Atlas N3

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 52

Atlas nº3

2020
45º56533.0"N 5º924243"E
45º67669.2"N 6º391248"E
45º68941.6"N 5º912636"E
45º68901.1"N 5º916175"E
45º68894.8"N 5º913260"E
45º64761.3"N 5º860718"E
45º69078.4"N 5º911812"E
45º70947.1"N 5º891624"E

La Brèche
Les Précieuses ridicules, Molière
cf. définition diatonique, page 47
Îles, Îles... Îles !

Livre de Voyage
Périple

Du passé, nous gardons les idées. Ainsi, bien avant d’être synonyme
de voyage, le périple est un document. Ni plus ni moins en fait
qu’une liste très sommaire de ports, d’embouchures, de dangers
que les navigateurs consignent, modestement, pour atténuer
le risque que leur fait prendre le trajet. Oui, la mer est toujours
en elle-même un danger. Le périple est un objet, un livre donc,
presque l’équivalent du Routard pour les jolis marins.
Mais ce n’est pas le voyage.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation paradoxale


d’avoir écrit le livre du voyage sans pouvoir l’entreprendre.
Mais cela résonne aussi avec ce que nous vivons. Ne sommes-nous
pas maintenant nous aussi des îles ? Dans cet état, ce n’est pas
d’art purement dont nous avons besoin mais de liens. Nous sommes
des îles qui veulent être visitées. Et nous devons nous passer
pour un temps des musiques, des œuvres, des lieux que nous
devions fréquenter. Nous le pouvons et nous le devons aussi à celles
et ceux qui sont sur le pont.

Aujourd’hui démarre non pas le voyage mais le récit du périple.


Ce livre, nous vous le transmettrons jour après jour comme un journal
de bord. Il est à vous, pour vous, à défaut d’un vrai départ.Il met
en partage les idées que nous avions en tête pour cette année.
Il est aussi pensé pour celles et ceux qui n’ont pas momentanément
le loisir d’en feuilleter les pages ; il restera accessible indéfiniment
pour qu’enfin ils puissent un jour aussi les lire.L’an prochain, il y aura
un nouveau festival, bien loin des îles. Une autre forme, un autre
programme, de la vie dans les allées, et nous pourrons à nouveau
danser.

Oui, surprise : danser !


Un point et puis c’est tout…

5
No Man is an Island
MEDITATION XVII
Devotions upon Emergent Occasions, 1624
John Donne 1572 - 1631

No Man is an Island
1
No man is an island entire of itself; every man
is a piece of the continent, a part of the main;
if a clod be washed away by the sea, Europe
is the less, as well as if a promontory were, as
well as any manner of thy friends or of thine
own were; any man’s death diminishes me,
because I am involved in mankind.
And therefore never send to know for whom
the bell tolls; it tolls for thee.

Aucun homme n’est une île

Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme
est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ;
si la mer emporte une motte de terre, l’Europe
en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire,
le manoir de tes amis ou le tien ;
la mort de tout homme me diminue,
parce que j’appartiens au genre humain ;
aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne
le glas : c’est pour toi qu’il sonne.

6
2

1. Rome, Jonas et la baleine, fond de verre doré.


Paris, musée du Louvre.
2. C. Bulard, Pleine lune, in L’Illustration,
11 avril 1857.
3. W. Chauvenet, Carte de visibilité de l'éclipse
de 1860, in Manual of Spherical and Practical 5
Astronomy, 1864.
4. Hergé, Les Aventures de Tintin.
Le Temple du Soleil, éd. Casterman, 1949.
5. Jules Férat et Alfred Quesnay de Beaurepaire,
illustration in Le Pays des fourrures
de Jules Verne, 1873.

7
Chercher la perle

Au festival, en 2018, la mezzo soprano Adèle Charvet et la pianiste


Susan Manoff abordaient en public le répertoire qui serait celui de
leur disque Long Time Ago. Ce dernier est paru à l’automne dernier
chez Alpha. Puisant la conception du programme de ce CD
à des sources intimes et dans leurs origines américaines communes,
elles construisent un parcours, un voyage qui résonne intuitivement
et véritablement comme une part d’elles-mêmes.

L’itinéraire n’est pas chronologique mais orienté comme une rose


des vents, ici dessinée par Susan Manoff, empruntée au hasard
des sensations, des souvenirs, des vibrations intérieures et musicales :
de la passion à l’humour, de la poésie au jeu.

Aller chercher dans les archives, faire parler les voix de


La Brèche festival, en éditant l’extrait du song « Waitin »
du compositeur américain G. Bolcom qu’elles interprétaient alors.
Une petite perle live suspendue dans le temps.

01— lien pour �> Long Time Ago


8
Une rose des vents par Susan Manoff

02 � lien pour �> Waitin


en live (La Brèche festival 2018)
9
Waitin'
in Four Cabaret Songs,
G. Bolcom / A. Weinstein

Waitin' /

Waitin' waitin'
I’ve been waitin'
Waitin' waitin' all my life.

That light keeps on hiding from me,

But it someday just might bless my sight.

Waitin' waitin' waitin'

10
5

5. Sous le dôme du Panthéon, Rome.


6. Giulio Romano, Plafond de la salle des géants,
1525-1535. Mantoue, Palais du Te.
7. Michel-Eugène Chevreul, Cercle chromatique, 1855
8. Quentin Metsys, Le Peseur d’or et sa femme (détail),
1514. Paris, musée du Louvre

03 � lien pour �>


QUINTETTE 2 DVORAK
11
3 textes — 1 image

Alexandre descendu dans la mer en un tonneau. Enluminure française,


in Le Roman d’Alexandre, Rouen, avant 1445. Londres, British Library

04 — lien pour �> Baudelaire


05 — lien pour �> Deleuze
12
1 Le Voyage in Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1857

Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires


Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !


Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.

Dites, qu’avez-vous vu ?

2 Causes et raisons des îles désertes in L'île déserte,


Deleuze, Éditions de minuit, 1953-1974

Les géographes disent qu'il y a deux sortes d'îles.


C'est un renseignement précieux pour l'imagination parce qu'elle
y trouve une confirmation de ce qu'elle savait d'autre part. Ce n’est
pas le seul cas où la science rend la mythologie plus matérielle,
et la mythologie, la science plus animée. Les îles continentales sont
des îles accidentelles, des îles dérivées : elles sont séparées d'un
continent, nées d'une désarticulation, d'une érosion, d'une fracture,
elles survivent à l'engloutissement de ce qui les retenait. Les îles
océaniques sont des îles originaires, essentielles : tantôt elles sont
constituées de coraux, elles nous présentent un véritable organisme
— tantôt elles surgissent d’éruptions sous-marines, elles apportent
à l'air libre un mouvement des bas-fonds ; quelques-unes émergent
lentement, quelques-unes aussi disparaissent et reviennent,
on n'a pas le temps de les annexer. Ces deux sortes d'îles, originaires
ou continentales, témoignent d'une opposition profonde entre l'océan
et la terre. Les unes nous rappellent que la mer est sur la terre,

13
profitant du moindre affaissement des structures les plus hautes ;
les autres, que la terre est encore là, sous la mer, et rassemble ses
forces pour crever la surface. Reconnaissons que les éléments se
détestent en général, ils ont horreur les uns des autres. Dans tout ceci
rien de rassurant. Aussi bien, qu’une île soit déserte doit nous paraître
philosophiquement normal. L'homme ne peut bien vivre, et en sécurité,
qu'en supposant fini (du moins dominé) le combat vivant de la terre
et de l'eau. Ces deux éléments, il veut les appeler père et mère en
distribuant les sexes au gré de sa rêverie. Il doit à moitié se persuader
qu'il n'existe pas de combat de ce genre, faire en sorte à moitié, qu'il
n'yen ait plus. L'existence des îles est d'une façon ou d'une autre la
négation d'un tel point de vue, d'un tel effort et d'une telle conviction.
On s'étonnera toujours que l'Angleterre soit peuplée, l'homme
ne peut vivre sur une île qu'en oubliant ce qu'elle représente.
Les îles sont d'avant l'homme, ou pour après.

3 L'Île des esclaves, Marivaux, 1725

Scène I.  La scène est dans l'île des esclaves. Le théâtre représente
une mer et des rochers d'un côté, et de l'autre quelques
arbres et des maisons. Iphicrate s'avance tristement
sur le théâtre avec Arlequin.

Iphicrate après avoir soupiré. — Arlequin ?


Arlequin — Mon patron !
avec une bouteille de vin qu'il a à sa ceinture.
Iphicrate — Que deviendrons-nous dans cette île ?
Arlequin — Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts
de faim ; voilà mon sentiment et notre histoire.
Iphicrate — Nous sommes seuls échappés du naufrage ;
tous nos amis ont péri, et j'envie maintenant leur sort.
Arlequin — Hélas ! ils sont noyés dans la mer,
et nous avons la même commodité.

06 � lien pour �> Marivaux


14
Iphicrate — Dis-moi ; quand notre vaisseau s'est brisé contre
le rocher, quelques-uns des nôtres ont eu le temps
de se jeter dans la chaloupe; il est vrai que les vagues
l'ont enveloppée : je ne sais ce qu'elle est devenue; mais
peut-être auront-ils eu le bonheur d'aborder en quelque
endroit de l'île et je suis d'avis que nous les cherchions.
Arlequin — Cherchons, il n'y a pas de mal à cela ; mais reposons-nous
auparavant pour boire un petit coup d'eau-de-vie.
J'ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ; j'en boirai les deux
tiers comme de raison, et puis je vous donnerai le reste.
Iphicrate — Eh ! ne perdons point notre temps; suis-moi :
ne négligeons rien pour nous tirer d'ici. Si je ne me sauve,
je suis perdu ; je ne reverrai jamais Athènes, car nous
sommes seuls dans l'île des Esclaves.
Arlequin — Oh ! oh ! qu'est-ce que c'est que cette race-là ?
Iphicrate — Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre
leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s'établir
dans une île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans
doute quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume,
mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres
qu'ils rencontrent, ou de les jeter dans l'esclavage.
Arlequin — Eh ! chaque pays a sa coutume; ils tuent les maîtres,
à la bonne heure ; je l'ai entendu dire aussi ;
mais on dit qu'ils ne font rien aux esclaves comme moi.
Iphicrate — Cela est vrai.
Arlequin — Eh ! encore vit-on.
Iphicrate — Mais je suis en danger de perdre la liberté et peut-être
la vie : Arlequin, cela ne suffit-il pas pour me plaindre ?
Arlequin prenant sa bouteille pour boire. — Ah ! je vous plains de tout
mon cœur, cela est juste.
Iphicrate — Suis-moi donc ?
Arlequin siffle. — Hu ! hu ! hu !
Iphicrate — Comment donc ! que veux-tu dire ?
Arlequin distrait, chante. — Tala ta lara.
Iphicrate — Parle donc ; as-tu perdu l'esprit ? à quoi penses-tu ?

15
Arlequin riant. — Ah ! ah ! ah ! Monsieur Iphicrate, la drôle d'aventure !
je vous plains, par ma foi ; mais je ne saurais m'empêcher
d'en rire.
Iphicrate à part les premiers mots. — Le coquin abuse de ma situation :
j'ai mal fait de lui dire où nous sommes. Arlequin,
ta gaieté ne vient pas à propos; marchons de ce côté.
Arlequin — J'ai les jambes si engourdies ! ...
Iphicrate — Avançons, je t'en prie.
Arlequin — Je t'en prie, je t'en prie ; comme vous êtes civil et poli ;
c'est l'air du pays qui fait cela.
Iphicrate — Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue
sur la côte pour chercher notre chaloupe, que nous
trouverons peut-être avec une partie de nos gens ;
et, en ce cas-là, nous nous rembarquerons avec eux.
Arlequin en badinant. — Badin, comme vous tournez cela ! (Il chante.)
Iphicrate retenant sa colère. — Mais je ne te comprends point,
mon cher Arlequin.
Arlequin — Mon cher patron, vos compliments me charment;
vous avez coutume de m'en faire à coups de gourdin
qui ne valent pas ceux-là; et le gourdin est
dans la chaloupe.
Iphicrate — Eh ne sais-tu pas que je t'aime ?
Arlequin — Oui ; mais les marques de votre amitié tombent toujours
sur mes épaules, et cela est mal placé. Ainsi, tenez,
pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse !
s'ils sont morts, en voilà pour longtemps; s'ils sont en vie,
cela se passera, et je m'en goberge.
Iphicrate un peu ému. — Mais j'ai besoin d'eux, moi.
Arlequin indifféremment. — Oh ! cela se peut bien, chacun à ses affaires :
que je ne vous dérange pas !
Iphicrate — Esclave insolent !
Arlequin riant. — Ah ! ah ! vous parlez la langue d'Athènes ;
mauvais jargon que je n'entends plus.
Iphicrate — Méconnais-tu ton maître, et n'es-tu plus mon esclave ?
Arlequin se reculant d'un air sérieux. — Je l'ai été, je le confesse à ta honte,

16
mais va, je te le pardonne ; les hommes ne valent rien.
Dans le pays d'Athènes, j'étais ton esclave; tu me traitais
comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste,
parce que tu étais le plus fort. Eh bien ! Iphicrate,
tu vas trouver ici plus fort que toi; on va te faire esclave
à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste,
et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là ;
tu m'en diras ton sentiment, je t'attends là. Quand tu auras
souffert, tu seras plus raisonnable ; tu sauras mieux
ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres.
Tout en irait mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent
recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon ami ;
je vais trouver mes camarades et tes maîtres.
Il s'éloigne.
Iphicrate au désespoir, courant après lui, l'épée à la main.
— Juste ciel !
peut-on être plus malheureux et plus outragé
que je le suis ? Misérable ! tu ne mérites pas de vivre.
Arlequin — Doucement; tes forces sont bien diminuées,
car je ne t'obéis plus, prends-y garde.

17
9

18
10 11

9. Ernst Haeckel, Arbre phylogénétique,


in Generelle Morphologie der Organismen. 
Berlin, 1866.
10. Philip Henry Gosse, Actinologia Britannica,
A History of the British sea-anemones and corals.
Londres, 1860.
11. Charles Darwin,
12
Arbre phylogénétique, c. juin
1837, in Notebook on
Transmutation of Species.
Cambridge University Library,
Darwin Archive.
12. Henri Mondor, illustrations
pour L'Homme et la Coquille
de Paul Valéry. Paris,
Gallimard, 1937.
13. Wenzel Jamnitzer, Daphné,
Nuremberg, 1570-1575.
Ecouen, musée
de la Renaissance. 13

19
17

14

15

18
16
19
Paul Valéry, Degas Danse Dessin, Paris, éditions Vollard, 1936.

20

14. Région du Pont, Aphrodite Anadyomène dans une coquille, fin du Ier siècle avant J.-C.. Paris,
musée du Louvre. 15. Piero della Francesca, Conversation sacrée, 1472. Milan, Pinacoteca
de Brera. 16. Pathé Frères, Les Méduses, 1912. Paris, CNC. 17. Henri Mondor,
illustrations pour L'Homme et la Coquille de Paul Valéry. Paris, Gallimard, 1937.
18. Rostre de narval 19. Attribué à Giovanni Battista Metellino, Coupe en cristal de roche
en forme de coquille, c. 1685. Paris, musée du Louvre. 20. Dora Maar, Sans titre
(Main-coquille), 1934. Paris, musée national d’art moderne.
21. Fragment d'un Christ, ceint d'un périzonium noué, 
XVIe siècle. Coll. part. 22. Étienne-Jules Marey, « La Locomotion dans l’eau étudiée
par la photochronographie », in La Nature, 15 novembre 1890, n˚911.
23. Léopold et Rudolf Blaschka, Physalia arethusa, XIXe siècle. Cardiff,
National Museum of Wales. 24. Victoire détachant sa sandale, relief du temple
d’Athéna Nikè, c. 420-410 avant J.-C. Athènes, musée de l’Acropole.

21

23

22

Paul Valéry, Degas Danse Dessin, Paris, éditions Vollard, 1936.

22
Carmen
Carmen est dans toutes les têtes. Oeuvre emblématique de l’opéra
français, véritable machine à tubes mais aussi manifestation du génie
orchestral de son compositeur, Carmen est un temple où le plaisir
est immédiat. Qui est Carmen ? Qui aime Carmen ? Il n’y a pas de
réponse et il ne faut pas en chercher. Carmen est dans toutes les têtes.
Elle est comme prisonnière du regard que portent sur elle les autres :
femme, tentatrice, amoureuse, étrangère, gitane...
De là viendra après la joie, les doutes et les
rires, la tragédie. Mais ce n’est pas le récit
d’un événement tragique qui est passé,
c’est une invitation à transformer l’avenir
et à faire que la tragédie n’advienne plus.
Voilà, aujourd’hui, l’ambition de Carmen :
les femmes se libèrent peut-être des repré-
sentations, et les amours des conventions.
Pour Carmen, coquillage dansant
et jamais figé il faudrait imaginer
qu’une île puisse se déplacer.

Le festival présentait cette année


une nouvelle variation scénique
des possibles Carmen avec
Adèle Charvet, Marie Soubestre 24
et Jérôme Billy. Cette production aura lieu et n’est que
seulement reportée.
�> DONC �>
En attendant, Laurent Ripoll, en partenariat avec Miroirs
Étendus, propose sa variation filmique très intime tournée
à l’automne 2019 avec les chanteuses Marianne Croux et
Eva Zaïcik, toutes deux passées par La Brèche en 2017.
Un hommage vintage aux salles obscures.
�> ET �>
Chanter chez soi. Pousser les meubles, mettre le son,
chanter à tout-va. Carmen, un petit karaoké ?

23
Le soldat Don José a déserté l’armée pour rejoindre Carmen dont il est tombé follement amoureux.
Sa fiancée Michaëla part le chercher dans un cinéma minable, où elle le sait aux bras de Carmen.

Laurent Ripoll, Rien ne m'épouvante, Les Films de La Chapelle/Miroirs Étendus, 2019

07 — lien pour �> carmen - Rien ne


m'épouvante court-métrage]
24
L'AMOUR EST UN OISEAU REBELLE
CARMEN
L'AMOUR EST UN OISEAU REBELLE
Georges Bizet
CARMEN — Georges Bizet
p
& b 42 ∑ ∑ ∑ .. Œ œ #œ
Allegretto, quasi Andantino Carmen

L'a - mour
L'oi - seau

& b nœ œ œ nœ bœ œ. œ #œ nœ j ‰ œ #œ
5

œœœœ œ œ œ
3

œ
3
est un oi - seau re - belle Que nul ne peut ap - pri - voi - ser Et c'est
que tu cro - yais sur - prendre Bat - tit de l'aile et s'en - vo - la L'a - mour

j r œ #œ
& b nœ œ œ nœ bœ œ ≈ œ œ
9

œ œœœœ œ œ œ
3

œ
3
bien en vain qu'on l'ap - pelle S'il lui con - vient de re - fu - ser. Rien n'y
est loin, tu peux l'at - tendre Tu ne l'at - tends plus, il est là Tout au -

j r œ #œ
& b nœ œ œ nœ bœ œ ≈ œ #œ j
œ ‰
13

nœ œœœœ œ œ œ
3

3
fait, me - nace ou pri - ère L'un par - le bien, l'au - tre se tait Et c'est
tour de toi, vi - te, vite Il vient, s'en va, puis il re - vient Tu crois

j r
& b nœ œ œ nœ bœ œ ≈ œ œ n## ‰
17

œ œœœœ œ œ œ
3

œ.
3
l'au - tre que je pré - fère Il n'a rien dit, mais il me plaît.
le te - nir, il t'é - vite Tu crois l'é - vi - ter, il te tient.

## œ
Œ œ. ‰ Œ œ. ‰ Œ
21

&
espress.

œ œ
L'a - mour, l'a - mour, l'a -

p
## œ .
‰ Œ œ œ ≈ œr œ œ œ
26

& J œ œ œ. œ. œ œ œ
mour, l'a - mour. L'a - mour est en - fant de bo - hème Il n'a ja -

# j r j
& # œ œ œ œ œ œ œ ≈ œR œ œ œ . œ œ œ œ . œ œ ≈ œ œ œ œ œ œ œ
31

mais, ja - mais, con - nu de loi Si tu ne m'ai - mes pas, je t'ai - me Et si je t'ai - me, prends garde à

f p
#
08 r
œ Jœ ≈ �>
& # œ�≈ lien
œ œ pour œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ
36

. œ œ œ
carmen - Habanera [karaoké]
toi. Prends garde à toi ! Si tu ne m'ai - mes pas, si tu ne m'ai - mes pas, je

25
f p
## œ œ œ ≈ r
œ ≈ œ J œ œ œ œ œ œ œ œ œ
36

& œ. œ œ œ
toi. Prends garde à toi ! Si tu ne m'ai - mes pas, si tu ne m'ai - mes pas, je

p cresc.
2

## j j ≈ fœ œ œ œ U
J ≈ œ œ. œ œ œ ≈ œ œ œ œ œ œ œœœ œ
40

& œ
œ R R
t'aime Prends garde à toi ! Mais si je t'ai - me, si je t'ai - me, prends garde à

# Fr
& # œj ≈ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ
45

œ œ. œ. œ œ œ
toi ! L'a - mour est en - fant de bo - hème Il n'a ja - mais, ja - mais, con - nu de

# j r j
& # œ ≈ Rœ œ œ œ. œ œ œ œ œ ≈œ œ œ œ œ œ œ
49

œ.
loi Si tu ne m'ai - mes pas, je t'ai - me Et si je t'ai - me, prends garde à

# j f r œ œ œ pr
& # œ ≈ œ J ≈œ œ œ œ œ œ œ œ œ
53

œ. œ œ œ
toi. Prends garde à toi ! Si tu ne m'ai - mes pas, si tu ne m'ai - mes pas, je

## U
œ.
‰ ‰. œ . œ œ #œ œœœ
œ œ œ≈œ œ
j
œ. œ J
57 cresc.

& œ
R œ 3
t'aime Mais si je t'ai - me, si je t'ai - me, prends garde à

# # ˙1. œ ‰ .. œ .
Œ ∑ ∑ ‰
61 2.

& J
toi !
f toi !
25. Affichage libre, Paris, 2019

26
Carmen en mots-clefs

Exotisme

Avec Carmen, Bizet continue dans la veine


Compositeur exotique qu’il a déjà exploitée dans son opéra
précédent, Dajmileh (1872). Mais il n’est pas
Musicien surdoué, surtout connu pour ses le seul : la plupart des artistes français vouent
œuvres orchestrales et ses opéras, Georges un véritable culte à l’exotisme, et rien de tel
Bizet est un compositeur français de la période que le peuple tzigane pour évoquer un ailleurs
romantique. Né en 1838 à Paris, il meurt pré- fait de sensualité et d’errance. Lors de la créa-
maturément pendant une représentation de son tion de Carmen à l’Opéra-Comique, ce qui est
opéra Carmen le 3 mars 1875 pensant que sa reproché à Bizet c’est en fait moins le caractère
dernière œuvre est un échec. espagnol de son opéra que son supposé côté
allemand : on l’accuse d’être « wagnérien ».
C’est aussi une façon de reprocher à Bizet
Opéra-comique d’avoir fait un opéra trop alambiqué et irréaliste
— reproche qu’on avait déjà adressé au Cid de
L’opéra Carmen est créé dans la salle Corneille, tiré lui aussi d’un sujet espagnol…
de l’Opéra-Comique à Paris en 1875.
Cette appellation ne désigne pas qu’un théâtre ;
c’est aussi un genre d’opéra où les scènes Destin
chantées alternent avec des dialogues parlés.
L’histoire n’est ni forcément comique Trop subversif à sa création pour le public
ni conclue par un dénouement heureux. familial et bourgeois de l’Opéra-Comique,
Carmen est d’abord un échec. Bizet dont
l’ambition était immense pour cette œuvre a dû
Fable affronter des musiciens jugeant la partition trop
difficile à exécuter, des chanteurs refusant de
L’histoire est une adaptation de la nouvelle bouger sur la scène, une interprète de Carmen
de Prosper Mérimée du même nom, parue l’obligeant à réécrire 13 fois l’air d’entrée
en 1847. À Séville en Espagne, Carmen, en scène du personnage (Habanera). Epuisé
une jeune bohémienne marginale et rebelle, et malade, il meurt sans connaître le destin
est mêlée à une bagarre dans la manufacture qui sera celui de son opéra, aujourd’hui l’œuvre
de tabac où elle travaille. Elle se fait arrêter. lyrique la plus jouée dans le monde. Nietschze
Le brigadier Don José, chargé de la mener à la fin de sa vie se détourne de Wagner
en prison, tombe sous son charme et la laisse dont il juge les idées politiques trop arrêtées
s’échapper. Aveuglé par son désir, il va déserter et écrit à propos de Carmen : « Cette musique
et rejoindre les contrebandiers. Mais Carmen, me paraît parfaite. Elle approche avec légèreté,
déçue finalement par son manque de courage, avec souplesse, avec politesse. (...) Elle est
se laisser séduire par un célèbre torero. cruelle, raffinée, fataliste ; elle demeure quand
Don José, fou de désespoir et dévoré par la même populaire.». Il ajoute : « Bizet me rend
jalousie, la frappe à mort avec un poignard. fécond. Le Beau me rend toujours fécond ».

27
26. Anne Vallayer-Coster, Panaches de mer,
28 lithophytes et coquilles, 1769.
Paris, musée du Louvre.

28
Nourri, grenu, ambré, profond

Julia Macarez

À sept ans, j’avais une petite idée de ce que pouvait être un violon,
un violoncelle. Pas un alto. L’instrument me posait question.
Il était une forme d’altérité, un espace à découvrir.
L’alto résonnait avec rareté. Et ça, ça m’a d’emblée accrochée.

Avec le recul, je crois que j’ai d’abord été charmée en le regardant.


Il était d’une beauté pleine, vivante, comme un corps avec ses
courbes, ses lignes droites, ses virages et rondeurs, ses finesses.
Il arrêtait mon regard. J’aimais observer ce territoire vaste, imposant,
charismatique qui devait venir se loger au creux d’un cou, dans la
délicatesse d’un pli, d’un angle du corps particulièrement vulnérable.
La plus grande élégance renfermant la plus subtile des sensibilités.
Alors je l’ai choisi. Précisément le premier jour où j’ai vu quelqu’un
en jouer. Les gestes étaient amples, la longueur des bras
semblait infinie, le corps entier se mouvait, dansait et je sentais
dans mon ventre le même tourbillon que j’ai toujours lorsque surgit
une émotion heureuse ou une situation espérée depuis longtemps.
Je l’ai choisi, parce qu’après avoir senti son empreinte sur mon corps,
j’ai découvert quel son était le sien. Nourri, grenu, ambré, profond.
Dive into the string, dirait Lilli Maijala. Plonger, se fondre
dans la corde, passer à travers, pour en extraire le grain le plus
enfoui, la couleur la plus singulière propre à cet être vibrant.
Je l’ai donc aimé tout de suite et sans détour. Pour sa matière
brute et pour sa douceur. Pour le dessin de son chant.
Et pour le mystère qu’il m’inspire toujours un peu.

08 � lien pour �> écouter l’alto


 — Vaughan [quintette]
29
L’alto, une ombre grossissante du violon ?

Le violon-roi, du haut de sa pyramide, aurait-il décliné et amplifié son


modèle pour donner naissance à l’alto — puis au violoncelle et enfin
à la contrebasse ? Peut-être pas. Voyageons quelques siècles en
arrière vers l’épicentre de la lutherie : l’Italie. À l’aube du XVIe siècle,
en Italie du Nord, les mains des luthiers ont donné naissance à ce
que nous appelons aujour-d’hui « la famille des violons ». Mais comme
dans toutes les familles, il y a des silences, des clivages, des préférés
et des oubliés. Des instruments à cordes frottées, il en existait déjà :
les violes. Elles aussi composent une famille
avec ses divisions : qui veut jouer sur le bras,
les « viola da braccio », qui entre les jambes,
les « violes de gambe ». Des divisions naissent
de nouvelles alliances et la langue devient
une marieuse.

La viola da braccio, transfuge, change de


famille et se met également à désigner le
nouvel alto — que l’on appelle aujourd’hui
encore viola en italien et anglais et Bratsche en
27. Man Ray, Violon d’Ingres,
1924. Paris, Musée national allemand, comme un clin d’œil à la généalogie
d’art moderne. italienne.
Cette viola se décline elle aussi
en deux modèles : un plus grave,
le tenore viola — tombé dans l’oubli
au XVIIe siècle — et l’alto que nous
connaissons aujourd’hui, l’alto viola.
Le violon, était quant à lui
appelé violino, soit petite viole 28. Pieter Claesz, Nature morte aux instruments
et le violoncelle en était de musique, 1623. Paris, musée du Louvre.

donc sa grande déclinaison. Ainsi, la langue rend visible ce renver-


sement : l’alto, loin d’être qu’une pâle et grosse copie du violon est,
dans l’ombre des mots, la matrice du quatuor.

30
Notes pour l'Atlas nº3 ‖ Fiona Monbet ‖ violoniste ‖ avril 2020

31
Quand on met le pied sur une île

29. Orgues basaltiques.

Dès qu’on pose le pied quelque part, on veut tout comprendre,


tout posséder, tout appréhender. Pourtant, on sait bien que le mystère
du monde est irrésolu et même infiniment tordu. Il y aura toujours
des choses à savoir, des îles vierges à découvrir — on ne peut
pas tout annexer. Mais qui ose se pencher sur la Nature, autrefois
représentée par la déesse Isis ou Artémis, est formidablement
récompensé. Pourvue d’une multitude de seins maternels, elle
nourrit au goulot qui donc s’approche. Formidablement récompensé ?
Ou bien perdu. Qui éprouverait de la joie à tout connaître ?
Et qui n’aime pas au fond de lui-même cette part étroite de la vérité
qu’on appelle le mystère ?

09 � lien pour -> Nuée


— Othman Louati [improvisation]
33
30

31

30. Karl Blossfeldt, Allium Ostrowskianum,


1928. Munich, Pinakothek der Moderne.
31. 32. Gaëtan Gatian de Clérambault,
Femme voilée, 1918-1919. Paris,
musée du Quai Branly.
32

34
L’Image voilée de Saïs

Friedrich Schiller

Un jeune homme que la soif de la science entraînait à Saïs


en Égypte, pour apprendre la sagesse secrète des prêtres, avait
parcouru rapidement plusieurs degrés du savoir ; son esprit inquiet
le poussait toujours plus loin et l’hiérophante pouvait à peine
modérer l’ardeur de l’impatient disciple.

— Qu’ai-je donc, s’écriait-il, si je n’ai pas tout ? la science souffre-t-elle


le plus et le moins ? ta vérité est-elle comme la fortune qui se distribue
en parts inégales, et que l’on possède en grandes ou petites parcelles ?
Ta vérité n’est-elle pas une et indivisible ? Prends un accord
dans une harmonie ! rends une couleur dans l’arc-en-ciel ! ce qui
te reste n’est rien tant que tu ne réunis pas l’ensemble des sons
et l’ensemble des nuances.
Ils s’entretenaient ainsi dans une enceinte silencieuse
et solitaire, où une image voilée et gigantesque frappa les regards
du jeune homme ; il la contemple stupéfait et s’écrie :
— Qu’y a-t-il donc derrière ce voile ? — La vérité. — Quoi ! dit-il,
c’est la vérité seule que je cherche et c’est elle que l’on me cache.
— Soulève ce voile avec l’aide de la divinité, répond le hiérophante

La nature aime à se cacher


— phusis kruptesthai philei
Fragment 123, Héraclite.

35
(...) Celui qui d’une main profane et coupable osera arracher ce
voile sacré, ce voile interdit ; — Eh bien ? — Celui-là verra la vérité.
— Étrange oracle ! toi-même tu ne l’as donc jamais soulevé ? — Moi !
Oh non ! jamais, et je n’en ai pas été tenté. — Je ne te comprends
pas. S’il n’y a entre la vérité et moi que ce léger rideau ? (…)
— Et une loi, mon fils, reprend le prêtre, une loi plus imposante
que tu ne peux le croire. Ce voile, léger pour ta main, serait lourd
pour ta conscience.

Le jeune homme s’en retourne pensif dans sa demeure, la soif


du savoir lui enlève le sommeil. Il se retourne avec une anxiété brûlante
sur sa couche et se lève à minuit. D’un pas craintif, il se dirige
involontairement vers le temple. Il gravit légèrement le mur extérieur
et d’un bond hardi s’élance dans l’enceinte.

Là il s’arrête dans le silence terrible, interrompu seulement par


le bruit de ses pas. Du haut de la coupole la lune projette sa lueur
argentine, et dans les ténèbres de l’enceinte, l’image voilée apparaît
à la lueur de cet astre nocturne, comme un Dieu visible. Le jeune
homme s’avance d’un pas incertain, sa main téméraire va toucher
le voile sacré ; mais un frisson subit agite tous ses membres
et un bras invisible le repousse au loin. — Malheureux ! lui cria une voix
intérieure, que vas-tu faire ? Veux-tu porter atteinte à la divinité ? (...)
— Qu’importe ce qu’il y a là derrière ? s’écrie le jeune homme,
je veux le soulever, je veux la voir. — La voir ! répète l’écho railleur.

Il dit et enlève le voile. Demandez maintenant ce qu’il a vu.


Je ne le sais ; le lendemain les prêtres le trouvèrent pâle et inanimé,
étendu aux pieds de la statue d’Isis. Ce qu’il a vu et éprouvé,
sa langue ne l’a jamais dit. La gaieté de sa vie disparut pour toujours.
Une douleur profonde le conduisit promptement au tombeau,
et lorsqu’un curieux importun l’interrogeait : Malheur, répondait-il,
malheur à celui qui arrive à la vérité par une faute !
Jamais elle ne le réjouira.

36
33

33. Asie Mineure, Cistophore avec la Diane d’Ephèse,


règne d’Hadrien.
34. James Anderson, Diane d’Éphèse du Vatican, 1859.
Santa Monica, J. Paul Getty Museum..
34

Je fixe ton regard lorsque


tu me regardes ; mais si tes yeux me
voient, les miens ne te voient pas :
pourquoi ? Je n’ai point d’yeux. Si tu le
Énigme

veux, je parle, mais sans émettre un son :


le son vient de ta voix.
Moi, vainement mes lèvres s’ouvrent.
Qui suis-je ?
37
35
 Cette gaieté cache quelque chose, cette volonté de
ce qui est superficiel trahit un savoir, une science de
la profondeur. » Le Gai Savoir, Nietszche,1882.

Par-delà bien et mal, Nietszche,1885.


qu'il y a de sagesse chez l'homme à rester superficiel. »
 Quiconque a sondé le fond des choses pressent ce
36

35. Maxime Du Camp, Le Sphinx,


 Egypte moyenne, décembre 1849.
 Rochester, George Eastman House.
36. Sphinx des Naxiens, cliché Giraudon,
 c. 1910. Strasbourg, musée des
 Antiquités

réponse  énigme page précédente — le miroir


37

37. Maxime Du
  Camp, Nubie,
  Ibsamboul,
 colosse
 occidental
 du spéos de Phrè, 1849. Londres,
 Royal Collection Trust.
38. Manufacture Locré-Russinger, Pot à eau avec le
  col en forme de sphinge, c. 1787-1878. Limoges,
 musée Adrien-Dubouché
38

38
39. Emily Dickinson, Herbarium, c. 1839-1846.
 Cambridge, Harvard Library.
39
40

40. Cy Twombly, Untitled (Bassano in Teverina), 1985.


41. Gant de Lise Deharme donné à André Breton,
moulage, c. 1930. Ancienne coll. Jean Marais.

42. Rome, Torse du Belvédère, Ier siècle


avant J.-C. Musées du Vatican.

41

image 2 — Tiger

40
D’où viennent les clusters?

On est parti d’un agrégat de notes, le jeu simultané de notes


adjacentes, dissonant, réalisé par un geste — celui du bras du pianiste,
du poing, ou du plat de la main du pianiste, à la limite de l’aléatoire,
non savant — c’est un acte pur du corps, pas de la pensée, inclassable
dans la grammaire musicale. C’est une première histoire :
aberrante, primaire à première vue, plutôt sauvage.
 Cowell, Adventures in Harmony (A Novelette), 1913
 Cowell, The Tides of Manaunaun, 1930 lien 10
 comptatible avec un certain lyrisme !
—cf. image 1 — Tides
image 1 — Tides

Différentes espèces petit cluster I grand cluster I clusters fixes I


clusters mobiles I clusters « en harmoniques » I cluster silencieux

 Cowell, Tiger — cluster silencieux : on enfonce des touches


 pendant une résonance de pédale, et on relève la pédale — seules
 quelques cordes ne résonnent plus que par sympathie, on entend
 comme un fantôme d’accord. — cf. image 2 — Cowell

L'effet apparaît à 00:12 précisément lien 11

41
Prolongations
 Stockhausen,  Klavierstück X,
 1954-1961 lien 12
 avec des glissandi de cluster
 — cf. image 3 — Gliss

L'esthétique sauvage du cluster devient


savante, orchestrée pour créer
des couleurs sonores inédites. Le cluster
se lie alors à l'histoire de recherches
harmoniques autour du timbre et d'aplats
sonores complexes, comme chez
Schönberg, mais pousse l'écoute et le
langage musical dans ses marges, plus
inexplicable et plus mystérieux encore.

 Schönberg, Opus. 16 nº3, Farben image 3 — Gliss


(Couleurs), une technique qu'on a appelée
la mélodie de timbre
lien 13
• Ligeti Atmosphère
— cf. image 4 et 5 — Ligeti
lien 14

image 4 — Ligeti
10 � lien pour -> Cowell, The Tides of Manaunaun, 1930
11 � lien pour -> Cowell, Tiger
12 � lien pour -> Stockhausen, Klavierstück X, 1954-1961
13 � lien pour -> Schönberg, Opus. 16 nº3, Farben
14 � lien pour -> Ligeti

42
image 5 — Ligeti

38. Barbara Hepworth, Mother and Child, 1934. Londres, Tate.

43
43. Tombe du plongeur, Paestum (Poseidonia), 480-470 av. J.-C. Paestum, musée archéologique

Voyage autour de ma chambre



Xavier de Maistre, 1794

Ma chambre est située sous le quarante-cinquième degré


de latitude, selon les mesures du père Beccaria : sa direction est du
levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas
de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra
cependant davantage ; car je traverserai souvent en long et en large,
ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode.
— Je ferai même des zigzags, et je parcourrai toutes les lignes
possibles en géométrie, si le besoin l’exige. Je n’aime pas les gens
qui sont si fort les maîtres de leurs pas et de leurs idées, qui disent :
« Aujourd’hui je ferai trois visites, j’écrirai quatre lettres,
je finirai cet ouvrage que j’ai commencé ».

44
Mon âme est tellement ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts
et de sentiments ; elle reçoit si avidement tout ce qui se présente ! …
— Et pourquoi refuserait-elle les jouissances qui sont éparses
sur le chemin si difficile de la vie ? Elles sont si rares, si clair-semées,
qu’il faudrait être fou pour ne pas s’arrêter, se détourner même
de son chemin pour cueillir toutes celles qui sont à notre portée.
Il n’en est pas de plus attrayante, selon moi, que de suivre ses idées
à la piste, comme le chasseur poursuit le gibier, sans affecter de tenir
aucune route. Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours
rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est
placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ;
mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre,
si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façons,
et je m’y arrange tout de suite. — C’est un excellent meuble qu’un
fauteuil ; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif.
Dans les longues soirées d’hiver, il est quelquefois doux et toujours
prudent de s’y étendre mollement, loin du fracas des assemblées
nombreuses. — Un bon feu, des livres, des plumes, que de ressources
contre l’ennui ! Et quel plaisir encore d’oublier ses livres et ses plumes
pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation,
ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures
glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans
vous faire sentir leur triste passage.

Tu te plais à plonger
au sein
de ton image

L’Homme et la Mer, Baudelaire


45
Le santour, instrument pangée ?
santûr
santoor
santour
santouri
Une multitude
d’orthographes déployée pour
santîr
effleurer, s’approcher au plus près
constella
du sanscrit et nommer cet instrument tion pou
r Farnaz
— cet instrument qui nous rappelle
les cithares d’Apollon, cet instrument-table, trapèze isocèle,
habillé d’une centaine de cordes.

Si le santour évoque aujourd’hui l’Iran, l’origine de son nom


mêle nombre de géographies : un voyage entre les langues arabe,
hébraïque, araméenne, grecque et sanskrite. Ces langues se
complètent et mettent chacune en lumière une réalité de l’instrument :
quand le grec ancien psallein nous révèle l’action de pincer,
le sanskrit sau-târ répond cent cordes.

Car, oui, le santour compte une centaine de cordes qui


sont frappées par deux petits marteaux placés entre les doigts
du musicien. À la différence du piano, tout aussi
instrument de percussion mélodique,
les cordes du santour n’ont pas d’étouffoir.
Rien n’arrête la vibration de la corde.
Toutes les harmonies se mêlent.
Toutes les harmonies s’allient.

la famille du Santour

Allemagne — hackbrett
Appalaches américains — dulcimer
Chine — yangqin
Europe de l’Est — cymbalum
France — doulcemelle
Grèce — santoori
Monde arabe — qanûn

46
Elle me trouvait émue
et quelquefois en larmes

Farnaz Modarresifar

Comment es-tu devenue musicienne ?

Enfant, j’étais amoureuse du piano.


À chaque fois que ma mère me
faisait entendre un morceau joué
au piano, elle me trouvait émue et qui sont les siennes quant à la
quelquesfois en larmes. Mon père modulation, sa sonorité douce et
finit par m’offrir un santour, avant scintillante m’inspire. Le santour
que nous puissions avoir un piano. ne dispose pas d’étouffoirs et
Mais la découverte du santour donc tout l’art de l’interprétation
m’a bouleversée au point de sur cet instrument consiste à maî-
choisir cet instrument pour la vie. triser le jeu avec les résonances. 

Est-ce commun, pour une femme,
Comment allies-tu ton parcours d’interprète
de jouer du santour ?
et ton travail de compositrice ?

Tout à fait ! On peut même C’est dans les plus grands con-
dire que le nombre de femmes trastes que nous avons la chance
interprètes de santour dépasse de trouver les concepts les plus
celui des hommes dans les subtils. Me balader entre ces deux
conservatoires et les universités univers si lointains l’un de l’autre
de musique en Iran. 
 — que je connais et maîtrise
Qu’est-ce qui te plaît dans cet instrument ? chacun — m’ouvre les yeux
Le santour est un instrument sur les subtilités que je ne trouve
diatonique a. Et malgré les limites nulle part ailleurs.


a.  Sur un piano, on peut observer le schéma de répétition des touches : ce sont douze échelons 
qui se répètent sur toute la longueur du clavier. Cette division du continuum sonore
est dite chromatique, et on qualifie ainsi les musiques qui en exploitent toutes les possibilités
harmoniques — Wagner poussant cette logique à son comble. La division plus simple
en échelons plus grands, dite diatonique, a été fondatrice du langage musical occidental.

47
La Polynésie compte plus de 1000 îles
éparpillées dans l’océan Pacifique, pendant
longtemps leurs habitants ont dû naviguer d’île
en île sans disposer de moyens de navigation
modernes comme la boussole ou le sextant.

Ils ont donc, créé dès 1000 av. J.-C., ces cartes
appelées Rebbelibs, Medosou ou Mattangs
représentant les courants marins et la direction
de la houle qui est perturbée par la présence
des îles avec des bâtons de bois courbés, les
coquillages représentant la position des îles.
Elles servaient avant tout à la transmission
du savoir et n’étaient pas emportées
dans les bateaux.
44. Rebbelibs, carte maritime polynésienne.

Île — n.f., roche ne sachant qu’affleurer.

Presqu’île — n. f., autre définition


de l’être qui pose le pied sur une île.

Continent — n. m., lointain cousin,


dans la famille par habitude plus
que par génétique ; sol familier.

48
Playlist 7e continent de la musique
01 � DEBUSSY
�> Quatuor à cordes, troisième
mouvement, par le quatuor Agate,
ensemble associé
à La Brèche Festival.
02 � Farnaz MODARRESIFAR
�> au santour, joue
Hossein Ali Zadeh, dans un
concert live de France Musique.
03 � Pierre CUSSAC / Fiona MONBET,
�> un extrait en avant-première
de leur prochain album à paraître
— automne 2020.
04 � Farnaz MODARRESIFAR,
�> La chasse au vent, une
création de Farnaz pour soprano,
violon et piano composée en 2016.
05 � DVORAK, scherzo du quintette
opus 81, une archive exclusive
de La Brèche Festival 2018.
49
Cet Atlas est paru
du 28 mars au 18 avril 2020 en lieu et place
de la 4e édition de La Brèche festival.

| La Brèche festival 2020 avec


Susan Manoff, marraine, Martine Bellier,
présidente | Antoine Thiollier, délégué général
et artistique, Romain Louveau, directeur musical |
Romane Vanderstichele, chargée de production |
Dounia Acherar, déléguée à la médiation, Marine
45. Johannes Hevelius, Firmamentum Kisiel, historienne de l’art | Myriam Caudrelier,
Sobiescianum, sive Uranographia, 1687. déléguée aux partenariats | Luc Michel, directeur
Zurich, ETH. technique, Diane Loger, régisseuse générale,
Baptiste Chouquet, sonorisation (B-Média)

Compositrice associée | Farnaz Modarressifar


Ensembles associés  | Miroirs Étendus,
Quatuor Agate

Partenaires institutionnels | La Région Auvergne


| L’Atlas n°3 avec Rhône-Alpes, Le Département de la Savoie,
| Susan Manoff, Adèle Charvet, Ville d’Aix-les-Bains, Ville de Chambéry,
John Donne, Jean-François Arambel, Ville du Bourget-du-Lac, Aix-les-Bains Riviera
Gauthier Broutin, Romain Louveau, des Alpes | Partenaires culturels | Espace Malraux,
Léa Hennino, Hélène Maréchaux, Fiona Monbet, SN de Chambéry et de la Savoie, Dôme Théâtre
Charles Baudelaire, Gilles Deleuze, Marivaux, d’Albertville, Miroirs Étendus, Service Patrimoine
Laurent Ripoll, Marianne Croux, Eva Zaïcik, Aix-les-Bains, B Media, Music’Aquarelle |
Pierre Cussac, Aurélie Martin, Paul Colomb, Partenaires techniques | Conservatoire
Julia Macarez, Othman Louati, Friedrich Schiller, d’Aix-les-Bains, Théâtre du Casino, Service
Héraclite, Miroirs Étendus, Farnaz Modarresifar, technique municipal d’Aix-les-Bains, Régie
Quatuor Agate. des Thermes (S. Bienvenu), Golden Tulip
| Organismes professionnels | Adami, Sacem,
| Direction de la publication | Antoine Thiollier Musique Nouvelle en Liberté, La Culture avec
| Coordination | Lucile Bataille et Antoine Thiollier la copie privée | Partenaires média | Télérama,
| Recherche iconographique | Marine Kisiel France Bleu Pays de Savoie, Le Dauphiné Libéré
| Textes additionnels | Dounia Acherar, Grands Partenaires | Crédit Mutuel, Dolin, Coach
Romain Louveau, Antoine Thiollier Culinaire, Valvital, Val de Sérigny | Partenaires |
Aux plus belles histoires, Axe (Bollard), Bizolon,
| Design Graphique | Structure Bâtons Chez Fanny, Dessange, Jean Lain Autosport,
| Typographie | Balme moderne Julia, La Mie Câline, Le Louvre Institut, L’Ecrin
d’Aix, Les Bergues, Martine M, MILA, Mirco
| Crédit photo | p. 47 © Eric Legret / Le plancher Editions, Optic 2000, Paris-service

50
Est-ce la fin du voyage ?
Comment sait-on que c’est fini ?
Arriver, repartir ?
Il faut bien poser sa main sur un point
et dire, c’est fini !

Est-ce la fin du voyage ?


Comment sait-on que c’est fini ?
Arriver, repartir ?
Et dire que c’est si facile au départ,
De tendre les voiles.

Arriver, repartir ?
Un rayon d’azur ensoleille
l’océan tout brun.

C’est la Terre ?
Là ! C’est la terre ?
isbn : 978-2-9564706-2-5

Vous aimerez peut-être aussi

pFad - Phonifier reborn

Pfad - The Proxy pFad of © 2024 Garber Painting. All rights reserved.

Note: This service is not intended for secure transactions such as banking, social media, email, or purchasing. Use at your own risk. We assume no liability whatsoever for broken pages.


Alternative Proxies:

Alternative Proxy

pFad Proxy

pFad v3 Proxy

pFad v4 Proxy