Articie Bouts de Bois de Dieu

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Analyse sémio-pragmatique du roman Les bouts de bois de Dieu de Sembène

Ousmane : échec d’une maîtrise en Afrique francophone post-coloniale.

Nom : OUEDRAOGO Pauline

Tel : (226) 76 35 51 65, email : paulineprincess99@gmail.com

Université : Joseph KI- ZERBO

Laboratoire : Langue, Discours et Pratiques Artistiques (LADIPA)

Equipe de recherche : Discours et Pratiques Artistiques (DISPRA)

Directeur de Thèse: Professeur Joseph PARE, Professeur titulaire de sémiotique

Axe : Littérature et didactique

RESUME

Cet article est une analyse sémio-pragmatique d’un roman au programme d’enseignement au
Burkina Faso, « Les bouts de bois de Dieu » d’Ousmane Sembène publié en 1960. Il s’est agi
de mettre en évidence son schéma narratif canonique, la dimension pragmatique que nous
avons comparée avec la réalité socio-politique du Burkina Faso. L’analyse démontre que le
sujet d’état représenté par les travailleurs africains de la ligne Dakar-Niger et leurs familles se
sont transformés en un sujet de faire pour changer sa condition de précarité. La grève a pu
contraindre son employeur Français, habitant du quartier huppé du Vatican entretenu par les
ressources africaines qu’il gérait à sa guise. L’échec de la maîtrise se situe dans le fait que les
moments d’intense euphorie due à la grève, amplifiée par les indépendances se transformèrent
en de grande déception. En effet, après le départ des puissances coloniales, les Africains à
l’image de Fama sont déçus, voire humiliés par leurs pairs. Par conséquent, les luttes
syndicales reprirent aussitôt et prennent des proportions importantes au Burkina Faso grâce
aux œuvres littéraires promues par l’enseignement. Paradoxalement, des protocoles d’accords
sont signés mais les grèves persistent avec des populations criant à la mal-gouvernance. En
réalité, contrairement à l’aveu de l’auteur, on a l’impression que l’Afrique régresse remettant
ainsi en cause la grève.

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Mot-clés : sémio-pragmatique ; faire ; être ; échec ; littérature ; didactique

Abstract

This article is a semi-pragmatic analysis of a novel on the curriculum in Burkina Faso, “Les
bouts de bois de Dieu” by Ousmane Sembène published in 1960. The aim was to highlight his
canonical narrative scheme, the pragmatic dimension that we compared with the socio-
political reality of Burkina Faso. Analysis shows that the subject of state represented by the
African workers on the Dakar-Niger line and their families has become a subject to do for
changing its precarious condition. The strike may have forced his French employer, a resident
of the upscale Vatican district, supported by the African resources he managed as he pleased.
The mastery’s failure lies in the fact that the moments of intense euphoria due to the strike,
amplified by the independence, turned into great disappointment. Indeed, after the departure
of the colonial powers, Africans like Fama are disappointed, even humiliated by their peers.
Consequently, union struggles immediately resumed and took on significant proportions in
Burkina Faso thanks to the literary works promoted by education. Paradoxically, memoranda
of understanding are signed, but strikes persist with populations crying out for poor
governance. In reality, contrary to the author's confession, one has the impression that Africa
is regressing, thus calling into question the strike.

Keywords: semi-pragmatic; make ; to be ; failure; literature; didactic.

INTRODUCTION

L’Afrique a bel et bien une littérature dont la richesse est prouvée. Cette littérature est
fondamentalement orale. Elle est seulement situationnelle et circonstancielle, créée pour
répondre à un but bien précis. En réalité, que la thématique abordée soit individuelle ou
collective, elle porte toujours les traces des réalités socio-économiques des Africains. Ce
constat est clair à travers les écrits de romanciers comme Sembène Ousmane, auteur de
plusieurs œuvres dont « les bouts de bois de Dieu », œuvre publiée en 1960, en pleine période
d’indépendance pour les Etats de l’Afrique occidentale française (AOF). Sans détours, il a
peint la grèves des travailleurs de la ligne Dakar-Niger, une révolte d’ouvriers noirs, qui avec
la colonisation dépendaient entièrement des salaires et autre mode de vie qu’impose la ville. Il
présente une masse populaire, arrachée de leurs racines par la colonisation, une masse qui a
flottée pendant longtemps avant de trouver un appui à travers la réussite de la grève des
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cheminots. Après cinq mois de grève, selon l’auteur, l’Afrique progresse. Cet avis de
Sembène, dans un moment d’indépendance, de grandes promesses, de vision noble, 1960 est
normale. Selon l’œuvre, l’Afrique maitrise la situation, elle ne « doit rien à personne, ni à
aucune mission civilisatrice, ni à un notable, ni à un parlementaire » (Avant-propos).

Pourtant, les grèves demeurent, les mouvements sociaux s’amplifient depuis plus de soixante
ans. Les Africains criaient à l’exploitation face à l’Administration coloniale dans l’œuvre. De
nos jours, les syndicats, à l’image de l’Union d’Action Syndicale au Burkina, en plein
mouvement contre l’application de l’IUTS, le font face à des dirigeants africains. C’est à ce
constat que nous avons choisi d’effectuer une « Analyse sémio-pragmatique d’un roman, les
bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane : échec d’une maitrise en Afrique francophone
post-coloniale ». L’ennemi commun des Africains était les habitants du Vatican jusqu’en
1960. De nos jours, ils ont pour adversaires les gouvernants Le combat est contre soi-même.

Dès lors, la question fondamentale qui se pose est : Pourquoi les mêmes mouvements qui ont
existé avant les indépendances, se sont accentués de nos jours en 2020 ?  Cette question peut
être déclinée en deux niveaux : Quel rapport y a-t-il entre les faits dans l’œuvre et la réalité
socio-économique des états de l’Afrique occidentale en 2020 ? Quel impact, l’œuvre, les
bouts de bois de Dieu, étudiée dans les classes des établissements secondaires africains a-t-
elle eu sur le fonctionnement des états ?

Ces questionnements nous ont conduite à émettre deux hypothèses qui découlent de
l’hypothèse principale selon laquelle il existe une demaîtrise en Afrique post-coloniale du fait
des œuvres, qui, dans leur contexte, ont mis l’accent sur la dénonciation. Selon cette
hypothèse, le jeune africain se trouve mieux en situation de dénonciation du fait de la culture
livresque.

La première hypothèse secondaire soutien qu’il y a évidemment un rapport entre ce qui se


passe actuellement en Afrique occidentale et ce que l’œuvre décrit. Les grèves se soldent
généralement par des victoires. La seconde souligne que le perpétuel recommencement des
grèves, l’échec de la maîtrise, est due à la culture livresque que le jeune africain bénéficie.

L’objectif de cette analyse vise à démontrer que les réalités décrites dans l’œuvre de Sembène
Ousmane sont similaires à ce qui se passe en Afrique post-coloniale : les grèves. Il s’agit pour
nous de montrer que c’est l’échec de la maîtrise, telle que décrite par le Pr Joseph PARE dans
son œuvre « Ecriture et discours dans le roman africain post-colonial » qui se manifeste
clairement.

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Pour ce faire, nous procéderons à une analyse iconique de l’œuvre que nous mettrons en
relation avec la réalité actuelle dans les pays africains en général et au Burkina Faso en
particulier. Dans un second temps, nous ferons usage du schéma narratif canonique pour
montrer l’impact de l’œuvre sur la réalité socio-économique à travers le faire et l’être.

I. Contexte et présentation de l’œuvre

I.1. Contexte

L’Afrique de 2020, est nettement différente de celle de 1947. En effet, le système a changé.
En 1947, l’AOF était quasiment sous la domination de l’Europe, notamment la France qui,
face aux nazis a été sauvé par les tirailleurs sénégalais, combattants Noirs enrôlés pour la
circonstance. A partir de 1960, les Etats africains profitent du différend entre Paris et la Vichy
du Général Pétain pour obtenir leur indépendance comme promise par le Général Charles de
Gaulle qui, ayant obtenu la libération de la France ne voulait plus leur accorder l’autonomie
tant attendue par l’AOF.

Contrairement à l’Afrique pré-coloniale où l’employeur était Français, en Afrique occidentale


actuel, ce sont les Etats africains qui sont chargés de la gestion des emplois des Africains.
L’Afrique post-coloniale connait pourtant une multiplicité de grève qui se soldent par des
victoires mais qui recommencent en peu de temps. Les régimes changent mais les grèves
persistent. Cela amène à penser à un échec de la maitrise obtenue à travers les indépendances
au prix de la grève.

I.2. Présentation de l’œuvre

Publié en 1960, le roman « les bouts de bois de Dieu » fait partie des romans de contestation
(1950-1960). Relaté par Sembène Ousmane ayant pris part au mouvement syndical, la grève
est abordée dès les premières lignes de l’œuvre. Le thème principal de l’œuvre est l’évolution
des pensées. En effet, après avoir combattu pour l’armée française à partir de 1942 jusqu’à la
fin de la guerre, Sembène, syndicaliste depuis son enfance a contribué à cet éveil.

I. METHODOLOGIE : APPROCHE SEMIO-PRAGMATIQUE

I.1. L’iconicité

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L’iconicité pour A. J. GREIMAS et J. COURTES (2001, p.178) est une sorte d’illusion
référentielle. « Celle-ci peut être définie comme le résultat d’un ensemble de procédures
mises en place pour produire l’effet de sens « réalité », apparaissant ainsi comme doublement
conditionnée par la conception culturellement variable de la « réalité » et par l’idéologie
réaliste assumée par les producteurs et les usagers de telle ou telle sémiotique. » L’iconicité
d’un signe se définit donc par sa ressemblance à la réalité, son rapport avec les réalités de
ceux qui l’ont produit mais surtout son rapport avec la culture de ceux qui le reçoivent.
L’iconicité est une sorte de reproduction de la réalité socio-culturelle ou politique d’un groupe
sociale. Dans ce cas de figure, le signe entretient une relation d’analogie avec la réalité du
groupe auquel il est destiné. Nous ferons alors usage de cette démarche sémiotique qui, de
l’avis de Hjelmslev, ne relève « de la sémiotique que « dénotative », elle trouve son
fondement dans le système des connotations sociales qui sont sous-jacentes à l’ensemble des
sémiotiques » (A. J. GREIMAS et J. COURTES, 2001, p.178) afin de déceler la relation
d’analogie entre ces signes et la réalité socio-politique des pays du Sahel ouest-africain.

I.2. Le schéma narratif canonique


Pour L. HEBERT le « Le schéma narratif canonique (SNC) permet d’organiser logiquement,
temporellement et sémantiquement les éléments d’une action ». Ces éléments sont représentés
ou non par des programmes narratifs (PN) doté de cinq (05) composantes (l’action, la
compétence, la performance, la manipulation et la sanction). Il dispose des composantes
suivantes :

 L’action décomposable en deux niveaux que sont la compétence et la


performance :
 la compétence : relative aux préalables nécessaires de l’action, tous des modalités du
Faire que sont : le vouloir-faire (compétence boulestique) correspond à la volonté
du sujet à s’investir dans la recherche de l’objet de valeur, le devoir-faire
(compétence déontique): c’est le moment où le sujet se lance, joue le héros et est
convaincu de changer l’avenir, le savoir-faire (compétence cognitive) fait référence
aux techniques et méthodes adéquates à déployer pour réaliser la jonction et le
pouvoir-faire ou compétence pragmatique désigne les aptitudes du sujet à réaliser
une performance estimable à travers la jonction.

Toutes les compétences acquises par le sujet de faire sont possibles grâce à la manipulation
qui est très importante dans l’action. La manipulation ou modalités du faire-faire: c’est la

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compétence spécifique pour le vouloir-faire et le devoir-faire. A ce niveau, le sujet de faire
use les moyens nécessaires pour amener le sujet d’état à réaliser une jonction. C’est le
moment du faire-faire.

 La performance : est en rapport avec les modalités réalisantes, au faire. C’est l’étape
d’acquisition ou de privation de l’objet de valeur. Les acquis de la quête y sont
présentés.
 La sanction : est relative à l’évaluation de l’action, à sa rétribution (récompense ou
punition).

Les différentes composantes sont liées entre elles par des relations de présuppositions. La
sanction (terme présupposant) par exemple présuppose l’action (terme présupposé) et sous-
tend une en principe des relations de succession temporelle.

Le programme narratif (PN) :
Il s’agit d’une formule abstraite permettant la représentation d’une action. Le PN représente la
jonction (disjonction ou conjonction): un sujet d’état disjoint d’un objet de valeur qui, à l’issu
de plusieurs mécanismes se retrouve conjoint à l’objet de valeur. La formule du PN se
présente comme suit : PN=F S2➯ (S1⋃O) → (S1⋂O)
A cet effet, le programme narratif comporte trois rôles syntaxiques ou actantiels :
S2=Sujet de faire
S1=Sujet d’état
O=Objet.
Le sujet S2 étant le sujet d’action porte les modalités de faire (vouloir-faire, devoir-faire,
savoir-faire et pouvoir-faire), tous des modalités réalisantes (F). Le faire étant semblable à
un pressoir qui, en temps normal presse sur un état de dégradation, le pousse et aboutit à un
autre état (amélioré ou dégradé). A l’issu de l’action, il doit avoir une transformation, un
changement d’état.
Le sujet S1, sujet d’état, lui, est doté des modalités de l’être (vouloir-être, devoir-être,
savoir-être et pouvoir-être) et est un constitué exclusivement de modalités existentielles (E).
Le programme narratif parfait suppose une adéquation entre le faire et l’être dû au fait que le
faire impacte efficacement l’être. La formule serait :
PN=F(vouloir+devoir+savoir+pouvoir)=E(vouloir+devoir+savoir+pouvoir).

II. ANALYSE SEMIO-PRAGMATIQUE DE L’ŒUVRE

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Dans cette partie, nous dégagerons les différents sens (dénotatif et connotatif) de l’œuvre à
travers un premier niveau, l’iconicité qui nous permettra de la mettre en relation avec la
réalité socio-politique de l’Afrique post-coloniale. A l’issu de l’iconicité, nous ferons usage
des données obtenus dans le point précédent pour réaliser le schéma narratif canonique afin de
dégager et comparer le faire et l’être avec la réalité socio-économique des Africains,
indépendants et responsables du développement du continent.
II.1.ICONICITE
Dénotation

L’œuvre commence à Bamako en pleine grève, la seconde après un échec que la vielle
Niakoro, mère d’Ibrahima, craint et se plaint. Elle pense que, comme la dernière fois, en 1938,
sous Vichy (P 58), les sénégalais sont à la base des problèmes, ce sont eux les fauteurs de
troubles alors que « ce seront les soudanais qui se feront tuer!». Elle s’indigne contre les
Ouolofs, mais l’union faisant la force, son fils ne considèrera pas ses remarques claniques.
Tout comme la vielle Niakoro, les jeunes affirment « D’ici à Koulikoro, tout ce qui roule est à
eux. Ils peuvent même disposer de nos vies. » P. 43. Personne n’était sûr de ce qui pouvait se
passer. Bachirou se demandait : « Et si la direction refusait : augmentation de salaires,
retraites des auxiliaires etc, etc. Que ferons-nous ? ». Du fait de la profondeur qu’ils vivaient,
la grève a été accélérée aussitôt.

En quelques temps, les choses se sont accélérées et précisées : « un soldat fut pris par un
groupe d’ouvriers : on l’entendit hurler.» P. 49 après le ton donné par Samba N’doulougou en
criant « vive la grève ! » le 9 octobre 1947.

Les hommes s’engagèrent donc malgré les résistances et les trahisons, les démotivations.
Pourtant, pour Dejean, il n’était pas question de « donner des allocations à ces polygames.
Dès qu’ils ont de l’argent, c’est pour s’acheter d’autres épouses et les enfants pullulent
comme des fourmis. » P. 59.

Dejean, nommé en remplacement du directeur de la ligne Dakar-Niger lorsque « la colonie


comme la France, s’était trouvée divisée en deux camps. Lorsque les hommes de Vichy
prirent les affaires en mains, le directeur général qui n’était pas pétainiste (du général Pétain)
disparut. Dejean le remplaça. » P. 59 pendant la deuxième guerre mondiale. Comme tout
politicien, Dejean se devait de maintenir l’ordre, empêcher les Noirs de continuer la grève.
Pour lui, le jeune Leblanc se trompe car aucun Noir n’est intègre. Elle répliqua : « intègre ?

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Vous me faites rire, mon petit Leblanc ! Vous êtes jeune à la colonie ! On peut tous les
acheter, les nègres, vous m’entendez, tous ! » P. 61.

Pendant que le directeur général réfutait toute proposition atténuante, la grève gagnait du
terrain, les Africains prirent conscience qu’ils étaient très dépendant de la ligne qu’ils ont
décidé de s’en sortir ! Ils arrêtent son fonctionnement, la machine s’éteignit en conséquence.
De Bamako à Dakar en passant par Thiès, tous étaient prêts à se sacrifier jusqu’à ce que
Dejean apprenne à ses dépens que personne ne pourra acheter l’engagement des Africains
unis, prêts à montrer leur intégrité, surtout les femmes, ordinairement passives, se montrèrent
très puissantes à travers leur engagement aux côtés de leurs maris. Alors, hommes, femmes et
enfants, tous étaient solidaires aux revendications.

La fin de l’œuvre est marquée par l’échec des pourparlers entre syndicats et administration
soutenue par les religieux notamment El Adji Mabigué, frère de Ramatoulaye, pièce maîtresse
des femmes grévistes à Dakar. Pour Bakayoko, la thèse selon laquelle les femmes des Noirs
étaient des concubines ne pouvait pas passer car « lorsqu’il s’est agi d’aller se faire tuer à la
guerre » P. 337, personne n’a demandé aux patriotes s’ils étaient des enfants légitimes ou non.
Au meeting, les différents politiciens ont prouvé qu’ils ignoraient que « les cheminots ne
reprendront le travail que lorsque satisfaction leur sera donnée ! ». Malgré l’évidence des
pancartes, très lisibles « nous voulons des allocations familiales », « A travail égal, salaire
égal », « Retraites pour nos vieux jours », « Nous voulons des logements » P. 329. Ce fut ainsi
que, telle l’éclipse solaire, les puissantes troupes des grévistes contraignirent les premiers
responsables à reconnaitre à leur dépens que « dans pas longtemps, il n’y aura plus
d’Européens en Afrique » P. 378. Ce qu’ils ont l’habitude de voir, la corruption ne marchait
plus.

Alors, Isnard, tout défait, de l’évidence de la fin de leur pouvoir, des grâces du Vatican, rêve
toujours « le premier de ces imbéciles qui entrent ici, je le descends ! » P. 378. Il a fallu
qu’Edouard lui fasse comprendre « qu’il est temps de partir ». L’œuvre se termine par la
légende de Goumba, chantée par Maїmouna l’aveugle : «  Mais heureux est celui qui combat
sans haine » P. 379.

Connotation

La lutte n’était donc pas contre l’Europe, mais contre l’exploitation, l’injustice,
l’obscurantisme dont les cheminots étaient victimes. Parmi ceux qui bâillonnaient le peuple,
se trouvaient les politiques et les religieux noirs s’étant ralliés aux occidentaux.

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Sembène Ousmane ayant pris part à cette grève a donc eu une immense satisfaction que des
leaders comme Bakayoko lisent « des livres qui parlent de la vie des hommes des autres
pays » après la grève « Conditions acceptées, Grève terminée. Reprise demain. » P. 364.

Le travail repris donc à partir du 19 mars 1948 après son interruption le 10 octobre 1947.
Contrairement au départ dont les Français craignaient, il a simplement fallu un changement de
traitement vis-à-vis des ouvriers : satisfaction de la plateforme revendicative.

II. 2. Le programme narratif canonique


Soient:
S2, le sujet de faire=Le syndicat d’envergure africaine
S1, sujet d’état=Les Noirs de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-Niger
O, l’objet de la quête= Allocations familiales, égalité de droits, retraites, logements décents
Le programme narratif relatif sera : PN=F(Le syndicat)➯( Les Noirs de l’Afrique
occidentale de la ligne Dakar-Niger)⋃( Allocations familiales, égalité de droits, retraites,
logements décents) → (Les Noirs de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-
Niger)⋂( Allocations familiales, égalité de droits, retraites, logements décents))
Le Faire et l’être :
-le vouloir :
.le vouloir-faire : volonté manifeste du syndicat à conduire les Noirs de l’Afrique occidentale
de la ligne Dakar-Niger vers de meilleures conditions de vies à travers la grève.
.le vouloir-être : acceptation du principe de grève pour de meilleures conditions de vie par les
Noirs de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-Niger
-le devoir :
.le devoir-faire : Les Noirs de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-Niger se lancent dans
la grève malgré les difficultés
.le devoir-être : Les Noirs de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-Niger intègrent la grève
dans leur quotidien et développent des initiatives pour sa réussite durant cinq mois.
-le savoir :
.le savoir-faire : mise en place d’une stratégie de communication efficace à même de tenir
tous les employés informés des bienfaits du respect de leurs droits par les Européens, leurs
patrons.
.le savoir-être : les employés de tous les pays s’approprient la stratégie pour la réussite de la
grève, condition sine qua nun pour le respect de leurs droits.
-le pouvoir :

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.le pouvoir-faire : tous les Bouts de bois de Dieu respectent les mots d’ordre de grève.
.le pouvoir-être : les Noirs de l’Afrique occidentale arrêtent le travail sur toute la ligne
jusqu’à ce que leurs patrons leur accordent ce qu’ils revendiquent.
Le faire et l’être ne sont pas parfaitement similaires:
En cinq mois de grève général, les cheminots ont obtenus une réussite totale. Ils obtinrent le
respect de leurs revendications. Le faire (grève) a été très conséquent que l’être (conditions
précaires des travailleurs de la Ligne) obtint conséquemment une transformation importante.
La jonction entre l’objet de valeur et le sujet d’état est clair : les Africains et les Européens
ont les mêmes droits (Allocations familiales, égalité de droits, retraites, logements décents).
Par conséquent, le programme narratif est parfait.
PN=F(Le syndicat)➯( Les Noirs de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-
Niger)⋃( Allocations familiales, égalité de droits, retraites, logements décents) → (Les Noirs
de l’Afrique occidentale de la ligne Dakar-Niger)⋂( Allocations familiales, égalité de droits,
retraites, logements décents))
Ce programme narratif démontre un continent suffisamment mature, prête à assumer son
propre développement. Aussi, les Européens comme l’a affirmé Edouard dans l’œuvre se sont
rendus compte qu’il y a un temps pour partir. Alors, ce roman paru en 1960 en Afrique
occidentale constitue le prélude des périodes euphoriques des indépendances. Sembène
Ousmane lui-même l’a avoué : « les hommes et les femmes qui, du 10 octobre 1947 au 19
mars 1948, engagèrent cette lutte pour une vie meilleure ne doivent rien à personne ni à
aucune « mission civilisatrice », ni à un notable, ni à un parlementaire…Depuis, l’Afrique
progresse. » (Avant-propos).

II.3.Echec d’une maîtrise (demaîtrise)

Soient:
S2, le sujet de faire = L’œuvre Les bouts de bois de Dieu
S1, sujet d’état = Les lecteurs Africains à travers les établissements
O, l’objet de la quête = revendiquer les droits à tout prix
Le programme narratif relatif sera : PN=F( L’œuvre Les bouts de bois de Dieu)➯( Les
lecteurs Africains à travers les établissements)⋃( Allocations familiales, égalité de droits,
retraites, logements décents) → (Les lecteurs Africains à travers les

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établissements)⋂( Manque d’allocations familiales, d’égalité de droits, de retraites, de
logements décents))
Le Faire et l’être :
-le vouloir :
.le vouloir-faire : volonté manifeste de l’œuvre d’éveiller les consciences des Africains, de
les pousser à revendiquer leurs droits vis-à-vis de leurs employeurs
.le vouloir-être : acceptation du principe de grève pour de meilleures conditions de vie par les
Noirs de l’Afrique occidentale.
-le devoir :
.le devoir-faire : Les Noirs de l’Afrique occidentale actuelle grèvent.
.le devoir-être : Les Noirs de l’Afrique occidentale actuelle intègrent la grève dans leur
quotidien et développent des initiatives pour sa réussite à chaque grève.
-le savoir :
.le savoir-faire : Mise en place de stratégies efficaces de luttes syndicales à travers toute
l’Afrique occidentale actuelle
.le savoir-être : les travailleurs de tous les pays s’approprient les bonnes stratégies pour la
réussite de leurs mouvements, condition sine qua nun de meilleures conditions de vie.
-le pouvoir :
.le pouvoir-faire : les membres des différents syndicats respectent les mots d’ordre et les
stratégies de lutte dans tous les pays.
.le pouvoir-être : les syndicats grèvent à travers l’arrêt de leurs activités dans toute l’Afrique
de l’ouest jusqu’à l’obtention de réponses favorables à leurs plateformes.
Le faire et l’être ne sont pas parfaitement équitables:
Par conséquent, le programme narratif est parfait.

PN=F( L’œuvre Les bouts de bois de Dieu)➯( Les lecteurs Africains à travers les
établissements)⋃( Allocations familiales, égalité de droits, retraites, logements décents) →
(Les lecteurs Africains à travers les établissements)⋂( Manque d’allocations familiales,
d’égalité de droits, de retraites, de logements décents, perpétuel recommencement des grèves,
misère du peuple))

La démaîtrise est ce malaise manifeste au sein d’une population ou d’une personne. Les
causes d’une démaîtrise peuvent être diverses. Pour le cas des Africains, elle se manifeste par
les personnages des œuvres, notamment romanesques généralement confus. Ceux qui

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espéraient avec les indépendances, être libres, jouir des richesses, redresser leur état de dignité
se retrouvent victimes du système mis en place par leur compère.

De fait, une fois passées les célébrations de ce qu’on pensait être le début d’une ère faste,
s’enclenchera le début du chant de cygne pour les petits gens. Tout ce qui avait été annoncé comme
changement par la propagande anti-colonialiste ne sera qu’un miroir aux alouettes  (J PARE, P.49).
Tout ce que les uns et les autres avaient en commun se résumait à la « carte d’identité ». La
démaîtrise est donc cet état de fait, la réalité du Noir après les indépendances, suite logique de
la pression des cheminots, tout comme les responsables de l’AOF sur l’administration
coloniale : « le proce zombification entamé par la colonisation et perpétué encore aujourd’hui
par les pouvoirs néo-coloniaux en place en Afrique » (P 49). Ainsi, la réalité africaine,
marquée par cette démaîtrise, expression des sentiments propres des africains à l’issue de plus
de 60 ans d’indépendance est problématique. En effet, si cela ne dépend pas d’une fatalité, il
est urgent de trouver une solution pour stopper ce malaise perpétuel. Ce qui nous pousse à
souligner cette urgence est fonction de l’état actuel du continent, dont les ailes sont de plus en
plus recouvertes du plein de l’insécurité et des mouvements sociaux incessants car la plupart
des dirigeants post-coloniaux immédiats ne sont plus là. Pourquoi les mêmes réalités
demeurent ?

Nous estimons que de la même manière que de jeunes africains s’identifient aux grévistes
dans les bouts de bois de Dieu, d’autres s’identifient aux tyrans présentés dans les œuvres
comme le personnage du récit du cirque de la vallée des morts de Mohammed-Allioum
Fantouré qui « a dû fuir son pays à cause de la dictature féroce de feu Sékou TOURE, premier
président de la Guinée indépendante » (Rhinocéros-tacheté, P 89). Alors, il est évident que
tant que des mesures conciliatrices ne seront trouvées, les grèves auront lieu, elles seront
souvent couronnées de réussite, mais, à l’instar de ce qui se passe au Burkina Faso post-
insurrectionnel, des mesures seront prises par ceux-là qui ont été choisis par le peuple allant à
l’encontre des soi-disant intérêts de la masse populaire. Les Africains resteront « des peuples
qui tournent sur eux-mêmes cherchant vainement une issue ».

Parlant des mesures alternatives, plus d’un proposent le retrait des puissances occidentales
dont le début est marqué par le processus de création d’une monnaie, défaite des traces
françaises. Par contre, malgré les mouvements contre les armées étrangères (MINUSMA,
Barkhane), leur maintien s’avère non négociable en témoigne le rappel de l’Ambassadeur
malien en France. Pour avoir fustigé les soldats français lors d’une rencontre le 13 janvier à
Paris.

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CONCLUSION
L’objet de cette analyse était d’effectuer une démarche sémio-pragmatique pour mettre en
évidence le rapport entre l’œuvre et la réalité de l’Afrique post-coloniales en situation de
démaitrise totale. En effet, à travers l’iconicité, il ressort que la grève décrite dans l’œuvre, la
ligne Dakar-Niger, les pays, les noms de familles, l’histoire de la France sont réels. Il est donc
possible de conclure que la grève des cheminots a existée et la première réussite de lutte
syndicale en Afrique. Elle est par conséquent le mouvement ayant inauguré les nombreuses
revendications syndicales actuelles. La grève a contribué à l’éveil des consciences, à
l’amélioration des conditions de vie des Africains. C’est dans ce sens que Sembène Ousmane
a affirmé que l’Afrique progressait car, pour lui, après la victoire de la grève, rien ne pouvait
encore étouffer la liberté des noirs. Effectivement, ils ont acquis la libération par la
proclamation de l’indépendance de tous les Etats africains. La gestion du pays, leurs
ressources naturelles, culturelles, humaines, économiques leurs a été immédiatement confiée.

Aussi, de grandes organisations africaines, capables de fédérer leurs forces ont été créées dont
les principales sont la CEDEAO, l’UEMOA pour les Etats de l’Afrique de l’Ouest et
récemment l’UA. Tout a semblé beau dès le début jusqu’au moment où le prince, à l’image de
Fama Doumbouya, personnage inspiré d’un des princes d’une puissante famille du Macina se
retrouve sans aucun pouvoir ni considération. Le pouvoir a non seulement changé de main,
mais a surtout écarté le peuple des richesses au profit d’une élite intellectuelle.

Le schéma narratif met en évidence un faire qui a complètement réussi. La jonction entre le
sujet de faire et l’objet de valeur est sans équivoque : la grève s’est soldée par la victoire des
cheminots au points d’impacter les syndicats actuels à l’image de l’UAS au Burkina Faso
dont les revendications connaissent des succès même-si le respect des engagements par l’Etat
demeure un problème. Ce qui conduit à un perpétuel recommencement de luttes syndicales.
De la même manière que les œuvres qui traitent de justices sociales impactent et
métamorphosent des récepteurs, ce qu’elles dénoncent plaisent à d’autres qui se plaisent dans
la dictature ou qui craigne le sort du roi Christophe qui, à l’issue de grands combats pour
l’indépendance du peuple noir d’Haiti s’est retrouvé mal aimé, victime de ce dernier. Il est
donc nécessaire que les différents Etats et les syndicats revoient leurs modes de
fonctionnement car, il ne s’agit pas d’une fatalité : celui qui grève doit apprendre à soutenir
voir remplacer celui qui gouverne quitte à mieux comprendre.

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Bibliographie

Algirdas Julien GREIMAS et Joseph COURTÉS, 2001, Sémiotique : dictionnaire raisonnée


de la théorie du langage, Paris, Hachette, 456 p.

Algirdas Julien GREIMAS, 1986, Sémantique structurale, Paris, PUF, 262 p.


Jacques FONTANILLE, « La sémiotique face aux grands défis sociétaux du
XXI e siècle », Actes Sémiotiques [En ligne], 118, 2015, consulté le 29/06/2019, URL :
https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/5320.

Henri LOPES, 1998, Tribaliques, Yaoundé, CLE, 102 p.

Joseph PARE, 1997, «Ecritures et discours dans le roman africain post-coloniale»,


Ouagadougou, Kraal, 218p.

Jean-Marie FLOCH, 2003, Sémiotique, Marketing et Communication, Paris, PUF, 4ème


édition, 233 p.

Joseph COURTÉS, 1991, Analyse sémiotique du discours. De l'énoncé à l'énonciation, Paris,


Hachette, 302 p.

Louis HEBERT, 2007, Dispositifs pour l'analyse des textes et des images, Limoges, Presses
de l'Université de Limoges, 282 p.

Louis HEBERT, 2006, «Le schéma narratif canonique », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en
ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/greimas/schema-narratif-
canonique.asp.

Ousmane SEMBENE, 1960, « Les bouts de bois de Dieu », Paris, Pocket, 371p.

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