Analyse Systemique Et Strategique Des Li
Analyse Systemique Et Strategique Des Li
Analyse Systemique Et Strategique Des Li
Gabriel Mezhrahid
1
Sous la direction de Christophe Lemaire
Art Articles
ANC Autorité nationale de concurrence
Commission Commission Européenne
Cass Com Cour de Cassation, chambre commerciale
DoJ Département of justice
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
Private enforcement Actions privées
Public enforcement Actions publiques
Plea bargaining Procédure négociée
TFUE Traité de fonctionnement de l’Union Européenne
REC Réseau Européen de la Concurrence
Leniency program Programme de clémence
2
Remerciements
Ce mémoire est le résultat d’un travail d’un an de recherche et n’aurait pu aboutir sans
la précieuse aide de plusieurs personnes :
Merci à mes parents, David et Etienne pour leur soutien et leur relecture.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION
4
Section 1. Le défaut d’articulation des procédures de clémence dans les rapports
intra-européens……………………………………………………………….....p.57
5
CHAPITRE 2 : l’essoufflement du mécanisme de clémence face aux données
empiriques……………………………………………………………………………p 90
BILBLIOGRAPHIE…………………………………………………………..p 105
« Au pardon qui sourit la sagesse commence, il n’est pas d’équité sans un peu de
clémence »
-George Courteline
6
INTRODUCTION
-I-
La clémence en droit et l’étude de ses limites
1
Jean Christophe Roda « La clémence en droit de la concurrence : étude comparative des
droits américain et européens », Thèse soutenue en 2006, sous la direction de Catherine
Prieto, p 23
2
J.Ghestin et M.Fabre-Magnan, Traité de Droit Civil, Introduction générale, LGDJ, 1994,
n°32, p 27
3
A.Sériaux, Le Droit : une introduction, Ellipses, 1997, n°204 p.199
4
Voir Premier testament: “Car l'oppression cessera, la dévastation finira, Celui qui foule le
pays disparaîtra. 5Et le trône s'affermira par la clémence; Et l'on y verra siéger fidèlement,
dans la maison de David, Un juge ami du droit et zélé pour justice. » Esaïe 16 : 5 ; Voir
Coran : “Allah possède cent formes de clémence et en a distribué une entre Djinn, humains,
bêtes et bestioles. C’est grâce à leur part que les uns font preuve de clémence et de
compassion à l’égard des autres ». (Mouslim 6908)
7
justice par la clémence »5. Cette vision régalienne de la clémence dénote une
première facette du concept que certains auteurs ont qualifié de « clémence fin en
soi 6». Elle ne fonctionne pas de manière intéressée et n’est ni un prétexte ni une
stratégie. Cette définition n’est cependant qu’en partie satisfaisante et semble éluder la
fonction utilitaire et plus pragmatique de l’outil de clémence, aussi appelée,
« clémence-moyen ».
5
W Shakespeare, « Le marchand de Venise », Acte IV, scène I
6
Thèse JC Roda, Supra p.21 (clémence vertueuse immédiate qui se suffit à elle même et
n’appelle à aucun dessein particulier)
7
Sénèque, « De la clémence » II,IV, p14
8
Prince selon l’usage utilisé par Machiavel en d’autres termes : souverain, monarque ou toute
entité politique détenant un pouvoir sur un Etat.
9
Jean Anouilh, “Pauvre Bitos ou le diner de têtes” (1956)
10
Montesqieu, « De la clémence du prince », in De l’esprit des lois, Tome II, Bibliothèque de
la pléiade p.331.
11
P.Bonnassie, Cours de Droit du Marché Commun, PUAM, 1972, p234
12
T Mommsen, “Histoire romaine” Volume I, p.196
8
profit d’une clémence princière ou papale monnayable dont la seule fin était
d’accroître la trésorerie royale. Supprimée pendant la révolution puis réintroduite
durant le premier empire, la clémence refait surface en droits français contemporain
sous l’angle du droit de grâce présidentielle et de l’article 422-1 du nouveau Code
pénal concernant la délation de complicité d’actes de terrorisme. Bien qu’il semble
injuste d’accorder grâce à un terroriste, quant bien même celui-ci aiderait à
condamner ses complices, une vision plus macro-juridique et utilitariste du bien
collectif amène à redessiner les canons de la justice. C’est dans un jeu d’équilibriste
entre morale et logique, qu’il convient d’admettre que la clémence, même parfois
moralement injustifiée, est nécessaire.
9
juridique certain pour le défendeur. La mise en place d’une politique comportant de
réelles bases juridiques remonte à l’élaboration du premier programme de clémence
par la Division Antitrust des Etats-Unis en 1978. Le programme fonctionne sur le
même principe que son corollaire de droit pénal général: L’entreprise membre d’une
entente qui dénonce à l’autorité de concurrence l’existence de la pratique et qui
coopère à son démantèlement obtient (en droit américain) une immunité des
poursuites.
Une analyse systémique des limites. Notre analyse vise ainsi à élaborer une
approche critique sur le mode de fonctionnement des programmes de clémence des
deux côtés de l’Atlantique. Le premier angle de problématique se base sur une étude
systémique, soit une étude de l’interaction interne des agents du système de clémence.
Un système se définit comme « Un ensemble, formant une unité cohérente et
autonome, organisé en fonction d’un but ou d’un ensemble de but, au moyen d’un jeu
de relations, le tout immergé dans un environnement »16. Le système se qualifie ainsi
par son environnement et les interactions qu’il génère. Une approche des limites
systémiques est ainsi l’étude d’un mécanisme dans sa globalité, visant à comprendre
les failles d’articulation et d’interaction dont il est la constituante. Cette approche,
15
Christophe Lemaire “Les politiques de clémence en Europe : un regard Francais de la loi
NRE au programme de clémence” Revue de concurrence Lamy n°3, 2005
16
Le Gallou « Systémique, théorie et application » Lavoisier tech et doc, 1992
10
bien qu’à première vue réservée aux disciplines scientifiques tend à se développer au
sein des sciences juridiques17
Une analyse stratégique des limites. Notre seconde approche quant à elle,
tend à se concentrer sur l’utilisation détournée et donc stratégique du programme de
clémence. Près de 40 ans d’existence ont permis aux entreprises, de se former à
l’exercice du programme de clémence et ainsi d’en déceler ses parades structurelles.
Sorte de monstre de Frankenstein du droit de la concurrence, l’arme fétiche de la
Division Antitrust et de la Commission semble pouvoir se retourner contre ses
inventeurs. L’ingéniosité d’exploitation des différentes failles du programme par les
entreprises mène à une utilisation offensive comme défensive de ses mécanismes.
Qu’il s’agisse d’assainir une filiale ou d’épurer un marché cartellisé, l’utilisation
détournée du programme de clémence peut s’avérer tout aussi utile pour les
entreprises qu’il ne l’est pour les autorités de concurrence.
17
Christophe Samper « Argumentaire pour l’application de l’approche systémique en
droit » Arch philosophique, (1999)
18
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” (2009)
11
Si l’objet de notre étude porte sur une approche comparative des limites du
programme de clémence aux Etats-Unis et en Europe, il convient cependant
d’introduire brièvement les deux mécanismes19. Nous verrons en premier lieu
l’ascension du modèle américain et en second lieu les distinctions conceptuelles avec
son corollaire européen.
-II-
L’avènement du modèle de clémence américain
19
Pour l’étude détaillée des deux programmes, voir Jean-Christophe Roda “La clémence en
droit de la concurrence, etude comparative des droits américain et européens” Supra
20
A titre d’exemple, le Standard Oil Trust dirigé par John Rockfeller permet d’unifier une
entente d’une quarantaine de compagnies, controlant 90% du marché pertinent des raffineries
de pétrole
12
régulation étatique en matière de concurrence. L’arrivée au pouvoir de
l’administration Reagan, particulièrement influencée par les « Chicago boys » amorce
une révolution conservatrice ayant pour premier effet une coupe budgétaire massive
de la Division Antitrust21. Cette restriction financière subie par l’autorité de
concurrence américaine amène logiquement à une rationalisation des moyens
d’investigations antitrust. Dans cette optique, la Division Antitrust annonce en 1978,
durant une conférence de presse, son intention d’accorder un traitement plus
indulgent, voire une immunité financière et pénale aux entreprises dénonçant d’elles
même leur participation à une entente. Bien que cette première initiative soit une
réussite mitigée22, elle enclenche une ère nouvelle dans la lutte contre les ententes.
21
W. L. Baldwin “Efficiency and competition : the regean administration’s legacy in merger
policy »Review of Industrial Organization
22
Moyenne de 1 cartel dénoncé par an et incapacité structurelle à déceler les cartels
internationaux.
23
Selon la terminologie anglo-saxonne
24
E. Gelhorn et W.E. Kovacic, Antitrust Law and Economics in a nutshell, Westgroup, 4ème
ed. 1994 p 228
25
Verizon Communications v. Law Offices of Curtis V Trinko , 540, U.S, 398, 408, (2004)
26
JC Roda, Supra p.92
27
Bien que les grandes lignes des programmes de clémence actuels avaient déjà été tracées
dans les années 70, leur modernisation va bien au-delà d’une simple mise à jour du texte de
1978, alors tombé en désuétude
13
matérialisées par deux programmes de clémence distincts, le « corportate leniency
program » (1993) et « individual leniency program » (1994).
28
Departement of Justice notes « Corporate Leniency Policy » 1993 Part A
29
Departement of Justice notes « Corporate Leniency Policy » 1993 Part B
14
- L’entreprise dénonce l’infraction intégralement, avec sincérité, et apporte à la
division une coopération totale, constante et sans réserve pendant toute la
durée de l’enquête.
- L’aveu de l’infraction doit correspondre réellement à un acte officiel de
l’entreprise (« a corporate act ») et non pas à une démarche isolée de certains
cadres
- Chaque fois que cela est possible, l’entreprise doit dédommager les parties
lésées.
- En accordant la clémence, la Division Antitrust ne commet pas d’injustice
envers d’autres entreprises, compte tenu de la nature de l’activité illégale et du
rôle joué par l’entreprise.
Offrant une protection plus certaine à l’entreprise demandeuse de clémence que le
précédent programme de clémence de 1978, le programme relatif aux personnes
morales marque une avancées majeure dans l’histoires des programmes de clémence.
Cependant, celui-ci ne pouvait qu’être pleinement incitatif dès lors qu’existait en
parallèle un programme destiné aux personnes physiques.
30
Departement of Justice notes « Private Leniency Policy » 1994
15
Toute personne ne remplissant pas cumulativement ces critères, garde une possibilité
de prétendre à la clémence sur décision discrétionnaire de la Division Antitrust.
16
été légèrement contrebalancée par l’arrivé du programme « Amnesty plus » en 1999.
Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une troisième catégorie de
clémence33, celle-ci offre tout de même une possibilité nouvelle aux membres du
cartel. Le programme consiste à octroyer l’immunité à une entreprise dénoncée qui
relève l’existence d’une autre entente sur un marché différent. L’immunité de
l’Amnesty plus n’est cependant accordée que pour la seconde infraction et si
l’entreprise coopère à son démantèlement. Toutefois, l’entreprise bénéficiera d’une
réduction supplémentaire pour le calcul du montant de l’amende pour sa participation
à la première entente.34 L’outil s’avère cependant à double tranchant, tant il permet
d’une part de créer un effet domino quant à la chute successive des cartels, mais
d’autre part tend à inciter les entreprises à prendre part à plusieurs cartels à la fois 35.
Cette pratique bien que n’apparaissant pas dans les textes de « corporate » et
« individual » est souvent évoquée dans les discours des représentants de la Division
Antitrust.36
33
v G.R. « Spratling, Detection and Deterrence » p.818
34
J.M. Griffin, « An overview of Recent Development in the Antrust Division’s Criminal
Enforcement program », in Anual proceedings of the Fordham Corporate Law Institute, Oct
2003, Barry Hawks d. 2004 p.39
35
Y.Lefouilli & C. Roux « Leniency Program for Multimarket Firms : the effect of Amnesty
on cartel formation » Janvier 2008 p.4
36
Voir : D.P. Majoras, « A review of recent antitrust division actions », discours du 12 juin
2003
37
Hammond, Negotiated Plea Agreements,supra note 31; see also Hammond, Charting New
Waters,supra note 31.
38
ABA, Sentencing Guidelines in Antitrust, p.80
17
bien même celle-ci pourraient détenir plus d’informations que le dénonciateur
amnistié.39
-III-
39
JC Roda supra p. 209
40
Mike Cloutier, “An Empirical Investigation of the U.S corporate Leniency program » Oct
2011 Queen’s University law review p.4
41
https://www.justice.gov/atr/criminal-enforcement-fine-and-jail-charts
42
Criminal enforcement trend charts through fiscal year 2015, premier graphique. Disponible
sur le site du departement of justice américain.
18
Les distinctions conceptuelles entre l’approche
américaine et européenne de la clémence
43
Communication de la commission sur la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur
montant, JOCE n°C 207, 18 juilliet 199 ; Europe, aout-sept, 1996 comm n°321 Obs L. Idot.
44
Inefficacité principalement liée à un manqué de précision quant aux critères d’immunités et
à un défaut de sécurité juridique. Pour plus de détail, v. JC Roda « La clémence en droit de la
concurrence, étude comparative des programmes américain et européen » (2008) p219
45
Communication du 19 fevrier 2002 sur l’immunité d’amende et la réduction de leur
montant dans les affaires portant sur les ententes, JOCE n° C45, 19 fev 2002 ; Europe,
avr. 2002 Comm n°146 Obs. L. Idot.
46
Massimo, Motta, Polo « Leniency programs and cartel prosecution » International Journal
of industrial organization, n°21 , 2003
47
Mario Monti « Antitrust in the US and in Europe : a history of Convergence » discour
adressé au General Counsel Roundtable of the ABA, Washington D.C nov 2001.
19
conditions empêchant les membres ayant initié le cartel d’actionner la clémence48, et
d’autre part en autorisant les entreprises à faire un dépôt d’information sous forme
hypothétique49, le programme s’était ainsi rationalisé.
48
Point 11)c) de la communication de 2002
49
Point 13) b) de la communication de 2002
50
Comm. CE. Communication de la Commission sur l’imunité d’amende et la réduction de
leur montant dans les affaires portant sur les ententes : JOUE, n°C298/17, 8 dec 2006.
51
CJUE, 24 juin 2015, C-293/13 et C-294/13 (Fresh Del Monte)
52
“Lorsqu'elle envoie une simple demande de renseignements à une entreprise ou à une
association d'entreprises, la Commission indique la base juridique et le but de la demande,
précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle
indique aussi les sanctions prévues à l'article 23 au cas où un renseignement inexact ou
dénaturé serait fourni ».
20
période où elle envisageait d'adresser une demande de clémence. 53 Bien que
contraignante pour les entreprises, ces conditions apportent cependant un cadre
certain à la candidature à la clémence. Les risques latents engendrés par la procédure
de clémence se doivent d’être limités si ce n’est annulés pour inciter les entreprises à
agir.
53
Immunité et réduction d’amende : la clémence dans les affaires d’ententes (synthèse
disponible sur le site de la commission européenne)
54
JC Roda p 94 supra
55
V. par ex United States Gypsium Co ; 438 US 422 (1978) sur la quasi impossibilité pour
défaut de preuve d’agir efficacement sur le premier délateur par le biais d’action privé
56
V. les lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées en cas
d’entente en application de l’article 23 paragraphes 2 ; JOUE C 210/2 du 1er sept 2006.
57
G. Cornu, « Vocabulaire juridique » 2015, v Exemption.
21
d’une telle distinction exprimée plus haut, rend sur ces considérations, le programme
américain plus attractif car plus protecteur de l’image de l’entreprise.
58
J.H. Schenefield et I.M. Stelzer, The Antrust Laws – A primer, The AEI Press, 4 ém ed.
2001, p.28 et S
59
La Cour Suprême des Etats-Unis reconnaît en effet un grand pouvoir quant à l’engagement
ou non des poursuites par les autorités fédérales. Voir United States v Nixon, 418 US, 683
(1974)
60
JC. Roda, p.236 supra
22
Avant l’enquête, une réduction de 30 à 50% du montant de la sanction pourra être
amputée à la première entreprise remplissant la condition d’information à « valeur
ajoutée » en fonction de l’importance des preuves apportées. Dès lors, la diminution
se fera decrescendo, avec pour la seconde entreprise délinquante, une réduction entre
20 et 30% du montant de l’amende et le troisième une réduction maximale de 20%.
Dès lors que l’enquête a déjà commencé, la générosité de la Commission diminue. Ce
changement pouvant même aller jusqu'à empêcher le premier délateur d’avoir une
immunité totale. Si un barème de réduction existe, il reste à la discrétion de la
Commission de juger si les preuves apportées méritent une réduction a minima ou a
maxima de la peine.
Voici l’ensemble des données récoltées sous forme de tableau afin de mieux cerner
les différences existantes :
61
Lignes directrices de 2006 supra
23
prévoit des sanctions pénales à l’encontre des personnes physiques ayant pris une part
personnelle et déterminante dans l’organisation d’une entente. 62 Cette pratique est
partagée par d’autres Etats-membre à l’instar de l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne
ou la Grèce63.
Aux Etats-Unis, la volonté de lutter sévèrement contre les cartels s’est notamment
traduite par une pénalisation des infractions. Cette distinction apporte une réelle
différence pratique en matière de preuve. Le standard de preuve de l’existence du
cartel devant se faire « au delà de tout doutes raisonnable » comme le veut la
tradition pénale américaine64. En outre, la sanction n’a ainsi plus pour unique but de
réparer le préjudice, mais de punir l’entreprise qui l’a commise. Le Sherman Act de
1890, amendé en juin 2004, prévoit des amendes dont le montant peut s’élever à 500
millions65 de dollars pour les entreprises contrevenantes, tandis que les personnes
physiques s’exposent désormais à des peines de 10 ans de prison et une amende de 1
million de dollars66
24
d’obligations pour les deux parties69. Ces conventions, aussi appelées « Immunity
agreements », engagent leurs signataires à octroyer automatiquement l’immunité, dès
lors qu’un candidat en remplit les conditions. A l’instar des contrats de droit commun,
une exception d’inexécution est possible. En effet, si le candidat à la clémence ne tient
pas ses engagements, la Division Antitrust peut révoquer l’immunité conditionnelle et
engager des poursuites pénales.70 En outre, si la Division Antitrust ne respecte pas ses
obligations, le dénonciateur peut contester cette décision au regard du principe de
bonne exécution des obligations contractuelles. Cette hypothèse ne s’est cependant
produite qu’une seule fois en matière d’antitrust lors de l’affaire Solt-Nielen71. Il
ressort ainsi de cette jurisprudence que le juge fédéral est compétent pour connaître
des litiges concernant l’exécution des « antitrust agreements » mais uniquement à
partir du moment où le dénonciateur ayant vu son immunité révoquée est inculpé.
D’autre part, il convient d’interpréter les conditions de clémence incertaines à
l’avantage du dénonciateur72.
69
United States v Baird, 218 F. 3d 229 (3rd Circuit 2000)
70
JC Roda, Supra, p98.
71
Solt-Nielsen SA v United States, 442 F.3d 177 ( 3rd circuit 2006)
72
F. Joseph Warine & P. Waffe “Solt-Nielsen rulling offers lesson on negotiating corporate
Amnesty agreement » , Washington legal fundation, Mars 2008
73
M-A Frison-Roche, Contrat, concurrence, regulation, RTD civ 2004, p.451, n°9
74
Au niveau de la Commission, celle-ci peut tout de même passer des contrats au nom des
Communautés (CJCE, 12 juill 1957, Algera, aff jtes 7/56). Un contrat de clémence peut-il
réellement lié les communautés ?
25
concurrence.75 Cette affirmation est corroborée par la pratique de la Commission
européenne et par sa sémantique juridique dans ses programmes76. Cette distinction
marque, une fois de plus, certaines différences pratiques entre le système américain et
européen, basé pour le premier sur une approche synallagmatique de la clémence et
pour le second sur une vision unilatérale.
- IV -
La rationalisation économique des programmes
de clémence
26
modélisation des comportements humains à su trouver une application dans de
nombreuses disciplines parmi lesquelles l’économie, les sciences juridiques 79 comme
la politique80. Le « Dilemme du prisonnier » marque l’exemple de référence de cette
théorie.
Soit A et B les deux délinquants dans un jeu à somme nul, c’est à dire que les gains ou
les pertes d’un joueur ne résulte pas nécessairement dans les pertes ou gain d’un autre
joueur :
79
Voir Ian Ayres « Playing Game with the law » Yale Law Review 1-1-1990.
80
Voir Alexendroff & Rosecrance (1934); Snidal (1985)
81
Un équilibre de Nash correspond à une situation où, dans un jeu non coopératif, aucun
joueur n’a intérêt à dévider unilatéralement de sa stratégie.
82
P. Debrosse « Les programmes de clémence à l’épreuve de la globalisation des marchés
(partie théorie des jeux), « Revue internationale de droit économique » 2010/2 t. XXIV p. 214
27
B coopère (3) B à sa peine réduite (4) A et B sont condamnés
à 2 ans et A est à une peine de 5 ans
condamné à 10 ans (équilibre de Nash)
(10 ; 2) (5 ;5)
Il ressort de se tableau que la situation (4) constitue l’équilibre de Nash, tant aucun
joueur n’a intérêt à modifier unilatéralement sa position sans voir son gain diminué.
Seul une coopération entre les joueurs peut amener à diriger le jeu vers la situation
optimale (1). Cependant, le caractère non coopératif de la relation empêche les deux
prisonniers d’atteindre une telle situation, bien qu’étant la plus avantageuse pour les
deux parties. Le résultat est sans appel pour la police, permettant ainsi d’assurer la
condamnation les deux complices.
28
une confiance absolue dans le programme de clémence pour agir. A travers quatre
décennies de pratique, la Commission comme le DOJ ont ciblé 3 critères rendant le
programme de clémence efficace. Cette réussite se traduit par le rapport tel que le
profit tiré par l’entente sujet à délation devient inferieur au profit tiré par la délation :
Le rapport ci-dessus n’est cependant vrai que si le délation se caractérise par les 3
critères suivants :
- Méfiance certaine à l’égard des autres membres de l’entente
- Sévère sanctions à l’égard des perdants à la clémence
- Transparence absolue des mécanismes de clémence pour les délateurs et
assurance de pouvoir s’en prévaloir.
84
C. Beaton-Well & C. Tran « Anti-cartel enforcement in contemporary age : Leniency
religion » Hart studies in competition law, Oxford University press (2015)
29
TITRE 1.
ANALYSE SYSTÈMIQUE DES FAILLES DU MODÈLE
DE CLÉMENCE EUROPÉEN ET AMERICAIN
CHAPITRE 1.
L’enchevêtrement des procédures et évaluation du risque
latent à la délation
85
Voir par ex. S. D Hammond, « Detecting and dettering cartel activity through and effective
leniency program » international Workshop on Cartels, discours du 22 nov 2000 (disponible
sur le site de la Division Antitrust)
86
Ententes horizontales poursuivie par an par le DoJ de l’ordre de 60,2 par année entre 1991
et 2000 selon W.E Kovacic, Modern Evolution of US competition policy enforcement Norms,
p.419.
87
Le nombre de condamnation de cartel est passé de 1,8 par an entre 1971 et 1980 à 6,5 entre
de 2001 et 2007 Selon le rapport annuel de la Commission européenne.
30
Comme étudié précédemment, la décision pour un agent économique rationnel
de dénoncer un cartel n’est autre qu’un produit comptable, entre gains tirés par la
délation et le risque sous-jacent à celle-ci. Une fois ce postulat intégré, il convient
d’étudier quels sont les risques inhérents à l’enclenchement d’une procédure de
clémence par un demandeur et ainsi évaluer si ceux-ci freinent l’action. L’incidence
d’une action pénale sur le délateur potentiel illustre un premier risque pour le
demandeur (Section 1). De plus la démocratisation des procédures de « private
enforcement » par le biais de class actions tend à neutraliser la procédure de
clémence (Section 2). L’accès aux preuves par la procédure de discovery rend
difficile pour les entreprises ayant reçu l’immunité de s’assurer une réelle protection
(Section 3) Enfin, la procédure de transaction peut avoir un effet contre productif sur
le programme de clémence.
88
Seul deux peine de prison on été prononcé en l’espace de 70 ans. L’une en 1921 dans
United States v Alexender & Reid Co. 280 fed. 924, 927 (S.D.N.Y) condamnant 4
personne à 10 mois de prisons et en 1959 Unted States v McDonough Co , 1960 Trade cases
(CCH) 69, 695.
89
M.Monti, Opening speech at the Third Nordic Competition policy Conference, discours du
11 sept 2000
31
revenue au cœur des débats, l’absence de compétence de la Commission dans ce
domaine est pour l’instant un obstacle difficilement surmontable. Il est ainsi du ressort
des Etats-Membres de définir l’étendue de leurs politiques pénales en la matière.
Une telle évolution statistique a su exprimer une volonté forte des autorités
américaine de réprimer le délit économique avec la même vigueur que le délit de droit
commun. La répression pénale s’étend d’autre part aux cartels internationaux avec
l’aide des accords du « MLAT » (Mutual Legal Assistance Treaties) permettant
d’exiger l’extradition de ressortissants étrangers. Enfin depuis 2001, la Division
Antitrust dispose en outre de la possibilité de communiquer à Interpol les personnes
incriminées dans une « Notice rouge » afin d’obtenir leur arrestation à l’étranger pour
déclencher ensuite une procédure d’extradition devant les tribunaux américains. Entre
90
Departement of justice website « Division update Spring 2013 »
https://www.justice.gov/atr/public-documents/division-update-spring-2013/criminal-program
32
2000 et 2005, sur les 80 personnes emprisonnées aux Etats-Unis pour violation des
règles de concurrence, 1891 s’avéraient être des dirigeants d’entreprises étrangères.92
91
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,
Revue internationale de droit économique 2010/2 (t.XXIV), p. 211-240.
DOI 10.3917/ride.242.0211
92
Canadien, japonais, francais, allemands, norvégiens, suédois, suisse.
93
Voir le Rapport de l’AMC et spec. Le chapitre : Criminal Remedies (avril 2007)
94
L. Vogeil « Global competition law : a practicioner’s guide » Oxford University press
(2013)
95
Numéros de 2014 de la « Global Competition Review : Cartel regulation » p 16
96
Entrepreneur Act 2002 section 234b
97
Rapport Rachida Dati « la dépénalisation du droit de la concurrence » 2007
98
Rapport Coulon sur « La dépénalisation de la vie des affaires » 2008
99
C. Lemaire, La coordination entre les juges répressifs et le Conseil de la concurrence in
5ém journée Christian Gavalda, La sanction des pratiques concurrentielles par recours à
l’article L.420-6 du Code de commerce ; Université Paris 1 (novembre 2007)
33
sanction visant une personne physique est per se plus efficace que celle visant une
personne morale.100 Le risque d’une sanction pécuniaire individuelle et a fortiori d’une
peine de prison vise à encourager les personnes physiques à dénoncer celui-ci dès lors
que leur est offert un programme de clémence destiné.
100
Wouter Wils, « Is Criminalisation of EU Competition Law the answere ? » (2005) World
Competition review n°17.
101
Rapport de l’Autorité de la concurrence « étude relative au programme de
clémence français » 15 avril 2014
34
d’assurer que la clémence du délateur est aussi certaines que la condamnation des
perdants à la clémence. Pour ce faire, un certain degré de sécurité juridique doit être
atteint par les différents programmes de clémence. Le modèle américain en la matière
est pour le moins, le plus évolué, dès lors qu’il offre un programme de clémence
uniquement destiné aux personnes physiques ayant pour finalité une immunité des
poursuites. Dans la même logique les autorités Britanniques offrent la garantie d’une
immunité pénale par le biais d’une « no action letter » permettant une protection
entière et complète, non seulement de la part de l’Office of Fair Trading, mais aussi
du Serious Fraud Office qui partage également une compétence de poursuite en
matière d’entente.102
102
La délivrance de « no action letters » donne lieu une étroite collaboration entre les deux
autorités.
103
Point 47 du programme de clémence du 17 avril 2007
104
C. Lemaire, la coordination entre les juges répressifs et le Conseil de la concurrence, préc.
105
CA Paris 12 dec. 2006, Bouygues Télécom,
35
personnes physiques des poursuites pénales sont pour le moins isolés. 106 Si dans
certains cas, les textes sont silencieux et les dénonciateurs potentiels ne peuvent avoir
aucune certitude quant aux conséquences pénales de leur coopération 107, d’autres
programmes prévoient qu’il est « tenu » aux autorités de transmettre l’affaire au
parquet. C’est par exemple le cas en droit allemand, ou le Bunderkartellamt108 sera
dans l’obligation de transmettre le dossier aux autorités de poursuites. Une protection
minimale existe cependant dans les rapports intracommunautaires puisque les
« informations de clémence » qui circule via le Réseau européen de la concurrence ne
peuvent, en principe, servir pour la condamnation de personnes physiques. 109 De plus,
la Commission a passé un accord avec les autorités britanniques pour s’assurer que
toutes les fois où la Commission accorde le bénéfice de l’immunité d’amende à une
entreprise, les membres de cette dernière ne seront pas poursuivis pénalement au
Royaume-Uni110. Il ne s’agit cependant que d’un premier degré de sauvegarde qu’il
convient de renforcer à l’échelle internationale. La mise en place d’une politique
communautaire en la matière restant pour le moment théorique au vu des compétences
limitées de la Commission en la matière, il convient de réfléchir aux possibles
solutions. L’adoption d’un programme de clémence à destination des personnes
physiques mettant en place un statut de « repenti » à l’échelle européenne, ou même
mondial, permettrait de rendre pérenne les politiques de clémence face au risque
pénale tout azimut des Etats.
36
programme de clémence. Si certains Etats, à l’instar des Etats-Unis ou du Royaume-
Uni ont su percevoir l’importance d’une garantie de non-poursuites pénales, d’autres
pays restent muets ou pire encore, clairs sur leurs volontés de condamner le délateur.
Considérant que l’étendue des sanctions pénales semble à première vue revenir à la
souveraineté de chaque Etat, les divergences qu’engendrent ces différentes politiques
semblent ébranler la volonté des personnes physiques à dénoncer leurs actions.
Outre le risque pénal, s’est développée une vendetta d’actions privées à l’encontre des
membres des ententes démasquées. Si nul ne peut remettre en cause le droit d’un
consommateur lésé à demander réparation, il convient de mettre en balance ces
intérêts avec la protection des programmes de clémence et la recherche, in fine, de la
protection plus générale du marché.
37
de surveillance du marché, chargés de veiller à ce que les différents acteurs
respectent les règles »114. La Cour suprême a pu affirmer que l’intention du Congrès
en adoptant des lois antitrust, avait été de créer un groupe « d’attorney general
privés »115 , auxiliaires des autorités publiques et chargés de faire appliquer les règles
de concurrence116.
113
LAITHIER, Yves-Marie, Droit comparé, Coll. "Cours Dalloz-Série Droit privé", Dalloz,
1ière éd., 2009, 241 p.
114
A. I . Gavil, W. E. Kovacic et J.B. Baker, « Antitrust Law in perspective » Harvard
University Press 2009 p. 1039.
115
« Procureur privé »*
116
Illinois Brick Co v Illinois, Supreme court of the United States, 431 US 720, 97S. CT
2061, 51 L. Ed 2d 707 (1977)
117
Harry First, « The vitamine cartel case prosecution and the comming of international
competition law », 68 ANTITRUST review 29, 31 (2001)
118
In re Vitamins Antitrust Class Action 1999-2 Trade cas (CHH) paragraphe 72,726 (DDC
1999)
38
financiers d’une action en justice pour les requérants, tout en assurant de juteux
profits aux avocats payés quota litis119.
119
Pratiques interdite en France mais autorisé au Etats-Unis, visant à établir le paiement des
honoraires sur un pourcentage des dommages & intérêts attribués.
120
H. Hovenkamp, Federal Antitrust Policy – The law of Competition and its practice, West
group, 2ém ed 1999, p.592
121
City of Atlanta v Chattanooga Foundry & Piperworks ; 127 F. 23, 26 ( 6th Cir 1903)
122
F. H Esterbrook, « treble what ? » Antitrust L.J 1986, vol 55 p95. s
123
M. Delrahim, Current development at the Antitrust division », discours du 8 aout 2004.
39
intérêts simple (« detrebeling ») et ne sera pas soumis au joug d’une responsabilité in
solidum124. Cette « semi-clémence civil »125 comme certains auteurs l’appellent, n’est
accordée qu’avec une coopération « satisfaisante » de l’entreprise quant à la
transmission de preuves visant à la condamnation civile des autres membres du cartel.
Le Penalty Enhancement and Reform Act permet ainsi de réduire le coût de la
dénonciation et ainsi de rendre le programme de clémence toujours attractif. L’on
dénote cependant deux failles majeures à cette disposition :
D’une part le champ d’action du detrebeling reste limité aux cartellistes qui
sollicitent la demande de clémence auprès de la Division Antitrust. Une entente ayant
des effets aux Etats-Unis, protégée par la clémence européenne sera frappée d’actions
civiles triples. D’autre part, les standards de coopération permettant le « detrebeling »,
comme celui d’une « coopération satisfaisante » reste d’une imprécision dangereuse
pour les délateurs potentiels. Rien ne sert de préciser que ce sont autant de failles qui
limitent la volonté potentielle du délateur à demander l’absolution aux autorités de
concurrences.
124
Non soumis à la règle de la joint and several liability
125
Expression de S. Yon
126
CA Paris, pôle 5, ch. 4, 24 juin 2015, Région Île-de-France, RG n° 14/01570
127
C.A. Jones « Private Enforcement of Antitrust law in the EU, UK and USA, op cit p. 153
40
difficulté d’accès aux preuves, facilitée aux Etats-Unis par le mécanisme de
discovery que nous traiterons ci-après. À ces difficultés, s’ajoute le caractère
particulièrement difficile de l’évaluation du dommage. Dès lors que de nombreux
droits font peser la charge de la preuve sur le demandeur, à l’image de la France, les
preuves d’entente occultes ainsi que l’évaluation exacte d’un préjudice qui en découle
relève parfois de l’impossible. Si les plaignants ont parfois gain de cause, le montant
des dommages accordés sont souvent bien loin d’une réparation intégrale du
préjudice.
128
Directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les
actions de dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit
de la concurrence des Etats Membres et de l’Union Européenne (17 avril 2014)
129
Commission Européenne, Communiqué de Presse : « La Commission recommande aux
Etats membres de se doter de mécanismes de recours collectif pour garantir à leurs
justiciables un accès effectif à la justice », Commission Européenne - IP/13/524 11/06/2013.
41
qu’est le partage des intérêts privés et de l’ordre public économique, nul n’a su
trouver un point stable où se fixer.
130
Nathalie Jalabert-Doury, Oral statements in antitrust law procedure, 15 March 2005,
Concurrences Review N° 2-2005, Art. N° 13051, pp. 41-47
42
de préserver, en théorie, leur identité de toutes représailles judiciaires à leur encontre.
Ce « secret de Polichinelle » n’est cependant pas gardé longtemps par les cartellistes
condamnés, parvenant souvent par recoupement à déceler l’identité de « la taupe »131.
Ces informations sont ainsi d’une importance particulière, dès lors que ces éléments
peuvent être à l’origine d’une condamnation civile dans le pays d’origine, mais aussi
l’ouverture de nouvelle enquêtes dans d’autre Etats. Les demandeurs potentiels de
clémence peuvent se voir dissuadés de coopérer si les garanties en termes de
confidentialité ne sont pas protégées. En somme, les autorités américaines, soucieuses
de l’attractivité de leur programme de clémence, ne donnent en principe jamais
aucune information de clémence aux victimes des ententes. L’utilitarisme américain a
une fois de plus raison des considérations d’ordre morale lié à la réparation du
préjudice. Cette protection des informations ne reste cependant pas sans limites
43
sous la procédure de discovery s’expose à des condamnations pénales134. Ainsi à
l’instant où le plaignant apprend l’existence de documents sensibles en possession du
défendeur d’une entente ayant des effets aux Etats-Unis, ce dernier fait l’objet d’une
demande de « discovery ».
44
juridictions de première instance et d’appels américaines ont depuis eu l’occasion
d’aider à la fourniture de documents via la procédure de discovery dans des affaires
d’entente concernant des sociétés américaines en procès à l’étranger.137
45
antitrust américain.141 Un concurrent cherchant indemnisation peut ainsi jouer sur
l’ensemble des tableaux, simultanément ou séquentiellement, pour exercer une
pression à la fois sur le défendeur (pousser à une transaction « salée ») mais aussi sur
les juridictions a priori les moins favorables, en obtenant préalablement gain de cause
devant des juridictions dont les standards de preuves sont moins exigeants.
46
d’informations entre les membres du réseau européen de concurrence, doivent être
interprétés en ce sens que les consommateurs lésés par une entente, se voient
octroyer l’accès aux demandes de clémence. »146 Dans ses conclusions, l’avocat
général Mazak défendait une vision utilitariste du programme de clémence sans pour
autant prendre une position claire. Il déclarât « qu’afin de protéger les intérêts tant
publics que privés, il convient de préserver autant que possible le caractère attractif
des programmes de clémence des autorités nationales sans restreindre indûment le
droit d’accès des parties civiles aux informations et en définitif à leur recours
effectif »147 Celui-ci proposait ainsi l’alternative suivante : distinguer d’une part les
documents auto-incriminants volontairement communiqués par le candidat à la
clémence et dont le refus d’accès est justifié et d’autre part les autres documents
préexistants présentés par le candidats pouvant aider les parties lésées à établir un
dommage.148
146
CJUE 14 juin 2011 supra
147
Conclusion de l’avocat général Mazak lors de l’affaire Pfleiderer c/ Bundeskartellamt
point.42
148
Conclusion de l’avocat général Mazak lors de l’affaire Pfleiderer c/ Bundeskartellamt
point 45 à 47.
149
COMMISSION UE, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur
certaines règles gouvernant les actions en réparation sur le fondement du droit national pour
47
Pfleiderer au sein de son article 6 intitulé : « les limites à la divulgation de preuves
provenant du dossier d’une autorités de la concurrence ». Cet article protège ainsi les
déclarations d’entreprises effectuées en vue d’obtenir la clémence150 et les
propositions de transaction151. En dehors de ses catégories, la divulgation peut être
ordonnée à tout moment. Ainsi, les preuves obtenues par la clémence grâce à l’accès
au dossier de l’autorité de la concurrence dans l’exercice des droits à la défense en
vertu de l’article 27 du règlement 1/2003 ne sont pas recevables dans le cadre d’une
action en dommage et intérêts. Une vrai prise de position est ainsi entretenue par les
institutions européenne, mettant les considérations d’ordre public économique qu’est
le maintien du programme de clémence, au dessus du principe de réparation intégrale
du préjudice.
les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union
européenne, Strasbourg , 11 juin
150
Ibid 6.6 a)
151
Ibid 6.6 b)
152
Aricle L. 463-6 du Code de commerce
153
Cass Com 19 janvier 2010 Obs E.B.S, RCL 2010/23
48
L’Esquisse d’une solution. Face à ces problèmes, certaines pistes de
réflexions s’offrent à nous. Certains auteurs, à l’image de Louis Vogel154, pensent
qu’il est nécessaire de limiter les dommages et intérêts en fonction de la sanction
administrative accordé. Cette pondération permettrait ainsi un équilibre des sanctions.
D’autre part, définir un ensemble de cas dans lesquels l’accès au dossier devrait être
facilité, par exemple lorsque la procédure de concurrence ne fait pas suite à une
demande de clémence ou lorsque celle-ci est rejetée. Ainsi, il serait nécessaire de
distinguer une protection absolue des documents de clémence du titulaire du
l’immunité et une protection relative, si ce n’est inexistante des seconds à la
clémence.
154
L. Vogel. L’accès au dossier des victimes de pratiques anti-concurrentielles : Le point de
vue des entreprises et de leurs représentants October 2014, Concurrences Review N° 4-2014,
Art. N° 69497, pp. 54-74
49
Section 4 : L’ombre de la procédure de transaction sur les
mécanismes de clémence.
155
Conseil de la concurrence, Rapport d’activité pour 2005, Étude thématique. V. aussi E.
David, L’incidence des procédures “alternatives” sur l’établissement des pratiques
anticoncurrentielles devant l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne,
Concurrences no 1-2011, Art. no 33858, p. 67.
156
Commitments en anglais
157
Emmanuelle Claudel I Procédures négociées, accessoires ou alternatives à la sanction en
droit de la concurrence: Raison garder ! Concurrences N° 4-2015 I Article I
158
(art L464-2 III du Code de Commerce)
159
Elle a été introduite par la loi NRE et est régie par l’article L. 464-2 III du code de
50
une « récompense » à une entreprise qui accepte de renoncer à contester les griefs
articulés contre elle. Cette procédure vise à faciliter la condamnation des membres de
l’entente et ainsi générer une économie substantielle pour les autorités de poursuites
ainsi qu’un important gain de temps. Cette procédure est mobilisable quelque soit la
pratique anticoncurrentielle en cause. Parmi les engagements pris, figure la mise en
place du programme dit de « conformité » « par lesquels les entreprise ou des
organismes expriment leur attachement à certaines règles ainsi qu’aux valeurs et aux
objectifs qui les fondent et prenne un ensemble d’initiatives concrètes destiné à
développer une culture du respect des normes. »160. Cependant, bien que cette
procédure ait emprunté l’appellation européenne de transaction, elle n’en a pas repris
les fondements, tant elle se rapproche en pratique de la procédure de non contestation
des griefs qu’elle remplace.
La procédure de transaction européenne quant à elle a été introduite en 2008 161. Elle
consiste à accorder une réduction de 10% de la sanction normalement encourue à
l’entreprise qui, entre autres conditions, reconnaît expressément sa culpabilité dans le
cartel. Ainsi, « la perte d’utilité répressive (limité à 10% du montant de l’amende)
est compensée par un gain d’utilité administrative. »162 En effet, d’importantes
économies sont faites sur les couts de traduction, d’accès au dossier, d’audition et un
sur bien d’autres freins administratifs et contentieux couteux. L’affaire des détergents
domestiques de 2012 en constitue une bonne illustration. Il n’a fallu à la Commission
que 10 mois entre la première réunion tenue en vue de parvenir à une transaction et
l’adoption d’une décision infligeant une amende de 315 millions d’euros. Une
procédure classique aurait pris 3 fois plus de temps. Ces réussites ont mené à un
accroissement du nombre de procédures de transaction devant la Commission, qui
complètent généralement les demandes de clémence.
commerce. Elle a fait l’objet d’un communiqué de procédure en date du 10 février 2012. Sur
cette procédure, v. F. Zivy, La procédure de non-contestation des griefs en droit français de la
concurrence : chronique d’un retour en force, Revue Juridique de l’économie publique, mars
2008, étude 3 ;
160
Pt 8 du document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles
de concurrence.
161
Règlement (CE) no 622/2008 du 30 juin 2008, JO no L. 171 du 1er juillet 2008 et
Communication de la Commission relative aux procédures de transaction (…), JO no C. 167
du 2/07/2008
162
V. D. M. B. Gérard, Les procédures négociées en droit de la concurrence in
La flexibilité des sanctions, XXIes journées juridiques Jean Dabin, Bruylant
2013, pp. 559-579, spéc. p. 573.
51
Sur l’année 2014 et devant la Commission, le graphique 1 exprime le lien entre la
procédure de transaction et les demandes de clémence.
163
A.W Alschuler, Plea Bargaining and its history , Colum L. Rev, 1979, vol 79 p1
164
Voir les Antitrust division’s plea agreement guidelines, in Antitrust Grand Jury Practice
Manual (1991)
165
Accord dit de type « A »
166
Accord dit de type « B » qui sont le plus fréquemment employés.
52
B. Conjugaison du mécanisme de transaction et de l’outil de clémence
167
Aut. conc., déc. n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre
dans le secteur de la signalisation routière verticale
168
Christophe Lemaire, Michaël Cousin, Non-contest procedure – Leniency: The French
Competition Authority accepts to apply the non-contest procedure and the leniency
programme outside their formal scope of application (Road signs cartel), January 2011,
Concurrences Review N° 1-2011, Art. N° 34338, pp. 201-203
53
souligner que la clémence et la non-contestation des griefs s’apparentent chacune à un
stade procédural différent et donc une logique propre. 169 En ce sens, il convient de
traiter différemment une demande de clémence dont la logique est d’enclencher la
condamnation du cartel, avec la demande de transaction permettant d’accélérer la
condamnation de celui-ci. La nuance se trouve ici dans le fait que si la clémence est
nécessaire pour débusquer et condamner un cartel, la transaction quant à elle ne
permet que de gagner du temps en matière contentieuse dans une condamnation qui
s’avère cependant inévitable.
169
Ibid
170
CA Paris, 19 janv. 2010, Concurrences, n° 2-2010, p. 131
171
Section 14 of the CMA Guideline : existence d’une procédure de transaction accordant
jusqu'à 20% de réduction d’amende
54
d’une part qu’elle reste attractive pour les entreprises, mais qu’elle ne se suffise pas à
elle même.
Transition. Lors de nos recherches, nous avons émis pour hypothèse que
l’efficacité du programme de clémence était intrinsèquement liée à l’articulation du
système dont il est la constituante. Nos recherches ont eu pour objectif de déceler les
failles d’articulation avec d’autres procédures ayant pour effet de désamorcer la
volonté des acteurs potentiels à faire une demande de clémence. Dès lors, il convient
de se demander comment s’inscrit le programme de clémence, non plus dans un
système fermé et uniquement sous un angle processuel, mais au sein d’une économie
globalisée.
CHAPITRE 2.
L’efficacité du programme de clémence face à la
globalisation du marché
55
Entente et marché européen. La création d’un marché européen avec le
traité de Rome de 1957 ouvre une ère nouvelle dans les pratiques économiques des
entreprises, notamment en matière d’ententes secrètes. En effet, le marché commun
se voit structurellement adapté à la formation d’entente internationale intra-
européenne et au développement efficace de celles-ci. Le caractère hybride
qu’engendre un marché commun, dénué (à l’époque) d’un corpus de loi unique visant
à le protéger pleinement, fait de l’Europe, l’eldorado des cartels durant plusieurs
années. Conscientes de ces pratiques, les autorités européennes ont développé une
base commune de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.
172
Art 3 du règlement 1/2003. « Les juridictions nationales ont également une telle
obligation »
173
C. S. Kerse et N. Khan, EC Antitrust procedure op cit
56
L’influence sur les programmes de clémence. Cette directive emporte un certain
nombre de modifications. En premier lieu, en vertu du principe d’autonomie
procédurale, l’application des règles communautaires par les ANC se fait
conformément aux règles de procédures nationales 174 incluant les règles concernant
l’infliction des sanctions mais aussi de clémence.175 Ainsi, une multitude de
programmes de clémence nationaux ont désormais vocation à s’appliquer lorsque des
entreprises violent les règles de concurrence européenne. De plus, le principe même
du réseau induit que la confidentialité des documents fournis, notamment en matière
de clémence, ne soit pas opposable aux ANC. Les membres du réseau étant
directement informés d’une demande de clémence, l’absence d’un « guichet unique »
oblige les demandeurs à la clémence à multiplier leurs demandes.
174
Jone & Suffrin EU Competition Law, 2013, p.267, Oxford University Press
175
Jones & Suffrin supra
176
Programme modèle du REC, en matière de clémence du 29 novembre 2006.
177
Point 16 du programme modèle des REC.
57
178
programme modèle. Ainsi, la majorité des programmes prévoient la nécessité de
faire une demande explicite par écrit ; 24 programmes prévoient le système de
marqueur, 23 prévoient la possibilité pour l’entreprise qui a présenté une demande
d’immunité complète à la Commission - par hypothèse, la mieux placée - de
n’adresser qu’une demande sommaire à toute autorité de concurrence nationale que
l’entreprise considère comme susceptible d’agir. Cette demande sommaire peut être
faite oralement dans 17 programmes et 19 programmes prévoient la possibilité de
dénoncer le cartel oralement.179
58
marqueur n’est prévu que pour les demandes d’immunité en Italie et en Espagne, à
l’image du modèle européen. Cependant, cette demande est possible à la fois pour les
demandes d’immunités et de réduction en France, au Royaume-Uni et en Allemagne.
Ces divergences s’expriment d’autant plus qu’il existe des différences dans l’étendue
du pouvoir d’interprétation des ANC quant à l’attribution du marqueur. Le marqueur
est ainsi de droit pour le programme français et britannique, alors que celui-ci reste à
la direction des autorités de concurrence en Italie et Espagne182.
59
ANC pour la même entente, ainsi que l’existence d’une obligation à la charge de
l’ANC de prendre contact avec la Commission ou l’entreprise lorsque la demande
sommaire à un champ d’application matériel plus restreint que la demande
d’immunité.186 Enfin, s’est posée la question de savoir quelles sont les conséquences
sur les facultés des autres entreprises de l’entente à présenter une demande sommaire.
186
Alexandre Lacresse,Leniency: The Court of Justice of the European Union enshrines the
autonomy of applications for immunity leniency before the European Commission and
national competition authorities in the absence of harmonization (DHL Express et
DHL Global Forwarding), May 2016, Concurrences Review N° 2-2016, Art. N° 79524, pp.
170-171
187
CJUE, 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09 ; V. Chronique, Concurrences n° 3-2011,
p. 177
188
CJUE, 20 janv. 2016, DHL Express et DHL Global Forwarding, aff. C-428/14 p.23
60
considérations politiques, plus que sur une volonté d’améliorer le programme de
clémence européen.
189
Rapport de la World Trade Organisation relatif à l’entente secrêtes, juin 1997 p. 40
190
A. Heinemann, la nécessité d’un droit mondial de la concurrence, RIDE 2004, n°3 p294.
191
E. Fox, The Kaleidoscope of Antitrust and its Significance in the World economy (2007)
61
heurtent inexorablement à plusieurs difficultés. Face à une multitude d’autorités
susceptibles d’accueillir leur démarche et les différentes garanties de confidentialités
qu’elles offrent, il est aisé de se perdre.
192
Accord entre les Communautés européennes et le gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique concernant l’application de leur règles de concurrence : JOCE L 95 du 27 avril
1995 p. 47 et 50.
193
Accord de coopération supra, article II
194
CJCE, 7 juin 2000, Aff COMP/36.545 – Acide Aminée, JOCE n° L152 du 7 juin 2001
62
mondiale par les autorités américaines, au moment où ces dernières s’apprêtaient à
mettre officiellement en accusation les cartellistes. Il en est de même pour l’affaire du
cartel de l’acide citrique195 dont la diffusion d’information relative à l’entente avait
mené une condamnation en cascade sur 3 continents (Amérique, Europe et Asie) et 7
pays.196 Au regard du risque inhérent aux poursuites subséquentes, il convient pour les
entreprises désireuses d’obtenir la clémence, d’approcher concomitamment plusieurs
autorités de concurrence.
63
Division Antitrust, la Commission avait également ouvert une enquête et avait
poursuivit les membres du cartel à partir de novembre 1997. Cependant, c’est
l’entreprise nipponne SDK199, autre membre du cartel, qui avait fait part en premier à
la Commission de son désir de coopérer, dépassant ainsi C/G dans la course à la
clémence européenne. Il résulte une condamnation de 10 millions d’euros de C/G,
dont le plus grand torr a été de négliger la procédure communautaire. A l’inverse, la
stratégie s’avère payante si les cartelliste n’attendent pas et dénoncent
immédiatement l’infraction auprès des autorités concernées. Ainsi, dans l’affaire du
cartel des vitamines200 l’entreprise française Aventis avait en premier lieux dénoncé
l’entente aux Etats-Unis et quelques jours plus tard à fait de même avec la
Commission, jouissant ainsi d’une protection des deux cotés de l’Atlantique.
64
cherchent à développer leur coopération et l’échange d’informations entre ANC au
sein d’un réseau international. Cette volonté a été le catalyseur de la création en 2001
de l’International Competition Network (INC)201. Cependant, la question d’une
uniformisation globale des programmes de clémence ne semble pas à l’ordre du jour.
En effet, le rapport de la 11 me conférence du réseau international de concurrence à
Sydney en 2015202 n’évoque aucune politique internationale en matière de clémence et
la question de la clémence n’est que brièvement abordée. Il en est de même pour les 4
dernières conférences. Le seul document pouvant s’apparenter à une ébauche de
projet commun est le « ICN Curriculum Project – Leniency Transcript »203 visant des
conseils législatifs pour l’établissement ou l’amélioration du programme de clémence.
Ce document n’ayant cependant pas plus de valeur juridique que les conseils avisés
d’un professeur de droit.
201
F. Marchal , « l’évolution des procédure de clémence » Revue francaise d’économie
2013/3 Volume XXVII page 108
202
Le Réseau International de la Concurrence organize sa 14ème conférence annuelle à
Sydney (Conférence annuelle de l’ICN, du 28 avril au 1er mai 2015, Sydney, Australie)
203
R. Whish « ICN Curriculum Project – Leniency Transcript
204
Autorité indépendante internationale (théorique) aux compétences très limité, mais
incluant des prérogatives relatives la protection des repentis
65
réseau international de concurrence, tout en protégeant le repenti de toutes poursuites
et lui garantissant un anonymat total.205
205
« You may say I am a dreamer, but I m not the only one » Imagine - John Lennon
206
les cartellistes, le marché affecté et les victimes
207
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,Revue internationale de droit économique 2010/2 (t.XXIV), p. 211-240DOI
10.3917/ride.242.0211
66
l’OCDE, et plus spécialement l’Etats-Unis et L’Union européenne, ont recours à une
application extraterritoriale de leur droit.208
208
Caron Beaton- Wells & Christopher Tran « Anti-cartel enforcement in a contemporary
age – leniency religion » (2015) Hart study in competition law
209
United States v Aluminium Co. Of America, 2nt Circuit court of Appeal 12 mars 1945,
n°148 F.2D 416
210
Désormais Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)
211
CJCE, 9 juilliet 1969, Beguelin Import Co/S.A.G.L Import Export, aff n°22/71. CJCE
1971 p.949.
212
CJCE, 14 juilliet 1972, Imperial Chemical Industries, aff 48/69, Rec CJCE 1972 P.619
67
la base du modèle de l’accord liant le DoJ à la Commission 213 obligent toute autorité
saisie d’une affaire pouvant intéresser sa corollaire étrangère de notifier le
déclanchement d’une procédure. Ainsi, l’autorité pourra entamer des poursuites avec
l’aide des informations fournies par l’autorité coopératrice, alors même que les
membres des cartels découverts se devront de déclencher plusieurs demandes de
clémence simultanées214
213
V. C plaidy « L’accord entre les Communautés Européennes et les Etats-Unis concernant
la mise en œuvre du principe de courtoisie active : une etape vers l’internationalisation du
droit de la concurrence
214
à l’image de Rhone-Poulenc dans l’affaire du cartel des vitamines.
215
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,Revue internationale de droit économique 2010/2 (supra)
216
Pierre Desbross (surpa)
217
F. Jenny, « La répression des cartels internationaux : Une politique à deux vitesses
68
les pays en voie de développement, précisément ceux qui avaient besoin de
s’industrialiser et donc de s’équiper des machines nécessaire à la production
d’électricité. Pour la seule année 2012, le montant des exportations des pays en voie
de développements affectés par ces pratiques anticoncurrentielles (de manière
générale), s’élevait à 112,1 milliards de dollars, soit 8,3% des exportations.218 S’il
existe toujours la possibilité pour les autorités des pays en voie de développement de
recourir à des accords bilatéraux, l’on remarque qu’en pratique, les autorités des pays
développés redoutent un afflux de demandes et se montrent réticentes à ratifier de tels
accords. Seul les Etats-Unis, dans un souci d’étendre au maximum l’aura de leurs
investigations, ont pour habitude de ratifier des accords de coopération avec les pays
du sud.219 Cependant, ces accords ne sont pas ou peu respectés. En 2003, le Financial
Times révèle une entente entre plusieurs multinationales européennes et américaines
au Brésil induisant à l’ouverture d’une enquête par l’autorité locale. La demande
d’informations faite essuya un refus catégorique des autorités américaines et
européennes, quant bien même les Etats-Unis et le Brésil étaient liés par un accord de
coopération.220
69
chances de détection et de sanction d’un cartel opérant depuis l’étranger deviennent
très faibles, diminuant ainsi fortement l’attractivité du programme de clémence. Ainsi
ont constate une asymétrie réelle entre les pays du Nord disposant de « leviers
conventionnels et extraterritoriaux »221 leur permettant d’agir efficacement, alors que
les pays du Sud, sont exposés sans moyens coercitifs hors de leur frontière.
TITRE II.
Approche stratégique de l’outil de clémence par les
membres du cartel
221
Pierre Desbrosse, « Les programmes de Clémence à l'épreuve de la globalisation des
marchés »,Revue internationale de droit économique 2010/2 (supra)
70
nous avons pu observer une instrumentalisation des mécanismes de clémence par les
membres du cartel (Chapitre 1) mais aussi l’établissement de parades structurelles
empêchant l’effectivité du programme de clémence à leur encontre (Chapitre 2).
CHAPITRE 1
De l’art de l’instrumentalisation du programme de clémence
: l’épée et le bouclier du délateur
222
C. Collard et C. Roquilly, La performance juridique : pour une vision stratégique du droit
dans l’entreprise, Paris, LGDJ, 2010, 305 p. ; A. Masson (dir.) “Les stratégies juridiques des
entreprises”, Bruxelles, Larcier, 2009 ; A. Masson et V. de Beaufort (dir.), “Lobbying et
procès orchestrés”, Bruxelles, Larcier, 2011 ; C. Roquilly, Competition Law as a Strategic
Issue for the Firm », in Alternative enforcement techniques - A new paradigm of EC
competition law?, Bruylant, mai 2009.
71
L’instrumentalisation du droit de la concurrence. Au vu de l’importance
des prérogatives des autorités de concurrence (annulation de contrat, cession
obligatoire d’activité, infliction de lourdes peines) toutes stratégies appelant à
l’intervention de celles-ci est susceptible de mener à une modification radicale de
l’équilibre d’un marché.223 À titre d’exemple, il est admis que l’activation du
programme de clémence a généralement pour effet d’affaiblir considérablement les
membres d’une entente sur le marché et ainsi permettre une redistribution des cartes
concurrentielles. Fort de ce constat, les entreprises prennent peu à peu conscience de
l’intérêt qu’elles peuvent tirer de la mise en place de stratégies juridiques pour
modifier à leurs avantages le marché. 224 Le droit de la concurrence s’avère quant à lui
particulièrement ouvert aux stratégies juridiques. Il est vrai que certains auteurs de la
« théorie des choix publics »225 ont illustré le risque de voir les autorités publiques
« capturées » par les entreprises qu’ils sont pourtant en devoir de contrôler.226
72
significativement sa part de marché de faire une demande de clémence. Cette pratique
exprime ainsi un contrôle parfait de la procédure régulatrice, ainsi qu’ironiquement,
une attitude extrêmement compétitive à l’égard des autres acteurs du marché. Ce
phénomène est décrit par la doctrine227 comme l’utilisation « stratégique du
programme de clémence ». Nous allons ainsi étudier un certain nombre de stratégies
ayant permis ou qui permettraient à une entreprise de détourner le programme de
clémence à son seul avantage.
227
Traduction de l’anglais « strategic leniency gaming » Voir ; C. Harding, C.Beaton-Wells
« Leniency and criminal sanction » (2015) Hart studies in competition law.
228
Me Fréderic Puel et Laurent François Martin « Méthodologie d’une démarche de
clémence N°3-2006 Colloque
73
maintien de l’entente rationnellement non pertinent et moins rentable. Le programme
de clémence se voit ainsi instrumentalisé du fait qu’il est utilisé à des fins détournées
de celles pour lequel il a été instauré. D’un point de vue opportuniste cependant, il
permet la dissolution sans frais pour l’autorité d’un cartel et démontre l’instabilité
chronique dont font preuve les cartels.
74
transparence commerciale était extrêmement propice à la collusion. Ainsi s’était
formée une entente secrète sur les commissions de ventes avec son concurrent direct
Sotheby’s. Dès lors, suite au rachat de Christie’s par Arthémis, les nouveaux
dirigeants ont immédiatement fait part d’une demande de clémence auprès du DoJ et
de la Commission.232 Mme Patricia Barbizet, ancien directeur général de Artémis
rapporte « Le jour de cette révélation (…) la décision avait été prise de porter les
documents à la connaissance du Departement of Justice américain et de faire une
demande de clémence »233 Suite aux négociations avec les autorités de concurrence
américaine et européenne, Christie’s obtint in fine une immunité totale pour
l’entreprise et ses cadres, au détriment de son concurrent Sotheby’s. Les équipes
exécutives de multinationales ont désormais tendance à employer systématiquement
l’arme de clémence lors de la prise de contrôle d’une entreprise s’avèrent être membre
d’un cartel. « La clémence devient un outil de concurrence, comme l’est la publicité
ou le marchandising »234.
75
mère »236. Le 7 mai 2004, la société finlandaise sollicite l’ouverture d’une procédure
de clémence auprès du rapporteur général et obtient une exonération totale des
sanctions. Les six autres membres de l’entente se voient quant à eux condamnés à
verser au total 8 millions d’euros d’amende ce qui épure de manière drastique leur
part de marché au profit de d’UPM.
236
Ibid point 311
237
V. Vaquette « l’efficacité du programme des programmes de clémence : l’exemple du
droit communautaire de la conccurence » Mémoire, p 77.
76
L’approche offensive se voit complétée par un penchant défensif, plus enclin à utiliser
le programme de clémence comme un bouclier face à une investigation imminente des
autorités.
238
Frédéric PUEL et Laurent FRANÇOIS-MARTIN, « Méthodologie d’une démarche de
clémence » September 2006, Concurrences Review N° 3-2006, Art. N° 1743, pp. 73-84
239
Affirmation à nuancer avec l’existence du plea bargaining et du programme Amnesty plus.
77
incertitude a été diminuée depuis la mise en place du programme de conformité 240, la
mise en place d’un audit de concurrence marque la première étape avant de s’engager
dans une démarche de clémence. Concrètement, la réalisation de cet audit suppose la
mise en œuvre de plusieurs moyens. Le cabinet d’avocat chargé de cette mission
procède ainsi à l’analyse de divers documents qu’il s’agisse de contrat, de
correspondances, mails ou encore archives. Plusieurs facteurs sont susceptibles de
déclencher la réflexion de l’entreprise sur sa conformité aux règles de concurrence.
Facteur 1 : l’ouverture d’une enquête dans secteur ou agit l’entente. Dès
lors qu’une enquête est ouverte par la Commission ou le DoJ dans le secteur de
l’entreprise membre d’une entente ou potentiellement membre, celle-ci à tout intérêt à
mettre en place un tel audit lui indiquant ou non la nécessité d’activer le plus
promptement le programme de clémence. La même observation vaut dès lors qu’une
entreprise concurrente fait l’objet d’une perquisition, présageant souvent, la
perquisition en cascade de toutes les entreprises du même marché possédant une part
de marché substantielle.
240
Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de
concurrence
241
Frédéric PUEL et Laurent FRANÇOIS-MARTIN, « Méthodologie d’une démarche de
clémence » September 2006, Concurrences Review Ibid.
242
Comm. CE, déc. 86/398/CEE du 23 avril 1986, aff . IV/31.149, JOCEn ° L . 230 du 18
août 1986, p. 1 et C om m E, 30 novembre 2005, aff . C O M P / F / 3 8 . 3 5 4 )
243
78
Facteur 3 : délation par des partenaires externes à l’entente. Souvent
négligé par les entreprises, le risque afférent à une délation non motivé par le
programme de clémence, c’est à dire une délation d’une personne externe à l’entente,
est cependant existant. En effet, certains signes de l’existence d’une entente peuvent
être descellés par les acteurs du marché, tels que des prix déconnectés du marché, ou
des conditions commerciales abusives. Si ces indicateurs sont peu souvent remarqués
par les consommateurs, ils peuvent l’être par les concurrents non membre de l’entente
ou encore par les partenaires commerciaux à l’image des distributeurs. Si ces derniers
soupçonnent une activité anticoncurrentielle ils n’auront aucune hésitation à saisir les
autorités de concurrence.
79
contestation, être corroborés par d’autres éléments de preuves. 244 Au vu de la
difficulté que constitue la recherche de preuves, la Commission se voit cependant
souvent tentée de se fier de manière quasi aveugle à celles-ci. La Commission a
cependant pris conscience de l’incertitude de ses déclarations lors de l’affaire de
Vitamines. Ainsi, il a été déclaré que « (Ces déclarations) doivent être considérées
avec prudence, notamment si elle cherche à présenter les évènements en cause sous
un jour qui leur est favorable, par exemple en atténuant leur propre responsabilité
dans l’infraction ».245 Cependant, toutes les déclarations ne sont pas pour autant
suspicieuses dans l’esprit des autorités européennes. Ainsi, dans l’affaire Carton, la
Commission a considéré que le fait que les déclarations de l’entreprise Stora les
incriminaient de manière sérieuse, rendaient tout à fait crédible leur déclaration. 246
Dès lors que les informations issues de la demande de clémence sont d’une
importance considérable pour l’entreprise visant à limiter sa condamnation, il n’est
pas certain que la valeur probante de celle-ci puisse être mise en doute.
80
déclarations restent renforcés par l’absence de toute disposition légale destinée à
garantir leur fiabilité. En outre, si l’entreprise destinataire des griefs d’accusations
remette en cause les déclarations des plaignants dans ses propres déclarations, il
n’existe aucun moyen par lequel elle peut soumettre un demandeur de clémence à un
véritable contre interrogatoire.248
248
James S. Venit, ibid., p. 26 et Jürgen Schwarze, Deficiencies in European Community
Competition Law – Critical Analysis of the current practice and proposals for change, page
54,
249
TPIUE, arrêt du 20 mars 2002, HFB et autres c/ Commission, aff. T-9/99, § 392 : “Il
convient d’observer que la Commission, bien qu’elle puisse entendre des personnes
physiques ou morales lorsqu’elle l’estime nécessaire, ne dispose pas non plus du droit de
convoquer des témoins à charge sans avoir obtenu leur accord”
250
Nathalie Jalabert-Doury, “Les déclarations en droit de la concurrence : la preuve
d’infractions peut-elle se satisfaire de “certitudes probables”?”, Concurrences n° 2-2005, §
3, p. 41.
251
Règlement n° 1/2003, articles 17, 18 et 20.
252
Romain Maulin, Jacques Buhart, Evidence in cartels proceedings: Current state and
prospects, November 2011, Concurrences Review N° 4-2011, Art. N° 38773, pp. 51-64
253
Voir intro partie III sur le caractère contractuelle de la clémence en droit américian.
81
clémence est de « s’abstenir de détruire, de falsifier ou dissimuler des informations
de preuves utiles se rapportant à l’entente présumée »254
254
Commission, communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant
dans les affaires portant sur des ententes, 8 décembre 2006, points 12, (a), 4ème tiret et 30,
alinéa 2.
255
Autorité, décision n° 10-D-36, § 22.
256
Romain Maulin, Jacques Buhart, Evidence in cartels proceedings: Current state and
prospects (supra)
257
« Pour l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement,
la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d'être
interrogée aux fins de la collecte d'informations relatives à l'objet d'une enquête.
82
défaut laisser l’application du droit nationale en matière de fausse déclaration.
Cependant, l’absence de compétence de l’Union Européenne en matière pénale
exclue cette première solution. Si les personnes physiques dont émanent les fausses
déclarations ne peuvent ainsi subir le courroux de sanctions « pénales européenne » il
reste cependant possible d’instaurer un système d’amendes répressives aux entreprises
pour fausses déclarations.
258
Chirstopher Harding, Caron Beaton-Wells and Jennifer Edwards “ leniency and criminal
sanctions” (2015) Hart studies in competition law
259
Ibid p.257
83
programme de clémence à leurs fins. Ces exemples marquent le premier paroxysme
de l’instrumentalisation de la clémence tant il semble que ces entreprises usent du
programme de clémence, comme ont userait d’un joker autour d’une table de jeu. Une
brève analyse des affaires de la Commission à l’encontre des ententes ces 30 dernières
années met en évidence un certain profil d’entreprise usant et abusant du mécanisme
de clémence. Le tableau 1 ci-dessous met en lumière quelques entreprises pour qui
l’utilisation du mécanisme de clémence n’est rien d’autre qu’une manœuvre
commerciale comme une autre.
84
Chemtura Etats-Unis 2 2 0 2/2 2/2
100% 100%
Hoffmann- Suisse 13 0 9 9/13 0/13
La Roche 69% 0%
BASF Allemagne 11 0 11 11/11 0/11
100% 0%
260
Excluant de faits les actions privées dont le résultat et les chances de succès sont trop
aléatoires
261
E. Combe « Les cartels en Europe, une analyse empirique » Revue francaise d’économie,
2012/2 Volume XXVII p.226 « récidive »
262
De cette étude est exclut les précédentes condamnation pour violation de l’article 102 du
TFU ou relative à la directive sur les concentrations.
85
membre récidiviste. Ces statistiques prennent un intérêt d’autant plus important dès
lors que l’on classe les récidives par secteurs.
Tableau 2 : Source E. Combe « Les cartels en Europe, une analyse
empirique »
Nombres de cas Récidive (%des cas)
Métallurgie et produits 18 28%
minéraux non métalliques
Fabrication de machines 13 54%
et équipements
Industrie du papier, carton, 12 25%
caoutchouc et plastique
Textile, construction 5 0%
Industrie chimique 13 38%
Produits consommables 13 15%
TOTAL 74 26%
Sur l’ensemble de l’échantillon, 20 firmes ont récidivé, avec 66% des cartels
comptent un seul récidiviste, 18% deux récidivistes et 14% 3 récidivistes. Ces chiffres
démontrent un problème sérieux quant au caractère dissuasif des sanctions opérées
par les autorités européennes, notamment due à une attribution cyclique des
mécanismes de clémence.
86
sans cause. En effet, il s’agit bien d’une entreprise qui s’est enrichie (1) par
l’appauvrissement de consommateurs (2) dont le lien de causalité est matérialisé par
l’augmentation des prix liés à l’entente (3). Cependant, le quatrième critère quant à
lui est plus incertain dès lors qu’il définit que l’enrichissement ne doit être justifié par
aucune raison juridique (4). L’on peut cependant légitimement considérer le
programme de clémence et les considérations d’ordre public économique qu’il
emporte avec lui, comme une raison juridique suffisante. Les cas de récidives rendent
cependant plus incertains la justification d’ordre juridique de l’enrichissement
consécutive du 4ème critère.
B. Solutions
87
Conclusion. Si l’instrumentalisation des normes juridiques est le
propre de toutes entreprises bien conseillées, le caractère répété de ces abus soulèvent
un certain nombre de questionnements sur l’efficacité du programme de clémence à
agir comme outil répressif. Le constat statistique est sans appel. Certaines entreprises
ne semblent guère se soucier des conséquences d’une éventuelle sanction à leur égard
dès lors qu’elles savent manier l’outil de clémence afin de récidiver sans frais.
Toujours sur une base comptable, une entreprise ayant pour objectif
d’instrumentaliser de manière cyclique le programme de clémence agira en acteur
économique rationnel dès lors que le profit tiré par l’entente restera supérieur à la
condamnation. La vision utilitariste du programme de clémence marque ici les
limites de son raisonnement. En effet, l’idée selon laquelle l’utilisation détournée du
programme est un mal nécessaire à un dessein plus grand, qu’est la dissolution rapide
d’une grande quantité de cartel, n’est plus acceptable. Il est inadmissible d’accepter
qu’une utilisation stratégique du programme aille jusqu'à encourager la récidive. Face
à ce phénomène encore heureusement marginal, les autorités américaines comme
européennes se voient impuissantes. Cependant, certaines solutions restent
envisageables.
88
Lors de nos recherches, nous avons émis l’hypothèse qu’un cartel était « instable »
par nature et que le programme de clémence agissait comme un levier de déséquilibre
du cartel. Il convient maintenant de s’interroger sur l’efficacité du programme de
clémence en matière de détection sur les cartels dit « stables » (Section 1) et ainsi en
déduire l’importance d’une conjugaison de la clémence avec une sanction optimale
pour les condamnés (Section 2) Enfin, nous allons établir les possibles parades
structurelles que les cartels « stables » peuvent mettre en place pour palier aux effets
du programme de clémence. (Section 3)
263
G.J. Stigler « A theory of Oligopoloy » The Journal of Political Economy, Volume 72,
issue feb 1964 p.47
264
Voir Partie IV de l’introduction
265
Aspermont & Jacquemin « On the stability of collusive price leadership » The canadian
journal of economics, Vol 16 n°1 (feb 83) p.17-25
89
de stabilité des collusions à travers une liste non-exhaustive de critères 266.La stabilité
collusive est donc facilitée par :
- La concentration du marché et le faible nombre d’entreprises au sein du cartel.
- La symétrie des coûts et des capacités de production entre entreprises.267.
- L’existence de barrière à l’entrée (et à la sortie) du marché. Celle-ci permet de
se prémunir contre l’entrée de nouveaux concurrents pouvant déstabiliser
l’entente par des prix concurrentiels.
- L’homogénéité des produits. Si les produits sont différenciés il sera compliqué
de punir le tricheur. La déviation unilatérale (tricherie) sera cependant aussi
moins profitable car celui-ci ne pourra s’approprier tout le marché268
- Absence de volatilité269 de la demande
- D’importants mécanismes de sanctions pour toutes déviations de l’entente.
Ces facteurs de stabilité du cartel sont ceux permettant une stabilité du cartel face aux
aléas « naturelle » des lois du marché, c’est à dire les cas ou l’entente imploserait sans
intervention d’une autorité de concurrence. Cependant, si un cartel stable se voit
protégé des aléas des lois du marché, il reste sous la pression d’une détection des
autorités concernées.
266
Emmanuel Combe, Constance Monnier, « Les cartels en Europe, une analyse empirique »,
Revue française d'économie 2012/2 (Volume XXVII), p. 187-226. DOI 10.3917/rfe.122.0187
267
Massimo Motta « On EU antitrust and cartel deterence » written for the EACGP meeting
in Brussels, 14 september 2007.
268
E. Combe, C . Monnier supra
269
La volatilité d'un actif mesure l'importance des variations de son cours sur une période
donnée. L’absence de volatilité de la demande constitue donc une demande stable.
270
Bryant & Eckart “Cartel : the probability of getting caught” Article in review of
economics and statistics 73(3) February 1991.
271
E. Combe, Constance Monnier, Renaud Legal « Cartels : the probability of getting caught
in the European Union » BEER paper 12, Mars 2008
90
12,9% et 13,3% les chances pour la Commission de débusquer un cartel en activité.
De même, sans pour autant fournir d’indications précises sur la méthode de calcul,
l’OCDE [2003] estime que « pas plus d’une entente sur six ou sept est détectée et
poursuivie » ce qui correspond aussi à une probabilité de l’ordre de 15%. Il ressort de
ces trois études que les probabilités de détection convergent vers un même
pourcentage et ce, qu’il s’agisse d’enquête de la Division Antitrust, de la
Commission, ou d’une autorité nationale de concurrence de l’OCDE.
Dans ces 15% de cartels débusqués ressort plusieurs facteurs de détection, que sont
respectivement :
- les cas d’enquêtes spontanées des autorités de concurrence,
- l’activation du programme de clémence
- les plaintes faites par acteurs satellites du cartel (fournisseurs, clients)
- la dissolution naturelle du cartel amenant à une modification brutale et
suspicieuse du marché.
272
E. Combe & C. Monnier supra
91
2002
Enquête 46 41% 14 50,8% 29%
spontanées
Programme 34 31% 30 6,3% 62,5%
de clémence
Notification 6 5% 0 9,5% 0%
s
Plaintes 15 14% 1 22% 2%
officielles
Dissolution 10 9% 3 11,2 6,5%
naturelle du
cartel
Total 111 100% 48 45% 55%
Bien que sur l’ensemble de la période, les enquêtes spontanées forment le premier
facteur de découverte des cartels par la Commission, il convient de rappeler que la
période 1969-2009 contient 27 ans, sans l’existence du mécanisme de clémence en
Europe. L’on remarque ainsi une nette diminution du pourcentage de cartel décelés
par le biais d’enquêtes spontanés à partir de 2002, date de mise en place du second
programme de clémence européen.
Cette écart s’est creusé durant la période 2009-2015 avec près de 85% des cartels
découverts par le biais du programme de clémence contre 6% pour les enquêtes
spontanées273. Cette étude démontre la nécessité qu’a la protection du programme de
clémence dans la détection des ententes secrètes dès lors qu’il n’est pas envisageable
de se cantonner à un taux de 6% d’ententes découvertes par le biais d’investigations
« classiques ».
273
Andrew R Dicks “What make cartel collapse ?” Source: The Journal of Law &
Economics, Vol. 39, No. 1 (Apr., 2016), pp. 241-283 Published by: The University of
Chicago Press for The Booth School of Business, University of Chicago and The University
of Chicago Law School
92
semble pas faire d’effet. Ainsi, il semble que le programme de clémence n’a
d’influence que sur des cartels « instables» et n’agit donc comme le prédateur de
proies « faibles », sans menace contre la majorité des cartels. L’abandon des moyens
d’enquêtes plus classiques qui constituaient avant 2002, 50,8% des découvertes de
cartels profitent ainsi à ce type d’entente, dès lors que leurs organisations structurelles
les prémunissent d’une délation de l’un de leur membre. Ainsi, si les programmes de
clémence produisent des résultats satisfaisants dans la détection de cartel, ils ne
sauraient être envisagés comme l’arme absolue de lutte contre les cartels, ni l’outil
miracle pour les détruire. Au contraire, le programme de clémence se doit d’agir
comme un complément efficace à la méthode traditionnelle d’investigation et de
sanction, seule à même de débusquer les cartels stables agissants sur le marché.
93
Définition d’une sanction optimale. Au regard du champ lexical
économique, une sanction optimale se définit comme « celle visant à dissuader les
agents, supposés rationnels, d’adopter des comportements inefficients pour la société,
c’est à dire dont le coût total pour la société l’emporte sur le gain privatif »275 Ainsi,
dans un monde sans coûts administratifs et sans erreurs judiciaires et en supposant
que les agents qui commettent une infraction sont toujours appréhendés, la sanction
optimale devrait simplement être égale à la perte infligée aux autres agents (et non au
profit retiré par l’auteur de l’action illicite). Si cependant on s’extrait de ce modèle
théorique en admettant que les agents qui commettent des infractions ne sont pas
toujours appréhendés, la sanction optimale doit être égale au dommage économique
sur le marché (noté D) divisé par la probabilité que l’auteur de l’infraction soit arrêté
et condamné (notée p).276
S’ajoute au rapport (1) le facteur important des coûts d’ordre financier (organisation
d’une défense judiciaire) et moraux (perdre de notoriété) (notés C) que doit supporter
l’agent si son comportement illicite est détecté. Plus ces coûts sont élevés, plus la
sanction optimale peut être diminuée.
E (D - Cp) /p
275
G. Beckert « Crime and Punishement, an Economic Approach » Essays in the Economics
of Crime and Punishment (1968)
276
E. Combe (2006) Supra
277
100/6 =15
94
La sanction optimale en matière de cartel. Au regard des
constatations précédentes, la détermination d’une sanction optimale suppose d’abord
que soit évalué le dommage économique causé par le cartel. Ainsi on considère le
dommage causé au marché comme égale à la « perte totale de surplus » des
consommateurs. Celle-ci est mesurée par la somme du surprofit réalisé par le cartel et
la perte de bien être des consommateurs 278. Cette interprétation du dommage se
rapproche de l’idée de sanction optimale, dès lors que la perte totale de surplus est
toujours supérieure aux gains du cartel.
Selon les recherches de Levenstein & Suslow 279 (2002), la durée de vie moyenne
d’un cartel oscille entre 3,7 et 7,5 ans que nous simplifierons à 5 ans. De plus, durant
ces 5 années d’existence en moyenne, les cartels induisent à une hausse médiane de
20% des prix sur le marché sur lequel ils agissent 280. Si nous retenons ces hypothèses,
la sanction optimale correspond à 110% du chiffre d’affaire total sur le marché affecté
soit, 550% (110 x 5) du chiffre d’affaire annuel sur ce même marché (avec un
paramètre de détection inchangé).
278
Correspondant aux cas des consommateurs renonçant à acheter le biens suite à la hausse
artificielle du prix
279
Levenstein & Suslow « What determines Cartel Success » janvier 2002, Michigan U
review of Economy
280
Connor & Bolotova (2005) sur un echentillon de 674 cartels
95
que la doctrine économique préconise. Ainsi, les Sentencing Guidelines fixent
l’amende de base à 20% du volume des transactions affectées par le cartel 281. S’ajoute
des facteurs aggravants (telle que la récidive) et des facteurs atténuants (plea
bargaining), pouvant mener à une amende comprise entre 15% et 80% des
transactions affectées. Ces calculs sont cependant faits en ne prenant en compte que
les gains illicites (surprofits) et en oubliant la perte de bien être dont l’estimation est
souvent trop complexe à déterminer au regard de l’élasticité de la demande282.
La pratique européenne ne fait donc pas directement référence aux notions de gain
illicite ou de perte de surplus284
281
correspondant à une évaluation forfaitaire d’une hausse de prix induite par le cartel de
10% (surprofit)
282
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” Supra
283
Guidelines on the method of setting fines imposed pursuant to Article 15(2) of Regulation n° 17
and article 65(5) of the ECSC treaty (publiés au JOCE du 14 Janvier 1998).
284
E. Combe “Quelles sanctions contre les cartels ? une perspective économique” (supra)
96
- La sanction optimale viole à priori le principe fondamental de proportionnalité
des peines. Or ce principe est inscrit à l’article 49(3) de la charte des droits
fondamentaux de l’Union Européenne.
- Une amende trop élevée peut causer la faillite de l’entreprise, ce qui
paradoxalement a pour effet de réduire la concurrence…
- En vertu du principe d’individualisation des peines285, il n’est pas acceptable
de baser une amende particulière sur la base d’un raisonnement fondé sur une
moyenne.286
285
V. A. Le Poittevin « Individualisation de la peine »
286
E. Combe Supra
287
Cf Titre 1 , Chapitre 1, Section 1 & 2 de cette étude.
97
Modèle de recherche. Lors de cette dernière section, il est présumé
(car probable) l’existence de parades structurelles établies par les entreprise pour
palier à l’efficacité du programme de clémence. Le raisonnement sous-jacent est le
suivant : mettre en évidence ces mécanismes afin d’y trouver une réponse légale
efficace. Evidemment, aucune source certaine en la matière n’est disponible. Notre
recherche n’a donc pas pour prétention de trouver une parade parfaitement efficace,
dès lors que si celle-ci existe, elle est probablement l’un des secrets d’affaires les
mieux gardé depuis 38 ans. En effet, avec 6% de taux de détection des autorités de
concurrence, une protection contre le programme de clémence est l’assurance d’une
vie de cartel paisible.
98
(3) (à t+2) C ainsi fera un accord avec D qui lui même ignora toute information
compromettante à propos de l’accord entre A et de B
(4) (à tn+1) s’instaure un rapport tel que : le nouvel entrant, forme une entente
autonome avec le précédent membre déjà engagé, sans divulguer d’information sur la
précédente entente qu’il a conclue.
Ainsi, si une procédure de clémence est enclenchée par disons B, celui-ci n’aura
d’informations pertinentes sur le cartel qu’à l’encontre de A et C, sans pouvoir
incriminer D, E, F. La chaine n’est ainsi rompue uniquement en ces extrémités et
protèges des poursuites 3 membres du cartel sur 6. Ainsi, si l’organisation du cartel
change ne s’avère plus circulaire, mais binaire, l’efficacité de la procédure de
clémence s’estompe. Ce modèle a cependant quelques limites.
99
pas à tous les membres le statut de précurseur/meneur de l’entente, excluant ainsi la
possibilité de demander clémence dans certains programmes des Etats-Membres.
100
CONCLUSION GÉNÉRALE
Lors de notre étude, nous nous sommes attelé à démonter en quoi le mécanisme de
clémence est un outil qu’il convient de manier avec soin, tant il s’apparente à une
anomalie juridique, utile et contradictoire. Difficilement conjugable avec les principes
parmi les plus fondamentaux de nos démocraties, que sont le droit à la réparation,
l’accès aux preuves ou encore le devoir de sanction pénale, le programme de
clémence semble discordant avec le système dont il est la constituant. En cela, il
amorce un équilibre entre la défense de ces mêmes principes et celle du programme
de clémence, dont la protection est nécessaire à la sauvegarde d’un objectif
économique important. En effet, si l’écrasante majorité statistique des cartels
découverts le sont par l’activation du programme de clémence, il est vraisemblable
que tous frottements systémiques, stabilisent les ententes sur le marché. L’hésitation
d’un membre d’une entente à dénoncer celle-ci est selon nous les prémisses d’un
cartel qui agira encore de longues années. Cependant, le « coup de poker » qu’est la
demande clémence par une entreprise s’apparente au risque d’une auto-incrimination
couplée du courroux d’actions publiques et privées en cascade. Au vu des enjeux
inhérents à l’utilisation du programme de clémence, l’opportunité d’une politique
transparente et uniformisée à l’échelle internationale s’avère nécessaire. Ainsi, la
politique de clémence se doit, selon nous, de protéger le délateur avec la même
ferveur qu’elle entend sanctionner les membres de l’entente.
101
complémentaires et nécessaires à l’outil de clémence, sans lequel celui-ci perd tout
son caractère incitatif. Ainsi, le défi reste entier dans l’édification d’une politique
rationnelle de clémence, dont nous espérons, avoir pu apporter une pierre à l’édifice.
À la mémoire de
Perlette et Pierre Mezhrahid
Et Jacques Metoudi
BIBLIOGRAPHIE
102
I. DICTIONNAIRES ET OUVRAGE GÉNÉRAUX
103
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III. THÉSES
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IV. MÉMOIRES
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105
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et espagnol, September 2009, Concurrences Review N° 3-2009, Art. N°
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COMBE (E.), MONNIER (C.), RENAUD Legal « Cartels : the probability
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NORMES
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108
Normes françaises
Normes anglaises
Normes Américaines
Georgia v Pennsylvania United States suprême court. R.R Co 324 US. 349
(1945
109
Illinois Brick Co v Illinois, Supreme court of the United States, 431 US 720,
97S. CT 2061, 51 L. Ed 2d 707 (1977)
United States v Alexender & Reid Co. 280 fed. 924, 927 (S.D.N.Y)
Court of Appeal
City of Atlanta v Chattanooga Foundry & Piperworks ; 127 F. 23, 26 ( 6th Cir
1903)
110
IX.2 Jurisprudences Européennes
CJUE
CJCE, 9 juilliet 1969, Beguelin Import Co/S.A.G.L Import Export, aff n°22/71
CJCE 5 dec 2001, Aff COMP 36.604 – Acide citrique, JOCE n°L 239 du 6
septembre 2002.
Commission
111
Commission, décision COMP/37.512 du 21 novembre 2001, Vitamines
Déc. n° 08-D-12, 21 mai 2008, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le
secteur de la production du contreplaqué
112
Commission Européenne, Communiqué de Presse : « La Commission
recommande aux Etats membres de se doter de mécanismes de recours
collectif pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice »,
Commission Européenne - IP/13/524 11/06/2013.
X.3 OCDE
113
X.4 France
VALDI (E.) In re Vitamins Antitrust Class Action 1999-2 Trade cas (CHH)
paragraphe 72,726 (DDC 1999)
XII.COLLOQUES, CONFÉRENCES
114
DELRAHIM (M.), Current development at the Antitrust division », discours
du 8 aout 2004.
HAMMOND (S. D), « Detecting and dettering cartel activity through and
effective leniency program » international Workshop on Cartels, discours du
22 nov 2000
SPARTLING (G.R) « The trend towards higher corporate fines : it’s a whole
new Ball Game » Eleventh annual national institue on White collar crimes,
New Orlean, 7 March 1997
115
XIII. ARTICLES DE PRESSE
SEVASTOPOULOS (D.), « AES colluded with Enron to rig bid for Latin America
energy group », Financial Times, 21 mai 2003.
DUPONT (E.) turns its legal department into a profit center”, International Herald
Tribune, 3 octobre 2007
116