Gammes Et Modes Musicaux Parties I Et II
Gammes Et Modes Musicaux Parties I Et II
Gammes Et Modes Musicaux Parties I Et II
parties I et II
Alain Boudet
Dr en Sciences Physiques
www.spirit-science.fr
2006
Résumé: La gamme est un condensé de mélodie qu'on peut appréhender sans connaître le solfège, par l'approche
sensorielle. La gamme, c'est ce qui change sur les instruments à notes fixes lorsqu'on change la hauteur de la mélodie.
La notion de mode est naturelle et reliée à la hauteur relative. Un mode, c'est ce qui reste fixe lorsqu'on change la
hauteur de la mélodie. C'est une façon de diviser l'octave en échelons intermédiaires. Cette distinction est apparue
récemment dans l'histoire musicale, en même temps que l'idée de hauteur absolue.
Ceux qui, conditionnés par le gavage scolaire, s'imaginent que l'univers musical repose en tout et pour tout sur les
modes majeur et mineur, devront réviser leur point de vue et reculer les frontières de leur esprit. La construction des
modes devient un jeu surprenant et amusant. De la manière d'arranger des intervalles à l'intérieur d'une octave.
Découverte de nombreux types de modes produits par des cultures créatives de notre vaste monde. Modes
pentatoniques et heptatoniques. Gammes occidentales, tziganes, indiennes, contemporaines, chinoises, arabes, etc.
avec illustrations sonores.
Contenu de la partie I
• Une approche de la notion de gamme
• Hauteur relative, hauteur absolue
• Qu'est-ce qu'une gamme?
• Les degrés d'un mode
• Historique de la notion de hauteur absolue
Contenu de la partie II
• Mode majeur et mode mineur
• Modes moyenâgeux liturgiques
• Panorama des modes
• Modes tziganes. Intervalles d'un ton et demi
• Modes arabes, les maqâmât. Intervalles de 3/4 de ton
• Modes indiens, thaat et ragas
• Les modes pentatoniques occidentaux chinois et indiens
• Modes contemporains
• Musique populaire et musique d'érudits
• Abréviations pour la désignation des intervalles
I. Nature et constitution, une approche
sensorielle
Qu'est-ce qu'un mode? Existe-t-il d'autres modes que majeur et mineur? Quelles
différences y a-t-il entre un mode et une gamme?
Je me posais ces questions tandis que j'étudiais le solfège dans mon adolescence. Malheureusement, mon livre de
solfège n'apportait pas les réponses. J'ai donc fouillé ailleurs mais je ne disposais pas de documentation spécialisée
dans mon environnement. Heureusement par la suite, j'ai recueilli de bonnes connaissances à ce sujet dans les cours
d'éducation musicale Willems (avec Jacques Chapuis), puis la documentation spécialisée m'est devenue accessible. Or
ces connaissances recueillies me sont apparues, non pas comme un perfectionnement destiné aux spécialistes, mais
bien comme le fondement même de la pratique musicale. Pourtant, les écoles de musique conventionnelles
n'abordaient pas ce sujet dans la formation de base. C'est pourquoi je partage ici ma compréhension de ces notions,
de leur importance et de leurs implications, et je vous invite tout d'abord à les découvrir par vos sens dans cette
première partie.
L'approche est sensorielle, parce que nous découvrons avec nos sens, en l'occurrence l'oreille et le corps, à partir de
notre pratique musicale familière ou grâce à des exercices sonores que je vous propose. Cela s'oppose à une approche
théorique ou à un savoir intellectuel figé. Le savoir intellectuel est un fabuleux outil, mais coupé de l'expérience, il
devient porteur d'idées reçues sans vérification sensorielle. Exemple: si vous affirmez "une note ne sonne juste que si
elle est en rapport harmonique", est-ce votre constatation personnelle, ou la répétition de ce que vous avez lu? Vous
saisissez ce que je veux dire?
La notion de gamme nous est plus ou moins familière, car nous en entendons parler par ceux qui suivent des études
musicales instrumentales, à moins que ce soit nous-mêmes qui les suivions, et nous devons passer par la répétition
fastidieuse des gammes, Do majeur, La mineur, etc. Dans ce contexte, on apprend que le concept de "gamme" se
distingue du "mode". Il existe deux modes, le mode majeur et le mode mineur. A partir de chacun d'eux on construit
autant de gammes qu'il y a de notes de départ possibles, donc 12, Do majeur et Do mineur, DO# majeur et DO#
mineur, RÉ majeur et RÉ mineur, etc.
Cela semble un peu confus, et le but de cette première partie est d'examiner la nature et la constitution des modes et
des gammes afin de comprendre leurs différences. La deuxième partie exposera un ensemble varié de modes,.
Dans un article séparé, la troisième nous introduira à la science des nombres qui a présidé à l'élaboration de plusieurs
types de gammes au cours des temps, en fonction de la mentalité de l'époque.
La première note
Chantez la première phrase ("Au clair de la lune, mon ami Pierrot") sans les paroles, sur le son DOU. Puis sur un
clavier ou tout autre instrument de musique, repérez quelle la première note. Est-ce un LA, un SOL, un DO, un MI
bémol?
Il n'y a pas de note imposée, elle est ce qu'on veut. Vous avez le choix, cela dépend de votre voix. Certains d'entre
vous chantent plutôt aigu et d'autres plus grave. Or votre chant ne dépend pas de cette note de départ, car quelle
qu'elle soit, on le reconnaîtra, il gardera son identité.
Essayez de le chanter plusieurs fois en démarrant à chaque fois sur une note différente.
Mode chromatique
Lorsqu'on prend la note SOL comme base du mode majeur pour construire la gamme de SOL majeur (voir Partie I),
tout en respectant la suite des intervalles du mode majeur, il y a un barreau de l'échelle qui tombe en face d'une
marche qui est étrangère à la gamme de DO majeur: c'est la note FA#:
Gamme de SOL majeur:
SOL - LA - SI - DO - RÉ - MI - FA# - [SOL]
De même, lorsqu'on construit les autres gammes majeures, on inclut d'autres notes. Si l'on rassemble toutes les notes
des gammes usuelles en Occident, on obtient 12 notes différentes, étagées de demi-ton en demi-ton. Cela s'appelle la
gamme chromatique:
DO + DO#/RÉb + RÉ + RÉ#/MIb + MI + FA + FA#/SOLb + SOL + SOL#/LAb + LA + LA#/SIb + SI +
[DO]
On a ainsi défini les 12 positions possibles sur l'échelle (les "encoches") pour les modes à 7 notes.
Mode mineur, tierce mineure et intervalle d'un ton et demi
Mode mineur
Il est appelé mode de RÉ, parce que si on écrit le même mode en commençant par un RÉ, on a les notes naturelles de
la gamme de DO:
RÉ - MI - FA - SOL - LA - SI - DO - [RÉ]
Ce mode est utilisé en Occident sans que cela choque notre oreille même non éduquée. On le trouve également dans
la musique classique chez Beethoven dans L'hymne à la joie, par exemple. Contrairement à ce que l'on croit, il y a bien
d'autres modes que les modes majeur et mineur qui sont utilisés en Occident. Ainsi, au Moyen-Âge, il y avait 7 modes
liturgiques. Ils étaient la reconstitution (mais avec des erreurs) d'une branche de l'école grecque du philosophe
Pythagore. Bien qu'il soit surtout connu comme un mathématicien, il était en fait un maître de sagesse à la tête d'une
école des mystères. On y apprenait les lois de l'univers et de l'être humain, en particulier la loi des nombres, et
comment cette loi se manifeste dans la musique. Au VI e siècle de notre ère, le chant grégorien retrouve ces modes
grecs, mais fait confusion dans les noms. Dans la suite, j'emploie les noms médiévaux. Leurs équivalents grecs sont
donnés dans le tableau panoramique des modes.
Intervalles: TdTTTdT
Tierce mineure T+d et sixte majeure
C'est un mode symétrique parce que l'enchaînement des intervalles TdTTTdT est le même en montant et en
descendant. Vérifiez-le. C'est le seul mode symétrique parmi les modes anciens.
Le mode de DO ou hypolydien
Pour construire le mode de RÉ, on a utilisé les notes naturelles du mode majeur, et on a simplement décalé la note de
base en partant du RÉ au lieu du DO. De même, on trouve les autres modes en changeant de note de départ. Si on
part de la note DO, on obtient le mode majeur. Il était donc l'un des modes anciens, avec la dénomination de mode
hypolydien.
Or puisque les différents modes médiévaux sont composés des mêmes notes simplement décalées, et que la gamme
est un condensé des notes d'une mélodie, qu'est-ce que ça change dans la gamme? Et bien, vous pouvez vous en
rendre compte en écoutant Colchiques, qui a une atmosphère différente du mode majeur, plus suspendue peut-être. À
quoi cela est-il dû? Au choix du son fondamental, sur lequel, le plus souvent, on termine la mélodie.
Il faut donc préciser qu'un mode, ce n'est pas seulement un stock de notes disponibles. Chaque degré a un
caractère, une fonction qui est d'être situé à un intervalle précis par rapport à la note fondamentale . Le
son fondamental, c'est comme notre terre, notre sol. Le mode, c'est un voyage, un envol vers des couches élevées de
l'atmosphère, vers les planètes, le soleil (y a-t-il un rapport avec la note SOL?), les astres. Mais quel que soit l'endroit
où nous nous trouvons, nous sommes conscients d'être reliés par l'esprit (ou par le cœur) au sol, qui est notre point de
référence, notre point d'attache, notre point de retour, d'atterrissage, la note fondamentale. Voilà pourquoi chaque
mode sonne d'une façon vraiment spécifique.
Mode de LA ou hypodorien
Le mode de LA est obtenu en partant de la tonique LA: LA - SI - DO - RÉ - MI - FA - SOL - LA. Transcrit avec la
tonique DO, cela donne:
Mode de LA
Intervalle: TdTTdTT
Tierce mineure et sixte mineure
Le mode mineur moderne est la réminiscence de ce mode de LA.
Mode de MI ou phrygien
Le mode de MI est obtenu en partant de la tonique MI: MI - FA - SOL - LA - SI - DO - RÉ - MI. Transcrit avec la
tonique DO, cela donne:
Mode de MI
Intervalles: dTTTdTT
Tierce mineure et sixte mineure
Mode de SI ou hypophrygien
Le mode de SI est obtenu en partant de la tonique SI: SI - DO - RÉ - MI - FA - SOL - LA - SI Transcrit avec la
tonique DO, cela donne:
Mode de SI
Intervalles: dTTdTTT
Tierce mineure et sixte mineure.
Intervalles: TTdTTdT
Tierce majeure et sixte majeure
Mode de FA ou lydien
Le mode de FA est obtenu en partant de la tonique FA: FA - SOL - LA - SI - DO - RÉ - MI - FA. Transcrit avec la
tonique DO, cela donne:
Mode de FA
Intervalles: TTTdTTd
Super majeur avec tierce majeure, sixte majeure et une quarte augmentée.
Les intervalles musicaux ont des rapports avec le corps, les planètes, l'univers et chacun exprime une ambiance, ou
une qualité, une énergie. C'est pourquoi ils ne sont pas tous retenus dans une culture. L'Occident a développé la
polyphonie et la tonalité, dont les exigences ont éliminés beaucoup de modes (voir article Polyphonie et tonalité)
Modes à 7 notes (heptatoniques): modes médiévaux, quelques modes indiens, un mode tzigane, un mode arabe sans
quart de ton, un mode de Bartok. Les 7 degrés sont désignés par les noms indiens.
Nom Nom
Mode Nom médiéval SA RE GA MA PA DHA NI
hindoustanie karnatique
hypodorien
LA asavari DO RÉ MI b FA SOL LA b SI b
(éolien)
hypophrygien
SI DO RÉ b MI b FA SOL b LA b SI b
(locrien)
hypolydien shankara-
DO bilaval DO RÉ MI FA SOL LA SI
(ionien) bharanam
mayamala-
bhairava DO RÉ b MI FA SOL LA b SI
vagoulai
marava DO RÉ b MI FA # SOL LA SI
pooravi DO RÉ b MI FA # SOL LA b SI
raghupriya DO RÉ b MI bb FA # SOL LA # SI
Tzigane DO RÉ MI b FA # SOL LA b SI
Arabe
DO RÉ b MI FA SOL LA b SI b
Hijaz
Bartok DO RÉ MI FA # SOL LA SI b
Modes tziganes. Intervalles d'un ton et demi
Tandis que l'Occident prenait la voie de la polyphonie, l'Orient et le Moyen-Orient (Inde, Chine, monde arabe, etc..)
s'engageaient dans la musique monodique, les modulations mélodiques subtiles, et en particulier dans l'usage des
micro-intervalles. Ils ont élaboré et conservé beaucoup plus de modes que les Occidentaux. Portons donc notre regard,
ou plutôt notre oreille, en-dehors de l'Europe.
Les Tziganes vivent en Europe, mais sont originaires de l'Inde. Voici un des modes tziganes.
Mode tzigane
Intervalles: dGdTdTT
On remarque qu'elle comporte à la fois 2 bémols et un dièse, comme dans la gamme tzigane, mais pas aux mêmes
notes.
J'écris DHA plutôt que DA, car en langues indiennes (hindi, bengali, ..), il existe plusieurs sortes de A qui se
prononcent différemment. Exemple: dans HA, le H se prononce, et HA n'est pas identique à A.
Rappelons (voir Partie I) que les swaras désignent des hauteurs relatives. Elle varient selon les modes de façon voulue
et contrôlée par microintervalles (gamakam). La notion occidentale de gamme tempérée qui impose une valeur
égale pour tous les tons n'existe pas (voir Partie III).
La méthodologie pour créer un mode, exposée en haut de page, consistant à placer 7 degrés sur un ensemble de 12
échelons, doit être modifiée en ce qui concerne l'Inde. Car ici l'échelle comporte 22 échelons. Les intervalles entre
échelons, appelés shrutis, sont donc plus petits qu'un demi-ton et de valeurs inégales. Certains textes parlent même
de 66 intervalles dont seulement 22 ont été retenus en pratique.
Pour donner des repères aux occidentaux, certains comme A. Danielou ont donné des noms aux 22 shrutis:
SA / RE1 RE2 RE3 RE4 / GA1 GA2 GA3 GA4 / MA1 MA2 MA3 MA4 / PA / DHA1 DHA2 DHA3 DHA4 / NI1
NI2 NI3 NI4 / SA
Si nous choisissons DO pour tonique, les shrutis peuvent être représentés approximativement par les notes suivantes
ou + et - indiquent un tout petit intervalle, une sorte de quart de ton, en plus ou en moins:
DO / RÉb- RÉb RÉ- RÉ / MIb- MIb MIb+ MI / FA- FA FA# FA / SOL / LAb LAb+ LA LA+ / SIb SIb+ SI SI+
/ DO
Ce sont 22 notes différentes, même si plusieurs notes ont été désignées par des noms identiques.
Composer un mode ou thaat (ou thât), c'est placer 5, 6 ou 7 notes (swaras) principales et deux notes
accessoires parmi les 22 positions, selon des règles traditionnelles. Pour choisir les 7 notes, il y a 2 notes obligatoires,
inaltérables, SA et PA. Puis on choisit les autres selon plusieurs méthodes. Il y a une étape où l'on retient 12 swaras:
SA - REk RE GAk GA - MA MAt - PA - DHAk DHA NIk NI – SA
ou k (komal, doux) désigne une sorte de bémol et t (tîvre, aigu) est une sorte de dièse. Le tîvre n'est utilisé que
pour le MA. Puis on choisit le RE et le GA parmi les 4 notes qui suivent SA, le MA parmi les 2 MA possibles, le DHA et le
NI parmi les 4 notes suivant le PA.
Le son fondamental n'a pas de hauteur absolue. Il est choisi par les instrumentistes, puis reste fixe et constamment
joué à la manière d'un bourdon. La pratique du bourdon existe également dans de nombreuses musiques
traditionnelles européennes - française, bretonne, occitane - où il est souvent tenu par la vielle à roue ou la
cornemuse.
On peut ainsi construire 72 thaats, dont 10 principaux. Certains de ces modes sont identiques aux modes grégoriens et
l'un d'eux est notre mode majeur (voir plus haut le tableau de récapitulation des modes). Cependant l'interprétation
n'est pas la même à cause de l'utilisation de microintervalles et la notion de raga.
U n raga (ou rag ou ragam) est un mode élaboré, constitué d'une gamme de base, d'un son fondamental, de deux
notes de cette gamme choisies comme notes principales (équivalent de dominante) et de règles d'exécution. À partir
des 10 modes de base, il existe environ 600 ragas, dont 200 environ sont utilisés. Ils ont reçu plusieurs noms, en
fonction de l'époque et du lieu (Inde du Nord ou Inde du Sud).
Troisième mode
Effectuant une deuxième permutation, nous obtenons:
MI --- SOL - LA --- DO - RÉ - [MI], soit:
DO --- MIb - FA --- LAb - SIb - [DO], ou encore
SA --- GA - MA --- DA - NI - SA
Intervalles: GTGTT
Ce mode indien exprime l'ambiance d'automne, le passage, la naissance proche
Quatrième mode
Mode chinois II
Cinquième mode
Mode pentatonique V
Ainsi Claude Debussy, compositeur du 20e siècle, invente la gamme par tons, dont les notes sont toutes
espacées d'un ton. C'est une gamme à 6 notes, dite hexatonique.
Gamme par tons
Bartok, compositeur hongrois du 20 e siècle, a exploré plusieurs voies d'innovation. Il a entre autres utilisé l'un des
modes de Messiaen. Il a également profité de la richesse du patrimoine de la musique traditionnelle hongroise. Par
exemple, il en a tiré ce mode:
Mode de Bartok
Dans le dodécaphonisme (du grec "dodéca-", 12), les 12 notes de la gamme chromatique sont toutes employées de
façon égale. D'autres règles viennent cependant guider la composition.
Logiciel
Les fragments de partitions et les fichiers sonores correspondants ont été réalisées avec Melody Assistant, logiciel
dédié à l'écriture et l'impression de musique.
3 Janvier 2006
© Copyright 2006 - Alain Boudet
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