principal est le
Sherman Act de 1890. S’en suit le Clayton Act de 1914 autorisant les victimes d’un
cartel à agir en indemnisation devant les juridictions civiles. Le développement de
ces politiques interventionnistes de l’Etat dans l’économie se voit soutenu par le
courant de pensée de l’école de Harvard, dite « structuraliste » visant à contrôler la
concentration sur les marchés. La fin des années 70 marque cependant un tournant
radical avec la monté en puissance de l’école de Chicago, hostile à toute forme de

19
Pour l’étude détaillée des deux programmes, voir Jean-Christophe Roda “La clémence en
droit de la concurrence, etude comparative des droits américain et européens” Supra
20
A titre d’exemple, le Standard Oil Trust dirigé par John Rockfeller permet d’unifier une
entente d’une quarantaine de compagnies, controlant 90% du marché pertinent des raffineries
de pétrole

12
régulation étatique en matière de concurrence. L’arrivée au pouvoir de
l’administration Reagan, particulièrement influencée par les « Chicago boys » amorce
une révolution conservatrice ayant pour premier effet une coupe budgétaire massive
de la Division Antitrust21. Cette restriction financière subie par l’autorité de
concurrence américaine amène logiquement à une rationalisation des moyens
d’investigations antitrust. Dans cette optique, la Division Antitrust annonce en 1978,
durant une conférence de presse, son intention d’accorder un traitement plus
indulgent, voire une immunité financière et pénale aux entreprises dénonçant d’elles
même leur participation à une entente. Bien que cette première initiative soit une
réussite mitigée22, elle enclenche une ère nouvelle dans la lutte contre les ententes.

L’avènement d’une réelle politique de clémence aux Etats-Unis. L’idée


que les ententes horizontales où « hardcore cartels »23 se heurtent frontalement aux
règles de concurrences semble admise depuis les années 7024. L’éradication des
cartels fait ainsi l’objet d’une lutte sans relâche par le Departement of Justice (DoJ)
contre ce qui est décrit comme « le mal suprême de la concurrence »25 selon les mots
de la cour suprême américaine. Cependant, la lutte contre les cartels s’avèrent être
une équation complexe. Comment permettre aux enquêteurs de déjouer des stratégies
de dissimulation des cartels, d’obtenir une bonne qualité de preuves, sans pour autant
heurter frontalement les droits des entreprises26 ? Un premier élément de réponse est
finalement trouvé à l’aide du second programme de clémence instauré en 1993 et
1994 aux Etats-Unis27. Le début des années 90 offre alors deux évolutions majeures,

21
W. L. Baldwin “Efficiency and competition : the regean administration’s legacy in merger
policy »Review of Industrial Organization
22
Moyenne de 1 cartel dénoncé par an et incapacité structurelle à déceler les cartels
internationaux.
23
Selon la terminologie anglo-saxonne
24
E. Gelhorn et W.E. Kovacic, Antitrust Law and Economics in a nutshell, Westgroup, 4ème
ed. 1994 p 228
25
Verizon Communications v. Law Offices of Curtis V Trinko , 540, U.S, 398, 408, (2004)
26
JC Roda, Supra p.92
27
Bien que les grandes lignes des programmes de clémence actuels avaient déjà été tracées
dans les années 70, leur modernisation va bien au-delà d’une simple mise à jour du texte de
1978, alors tombé en désuétude

13
matérialisées par deux programmes de clémence distincts, le « corportate leniency
program  » (1993) et « individual leniency program » (1994).

Le programme destiné aux personnes morales. Le mécanisme fonctionne sur


les bases suivantes : une personne morale partie à une entente peut obtenir une
immunité des poursuites pénales en vertu « corporate Leniency program (1993) » en
contractant avec les autorités avant le début de l’enquête. Elle devra alors remplir les
six conditions28 cumulatives suivantes :
- La Division Antitrust ne doit avoir reçue aucune information sur l’existence de
l’infraction lorsque l’entreprise se manifeste.
- L’entreprise ayant dénoncé l’entente se doit de cesser dans les plus brefs délais
toute activité au sein du cartel.
- Lorsque cela s’avère possible, l’entreprise devra indemniser les victimes de
ses pratiques
- L’entreprise doit fournir toutes les informations en sa possession et coopérer
activement avec la Division pendant la procédure.
- La révélation doit être un acte émanant de la société et non de l’un des
dirigeants.
- La société ne doit pas avoir contraint une autre entreprise à participer à
l’activité illégale et ne doit pas être le leader du cartel.

En l’absence de la réunion de ces 6 critères, et notamment dans l’éventualité ou une


enquête est déjà en cours, l’entreprise gardera la possibilité d’accéder à l’immunité si
une nouvelle série de 7 conditions29, plus exigeante cette fois-ci est réunie.
- L’entreprise est la première à se manifester
- La Division Antitrust ne détient pas encore, au moment où l’entreprise se
manifeste, des éléments de preuves suffisants contre elle et qui pourraient
permettre d’entrainer sa condamnation
- Dès la découverte l’infraction, l’entreprise a rapidement pris des mesures
efficaces pour mettre fin à l’activité illégale dénoncée

28
Departement of Justice notes « Corporate Leniency Policy » 1993 Part A
29
Departement of Justice notes « Corporate Leniency Policy » 1993 Part B

14
- L’entreprise dénonce l’infraction intégralement, avec sincérité, et apporte à la
division une coopération totale, constante et sans réserve pendant toute la
durée de l’enquête.
- L’aveu de l’infraction doit correspondre réellement à un acte officiel de
l’entreprise (« a corporate act ») et non pas à une démarche isolée de certains
cadres
- Chaque fois que cela est possible, l’entreprise doit dédommager les parties
lésées.
- En accordant la clémence, la Division Antitrust ne commet pas d’injustice
envers d’autres entreprises, compte tenu de la nature de l’activité illégale et du
rôle joué par l’entreprise.
Offrant une protection plus certaine à l’entreprise demandeuse de clémence que le
précédent programme de clémence de 1978, le programme relatif aux personnes
morales marque une avancées majeure dans l’histoires des programmes de clémence.
Cependant, celui-ci ne pouvait qu’être pleinement incitatif dès lors qu’existait en
parallèle un programme destiné aux personnes physiques.

Le programme destiné aux personnes physiques. En parallèle, s’est développé


un « individual leniency program »30 cette fois ci s’adressant uniquement aux
personnes physiques engagées dans une entente secrète. En pratique, sont concernées,
tous dirigeants ou employés d’une entreprise participant à une entente. Les conditions,
bien que moins nombreuses que le programme destiné aux personnes morales, se
fondent sur une base commune. La clémence sera ainsi accordée à une personne
physique dès lors que :
- La Division Antitrust n’avait pas été informée par une autre source de
l’activité illégale dénoncée au moment où la personne physique s’est dénoncée
- La personne physique dénonce l’infraction intégralement et avec sincérité
ainsi qu’apporte à la division, une coopération totale constante et sans réserve
pendant toute la durée de l’enquête.
- La personne physique n’a pas contraint une autre partie à participer à l’entente
et n’a manifestement était ni meneuse, ni l’instigatrice de l’activité illégale.

30
Departement of Justice notes « Private Leniency Policy » 1994

15
Toute personne ne remplissant pas cumulativement ces critères, garde une possibilité
de prétendre à la clémence sur décision discrétionnaire de la Division Antitrust.

Articulation des procédures. L’articulation des deux procédures est pour le


moins complémentaire. Au regard des lourdes sanctions encourues par les personnes
physiques, le DoJ fait passer un message fort : si l’entreprise ne saisit pas la chance
offerte par les « corportate amnesty programs » ce sont les dirigeants et les salariés
qui en feront directement les frais. Ainsi s’ouvre la possibilité d’agir en amont pour
les employés ou dirigeants à l’aide du programme qui leur est destiné. La mise en
place de deux mécanismes parallèles nécessite une certaine rigueur d’organisation et
d’articulation. En effet, s’il existe une interaction entre les deux mécanismes, leur
mise en œuvre est néanmoins indépendante. Si le « corporate leniency program »
offre l’immunité aux employés et dirigeants dès lors qu’il coopère à la procédure, une
personne exclue du bénéfice de l’immunité n’est plus recevable à demander une
clémence au titre de l’« individual leniency program ». Cette grâce n’est cependant
pas l’attribut de tous les repentis mais seulement du plus rapide.

Un seul « gagnant » à la clémence américaine. Le programme américain


n’offre qu’un seul type de récompense : l’immunité des poursuites pour le
dénonciateur le plus prompt. À la différence des textes européens (étudiés ci-après) la
protection offerte par le programme de clémence ne s’étend d’aucune manière aux
autres entreprises désireuses de dénoncer le cartel. Ainsi, toute personne (physique ou
morale) prenant part à un cartel se voit incitée à agir au plus vite pour « sauver sa
propre peau ». Cet outil de déstabilisation introduit ainsi une atmosphère de méfiance
qui se base sur la doctrine du « winner takes all »31. Sans déflorer l’essence même de
la théorie économique que nous étudierons dans la partie IV de cette introduction, la
doctrine du « winner takes all »32 vise la situation par laquelle un seul agent
économique (joueur) gagne l’ensemble des gains réalisable dans le jeu au détriment
des autres joueurs.

La nuance du programme « Amnesty plus ». Cette fatalité qu’est la


condamnation entière et complète des perdants à la course à la clémence a cependant
31
S.J Evenett, “International cartel enforcement: lesson from the 1990’s » (2001) p.15
32
Littéralement : le gagnant remporte toutes les mises.

16
été légèrement contrebalancée par l’arrivé du programme « Amnesty plus » en 1999.
Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une troisième catégorie de
clémence33, celle-ci offre tout de même une possibilité nouvelle aux membres du
cartel. Le programme consiste à octroyer l’immunité à une entreprise dénoncée qui
relève l’existence d’une autre entente sur un marché différent. L’immunité de
l’Amnesty plus n’est cependant accordée que pour la seconde infraction et si
l’entreprise coopère à son démantèlement. Toutefois, l’entreprise bénéficiera d’une
réduction supplémentaire pour le calcul du montant de l’amende pour sa participation
à la première entente.34 L’outil s’avère cependant à double tranchant, tant il permet
d’une part de créer un effet domino quant à la chute successive des cartels, mais
d’autre part tend à inciter les entreprises à prendre part à plusieurs cartels à la fois 35.
Cette pratique bien que n’apparaissant pas dans les textes de « corporate » et
« individual » est souvent évoquée dans les discours des représentants de la Division
Antitrust.36

La nuance du « Plea bargaining ». Outre la possibilité d’action du


mécanisme d’Amnesty plus, le plus traditionnel plea bargaining permet aux
cartellistes perdant à la clémence de réduire leur peine en plaidant coupable. Durant
les 20 dernières années, 90% des défendeurs contre une action de la Division Antitrust
sont entrée en négociation avec le Department of Justice afin d’admettre leur
responsabilité37. La procédure de plea bargaining ayant essentiellement pour objectif
d’être un instrument d’accélération de la procédure administrative, il n’apparaissait
inopportun aux autorités américaines d’accorder des taux de réduction d’amendes
élevés (pas plus de 10%)38. Ce raisonnement en apparence satisfaisant à cependant
souvent mené à une coopération a minima des entreprises avec les autorités, quant

33
v G.R. « Spratling, Detection and Deterrence » p.818
34
J.M. Griffin, « An overview of Recent Development in the Antrust Division’s Criminal
Enforcement program », in Anual proceedings of the Fordham Corporate Law Institute, Oct
2003, Barry Hawks d. 2004 p.39
35
 Y.Lefouilli & C. Roux « Leniency Program for Multimarket Firms : the effect of Amnesty
on cartel formation » Janvier 2008 p.4
36
Voir : D.P. Majoras, « A review of recent antitrust division actions », discours du 12 juin
2003
37
Hammond, Negotiated Plea Agreements,supra note 31; see also Hammond, Charting New
Waters,supra note 31.
38
ABA, Sentencing Guidelines in Antitrust, p.80

17
bien même celle-ci pourraient détenir plus d’informations que le dénonciateur
amnistié.39

Constat statistique. Sur papier, le programme de clémence américain est une


réussite totale. Cinq milliards de dollars d’amendes ont été récoltés par le DoJ entre
1996 et 2009 dont 90% sont issus de condamnations liées au programme de
clémence40 ainsi que 85% des 8,779 milliards récoltés entre 2009 à 2015 41. Avec une
moyenne de 62,2 condamnations par an de personnes physiques et 22,6 de personnes
morales entre 2006 et 201542, les statistiques de la Division Antitrust semblent
pouvoir dissuader a priori plus d’un cartel à se former. Cependant, la réussite du
programme de clémence a en contre partie fait drastiquement chuter le nombre de
cartels découverts par des moyens subsidiaires. Ainsi, dès lors qu’un cartel dit
« stable » n’actionne pas le programme de clémence, celui-ci se voit a priori sans
danger. Fort de ce constat, il convient de rendre le programme de clémence le plus
attractif possible dès lors qu’il agit comme l’unique arme réellement efficace dont les
autorités de concurrences disposent.

La diffusion du programme en Europe. Cette réussite a depuis les années 90 su


inspirer la création de programmes similaires dans le monde et notamment au sein de
l’Union Européenne et de ses Etats-membres. Si le modèle américain a servi de base
solide à l’élaboration d’autres programmes, l’outil de clémence s’est cependant
diversifié au gré des différences culturelles. Emprunt d’une culture européenne, le
programme de l’Union comme de ces Etats-membre a su s’inspirer tout en exprimant
ses différences avec son corollaire américain. Sans rentrer au cœur d’une approche
comparative des programmes ne faisant pas l’objet de notre problématique, nous nous
cantonnerons à l’étude des principales distinctions conceptuelles.

-III-

39
JC Roda supra p. 209
40
Mike Cloutier, “An Empirical Investigation of the U.S corporate Leniency program » Oct
2011 Queen’s University law review p.4
41
https://www.justice.gov/atr/criminal-enforcement-fine-and-jail-charts
42
Criminal enforcement trend charts through fiscal year 2015, premier graphique. Disponible
sur le site du departement of justice américain.

18
Les distinctions conceptuelles entre l’approche
américaine et européenne de la clémence

Les débuts difficiles du programme de clémence européen 1996-2002.


Confrontée à l’ingéniosité toujours grandissante des entreprises pour dissimuler
l’existence d’ententes, la Commission décide d’adopter à son tour, un premier
programme de clémence. Le 18 juillet 1996, par le biais d’une simple
communication43, le premier programme de clémence européen visant le
démantèlement d’ententes fait son apparition. Ce programme n’ayant cependant pas
l’efficacité escomptée44 et la transparence nécessaire au fonctionnement d’une réelle
politique de clémence, la commission publie une seconde communication en 2002 45.
Si la Communication de 2002 se nourrit d’un rapprochement avec l’analyse
économique, notamment celle qui prône l’obtention de l’immunité après l’enquête 46,
elle se rapproche d’autre part des lignes directrices du programme américain.
L’ancien commissaire à la concurrence Mario Monti a en effet reconnu que la
Commission avait « étudié avec beaucoup d’attention le succès du programme de
clémence américain de 1993.  La possibilité de bénéficier d’une immunité, le
renforcement de la transparence et de la sécurité juridique au sein de notre avant-
projet suivent les principaux principes du programme américain »47. Sans rentrer
dans les détails d’un mécanisme n’étant plus de droit positif, la communication de
2002 avait innové en matière de clarté des conditions d’obtention de l’immunité
(notamment pendant l’enquête) et de réduction d’amende. En retirant ainsi les

43
Communication de la commission sur la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur
montant, JOCE n°C 207, 18 juilliet 199 ; Europe, aout-sept, 1996 comm n°321 Obs L. Idot.
44
Inefficacité principalement liée à un manqué de précision quant aux critères d’immunités et
à un défaut de sécurité juridique. Pour plus de détail, v. JC Roda « La clémence en droit de la
concurrence, étude comparative des programmes américain et européen » (2008) p219
45
Communication du 19 fevrier 2002 sur l’immunité d’amende et la réduction de leur
montant dans les affaires portant sur les ententes, JOCE n° C45, 19 fev 2002 ; Europe,
avr. 2002 Comm n°146 Obs. L. Idot.
46
Massimo, Motta, Polo « Leniency programs and cartel prosecution » International Journal
of industrial organization, n°21 , 2003
47
Mario Monti « Antitrust in the US and in Europe : a history of Convergence » discour
adressé au General Counsel Roundtable of the ABA, Washington D.C nov 2001.

19
conditions empêchant les membres ayant initié le cartel d’actionner la clémence48, et
d’autre part en autorisant les entreprises à faire un dépôt d’information sous forme
hypothétique49, le programme s’était ainsi rationalisé.

La communication de 2006 et l’instauration d’une politique stable. La


lutte contre les cartels à l’échelon communautaire a franchi un cap supplémentaire le
8 décembre 2006 avec l’adoption d’une troisième communication. 50 Reprenant en
substance les critères de la communication de 2002, ce modèle à l’épreuve du temps
et des reformes législatives deviendra celui toujours applicable en 2016. En effet, la
communication de 2006 assure aux opérateurs économiques qu’ils bénéficieront
automatiquement d’une immunité totale d’amende s’ils répondent aux conditions
prévues par les points 8(a) et 8(b) de la communication sur la clémence.

Les conditions relatives à l’immunité des sanctions. En substance,


l’attribution d’une immunité totale est conditionnée à  une coopération, totale
permanente et rapide de l'entreprise tout au long de la procédure. À cette exigence
s'ajoute désormais celle d'une coopération « véritable ». L'entreprise est en effet tenue
de fournir des informations précises, non trompeuses et complètes. L’arrêt de la CJUE
Fresh Del Monte51 du 24 juin 2015 confirme que la simple réponse à une demande de
renseignements au titre de l’article 18 paragraphes 2 du règlement 1/2003 52 ne justifie
pas d’une réduction d’amende. L'entreprise doit également avoir mis un terme
immédiat à sa participation à l'entente. Cette exigence est néanmoins assouplie
lorsque la Commission estime que l'intégrité des inspections s'en trouverait
compromise. L'entreprise doit par ailleurs dorénavant satisfaire à l'obligation de ne
pas avoir détruit, falsifié ou dissimulé des éléments de preuve de l'entente pendant la

48
Point 11)c) de la communication de 2002
49
Point 13) b) de la communication de 2002 
50
Comm. CE. Communication de la Commission sur l’imunité d’amende et la réduction de
leur montant dans les affaires portant sur les ententes : JOUE, n°C298/17, 8 dec 2006.
51
CJUE, 24 juin 2015, C-293/13 et C-294/13 (Fresh Del Monte)
52
“Lorsqu'elle envoie une simple demande de renseignements à une entreprise ou à une
association d'entreprises, la Commission indique la base juridique et le but de la demande,
précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle
indique aussi les sanctions prévues à l'article 23 au cas où un renseignement inexact ou
dénaturé serait fourni ».

20
période où elle envisageait d'adresser une demande de clémence. 53 Bien que
contraignante pour les entreprises, ces conditions apportent cependant un cadre
certain à la candidature à la clémence. Les risques latents engendrés par la procédure
de clémence se doivent d’être limités si ce n’est annulés pour inciter les entreprises à
agir.

1er Distinction conceptuelle entre immunité des poursuites et immunité


des sanctions. Si l’on perçoit une convergence quant à la récompense d’immunité,
celle-ci est cependant interprétée différemment par les autorités de poursuites des
deux côtés de l’Atlantique. En effet, l’immunité dont fait référence les « leniency
programs » américain est une immunité des poursuites. Autrement dit, la clémence se
traduit par une renonciation de la part de la Division Antitrust de poursuivre le
dénonciateur pour l’infraction dévoilée. Ainsi, l’auteur de la dénonciation n’est pas
visé par l’acte de mise en accusation (« indictment ») et ne peut, par conséquent être
déclaré coupable54. Outre l’intérêt pratique qu’apporte une immunité de poursuite,
cette pratique permet de protéger l’image de l’entreprise de toute mauvaise publicité.
Dès lors, les actions privées généralement conséquentes à la découverte d’un cartel
sont rendues particulièrement délicates à l’encontre du délateur, en l’absence d’un
prononcé officiel de culpabilité sur le plan pénal55.

A l’opposé, l’approche européenne de la clémence se matérialise par une


individualisation de la sanction56. En d’autres termes, la clémence se traduit par une
modulation plus ou moins importante de la peine infligée pouvant aller jusqu'à son
absolution totale. Ce n’est donc pas une immunité de poursuite mais une immunité de
sanction. L’exonération totale est techniquement une exemption, c’est à dire le non-
prononcé de la peine qui laisse toutefois subsister l’infraction. 57 L’intérêt pratique

53
Immunité et réduction d’amende : la clémence dans les affaires d’ententes (synthèse
disponible sur le site de la commission européenne)
54
JC Roda p 94 supra
55
V. par ex United States Gypsium Co ; 438 US 422 (1978) sur la quasi impossibilité pour
défaut de preuve d’agir efficacement sur le premier délateur par le biais d’action privé
56
V. les lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées en cas
d’entente en application de l’article 23 paragraphes 2 ; JOUE C 210/2 du 1er sept 2006.
57
G. Cornu, « Vocabulaire juridique » 2015, v Exemption.

21
d’une telle distinction exprimée plus haut, rend sur ces considérations, le programme
américain plus attractif car plus protecteur de l’image de l’entreprise.

Raisonnement juridique sous-jacent à cette distinction. Cette distinction est


cependant le résultat de contraintes institutionnelles. A la différence de la
Commission européenne ou encore de l’Autorité française de la Concurrence, la
Division Antitrust n’a ni le pouvoir de décision, ni par conséquent, celui de sanction.
Elle n’est en réalité qu’une autorité de poursuite dont le rôle est d’obtenir la
condamnation en faisant valoir ses arguments devant une juridiction étatique. 58 Dès
lors qu’il n’est pas de son pouvoir de condamner une entreprise, la seule parade
ouverte à la Division pour garantir l’immunité est d’utiliser son très large pouvoir en
matière de poursuite, lui permettant de décider librement de ne pas poursuivre un
délinquant59.

Distinction quant au sort des  « second-in-the-door ». En droit européen,


s’offre en parallèle de l’immunité, la possibilité aux entreprises ne remplissant pas les
conditions d’immunité de bénéficier d’une réduction d’amende. La possibilité
d’obtenir une clémence de « deuxième » ou « troisième » rang permet donc à la
commission de recueillir des preuves supplémentaires ainsi nécessaire à l’enquête 60.
C’est en cela que se trouve la première distinction substantielle avec le système
américain, celui-ci n’offrant pas de récompense aux perdants de la course à la
clémence. Cette réduction offerte par le programme de clémence dès 2002, reste
conditionnée à une collaboration probatoire avec la Commission. Ainsi, la réduction
du montant de l’amende ne peut donc être obtenue que si les entreprises arrivées en
second rang, apportent à la commission des preuves ayant une « valeur ajoutée » par
rapport aux éléments de preuve déjà en possession des enquêteurs. En outre, les
entreprises se doivent de rapidement cesser leur participation à l’infraction. La
récompense des clémences de second, troisième et quatrième rang dépend cependant
du commencement ou non de l’enquête par la commission.

58
J.H. Schenefield et I.M. Stelzer, The Antrust Laws – A primer, The AEI Press, 4 ém ed.
2001, p.28 et S
59
La Cour Suprême des Etats-Unis reconnaît en effet un grand pouvoir quant à l’engagement
ou non des poursuites par les autorités fédérales. Voir United States v Nixon, 418 US, 683
(1974)
60
JC. Roda, p.236 supra

22
Avant l’enquête, une réduction de 30 à 50% du montant de la sanction pourra être
amputée à la première entreprise remplissant la condition d’information à « valeur
ajoutée » en fonction de l’importance des preuves apportées. Dès lors, la diminution
se fera decrescendo, avec pour la seconde entreprise délinquante, une réduction entre
20 et 30% du montant de l’amende et le troisième une réduction maximale de 20%.
Dès lors que l’enquête a déjà commencé, la générosité de la Commission diminue. Ce
changement pouvant même aller jusqu'à empêcher le premier délateur d’avoir une
immunité totale. Si un barème de réduction existe, il reste à la discrétion de la
Commission de juger si les preuves apportées méritent une réduction a minima ou a
maxima de la peine.

Voici l’ensemble des données récoltées sous forme de tableau afin de mieux cerner
les différences existantes :

Premier Deuxième Troisième Quatrième


Etats-Unis Avant 100% 0% 0% 0%
enquête
Union Avant 100% 30%-50% 20%-30% >20%
Européenne enquête

Distinction quant à la nature des sanctions. Comme toute infraction, celle-


ci induit le revers d’une sanction qu’il est nécessaire de classer dans l’une des trois
matières suivantes : pénale, civile ou administrative. La sanction administrative,
pouvant prendre la forme d’une sanction pécuniaire en matière d’entente, reste le
premier recours des organes européens61 comme français. Aucune sanction pénale
n’est cependant prévue par les textes européens. Pourtant, si les auteurs d’infractions
à l’article 101 ne se voient pas inquiétés par une condamnation pénale, cette apparente
protection s’estompe dès lors que rien n’interdit aux dirigeants de se voir poursuivre
les autorités des Etats-Membres. En effet, le droit de la concurrence de certains Etats-
Membre, à l’image de la France et de son article L420-6 du Code de commerce,

61
Lignes directrices de 2006 supra

23
prévoit des sanctions pénales à l’encontre des personnes physiques ayant pris une part
personnelle et déterminante dans l’organisation d’une entente. 62 Cette pratique est
partagée par d’autres Etats-membre à l’instar de l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne
ou la Grèce63.

Aux Etats-Unis, la volonté de lutter sévèrement contre les cartels s’est notamment
traduite par une pénalisation des infractions. Cette distinction apporte une réelle
différence pratique en matière de preuve. Le standard de preuve de l’existence du
cartel devant se faire « au delà de tout doutes raisonnable » comme le veut la
tradition pénale américaine64. En outre, la sanction n’a ainsi plus pour unique but de
réparer le préjudice, mais de punir l’entreprise qui l’a commise. Le Sherman Act de
1890, amendé en juin 2004, prévoit des amendes dont le montant peut s’élever à 500
millions65 de dollars pour les entreprises contrevenantes, tandis que les personnes
physiques s’exposent désormais à des peines de 10 ans de prison et une amende de 1
million de dollars66

Distinction quant à la nature de l’acte de clémence. L’acte par lequel le


Departement of Justice s’engage à ne pas poursuivre un délinquant ou réduire sa
sanction est généralement qualifié de contrat par la jurisprudence américaine. En
effet, dans l’affaire Wilson v Washington67 et United States v Feild68 les juridictions
américaine ont fait valoir que « les accords d’immunité, ainsi que les accords de plea
bargaining sont interprétés comme des contrats. ». Le Department of Justice a
compétence pour conclure, au nom du gouvernement des Etats-Unis, des accords avec
les parties adverses, avant que le juge ne tranche. Ces contrats sont ainsi générateurs
62
Peine pouvant aller jusqu'à quatres ans de prison et 75000 euros d’amende
63
Voir « Rapport européen sur l’application de sanctions pénales par les Etats-Membre »,
disponible sur le site de la commission.
64
Beyond any reasonable doubts est un standard de preuves visant à déterminer si une
personne est coupable. L’organe de poursuite doit prouver à une personne dite « raisonnable »
que le défendeur est coupable au delà tout doute raisonnable Voir. Milles v United States
(1880)
65
Voir GR Spartling « The trend towards higher corporate fines : it’s a whole new Ball
Game » Eleventh annual national institue on White collar crimes, New Orlean, 7 March 1997
66
Antitrust Criminal penalty Enhancement and Reform Act of 2004, Pub L. n°108-237.
67
Wilson v Washington, 138 F 3d 647 (7th Circuit 1998)
68
United States v Feild, 766 F. 2d 1161 (7th Circuit 1985)

24
d’obligations pour les deux parties69. Ces conventions, aussi appelées « Immunity
agreements », engagent leurs signataires à octroyer automatiquement l’immunité, dès
lors qu’un candidat en remplit les conditions. A l’instar des contrats de droit commun,
une exception d’inexécution est possible. En effet, si le candidat à la clémence ne tient
pas ses engagements, la Division Antitrust peut révoquer l’immunité conditionnelle et
engager des poursuites pénales.70 En outre, si la Division Antitrust ne respecte pas ses
obligations, le dénonciateur peut contester cette décision au regard du principe de
bonne exécution des obligations contractuelles. Cette hypothèse ne s’est cependant
produite qu’une seule fois en matière d’antitrust lors de l’affaire Solt-Nielen71. Il
ressort ainsi de cette jurisprudence que le juge fédéral est compétent pour connaître
des litiges concernant l’exécution des « antitrust agreements » mais uniquement à
partir du moment où le dénonciateur ayant vu son immunité révoquée est inculpé.
D’autre part, il convient d’interpréter les conditions de clémence incertaines à
l’avantage du dénonciateur72.

Lorsque l’on se penche sur la nature de l’accord passé entre la Commission et le


délateur en Europe, l’on pourrait à première vu y voir aussi un contrat. Pour une partie
de la doctrine, les programmes de clémence européens seraient « une forme de contrat
judiciaire » par laquelle les sanctions encourues peuvent être modérées en échange de
la collaboration probatoire d’une partie 73. Plusieurs éléments fragilisent cependant une
telle interprétation. Tout d’abord il n’est jamais fait référence de la conclusion d’un
quelconque contrat entre l’entreprise et la commission ou avec une autorité de la
concurrence dans leur programme de clémence respectif. Il n’est en effet pas certain
que ces autorités aient la capacité de conclure de tel accord car n’ayant pas per se une
personnalité juridique74. En réalité, en droit de l’Union comme en droit français,
l’octroie de la clémence relèvent d’une décision unilatérale de l’autorité de la

69
United States v Baird, 218 F. 3d 229 (3rd Circuit 2000)
70
JC Roda, Supra, p98.
71
Solt-Nielsen SA v United States, 442 F.3d 177 ( 3rd circuit 2006)
72
F. Joseph Warine & P. Waffe “Solt-Nielsen rulling offers lesson on negotiating corporate
Amnesty agreement » , Washington legal fundation, Mars 2008
73
M-A Frison-Roche, Contrat, concurrence, regulation, RTD civ 2004, p.451, n°9
74
Au niveau de la Commission, celle-ci peut tout de même passer des contrats au nom des
Communautés (CJCE, 12 juill 1957, Algera, aff jtes 7/56). Un contrat de clémence peut-il
réellement lié les communautés ?

25
concurrence.75 Cette affirmation est corroborée par la pratique de la Commission
européenne et par sa sémantique juridique dans ses programmes76. Cette distinction
marque,  une fois de plus, certaines différences pratiques entre le système américain et
européen, basé pour le premier sur une approche synallagmatique de la clémence et
pour le second sur une vision unilatérale.

Se distinguant sur des spécificités de fond comme de forme, l’approche


américaine et européenne n’en demeure pas moins convergente. Au-delà des
différences institutionnelles entravant une uniformisation utopique des deux
programmes, l’on retrouve un point d’accord sur la nécessité d’une rationalisation
économique. En effet, si c’est sur le terrain de l’économie que les cartellistes se jouent
du marché, c’est sur ce même terrain que les autorités de la concurrence se doivent de
baser leur riposte.

- IV -
La rationalisation économique des programmes
de clémence

Théorie des jeux et programme de clémence. La notion de concurrence


étant avant tout un concept économique, il semble logique qu’un programme visant à
protéger ces règles au sein du marché, soit basé lui aussi sur des fondements
économiques. C’est en effet, en grande partie sur les travaux relatifs à la « théorie des
jeux » du Mathématicien et prix Nobel d’économie John F. Nash 77 que se fonde le
mécanisme de clémence. Cette théorie se base sur l’étude des stratégies et des
décisions des individus en interaction dans le cadre de règles impartis. Elle se
développe autour du postulat que le comportement de chaque « joueurs » dépend
intrinsèquement des comportements observés ou attendus des autres joueurs 78. Cette
75
R. Chapus, Droit administratif général, Montchrestien, 10 ed, 1996, n°553.
76
Ex : « Décision conditionnelle d’immunité » accordée à l’entreprise qui remplit la
première condition de la communication de 2002.
77
J.F Nash « Non Cooperative Games » (1949), Journal of Mathematics, Thèse de
l’Université de Princeton
78
Christopher R. Leslie “Antitrust, Amnesty, Game theory and Cartel Stability” The journal
of corporation Law n°234 p. 6 (2006)

26
modélisation des comportements humains à su trouver une application dans de
nombreuses disciplines parmi lesquelles l’économie, les sciences juridiques 79 comme
la politique80. Le « Dilemme du prisonnier » marque l’exemple de référence de cette
théorie.

Le dilemme du prisonnier. Ce dilemme suppose que deux délinquants soit


interrogés séparément par la police, faute de preuves d’inculpation. Les officiers de
police leur propose le marché suivant : celui qui dénonce l’autre, reçoit une prime
réduisant sa peine à 2 ans de prison, celui qui est dénoncé encourt 10 ans et en cas de
dénonciation mutuelle, les deux délinquants se verront attribués une peine de 5 ans de
prison. Si aucun des joueurs ne dénonce l’autre, ils repartent libre. En l’espèce, pour
chacun des délinquants isolés la stratégie rationnelle dominante, aussi appelée
« équilibre de Nash »81 est toujours la dénonciation. En effet, bien que le choix de non
coopération avec les policiers et donc du silence pour les deux délinquants, marque le
choix plus optimal, aucune garantie ne peut assurer aux deux joueurs que l’autre
gardera le silence. C’est donc la dénonciation qui apparaît comme le meilleur choix 82
dès lors que le jeu n’est joué qu’une seule fois. Voici généralement comment est
modélisé le dilemme sous forme de matrice.

Soit A et B les deux délinquants dans un jeu à somme nul, c’est à dire que les gains ou
les pertes d’un joueur ne résulte pas nécessairement dans les pertes ou gain d’un autre
joueur :

A ne coopère pas A coopère


B ne coopère pas (1) A et B sont libérés (2) A a sa peine
(0 ; 0) réduite à 2 ans et B
est condamné à 10
ans
(10 ; 2)

79
Voir Ian Ayres «  Playing Game with the law » Yale Law Review 1-1-1990.
80
Voir Alexendroff & Rosecrance (1934); Snidal (1985)
81
Un équilibre de Nash correspond à une situation où, dans un jeu non coopératif, aucun
joueur n’a intérêt à dévider unilatéralement de sa stratégie.
82
P. Debrosse « Les programmes de clémence à l’épreuve de la globalisation des marchés
(partie théorie des jeux), « Revue internationale de droit économique » 2010/2 t. XXIV p. 214

27
B coopère (3) B à sa peine réduite (4) A et B sont condamnés
à 2 ans et A est à une peine de 5 ans
condamné à 10 ans (équilibre de Nash)
(10 ; 2) (5 ;5)

Il ressort de se tableau que la situation (4) constitue l’équilibre de Nash, tant aucun
joueur n’a intérêt à modifier unilatéralement sa position sans voir son gain diminué.
Seul une coopération entre les joueurs peut amener à diriger le jeu vers la situation
optimale (1). Cependant, le caractère non coopératif de la relation empêche les deux
prisonniers d’atteindre une telle situation, bien qu’étant la plus avantageuse pour les
deux parties. Le résultat est sans appel pour la police, permettant ainsi d’assurer la
condamnation les deux complices.

Dilemme du prisonnier et déséquilibre au sein cartel. Le mécanisme


semble s’appliquer parfaitement au programme de clémence. Le climat de méfiance
engendré par la possibilité ouverte à chaque membre du cartel de sortir « sans frais »
de l’entente rend intrinsèquement instable le cartel. En présence d’un risque potentiel,
chacun aura a fortiori intérêt à devancer ses concurrents en déclenchant en premier la
course à la dénonciation pour garantir ses propres intérêts. Le programme de
clémence tire ainsi sa force de la méfiance qu’il engendre au sein du cartel. Cette
méfiance a été modélisée par le departement of justice dans la situation du « empty
seat on the table  »83. Imaginons cinq membres d’un cartel réunit à une table de
réunion visant au maintien de leur entente. Un froid glacial emporte les 5 membres
présents, quand l’un d’eux fait remarquer que la chaise du sixième membre reste
étonnamment vide. Inévitablement, les cinq membres du cartel deviennent nerveux.
Doivent-ils dénoncer l’entente avant que l’absent ne le fasse ? Est-ce déjà trop tard ?
Une inaction, même d’une journée, pourrait leur coutait des millions en amende et
potentiellement leur liberté. Cette situation mène logiquement à la perte de sang froid
des membres du cartel et à la dénonciation de l’entente.

Méfiance à l’égard des autres membres du cartel, confiance dans l’outil


de clémence. Les entreprises enclines à dénoncer leurs pratiques anticoncurrentielles
se doivent d’avoir à la fois une méfiance certaine à l’encontre de leurs partenaires et
83
Traduction : une personne absente à la table

28
une confiance absolue dans le programme de clémence pour agir. A travers quatre
décennies de pratique, la Commission comme le DOJ ont ciblé 3 critères rendant le
programme de clémence efficace. Cette réussite se traduit par le rapport tel que le
profit tiré par l’entente sujet à délation devient inferieur au profit tiré par la délation :

Avec p la probabilité de détection, S la sanction pécuniaire moyenne et  profit


entente – pS) < délation

Le rapport ci-dessus n’est cependant vrai que si le délation se caractérise par les 3
critères suivants :
- Méfiance certaine à l’égard des autres membres de l’entente
- Sévère sanctions à l’égard des perdants à la clémence
- Transparence absolue des mécanismes de clémence pour les délateurs et
assurance de pouvoir s’en prévaloir.

Ces critères forment les piliers principaux de rationalisation des programmes de


clémence et sont ainsi basés sur un simple rapport risque/gain des entreprises. Ainsi,
si un cartelliste pense pouvoir échapper à la dénonciation, le profit tiré de son action
anticoncurrentielle sera toujours supérieur à celui de la délation. De même, si la
sanction n’est pas assez sévère, le membre de l’entente, suite à un calcul comptable,
jugera judicieux ou non de poursuivre l’entente. Dès lors que le résultat rendra
économiquement « rentable » le maintien du cartel, quant bien même découvert 84,
l’entreprise continuera ses actions. Enfin, il est nécessaire que le délateur soit
convaincu qu’il ne s’incriminera pas inutilement s’il dénonce le cartel.

Fort d’une évolution législative importante et d’une rationalisation


économique avouée, les programmes de clémence semblent à l’abri de toutes critiques
fondées. Cependant, notre étude vise principalement à abattre ce postulat au regard
d’une part de l’analyse des systémiques des failles des deux programmes (Titre I) et
d’autre part à dénoncer l’approche stratégique qu’il est fait de cet outil par les
entreprises (Titre II)

84
C. Beaton-Well & C. Tran «  Anti-cartel enforcement in contemporary age : Leniency
religion » Hart studies in competition law, Oxford University press (2015)

29
TITRE 1.
ANALYSE SYSTÈMIQUE DES FAILLES DU MODÈLE
DE CLÉMENCE EUROPÉEN ET AMERICAIN

Souvent présenté comme l’outil par excellent de détection et de


démantèlement des cartels85, l’efficacité statistique du programme de clémence, tant
aux Etats-Unis86 que dans l’Union Européenne87 semble majoritairement incontesté.
Ce constat se heurte cependant à l’existence de failles communes et singulières aux
deux systèmes. Agissant tel un grain de sable dans les rouages du mécanisme de
clémence, les différentes brèches du système emporte avec elles le ralentissement si
ce n’est l’inefficacité de l’application des programmes. Au vu des enjeux
économiques que représente l’efficacité de détection des cartels, il convient de se
concentrer sur les limites des programmes afin d’en extraire une éventuelle
perspective d’évolution. Notre étude portera ainsi en premier temps sur les causes de
l’enchevêtrement des procédures sur l’incitation à la délation (Chapitre 1) et dans un
second temps sur les limites de l’efficacité des programmes face à la globalisation des
marchés (Chapitre 2)

CHAPITRE 1.
L’enchevêtrement des procédures et évaluation du risque
latent à la délation

85
Voir par ex. S. D Hammond, « Detecting and dettering cartel activity through and effective
leniency program » international Workshop on Cartels, discours du 22 nov 2000 (disponible
sur le site de la Division Antitrust)
86
Ententes horizontales poursuivie par an par le DoJ de l’ordre de 60,2 par année entre 1991
et 2000 selon W.E Kovacic, Modern Evolution of US competition policy enforcement Norms,
p.419.
87
Le nombre de condamnation de cartel est passé de 1,8 par an entre 1971 et 1980 à 6,5 entre
de 2001 et 2007 Selon le rapport annuel de la Commission européenne.

30
Comme étudié précédemment, la décision pour un agent économique rationnel
de dénoncer un cartel n’est autre qu’un produit comptable, entre gains tirés par la
délation et le risque sous-jacent à celle-ci. Une fois ce postulat intégré, il convient
d’étudier quels sont les risques inhérents à l’enclenchement d’une procédure de
clémence par un demandeur et ainsi évaluer si ceux-ci freinent l’action. L’incidence
d’une action pénale sur le délateur potentiel illustre un premier risque pour le
demandeur (Section 1). De plus la démocratisation des procédures de « private
enforcement » par le biais de class actions tend à neutraliser la procédure de
clémence (Section 2). L’accès aux preuves par la procédure de discovery rend
difficile pour les entreprises ayant reçu l’immunité de s’assurer une réelle protection
(Section 3) Enfin, la procédure de transaction peut avoir un effet contre productif sur
le programme de clémence.

Section 1. L’incidence d’une action pénale sur le délateur


potentiel : la prise en compte du « risque prison »

La pénalisation du droit de la concurrence. Depuis la fin des années 90, la


stigmatisation (justifiée) des cartels par les autorités antitrust américaine a contribué à
l’avènement d’une requalification pénale des activités anticoncurrentielles. En effet, si
le Sherman act, dès 1890, sanctionnait la formation d’ententes secrètes à l an
d’emprisonnement, le cruel manque de jurisprudence (seulement 2 condamnations, en
70 ans88) ayant mené à l’application d’une telle sanction a fait de cette éventualité, un
cas d’école plus qu’une menace pour les dirigeants de cartels. Devenu par la suite une
branche à part entière de la criminal conspiracy, le droit américain des cartels a
évolué vers un renforcement des sanctions. Sur le Vieux continent, la Commission
européenne a quant à elle continué à propager l’idée que les ententes secrètes étaient
aussi de « véritable cancer de l’économie  » nécessitant la plus grande sévérité89. Si
l’idée d’une pénalisation de ces pratiques à une échelle européenne est souvent

88
Seul deux peine de prison on été prononcé en l’espace de 70 ans. L’une en 1921 dans
United States v Alexender & Reid Co. 280 fed. 924, 927 (S.D.N.Y) condamnant 4
personne à 10 mois de prisons et en 1959 Unted States v McDonough Co , 1960 Trade cases
(CCH) 69, 695.
89
M.Monti, Opening speech at the Third Nordic Competition policy Conference, discours du
11 sept 2000

31
revenue au cœur des débats, l’absence de compétence de la Commission dans ce
domaine est pour l’instant un obstacle difficilement surmontable. Il est ainsi du ressort
des Etats-Membres de définir l’étendue de leurs politiques pénales en la matière.

A. Le risque pénal collatéral

Le modèle Américain : renforcement des condamnations pénales. Depuis


l’avènement du Antitrust Criminal Penalty Enhancement and Reform Act 2004, les
sanctions pénales à destination des personnes physiques ont augmenté de 350 000$ à
1 Million et la peine de prison est passée de trois à dix ans. Ces dernières années, les
personnes physiques poursuivies par le DoJ ont statistiquement explosées. En effet,
durant l’année fiscale 2012, les cours américaines ont prononcé 45 peines de prisons
avec une condamnation moyenne de 2 ans pour tous défendeurs ayant pris part à un
cartel.90

Une telle évolution statistique a su exprimer une volonté forte des autorités
américaine de réprimer le délit économique avec la même vigueur que le délit de droit
commun. La répression pénale s’étend d’autre part aux cartels internationaux avec
l’aide des accords du « MLAT » (Mutual Legal Assistance Treaties) permettant
d’exiger l’extradition de ressortissants étrangers. Enfin depuis 2001, la Division
Antitrust dispose en outre de la possibilité de communiquer à Interpol les personnes
incriminées dans une « Notice rouge » afin d’obtenir leur arrestation à l’étranger pour
déclencher ensuite une procédure d’extradition devant les tribunaux américains. Entre

90
Departement of justice website «  Division update Spring 2013 »
https://www.justice.gov/atr/public-documents/division-update-spring-2013/criminal-program

32
2000 et 2005, sur les 80 personnes emprisonnées aux Etats-Unis pour violation des
règles de concurrence, 1891 s’avéraient être des dirigeants d’entreprises étrangères.92

Autres pays ayant recours à la sanction pénale. Le système américain n’est


aujourd’hui plus une exception. En avril 2007, l’Antitrust Modernization Commission
dénombrait déjà pas moins de 14 pays dans lesquels des sanctions pénales étaient
spécifiquement prévues pour ce type d’infraction93. C’est par exemple le cas du
Canada et du Brésil94 s’étant très largement inspirés du modèle américain. En Asie, la
sanction pénale est également appliquée en Corée du Sud, en Inde ou encore au
Japon95. L’Europe n’est pas en reste dans la matière, où notamment au Royaume-Uni,
l’Entreprise Act de 2002 a créé une infraction spécialement destinée aux personnes
physique ayant pris part à un cartel. Les peines prévues pouvant aller jusqu'à 5 ans
d’emprisonnement et 15 ans d’incompatibilité d’exercice professionnel, auxquelles
s’ajoutent des amendes d’un montant théoriquement illimité. 96 Enfin, en France, les
sanctions pénales ont vertu accessoire à l’article L.420-6 du Code de Commerce et
semble résister au flot de rapports parlementaires, à l’image du rapport Dati 97 ou
Coulon98, visant à dépénaliser le droit de la concurrence. Il n’en demeure pas moins
que les autorités de concurrence française semblent à ce jour peu enclin à la
transmission des dossiers au Parquet99. Une telle indulgence étant peut être due au fait
qu’il n’est pas évident pour les tribunaux de punir une personne physique pour un
délit dont c’est avant tout la société qui a principalement tiré bénéfice et dont les
profits indus seront in fine retirés. La raison d’une expansion si large des sanctions
pénales en Europe et dans le Monde semble liée à la croyance, que la menace d’une

91
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,
Revue internationale de droit économique 2010/2 (t.XXIV), p. 211-240.
DOI 10.3917/ride.242.0211
92
Canadien, japonais, francais, allemands, norvégiens, suédois, suisse.
93
Voir le Rapport de l’AMC et spec. Le chapitre : Criminal Remedies (avril 2007)
94
L. Vogeil «  Global competition law : a practicioner’s guide » Oxford University press
(2013)
95
Numéros de 2014 de la « Global Competition Review : Cartel regulation » p 16
96
Entrepreneur Act 2002 section 234b
97
Rapport Rachida Dati «  la dépénalisation du droit de la concurrence » 2007
98
Rapport Coulon sur «  La dépénalisation de la vie des affaires » 2008
99
C. Lemaire, La coordination entre les juges répressifs et le Conseil de la concurrence in
5ém journée Christian Gavalda, La sanction des pratiques concurrentielles par recours à
l’article L.420-6 du Code de commerce ; Université Paris 1 (novembre 2007)

33
sanction visant une personne physique est per se plus efficace que celle visant une
personne morale.100 Le risque d’une sanction pécuniaire individuelle et a fortiori d’une
peine de prison vise à encourager les personnes physiques à dénoncer celui-ci dès lors
que leur est offert un programme de clémence destiné.

La prise en considération du risque pénal. Dans l’équation complexe


amenant un individu à dénoncer une entente, il est nécessaire d’y identifier et
supprimer toutes les inconnues. En ce sens, l’exemption de peines résultant de la
dénonciation doit être certaine, ou ne pas être. En effet, les personnes physiques qui
composent l’entreprise et qui prennent la décision de coopérer, n’agiront que si elles
sont à l’abri de poursuites pénales ou s’il existe un moyen pour elles de ne pas être
poursuivies. Agissant à la fois comme un levier d’action mais aussi comme un frein
potentiel, le risque pénal est un élément essentiel dans le choix des dirigeants ou des
salariés de collaborer. Les expériences des différentes autorités de concurrence que
nous venons d’évoquer paraissent indiquer que le risque pénal n’est jamais pris à la
légère, même lorsqu’il est faible. Ainsi, celui-ci est selon un sondage fait par l’autorité
de la concurrence française en 2014, le second facteur dissuasif à l’enclenchement de
la procédure de clémence.101 Si la portée symbolique d’une condamnation pénale peut
sembler nécessaire elle peut aussi, in fine, diminuer l’efficacité du programme en
retenant son activation. La possibilité d’une auto-incrimination pour des faits si
sévèrement punis, nécessite la mise en place d’une articulation transparente entre
clémence et sanction pénale.

B. Une nécessité de coordination

La nécessaire articulation d’une sanction pénale et du programme de


clémence. Si le rapport entente < délation (profit tiré de l’entente > profit tiré de
la dénonciation) peut être inversé par le poids d’une sanction pénale, il convient

100
Wouter Wils, « Is Criminalisation of EU Competition Law the answere ? » (2005) World
Competition review n°17.
101
Rapport de l’Autorité de la concurrence « étude relative au programme de
clémence français » 15 avril 2014

34
d’assurer que la clémence du délateur est aussi certaines que la condamnation des
perdants à la clémence. Pour ce faire, un certain degré de sécurité juridique doit être
atteint par les différents programmes de clémence. Le modèle américain en la matière
est pour le moins, le plus évolué, dès lors qu’il offre un programme de clémence
uniquement destiné aux personnes physiques ayant pour finalité une immunité des
poursuites. Dans la même logique les autorités Britanniques offrent la garantie d’une
immunité pénale par le biais d’une « no action letter » permettant une protection
entière et complète, non seulement de la part de l’Office of Fair Trading, mais aussi
du Serious Fraud Office qui partage également une compétence de poursuite en
matière d’entente.102

En France, des mesures protectrices existent, bien qu’elles divergent


conceptuellement de l’approche anglo-saxonne. Ainsi, l’autorité française indique
dans son programme de clémence que «  la clémence est au nombre des motifs
légitimes qui justifient la non transmission au parquet d’un dossier dans lequel les
personnes physiques (…) seraient susceptibles de faire l’objet de telles
poursuites  »103. Cette apparente protection est cependant nuancée par le fait que
l’engagement lie l’autorité de la concurrence, mais ne lie en rien la DGCCRF. De
plus, les victimes d’un cartel peuvent également déposer une plainte avec constitution
de partie civile pour tenter d’obtenir la saisine du procureur.104 La vendetta pénale des
victimes d’un cartel a su montrer son efficacité lors de l’affaire de l’entente sur le
marché de la téléphonie mobile.105 Ainsi, en droit français, le risque pénal ne
s’estompe pas dès lors que la demande de clémence est enclenchée.

La nécessité d’une coordination globale des sanctions pénales et des


procédures de clémence. Dans le contexte d’internationalisation des pratiques
anticoncurrentielles et avec le développement des législations pénales en la matière, il
devient urgent d’articuler à l’échelle internationale les pratiques de clémence et de
sanctions. En effet, les exemples américains et britanniques visant à protéger les

102
La délivrance de « no action letters » donne lieu une étroite collaboration entre les deux
autorités.
103
Point 47 du programme de clémence du 17 avril 2007
104
C. Lemaire, la coordination entre les juges répressifs et le Conseil de la concurrence, préc.
105
CA Paris 12 dec. 2006, Bouygues Télécom,

35
personnes physiques des poursuites pénales sont pour le moins isolés. 106 Si dans
certains cas, les textes sont silencieux et les dénonciateurs potentiels ne peuvent avoir
aucune certitude quant aux conséquences pénales de leur coopération 107, d’autres
programmes prévoient qu’il est « tenu » aux autorités de transmettre l’affaire au
parquet. C’est par exemple le cas en droit allemand, ou le Bunderkartellamt108 sera
dans l’obligation de transmettre le dossier aux autorités de poursuites. Une protection
minimale existe cependant dans les rapports intracommunautaires puisque les
« informations de clémence » qui circule via le Réseau européen de la concurrence ne
peuvent, en principe, servir pour la condamnation de personnes physiques. 109 De plus,
la Commission a passé un accord avec les autorités britanniques pour s’assurer que
toutes les fois où la Commission accorde le bénéfice de l’immunité d’amende à une
entreprise, les membres de cette dernière ne seront pas poursuivis pénalement au
Royaume-Uni110. Il ne s’agit cependant que d’un premier degré de sauvegarde qu’il
convient de renforcer à l’échelle internationale. La mise en place d’une politique
communautaire en la matière restant pour le moment théorique au vu des compétences
limitées de la Commission en la matière, il convient de réfléchir aux possibles
solutions. L’adoption d’un programme de clémence à destination des personnes
physiques mettant en place un statut de « repenti » à l’échelle européenne, ou même
mondial, permettrait de rendre pérenne les politiques de clémence face au risque
pénale tout azimut des Etats.

Conclusion. Le développement des législations pénales d’une part et le


caractère diffus de leurs coordinations avec les programmes de clémence comportent
un certain nombre de difficultés, dès lors qu’il s’agit de déterminer s’il est profitable
ou non de dénoncer une entente. En effet, la peur justifiée d’une incrimination inutile
qui brisera l’entente, mais aussi condamnerait le délateur rend risqué l’activation du
106
L’Ireland le Canada et la Grèce possèdent également un systéme de « no action letters »
semblable au modèle britannique.
107
C’est par exemple le cas du droit hongrois ou slovaque, Voir JC Roda, « La clémence en
droit de la concurrence : étude comparative des systèmes américain et européens » p.436
Supra
108
Autorité de la concurrence allemande
109
Art 12 paragraphe 3 du règlement n°1/2003 «  relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévu aux article 81 er 82 du traité »
110
C. Lemaire, La coordination entre les juges repressifs et le Conseil de la concurrence, prèc

36
programme de clémence. Si certains Etats, à l’instar des Etats-Unis ou du Royaume-
Uni ont su percevoir l’importance d’une garantie de non-poursuites pénales, d’autres
pays restent muets ou pire encore, clairs sur leurs volontés de condamner le délateur.
Considérant que l’étendue des sanctions pénales semble à première vue revenir à la
souveraineté de chaque Etat, les divergences qu’engendrent ces différentes politiques
semblent ébranler la volonté des personnes physiques à dénoncer leurs actions.

Outre le risque pénal, s’est développée une vendetta d’actions privées à l’encontre des
membres des ententes démasquées. Si nul ne peut remettre en cause le droit d’un
consommateur lésé à demander réparation, il convient de mettre en balance ces
intérêts avec la protection des programmes de clémence et la recherche, in fine, de la
protection plus générale du marché.

Section 2 : Clémence et les deux faces de Janus : La conjugaison du


public enforcement et du private enforcement

Le droit à réparation du consommateur lésé. Il existe en droit, un


dénominateur commun à de nombreux systèmes juridiques démocratiques : l’idée
selon laquelle, un préjudice ayant engendré un dommage amène inexorablement à
réparation. Si la règle est claire, elle amène cependant un certain nombre de
questionnements concernant le traitement du préjudice frappant les consommateurs
d’un marché cartellisé. En effet, la consécration du droit à la réparation en matière
concurrentielle a été énoncée, par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans
111
l’arrêt Courge et par la Cour Suprême américaine dans l’arrêt Georgia112 afin
d’apporter un recours efficace aux consommateurs lésés. Cette opportunité consacre
d’une part une fonction compensatoire au préjudice subi, mais aussi une fonction
confiscatoire ou encore punitive dans certain système, à l’image des Etats-Unis 113. Il
s’agit ainsi de responsabiliser les opérateurs privés et d’en faire de véritables « agents
111
CJCE, 20 septembre 2001 Courage c/ Crehan Aff C-453/99
112
Georgia v Pennsylvania United States suprême court. R.R Co 324 US. 349 (1945)

37
de surveillance du marché, chargés de veiller à ce que les différents acteurs
respectent les règles »114. La Cour suprême a pu affirmer que l’intention du Congrès
en adoptant des lois antitrust, avait été de créer un groupe « d’attorney general 
privés »115 , auxiliaires des autorités publiques et chargés de faire appliquer les règles
de concurrence116.

A. Le modèle américain et l’abus de l’action privé

Les conséquences de l’inflation des requêtes en class actions. Si l’on étudie


la courbe des actions privées aux Etats-Unis dans le domaine des pratiques
anticoncurrentielles, l’on remarque un sursaut exponentiel des requêtes, des suites de
l’affaire du « cartel des vitamines  »117. En effet, en plus du retentissement médiatique
qu’elle a causé, l’affaire a donné lieu à une lourde condamnation civile d’une somme
globale de 1,7 milliard de dollars 118. C’est à travers le mécanisme de « class action »
que s’est exprimé l’action privée des consommateurs lésés du marché des vitamines.
Cette procédure permet ainsi aux consommateurs d’agir en groupe et donc de palier à
l’intérêt très limité d’agir individuellement en justice sur des montants de préjudice
aussi faibles. Le développement de cette pratique a permis d’une part un rééquilibrage
des rapports entre professionnels et consommateurs mais aussi de limiter les risques

113
LAITHIER, Yves-Marie, Droit comparé, Coll. "Cours Dalloz-Série Droit privé", Dalloz,
1ière éd., 2009, 241 p.
114
A. I . Gavil, W. E. Kovacic et J.B. Baker, « Antitrust Law in perspective » Harvard
University Press 2009 p. 1039.
115
« Procureur privé »*
116
Illinois Brick Co v Illinois, Supreme court of the United States, 431 US 720, 97S. CT
2061, 51 L. Ed 2d 707 (1977)
117
Harry First, « The vitamine cartel case prosecution and the comming of international
competition law », 68 ANTITRUST review 29, 31 (2001)
118
In re Vitamins Antitrust Class Action 1999-2 Trade cas (CHH) paragraphe 72,726 (DDC
1999)

38
financiers d’une action en justice pour les requérants, tout en assurant de juteux
profits aux avocats payés quota litis119.

L’attribution de dommages triples. Afin d’encourager l’accès à la


réparation, les tribunaux américains agissent de manière incitative envers les
requérants privés, leur attribuant des dédommagements souvent bien supérieurs au
préjudice subi. En effet, le droit américain à travers la section 14 du Clayton Act
autorise les victimes de pratiques anticoncurrentielles à réclamer aux auteurs de
l’infraction le versement de dommage et intérêts triples ou « treble damages »120. Les
conséquences financières d’une action privée étant d’autant plus lourde, que les
plaignants peuvent réclamer l’intégralité des dommages et intérêts triplés dus, à
chacun des défendeurs, en vertu de la règle dite de la « joint and severable
liability »121. La doctrine américaine est cependant traditionnellement divisée sur
l’utilité de l’incitation créée par une telle pratique. L’école de Chicago (en opposition
avec celle de Harvard) préconise une limitation ou une extinction de cette pratique qui
entrainerai une charge trop lourde sur le défendeur, pris de front par l’action publique
et à revers par l’action privée122. Un système si répressif pousse généralement les
sociétés poursuivies civilement à entreprendre une transaction (« settlement ») avec
les plaignants. Tout semble mis en œuvre pour faciliter la réparation et la punition du
préjudice économique causé par l’entente.

« Detrebeling » et réequilibrage du caractère incitatif du programme de


clémence américain. Il ne fait dès lors aucun doute que « l’épée de Damoclès »
qu’engendre le risque d’une action privée, entre en compte dans la décision d’un
membre d’un cartel à dénoncer l’entente 123. Ainsi pour préserver l’effet incitatif de
leur « Leniency programs », les autorités américaines ont fait voter le 23 juin 2004, le
Antitrust Criminal Penlaty Enhancement and Reform Act. Ce texte prévoit que le
titulaire de l’immunité ne sera « que » condamné au versement de dommages et

119
Pratiques interdite en France mais autorisé au Etats-Unis, visant à établir le paiement des
honoraires sur un pourcentage des dommages & intérêts attribués.
120
H. Hovenkamp, Federal Antitrust Policy – The law of Competition and its practice, West
group, 2ém ed 1999, p.592
121
City of Atlanta v Chattanooga Foundry & Piperworks ; 127 F. 23, 26 ( 6th Cir 1903)
122
F. H Esterbrook, « treble what ? » Antitrust L.J 1986, vol 55 p95. s
123
M. Delrahim, Current development at the Antitrust division », discours du 8 aout 2004.

39
intérêts simple (« detrebeling ») et ne sera pas soumis au joug d’une responsabilité in
solidum124. Cette « semi-clémence civil  »125 comme certains auteurs l’appellent, n’est
accordée qu’avec une coopération « satisfaisante » de l’entreprise quant à la
transmission de preuves visant à la condamnation civile des autres membres du cartel.
Le Penalty Enhancement and Reform Act permet ainsi de réduire le coût de la
dénonciation et ainsi de rendre le programme de clémence toujours attractif. L’on
dénote cependant deux failles majeures à cette disposition :
D’une part le champ d’action du detrebeling reste limité aux cartellistes qui
sollicitent la demande de clémence auprès de la Division Antitrust. Une entente ayant
des effets aux Etats-Unis, protégée par la clémence européenne sera frappée d’actions
civiles triples. D’autre part, les standards de coopération permettant le « detrebeling »,
comme celui d’une « coopération satisfaisante » reste d’une imprécision dangereuse
pour les délateurs potentiels. Rien ne sert de préciser que ce sont autant de failles qui
limitent la volonté potentielle du délateur à demander l’absolution aux autorités de
concurrences.

B. L’action privée en Europe

Un « private enforcement » limité en Europe. Si au sein de l’Union, la


Commission met en œuvre les règles européennes de concurrence, elle n’a pas en
revanche le pouvoir d’entreprendre des actions en réparations et les particuliers n’ont
pas la possibilité de demander une indemnité à cet échelon. En effet, il appartient à
chaque Etat-Membre de désigner laquelle de ses juridictions va pouvoir intervenir
pour tirer conséquences civiles des règles de droit antitrust. A titre d’exemple, en
France, les juridictions compétentes sont de l’ordre judiciaire et en première instance
les tribunaux de commerce.126 Les actions privées restent cependant pour le moins
marginales en Europe avec seulement 10% des actions étant de natures civil contre
90% aux Etats-Unis.127 Ce phénomène s’explique en partie par l’absence de réels
mécanismes de class actions dans la plus part des pays de l’Union ainsi que la

124
Non soumis à la règle de la joint and several liability 
125
Expression de S. Yon
126
CA Paris, pôle 5, ch. 4, 24 juin 2015, Région Île-de-France, RG n° 14/01570
127
C.A. Jones «  Private Enforcement of Antitrust law in the EU, UK and USA, op cit p. 153

40
difficulté d’accès aux preuves, facilitée aux Etats-Unis par le mécanisme de
discovery que nous traiterons ci-après. À ces difficultés, s’ajoute le caractère
particulièrement difficile de l’évaluation du dommage. Dès lors que de nombreux
droits font peser la charge de la preuve sur le demandeur, à l’image de la France, les
preuves d’entente occultes ainsi que l’évaluation exacte d’un préjudice qui en découle
relève parfois de l’impossible. Si les plaignants ont parfois gain de cause, le montant
des dommages accordés sont souvent bien loin d’une réparation intégrale du
préjudice.

Il existe cependant une réelle volonté de renforcer l’action privée en droit de la


concurrence au sein de l’Union. A titre d’exemple, Le live vert de 2005, le livre blanc
de 2008 ainsi que la proposition de directive de 2013 adoptée le 17 avril 2014 128
exposent ainsi les intérêts pratiques du renforcement des sanctions civiles en droit de
la concurrence. Cette dernière directive expose la nécessité pour les Etats-Membre de
disposer de recours collectifs qui permettraient d’une part, une action en cessation
ayant pour objectif de faire cesser les violations des articles 101 et 102 du TFUE et
d’autre part une action en réparation permettant de réclamer des dommages et intérêts
afférents au préjudice. Les Etats-Membres doivent ainsi veiller à ce que la procédure
d’action collective soit objective, rapide et équitable dans le respect des garanties
procédurales.129

Conclusion. L’équilibre fragile existant entre la possibilité pour un


consommateur lésé de voir son préjudice réparé et la protection du programme de
clémence ne semble pour le moment avoir été trouvé ni aux Etats-Unis ni au sein de
l’Union. Si d’une part la pratique du dommage triples appliquée aux Etats-Unis et
l’abus des class action en la matière, rendent difficiles la protection effective du
délateur, l’Union Européenne à l’inverse ne semble elle pas garantir un recours privé
efficace et nécessaire contre les membres d’une entente. Dans le dur jeu d’équilibriste

128
Directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les
actions de dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit
de la concurrence des Etats Membres et de l’Union Européenne (17 avril 2014)
129
Commission Européenne, Communiqué de Presse : « La Commission recommande aux
Etats membres de se doter de mécanismes de recours collectif pour garantir à leurs
justiciables un accès effectif à la justice », Commission Européenne - IP/13/524 11/06/2013.

41
qu’est le partage des intérêts privés et de l’ordre public économique, nul n’a su
trouver un point stable où se fixer.

Section 3 : Problématiques de confidentialité et risques liés à la


procédure de discovery

Preuves & préjudices. Dans l’équation complexe amenant les juridictions à


attribuer ou non réparation aux consommateurs lésés, les problématiques de preuves
sont bien souvent au cœur des débats. Notre étude se concentrera cependant sur
l’acquisition et l’utilisation de preuves issues de la requête de clémence. Comme
étudié précédemment, les programmes de clémence ont pour objectif premier,
d’apporter des « éléments de preuve » sur l’entente permettant une condamnation
efficace des autres membres du cartel. Ce seront donc successivement plusieurs
contre-rendus de réunion, voir plusieurs déclarations écrites qui seront remis par
l’entreprise réclamant la clémence, sans compter ses réponses aux demandes
d’informations qui lui seront adressées par les autorités130. Ces éléments sont bien
entendu, une mine d’informations utiles pour les victimes d’un cartel agissant en
réparation. En effet, il n’existe aucune raison valable pour les requérants de ne pas
poursuivre les dénonciateurs, tant les critères retenus pour agir contre une entreprise
sont souvent liés à la solvabilité de l’entreprise plutôt qu’à son rôle dans le cartel.

Confidentialité mère de toutes protections. Se pose alors la question des


confidentialités des informations fournies. Il se distingue ainsi deux approches des
deux cotés de l’Atlantique. En premier lieu, l’octroi de l’immunité des poursuites en
droit antitrust américain ne fait l’objet d’aucune publicité. A l’opposé, les
programmes de clémence communautaire et français déclarent l’identité de la société
ayant reçu l’immunité d’amende. La Division Antitrust se garde ainsi de produire
toute décision officielle de clémence, permettant aux personnes dénoncées

130
Nathalie Jalabert-Doury, Oral statements in antitrust law procedure, 15 March 2005,
Concurrences Review N° 2-2005, Art. N° 13051, pp. 41-47

42
de préserver, en théorie, leur identité de toutes représailles judiciaires à leur encontre.
Ce « secret de Polichinelle »  n’est cependant pas gardé longtemps par les cartellistes
condamnés, parvenant souvent par recoupement à déceler l’identité de « la taupe »131.
Ces informations sont ainsi d’une importance particulière, dès lors que ces éléments
peuvent être à l’origine d’une condamnation civile dans le pays d’origine, mais aussi
l’ouverture de nouvelle enquêtes dans d’autre Etats. Les demandeurs potentiels de
clémence peuvent se voir dissuadés de coopérer si les garanties en termes de
confidentialité ne sont pas protégées. En somme, les autorités américaines, soucieuses
de l’attractivité de leur programme de clémence, ne donnent en principe jamais
aucune information de clémence aux victimes des ententes. L’utilitarisme américain a
une fois de plus raison des considérations d’ordre morale lié à la réparation du
préjudice. Cette protection des informations ne reste cependant pas sans limites

A. Le discovery américain, un frein à la clémence.

La procédure du discovery comme limite de la confidentialité du DoJ.


Malgré l’intérêt souverain qu’induit la préservation de la confidentialité des
informations de clémence, le droit positif américain continue de créer une incertitude
juridique quant à la capacité des autorités de protéger de tels documents. En effet,
l’article 26 des règles de procédure civile fédérales 132 permet aux plaignants dans une
affaire d’antitrust d’obtenir du défendeur, tous les documents qu’il a « en sa
possession, sous sa garde ou son contrôle ». Les plaignants peuvent ainsi demander à
un juge fédéral américain que celui-ci ordonne à la partie adverse la divulgation
(discovery) de documents utiles à leur cause133. Cette demande a valeur contraignante
dès lors qu’un refus de la part d’une entreprise de fournir les informations demandées
131
J. C Roda Partie I – Titre II – Chapitre II, paragraphe 3 «  La confidentialité vis à vis des
cartelistes » p. 263 supra.
132
Rule 26 (B) of the Federal Rule sof Civil procedure. « (…) a party must (…) provide to
other parties (…) any copy of, or a description by category and location of, all documents,
data compilation, and tangible things that are in possession, custody or control of the party
and that the disclosing party may use to support its claims or defenses, unless soly for
impeachment »
133
Cette possibilité est d’autre part corroborée par les droits ouvert par le Freedom of
Information Act ( FOIA, 5 USC para 552) concernant les documents confidentiels fédéraux.

43
sous la procédure de discovery s’expose à des condamnations pénales134. Ainsi à
l’instant où le plaignant apprend l’existence de documents sensibles en possession du
défendeur d’une entente ayant des effets aux Etats-Unis, ce dernier fait l’objet d’une
demande de « discovery ».

L’élargissement du champ d’action de la discovery par l’arrêt Intel de la


Cour suprême. Si l’on croyait la procédure de discovery limitée aux frontières
américaines, la Cour Suprême des Etats-Unis dans l’arrêt Intel v AMD135 du 21 juin
2004 a interprété de manière particulièrement large la lettre de l’article 1782 du titre
28 de l’United States Code. Cette article vise la possibilité pour les juridictions
fédérales d’ordonner à une partie située dans son ressort «  de donner son témoignage
ou sa déclaration ou de produire un document ou une autre pièce pour usage dans
une procédure devant un tribunal étranger ou international, y compris dans les
enquêtes criminelles induites devant une accusation formelle. ». La question posée à
la Cour Suprême était dès lors de savoir si l’article 1782 du U. S.C. autorisait une
partie privée à bénéficier de l’assistance d’une juridiction fédérale pour obtenir la
divulgation de documents détenus par une entreprise américaine pour un litige se
déroulant devant un tribunal étranger. Devant les enjeux de l’affaire, la Commission
a fait part d’un mémoire en tant qu’amicus curiae136 mettant en évidence les risques
d’une utilisation incontrôlée et extensive de la procédure de discovery par les
plaignants situés en Europe.

Sans grande considération de l’avis de la Commission, la Cour Suprême, sous l’avis


majoritaire de Justice Ginsburg, a tranché sur l’interprétation extensive de l’article
1782. L’organe judiciaire suprême du système américain autorise ainsi à un plaignant
devant la Commission de demander l’assistance des juges américains pour obtenir une
demande de « discovery » à l’encontre d’une société américaine. Ayant estimé que la
Commission était un « tribunal » au sens du texte visé et que les « personnes
intéressées » n’excluaient en rien un citoyen européen, la demande de discovery
pouvait fonctionner contre une entreprise américaine devant la Commission. Les
134
Délit d’offense aux magistrats « compt of Court »
135
Intel v AMD US Supreme Court 124 ST CT 2466 (2004)
136
Dans le langage juridique américain, un amicus curiae est une personnalité ou un
organisme, non directement lié aux protagonistes d'une affaire judiciaire, qui propose au
tribunal de lui présenter des informations ou des opinions pouvant l'aider à trancher l'affaire.

44
juridictions de première instance et d’appels américaines ont depuis eu l’occasion
d’aider à la fourniture de documents via la procédure de discovery dans des affaires
d’entente concernant des sociétés américaines en procès à l’étranger.137

Si les paroles s’envolent, les écrits restent : la parade du « paperless »


face aux problématiques de discovery. Dès lors que la procédure de discovery
prenait une ampleur mondiale, les autorités américaines et européennes, dans un souci
de protéger leur programme de clémence, ont développé une manière astucieuse de
rendre la pratique inefficace. Permettant que les confessions se fassent de manière
orale et limitant ainsi les échanges de documents, la procédure de discovery se voit
désarmée face à des déclarations dite « parperless ».138 Ainsi, les dirigeants impliqués
se contentent généralement de procéder aux enregistrements sonores servant en toute
hypothèse rarement de preuve per se, mais plutôt de moyens d’investigation. 139 Cette
procédure a en parallèle était développée par de nombreuse autorités nationales de
concurrence (ANC) à l’image de la France. Les dénonciateurs n’entrent donc pas
matériellement « en possession » des déclarations et ainsi ne peuvent faire l’objet du
champ juridique afférent à l’article 26 du Code de procédure civil américain.
La technique du paperless n’en demeure pas moins faillible, dès lors que la plupart
des ANC prévoient que la déclaration du demandeur fasse l’objet d’un procès verbal
qui doit être signé et envoyé par le délateur comme c’est le cas en France 140. Or de
telles pièces peuvent faire l’objet de discovery selon l’American Bar Association.
Ainsi, en Europe, les procédures ne sont jamais complètement dématérialisées.

« Over enforcement » et forum shopping. Le droit américain ne prévoyant


pas d’exclusivité en matière de voies de recours, le private enforcement peut
s’accompagner, dans une stratégie de forum-shopping et de law shopping, de la
saisine simultanée de plusieurs types d’autorités et de tribunaux à l’étranger, au
niveau fédéral comme fédérés et mobiliser parallèlement toutes les ressources du droit
137
Voir United States v. Chung Cheng Yeh CR 10-00231 WHA, 2013 WL 2146572 (N.D.
Cal. May 15, 2013) ou Vichi v. Koninklijke Philips Electronics, N.V. 85 A.3d 725 (2014).
138
D.C Klawiter, « Corporate Leniency in the Age of International Cartel : the american
experience » Antitrust, summer 2000 p.15
139
Free Gordon Geko - United State Civile Procedure Code section 233 paraphe 3.
140
Conseil de la concurrence, Rapport de 2005, préc, p.170

45
antitrust américain.141 Un concurrent cherchant indemnisation peut ainsi jouer sur
l’ensemble des tableaux, simultanément ou séquentiellement, pour exercer une
pression à la fois sur le défendeur (pousser à une transaction « salée ») mais aussi sur
les juridictions a priori les moins favorables, en obtenant préalablement gain de cause
devant des juridictions dont les standards de preuves sont moins exigeants.

Mécanisme de courtoisie international, un début de solution ? Au vu des


circonstances, la solution ne se situe non dans l’élaboration de nouvelles règles au
niveau Européen, mais plutôt d’une meilleure prise en compte par les juridictions
américaines des principes de courtoisie internationale. 142 En effet, l’approche
américaine tend à se rapprocher d’une application extraterritoriale des règles de
concurrence, aussi appelées « effect doctrine »143 ne laisse pas beaucoup de place aux
règles de courtoisie internationale. C’est pourtant ce même mécanisme qui permettrait
une meilleure organisation systémique des procédures à l’échelle mondiale.

B. L’approche européenne du traitement des documents de clémence

L’accès aux preuves incriminant les délateurs en Europe. Au nom du


principe d’autonomie procédurale des Etats-Membres, la Cour de Justice renvoie aux
législations et juridictions nationales la question épineuse du droit d’accès aux
documents de clémence.144 C’est sans surprise que la Cour dans l’arrêt Pfleiderer c/
Bundeskartellamt145 énonce qu’en l’absence de règlement contraignant de l’Union en
la matière, c’est au juridiction nationale qu’ils appartient de mettre en balance le droit
à réparation des consommateurs lésés, avec la nécessité de préserver la clémence. En
effet, la Cour de justice s’est vue poser la question de savoir si «  les dispositions du
droit de l’Union en matière d’ententes, en particulier les articles 11 et 12 du
règlement n° 1/2003, prévoyant les grandes règles de coopération et d’échanges
141
Antoine Masson, Hugues Boutinon-Dumas « stratégie d’instrumentalisation juridique et
concurrence » (2015) , édition Larcier Droit, management et stratégie (livre)
142
M. Lowe Directeur général Concurrence, submission by the DG for competition of the
European commission, 6 avril 2006.
143
United States v Aluminium Co of america 148 F 2d 416 (2n Cir 1945)
144
E. Barbier de la Serre & S. Quiles  « conjugaison du private enforcement et des
programmes de clémence : « Que le législateur de l’Union tranche. » Revue Lamy
concurrence Octobre-Décembre 2014 n°29 p.59
145
CJUE, 14 juin 2011, aff. C-360/09,

46
d’informations entre les membres du réseau européen de concurrence, doivent être
interprétés en ce sens que les consommateurs lésés par une entente, se voient
octroyer l’accès aux demandes de clémence. »146 Dans ses conclusions, l’avocat
général Mazak défendait une vision utilitariste du programme de clémence sans pour
autant prendre une position claire. Il déclarât « qu’afin de protéger les intérêts tant
publics que privés, il convient de préserver autant que possible le caractère attractif
des programmes de clémence des autorités nationales sans restreindre indûment le
droit d’accès des parties civiles aux informations et en définitif à leur recours
effectif »147 Celui-ci proposait ainsi l’alternative suivante : distinguer d’une part les
documents auto-incriminants volontairement communiqués par le candidat à la
clémence et dont le refus d’accès est justifié et d’autre part les autres documents
préexistants présentés par le candidats pouvant aider les parties lésées à établir un
dommage.148

La Cour ne retiendra cependant pas cette distinction. Elle se contente de juger


« utile » l’outil de clémence dans la lutes contre les ententes excluant ainsi un
caractère indispensable de ce mécanisme à la protection du marché. Toutefois, et c’est
le nœud du problème, l’effectivité du droit de la concurrence est également promue
par le droit qu’a toute personne à demander réparation pour le dommage né d’une
violation des règles de concurrence comme énoncé dans l’arrêt Courage. En pratique
cette balance ressemble à un périlleux exercice d’équilibriste et ce sont les
circonstances d’espèce qui doivent guider la juridiction dans leur décision. Cette
réponse qui n’en est en fait pas une, n’apporte en pratique aucune certitude aux
entreprises candidates à la clémence d’une entente ayant des effets sur marché
commun.

Les apports de la directive sur l’action privée. La proposition de directive


sur l’action privée149 apporte enfin des précisions supplémentaires à la décision

146
CJUE 14 juin 2011 supra
147
Conclusion de l’avocat général Mazak lors de l’affaire Pfleiderer c/ Bundeskartellamt
point.42
148
Conclusion de l’avocat général Mazak lors de l’affaire Pfleiderer c/ Bundeskartellamt
point 45 à 47.
149
COMMISSION UE, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur
certaines règles gouvernant les actions en réparation sur le fondement du droit national pour

47
Pfleiderer au sein de son article 6 intitulé : « les limites à la divulgation de preuves
provenant du dossier d’une autorités de la concurrence ». Cet article protège ainsi les
déclarations d’entreprises effectuées en vue d’obtenir la clémence150 et les
propositions de transaction151. En dehors de ses catégories, la divulgation peut être
ordonnée à tout moment. Ainsi, les preuves obtenues par la clémence grâce à l’accès
au dossier de l’autorité de la concurrence dans l’exercice des droits à la défense en
vertu de l’article 27 du règlement 1/2003 ne sont pas recevables dans le cadre d’une
action en dommage et intérêts. Une vrai prise de position est ainsi entretenue par les
institutions européenne, mettant les considérations d’ordre public économique qu’est
le maintien du programme de clémence, au dessus du principe de réparation intégrale
du préjudice.

L’exemple français. A titre d’exemple, il existe en droit français, deux


catégories de restriction à la transmission de documents de clémence. Le secret de
l’instruction152 constitue un premier obstacle à la divulgation du dossier de l’autorité
de la concurrence. L’arrêt Semaven de la Cour de Cassation a affirmé que la seule
exception à ce principe est permise quand la divulgation est « nécessaire » à l’exercice
des droits à la défense153. Une seconde restriction réside en l’article L.462-3 alinéa 2
du Code de Commerce qui dispose que «  l’Autorité de la concurrence peut
transmettre tout élément qu’elle détient concernant les pratiques anticoncurrentielles
concernées à l’exception des pièces élaborées ou recueillies au titre de la clémence, à
toute juridiction qui la consulte ou lui demande de produire des pièces qui ne sont
pas déjà à disposition d’une partie de l’instance. » L’on dénote ainsi une certaine
réticence des autorités de concurrences à transmettre les documents de clémence qu’il
est nécessaire de saluer. Cette volonté semble issue d’un mouvement commun à toute
l’Europe, guidée par la directive de 2013 de protéger les documents de clémence dans
le but, in fine, de protéger le mécanisme de clémence.

les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union
européenne, Strasbourg , 11 juin
150
Ibid 6.6 a)
151
Ibid 6.6 b)
152
Aricle L. 463-6 du Code de commerce
153
Cass Com 19 janvier 2010 Obs E.B.S, RCL 2010/23

48
L’Esquisse d’une solution. Face à ces problèmes, certaines pistes de
réflexions s’offrent à nous. Certains auteurs, à l’image de Louis Vogel154, pensent
qu’il est nécessaire de limiter les dommages et intérêts en fonction de la sanction
administrative accordé. Cette pondération permettrait ainsi un équilibre des sanctions.
D’autre part, définir un ensemble de cas dans lesquels l’accès au dossier devrait être
facilité, par exemple lorsque la procédure de concurrence ne fait pas suite à une
demande de clémence ou lorsque celle-ci est rejetée. Ainsi, il serait nécessaire de
distinguer une protection absolue des documents de clémence du titulaire du
l’immunité et une protection relative, si ce n’est inexistante des seconds à la
clémence.

Conclusion. Dans la recherche de preuves visant à la condamnation d’un


cartel, les requérants des différents pays ne sont pas sur un pied d’égalité. Si la
pratique du discovery ouvre un recours efficace visant l’accès aux documents de
clémence devant les juridictions américaine, l’absence d’une telle procédure en
Europe rend difficile cette demande. La Commission européenne semble ainsi encline
à limiter les condamnations des entreprises ayant participées à la clémence en usant
de directives pour limiter la capacité d’accès à ces documents mais aussi en
dématérialisant les preuves sous forme orale pour échapper à une procédure de
discovery. Les institutions européennes restent cependant prudentes en la matière et
n’imposent pas explicitement une protection de ses informations, laissant droit aux
choix des Etats Membres de légiférer en la matière. Il ressort ainsi des pratiques des
deux modèles Européen et Américain, un déséquilibre entre les actions privées et la
protection du programme de clémence. Une vision macro-juridique, c’est à dire visant
un objectif de protection du consommateur sur le long terme, semble cependant
pencher en faveur d’une protection du programme de clémence et ainsi une limitation
de l’action privée à l’encontre des délateurs.

154
L. Vogel. L’accès au dossier des victimes de pratiques anti-concurrentielles : Le point de
vue des entreprises et de leurs représentants October 2014, Concurrences Review N° 4-2014,
Art. N° 69497, pp. 54-74

49
Section 4 : L’ombre de la procédure de transaction sur les
mécanismes de clémence.

Les procédures dites  « alternatives » à la sanction. Le droit de la


concurrence, bien qu’étant traditionnellement un droit répressif, a su développer des
procédures dites « alternatives ou complémentaires155 » à la sanction. Celles-ci ont vu
le jour d’une part, parce que le poids des sanctions encourues incite les entreprises à
se rapprocher des autorités et d’autre part parce qu’elle complète utilement l’arsenal
répressif. Il va de soit que si le programme de clémence forme la clef de voûte de ces
procédures alternatives, il en existe en parallèle d’autres. En effet, la procédure de non
contestation de grief, récemment renommée « procédure de transaction », la
transaction européenne (ou américaine) ainsi que la procédure d’engagement sont les
3 autres formes de procédure complémentaire. Nous nous concentrerons cependant
sur la procédure de transaction et son rôle face à la procédure de clémence. Il convient
à titre indicatif de rappeler que la procédure d’engagement 156, dont on se cantonnera à
la définition, consiste pour une autorité à renoncer à poursuivre une entreprise à
laquelle des préoccupations de concurrence ont été adressées, si celle-ci accepte de
prendre des engagements de nature à y porter remède 157. Celle-ci s’exclue du champ
de notre recherche dès lors que les entreprises ayant pris part à une entente ne sont pas
éligibles à cette procédure.

A. Etat des lieux du mécanisme de transaction

Les procédures de transactions en France et en Europe. La procédure de


non-contestation de griefs, devenue procédure de transaction 158 depuis la loi
159
« Macron » du 6 aout 2015 est une spécificité française. Elle consiste à accorder

155
Conseil de la concurrence, Rapport d’activité pour 2005, Étude thématique. V. aussi E.
David, L’incidence des procédures “alternatives” sur l’établissement des pratiques
anticoncurrentielles devant l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne,
Concurrences no 1-2011, Art. no 33858, p. 67.
156
Commitments en anglais
157
Emmanuelle Claudel I Procédures négociées, accessoires ou alternatives à la sanction en
droit de la concurrence: Raison garder ! Concurrences N° 4-2015 I Article I
158
(art L464-2 III du Code de Commerce)
159
Elle a été introduite par la loi NRE et est régie par l’article L. 464-2 III du code de

50
une « récompense » à une entreprise qui accepte de renoncer à contester les griefs
articulés contre elle. Cette procédure vise à faciliter la condamnation des membres de
l’entente et ainsi générer une économie substantielle pour les autorités de poursuites
ainsi qu’un important gain de temps. Cette procédure est mobilisable quelque soit la
pratique anticoncurrentielle en cause. Parmi les engagements pris, figure la mise en
place du programme dit de « conformité » « par lesquels les entreprise ou des
organismes expriment leur attachement à certaines règles ainsi qu’aux valeurs et aux
objectifs qui les fondent et prenne un ensemble d’initiatives concrètes destiné à
développer une culture du respect des normes. »160. Cependant, bien que cette
procédure ait emprunté l’appellation européenne de transaction, elle n’en a pas repris
les fondements, tant elle se rapproche en pratique de la procédure de non contestation
des griefs qu’elle remplace.
La procédure de transaction européenne quant à elle a été introduite en 2008 161. Elle
consiste à accorder une réduction de 10% de la sanction normalement encourue à
l’entreprise qui, entre autres conditions, reconnaît expressément sa culpabilité dans le
cartel. Ainsi, «  la perte d’utilité répressive (limité à 10% du montant de l’amende)
est compensée par un gain d’utilité administrative. »162 En effet, d’importantes
économies sont faites sur les couts de traduction, d’accès au dossier, d’audition et un
sur bien d’autres freins administratifs et contentieux couteux. L’affaire des détergents
domestiques de 2012 en constitue une bonne illustration. Il n’a fallu à la Commission
que 10 mois entre la première réunion tenue en vue de parvenir à une transaction et
l’adoption d’une décision infligeant une amende de 315 millions d’euros. Une
procédure classique aurait pris 3 fois plus de temps. Ces réussites ont mené à un
accroissement du nombre de procédures de transaction devant la Commission, qui
complètent généralement les demandes de clémence.

commerce. Elle a fait l’objet d’un communiqué de procédure en date du 10 février 2012. Sur
cette procédure, v. F. Zivy, La procédure de non-contestation des griefs en droit français de la
concurrence : chronique d’un retour en force, Revue Juridique de l’économie publique, mars
2008, étude 3 ;
160
Pt 8 du document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles
de concurrence.
161
Règlement (CE) no 622/2008 du 30 juin 2008, JO no L. 171 du 1er juillet 2008 et
Communication de la Commission relative aux procédures de transaction (…), JO no C. 167
du 2/07/2008
162
V. D. M. B. Gérard, Les procédures négociées en droit de la concurrence in
La flexibilité des sanctions, XXIes journées juridiques Jean Dabin, Bruylant
2013, pp. 559-579, spéc. p. 573.

51
Sur l’année 2014 et devant la Commission, le graphique 1 exprime le lien entre la
procédure de transaction et les demandes de clémence.

La procédure de transaction américaine. En droit américain, les


procédures de transactions font parties du paysage juridique depuis le 18 ème siècle.163
La procédure est employée de la manière suivante par la Division Antitrust : une fois
que l’infraction a été détectée, les entreprises ou individus sont généralement invités à
« plaider coupable » (Guilty plea)164. Deux types d’accord sont généralement
négociés. D’un premier cas, la Division antitrust accepte de ne pas retenir certaines
charges contre l’accusé si celui-ci plaide coupable pour le reste des charges
retenues165. Dans un second cas, la Division Antitrust requiert une peine plus douce en
échange d’un plaidoyer de culpabilité, mais les juridictions chargées de prononcer la
peine ne sont pas juridiquement liées par les recommandations de l’autorité. 166 Le
taux de réduction d’amende apporté par une procédure de « settlement » n’est pas fixé
de manière précise par les autorités. Cependant, au stade de la négociation de
transaction le DoJ possède généralement suffisamment d’éléments pour faire
condamner chaque membre du cartel lors d’un procès et donc n’a aucun intérêt à
accorder des taux de réduction d’amende trop élevés (5-10% en moyenne).

163
A.W Alschuler, Plea Bargaining and its history , Colum L. Rev, 1979, vol 79 p1
164
Voir les Antitrust division’s plea agreement guidelines, in Antitrust Grand Jury Practice
Manual (1991)
165
Accord dit de type « A »
166
Accord dit de type « B » qui sont le plus fréquemment employés.

52
B. Conjugaison du mécanisme de transaction et de l’outil de clémence

Procédure de transaction : rivale ou complément de la procédure de


clémence ? La question d’une faille systémique entre la procédure de transaction et le
mécanisme de clémence amène une réponse différente dès lors qu’on se place à
l’échelle européenne, américaine ou des Etats-Membres. Comme nous l’avons vu
précédemment, la procédure de transaction est limitée à une réduction d’amende de
10% de la sanction encourue aux Etats-Unis comme dans l’Union Européenne. Cette
réduction agit comme un complément utile à la fois aux Etats-Unis, où les perdants à
la clémence n’ont pas d’autre possibilité de réduction d’amende que celle-ci, et dans
l’Union, où la réduction de 10% s’additionne avec la réduction offerte par la clémence
sans en retirer son intérêt. Le graphique ci-dessus exprime en effet parfaitement le
rapport complémentaire des deux procédures en Europe. Cependant, à l’échelle des
Etats-Membre et notamment de la France, la procédure de transaction peut dans
certain cas agir comme une ombre à la clémence.

Les difficultés d’adaptation systémiques entre clémence et transaction en


France. Une décision de l’autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 relatives
concernant le secteur de la signalisation routière verticale 167 démontre l’influence des
procédures de transactions sur le choix d’une entreprise à agir en clémence. En
l’espèce, parmi les 11 sociétés mise en cause, six ont bénéficié de la protestation de
non-contestation des griefs prévue par l’article L464-2 III Code de commerce. Le
fait marquant de cette affaire est le caractère substantiel des réductions d’amende
obtenue par les entreprises. En effet, le rapporteur général ayant proposé une
réduction comprise entre 15 et 25%, l’Autorité a prononcé des réductions comprises
entre 20 et 25%168. L’importance de ces réductions rappelle inévitablement les taux
offert par une clémence de 3ème et 4ème rang en France. Ainsi il est important de

167
Aut. conc., déc. n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre
dans le secteur de la signalisation routière verticale
168
Christophe Lemaire, Michaël Cousin, Non-contest procedure – Leniency: The French
Competition Authority accepts to apply the non-contest procedure and the leniency
programme outside their formal scope of application (Road signs cartel), January 2011,
Concurrences Review N° 1-2011, Art. N° 34338, pp. 201-203

53
souligner que la clémence et la non-contestation des griefs s’apparentent chacune à un
stade procédural différent et donc une logique propre. 169 En ce sens, il convient de
traiter différemment une demande de clémence dont la logique est d’enclencher la
condamnation du cartel, avec la demande de transaction permettant d’accélérer la
condamnation de celui-ci. La nuance se trouve ici dans le fait que si la clémence est
nécessaire pour débusquer et condamner un cartel, la transaction quant à elle ne
permet que de gagner du temps en matière contentieuse dans une condamnation qui
s’avère cependant inévitable.

Lors de l’affaire des produits sidérurgiques170, la Cour d’Appel de Paris a confirmé la


possibilité pour une entreprise d’accéder à des taux de réductions d’amende de l’ordre
de 20% par le biais de la procédure de transaction. Il existe ainsi un risque que cette
procédure devienne plus attractive qu’une demande de clémence de 3 et 4 ème rang. Il
en résulte que peuvent être traitées de la même manière, une entreprise qui plaide
coupable à son seul bénéfice et une entreprise qui par le biais des informations
apportées par la clémence, même de 3ème et 4ème rang, permet la condamnation
efficace d’autres membres du cartel.

Conclusion. La procédure de transaction, au titre d’une procédure alternative


de sanction, peut s’avérer avoir un effet négatif sur le programme de clémence, dès
lors qu’elle offre une réduction de sanction trop élevée ; celle-ci ayant pour effet de
faire perdre l’attractivité de la clémence de 3ème et 4ème rang. La France, au même titre
qu’un certain nombre d’Etat-Membre de l’UE tel que l’Angleterre 171 voit leur
programme de clémence parfois négligé au profit de la procédure de transaction.
Cependant, les deux procédures, si elles partagent leur finalité, n’ont pas la même
utilité. Si la procédure de transaction permet de faciliter la condamnation d’une seule
entreprise par son utilisation, le programme de clémence permet de réunir des
preuves visant à la condamnation de tous les membres de l’entente. Fort de ce
constat, les autorités de l’Union Européenne au même titre que le Departement of
Justice américain ont su limiter la réduction d’amende accordée par la transaction afin

169
Ibid
170
CA Paris, 19 janv. 2010, Concurrences, n° 2-2010, p. 131
171
Section 14 of the CMA Guideline : existence d’une procédure de transaction accordant
jusqu'à 20% de réduction d’amende

54
d’une part qu’elle reste attractive pour les entreprises, mais qu’elle ne se suffise pas à
elle même.

Transition. Lors de nos recherches, nous avons émis pour hypothèse que
l’efficacité du programme de clémence était intrinsèquement liée à l’articulation du
système dont il est la constituante. Nos recherches ont eu pour objectif de déceler les
failles d’articulation avec d’autres procédures ayant pour effet de désamorcer la
volonté des acteurs potentiels à faire une demande de clémence. Dès lors, il convient
de se demander comment s’inscrit le programme de clémence, non plus dans un
système fermé et uniquement sous un angle processuel, mais au sein d’une économie
globalisée.

CHAPITRE 2.
L’efficacité du programme de clémence face à la
globalisation du marché

Dans une économie globalisée, il est certain que la définition du marché


pertinent n’est plus limitée aux frontières d’un seul pays. En ce sens, les pratiques
anticoncurrentielles évoluent dans l’ombre de l’évolution des pratiques économiques.
Il convient ainsi de se questionner sur l’articulation des procédures de clémence dans
les rapports intra-européens (Section 1) ainsi que extra-européens (Section 2) mais
aussi sur l’extraterritorialité des poursuites en matière de concurrence (Section 3)

Section 1. Le défaut d’articulation des procédures de clémence dans


les rapports intra-européens

55
Entente et marché européen. La création d’un marché européen avec le
traité de Rome de 1957 ouvre une ère nouvelle dans les pratiques économiques des
entreprises, notamment en matière d’ententes secrètes. En effet, le marché commun
se voit structurellement adapté à la formation d’entente internationale intra-
européenne et au développement efficace de celles-ci. Le caractère hybride
qu’engendre un marché commun, dénué (à l’époque) d’un corpus de loi unique visant
à le protéger pleinement, fait de l’Europe, l’eldorado des cartels durant plusieurs
années. Conscientes de ces pratiques, les autorités européennes ont développé une
base commune de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

A. Un modèle « pour les gouverner tous  »

Le « paquet de modernisation » et la rationalisation du droit de la


concurrence à l’échelle européenne. La mise en place du règlement n°1/2003 à eu
pour objectif de décharger la Commission dans la mise en œuvre de l’article 101 et
102 du TFUE. Ce nouveau cadre impose une accélération de la coopération
institutionnelle. En effet, il est depuis 13 ans obligatoire pour les autorités nationales
de concurrence (ANC) d’appliquer les articles 101 et 102 (précédemment 81 et 82
CE) si les pratiques anticoncurrentielles dont elles ont connaissance affectent le
commerce intra-communautaire.172 L’idée principale est la mise en place d’un réseau
européen d’échange d’informations entre les différentes ANC et la Commission censé
préserver une application homogène du droit de l’Union. L’un des fondements de ce
réseau (Réseau Européen de la Concurrence) est l’idée selon laquelle l’ANC qui
entame une procédure contentieuse ou qui reçoit une plainte doit être la mieux placée
pour connaître l’affaire.173 Le public enforcement est ainsi partagé entre les différents
membres du réseau, ce qui permet à la commission de recentrer son activité sur le
traitement des affaires qu’elle estime prioritaire.

172
Art 3 du règlement 1/2003. « Les juridictions nationales ont également une telle
obligation »
173
C. S. Kerse et N. Khan, EC Antitrust procedure op cit

56
L’influence sur les programmes de clémence. Cette directive emporte un certain
nombre de modifications. En premier lieu, en vertu du principe d’autonomie
procédurale, l’application des règles communautaires par les ANC se fait
conformément aux règles de procédures nationales 174 incluant les règles concernant
l’infliction des sanctions mais aussi de clémence.175 Ainsi, une multitude de
programmes de clémence nationaux ont désormais vocation à s’appliquer lorsque des
entreprises violent les règles de concurrence européenne. De plus, le principe même
du réseau induit que la confidentialité des documents fournis, notamment en matière
de clémence, ne soit pas opposable aux ANC. Les membres du réseau étant
directement informés d’une demande de clémence, l’absence d’un « guichet unique »
oblige les demandeurs à la clémence à multiplier leurs demandes.

La poursuite de l’action européenne en matière de convergence des


programmes de clémence. Consciente des difficultés qu’engage la coexistence de
28 autorités nationales de la concurrence dans la gestion de la clémence par les
entreprises, la Commission veut tendre vers une harmonisation des programmes. En
effet, l’adoption d’un programme modèle de clémence du 29 novembre 2006 par les
membres du réseau européen de concurrence, afin de répondre aux attentes des
professionnels, exigeant la mise en place d’un « guichet unique » une déclaration
commune des membres du REC a donné lieu à une simplification considérable des
demandes simultanées de clémence à travers l’Europe. 176 Ainsi, le programme modèle
instaure notamment un système dit du « marqueur » qui permet aux demandeurs de
clémence de marquer son ordre d’arrivée pendant un certain temps, ce qui lui permet
de rassembler les renseignements et preuves nécessaires à l’obtention de
l’immunité.177

Le constat. Dix ans après l’adoption du programme de clémence modèle par le


REC, les rapports consécutifs constatent que la plupart des Etats-Membres ont
modifié leurs programmes pour en adopter un nouveau, afin de s’aligner sur le

174
Jone & Suffrin EU Competition Law, 2013, p.267, Oxford University Press
175
Jones & Suffrin supra
176
Programme modèle du REC, en matière de clémence du 29 novembre 2006.
177
Point 16 du programme modèle des REC.

57
178
programme modèle. Ainsi, la majorité des programmes prévoient la nécessité de
faire une demande explicite par écrit ; 24 programmes prévoient le système de
marqueur, 23 prévoient la possibilité pour l’entreprise qui a présenté une demande
d’immunité complète à la Commission - par hypothèse, la mieux placée - de
n’adresser qu’une demande sommaire à toute autorité de concurrence nationale que
l’entreprise considère comme susceptible d’agir. Cette demande sommaire peut être
faite oralement dans 17 programmes et 19 programmes prévoient la possibilité de
dénoncer le cartel oralement.179

B. Des divergences persistantes

Les divergences marquantes. Cependant, de nombreuses divergences


persistent. En effet, les Etats-Membres ne se sont pas accordés sur le fait de savoir si
une entreprise qui a contraint d’autre entreprise à participer à une entente pouvait
bénéficier d’une immunité. Ainsi, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne excluent le
bénéfice de l’immunité à l’entreprise qui aurait exercé une pression sur une autre
entreprise180. Ils appliquent ainsi une solution conforme au modèle du REC.
Cependant, les autorités Italienne n’ont pas retenues cette distinction offrant la
clémence à tout type de demandeur qui remplit les conditions de dénonciation.
L’autorité de concurrence allemande quant à elle, rajoute une condition, à savoir que
l’entreprise ne doit pas avoir joué un rôle de « meneur » dans l’entente (Anfürer).
Bien que les cas ou les demandeurs de clémence ont exercés des mesures de
contrainte ou ont été les meneurs restent rares, il n’en demeure pas moins qu’il est peu
opportun que des telles divergences dans les conditions de fond persistent181.
En outre, la procédure du « marqueur » bien qu’étant une institution commune à la
quasi-totalité des membres du REC, celle-ci obéit à un régime différent. Ainsi le
178
lain Ronzano,Leniency : The EU Commission publishes ECN report on assessment of the
state of convergence of leniencyprograms, 15 October 2009, Concurrences Review N° 1-
2010, Art. N° 64790,
179
Ian Ronzano, Supra
180
“Aucune exonération totale de sanction pécuniaire ne sera accordée au titre du programme
de clémence à une entreprise qui aura pris des mesures pour contraindre une autre entreprise à
participer à l’infraction. »
181
Olivia Franco, Quelle convergence des programmes nationaux de clémence ? L'exemple
des programmes français, britannique, allemand, italien et espagnol, September 2009,
Concurrences Review N° 3-2009, Art. N° 26545, pp. 49

58
marqueur n’est prévu que pour les demandes d’immunité en Italie et en Espagne, à
l’image du modèle européen. Cependant, cette demande est possible à la fois pour les
demandes d’immunités et de réduction en France, au Royaume-Uni et en Allemagne.
Ces divergences s’expriment d’autant plus qu’il existe des différences dans l’étendue
du pouvoir d’interprétation des ANC quant à l’attribution du marqueur. Le marqueur
est ainsi de droit pour le programme français et britannique, alors que celui-ci reste à
la direction des autorités de concurrence en Italie et Espagne182.

Enfin, et non des moindres, des divergences importantes se perçoivent quant à


l’existence ou non d’un programme destinés aux personnes physiques. Si le
programme communautaire comme français et italien ne s’appliquent qu’aux
personnes morales, les autres programmes contiennent des dispositions relatives aux
personnes physiques. Comme étudié précédemment dans le chapitre 1 section 1, la
protection pénale à l’égard des personnes physique varie d’un extrême à l’autre à
travers l’Europe. Ainsi, si l’Entreprise Act du Royaume-Uni garantit une protection
pénale complète par le mécanisme de no action letter, les autorités Allemande sont
quant à elles obligés de transférer les documents de clémence au parquet183.

La mise en évidences des failles d’articulation européennes : l’arrêt


DHL184. Dans l’articulation difficile du programme de clémence modèle et des
programmes de clémence nationaux, il existe un arrêt qui semble résumer la situation
actuelle. La présente affaire repose sur une demande préjudicielle posée par le
Conseil d’Etat Italien, mettant en lumière les imperfections du système européen. 185
La question était de savoir si les autorités nationales de concurrence (ANC) sont
tenues de respecter le programme modèle du REC en matière de clémence. Dès lors,
elle entendait soumettre la question de l’existence d’un lien juridique entre la
demande d’immunité devant la Commission et la demande sommaire présentée à une
182
Olivia Franco, supra
183
Pour plus de détails, se réferer aux Chapitre 1, Section 1 de cette présente étude.
184
CJUE, 20 janv. 2016, DHL Express et DHL Global Forwarding, aff. C-428/14
185
Alain Ronzano,Leniency programme: Advocate General Wathelet invites the Court of
Justice of the European Union to consider that the ECN model leniency programme is not
mandatory for NCAs and that there is no legal link between a request for immunity to the
Commission and similar secondary requests to NCAs (DHL/Autorità Garante della
Concorrenza e del Mercato), 10 September 2015, Concurrences Review N° 4-2015, Art. N°
76676

59
ANC pour la même entente, ainsi que l’existence d’une obligation à la charge de
l’ANC de prendre contact avec la Commission ou l’entreprise lorsque la demande
sommaire à un champ d’application matériel plus restreint que la demande
d’immunité.186 Enfin, s’est posée la question de savoir quelles sont les conséquences
sur les facultés des autres entreprises de l’entente à présenter une demande sommaire.

Dans l’affaire Pfeiderer187 la Cour avait déjà constaté que ni la communication de la


Commission sur la clémence, ni le programme modèle du REC n’avait d’effet
contraignant. C’est donc dans la droite lignée de cette jurisprudence européenne que
la Cour réaffirme que ses obligations  ne sont pas susceptibles de créer des obligations
à la charge des Etats membres, et notamment que, le traitement des demandes de
clémence adressées à une ANC est déterminé par cette autorité en application de son
seul droit national. 188 Il n’existe en définitif aucun lien juridique entre les deux
demandes de clémence (européen et national), quand bien même elles concernent la
même entente.

Critique. L’établissement d’un lien juridique entre la demande faite devant la


Commission et celle faite devant une ANC pour la même entente aurait pu apporter
une garantie supplémentaire dans l’efficacité du programme de clémence. En effet,
bon nombre d’entreprises se sont déjà retrouvées dans la situation d’occuper le
premier rang de clémence devant la Commission mais un rang moins favorable
devant une ANC. L’arrêt DHL vient ainsi confirmer la lettre du règlement 1/2003
instaurant une autonomie des programmes de clémence vis-à-vis des autres
programmes nationaux et de la Commission. Cependant, l’établissement d’un lien
permettrait de supprimer le mécanisme des demandes sommaire d’une part et d’autre
part d’inciter d’autant plus la dénonciation d’entente, avec un facteur « risque »
considérablement réduit. Il semble qu’une telle décision se base avant tout sur des

186
Alexandre Lacresse,Leniency: The Court of Justice of the European Union enshrines the
autonomy of applications for immunity leniency before the European Commission and
national competition authorities in the absence of harmonization (DHL Express et
DHL Global Forwarding), May 2016, Concurrences Review N° 2-2016, Art. N° 79524, pp.
170-171
187
CJUE, 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09 ; V. Chronique, Concurrences n° 3-2011,
p. 177
188
CJUE, 20 janv. 2016, DHL Express et DHL Global Forwarding, aff. C-428/14 p.23

60
considérations politiques, plus que sur une volonté d’améliorer le programme de
clémence européen.

Conséquences & conclusion. Si l’on peut saluer la volonté d’uniformisation


au sein de l’Union, celle-ci n’est pas encore pleine et entière.  En effet, dès lors que le
déséquilibre s’installe au sein du cartel, il convient d’instaurer une sécurité juridique
et une transparence incitative pour les potentiels demandeurs à la clémence. Cette
transparence est en effet garant de l’efficacité du programme et donc de l’effectivité
de la lutte anti-cartel. Si la logique pousserait à une uniformisation complète des
programmes de clémence européens l’euroscepticisme croissant, et le risque inhérent
de voir le Royaume-Unis quitter l’Union, rendent difficiles, l’avènement prochain
d’une politique de clémence unique.

Section 2. L’absence d’articulation des procédures de clémence


dans les rapports internationaux extra-européens

Internationalisation des pratiques anticoncurrentielles. Dès 1997, le


rapport annuel de la World Trade Organisation (WTO) a mis en évidence
l’internationalisation chronique des cartels.189 S’adaptant aux mouvances
économiques et à la mondialisation, les pratiques anticoncurrentielles ont développées
un modèle d’action nouveau sur les marchés internationaux. Cependant, si les cartels
s’internationalisent, les droits de la concurrence restent quant à eux cantonnés à des
frontières étatiques ou quasi étatiques. Près d’une centaine d’Etats dans le monde
disposent aujourd’hui de règles de concurrence 190. Si tous semblent s’accorder pour
prohiber les ententes secrètes191, les mécanismes d’actions à leur encontre sont aussi
variés qu’il existe de droit de la concurrence. Ainsi, en l’absence d’une certaine
articulation, les entreprises candidates à la clémence d’une entente internationale se

189
Rapport de la World Trade Organisation relatif à l’entente secrêtes, juin 1997 p. 40
190
A. Heinemann, la nécessité d’un droit mondial de la concurrence, RIDE 2004, n°3 p294.
191
E. Fox, The Kaleidoscope of Antitrust and its Significance in the World economy (2007)

61
heurtent inexorablement à plusieurs difficultés. Face à une multitude d’autorités
susceptibles d’accueillir leur démarche et les différentes garanties de confidentialités
qu’elles offrent, il est aisé de se perdre.

A. La coopération des nations et sanctions en « cascade »

Accord de coopération et circulation de l’information entre les différentes


autorités de concurrence dans le monde. Une fois découverte par une autorité,
l’existence d’un cartel international est en principe rapidement révélée auprès d’autres
autorités. Bien que ne transmettant pas les documents de clémence, un échange
d’informations mutuel est mis en place dès lors que l’enquête concerne une autre
autorité intéressée par l’affaire. Ainsi, si une demande de clémence est faite par une
entreprise auprès de la Commission, cette dernière ne dévoilera pas les preuves
transmises, mais avisera la Division Antitrust de la présence du cartel qui vient d’être
dévoilé. Ainsi, la Division Antitrust fera de même à l’égard de la Commission. Un tel
échange d’informations tire sa base légale des accords de coopérations pouvant être
conclut entre différents Etats. Tel fut le cas de l’accord de 1991 entre les Etats-Unis
et l’Union Européenne192. Pour l’essentiel, l’accord prévoit la notification réciproque
des affaires sur lesquelles l’enquête l’une ou l’autre des autorités de concurrence et
qui sont susceptibles d’affecter les intérêts importants de l’autre partie 193. Outre la
possibilité d’accords de coopération entre deux Etats, il est de pratique commune pour
les autorités de concurrence de scruter les condamnations par ses homologues afin de
se servir de la décision dans leurs enquêtes sur leur territoire.

Poursuites subséquentes à la coopération avec une autorité de


concurrence. De nombreuses affaires démontrent que la procédure d’investigation
devant une autorité de concurrence présage bien souvent le début de poursuite en
« cascade » par les autres autorités de concurrence, dès lors que leur marché
géographique a été touché par l’entente. A titre illustratif, cela a été le cas lors de
l’affaire du cartel de la lysine194 où la Commission avait été informée d’une entente

192
Accord entre les Communautés européennes et le gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique concernant l’application de leur règles de concurrence : JOCE L 95 du 27 avril
1995 p. 47 et 50.
193
Accord de coopération supra, article II
194
CJCE, 7 juin 2000, Aff COMP/36.545 – Acide Aminée, JOCE n° L152 du 7 juin 2001

62
mondiale par les autorités américaines, au moment où ces dernières s’apprêtaient à
mettre officiellement en accusation les cartellistes. Il en est de même pour l’affaire du
cartel de l’acide citrique195 dont la diffusion d’information relative à l’entente avait
mené une condamnation en cascade sur 3 continents (Amérique, Europe et Asie) et 7
pays.196 Au regard du risque inhérent aux poursuites subséquentes, il convient pour les
entreprises désireuses d’obtenir la clémence, d’approcher concomitamment plusieurs
autorités de concurrence.

B. La nécessité d’une demande de clémence simultanée

Difficultés quant à la territorialité de la demande de clémence. En


l’absence de règles spécifiques sur la clémence dans les rapports purement
internationaux, les autorités de concurrence n’ont compétence que pour accorder la
clémence dans leurs ressorts respectifs. Ainsi, la clémence accordée par la
Commission ne vaut que devant celle-ci, et n’empêche en rien une investigation du
DoJ. La restriction territoriale de la demande de clémence pousse ainsi les entreprises
à entreprendre plusieurs dizaines de demandes de clémence en parallèle. L’OCDE
observe d’ailleurs que le nombre de demandes simultanées de clémence est en
augmentation constante depuis les années 2000, sans pour autant fournir de chiffres
précis.197 La pratique professionnelle a ainsi rapidement pris conscience qu’il est
audacieux, ci ce n’est téméraire de limiter sa demande de clémence à une seule
autorité.

Illustrations quant à l’importance des demandes parallèles de clémence.


Afin d’illustrer nos propos précédent propos, aucun arrêt ne semble mieux exprimer la
nécessite d’une demande de clémence multiple que cartel des électrodes en
graphite198. En l’espèce, l’entreprise américaine C/G avait dénoncé son entente et usé
du programme de clémence américain au début de l’année 1997. Informée par la
195
CJCE 5 dec 2001, Aff COMP 36.604 – Acide citrique, JOCE n°L 239 du 6 septembre
2002.
196
M. Delrahim, Facing the Challenge of Globalization : Coordination and Coopération
between Enforcement Agencies (The US and the EU), discoure prononcé le 22 oct 2004.
197
Etude économiques de l’OCDE : l’Union Européenne 2014, p.114 (améliorer la
compétitivité et le pouvoir d’achat en renforçant la concurrence)
198
CJCE 18 juilliet 2001, Aff COMP 36.490 –Electrodes de graphite, JOCE n°L100 du 16
avril 2002.

63
Division Antitrust, la Commission avait également ouvert une enquête et avait
poursuivit les membres du cartel à partir de novembre 1997. Cependant, c’est
l’entreprise nipponne SDK199, autre membre du cartel, qui avait fait part en premier à
la Commission de son désir de coopérer, dépassant ainsi C/G dans la course à la
clémence européenne. Il résulte une condamnation de 10 millions d’euros de C/G,
dont le plus grand torr a été de négliger la procédure communautaire. A l’inverse, la
stratégie s’avère payante si les cartelliste n’attendent pas et dénoncent
immédiatement l’infraction auprès des autorités concernées. Ainsi, dans l’affaire du
cartel des vitamines200 l’entreprise française Aventis avait en premier lieux dénoncé
l’entente aux Etats-Unis et quelques jours plus tard à fait de même avec la
Commission, jouissant ainsi d’une protection des deux cotés de l’Atlantique.

Difficultés quant à la variabilité des critères d’application de la clémence.


Une fois la demande de clémence faite auprès des différentes autorités en cause, reste
la question de savoir si l’entreprise demandeuse remplit les critères nécessaires à
l’obtention de l’immunité dans chacun des pays. Sans revenir sur les distinctions qui
existent entre les programmes Européens et Américain (voir introduction partie III), il
convient de rappeler que les critères, bien qu’issus semble t-il d’une base commune,
peuvent varier sur certains détails pouvant s’avérer substantiels pour la société
demandeuse. A titre d’exemple, le sort du « meneur » peut se voir refuser la clémence
aux Etats-Unis et être accepté en Italie. D’autre part des divergences importantes
existent quant au sort des seconds et suivants à la clémence. Si en droit européen, un
échelonnement de réduction d’amende est offert aux perdants à la course à la
clémence, le programme américain n’offre pas cette possibilité et limite les réductions
d’amende à la capacité qu’a la société perdante à la clémence, de négocier un « deal »
via plea bargaining.

L’utopie d’une uniformisation ? Serait-il possible de voir un jour


l’avènement d’une articulation pleine et entière des principaux programmes de
clémence à travers le monde ? Le projet semble plus qu’ambitieux. Cependant, l’on
dénote une volonté des différentes autorités de coopérer à l’échelle internationale. En
effet, à défaut d’une autorité de concurrence internationale, beaucoup de pays
199
CJCE Electrodes graphite, supra point 36
200
CJCE 2003/2/CE, 21 novembre 2001, préc

64
cherchent à développer leur coopération et l’échange d’informations entre ANC au
sein d’un réseau international. Cette volonté a été le catalyseur de la création en 2001
de l’International Competition Network (INC)201. Cependant, la question d’une
uniformisation globale des programmes de clémence ne semble pas à l’ordre du jour.
En effet, le rapport de la 11 me conférence du réseau international de concurrence à
Sydney en 2015202 n’évoque aucune politique internationale en matière de clémence et
la question de la clémence n’est que brièvement abordée. Il en est de même pour les 4
dernières conférences. Le seul document pouvant s’apparenter à une ébauche de
projet commun est le « ICN Curriculum Project – Leniency Transcript »203 visant des
conseils législatifs pour l’établissement ou l’amélioration du programme de clémence.
Ce document n’ayant cependant pas plus de valeur juridique que les conseils avisés
d’un professeur de droit.

Conclusion. A défaut d’une uniformisation des pratiques en matière de


clémence ou d’une possibilité de reconnaissance d’un jugement d’immunité à
l’échelle internationale, les entreprises demandeuses de clémence se doivent de
préparer leur demande dans les meilleures conditions. Pour se faire, il est nécessaire
qu’une demande de clémence se fasse simultanément devant toute autorité nationale
de concurrence où l’entente a eu des effets sur leur marché interne. Il semble d’autre
part nécessaire d’étudier les critères d’éligibilité à la clémence de chacune d’elle afin
de vérifier si l’entreprise en question se verra tout de même condamnée même si elle
est la première à dénoncer l’entente. Enfin, il devient indispensable d’aborder la
question future d’une uniformisation des programmes de clémence à travers un traité
international, protégeant de manière pérenne le repenti et ne laissant aucune chance
aux perdants à la clémence. La création d’un « guichet unique » devant une autorité
international de la concurrence204 serait une solution. Seule cette autorité indépendante
hypothétique serait en possession des informations de clémence qu’elle distillerait au

201
F. Marchal , « l’évolution des procédure de clémence » Revue francaise d’économie
2013/3 Volume XXVII page 108
202
Le Réseau International de la Concurrence organize sa 14ème conférence annuelle à
Sydney (Conférence annuelle de l’ICN, du 28 avril au 1er mai 2015, Sydney, Australie)
203
R. Whish « ICN Curriculum Project – Leniency Transcript
204
Autorité indépendante internationale (théorique) aux compétences très limité, mais
incluant des prérogatives relatives la protection des repentis

65
réseau international de concurrence, tout en protégeant le repenti de toutes poursuites
et lui garantissant un anonymat total.205

Section 3. L’extraterritorialité des poursuites anti-concurrentielles


en matière d’entente.

A. De la territorialité théorique à l’extraterritorialité pratique des outils de poursuites


en droit de la concurrence

Subordination au champ d’application réel des programmes de clémence. Au


regard de notre précédente étude, il a été souligné que le programme de clémence ne
semble être pleinement efficace que dès lorsque que tous les éléments de celui-ci 206, se
situent au sein d’un circuit « fermé » c’est à dire dans une même juridiction. Ce
constat évoque un certain nombre d’hypothèses pouvant poser problème. Notamment,
la situation ou une autorité de la concurrence constate des pratiques
anticoncurrentielles affectant son marché interne mais étant mises en œuvre par des
entreprises depuis un Etat tiers. En effet, si la situation rentre dans le champ
d’application du droit qu’elle est chargée d’appliquer, l’autorité ne dispose cependant
pas du pouvoir de diligenter une enquête sur un territoire étranger, sauf à violer les
principes de droit international public.207 Dans cette impasse, reste la possibilité
actionner une demande d’aide à une autorité étrangère ou recourir au mécanisme de
courtoisie afin de poursuivre les membres du cartel grâce au service de l’autorité de la
concurrence. Ces recours restent cependant incertains pour les autorités de
concurrence et nécessitent souvent un traité de coopération. En pratique cependant,
les Etats disposant d’un droit de la concurrence les plus avancés, à savoir les pays de

205
« You may say I am a dreamer, but I m not the only one » Imagine - John Lennon
206
les cartellistes, le marché affecté et les victimes
207
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,Revue internationale de droit économique 2010/2 (t.XXIV), p. 211-240DOI
10.3917/ride.242.0211

66
l’OCDE, et plus spécialement l’Etats-Unis et L’Union européenne, ont recours à une
application extraterritoriale de leur droit.208

L’extraterritorialité du droit de la concurrence. Les Etats-Unis ont de longue


date interprété leur droit de la concurrence comme insoumis aux frontières fédérales.
En effet, la doctrine des effets (effects doctrine) visant l’exterritorialité du droit de la
concurrence américain a été énoncée dès 1945 lors de l’affaire Alcoa209. La Cour
américaine énonce que le droit américain s’appliquera dès lors que le comportement
économique de l’opérateur privé situé à l’étranger a un effet réel ou intentionnel sur
l’économie américaine. Pour ce faire, les autorités américaines peuvent compter sur
l’appui des agents du Federal Bureau of Investigation dès lors que la participation
dans un cartel est considérée aux Etats-Unis comme un acte criminel. Le DoJ n’hésite
ainsi pas à étendre ses poursuites judiciaires à l’encontre des cadres de sociétés
étrangères si le marché  américain est touché. En parallèle, la Cour de Justice des
Communauté Européenne210 (CJCE) a validé l’application extraterritoriale du droit
communautaire de la concurrence dès lors qu’une entente produit ses effets sur le
marché européen.211 Cette position a par la suite été confirmée dans l’arrêt Imperical
Chemical Industries (1972) énonçant que lorsqu’une filiale située à l’étranger est
partie à une entente affectant le marché communautaire, la société mère peut se voir
imputer la responsabilité de l’infraction.212

Parallèlement, les Etats-Unis comme les différents Etats de l’UE ont


développé un réseau de traités bilatéraux favorisant les échanges d’information avec
les autorités de concurrence, au delà du cercle de pays de l’OCDE, optimisant de la
sorte leur capacité à repérer toute pratique cartellaire. Ces accords de coopération, sur

208
Caron Beaton- Wells & Christopher Tran « Anti-cartel enforcement in a contemporary
age – leniency religion » (2015) Hart study in competition law
209
United States v Aluminium Co. Of America, 2nt Circuit court of Appeal 12 mars 1945,
n°148 F.2D 416
210
Désormais Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)
211
CJCE, 9 juilliet 1969, Beguelin Import Co/S.A.G.L Import Export, aff n°22/71. CJCE
1971 p.949.
212
CJCE, 14 juilliet 1972, Imperial Chemical Industries, aff 48/69, Rec CJCE 1972 P.619

67
la base du modèle de l’accord liant le DoJ à la Commission 213 obligent toute autorité
saisie d’une affaire pouvant intéresser sa corollaire étrangère de notifier le
déclanchement d’une procédure. Ainsi, l’autorité pourra entamer des poursuites avec
l’aide des informations fournies par l’autorité coopératrice, alors même que les
membres des cartels découverts se devront de déclencher plusieurs demandes de
clémence simultanées214

B. La faille systémique des cartels d’exportations

Problématiques lié aux cartels d’exportations. Le succès du mécanisme de


clémence au sein des pays de l’OCDE contraste avec le faible niveau de protection
des marchés dit du « sud »215. La pratique du cartel d’exportation, c’est à dire,
l’organisation de pratiques anticoncurrentielles dans les pays du nord avec pour
objectif d’affecter les marchés du sud (peu protégés), diminue considérablement les
risques pour les délinquants. Les membres du cartel bénéficient dans ce cas d’une
quasi-immunité de fait : le déclenchement d’une enquête par les autorités du pays
victime se heurte au fait que les preuves de l’entente se trouvent hors d’atteinte.
D’autre part, à défaut d’affectation du marché européen ou américain, ni le DoJ ni la
Commission ne peuvent se prévaloir d’un titre à agir contre un cartel organisé depuis
leur juridiction, mais visant l’économie d’un pays tiers.216

Illustration et constat. En effet, un certain nombre d’exemples démontrent


notre propos, à l’instar du cartel du « gros équipement électrique ». Celui-ci ayant
duré près de 60 ans et comprenant la quasi-totalité des entreprises européennes et
japonaises du marché des équipements électroniques. L’entente sur les prix
s’appliquait à toutes les ventes internationales à l’exception des pays d’origine des
entreprises membres du cartel et des Etats-Unis.217 Les victimes de ces cartels étaient

213
V. C plaidy «  L’accord entre les Communautés Européennes et les Etats-Unis concernant
la mise en œuvre du principe de courtoisie active : une etape vers l’internationalisation du
droit de la concurrence
214
à l’image de Rhone-Poulenc dans l’affaire du cartel des vitamines.
215
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,Revue internationale de droit économique 2010/2 (supra)
216
Pierre Desbross (surpa)
217
F. Jenny, « La répression des cartels internationaux : Une politique à deux vitesses

68
les pays en voie de développement, précisément ceux qui avaient besoin de
s’industrialiser et donc de s’équiper des machines nécessaire à la production
d’électricité. Pour la seule année 2012, le montant des exportations des pays en voie
de développements affectés par ces pratiques anticoncurrentielles (de manière
générale), s’élevait à 112,1 milliards de dollars, soit 8,3% des exportations.218 S’il
existe toujours la possibilité pour les autorités des pays en voie de développement de
recourir à des accords bilatéraux, l’on remarque qu’en pratique, les autorités des pays
développés redoutent un afflux de demandes et se montrent réticentes à ratifier de tels
accords. Seul les Etats-Unis, dans un souci d’étendre au maximum l’aura de leurs
investigations, ont pour habitude de ratifier des accords de coopération avec les pays
du sud.219 Cependant, ces accords ne sont pas ou peu respectés. En 2003, le Financial
Times révèle une entente entre plusieurs multinationales européennes et américaines
au Brésil induisant à l’ouverture d’une enquête par l’autorité locale. La demande
d’informations faite essuya un refus catégorique des autorités américaines et
européennes, quant bien même les Etats-Unis et le Brésil étaient liés par un accord de
coopération.220

Conclusion. L’articulation des transferts d’informations entre les différentes


autorités de concurrence met en évidence le talon d’Achille des mécanismes de
clémence. En effet, les succès enregistrés par les programmes de clémence américain
et européens reposent d’une part sur la capacité de dissuasion et le caractère effectif
de la sanction contre les opérateurs, grâce à une capacité d’intervention
extraterritoriale et d’autre part sur l’efficacité d’échange d’informations et de preuve
entre autorités. A l’inverse, un programme de clémence s’avère inefficace si l’autorité
de concurrence n’est pas matériellement en mesure de collecter ces informations dès
lors que les preuves se trouvent en dehors de sa juridiction. Dans cette situation, les
218
Rapport World Bank “Reducing distorition in international Commodity market” May
2012.
219
Les motivations américaines pour une coopération approfondie en matière de concurrence
[…] résident dans l’espoir d’obtenir ainsi des moyens de preuves situés à l’étranger et
autrefois insaisissables. Des affirmations de hauts fonctionnaires du ministère de la justice des
États-Unis ne laissent aucun doute à ce sujet. […] Le seul objectif de cette chasse aux preuves
à l’étranger, qui serait permise par une coopération approfondie, ne peut être que dans
l’extension des mesures d’application extraterritoriales dans la lutte contre des
comportements anticoncurrentiels transnationaux », M. Pallek, « L’avenir de la coopération
euro-américaine dans le domaine de la concurrence », Cah. dr. eur. 2004, n° 1-2, p. 149.
220
D. Sevastopoulo, « AES colluded with Enron to rig bid for Latin America energy group »,
Financial Times, 21 mai 2003.

69
chances de détection et de sanction d’un cartel opérant depuis l’étranger deviennent
très faibles, diminuant ainsi fortement l’attractivité du programme de clémence. Ainsi
ont constate une asymétrie réelle entre les pays du Nord disposant de « leviers
conventionnels et extraterritoriaux »221 leur permettant d’agir efficacement, alors que
les pays du Sud, sont exposés sans moyens coercitifs hors de leur frontière.

Conclusion du Titre I. Notre analyse systémique du programme de clémence


a eu pour objectif de mettre en lumière les failles d’articulations du programme, tant
au niveau processuel qu’au niveau interétatique. Nous avons défendu l’idée qu’il est
nécessaire de protéger le programme de clémence pour lutter efficacement contre les
ententes secrètes, tant le mécanisme est l’unique moyen de garantir la découverte
d’ententes à moindre frais. Ainsi, à chaque fois qu’une procédure de clémence n’est
pas lancée par un délateur potentiel, par crainte d’une action collatérale, cette entente
se pérennise, bien souvent introuvable par des moyens d’investigation classique.

Il convient maintenant de se pencher sur une analyse stratégique des mécanismes de


clémence, dès lors que tous les maux de cette pratique ne sont pas uniquement liés à
une mauvaise organisation structurelle, mais aussi à une utilisation détournée de ses
rouages.

TITRE II.
Approche stratégique de l’outil de clémence par les
membres du cartel

Les 38 ans d’existence du programme de clémence ont permis aux praticiens de


s’adapter efficacement aux mécanismes, afin de tirer entier profit de cette opportunité
de quitter une entente sans frais. En étudiant en détail la clémence, il ressort que celle-
ci peut s’avérer être un recours utile pour une entreprise au sein d’un cartel souhaitant
épurer le marché de toute concurrence. Détournant ainsi l’essence du programme,

221
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,Revue internationale de droit économique 2010/2 (supra)

70
nous avons pu observer une instrumentalisation des mécanismes de clémence par les
membres du cartel (Chapitre 1) mais aussi l’établissement de parades structurelles
empêchant l’effectivité du programme de clémence à leur encontre (Chapitre 2).

CHAPITRE 1
De l’art de l’instrumentalisation du programme de clémence
: l’épée et le bouclier du délateur

Depuis quelques années, l’utilisation du droit comme arme de stratégies


commerciales commence à faire l’objet d’un intérêt grandissant. Ainsi, plusieurs
publications222 mettent en évidence les bénéfices susceptibles d’être apportés par une
exploitation intelligente des ressources juridiques. Bien que difficile à quantifier, il
apparaît clair que l’usage stratégique du droit permet de créer de la valeur pour une
entreprise. Non plus systémique, l’étude de notre Titre II a pour objectif de déceler
l’ensemble des stratégies établies par les entreprises dans leur utilisation du
programme de clémence. La pratique a démontré que l’activation du programme de
clémence pouvait parfois être faite à des fins offensives (Section 1) comme
défensives (Section 2) entrainant une instrumentalisation cyclique du programme de
clémence (Section 3)

Section 1. Utilisation offensive de la procédure de clémence par les


entreprises

222
C. Collard et C. Roquilly, La performance juridique : pour une vision stratégique du droit
dans l’entreprise, Paris, LGDJ, 2010, 305 p. ; A. Masson (dir.) “Les stratégies juridiques des
entreprises”, Bruxelles, Larcier, 2009 ; A. Masson et V. de Beaufort (dir.), “Lobbying et
procès orchestrés”, Bruxelles, Larcier, 2011 ; C. Roquilly, Competition Law as a Strategic
Issue for the Firm », in Alternative enforcement techniques - A new paradigm of EC
competition law?, Bruylant, mai 2009.

71
L’instrumentalisation du droit de la concurrence. Au vu de l’importance
des prérogatives des autorités de concurrence (annulation de contrat, cession
obligatoire d’activité, infliction de lourdes peines) toutes stratégies appelant à
l’intervention de celles-ci est susceptible de mener à une modification radicale de
l’équilibre d’un marché.223 À titre d’exemple, il est admis que l’activation du
programme de clémence a généralement pour effet d’affaiblir considérablement les
membres d’une entente sur le marché et ainsi permettre une redistribution des cartes
concurrentielles. Fort de ce constat, les entreprises prennent peu à peu conscience de
l’intérêt qu’elles peuvent tirer de la mise en place de stratégies juridiques pour
modifier à leurs avantages le marché. 224 Le droit de la concurrence s’avère quant à lui
particulièrement ouvert aux stratégies juridiques. Il est vrai que certains auteurs de la
« théorie des choix publics »225 ont illustré le risque de voir les autorités publiques
« capturées » par les entreprises qu’ils sont pourtant en devoir de contrôler.226

Instrumentalisation en matière de clémence. Nous avons admis


précédemment le postulat selon lequel, la force du programme de clémence se trouve
dans sa capacité à déstabiliser le cartel. Avec l’instauration des programmes de
clémence, la menace de la sanction ne repose plus uniquement sur une enquête
externe, mais peut provenir de l’intérieur même du cartel : chaque participant étant un
traître potentiel. Ainsi, certains acteurs rationnels du cartel peuvent voir le
programme de clémence comme une opportunité économique de briser la
concurrence. L’idée sous-jacente est que le choix pour une entreprise de rentrer dans
un cartel peut être intrinsèquement lié à son projet de le quitter sans frais, dès lors que
le moment sera opportun. L’entreprise a profité suffisamment longtemps des
surprofits générés par le cartel et décide dans son propre intérêt et pour augmenter
223
Norman Neyrinck, Olivier Beddeleem, Strategic use of competition law: The "Bouygues
Telecom VAT" case, September 2011, Concurrences Review N° 3-2011, Art. N° 37130,
224
DuPont turns its legal department into a profit center”, International Herald Tribune, 3
octobre 2007.
225
Selon les défenseurs de cette théorie, l’élaboration de normes juridiques, comme toutes
interventions des autorités sur les marchés, est de nature à servir les intérêts d’opérateur
privés au détriment de l’intérêt général
226
N. Neyrinck , O. Beddeleem, Strategic use of competition law : the Bouygues telecom Vat
case (supra)

72
significativement sa part de marché de faire une demande de clémence. Cette pratique
exprime ainsi un contrôle parfait de la procédure régulatrice, ainsi qu’ironiquement,
une attitude extrêmement compétitive à l’égard des autres acteurs du marché. Ce
phénomène est décrit par la doctrine227 comme l’utilisation « stratégique du
programme de clémence ». Nous allons ainsi étudier un certain nombre de stratégies
ayant permis ou qui permettraient à une entreprise de détourner le programme de
clémence à son seul avantage.

Utilisation « offensive » du programme de clémence. Il est évoqué par


certain praticiens, à l’image de Maître Puel et Maître Martin 228, deux manières
d’utiliser le programme de clémence : la manière défensive ou offensive. Selon la
situation, le choix d’activer la clémence sera considéré défensif si la détection de
l’infraction par l’autorité de concurrence est imminente et offensif si l’infraction reste
pour l’instant méconnue. Cette instrumentalisation peut être faite sur des bases
concurrentielles (A) comme anticoncurrentielles (B)

A. Instrumentalisation offensive du programme de clémence sur des bases


concurrentielles

Changements technologiques et refonte des gains apportés par l’entente. Il


existe un certain nombre de facteurs endogènes pouvant pousser une entreprise à user
du programme de clémence. Avec le développement de brevets, une entreprise peut
voir un intérêt certain à dénoncer l’entente. En effet, l’acquisition d’une nouvelle
technologie ou l’accroissement des capacités de production par une entreprise modifie
les coûts structurels de celle-ci lui permettant de mieux s’adapter à un marché de
pleine concurrence. L’entreprise est désormais à même de développer un nouveau
produit qui va sans doute lui permettre d’augmenter sa part de marché et qui rend le

227
Traduction de l’anglais « strategic leniency gaming » Voir ; C. Harding, C.Beaton-Wells
« Leniency and criminal sanction » (2015) Hart studies in competition law.
228
Me Fréderic Puel et Laurent François Martin «  Méthodologie d’une démarche de
clémence N°3-2006 Colloque

73
maintien de l’entente rationnellement non pertinent et moins rentable. Le programme
de clémence se voit ainsi instrumentalisé du fait qu’il est utilisé à des fins détournées
de celles pour lequel il a été instauré. D’un point de vue opportuniste cependant, il
permet la dissolution sans frais pour l’autorité d’un cartel et démontre l’instabilité
chronique dont font preuve les cartels.

Épuration d’une filiale : le « modèle Christie’s. ». Un autre type de facteur


endogène est relevé par la littérature sur la clémence. Celui-ci est lié à une situation
d’acquisition dont une entreprise partie à une entente fait l’objet. En effet, il est
commun qu’un rachat mène à des changements stratégiques de l’entreprise par les
dirigeants. Ces changements peuvent entre autre consister à « clarifier les
agissements d’une filiale avant de la vendre, afin de ne pas diminuer sa valeur du fait
du risque antitrust »229. Lors de la négociation relative à la vente d’une filiale, le rôle
de celle-ci dans une entente comprend un risque qui se trouve généralement quantifié
par une estimation à la baisse de la filiale. Le programme de clémence est ainsi une
opportunité, pour le vendeur d’assainir sa filiale afin de la vendre à un bon prix, ou
pour l’acquéreur de se mettre en conformité avec les règles de concurrence. M. Marc
Barennes, ancien rapporteur général à la DG Concurrence 230 confirme qu’il est très
commun de voir une entreprise demander clémence pour ces raisons, «  nous voyons
un très grand nombre d’entreprises, sur le point d’acquérir une autre entreprise ou
de fusionner, qui souhaitait se débarrasser de ces pratiques. C’est la raison pour
laquelle les entreprises viennent demander la clémence et ce, de façon assez
fréquente. »

Plusieurs exemples permettent de corroborer ce propos. Tout d’abord, à l’échelle


française, dans l’affaire France Porte SA231, une demande de clémence avait été faite
suite au rachat par la société Ekem de la filiale cartellisée.
A l’échelle européenne et américaine, l’affaire Christie’s illustre parfaitement cette
pratique. En 1998, Arthémis, la holding de M. François Pinault, acquiert Christie’s,
alors leader mondiale de la vente aux enchères d’œuvre d’art et d’objets de collection.
Le marché en position de duopole, consécutif de services homogènes et avec une forte
229
Jérome, Philippe, Aude, Guyon, Ivan, Gurov “ Les cartels intetnationaux” in la
modernisation du droit de la concurrence, p.217 ouvrage pré-cité, supra.
230
Concurrence et consommation, n°146, revue cité, « Débat » p49
231
Decision du Conseil de la concurrence du 11 avril 2006 06-D-09

74
transparence commerciale était extrêmement propice à la collusion. Ainsi s’était
formée une entente secrète sur les commissions de ventes avec son concurrent direct
Sotheby’s. Dès lors, suite au rachat de Christie’s par Arthémis, les nouveaux
dirigeants ont immédiatement fait part d’une demande de clémence auprès du DoJ et
de la Commission.232 Mme Patricia Barbizet, ancien directeur général de Artémis
rapporte « Le jour de cette révélation (…) la décision avait été prise de porter les
documents à la connaissance du Departement of Justice américain et de faire une
demande de clémence  »233 Suite aux négociations avec les autorités de concurrence
américaine et européenne, Christie’s obtint in fine une immunité totale pour
l’entreprise et ses cadres, au détriment de son concurrent Sotheby’s. Les équipes
exécutives de multinationales ont désormais tendance à employer systématiquement
l’arme de clémence lors de la prise de contrôle d’une entreprise s’avèrent être membre
d’un cartel. « La clémence devient un outil de concurrence, comme l’est la publicité
ou le marchandising »234.

B. Instrumentalisation offensive du programme de clémence sur des bases


anticoncurrentielles

« La clémence de Troie ». Dans certaines situations, l’utilisation du


mécanisme de clémence peut s’apparenter à un vrai cheval de Troie, permettant
l’implosion de cartels par un nouvel arrivant et la refonte du marché à son seul
bénéfice. Cette pratique dénote un caractère anticoncurrentielle agressif au delà
même de l’entente. L’affaire du Cartel du contre-plaqué235, illustre une telle pratique.
L’entente se composait de six PME et d’UPM–Kynemmene alors deuxième
producteur mondial de contre-plaqué, basé en Finlande. Le rapporteur en charge de
l’affaire révèle qu’il « résulte du dossier que l’entreprise UPM-Keynemmene SA
s’est retirée de l’entente en février 2004 après avoir reçu instruction de sa maison
232
« La Commission condamne le comportement collusoire de Christie’s et Sotheby’s »
IP/O2/1585 « press release »
233
P. Barbizet «  les conséquences civiles et pénales dans un contexte d’internationalisation
des programmes de clémence » In Clémence et transaction en matière de concurrence.
Première experiences et interrogations de la pratique, op. cit p.60
234
R. Fabre, A Dowding « La clémence, le cœur et la raison » Cah dr entr 2007 n°1 p23.
235
Déc. n° 08-D-12, 21 mai 2008, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de
la production du contreplaqué

75
mère  »236. Le 7 mai 2004, la société finlandaise sollicite l’ouverture d’une procédure
de clémence auprès du rapporteur général et obtient une exonération totale des
sanctions. Les six autres membres de l’entente se voient quant à eux condamnés à
verser au total 8 millions d’euros d’amende ce qui épure de manière drastique leur
part de marché au profit de d’UPM.

L’outil de menace au sein d’un cartel. Dans les différents degrés


d’instrumentalisation, le paroxysme absolu vise l’utilisation du programme de
clémence comme moyen de pression pour stabiliser un cartel. En effet, il s’agit de
l’idée que le programme de clémence pourrait être détourné comme mesure de
sanction interne de l’entente. Ainsi, en cas de déviation il pourrait être utilisé comme
menace à l’égard de l’entreprise concernée. 237 Dès lors qu’il ne reste qu’à l’état de
menace, le programme de clémence peut être (ironiquement) un outil de stabilité du
cartel à l’égard des entreprises les plus faiblement protégées juridiquement. Il reste
cependant difficile d’évaluer l’ampleur d’un tel facteur, dès lors que ces informations
sont par essence confidentielles et bien gardées par les cartellistes.

Conclusion. Notre étude a visé à démontrer qu’il existe maintes façons de


détourner le programme de clémence, quant bien même le joug d’une investigation
des autorités n’est pas présent. La base même du programme de clémence réside dans
l’idée qu’à un moment t, une entreprise pourra tirer un gain supérieur en quittant
l’entente sans frais plutôt que de s’y maintenir. C’est notamment le cas lorsque
l’entreprise développe une technologie lui permettant de devancer ses concurrents de
manière purement légale. D’autre part, l’acquisition d’une filiale cartellisée par une
nouvelle entreprise est souvent un facteur d’activation instrumentalisé du programme,
afin d’épurer une filiale ou encore de décimer la concurrence sur un marché. Enfin et
de manière extrêmement moqueuse à l’égard des autorités de concurrence, le
programme de clémence peut être utilisé comme menace afin d’éviter toute déviation
de prix au sein d’une entente.

236
Ibid point 311
237
V. Vaquette «  l’efficacité du programme des programmes de clémence : l’exemple du
droit communautaire de la conccurence » Mémoire, p 77.

76
L’approche offensive se voit complétée par un penchant défensif, plus enclin à utiliser
le programme de clémence comme un bouclier face à une investigation imminente des
autorités.

Section 2 : Approche défensive de la procédure de clémence par les


entreprises

Approche défensive de l’outil de clémence. A l’inverse de l’approche


offensive, l’approche défensive s’impose à l’entreprise « lorsqu’il devient essentiel de
stopper une situation devenue dangereuse. »238. Ainsi l’entreprise se doit d’agir avant
que la Commission ou le DoJ aient réuni assez de preuves pour condamner l’entente
ou rendre inopposable une demande de clémence. En effet, le choix d’une démarche
de clémence défensive est incertain dès lors que l’entreprise ne sait pas avec précision
de quelles informations dispose déjà la Commission et ne peut donc pas évaluer la
valeur ajoutée des éléments qu’elle entend communiquer. De même, rien n’indique
qu’elle n’a pas déjà perdu la course à la clémence, ne lui permettant que d’accéder à
une clémence « de second rang » devant la Commission ou une condamnation totale
devant la Division Antitrust239. La psychologie d’une telle demande est donc
significativement différente de celle qui pousse la démarche d’une clémence dans un
but « offensif ».

A. Les facteurs classiques d’instrumentalisation défensive du programme de


clémence

Audit de concurrence. Durant notre étude, nous sommes partis du postulat


qu’une entreprise en position d’entente était en parfaite connaissance du caractère
illégal de son activité. Cependant, dans la majorité des cas, l’entreprise est incertaine
quant à la conformité de ses pratiques avec les règles de concurrence. Si cette

238
Frédéric PUEL et Laurent FRANÇOIS-MARTIN, « Méthodologie d’une démarche de
clémence » September 2006, Concurrences Review N° 3-2006, Art. N° 1743, pp. 73-84
239
Affirmation à nuancer avec l’existence du plea bargaining et du programme Amnesty plus.

77
incertitude a été diminuée depuis la mise en place du programme de conformité 240, la
mise en place d’un audit de concurrence marque la première étape avant de s’engager
dans une démarche de clémence. Concrètement, la réalisation de cet audit suppose la
mise en œuvre de plusieurs moyens. Le cabinet d’avocat chargé de cette mission
procède ainsi à l’analyse de divers documents qu’il s’agisse de contrat, de
correspondances, mails ou encore archives. Plusieurs facteurs sont susceptibles de
déclencher la réflexion de l’entreprise sur sa conformité aux règles de concurrence.

Facteur 1 : l’ouverture d’une enquête dans secteur ou agit l’entente. Dès
lors qu’une enquête est ouverte par la Commission ou le DoJ dans le secteur de
l’entreprise membre d’une entente ou potentiellement membre, celle-ci à tout intérêt à
mettre en place un tel audit lui indiquant ou non la nécessité d’activer le plus
promptement le programme de clémence. La même observation vaut dès lors qu’une
entreprise concurrente fait l’objet d’une perquisition, présageant souvent, la
perquisition en cascade de toutes les entreprises du même marché possédant une part
de marché substantielle.

Facteur 2 : l’ouverture d’enquête sur un marché voisin. Notre propos sera


ici illustré par les investigations successives ayant été menées dans le secteur des sacs
industriels241. En effet, il n’est peut être pas du au hasard qu’ait été lancée en 1983 242
une investigation dans le secteur des polypropènes, puis en 2002243 une enquête sur les
sacs plastiques industrielles dont la composition primaire est le polypropène. Ces
deux affaires ont d’ailleurs donné lieux à deux condamnations sanctionnant
vigoureusement les acteurs du marché. Ainsi, il est judicieux pour des dirigeants
d’entreprise de se préparer au mieux à un audit de concurrence ayant pour objectif de
réunir les documents de clémence, dès lors qu’un marché voisin est sous le joug d’une
investigation, tant le temps est précieux quand il s’agit de la course à la clémence.

240
Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de
concurrence

241
Frédéric PUEL et Laurent FRANÇOIS-MARTIN, « Méthodologie d’une démarche de
clémence » September 2006, Concurrences Review Ibid.
242
Comm. CE, déc. 86/398/CEE du 23 avril 1986, aff . IV/31.149, JOCEn ° L . 230 du 18
août 1986, p. 1 et C om m E, 30 novembre 2005, aff . C O M P / F / 3 8 . 3 5 4 )

243

78
Facteur 3 : délation par des partenaires externes à l’entente. Souvent
négligé par les entreprises, le risque afférent à une délation non motivé par le
programme de clémence, c’est à dire une délation d’une personne externe à l’entente,
est cependant existant. En effet, certains signes de l’existence d’une entente peuvent
être descellés par les acteurs du marché, tels que des prix déconnectés du marché, ou
des conditions commerciales abusives. Si ces indicateurs sont peu souvent remarqués
par les consommateurs, ils peuvent l’être par les concurrents non membre de l’entente
ou encore par les partenaires commerciaux à l’image des distributeurs. Si ces derniers
soupçonnent une activité anticoncurrentielle ils n’auront aucune hésitation à saisir les
autorités de concurrence.

Quantification du « risque concurrence ». La liste non exhaustive des 3


facteurs augmentant substantiellement le risque concurrence est à prendre en compte
lors du choix d’activer/ préparer une demande de clémence. Chacune des situations
citées se doivent d’avoir une influence directe sur le comportement des entreprises
partie à un cartel et souhaitant se sortir de cette voie de garage.

B. L’instrumentalisation par le mensonge.

Instrumentalisation et mensonges. Il peut s’avérer tentant pour une entreprise,


notamment devant les juridictions européennes, dans la mesure où elle offre des
clémences de seconds rang, de maquiller la réalité pour jouir d’une réduction
d’amende hors de leur portée. Si le pari est risqué et donc souvent perdant, il exprime
une manière à part entière d’instrumentaliser le programme de clémence. Dans le jeu
de dupes qu’est le choix d’une entreprise d’instrumentaliser le programme de
clémence par le mensonge, rares sont les entreprises gagnantes.

Valeur probante des déclarations de clémence. Depuis l’arrêt JFE Engineering,


les juges communautaires estiment que les déclarations d’une entreprise, notamment
en matière de clémence, constituent de simples indices, qui doivent en cas de

79
contestation, être corroborés par d’autres éléments de preuves. 244 Au vu de la
difficulté que constitue la recherche de preuves, la Commission se voit cependant
souvent tentée de se fier de manière quasi aveugle à celles-ci. La Commission a
cependant pris conscience de l’incertitude de ses déclarations lors de l’affaire de
Vitamines. Ainsi, il a été déclaré que « (Ces déclarations) doivent être considérées
avec prudence, notamment si elle cherche à présenter les évènements en cause sous
un jour qui leur est favorable, par exemple en atténuant leur propre responsabilité
dans l’infraction ».245 Cependant, toutes les déclarations ne sont pas pour autant
suspicieuses dans l’esprit des autorités européennes. Ainsi, dans l’affaire Carton, la
Commission a considéré que le fait que les déclarations de l’entreprise Stora les
incriminaient de manière sérieuse, rendaient tout à fait crédible leur déclaration. 246
Dès lors que les informations issues de la demande de clémence sont d’une
importance considérable pour l’entreprise visant à limiter sa condamnation, il n’est
pas certain que la valeur probante de celle-ci puisse être mise en doute.

L’arrêt JFE Engineering et l’analyse de la valeur probante d’une


déclaration. Lors de l’arrêt JFE, les juges européens ont établi un test visant à
analyser la valeur probante d’une déclaration, laquelle dépend de la question de savoir
si :
- les déclarations ont été faites en qualité de représentant d’une entreprise ou à
titre individuel
- les déclarants étaient tenu d’agir dans l’intérêt de l’entreprise
- le déclarant a été un témoin direct des faits anticoncurrentiels
- la déclaration a été faite de manière délibérée et après mûre réflexion.
- Le déclarant confirme ses déclarations tout au long de la procédure d’enquête
- La déclaration va à l’encontre des intérêts du déclarant ou de son
entreprise.247
Ces différentes questions relatives au caractère véridique de la déclaration font office
de faisceau d’indices dans la confiance qui peut être accordée aux entreprises
demandeuse de clémence. Cependant, les risques d’approximations voire de fausses
244
TPIUE, arrêt du 8 juillet 2004, JFE Engineering c / Commission, aff. T-67/00, § 219.
245
Commission, décision COMP/37.512 du 21 novembre 2001, Vitamines, § 538.
246
Commission, décision IV/C/33.833 du 13 juillet 1994, Carton, § 111.
247
Romain Maulin, Jacques Buhart, Evidence in cartels proceedings: Current state and
prospects, November 2011, Concurrences Review N° 4-2011, Art. N° 38773, pp. 51-64

80
déclarations restent renforcés par l’absence de toute disposition légale destinée à
garantir leur fiabilité. En outre, si l’entreprise destinataire des griefs d’accusations
remette en cause les déclarations des plaignants dans ses propres déclarations, il
n’existe aucun moyen par lequel elle peut soumettre un demandeur de clémence à un
véritable contre interrogatoire.248

Défaut de sanction pour fausses déclarations. Il n’existe en droit de la


concurrence communautaire, aucune possibilité de déclarer sous serment249, avec le
formalisme et les sanctions qu’accompagnerait une telle procédure en droit pénal 250.
En outre, la Commission n’est pas en mesure de sanctionner outre mesure le dépôt de
fausses déclarations lors d’audiences. En effet, si le règlement n°1/2003 prévoit
certes des amendes de procédure en cas de fourniture de renseignement inexacts dans
le cadre d’enquêtes et de demandes de renseignements 251 ces amendes ne s’appliquent
pas aux déclarations formulées en dehors de ces hypothèses.252 En outre, si le montant
de la sanction encourue a récemment été augmenté à hauteur de 1% du chiffre
d’affaire annuel de l’entreprise, le déclarant personne physique, n’est sous le joug
d’aucune sanction personnelle. Reste cependant, la possibilité (et non des moindres)
de retirer le bénéfice de la clémence en cas de fausse déclaration. En droit américain,
ce retrait s’exprime par l’inexécution contractuelle du « leniency agreement » par le
demandeur de clémence donnant droit à une résiliation unilatérale pour faute du
« contrat de clémence ».253 Concernant le droit européen, le retrait de l’immunité ou
de la réduction est justifié car l’une des conditions nécessaires à l’obtention de la

248
James S. Venit, ibid., p. 26 et Jürgen Schwarze, Deficiencies in European Community
Competition Law – Critical Analysis of the current practice and proposals for change, page
54, 
249
TPIUE, arrêt du 20 mars 2002, HFB et autres c/ Commission, aff. T-9/99, § 392 : “Il
convient d’observer que la Commission, bien qu’elle puisse entendre des personnes
physiques ou morales lorsqu’elle l’estime nécessaire, ne dispose pas non plus du droit de
convoquer des témoins à charge sans avoir obtenu leur accord”
250
Nathalie Jalabert-Doury, “Les déclarations en droit de la concurrence : la preuve
d’infractions peut-elle se satisfaire de “certitudes probables”?”, Concurrences n° 2-2005, §
3, p. 41.
251
Règlement n° 1/2003, articles 17, 18 et 20.
252
Romain Maulin, Jacques Buhart, Evidence in cartels proceedings: Current state and
prospects, November 2011, Concurrences Review N° 4-2011, Art. N° 38773, pp. 51-64
253
Voir intro partie III sur le caractère contractuelle de la clémence en droit américian.

81
clémence est de « s’abstenir de détruire, de falsifier ou dissimuler des informations
de preuves utiles se rapportant à l’entente présumée »254

L’affaire du GPL conditionné. Cette affaire dénote l’exemple français le


plus marquant lié à un cas de fausses déclarations en matière de clémence. L’autorité
de la concurrence avait ainsi considéré que «  la transmission par les sociétés Shell et
Butagaz, de pièces dont l’authenticité a été déniée par les conclusions de l’expertise
au vu de contestations dont la matérialité n’est pas contesté par ces deux sociétés, a
255
gravement perturbé l’instruction de l’affaire » ayant entrainé une violation de
« l’obligation de coopération entière et loyale qui pèsent sur tout demandeur de
clémence. » Afin de punir sévèrement cette pratique et ainsi de dissuader toute autre
future fausse déclaration, il a été mis en application les dispositions de l’article L.464-
2 du code de commerce prévoyant la possibilité d’attribuer une sanction à hauteur de
1% du chiffre d’affaire globale de la société ayant fait obstruction à l’instruction.
Enfin, l’affaire a été transmise au parquet avec intention de punir pénalement les faits
reprochés à la société Butagaz.

L’introduction d’une sanction pénale en matière de fausses déclarations ?


Selon Monsieur Maulin et Buhart256, la meilleure solution serait la répression. Ainsi,
dès lors que des déclarations afférentes à l’article 19 du Règlement n°1/2003 257
s’avèrent fausses, il convient de s’interroger sur la possibilité d’instaurer des sanctions
pénales. Cette politique pénale devrait être instaurée à l’échelle des Etats-Membres
avec pour soutient logistique le Réseau Européen de la Concurrence. Il serait ainsi
judicieux d’appliquer une sanction pénale uniformisée à l’échelle européenne ou à

254
Commission, communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant
dans les affaires portant sur des ententes, 8 décembre 2006, points 12, (a), 4ème tiret et 30,
alinéa 2.
255
Autorité, décision n° 10-D-36, § 22.
256
Romain Maulin, Jacques Buhart, Evidence in cartels proceedings: Current state and
prospects (supra)
257
« Pour l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement,
la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d'être
interrogée aux fins de la collecte d'informations relatives à l'objet d'une enquête.

82
défaut laisser l’application du droit nationale en matière de fausse déclaration.
Cependant, l’absence de compétence de l’Union Européenne en matière pénale
exclue cette première solution. Si les personnes physiques dont émanent les fausses
déclarations ne peuvent ainsi subir le courroux de sanctions « pénales européenne » il
reste cependant possible d’instaurer un système d’amendes répressives aux entreprises
pour fausses déclarations.

Conclusion. L’instrumentalisation défensive du programme de clémence


exprime la perte de sang froid des entreprises au moment ou une autorité se rapproche
d’un peu trop près de la vérité. C’est la preuve même de l’effet déstabilisateur du
programme de clémence sur l’équilibre du cartel. Dès lors, un certain nombre de
facteurs, à l’image de la perquisition d’une filiale d’un groupe cartellisé ou
l’investigation dans un marché voisin, crée une suspicion à la fois d’être découvert,
mais aussi qu’un autre membre du cartel se serve de la clémence en premier. Cette
instrumentalisation se fait aussi une fois l’enquête en cours en Europe, où la qualité
des preuves joue un rôle déterminant dans le taux de réduction de l’amende. Les
entreprises se voient alors tentées de faire de fausses déclarations dès lors qu’elles
n’encourent peu ou pas de sanction pour un tel acte. Cela s’avère cependant un pari
risqué comme nous le prouve la jurisprudence, quand le bénéfice même de la
clémence de « second rang » peut être annulé si la valeur probante des déclarations
n’est pas reconnue.

Section 3 : Instrumentalisation cyclique : une récidive encouragée ?

A. Itinéraire d’un récidiviste en série 

Une instrumentalisation cyclique. Une série d’études empiriques258 a


démontré l’existence d’une utilisation à répétition du programme de clémence par
certaines entreprises. Ces « cartellistes récidivistes » ou « serial cartelist »259 comme
la doctrine américaine les nomme, se sont spécialisés dans l’utilisation abusive du

258
Chirstopher Harding, Caron Beaton-Wells and Jennifer Edwards “ leniency and criminal
sanctions” (2015) Hart studies in competition law
259
Ibid p.257

83
programme de clémence à leurs fins. Ces exemples marquent le premier paroxysme
de l’instrumentalisation de la clémence tant il semble que ces entreprises usent du
programme de clémence, comme ont userait d’un joker autour d’une table de jeu. Une
brève analyse des affaires de la Commission à l’encontre des ententes ces 30 dernières
années met en évidence un certain profil d’entreprise usant et abusant du mécanisme
de clémence. Le tableau 1 ci-dessous met en lumière quelques entreprises pour qui
l’utilisation du mécanisme de clémence n’est rien d’autre qu’une manœuvre
commerciale comme une autre.

Tableau 1. Cartelliste récidiviste (source : Journal officiel de l’Union


Européenne / Anti-cartel Enforcement in comtemporary age : leniency religion)
Entreprise Nationalité Nombre de Immunité Réduction Cartel Sortie du
participation complète d’amende « rentable » Cartel
s à un cartel après sans frais
condamnatio dans x%
n x% des cas des cas
Akzo Pays-Bas 9 3 4 7/9 3/9
Nobel 77% 33%
Aventis France 5 3 2 5/5 3/5
100% 60%
Bayer Allemagne 4 2 2 4/4 2/4
100% 50%
Degussa Allemagne 3 2 1 3/3 2/3
100% 66%

84
Chemtura Etats-Unis 2 2 0 2/2 2/2
100% 100%
Hoffmann- Suisse 13 0 9 9/13 0/13
La Roche 69% 0%
BASF Allemagne 11 0 11 11/11 0/11
100% 0%

En ce concentrant uniquement sur le marché des entreprises pharmaceutiques, il a été


possible de trouver 7 entreprises dont la participation à un cartel a été répétée plus de
2 fois ces dernières années et dont l’utilisation du programme de clémence a été une
« échappatoire rentable » à leurs actions. En effet, si l’on ne considère que les
sanctions publiques dans nos calculs260, la décision de rentrer dans un cartel pour ces
entreprises a été économiquement rentable dans 92% des cas en moyenne et sans
aucun frais dans 44% des cas. Ces données dégagent un profil type de « serial
cartelist ». Il s’agit en effet généralement de multinationales avec d’importants
pouvoirs financiers et accompagnés d’une forte expertise juridique.

Statistiques sur la récidive après condamnation. Encore plus surprenant, si


les entreprises récidivent leurs actions après l’utilisation du programme de clémence,
d’autres études prouvent que certaines entreprises récidivent même après une
condamnation sans réduction d’amende. Le taux de récidive est une variable
importante car elle reflète le caractère plus ou moins dissuasif des amendes infligées
par l’autorité de concurrence. 261 À l’image de l’étude de E. Combe, nous définirons le
pourcentage de récidives comme la proportion de cartels comprenant au moins une
entreprise déjà condamnée par une même autorité pour avoir participé à une
entente.262
Dans un échantillon de 74 affaires, le taux moyen de récidives est loin d’être
marginal : 26% des cartels condamnés par la Commission comprennent au moins un

260
Excluant de faits les actions privées dont le résultat et les chances de succès sont trop
aléatoires
261
E. Combe « Les cartels en Europe, une analyse empirique » Revue francaise d’économie,
2012/2 Volume XXVII p.226 « récidive »
262
De cette étude est exclut les précédentes condamnation pour violation de l’article 102 du
TFU ou relative à la directive sur les concentrations.

85
membre récidiviste. Ces statistiques prennent un intérêt d’autant plus important dès
lors que l’on classe les récidives par secteurs.
Tableau 2 : Source E. Combe « Les cartels en Europe, une analyse
empirique »
Nombres de cas Récidive (%des cas)
Métallurgie et produits 18 28%
minéraux non métalliques
Fabrication de machines 13 54%
et équipements
Industrie du papier, carton, 12 25%
caoutchouc et plastique
Textile, construction 5 0%
Industrie chimique 13 38%
Produits consommables 13 15%
TOTAL 74 26%

Sur l’ensemble de l’échantillon, 20 firmes ont récidivé, avec 66% des cartels
comptent un seul récidiviste, 18% deux récidivistes et 14% 3 récidivistes. Ces chiffres
démontrent un problème sérieux quant au caractère dissuasif des sanctions opérées
par les autorités européennes, notamment due à une attribution cyclique des
mécanismes de clémence.

Problématiques d’ordre moral. Il est certain qu’une utilisation


cyclique des programmes de clémence dans plusieurs cartels permet une optimisation
des gains pour l’entreprise se faisant au détriment du consommateur. Là encore, deux
écoles s’opposent. D’une part la vision utilitariste du droit envisage cette
instrumentalisation cyclique comme le moindre mal des mécanismes de clémence,
qu’il est nécessaire de protéger malgré ces failles stratégiques. La vision moraliste
quant à elle, envisage la question sous un autre angle et affirme qu’il est inadmissible
d’accepter une utilisation répétée du programme de clémence, quand bien même
celle-ci permettrait la dissolution d’ententes. Si notre étude a beaucoup emprunter à la
doctrine utilitariste, il convient cependant d’aborder une solution, en ce qui semble
être un abus avéré des mécanismes de clémence.
D’une part, l’instrumentalisation répétée du programme de clémence permettant à
l’entreprise de sortir de l’entente sans frais s’apparente selon nous à un enrichissement

86
sans cause. En effet, il s’agit bien d’une entreprise qui s’est enrichie (1) par
l’appauvrissement de consommateurs (2) dont le lien de causalité est matérialisé par
l’augmentation des prix liés à l’entente (3). Cependant, le quatrième critère quant à
lui est plus incertain dès lors qu’il définit que l’enrichissement ne doit être justifié par
aucune raison juridique (4). L’on peut cependant légitimement considérer le
programme de clémence et les considérations d’ordre public économique qu’il
emporte avec lui, comme une raison juridique suffisante. Les cas de récidives rendent
cependant plus incertains la justification d’ordre juridique de l’enrichissement
consécutive du 4ème critère.

B. Solutions

Solutions envisageables. Au vu d’un tel constat, quelques pistes de


réflexions peuvent être envisagées. D’une part, c’est sans artifice qu’il serait possible
de régler la problématique de l’instrumentalisation cyclique en rendant impossible
l’utilisation du programme de clémence plus d’une fois pour une même personne tout
en majorant l’amende du cartelliste récidiviste. Cette solution peut cependant
s’apparenter à une réponse bancale dès lors qu’il est aisé pour des cartellistes de
changer la filiale en charge du cartel après chaque condamnation. Il serait alors (dans
une certaine mesure) opposable que la société fille précédemment condamnée et celle
nouvellement condamnée, bien que sous le joug d’une même société mère, possède
deux personnalités juridiques distinctes.
Une seconde solution envisageable est l’instauration à l’échelle de chaque Etats-
Membres d’une accumulation des peines pénales en cas de récidive. A titre
d’exemple, si les dirigeants de la société X obtiennent l’immunité à un temps t, et que
la société X récidive sous la direction des mêmes dirigeants à t+1, La peine non
attribuée en premier lieux sera infligée, doublée de la peine liée à la seconde
condamnation. Il ne va cependant pas sans dire qu’une telle solution pose un certain
nombre de problèmes constitutionnels dans de nombreux pays européens concernant
le cumul des sanctions. Cette solution reste cependant envisageable aux Etats-Unis.

87
Conclusion. Si l’instrumentalisation des normes juridiques est le
propre de toutes entreprises bien conseillées, le caractère répété de ces abus soulèvent
un certain nombre de questionnements sur l’efficacité du programme de clémence à
agir comme outil répressif. Le constat statistique est sans appel. Certaines entreprises
ne semblent guère se soucier des conséquences d’une éventuelle sanction à leur égard
dès lors qu’elles savent manier l’outil de clémence afin de récidiver sans frais.
Toujours sur une base comptable, une entreprise ayant pour objectif
d’instrumentaliser de manière cyclique le programme de clémence agira en acteur
économique rationnel dès lors que le profit tiré par l’entente restera supérieur à la
condamnation. La vision utilitariste du programme de clémence marque ici les
limites de son raisonnement. En effet, l’idée selon laquelle l’utilisation détournée du
programme est un mal nécessaire à un dessein plus grand, qu’est la dissolution rapide
d’une grande quantité de cartel, n’est plus acceptable. Il est inadmissible d’accepter
qu’une utilisation stratégique du programme aille jusqu'à encourager la récidive. Face
à ce phénomène encore heureusement marginal, les autorités américaines comme
européennes se voient impuissantes. Cependant, certaines solutions restent
envisageables.

Transition. Durant toute notre étude, la base même de notre


raisonnement a été de tenter de prouver que la préservation du programme de
clémence est un pré requis nécessaire à une protection efficace du marché contre les
ententes. Cette prise de conscience vient du fait que le programme de clémence à en
l’espace de 38 ans, presque entièrement remplacé les outils d’investigations classiques
couteux et chronophages. Si environs 80 à 90 % des ententes sont désormais
découvertes via le programme de clémence, il reste donc une probabilité extrêmement
faible pour les ententes résistantes au programme de clémence de se voir un jour
débusquées. De ce fait, nous avons imaginé quelques modèles permettant à une
entreprise de parer structurellement le programme de clémence.

CHAPITRE 2 : l’essoufflement du mécanisme de clémence


face aux donnés empiriques

88
Lors de nos recherches, nous avons émis l’hypothèse qu’un cartel était « instable »
par nature et que le programme de clémence agissait comme un levier de déséquilibre
du cartel. Il convient maintenant de s’interroger sur l’efficacité du programme de
clémence en matière de détection sur les cartels dit « stables » (Section 1) et ainsi en
déduire l’importance d’une conjugaison de la clémence avec une sanction optimale
pour les condamnés (Section 2) Enfin, nous allons établir les possibles parades
structurelles que les cartels « stables » peuvent mettre en place pour palier aux effets
du programme de clémence. (Section 3)

Section 1 : Questionnements quant à l’efficacité du mécanisme


dissuasif sur les cartels « stables »

A. Facteurs de stabilité du cartel

Définition d’un cartel « stable ». La doctrine économique a théorisé


depuis le milieu des années 60, le caractère instable des cartels 263. En effet selon
George J. Stigler, chaque membre du cartel a un intérêt individuel à baisser
secrètement son prix afin de maximiser son profit, conduisant inévitablement à une
solution classique de « dilemme du prisonnier »264. En suivant ce modèle, aucune
entreprise ne peut rationnellement respecter l’équilibre du cartel et c’est ainsi une
situation de pleine concurrence qui s’installe. Ces résultats ont depuis été largement
critiqués. Ainsi, d’Aspermont & Jacquemin265 montrent que cette solution ignore
l’impact sur le prix et les profits des entreprises qui quittent le cartel (instabilité
interne) ou le rejoignent (instabilité externe). Ils mettent ainsi en évidence que « pour
un nombre fini de firmes, il est toujours possible de trouver un cartel stable. ». Enfin,
les analyses en termes de théorie des jeux répétés ont permis de préciser les facteurs

263
G.J. Stigler « A theory of Oligopoloy » The Journal of Political Economy, Volume 72,
issue feb 1964 p.47
264
Voir Partie IV de l’introduction
265
Aspermont & Jacquemin « On the stability of collusive price leadership » The canadian
journal of economics, Vol 16 n°1 (feb 83) p.17-25

89
de stabilité des collusions à travers une liste non-exhaustive de critères 266.La stabilité
collusive est donc facilitée par :
- La concentration du marché et le faible nombre d’entreprises au sein du cartel.
- La symétrie des coûts et des capacités de production entre entreprises.267.
- L’existence de barrière à l’entrée (et à la sortie) du marché. Celle-ci permet de
se prémunir contre l’entrée de nouveaux concurrents pouvant déstabiliser
l’entente par des prix concurrentiels.
- L’homogénéité des produits. Si les produits sont différenciés il sera compliqué
de punir le tricheur. La déviation unilatérale (tricherie) sera cependant aussi
moins profitable car celui-ci ne pourra s’approprier tout le marché268
- Absence de volatilité269 de la demande
- D’importants mécanismes de sanctions pour toutes déviations de l’entente.
Ces facteurs de stabilité du cartel sont ceux permettant une stabilité du cartel face aux
aléas « naturelle » des lois du marché, c’est à dire les cas ou l’entente imploserait sans
intervention d’une autorité de concurrence. Cependant, si un cartel stable se voit
protégé des aléas des lois du marché, il reste sous la pression d’une détection des
autorités concernées.

Quid de la probabilité pour un cartel stable d’être découvert ?


Définir la probabilité de détecter une entente sur une année, n’est pas chose aisée dès
lors qu’il est impossible de comparer le nombre de cartels découvert avec le nombre
de cartels toujours en activités. Cependant, en 1991, Bryant et Eckart 270, deux
chercheurs ont estimé la probabilité annuelle pour un cartel d’être détecté par les
autorités fédérale américaine entre 13 et 17%. Quinze ans plus tard, E. Combe 271
entreprend la même étude sur un échantillon d’affaires européennes et estime entre

266
Emmanuel Combe, Constance Monnier, « Les cartels en Europe, une analyse empirique »,
Revue française d'économie 2012/2 (Volume XXVII), p. 187-226. DOI 10.3917/rfe.122.0187
267
Massimo Motta «  On EU antitrust and cartel deterence » written for the EACGP meeting
in Brussels, 14 september 2007.
268
E. Combe, C . Monnier supra
269
La volatilité d'un actif mesure l'importance des variations de son cours sur une période
donnée. L’absence de volatilité de la demande constitue donc une demande stable.
270
Bryant & Eckart “Cartel : the probability of getting caught” Article in review of
economics and statistics 73(3) February 1991.
271
E. Combe, Constance Monnier, Renaud Legal « Cartels : the probability of getting caught
in the European Union » BEER paper 12, Mars 2008

90
12,9% et 13,3% les chances pour la Commission de débusquer un cartel en activité.
De même, sans pour autant fournir d’indications précises sur la méthode de calcul,
l’OCDE [2003] estime que « pas plus d’une entente sur six ou sept est détectée et
poursuivie » ce qui correspond aussi à une probabilité de l’ordre de 15%. Il ressort de
ces trois études que les probabilités de détection convergent vers un même
pourcentage et ce, qu’il s’agisse d’enquête de la Division Antitrust, de la
Commission, ou d’une autorité nationale de concurrence de l’OCDE.

Dans ces 15% de cartels débusqués ressort plusieurs facteurs de détection, que sont
respectivement :
- les cas d’enquêtes spontanées des autorités de concurrence,
- l’activation du programme de clémence
- les plaintes faites par acteurs satellites du cartel (fournisseurs, clients)
- la dissolution naturelle du cartel amenant à une modification brutale et
suspicieuse du marché.

B. L’influence de outils d’investigation des autorités de concurrence sur les cartels


« stables »
L’influence du programme de clémence et des investigations
autonomes sur la stabilité des cartels. Malgré les difficultés méthodologiques
qu’engage l’indentification des causes de détection d’un cartel, il est possible d’en
estimer la fréquence. L’étude se basera en premier lieu sur la période 1969-2009 sur
un échantillon de 111 cartels fait par E. Combe 272 puis nous étendrons ces recherches
à la période 2009-2015. Dans le premier échantillon il est mis en évidence que les
enquêtes spontanées de la Commission constituent le premier facteur de dissolution
des cartels (42%). S’en suit dans l’ordre décroissant, les programmes de clémence
(32%) les plaintes de clients ou de concurrents qui ont conduit au déclanchement de
l’enquête (14%) et enfin, les cas de « mort naturelle » du cartel (6,5%)
Tableau 1 : Source Emmanuel Combe, Constance Monnier, « Les cartels en
Europe, une analyse empirique »,
Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage Pourcentage
de cas de cas avant 2002 après 2002
total depuis

272
E. Combe & C. Monnier supra

91
2002
Enquête 46 41% 14 50,8% 29%
spontanées
Programme 34 31% 30 6,3% 62,5%
de clémence
Notification 6 5% 0 9,5% 0%
s
Plaintes 15 14% 1 22% 2%
officielles
Dissolution 10 9% 3 11,2 6,5%
naturelle du
cartel
Total 111 100% 48 45% 55%

Bien que sur l’ensemble de la période, les enquêtes spontanées forment le premier
facteur de découverte des cartels par la Commission, il convient de rappeler que la
période 1969-2009 contient 27 ans, sans l’existence du mécanisme de clémence en
Europe. L’on remarque ainsi une nette diminution du pourcentage de cartel décelés
par le biais d’enquêtes spontanés à partir de 2002, date de mise en place du second
programme de clémence européen.
Cette écart s’est creusé durant la période 2009-2015 avec près de 85% des cartels
découverts par le biais du programme de clémence contre 6% pour les enquêtes
spontanées273. Cette étude démontre la nécessité qu’a la protection du programme de
clémence dans la détection des ententes secrètes dès lors qu’il n’est pas envisageable
de se cantonner à un taux de 6% d’ententes découvertes par le biais d’investigations
« classiques ».

Constat et conséquences. Si l’on raisonne sur un échantillon de 100


cartels en activité, les études statistiques ont montré que seulement 15 seront
découverts. Sur ces 15 cartels, 1 seul sera débusqué par le biais d’enquête spontanée,
12 par le biais du programme de clémence et 2 par le biais d’autres moyens. Il existe
donc sur dans cet échantillon, 88 cartels sur lequel le programme de clémence ne

273
Andrew R Dicks “What make cartel collapse ?” Source: The Journal of Law &
Economics, Vol. 39, No. 1 (Apr., 2016), pp. 241-283 Published by: The University of
Chicago Press for The Booth School of Business, University of Chicago and The University
of Chicago Law School

92
semble pas faire d’effet. Ainsi, il semble que le programme de clémence n’a
d’influence que sur des cartels « instables» et n’agit donc comme le prédateur de
proies « faibles », sans menace contre la majorité des cartels. L’abandon des moyens
d’enquêtes plus classiques qui constituaient avant 2002, 50,8% des découvertes de
cartels profitent ainsi à ce type d’entente, dès lors que leurs organisations structurelles
les prémunissent d’une délation de l’un de leur membre. Ainsi, si les programmes de
clémence produisent des résultats satisfaisants dans la détection de cartel, ils ne
sauraient être envisagés comme l’arme absolue de lutte contre les cartels, ni l’outil
miracle pour les détruire. Au contraire, le programme de clémence se doit d’agir
comme un complément efficace à la méthode traditionnelle d’investigation et de
sanction, seule à même de débusquer les cartels stables agissants sur le marché.

Transition. Un moyen indirect permettrait cependant de redonner


vigueur à ces statistiques : la mise en place d’une sanction optimale réellement
incitative à l’enclenchement du programme de clémence.

Section 2 : la sanction optimale comme corollaire nécessaire à


l’efficacité d’une politique de clémence

Sanction & clémence. L’efficacité du programme de clémence se voit


intrinsèquement liée au caractère  dissuasif de la sanction qu’encourent les perdants
de la course à la clémence. Cette affirmation marque la continuité du raisonnement
selon lequel l’utilisation stratégique du programme de clémence est guidée par des
considérations d’ordre comptable coûts/avantages. Ainsi, la sanction optimale doit
être déterminée en partant du principe selon lequel les sanctions doivent exercer une
fonction dissuasive plutôt que rétributive. Celle-ci doit créer une menace « ex ante »
telle que la firme n’ait plus d’intérêt, sur la base d’un calcul rationnel, à former un
cartel ou à y rester274. Au regard de la faible probabilité de détection, les sanctions
infligées par les autorités de régulation, semblent encore inférieures à ce que
préconise l’analyse économique.
274
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” Revue
Francaise d’économie (2006) Vol 3 p.243

93
Définition d’une sanction optimale. Au regard du champ lexical
économique, une sanction optimale se définit comme « celle visant à dissuader les
agents, supposés rationnels, d’adopter des comportements inefficients pour la société,
c’est à dire dont le coût total pour la société l’emporte sur le gain privatif »275 Ainsi,
dans un monde sans coûts administratifs et sans erreurs judiciaires et en supposant
que les agents qui commettent une infraction sont toujours appréhendés, la sanction
optimale devrait simplement être égale à la perte infligée aux autres agents (et non au
profit retiré par l’auteur de l’action illicite). Si cependant on s’extrait de ce modèle
théorique en admettant que les agents qui commettent des infractions ne sont pas
toujours appréhendés, la sanction optimale doit être égale au dommage économique
sur le marché (noté D) divisé par la probabilité que l’auteur de l’infraction soit arrêté
et condamné (notée p).276

Amende optimale = D/p

Ainsi si l’on considère la probabilité de détection de 15% (0,15), la sanction optimale


doit atteindre 6 fois277 la perte causée. Un agent rationnel ne commettra pas une
infraction que si le gain espéré E par celle-ci est inférieur à la sanction optimale.
Soit :

E D/p (1)

S’ajoute au rapport (1) le facteur important des coûts d’ordre financier (organisation
d’une défense judiciaire) et moraux (perdre de notoriété) (notés C) que doit supporter
l’agent si son comportement illicite est détecté. Plus ces coûts sont élevés, plus la
sanction optimale peut être diminuée.

E (D - Cp) /p

275
G. Beckert « Crime and Punishement, an Economic Approach » Essays in the Economics
of Crime and Punishment (1968)
276
E. Combe (2006) Supra
277
100/6 =15

94
La sanction optimale en matière de cartel. Au regard des
constatations précédentes, la détermination d’une sanction optimale suppose d’abord
que soit évalué le dommage économique causé par le cartel. Ainsi on considère le
dommage causé au marché comme égale à la « perte totale de surplus » des
consommateurs. Celle-ci est mesurée par la somme du surprofit réalisé par le cartel et
la perte de bien être des consommateurs 278. Cette interprétation du dommage se
rapproche de l’idée de sanction optimale, dès lors que la perte totale de surplus est
toujours supérieure aux gains du cartel.

Selon les recherches de Levenstein & Suslow 279 (2002), la durée de vie moyenne
d’un cartel oscille entre 3,7 et 7,5 ans que nous simplifierons à 5 ans. De plus, durant
ces 5 années d’existence en moyenne, les cartels induisent à une hausse médiane de
20% des prix sur le marché sur lequel ils agissent 280. Si nous retenons ces hypothèses,
la sanction optimale correspond à 110% du chiffre d’affaire total sur le marché affecté
soit, 550% (110 x 5) du chiffre d’affaire annuel sur ce même marché (avec un
paramètre de détection inchangé).

La pratique actuelle aux Etats-Unis. Confrontons maintenant notre


estimation sur la sanction optimale avec le cadre législatif en vigueur. Nous
éluderons l’influence du private enforcement ainsi que du risque pénal. Au niveau
législatif, la plus part des pays de l’OCDE fixent l’amende maximale en pourcentage
(le plus souvent 10%) du chiffre d’affaire total de l’entreprise et non par rapport au
chiffre d’affaire réalisé sur le marché affecté, ce qui rend difficile la comparaison avec
notre étude. Cependant, au Etats-Unis, l’amende maximale est exprimée en termes de
multiple d’une grandeur économique. En effet, l’exemple américain repose sur un
système mixte. Si le Sherman act plafonne l’amende en valeur absolue (jusqu'à 100
millions de dollars), le Criminal Enforcement Act énonce que la sanction maximale
peut atteindre jusqu'à 2 fois le surprofit réalisé par la firme (perte de surplus des
consommateurs). Cette méthode est a priori celle qui se rapprocherait le plus de ce

278
Correspondant aux cas des consommateurs renonçant à acheter le biens suite à la hausse
artificielle du prix
279
Levenstein & Suslow « What determines Cartel Success » janvier 2002, Michigan U
review of Economy
280
Connor & Bolotova (2005) sur un echentillon de 674 cartels

95
que la doctrine économique préconise. Ainsi, les Sentencing Guidelines fixent
l’amende de base à 20% du volume des transactions affectées par le cartel 281. S’ajoute
des facteurs aggravants (telle que la récidive) et des facteurs atténuants (plea
bargaining), pouvant mener à une amende comprise entre 15% et 80% des
transactions affectées. Ces calculs sont cependant faits en ne prenant en compte que
les gains illicites (surprofits) et en oubliant la perte de bien être dont l’estimation est
souvent trop complexe à déterminer au regard de l’élasticité de la demande282.

La pratique actuelle au sein de l’Union. Depuis 1998, la mise en


place des lignes directrices283 la méthode de calcul des amendes a été modifiée au
profit d’une approche forfaitaire. La détermination de la sanction administrative se
fait en 4 temps avec un plafond fixé à 10% du chiffre d’affaire mondial des firmes
incriminées :
- l’amende de départ dépend de la gravité de l’infraction (pour un cartel, le
forfait de base se situe à 20 millions d’euros)
- L’amende de départ se voit ajustée à la hausse (effet dissuasif) sur la base d’un
coefficient multiplicatif lié à la taille des firmes et celle du marché.
- Cette amende est de plus majorée de 10% par année d’existence du cartel
- Modulation pour facteurs aggravants (récidive) ou atténuant (clémence)

La pratique européenne ne fait donc pas directement référence aux notions de gain
illicite ou de perte de surplus284

Pourquoi une telle distinction entre la doctrine économique et la


pratique législative ? Comme bien souvent, les modèles économiques marquent leurs
limites dès lors qu’il s’agisse de les appliquer dans la complexité du monde qui nous
entoure. Le cas du modèle de la « sanction optimale » ne fait pas défaut à cette règle,
du fait qu’il semble oublier un certain nombre de facteurs juridiques importants :

281
correspondant à une évaluation forfaitaire d’une hausse de prix induite par le cartel de
10% (surprofit)
282
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” Supra
283
Guidelines on the method of setting fines imposed pursuant to Article 15(2) of Regulation n° 17
and article 65(5) of the ECSC treaty (publiés au JOCE du 14 Janvier 1998).
284
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” (supra)

96
- La sanction optimale viole à priori le principe fondamental de proportionnalité
des peines. Or ce principe est inscrit à l’article 49(3) de la charte des droits
fondamentaux de l’Union Européenne.
- Une amende trop élevée peut causer la faillite de l’entreprise, ce qui
paradoxalement a pour effet de réduire la concurrence…
- En vertu du principe d’individualisation des peines285, il n’est pas acceptable
de baser une amende particulière sur la base d’un raisonnement fondé sur une
moyenne.286

Conclusion. Quelles conclusions normatives peuvent être tirées pour


améliorer le caractère dissuasif de la sanction et ainsi pousser à l’activation du
programme de clémence ? La sanction optimale se base sur une interprétation
comptable du droit qui exclut un certain nombre de facteurs légaux importants tels
que le principe de proportionnalité et d’individualisation des peines. Cependant, des
solutions plus pragmatiques sont envisageables. D’une part, le rehaussement du
pourcentage des seuils maximaux de sanction est une option envisageable et même
particulièrement nécessaire dans l’Union où les sanctions pénales et civiles sont très
peu appliquées287. D’autre part, il semble nécessaire de renforcer la probabilité de
détection à défaut d’augmenter la sanction (rapport D/p). Une politique répressive en
la matière visant à rendre plus attractif le programme de clémence, reste en effet la
seule alternative viable d’évolution.

Transition. L’essoufflement du programme de clémence passe non


seulement à travers le caractère peu incitatif de celui-ci ou la faible capacité de
détection des autorités de poursuites mais aussi par le développement de techniques
(supposées) permettant d’échapper à son fonctionnement.

Section 3 : Parade structurelle des cartellistes et


circulation binaire de l’information

285
V. A. Le Poittevin «  Individualisation de la peine »
286
E. Combe Supra
287
Cf Titre 1 , Chapitre 1, Section 1 & 2 de cette étude.

97
Modèle de recherche. Lors de cette dernière section, il est présumé
(car probable) l’existence de parades structurelles établies par les entreprise pour
palier à l’efficacité du programme de clémence. Le raisonnement sous-jacent est le
suivant : mettre en évidence ces mécanismes afin d’y trouver une réponse légale
efficace. Evidemment, aucune source certaine en la matière n’est disponible. Notre
recherche n’a donc pas pour prétention de trouver une parade parfaitement efficace,
dès lors que si celle-ci existe, elle est probablement l’un des secrets d’affaires les
mieux gardé depuis 38 ans. En effet, avec 6% de taux de détection des autorités de
concurrence, une protection contre le programme de clémence est l’assurance d’une
vie de cartel paisible.

Postulat de départ : Soit les entreprises A, B, C, D, E, F se mettent d’accord pour


fixer les prix sur un marché.

Question. Comment s’assurer qu’en cas de dénonciation de l’entente, tous les


membres de l’entente ne se voient pas condamnés?

Base du raisonnement. Reconnaître chaque membre du cartel comme une


menace et ainsi diviser l’information au sein de la pratique collusive afin de
rendre impossible la délation simultanée de tous les membres du cartel.

Circulation binaire de l’information. La circulation de l’information est l’alpha et


l’oméga de la pratique collusive. En effet, c’est elle qui guide la création et la
stabilité du cartel, mais aussi régira l’implosion de celui-ci en cas de dénonciation.
Notre recherche vise ainsi à mettre en place une entente dont la méthode de
circulation de l’information n’est plus circulaire (autour d’une table) mais désormais
binaire. Voici comment :
(1) (à un temps « t ») A et B se rencontrent et se mettent d’accord sur un prix .

(2) (à t+1), B et C se rencontrent et se mettent d’accord sur le même prix , sans


pour autant que C ne reçoit d’informations sur l’accord de A et B.

98
(3) (à t+2) C ainsi fera un accord avec D qui lui même ignora toute information
compromettante à propos de l’accord entre A et de B

(4) (à tn+1) s’instaure un rapport tel que : le nouvel entrant, forme une entente
autonome avec le précédent membre déjà engagé, sans divulguer d’information sur la
précédente entente qu’il a conclue.

Ainsi, si une procédure de clémence est enclenchée par disons B, celui-ci n’aura
d’informations pertinentes sur le cartel qu’à l’encontre de A et C, sans pouvoir
incriminer D, E, F. La chaine n’est ainsi rompue uniquement en ces extrémités et
protèges des poursuites 3 membres du cartel sur 6. Ainsi, si l’organisation du cartel
change ne s’avère plus circulaire, mais binaire, l’efficacité de la procédure de
clémence s’estompe. Ce modèle a cependant quelques limites.

Limite du modèle. Le modèle précédent n’est vrai qu’à la condition qu’une


fois dénoncée, les deux membres de l’entente pouvant être condamnés 288 n’aient pas
d’intérêt à dénoncer à leur tour leur binôme. Ainsi, si l’on reprend notre précédent
exemple, si B dénonce l’entente, A et C peuvent être condamnés. Si C ne dégage
aucun gain à dénoncer D, il est vraisemblable qu’il ne le fera pas. Le gain tiré de la
délation se matérialise ici par la possibilité d’accéder à une réduction de peine.
Cependant, comme nous l’avons vu, le programme de clémence américain, n’offre
pas des réductions de peine aux perdants à la course à la clémence. Ainsi, si C ne
voit pas de possibilité de diminuer sa peine en dénonçant D, il n’est pas rationnel
qu’il le fasse. Nonobstant, il convient de rappeler l’existence du « plea bargaining »
permettant d’avoir un effet incitatif sur C à dénoncer D pour jouir d’une réduction
de peine. Ce facteur diminue grandement l’efficacité du modèle établi du fait que la
dénonciation du binôme devient récompensée.
Le programme de clémence Européen est quand à lui presque insoumis à ce genre de
parade dès lors qu’il offre de manière certaine une réduction d’amende au second,
troisième et quatrième délateur. La chaine de silence est donc rompue dès lors que
chacun des membres du « cartel à information binaire » perçoit un intérêt significatif
à dénoncer le second membre de son binôme, faisant ainsi tomber la chaine
collusive. Cependant, il conviendrait de définir si ce format d’entente ne donnerait
288
Soit les deux seul dont la l’autorité a pu réunir les preuves de la participation à l’entente

99
pas à tous les membres le statut de précurseur/meneur de l’entente, excluant ainsi la
possibilité de demander clémence dans certains programmes des Etats-Membres.

Conclusion. Bien heureusement, il n’est pas si facile de trouver des


techniques permettant de contourner efficacement le mécanisme de clémence. Notre
étude a cependant démontré que l’ingénierie de certains montages juridique, à l’image
du modèle d’information binaire, pourrait potentiellement venir à bout de la logique
de clémence. Si l’instrumentalisation du programme est parfaitement maitrisée par
certaines entreprises, le contournement total de celui-ci reste encore une faille
marginale, dont nous avons cependant l’assurance qu’elle est exploitée d’une manière
ou d’une autre.

100
CONCLUSION GÉNÉRALE

Lors de notre étude, nous nous sommes attelé à démonter en quoi le mécanisme de
clémence est un outil qu’il convient de manier avec soin, tant il s’apparente à une   
anomalie juridique, utile et contradictoire. Difficilement conjugable avec les principes
parmi les plus fondamentaux de nos démocraties,  que sont le droit à la réparation,
l’accès aux preuves ou encore le devoir de sanction pénale, le programme de
clémence semble discordant avec le système dont il est la constituant. En cela, il
amorce un équilibre entre la défense de ces mêmes principes et celle du programme
de clémence, dont la protection est nécessaire à la sauvegarde d’un objectif
économique important. En effet, si l’écrasante majorité statistique des cartels
découverts le sont par l’activation du programme de clémence, il est vraisemblable
que tous frottements systémiques, stabilisent les ententes sur le marché. L’hésitation
d’un membre d’une entente à dénoncer celle-ci est selon nous les prémisses d’un
cartel qui agira encore de longues années. Cependant, le « coup de poker » qu’est la
demande clémence par une entreprise s’apparente au risque d’une auto-incrimination
couplée du courroux d’actions publiques et privées en cascade. Au vu des enjeux
inhérents à l’utilisation du programme de clémence, l’opportunité d’une politique
transparente et uniformisée à l’échelle internationale s’avère nécessaire. Ainsi, la
politique de clémence se doit, selon nous, de protéger le délateur avec la même
ferveur qu’elle entend sanctionner les membres de l’entente.

Près de 40 ans d’existence du programme de clémence auront permis de


révolutionner la manière d’appréhender la politique répressive en matière d’entente.
Cependant, il convient de ne pas baisser la garde face à une instrumentalisation
toujours grandissante de l’opportunité de clémence. Dans l’échiquier judiciaire qui
s’est instauré entre cartelliste et autorités de la concurrence, chaque «joueur » cherche
désormais à entamer sa stratégie avec un coup d’avance. Certaines entreprises ont
ainsi parfaitement inclus le mécanisme dans leurs manœuvres commerciales et usent
du programme comme l’on userait d’un joker autour d’une table. La lutte contre cette
instrumentalisation est le second objectif des autorités européennes et américaines,
tant il démontre les limites d’un outil à double tranchant. Enfin, il convient
d’entreprendre une politique d’amélioration des moyens d’investigations classiques,

101
complémentaires et nécessaires à l’outil de clémence, sans lequel celui-ci perd tout
son caractère incitatif. Ainsi, le défi reste entier dans l’édification d’une politique
rationnelle de clémence, dont nous espérons, avoir pu apporter une pierre à l’édifice.

À la mémoire de
Perlette et Pierre Mezhrahid
Et Jacques Metoudi

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actions de dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du
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Communication de la Commission relative aux procédures de transaction (…), JO no
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VII. TRAITÉS INTERNATIONAUX

 Accord entre les Communautés européennes et le gouvernement des Etats-Unis


d’Amérique concernant l’application de leurs règles de concurrence

VIII. NORMES NATIONALES

108
Normes françaises

 Article 464-2 du Code de commerce

 Aricle L. 463-6 du Code de commerce

 Article L464-2 III du Code de Commerce

Normes anglaises

 Entrepreneur Act 2002

 Section 14 of the CMA Guideline 

Normes Américaines

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 Clayton Act (1914)

 Criminal Enforcement Act (2004)

 Federal Rule of Civil procedure.

 Sherman Act (1890)

 United State Civile Procedure Code

IX. PRINCIPALES DÉCISIONS ET JURISPRUDENCES

IX.1 Jurisprudences américaines

United States Supreme Court

 Georgia v Pennsylvania United States suprême court. R.R Co 324 US. 349
(1945

109
 Illinois Brick Co v Illinois, Supreme court of the United States, 431 US 720,
97S. CT 2061, 51 L. Ed 2d 707 (1977)

 Intel v AMD USSCourt 124 ST CT 2466 (2004)

 McCleyskey v Kemp, Majority view L Powel , 481 US 279 (1987)

 Milles v United States (USSC) (1880)

 Verizon Communications v. Law Offices of Curtis V Trinko , 540, U.S, 398,


408, (2004)

 Vichi v. Koninklijke Philips Electronics, N.V. 85 A.3d 725 (2014).

 United States v Alexender & Reid Co. 280 fed. 924, 927 (S.D.N.Y)

 United States v. Chung Cheng Yeh CR 10-00231 WHA, 2013 WL 2146572


(N.D. Cal. May 15, 2013)

 United States Gypsium Co ; 438 US 422

 Unted States v McDonough Co , 1960 Trade cases (CCH) 69, 695.

 United States v Nixon, 418 US, 683 (1974)

Court of Appeal

 City of Atlanta v Chattanooga Foundry & Piperworks ; 127 F. 23, 26 ( 6th Cir
1903)

 Solt-Nielsen SA v United States, 442 F.3d 177 ( 3rd circuit 2006)

 United States v Aluminium Co of america 148 F 2d 416 (2n Cir 1945)

 United States v Baird, 218 F. 3d 229 (3rd Circuit 2000)

 United States v Feild, 766 F. 2d 1161 (7th Circuit 1985)

 Wilson v Washington, 138 F 3d 647 (7th Circuit 1998)

110
IX.2 Jurisprudences Européennes

CJUE

 CJCE, 12 juill 1957, Algera, aff jtes 7/56

 CJCE, 9 juilliet 1969, Beguelin Import Co/S.A.G.L Import Export, aff n°22/71

 CJCE, 14 juilliet 1972, Imperial Chemical Industries, aff 48/69

 CJCE, 7 juin 2000, Aff COMP/36.545 – Acide Aminée, JOCE n° L152 du 7


juin 2001

 CJCE, 20 septembre 2001 Courage c/ Crehan Aff C-453/99

 CJCE 5 dec 2001, Aff COMP 36.604 – Acide citrique, JOCE n°L 239 du 6
septembre 2002.

 CJCE 18 juilliet 2001, Aff COMP 36.490 –Electrodes de graphite, JOCE


n°L100 du 16 avril 2002.

 CJCE 8 juillet 2004, JFE Engineering c / Commission, aff. T-67/00, § 219.

 CJCE, 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09 ; V.


Chronique, Concurrences n° 3-2011, p. 177

 CJUE, 24 juin 2015, C-293/13 et C-294/13 (Fresh Del Monte)

 CJUE, 20 janv. 2016, DHL Express et DHL Global Forwarding, aff. C-428/14

Commission

 Comm. CE, déc. 86/398/CEE du 23 avril 1986, aff . IV/31.149, JOCEn ° L .


230 du 18 août 1986, p. 1 et C om m E, 30 novembre 2005, aff . C O M P / F /
38.354)

 Commission, décision IV/C/33.833 du 13 juillet 1994, Carton

111
 Commission, décision COMP/37.512 du 21 novembre 2001, Vitamines

IX.3 Jurisprudence francaise

 Cass Com 19 janvier 2010 Obs E.B.S, RCL 2010/23

 CA Paris 12 dec. 2006, Bouygues Télécom

 CA Paris, pôle 5, ch. 4, 24 juin 2015, Région Île-de-France, RG n° 14/01570

IX.4 Décisions de l’autorité de la concurrence

 Decision du Conseil de la concurrence du 11 avril 2006 06-D-09

 Déc. n° 08-D-12, 21 mai 2008, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le
secteur de la production du contreplaqué

 Aut. conc., déc. n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques


mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière vertical

X. DOCUMENTS OFFICIELS ET COMMUNICATIONS

X.1 Commission Européenne

 Communication de la commission sur la non-imposition d’amendes ou la


réduction de leur montant, JOCE n°C 207, 18 juilliet 1999 ; Europe, aout-sept,
1996 comm n°321 Obs L. Idot

 Communication du 19 fevrier 2002 sur l’immunité d’amende et la réduction


de leur montant dans les affaires portant sur les ententes, JOCE n°C45, 19 fev
2002 ; Europe, avr. 2002 Comm n°146 Obs. L. Idot.

 Comm. CE. Communication de la Commission sur l’imunité d’amende et la


réduction de leur montant dans les affaires portant sur les ententes : JOUE,
n°C298/17, 8 dec 2006.

112
 Commission Européenne, Communiqué de Presse : « La Commission
recommande aux Etats membres de se doter de mécanismes de recours
collectif pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice »,
Commission Européenne - IP/13/524 11/06/2013.

 Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux


règles de concurrence

 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur certaines


règles gouvernant les actions en réparation sur le fondement du droit national
pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États
membres et de l’Union européenne, Strasbourg , 11 juin

 « Press release » La Commission condamne le comportement collusoire de


Christie’s et Sotheby’s » IP/O2/1585

X.2 Autorité de la concurrence

 Conseil de la concurrence, Rapport de 2005

 Conseil de la concurrence, Rapport d’activité pour 2005, Étude thématique. V.


aussi E. David, L’incidence des procédures “alternatives” sur l’établissement
des pratiques anticoncurrentielles devant l’Autorité de la concurrence et la
Commission européenne, Concurrences no 1-2011, Art. no 33858, p. 67.

 Rapport de l’Autorité de la concurrence « étude relative au programme de


clémence français » 15 avril 2014

X.3 OCDE

 Communiqué de press n°2012/151/S “La banque mondiale releve une


conjuncture économique stagnante et appelle à des progress dans les
négociations commerciales pour les pays en développement.” »

 Rapport de la World Trade Organisation relatif à l’entente secrêtes, juin 1997


p. 40

 Rapport World Bank “Reducing distorition in international Commodity


market” May 2012

113
X.4 France

 Rapport Rachida Dati «  la dépénalisation du droit de la concurrence » 2007

 Rapport Coulon sur «  La dépénalisation de la vie des affaires » 2008

X.5 United state Department of Justice

 Criminal enforcement trend charts through fiscal year 2015

 Departement of Justice notes « Corporate Leniency Policy » 1993 Part A

 Departement of Justice notes « Corporate Leniency Policy » 1993 Part B

 Departement of Justice notes « Private Leniency Policy » 1994

XI. CHRONIQUES, NOTES, CONCLUSION ET COMMENTAIRE DE


JURISPRUDENCE

 CARLWICK (D.) CA Paris, 19 janv. 2010, Concurrences, n° 2-2010, p. 131

 NEYRINCK (N.), BEDDLEEM (O), Strategic use of competition law: The


"Bouygues Telecom VAT" case, September 2011, Concurrences Review N°
3-2011, Art. N° 37130,

 VALDI (E.) In re Vitamins Antitrust Class Action 1999-2 Trade cas (CHH)
paragraphe 72,726 (DDC 1999)

 WARINE (F.J) & WAFFE (P.) “Solt-Nielsen rulling offers lesson on


negotiating corporate Amnesty agreement » , Washington legal fundation,
Mars 2008

XII.COLLOQUES, CONFÉRENCES

114
 DELRAHIM (M.), Current development at the Antitrust division », discours
du 8 aout 2004.

 DELRAHIM (M.), Facing the Challenge of Globalization : Coordination and


Coopération between Enforcement Agencies (The US and the EU), discoure
prononcé le 22 oct 2004.

 GRIFFIN (J.M), « An overview of Recent Development in the Antrust


Division’s Criminal Enforcement program », in Anual proceedings of the
Fordham Corporate Law Institute, Oct 2003, Barry Hawks d. 2004

 HAMMOND (S. D), « Detecting and dettering cartel activity through and
effective leniency program » international Workshop on Cartels, discours du
22 nov 2000

 KLAWITER (D.C), « Corporate Leniency in the Age of International Cartel :


the american experience » Antitrust, summer 2000

 LEMAIRE (C.), La coordination entre les juges répressifs et le Conseil de la


concurrence in 5ém journée Christian Gavalda, La sanction des pratiques
concurrentielles par recours à l’article L.420-6 du Code de commerce ;
Université Paris 1 (novembre 2007)

 Le Réseau International de la Concurrence organize sa 14ème conférence


annuelle à Sydney (Conférence annuelle de l’ICN, du 28 avril au 1er mai
2015, Sydney, Australie)

 MOTTA (M.) «  On EU antitrust and cartel deterence » written for the


EACGP meeting in Brussels, 14 september 2007.

 MONTI (M.) « Antitrust in the US and in Europe : a history of


Convergence » discour adressé au General Counsel Roundtable of the ABA,
Washington D.C nov 2001.

 MONTI (M.), Opening speech at the Third Nordic Competition policy


Conference, discours du 11 sept 2000

 PUEL (F.) et MARTIN (L.F) «  Méthodologie d’une démarche de clémence


N°3-2006 Colloque

 SPARTLING (G.R) « The trend towards higher corporate fines : it’s a whole
new Ball Game » Eleventh annual national institue on White collar crimes,
New Orlean, 7 March 1997

115
XIII. ARTICLES DE PRESSE

SEVASTOPOULOS (D.), « AES colluded with Enron to rig bid for Latin America
energy group », Financial Times, 21 mai 2003.

DUPONT (E.) turns its legal department into a profit center”, International Herald
Tribune, 3 octobre 2007

116

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