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Le Rite Ecossais

Ancien et Accepté *
Mesdames, mes Soeurs, Messieurs et vous tous mes Frères, nous voici
réunis dans un Temple maçonnique au siège de la Grande Loge de
France, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue.

Si certains d'entre vous sont des habitués des conférences Condorcet


Brossolette, je dois vous avouer que pour ma part, depuis quarante-six
ans que je suis franc-maçon, c'est bien la première fois que je m'adresse
à un public profane.

La raison était simple : j'ai toujours pensé que la maçonnerie était


comme le base-ball ou le cricket, et que si vous ne faisiez pas partie de
léquipe, vous ne pouviez rien y comprendre.
Mais, si je vous disais, en accord avec ce raisonnement : puisque vous
nêtes pas dans l'équipe Mesdames et Messieurs, bonsoir ! vous seriez
en droit, bien que vous n'ayez rien payé de crier: remboursez !!
Donc cédant à la demande du Grand Maître de la Grande Loge de
France, je vais essayer, je dis bien essayer durant le temps qui m'est
imparti, de vous faire appréhender

«Le Rite Ecossais, Ancien et Accepté»

Nous verrons ensemble : ses origines, son histoire, sa philosophie.


Trois points comme par hasard sont tout d'abord nécessaires d'expliquer:
FOrdre. les Rites, les Obédiences.

Nombreuses sont les familles qui possèdent un arbre généalogique avec


ci sans blason. Il en est de même pour nous les francs-maçons.

* Cciférence donnée dans le cadre du Cercle Condorcet-Brossolette, le 22 janvier 1994

3!
Le tronc, c'est l'Ordre, la maçonnerie en général, dont les racines pui-
sent leurs forces dans l'antiquité, c'est-à-dire dans la Tradition Grecque
et Judéo-Chrétienne.

Les branches représentent les Rites.


Rite d'York, Emulation, Memphis Misraïm, Rite Français, Rite Ecossais
Rectifié, Rite Ecossais Ancien et Accepté. Cette énumération n'étant
pas exhaustive. Ces Rites ont pour but comme dans les églises, les
confréries, les sociétés initiatiques africaines ou asiatiques de codifier
les cérémonies grâce à un rituel.

Sur chacune de ces branches «rituelliques» poussent des bourgeons qui


ont pour nom Obédiences, c'est-à-dire organisation d'une collectivité de
francs-maçons.
Cette collectivité se décompose en cellules de travail appelées Atelier
ou Loge qui pratiquent toutes un même Rite ou parfois des Rites diffé-
rents au sein de l'Obédience. Tout comme dans le monde profane, syn-
dicaliste ou politique, les obédiences ont un nom qui permet de les dis-
tinguer les unes des autres.
Ce sont soit des Grandes Loges, soit des Grands Orients, suivi égale-
ment du nom du pays auxquelles elles appartiennent Grande Loge de
France, Grand Orient de France, Grande Loge d'Angleterre, de Bel-
gique, du Luxembourg. Bref il en va ainsi de tous les pays où la maçon-
nerie existe.

La maçonnerie est donc universelle mais étant composée d'hommes elle


n'est pas simple pour autant. Notre frère Lantoine la comparait à un
manteau d'arlequin et pour ma part, je pense que c'est un mobile de
Calder. Tout se tient, mais chaque élément a son propre mouvement.

Tout phénomène humain, qu'il soit social, politique ou religieux prend


naissance dans l'histoire bien avant la date officielle de son apparition.
Le phénomène franc-maçonnerie ne fait pas exception à cette règle.
Nous aborderons donc notre sujet en essayant de recréer le climat, qui a
motivé et permis le développement de la franc-maçonnerie au 18è
siècle.

Mais auparavant remontons un peu dans le temps.

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A la période médiévale, les grands ouvrages de pierre étaient comman-
dés et financés par la couronne, l'église, les grands seigneurs ou les
municipalités. La main d'oeuvre était nombreuse et venait souvent de
fort loin. Du fait de leur mobilité, ces hommes de l'art devaient être
libres, d'une part en opposition aux serfs qui étaient attachés à la terre,
d'autre part, il ne leur était pas matériellement possible d'appartenir à
une corporation ou guilde comme étaient les sédentaires.

«Le Maître d'ouvrage», Abbé prieur du monastère, chapitre de la cathé-


drale, seigneur du château, Lord Maire, Burgmeister était le financier.
Ce Maître d'ouvrage désignait un «Maître d'oeuvre», homme de métier,
artiste qui avait pour titre celui de «Maître Maçon». Sur le chantier était
un atelier couvert où l'on taillait et sculptait les pierres et qui avait pour
nom «la Loge». Cette population itinérante, sans organisation centrale,
avait fini par uniformiser en Angleterre les coutumes et les légendes du
métier, si bien qu'à partir du 14è siècle, on mit celles-ci par écrit. Ce
furent les «Old Charges», ou Anciens Devoirs.

Pour des raisons faciles à comprendre, on s'engageait à ne jamais révé-


ler les secrets techniques du métier, et au cours d'intronisations succes-
sives afin d'écarter les intrus, l'on donnait par communication le mot de
maçon, les signes de reconnaissance et les attouchements. Les degrés
donnés successivement étaient apprentis et compagnons.

Au 16è siècle le chaos s'installe dans la chrétienté, l'Europe est à feu et


à sang.
Luther est excommunié en 1520 et la Confession d'Augsbourg rejette
l'autorité du Pape.
En 1534 l'Acte de Suprématie fait d'Henri VIII, roi d'Angleterre le chef
de l'Eglise anglicane.
Calvin publie à Genève son «Institution de la religion chrétienne».
Une contre-réforme prend naissance pour aboutir au concile de Trente.
Les états allemands se font la guerre.
Les protestants se battent contre la Sainte Ligue et les puissances euro-
péennes viennent par leur présence accroître ce fléau.

Grâce à Henri lV la France est relativement épargnée du fait de l'Edit


de Nantes, mais progressivement sous l'influence de Richelieu, le cli-
mat se détériore et en 1685, Louis XIV fidèle à sa devise «Un roi, une

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foi, une loi» révoque l'Edit de Nantes. Nous connaissons la suite, dra-
gonnades, galères, exil. Charles 1er écrase les protestants, Cromwell
pourchasse les catholiques. Sous la pression anglicane, Jacques II, roi
catholique est chassé et doit se réfugier en France.

Guillaume d'Orange protestant est appelé sur le trône d'Angleterre et il


reconnaît la liberté du culte à toutes les sectes protestantes mais la
refuse aux catholiques.

Deux siècles ont passé, deux siècles ensanglantés. Qu'il est loin le
temps où le «Maître d'oeuvre» dans la loge traçait des épures pour édi-
fier des cathédrales, véritables livres de pierres blanches, roses ou
jaunes suivant le matériau du pays. Livres de pierre destinés à montrer
au bon peuple «Dieu en majesté, notre Dame en bonté et Christ en
gloire».

Les chantiers sont devenus silencieux, les tours sont inachevées et les
loges de métier ont pratiquement disparu : sauf... sauf en Ecosse où
l'autorité royale fournissant du travail aux maçons permit à ceux-ci de
continuer à tenir séance en loge.

En 1603 à la mort d'Elisabeth, son cousin le roi Jacques VI Stuart


d'Ecosse lui succède sous le nom de Jacques 1er. La frontière était
ouverte entre l'Ecosse et l'Angleterre royaumes naguère ennemis.

Des voyageurs anglais, de marque mais non de métier sont reçus dans
des loges d'Ecosse, suivant la coutume du lieu. De retour en Angleterre,
ils y tiennent Loge à leur tour, pour recevoir maçons et leurs amis. Ces
maçons deviennent «Accepted Masons» c'est-à-dire «Maçons Accep-
tés».

Las des querelles religieuses et politiques, en pleine guerre civile, on


trouvait en loge des royalistes, des partisans du Parlement, des angli-
cans, des non-conformistes et même des papistes. Les premiers maçons
non opératifs étaient des hommes résolus à fraterniser en dépit de tout
ce qui pouvait les diviser en politique et en religion et ce, au nom d'une
vertu «la Tolérance». Malgré leurs divergences profanes, ils s'appe-
laient «frères» lorsqu'ils étaient en loge.

1714: Anne Stuart anglicane et bigote vient de s'éteindre.

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1715 : Louis XIV : le Roi Soleil, s'est couché à l'occident éternel,
l'Europe va enfin respirer, le siècle des Lumières commence à briller.
1717 : A la Saint Jean d'Eté, quatre loges londoniennes indépendantes
les unes des autres, composées de Maçons Acceptés, décident de se
fédérer et de se réunir chaque trimestre après avoir élu comme Grand
Maître Georges Payne.
La première Obédience, la première Grande Loge est née.
1719 : Un pasteur d'origine française, qui avait suivi son père en Angle-
terre après la révocation de 1'Edit de Nantes, Jean-Théophile Désagu-
liers, succède à Georges Payne comme Grand Maître. Physicien de
renom, membre de la Royal Society de Londres, il commence à donner
du lustre à cette Grande Loge.
1721: Le Duc de Montagu, pair d'Angleterre devient à son tour Grand
Maître, entraînant avec lui des nobles lords proches de la famille royale,
des membres célèbres du monde des Arts, des Lettres et des Sciences.
La franc-maçonnerie vient d'acquérir ses quatre quartiers de noblesse et
James Anderson, pasteur écossais publie des Constitutions très libérales,
qui deviendront dans notre histoire la véritable charte de la franc-
maçonnerie.

Il est une légende qui perdure encore dans l'esprit de certains maçons
à savoir la dualité des origines de l'Ecossisme. La thèse serait que des
officiers irlandais et écossais réunis en loges régimentaires, auraient
importé en 1691 à Saint-Germain-en-Laye, une maçonnerie fidèle tant à
la fois:
au roi détrôné Jacques II Stuart, réfugié en France;
à la religion catholique, et aux anciens usages de la Confrérie.

De ces loges militaires seraient issues des loges civiles, dites «Ecos-
saises» qui auraient érigé à Paris, une Grande Loge de France, première
du nom. En réaction la Grande Loge d'Angleterre aurait constitué à son
tour des loges dites «anglaises» de tendance hanovrienne et protestante
ou déiste. C'est méconnaître l'esprit de tolérance, de fraternité, qui a été
le moteur de cette franc-maçonnerie non opérative devenue par le recru-
tement de ces Maçons Acceptés, maçonnerie spéculative.

En effet, que disent les Constitutions d'Anderson ?

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«Mais encore qu'au temps jadis, les maçons en chaque pays, doivent
être de la religion quelle qu'elle fut, du pays ou de la nation.
On estime pourtant aujourd'hui plus expédient, de ne les obliger qu'à
cette religion, où tous les hommes s'accordent, sauf à garder pour eux-
mêmes, leurs opinions particulières, c'est-à-dire, d'être bons et vrais, ou
hommes d'honneur et de probité, n'importe les confessions ou les
croyances qui les distinguent.
Ainsi la maçonnerie devient le Centre de l'Union, et le moyen de conci-
lier une amitié vraie, entre des personnes qui auraient dû rester sans
cesse éloignées les unes des autres».

Cet esprit de tolérance, politique et religieuse, caractéristique de la


franc-maçonnerie à cette époque, attira vers les loges des membres de
l'ancienne noblesse fidèles à Rome, mais aussi des esprits éclairés et
déistes. Or les cadets des familles irlandaises avaient pour tradition de
servir le Roi de France, dans les régiments irlandais de l'armée royale
(Dillon, Berwick, Bulkeley) et c'est grâce à ces jeunes officiers, aidés
de résidants anglais et écossais que fut créée en juin 1726 la première
loge de «Free Masons» à Paris, rue des Boucheries près de Saint-Ger-
main-des-Prés, en la Taverne du Louis d'Argent dont elle prit le nom.

Progressivement la maçonnerie s'étendit au royaume de France, et si


politiquement pour la maîtrise des mers en particulier, la France et
l'Angleterre étaient ennemies jurées, l'intelligentsia française, avec son
esprit européen, était très favorable à ce courant maçonnique, qui se
voulait être «le centre de l'Union et le moyen de concilier une amitié
vraie entre les personnes qui auraient dû rester sans cesse éloignées les
unes des autres».

A partir de 1728, les loges isolées sur le sol de France, prirent peu à peu
l'habitude de se placer sous la protection du grand Maître d'Angleterre
en attendant de pouvoir se constituer en Grande Loge autonome natio-
nale. Et tout comme à la Saint Jean d'Eté de 1717 à Londres, les loges
françaises firent une grande assemblée à Paris à la Saint Jean d'Hiver de
1735 et se donnèrent comme Grand Maître James Hector Mac Leane,
Baronnet d'Ecosse qui adopta les Constitutions d'Anderson.

Quelques années après, le Duc d'Antin devient Grand Maître et l'Angle-


terre reconnaît sans difficultés cette Grande Loge de France, première
du nom qui travaille avec les Constitutions d'Anderson. A la mort du

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Duc d'Antin, la Grande Loge de France, choisit comme Grand Maître,
un prince de sang, Louis de Bourbon-Condé, Comte de Clermont, Abbé
de Saint-Germain des Près qui promulgue des «Ordonnances générales"
en 20 articles dont le 200me est ainsi rédigé : «Ayant appris que quelques
frères se présentent sous le titre de «Maîtres écossais», et revendiquent
dans certaines loges des droits et privilèges, dont il n'existe aucune
trace dans les archives et usages des loges établies sur la surface du
globe, la Grande Loge de France a décidé que ces «Maîtres écossais»
doivent être considérés par les frères, à l'égal des autres Apprentis et
Compagnons, dont ils devront porter le costume sans aucun signe de
distinction».

C'est ce Maître Ecossais, qui après les degrés d'Apprenti, Compagnon,


Maître des Loges symboliques va être l'embryon de ce qui deviendra
par la suite le Rite Ecossais Ancien et Accepté, Rite en 33 degrés.

Mais d'où venaient ces Maîtres Ecossais ?


On les voit apparaître en 1733 au Tableau de la Grande Loge d'Angle-
terre, dans une Loge de «Scotch Masons» à Londres, composée
d'anglais, suivie d'une Loge de «Scots Masters» à Bath, puis une autre
à Londres enfin la dernière à Bristol.

Mais pourquoi les anglais ont-ils pris ce nom d'Ecossais ?


La réponse est simple, et fait perdre à la légende tout son panache, mais
tant pis c'était en fait un hommage rendu à l'Ecosse tant au Pasteur
:

Anderson, qu'aux frères Ecossais qui avaient su conserver la «pure et


ancienne maçonnerie» au milieu des ruines du gothique.

Tandis que le grade de «Scot Master» disparaît en Angleterre pour deve-


nir le Royal Arch, en France la décision de la Grande Loge de ne point
reconnaître ce grade, fit que les premiers Maîtres Ecossais du Royaume
se réunirent entre eux, pour procéder à des initiations à ce degré. Une
Loge permanente avait été constituée à Bordeaux en 1744, sous le titre
«La Parfaite Loge d'Ecosse de Saint Jean de Jérusalem». Son fondateur
était un négociant bordelais né à New York, de parents huguenots qui
avaient fui la France au moment de la révocation de l'Edit de Nantes.

Il s'agit du Frère Etienne Morin qui va devenir la cheville ouvrière du


futur Rite Ecossais Ancien et Accepté.

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Pendant de nombreuses années cette loge bordelaise joue le rôle de
«Mère Loge Ecossaise» délivrant patente pour la France et les colonies.
Elle autorise une Loge Ecossaise à Paris ainsi que dans certaines villes
de province Marseille entre autres. En 1748, les loges écossaises éta-
blissent pour leur propre compte des réglements et des constitutions ins-
tituant les Maîtres Ecossais comme les Grands Surveillants de la
Maçonnerie, et sept ans après en 1755 la Grande Loge de France finit
devant l'ampleur du phénomène dit Ecossais, par reconnaître ce degré
et ses prérogatives au sein des loges des 3 premiers degrés qu'elle admi-
nistre, sans pour autant exercer son contrôle sur les Parfaites Loges
d'Ecosse.

Il n'y avait donc aucun antagonisme, mais au contraire une parfaite


complémentarité puisque tous les Maîtres Ecossais devaient appartenir
et fréquenter les Loges des trois premiers degrés. Nous avions ainsi
quatre degrés Apprenti, Compagnon, Maître et Maître Ecossais. Cette
bonne entente hélas ne dura guère car au nom de la fraternité la Franc-
Maçonnerie va se vulgariser au sens latin.

Taverniers, Maîtres à danser, affairistes siègent sur les colonnes. La


roture porte en loge l'épée au côté. Les philosophes qui sans penser à
mal préparent la Révolution s'en donnent à coeur joie devant un audi-
toire béat. La royauté de droit divin devient discutable. Nous n'en
sommes plus au grand Bossuet qui au cours d'une éloge funèbre en la
chapelle de Versailles, tonnait du haut de sa chaire, devant Louis XIV et
la cour «O rois vous êtes des dieux». Nous en sommes à Fenelon qui
dans une même circonstance rappelait à tous ce passage de la Genèse
«Memento homo quia pulvis es, et in pulverem reverteris», «Souviens-
toi homme que tu es poussière et que tu retourneras en poussière». C'est
la prise de la Bastille bien avant le 14 juillet. Il est temps de mettre bon
ordre à ce gauchissement des esprits. Il est temps d'établir une sélec-
tion. Il fallait donc d'autres degrés.

Et c'est en s'inspîrant de l'Histoire Sainte, de l'Art de bâtir que les


maçons français vont composer de nouveaux degrés, constituant autant
de petits drames sacrés, hors de tout sectarisme confessionnel, fidèles en
cela à Anderson et qui développent les thèmes du grade de Maître
Maçon, venu de Londres.

C'est à cette époque qu'entre en scène un écossais : Andrew Michael


Ramsay, fils d'un père calviniste et d'une mère épiscopalienne. Rebuté

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par le «dogme de la prédestination», il renonce à faire carrière dans
1'Eglise Presbytérienne d'Ecosse.
Disciple de Fénelon, secrétaire de Madame Guyon, il s'oriente vers la
religion du «Pur Amour». Gouverneur du «jeune prétendant» Charles
Edouard Stuart, qui le fit Baronnet d'Ecosse et fait Chevalier de Saint-
Lazare par Louis XV, il fut initié à Londres dans la loge aristocratique
du Cor, «Horn Lodge». Prenant le contre-pied d'Anderson, les origines
de la maçonnerie ne venaient plus des bâtisseurs gothiques, mais des
Croisés.

Dans son fameux discours daté de 1737, discours de réception pour


recevoir les nobles de haut lignage, Ramsay disait que «la maçonnerie
avait été introduite en Europe par les Rois, les Princes et les Seigneurs
Croisés de retour de Palestine». Ainsi la chevalerie entrait dans notre
Ordre, avec le Chevalier d'Orient ou de l'Epée, le Prince de Jérusalem,
le Chevalier d'Occident, le Chevalier de la Palestine, de l'Ancre ou de
l'Espérance, du Soleil ou des Adeptes de l'Aigle, du Pélican de Saint
André. Les derniers grades s'inspirent de l'Apocalypse, mais surtout de
la Kabbale ou de l'Alchimie.

C'est que, dans la deuxième moitié du 18è siècle en réaction contre la


Raison raisonnante du Siècle des Lumières, renaît le goût des Sciences
occultes, et pour ceux qu'elles attirent, le secret des loges et les mys-
tères qu'on y célèbrent.
L'Allemagne n'échappe pas à cet engouement et face à la philosophie
des Lumières, «l'Aufklarung» s'installe le «Sturm und Drang», tempête
et élan précurseur du romantisme allemand.

Les hauts grades français traversent le Rhin, c'est l'époque de la guerre


de sept ans, et des officiers français prisonniers sur parole, fréquentant
les loges allemandes, se mêlent à l'ordre de la Rose Croix et de la Rose
Croix d'Or d'origine templière d'après leurs légendes.

La symbiose fut donc aisée entre les Néo Chevaliers écossais français et
les Néo Templiers allemands. L'un de ses officiers, Filley de Lernay,
établit à Berlin un chapitre dit de Clermont dont les grades furent mis au
goût Templier.

En contre partie, nous reçumes en France deux nouveaux grades impor-


tants : le Souverain Prince de Rose-Croix d'esprit très christique et le

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Grand Inspecteur Grand Elu Chevalier Kadosch qui réclamait ven-
geance pour les meurtriers de Jacques de Molay, Grand Maître de
l'Ordre des Templiers. Ce grade sentait le souffre, car à travers Philippe
le Bel et le pape Clément V, on battait en brèche le pouvoir royal et la
Papauté or la France était encore une monarchie et de surcroît fille
aînée de l'Eglise, malgré son esprit gallican.

Arrivés à ce point de notre exposé, faisons un break comme disent les


anglais (notons en passant que les écossais emploient le même mot pour
le même usage).
Période médiévale : les tailleurs de pierres constructeurs de cathé-
drales forment des loges de métier dites opératives
l6 siècle : l'Europe est en guerre de religion. Les chantiers se fer-
ment, avec comme conséquence la disparition des loges sauf en
Ecosse.
l'P siècle : avec Jacques VI Stuart devenu Jacques 1er d'Angleterre,
l'Ecosse est rattachée à la couronne. Des loges opératives subsistant,
acceptent des profanes qui ne sont pas du métier. Avec ses nouveaux
«Accepted Masons» les loges deviennent spéculatives.
- 18è siècle: Siècle des Lumières
1717 : quatre loges spéculatives de Londres se réunissent pour donner
la Grande Loge de Londres, future Grande Loge d'Angleterre.
1735 : Constitution de la Grande Loge de France. Ces deux Grandes
Loges régissent les trois premiers degrés : Apprenti, Compagnon et
Maître.
Elles ont comme Charte commune: les Constitutions d'Anderson.
Entre temps, apparition d'un nouveau grade : les Maîtres Ecossais qui
se constituent en Loges Ecossaises indépendantes et qui vont donner
avec Ramsay pour la légende chevaleresque et Etienne Morin pour la
diffusion de ces Loges, le système dit des Hauts Grades du Rite Ecos-
sais Ancien et Accepté

Après cette synopsis revenons à nos . . .maçons.

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En 1771 : Le Grand Maître de la Grande Loge de France, le Prince de
Bourbon Condé, Comte de Clermont, vient de passer à l'Orient Eternel.
Un de ses proches, le Duc de Montmorency Luxembourg, pair et pre-
mier baron chrétien du royaume prend sa succession, et constitue à par-
tir de cette Grande Loge de France une Obédience structurée et épurée
qui prit en 1773 le nom de Grand Orient de France «seule et légitime
Grande Loge» et qui se donne comme Grand Maître : le Duc de
Chartres, futur Philippe Egalité. Les Maîtres des Loges parisiennes ne
l'entendent pas de cette oreille, ils s'insurgent contre cette obédience, la
déclarant schismatique. Réunis en assemblée, ils proclament à leur tour
un Orient dit de Clermont, seul authentique Grand Orient.

Nous voici donc au royaume de France avec deux obédiences, le Grand


Orient de France et l'Orient de Clermont ; toutes les deux se réclament
de la pure régularité. La scission étant établie, que vont devenir les
degrés de l'écossisme ?

Rappelons-nous que la Grande Loge de France avait fini par reconnaître


les prérogatives des Maîtres Ecossais et l'existence de ces nouveaux
hauts grades. Mieux encore elle avait délivré à Etienne Morin en par-
tance pour les Antilles, des «Lettres patentes» de Grand Inspecteur des
loges de l'Amérique française, avec pouvoir d'établir dans toutes les
parties du Nouveau Monde «la Parfaite et Sublime Maçonnerie» et de
créer et multiplier des Inspecteurs en tous lieux où les «Sublimes
degrés» n'étaient pas encore établis. Morin organisa ceux-ci en un Rite
de Perfection de 25 degrés, régi par des Constitutions élaborées à Bor-
deaux en 1762 sous le patronage de Frédéric II, Roi de Prusse.

Etienn Morin s'embarque pour Saint Domingue mais en cours de route


son navire est arraisonné par un bâtiment anglais. En résidence forcée à
Londres, il bénéficie du fair play britannique, mais surtout de la frater-
nité des maçons anglais, ses frères. Libéré au bout d'un an, à la fin de la
guerre de Sept ans, il débarque enfin à Saint Domingue et y établit des
loges et constitue des frères députés.
Arrivé à la Jamaïque, possédant en plus de ses lettres patentes fran-
çaises, des pouvoirs de Londres accordés durant sa captivité, il intro-
duit les grades de l'Ecossisme et nomme Député Inspecteur le frère
Francken. Ce dernier en tant qu'Inspecteur Général adjoint pour la
Jamaïque et les Isles anglaises sous le vent, établi à Albany, près de

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New York la première Loge de Perfection et constitue à son tour plu-
sieurs Députés Inspecteurs Généraux.

L'un d'eux, le Colonel Mitchell reçut à Charleston (Caroline du Sud)


communication d'un 33è degré ainsi que des Grandes Constitutions de
ce grade attribuées toujours au roi Frédéric de Prusse. A nom de ces
constitutions, le 31 mai 1801, le colonel Mitcheli établit le Suprême
Conseil des 33è pour les Etats Unis d'Amérique et en 1802 ce Suprême
Conseil est complété statutairement au nombre de neuf membres, par
deux français Députés Inspecteurs Généraux, réfugiés de Saint
Domingue après la révolte des noirs, le Comte de Grasse et son beau-
père, de la Hogue.

Le Rite Ecossais en 33 degrés était définitivement organisé, recrutant


sans distinction, au nom de la tolérance et de la fraternité, dans deux
grandes loges rivales qui avaient d'Angleterre exporté leurs querelles.
A savoir : La Grande Loge des Francs et Acceptés Maçons dite des
modernes et la Grande Loge des Anciens Maçons d'York. Ce rite Ecos-
sais, par esprit de concorde devint le Rite Ecossais Ancien et Accepté
du 4è au 33è degré.

Contrairement aux trois premiers degrés symboliques : apprenti, com-


pagnon, maître qui forment une obédience sous le titre de Grande Loge,
ou Grand Orient, les Hauts Grades forment une juridiction qui prend le
titre de Suprême Conseil.
Elevé au i3 degré par le Suprême Conseil de Chaleston, De Grasse,
marquis de Tilly, va rentrer en France. Muni d'une patente de Charles-
ton qui l'autorise non seulement à créer des maçons de son grade, 33 et
dernier degré du Rite, mais encore à inspecter la Franc-Maçonnerie
Ancienne et Moderne et à constituer des loges et des ateliers de Hauts
Grades dans les deux hémisphères. Fort de cette patente il établit à Saint
Domingue au Cap Français un Suprême Conseil pour les îles françaises
d'Amérique au vent et sous le vent. Tâche d'autant plus aisée qu'il exis-
tait déjà dans cette île depuis 1752 une loge écossaise qui tenait sa
patente de la Mère Loge Ecossaise de Marseille dont nous avons cité le
nom précédemment. Poursuivant son périple, il établit en 1803 un autre
Suprême Conseil à Kingstone (Jamaïque). Arrivé à Paris en 1804, De
Grasse constitue le Suprême Conseil du 33 degré en France qui est, et
reste toujours le premier Suprême Conseil de Rite Ecossais Ancien et
Accepté en Europe. Les puissances Ecossaises de Paris et de la pro-

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vince, mécontentes du mépris que leur porte le Grand Orient de France
demandent au Grand Commandeur De Grasse de s'agréger à son
Suprême Conseil. Le 22 octobre 1804, se trouve constituée par la
réunion des Loges Ecossaises les 3 premiers degrés «La Grande Loge
Générale Ecossaise de France» qui se donne comme Grand Maître, un
des frères de Napoléon, Louis Napoléon, Altesse impériale et Grand
Connétable de l'Empire. En fait Louis Napoléon n'exerça jamais cette
Grande Maîtrise car l'empereur, avec son esprit centralisateur, décide
d'agréger au Grand Orient de France tous les Ecossais, qu'ils appartien-
nent à la Grande Loge Générale Ecossaise ou au Suprême Conseil.

Très vite les relations se gâtèrent, car conformément aux traditions de


l'Ecossisme, le Suprême Conseil de France avait pouvoir en dernier res-
sort sur tout le rite, tandis qu'au Grand Orient de France, l'usage voulait
que le dernier mot revint à l'Assemblée générale dominée par les dépu-
tés des loges symboliques, c'est-à-dire les trois premiers degrés. Un
compromis fut établi après 1806, lorsque Cambacérès qui était Grand
Maître adjoint du Grand Orient de France devint Grand Commandeur
du Suprême Conseil en France, De Grasse étant reparti pour les armées.
Dans ce compromis le Suprême Conseil laissait au Grand Orient l'admi-
nistration des 18 premiers degrés supérieurs à ce 18è. La côte était mal
taillée et sitôt après la chute de l'Empire en 1815, le Grand Orient
s'arroge le contrôle de tous les degrés du Rite Ecossais du 1er au
C'était revenir à la case départ de 1804.

La réaction ne se fit pas attendre et deux mois après Waterloo, le


Suprême Conseil proclame l'indépendance du Rite Ecossais du 1 au
33e degré.
Mais la situation politique contraignit le Suprême Conseil à se mettre en
sommeil, c'est-à-dire à cesser toute activité et de ce fait ne permit pas le
rétablissement d'une Grande Loge Ecossaise. Il faut reconnaître que la
situation était délicate. Louis XVIII remonté sur le trône, la Restaura-
tion fait la chasse aux fidèles de l'Empereur. Cambacérès dont le com-
portement avait été très ambigu au moment du vote de la mort de Louis
XVI est particulièrement suspect ; il sera d'ailleurs banni en 1816 et
obligé de se réfugier à Bruxelles en tant que régicide.
Ajoutons qu'un grand nombre des Membres du Suprême Conseil
avaient été des généraux et maréchaux d'Empire. Kellermann, Massena,
Lefebvre avec de surcroît des titres de noblesse d'Empire. Duc de

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Vaimy, Prince d'Essling, Duc de Rivoli, Duc de Dantzig, cette noblesse
était considérée par la monarchie comme une noblesse de parvenus.
De Grasse de retour de captivité en Angleterre, rentre en France après
l'exil de l'Empereur et reprend en main le Suprême Conseil, mais dans
l'intérêt de l'ordre il remet sa charge au Duc Decazes, préfet de police
puis Ministre de Louis XVIII.

Le 7 mars 1821 le duc Decazes en tant que Grand Commandeur se fait


remplacer par le Lieutenant Général Comte de Valence. Ce dernier réta-
blit la Grande Loge Centrale Ecossaise, mais celle-ci relève directement
du Suprême Conseil. Le Rite Ecossais Ancien et Accepté devient donc
monolithique, ayant à sa tête un seul chef d'ordre qui sera à la fois
Grand Commandeur du Suprême Conseil en France pour les Hauts
Grades 4è à et Grand Maître de la Grande Loge Centrale Ecos-
saise en ce qui concerne les trois premiers degrés symboliques.

Cette situation va durer 73 ans.

Premier Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, Second Empire,


République les régimes passent, les Grands Commandeurs trépassent
mais le Suprême Conseil de France perdure.

La maçonnerie est soumise à tous ces événements et l'esprit des loges


évolue. Comme nous venons de le voir, la Grande Loge Centrale Ecos-
saise relevait du Suprême Conseil et le Souverain Grand Commandeur
était en même temps le Grand Maître de cette Grande Loge.

Un vent de liberté commence à se lever dans les loges et dès 1865 la


fronde s'installe dans une de ces loges, «La Justice». Petit à petit le
mouvement prend de l'ampleur et en 1880 douze loges écossaises font
sécession pour fonder une «Grande Loge Symbolique Ecossaise» indé-
pendante du Suprême Conseil. Afin d'éviter une hémorragie qui pouvait
devenir dangereuse pour le Rite Ecossais en général et le Suprême
Conseil en particulier, ce dernier prend une décision de la plus haute
importance. Par décret du 7 novembre 1894, les loges écossaises restées
fidèles au Suprême Conseil sont émancipées et ces loges se réunissent
sous le nom de Grande Loge de France. C'est elle qui vous reçoit
aujourd'hui et dont nous allons bientôt célébrer le centenaire.

44
De ce fait le Rite Ecossais Ancien et Accepté tout en étant monolithique
puisqu'il va du 1er au 3Y degré est bicéphale quant à son administration
à la Grande Loge de France, les 3 premiers degrés, au Suprême Conseil
les Hauts Grades qui vont du 4è au
Ces deux organismes : obédience (Grande Loge) et juridiction (Suprême
Conseil) sont souveraines et indépendantes, mais vivent en parfaite har-
monie pour ne pas dire en symbiose. Car si la Grande Loge de France
est née à partir du Suprême Conseil, ce dernier recrute ses membres au
sein de la Grande Loge. Chaque Frère des Hauts Grades quel que soit
son degré reste toujours un Maître en Loge sans aucune distinction par-
ticulière.

Malgré l'unicité du Rite qui va du 1er au 33è degré et dont le Suprême


Conseil reste le gardien et le conservateur, l'esprit qui préside à la direc-
tion est différent.
La Grande Loge de France qui depuis 1894 est souveraine et indépen-
dante, est une fédération d'ateliers des 3 premiers degrés travaillant, à
quelques rares exceptions, tous au Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Son organisation est démocratique.
Chaque Atelier désigne un Député.
Les Députés réunis en assemblée générale, dite Convent ont pour mis-
sion d'exprimer des voeux et de désigner par vote, les membres devant
assurer la direction : Conseillers Fédéraux, Grands Officiers, Grand
Maître.
Cet organisme directeur est chaque année renouvelable par tiers.

Le Suprême Conseil de France régit directement tous les Ateliers à


pak'tir du 4ê degré.
Les Ateliers constituent ce que l'on appelle une Juridiction. Il est à la
fois pouvoir législatif et exécutif.
Composé de 9 membres au moins et de 33 au plus, ses membres sont
cooptés dans les 33 de la Juridiction, élus à l'unanimité des membres
composant le Suprême Conseil et à vie.
Les Grands Officiers Dignitaires, et le Souverain Grand Commandeur
sont élus par leurs pairs au sein du Suprême Conseil et pour un mandat
de 9 ans renouvelable.
Le régime est donc oligarchique.

45
Si la franc-maçonnerie est répartie sur toute la surface du globe, les
Rites pratiqués par les Grandes Loges ou les Grands Orients ne sont pas
forcément universels.
Le Rite Français du Grand Orient de France est très peu répandu hors de
notre hexagone.
Le Rite Ecossais Rectifié existe en France, en Belgique, en Suisse.
Le Rite d'York et d'Emulation recouvre à peu près toute la maçonnerie
anglo saxonne, y compris les Etats Unis et le Canada.
Les pays latins, Amérique du Sud comprise, sont dans la mouvance du
Rite Ecossais Ancien et Accepté pour les 3 premiers degrés.
Seul le Rite Ecossais Ancien et Accepté peut se dire pratiquement uni-
versel débutant alors au 4 degré.
Les frères qui viennent des loges symboliques sont tous à partir du 4
degré au Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Quelque soit le pays auquel ils appartiennent ils relèvent, au niveau des
Hauts Grades, du Suprême Conseil établi dans leur pays. Ces Suprêmes
Conseils, tout en étant nationaux, souverains et indépendants, ont tous
la même structure, le même rite, les mêmes devises : Ordo ab Chao,
Deus Meumque Jus et travaillent tous à la Gloire du Grand Architecte
de l'Univers.
Ce rite est pratiquement répandu dans tous les pays d'Europe et depuis
la chute du mur de Berlin, il reprend force et vigueur dans les pays de
l'Est.
Les Suprêmes Conseils couvrent de la même façon les pays d'Amérique
Latine.

Les Etats-Unis ont deux Suprêmes Conseils:


la Juridiction Sud à Washington,
la Juridiction Nord à Lexington.

L'Afrique est représentée par trois Suprêmes Conseils et le Japon depuis


Mac-Arthur possède des Ateliers des Hauts Grades.

Nos détracteurs diront que nous sommes tentaculaires.


Retournons cette proposition et disons tout simplement : «Si tous les
gars du monde pouvaient se donner la main...» Utopie maçonnique
Sans doute, mais quel idéal !!!

46
Jusqu'à maintenant nous n'avons parlé que des frères francs-maçons,
mais qu'en est-il des femmes?
En loge opérative, les bâtisseurs de cathédrales n'employaient pas les
femmes sur les chantiers. Devenues spéculatives, les loges ont continué
cette tradition.
Nous ne sommes pas des misogynes, nous ne sommes pas contre les
femmes, mais à l'opposé de Sacha Guitry nous ne tenons pas à être tout
contre en loge.
Cette attitude peut paraître à certains d'entre vous, disons cavalière-
ment, ringarde ! C'est vrai ! Mais c'est comme ça
Ceux de ma génération ont connu à l'église les femmes à gauche, les
hommes à droite. Sitôt la puberté venue, les écoles des filles, écoles de
garçons. Lycées pour les filles, Lycées pour les garçons. Il fallait
attendre la faculté pour voir la mixité et encore peu de filles siégeaient
sur les gradins des amphithéâtres.
Aujourd'hui et c'est heureux, les femmes ont le droit de vote. Elles sont
chirurgiens, ingénieurs, PDG, officiers, commandants de bord sur des
boing ou des tankers. Elles font de la politique et occupent des postes
ministériels.

Alors pourquoi pas les femmes maçonnes?


Je vous assure ! les femmes eurent et ont de nos jours leurs places dans
la société.
N'oublions pas que la galanterie est ou a été une spécificité française.
Au FP siècle les femmes non savantes à la façon de Molière mais
brillantes par leur esprit «faisaient ruelle».
Au 1 8è siècle des femmes toutes aussi intelligentes et cultivées «tenaient
salon». Madame Helvetius était le chef de file de cette «intelligence
féminine» appartenant à une des premières familles de Lorraine alliée
à celle qui a donné à l'Autriche une dynastie de souverains, elle se
trouva parente de Marie-Antoinette. Si son mariage lui fit perdre la par-
ticule, son salon de l'Hôtel de la rue Sainte Anne était appelé «Les Etats
Généraux de la philosophie de l'Europe». Princes, ministres, philo-
sophes, grands seigneurs, littérateurs étaient de ses habitués. On y
trouve Lalande, Benjamin Franklin, Turgot, les Encyclopédistes. Nom-
breux sont francs-maçons. Par leurs salons les femmes prennent l'esprit
des lumières et une sorte de franc-maçonnerie se forme pour elles : «La
Maçonnerie d'Adoption». Bien avant la fondation du Grand Orient de
France, cette maçonnerie féminine était déjà importante.
La Duchesse de Bourbon en devint la Grande Maîtresse puis la Prin-
cesse de Lamballe, Grande Maîtresse de la Loge d'Adoption du Contrat
Social.
Il faut savoir que ces Loges d'Adoption portaient le nom des Loges
masculines, «Contrat Social», «Les Neuf Soeurs», «La Candeur» car
elles étaient en tutelle, les postes d'officiers étant tenus par des Frères.
Leurs réunions étaient moins fréquentes que les tenues régulières mas-
culines. C'était presque toujours des fêtes où les sommes importantes
récoltées au cours de ces tenues servaient aux nécessiteux.
Les Soeurs maçonnes étaient des bienfaitrices et des moralisatrices. La
bienfaisance n'était plus l'apanage des congrégations religieuses. La
charité se laïcise.

Le 18è siècle, le Grand Siècle comme l'appellera Michelet, n'était pas


qu'un siècle des libertins. Les femmes n'avaient pas que des serviteurs
négrillons ou des services de table en porcelaine de la Compagnie des
Indes. Un bon nombre d'entre elles avait aussi une tête, et savaient s'en
servir.
Après la chute de l'ancien régime, les loges d'adoption tendent à péri-
cliter. Sous le 1 Empire l'Impératrice Joséphine essaye de réveiller
cette maçonnerie féminine. Rien d'étonnant à cela : son premier mari,
Alexandre de Beauhamais était franc-maçon, ainsi que son fils Eugène.
En 1805 à Milan, de Grasse Tilly constitue un Grand Orient de Rite
Ecossais et un Suprême Conseil d'Italie dont le Grand Commandeur,
futur vice-roi d'Italie est Eugène de Beauhamais, devenu Eugène Napo-
léon. Disons pour les mélomanes que n'est le frère Paganini qui exécuta
la musique rituelle de la cérémonie d'installation du Grand Comman-
deur. Ajoutons enfin que Joséphine de Beauharnais avait été initiée sous
l'Ancien régime et que devenue Impératrice, elle participait à des tra-
vaux dans la loge d'adoption «L'Impériale des Francs Chevaliers».

Sous la Restauration, les loges féminines disparaissent, mais c'est mal


connaître les femmes, dans la seconde moitié du 19 siècle, une jeune et
brillante journaliste, polémiste de surcroît, tient salon à Paris. Elle reçoit
tout le gratin républicain, politique et littéraire. Elle s'appelle Maria
Deraismes. Collaboratrice au «Grand Journal», à «L'Epoque», au
«Nain Jaune», elle revendique l'émancipation des femmes. Barbey

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d'Auvrevilly écrit un article féroce contre elle, intitulé «Les bas bleus».
Son indignation la détermine dans une action politique et la voilà enga-
gée pour la République et le droit des femmes. Muselée sous l'ordre
moral, elle organise des réunions clandestines, et après la chute de Mac
Mahon, elle revient au grand jour. Son salon devient le rendez-vous des
francs-maçons.

Initiée en 1882, dans une loge du Pecq, elle décide avec le Docteur
Georges Martin, de fonder une Grande Loge Mixte «Le Droit Humain».
En 1901 certaines soeurs quittent le Droit Humain, des femmes profanes
s'agrègent à elles et la Grande Loge de France leur offre la possibilité
de travailler en «Loge d'adoption», mais de nouveau les soeurs sont en
tutelle comme au l8 siècle Arrive la seconde guerre mondiale, c'est la
.

clandestinité, la résistance, les camps de concentration. Nombreuses


sont les soeurs décorées après la guerre. Hors de France, le Très Illustre
Frère René Raymond, Souverain Grand Commandeur du Suprême
Conseil de France prépare à Alger auprès du Général de Gaulle et du
Conseil National de la Résistance, le réveil de la maçonnerie en France
interdite sous Vichy, ainsi que le droit de vote aux femmes.

A la libération, la Grande Loge de France, reconnaissant que les


femmes étant devenues politiquement majeures, ne peuvent maçonni-
quement demeurer sous tutelle, décide en 1945 lors de son Convent
d'émanciper les Soeurs et de les aider à constituer «L'Union Maçon-
nique Féminine de France» qui deviendra en 1952 : «La Grande Loge
Féminine de France», travaillant comme nous au Rite Ecossais Ancien
et Accepté. Mais il manque à cette Grande Loge Féminine qui travaille
aux trois premiers degrés, tout le système des Hauts Grades avec à sa
tête un Suprême Conseil. De 1963 à 1970, des soeurs sont élévées en
Angletene progressivement aux différents Hauts Grades et le 19 avril
1970 à Londres est constitué par le Suprême Conseil Féminin du
Royaume Uni et du Commonwelth, le Suprême Conseil Féminin de
France. La pyramide Féminine Ecossaise était achevée allant du 1er au
33e degré avec séparation des pouvoirs entre la Grande Loge Féminine
et le Suprême Conseil tout comme nous, Grande Loge de France et
Suprême Conseil.

Sans pratiquer la mixité, nos soeurs ont la fraternité de nous accueillir


lors de leurs tenues. Nous n'abusons pas de leur délicatesse d'autant que
certaines d'entre elles à juste titre sont d'autant moins favorables à notre

49
présence que nous refusons toujours, mais c'est larègle, de les recevoir
en loge. C'est au fond la réponse des bergères aux bergers. Cela étant
les relations intérobédientielles sont excellentes.

Des loges d'adoption de l'Ancien Régime au Rite Ecossais Ancien et


Accepté chez les soeurs de nos jours, quel chemin parcouru
It's a long way to Tipperary!

L'allemand, dit-on, s'adresse au cheval, L'italien aux oiseaux, et le fran-


çais à l'homme.
Rien d'étonnant alors que ce qui est devenu le Rite Ecossais Ancien et
Accepté ait pris naissance en France.

Au début du 18e siècle, il y a l'Europe et le reste du monde peuplé en


grande partie de sauvages, noirs, jaunes ou rouges. Une âme blanche ne
peut habiter un corps noir, c'est l'évidence même.

Et les femmes ! Qui depuis le 6 jour de la création nous font croquer


des pommes et nous ont de ce fait obligé à gagner notre pain à la sueur
de nos fronts, ont-elles une âme?
Ainsi raisonnait-on.
Montesquieu lui-même avant d'être franc-maçon faisait poser bien des
questions à ses héros dans ses «Lettres Persanes» : «Monsieur est Per-
san ! Mon Dieu, comment peut-on être Persan ? ».
Quinze ans plus tard, le siècle des Lumières éclaire les princes, ainsi
qu'un certain nombre de leurs sujets. Le champ de la réflexion est plus
vaste, les esprits passent du carré au cercle, maçonniquement parlant de
l'equerre au compas. Chambers en Angleterre fait son encyclopédie et
Diderot, d'Alembert et Helvetius pensent à la leur. Fénelon a des idées
plus larges pour ne pas dire avancées concernant le monde, et Ramsay
imprime dans son discours la notion d'universalisme. Je cite
«Les hommes ne sont pas distingués essentiellement par la différence
des langues qu'ils parlent, des habits qu'ils portent, des pays qu'ils
occupent ni des dignités dont ils sont revêtus. Le monde entier n'est
qu'une grande république dont chaque nation est une famille et chaque
particulier un enfant. Nos ancêtres ont imaginé un établissement dont le

50
but unique est la réunion des esprits et des coeurs pour les rendre
meilleurs, et former dans la suite des temps une nation spirituelle».

Philosophiquement, le Rite Ecossais Ancien et Accepté reconnaît dès


son origine un principe créateur, qui a pour nom : «Grand Architecte de
1' Univers».
Si notre quête au cours des différents degrés initiatiques nous amène par
la raison au concept de Dieu, nous n'en faisons pas pour autant un Dieu
révélé à la façon anglo-saxonne et par respect pour les croyances des
autres frères, nous gardons le Grand Architecte de l'Univers comme
figuration de l'unité cosmique suprême intelligence universelle qui a
organisé l'ordre à partir du chaos.

Notre univers paraît construit et réglé avec une précision inimaginable,


à partir de quelques grandes constantes, des normes invariables, calcu-
lables. La science nous fait remonter de plus en plus loin dans ce
miracle mathématique. Peut-être finirons-nous un jour par connaître cet
horloger qui faisait tant rêver Voltaire.

Les rituels nous suggèrent pour chaque degré une conception du monde
et de la vie, un idéal et des méthodes de réalisation correspondantes
pour la construction du Temple Idéal comme nous le disons. Mais le
monde change et l'on doit s'y adapter en y réfléchissant.

A l'encontre des religions qui s'arrêtent à un idéal fixe, le langage sym-


bolique est admirablement approprié à l'élasticité nécessaire de nos
conceptions. Nos enseignements ne sont que des manières de voir en
commun, perfectibles pour une époque et une société transitoire. Ils ne
sont que des points d'appui pour aller plus loin. Chacun des degrés
conditionne le suivant et sert à la fois de base et de point de départ pour
une nouvelle réflexion. Le thème de l'initiation représente le passage de
l'un à l'autre et à chaque échelon, l'horizon s'élargit.

Les idées ont besoin d'être semées, même si les hommes qui les sèment
ne sont compris que dans un avenir plus ou moins lointain. Notre tâche
est donc de travailler à la construction du monde par le moyen de
l'esprit. L'homme est fait de chair et d'esprit et la grande aventure
humaine ne peut et ne doit être conditionnée. Jamais période de son his-
toire n'a été à la fois aussi passionnante et aussi inquiétante que celle
que nous sommes en train de vivre.

51
Il y a eu Athènes, Rome, la Renaissance, le Siècle des Lumières, mais
toutes ces civilisations étaient en vase clos. «L'homme était la mesure
de toutes choses».

Aujourd'hui, la connaissance que nous prenons de l'univers et du réel,


n'apparaît plus réductible à nos mesures ordinaires. Sans les ordina-
teurs, la lune serait encore un rêve pour l'homme. Notre monde est un
monde nouveau. En une seule génération notre connaissance de la
nature a dépassé toutes les connaissances accumulées depuis une tren-
taine de siècles. Nous en savons trop pour qu'un homme puisse en
savoir beaucoup, mais il ne nous est plus permis d'ignorer une décou-
verte, de rester sourds à la voix des autres peuples.

Aujourd'hui nous assistons à l'accélération de l'histoire par l'accéléra-


tion des progrès techniques. Nous pouvons quitter notre planète pour
explorer l'espace, mais nous pouvons aussi vérifier cette planète par un
acte démentiel. Nous sommes concernés «planétairement». Alors que
nous vivons une période chaotique, tous ces progrès techniques, cette
évolution pour ne pas dire révolution de la culture, devraient inciter les
hommes à s'organiser dans une harmonie aux limites de la terre.

Il nous faut admettre que d'autres puissent penser différemment que


nous. Il nous faut faire la synthèse du traditionnel et du révolutionnaire.
Cet équilibre, entre nous et le monde, est un acte terriblement difficile à
réaliser, mais telle est la nouvelle condition humaine. «Que la sagesse
préside à la construction de notre édifice», nous dit un Rituel.

La tâche du Rite Ecossais Ancien et Accepté est d'oeuvrer à cette


construction par le jeu de l'intelligence, c'est-à-dire la compréhension.
Construction de l'homme faire des hommes par la réflexion en com-
mun, véritable maïeutique, et aussi par l'esprit : «les conduisant pas à
pas vers le divin, mais en toute liberté, pour faire de ce monde comme
le disait notre Frère Ramsay : «Une nation spirituelle». Mais dans
laquelle chacun quelle que soit sa race, sa croyance, a droit au respect
des autres.

Son but est de tirer l'homme de sa torpeur profane en l'initiant : c'est-à-


dire en lui désillant les yeux pour mieux comprendre le monde et les
hommes, afin qu'il puisse apporter un peu de lumière au milieu des
ténèbres profanes. Voilà l'humanisme du Rite Ecossais Ancien et
Accepté. Vous allez me dire, un humanisme de plus, peut-être, mais

52
bien différent des humanistes profanes : humanisme marxiste, huma-
nisme existentialiste, héroïque ou nietzchéen, socialisme humaniste,
humanisme chrétien. Tous parlent de l'homme bien sûr, s'intéressent à
lui, mais chacun a sa résonnance, son programme, sa vérité, et au bout
du compte son ghetto.
«C'est la lutte finale Debouts les damnés de la terre Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous En dehors de l'Eglise point de salut».

Tous veulent des matins qui chantent, mais crient anathème pour les
autres.
Le maçon est un anarchiste par sa liberté de pensée ou plutôt par son
éducation à la pensée libre. C'est le refus de tout dogmatisme, de toute
idéologie. Anarchiste peut-être mais sa devise n'est pas le vieux slogan:
«Ni Dieu ni maître». Il reconnaît un Principe créateur, sous le nom de
Grand Architecte de l'Univers, laissant à chacun au nom de la tolérance,
la liberté de concevoir ce Grand Symbole. Cette liberté est telle que le
Grand Commandeur du Suprême Conseil, Adolphe Crémieux, avait écrit
en 1875, dans la déclaration des Principes du manifeste du Convent de
Lausanne:
«Aux hommes pour qui la religion est la consolation suprême, la
maçonnerie dit : Cultivez votre religion sans obstacle, suivez les inspi-
rations de votre conscience. La franc-maçonnerie n'est pas une religion,
elle n'a pas un culte».
Anarchiste sans doute ! Mais anarchiste discipliné car du 1 au 3Y
degré il reconnaît la hiérarchie et se plie à la discipline en loge où tout
peut être dit, à condition de respecter l'autre. «La maçonnerie accueille
tout profane, quelles que soient ses opinions en politique et en religion,
dont elle n'a pas à se préoccuper pourvu qu'il soit libre et de bonnes
moeurs».

Trois devises constituent le trépied de notre spécificité et la philosophie


de notre Rite.

A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers


Travailler à la Gloire de celui qui a su créer l'ordo ab chao dans cet uni-
vers, qui est comme le disait Bergson «une machine à faire des dieux».
Il est incontestable que notre création n'est pas de notre fait et que nous
sommes au monde grâce à quelque choseS qui nous dépasse. Mais c'est à

53
chacun de découvrir ce quelque chose et ce n'est pas à quelques-uns de
nous imposer une explication.
Déjà en 1875, le Grand Orateur du Suprême Conseil de France, le Très
Illustre Frère Malapert rendait les idées bien claires : «Nos bras sont
ouverts pour toutes les convictions. Nous ne donnons aucune forme au
Grand Architecte de l'Univers. Nous laissons à chacun le soin d'en pen-
ser ce qu'il veut et nous n'imposons pas plus la religion de Jupiter que
celle d'Adonaï. Toutes sont égales à nos yeux».

Deus Meumque Jus (Dieu et mon droit)


Dieu ! sans doute, mais avec le droit d'une pensée libre, comme nous le
disons dans notre Manifeste de 1875 «Le Créateur suprême a donné à
l'homme comme bien le plus précieux la liberté. La liberté, patrimoine
de l'humanité toute entière, rayon d'en haut qu'aucun pouvoir n'a le
droit d'éteindre ni d'amortir, et qui est la source des sentiments d'hon-
neur et de dignité».
Au nom de cette liberté nous avons le droit d'être respectés dans nos
convictions mais nous avons aussi et surtout le devoir de respecter
celles des autres.

Enfin Liberté - Egalité - Fraternité.


Cette trilogie, qui a fait trembler le monde, n'est pas encore établie par-
tout. Depuis la plus haute antiquité, les barbares campent toujours et les
génocides politiques ou religieux restent d'actualité. Depuis sa création
l'oeuvre de la maçonnerie, notre oeuvre à nous maçons, n'est pas encore
accomplie.
Car tant qu'il y aura une vérité à défendre,
Une eneur à combattre,
Un ignorant à instruire,
Un malheureux à secourir,
Un Frère à aimer,
Elle sera nécessaire
Albert Chevrillon

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