Enlevement Au Serail - Dossier Pedagogique 2015

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Dossier Pédagogique

2015

L’Enlèvement au Sérail
Musique de W.A. MOZART
Livret de Johann Gottlieb Stephanie

1782

En deux mots : l’histoire du sauvetage, par un jeune noble espagnol, de sa fiancée détenue dans le
harem d’un pacha oriental
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Sommaire

En 1782, il se passait quoi ?


Vue d’ensemble

I. Présentation de l’œuvre
1. Contexte de création
2. Argument
3. Guide d’écoute
4. W.A.Mozart

II. Autour de l’œuvre


1. Le Singspiel et la naissance de l’opéra allemand, auf Deutsch !
2. L’Orient dans L’Enlèvement au sérail et la mode des turqueries : comme un parfum
d’ailleurs… (Elisabeth Rallo)
3. L’Enlèvement au sérail et le contexte des Lumières (Marie-Jeanne Coutagne)

III. La production du Festival d’Aix-en-Provence


1. L’Enlèvement au sérail au Festival d’Aix-en-Provence : une longue histoire…
2. En coulisses : premières photos de maquette de la mise en scène de Martin Kušej et
compte-rendu de réunion technique
3. Martin Kušej, metteur en scène

IV. Pistes pédagogiques proposées par Fabienne Berthet et Frédéric Isoletta

V. Ressources
1. Lire
2. Écouter
3. Voir

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Vue d’ensemble

Quand ?
À la création de L’Enlèvement au sérail le 16 juillet 1782, Mozart est un homme enfin libre :
professionnellement puisqu’il a quitté, l’année précédente, l’archevêque Colloredo, son employeur
salzbourgeois, pour gagner Vienne où il entend mener une carrière indépendante ; mais aussi sur le
plan personnel car il épouse le 4 août suivant Constanze Weber, contre la volonté de son père.
L’Enlèvement au sérail est composé à une période où l’Empereur Joseph II, couronné en 1776,
entend favoriser l’émergence d’un opéra allemand au Burgtheater de Vienne ; il promeut ainsi le
genre du Singspiel auquel se rattache l’ouvrage, de même que La Flûte enchantée, que Mozart
composera en 1791. Chanté en allemand, le Singspiel se caractérise par une alternance de passages
chantés (singen, chanter) et parlés (spielen, jouer). Si l’Histoire évoque parfois la phrase qu’aurait
prononcée l’empereur à l’issue d’une représentation - « C’est trop beau pour nos oreilles, et il y a
trop de notes

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I. Présentation de l’œuvre

1. Contexte de création

Une commande impériale


Lorsque Mozart achève L’Enlèvement au sérail, il a déjà à son actif un certain nombre
d’opéras parmi lesquels La Fausse jardinière (1775), Le Roi pasteur (1775) ou encore Idoménée, créé
à Munich en 1781, année de sa rupture avec son employeur salzbourgeois, l’archevêque Colloredo.
Désormais installé à Vienne, il vit de ses compositions, de leçons et de concerts.
L’Enlèvement au sérail répond à une commande de l’Empereur Joseph II en vue d’honorer, à
l’origine, la venue dans la capitale autrichienne du duc Paul de Russie, futur tsar. Pour autant, à la
suite de divers changements, l’opéra n’est pas créé à cette occasion mais quelques mois plus tard.
L’Enlèvement au sérail est composé sur un livret en allemand, et non en italien, langue qui domine
alors sur les scènes d’opéra européennes. C’est que, dans le contexte d’éveil des consciences
nationales, l’empereur décide de favoriser l’émergence d’un opéra germanique et crée, en 1776, le
Nationaltheater (Théâtre national), où les ouvrages sont donnés en allemand et dont la direction est
confiée à Gottlieb Stephanie, le librettiste de L’Enlèvement au sérail. L’entreprise échoue cependant
dès 1783, le Nationaltheater laissant place à une troupe d’opéra bouffe italien.

La mode des turqueries


Si, à l’origine, L’Enlèvement au sérail peut donc être assimilé à un opéra de circonstance
composé pour un événement officiel - comme La Clémence de Titus, en 1791, célébrera le
couronnement de Léopold II -, il ne s’inscrit pas moins dans la mode des turqueries, en vogue à
l’époque.
Le Bourgeois gentilhomme, comédie-ballet de Molière et Lully créée en 1670, contient un
divertissement considéré comme la première turquerie musicale. Le genre désigne une œuvre
d’inspiration orientaliste représentant des Turcs, plus fantasmés que conformes à la réalité, fruits de
l’imaginaire européen. En musique, la turquerie demeure étroitement liée au registre comique,
propice aux caricatures, et l’authenticité n’est pas de mise. En Europe, le genre se maintient jusqu’à
la fin du XVIIIe siècle. À cette période, à Vienne, l’influence ottomane demeure forte, le dernier siège
de la ville par les Ottomans remontant à 1683. Selon la légende, le croissant aurait d’ailleurs été
inventé par les pâtissiers viennois en l’honneur de la victoire des troupes autrichiennes sur les
phalanges turques. Rien d’étonnant à ce que Mozart se soit laissé convaincre par ce livret, d’autant
qu’il se montre satisfait de sa collaboration avec Stephanie : « Tout le monde fait la moue quand il
s’agit de Stephanie. Il se peut que, même avec moi, il ne me montre ainsi d’amitié que lorsque je suis
avec lui, mais il n’en arrange pas moins fort bien son livret pour moi et comme je le veux – à un
cheveu près – et, par Dieu ! je ne lui en demande pas plus ». (lettre du 26 septembre 1781)

Une distribution de premier ordre


Au XVIIIe siècle, les turqueries sont aussi prétextes à la fabrication de somptueux décors et
costumes exotiques, mais le triomphe remporté par L’Enlèvement au sérail s’explique surtout par la
présence, dans la distribution, de trois chanteurs d’exception, membres de la troupe du
Nationaltheater. En Konstanze, Caterina Cavalieri, élève de Salieri et l’une des plus grandes sopranos
de son temps, fait merveille. Elle incarne d’ailleurs peu après Donna Elvira et la Comtesse Almaviva
lors des reprises viennoises de Don Giovanni et des Noces de Figaro.

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Caterina Cavalieri

Le rôle de Belmonte est confié au ténor Valentin Adamberger à qui Mozart dédiera par la suite deux
airs de concert. Enfin, Osmin est incarné par Ludwig Fischer, basse virtuose dédicataire de l’air de
concert K.432. De tels talents réunis ne font que stimuler la créativité de Mozart qui, comme
souvent, écrit sur mesure en exploitant les possibilités de ses interprètes.

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2. Argument

Les personnages

Selim, rôle parlé


Originaire d’Oran et chrétien de naissance, Selim a été contraint à l’exil en raison de sa conversion à
l’islam par le père de Belmonte, alors gouverneur de la ville. Depuis, il est devenu pacha (haut
dignitaire d’une ville de l’Empire ottoman), ce qui lui permet de régner sur un harem. Il tombe
amoureux de sa captive Konstanze.

Konstanze, soprano
D’origine espagnole, Konstanze est capturée avec sa servante Blonde par des pirates alors qu’elle
s’apprête à épouser son fiancé Belmonte. Vendues au pacha Selim, elles intègrent son sérail.
Konstanze devient la favorite du sultan qui en tombe amoureux, et bénéficie, de fait, d’un traitement
de faveur. Pour autant, elle reste fidèle à Belmonte, au grand désarroi du pacha.

Blonde, soprano
Servante de Konstanze, elle est faite captive, avec sa maîtresse du pacha Selim. Intégrée au sérail,
elle refuse de céder aux avances du grossier Osmin qui ne cesse de la commander. D’origine anglaise,
elle est très attachée à sa liberté. Amoureuse de Pedrillo, le valet de Belmonte, elle espère l’épouser
prochainement.

Belmonte, ténor
Fiancé à Konstanze, il apprend sa captivité dans les murs du pacha Selim après plusieurs mois grâce à
une lettre signée de son fidèle valet Pedrillo. Il quitte alors l’Espagne pour partir à leur recherche.
Malgré l’hostilité première du pacha, il est finalement libéré avec Konstanze, Blonde et Pedrillo.

Pedrillo, ténor
D’origine espagnole, il est valet auprès de Belmonte. Il est séparé de son maître lorsque des pirates
s’emparent de leur bateau et le vendent avec Konstanze et Blonde au pacha Selim. Il est nommé
gardien des jardins du pacha, une tâche qu’il ne remplit pas avec beaucoup de zèle. Amoureux de
Blonde, il a pour projet de l’épouser sitôt qu’ils auront recouvré la liberté.

Osmin, basse
Intendant de la résidence du pacha, il soupçonne les trois captifs, Konstanze, Blonde et Pedrillo, de
mauvaises intentions. Il voudrait leur faire endurer les pires sévices mais son maître l’en dissuade
constamment. Résigné, il tente de séduire, en vain, Blonde dont les charmes ne le laissent pas
indifférent.

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Acte I
Un jeune aristocrate espagnol, Belmonte, rôde au pied des murailles qui protègent le palais du pacha
Selim. Sa fiancée y est détenue depuis qu’elle a été enlevée par des pirates. Osmin, le gardien du
sérail, chasse l’inconnu puis soulage son irritation sur Pedrillo, l’esclave espagnol que le pacha a
nommé gardien de ses jardins. Après le départ du sbire, Belmonte se fait reconnaître de Pedrillo, qui
n’est autre que son ancien valet. Pedrillo le rassure : non seulement Konstanze vit encore mais elle
lui reste fidèle, bien que le pacha ait fait d’elle sa favorite. Tandis que Belmonte apprête un navire
pour leur fuite, Pedrillo va organiser l’évasion de l’intérieur. Le pacha ne tarde pas à rentrer de
promenade en compagnie de Konstanze. Il tente de lui faire la cour, mais en vain : elle réaffirme son
inébranlable fidélité pour Belmonte. Après lui avoir, à bout de patience, posé un ultimatum, le pacha
accueille avec distraction l’Espagnol, que Pedrillo fait passer pour un architecte. Forts de
l’autorisation suprême, les deux Occidentaux peuvent entrer librement dans le sérail malgré les
menaces d’Osmin.

Acte II
Blonde, la servante de Konstanze, partage son sort avec courage, quoiqu’elle ait été livrée comme
esclave à Osmin. Il est vrai qu’elle n’a pas été complètement séparée de son amoureux, Pedrillo. En
Anglaise éprise de liberté, elle sait tenir tête à la brute, et parvient même à le chasser afin de
réconforter Konstanze. Celle-ci affronte à présent, plus résolue que jamais, les menaces du pacha. La
situation paraît inextricable jusqu’à l’apparition de Pedrillo, qui confie à Blonde l’arrivée de Belmonte
et leur évasion imminente. Tandis que la servantecourt prévenir sa maîtresse, le valet entreprend
d’enivrer Osmin afin d’alléger leur surveillance. La ruse réussit outre mesure sur un musulman qui n’a
jamais bu d’alcool. Une fois le gêneur endormi, les deux couples se retrouvent brièvement, le temps
pour chacun de réaffirmer sa loyauté après une trop longue séparation.

Acte III
À minuit, devant l’enceinte du palais, Belmonte et Pedrillo s’apprêtent à disposer des échelles sous
les fenêtres de leurs belles et s’exhortent au courage. Konstanze parvient à s’échapper mais Osmin
paraît avant que Blonde ait pu descendre à son tour. Bien qu’engourdi encore, le cruel geôlier donne
l’alerte. La garde appréhende Blonde et Pedrillo, puis rattrape Konstanze et Belmonte. Osmin jubile
de pouvoir bientôt satisfaire sa cruauté sur ses quatre victimes. Alerté, le pacha Selim réagit tout
d’abord avec sévérité, d’autant que Belmonte s’avère être le fils de son pire ennemi, celui même qui
le condamna jadis à l’exil. Les deux couples se préparent à mourir, les femmes avec plus de
résignation que les hommes. Pourtant, le pacha prononce leur grâce, non par pitié mais pour leur
donner une leçon qu’ils rapporteront en Europe : la clémence est plus noble que la vengeance.

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3. Guide d’écoute

Ouverture
Si L’Enlèvement au sérail ne peut être assimilé à de la musique orientale, l’œuvre présente toutefois
des éléments évocateurs de l’Orient, notamment dans l’ouverture, riche de contrastes. Celle-ci se
compose de trois parties, la troisième étant une reprise de la première.

La partition s’ouvre sur un Presto (« vite ») enjoué, en do majeur, tonalité d’emblée affirmée à
travers la récurrence des notes principales do (la tonique) et sol (la dominante), et de l’accord de
tonique (premier degré de la gamme) do – mi – sol joué soit harmoniquement (en accord), soit
mélodiquement (arpégé).
Après quelques mesures piano confiées aux cordes seules, les percussions, facteurs d’exotisme car
évoquant l’univers des janissaires (le tambour, le triangle et les cymbales), font leur entrée, forte
cette fois : elles ponctuent une mélodie enlevée aux temps marqués, ornée de nombreuses notes
piquées, que l’on retrouve dans le chœur final de l’opéra. Les ostinatos – rythmes inlassablement
répétés – ainsi que la répétition de motifs (triolets de triples croches, gammes enchaînées à une
vitesse effrénée) créent une certaine tension.
Malgré quelques passages en mineur, la première partie s’achève triomphalement, en majeur, dans
la tonalité de la dominante, sol.

La section centrale est un Andante (« en allant, en marchant ») qui contraste par son tempo modéré,
le passage à une mesure ternaire à 3/8 (et non plus binaire à 2/2), le recours à plusieurs tonalités
mineures, la présence de nombreuses modulations (changements de tonalités) et d’articulations
liées, ou encore la place centrale dévolue aux instruments à vents, plus lyriques. Le motif principal de
cette section annonce l’air chanté par Belmonte « Hier soll ich dich denn sehen », au début du
premier acte.

Ces contrastes ajoutés à la présence des percussions contribuent à créer une atmosphère orientale
typique des turqueries musicales de la fin du XVIIIe siècle : « L’ouverture dessine Presto les portiques
du palais oriental du pacha […] pour planter au milieu le cœur de Belmonte », résume Piotr Kaminski.

Outre la dimension orientale, L’Enlèvement au sérail se caractérise aussi par une juxtaposition des
registres comique et tragique, correspondant chacun à des formes musicales bien précises.

Acte II : « Martern aller Arten » (Toutes sortes de supplices)


Des plus tragiques, l’air « Martern aller Arten » est chanté par Konstanze au deuxième acte dans un
moment où se mêlent colère et résignation, après le désespéré « Traurigkeit » : malgré l’insistance
du pacha, la jeune femme réaffirme sa fidélité à son amant Belmonte quel que soit le prix à payer. Si
elle devait endurer des supplices, la mort l’en délivrerait.
Pour cet air de bravoure, Mozart choisit une forme en deux parties à l’esthétique directement issue
de l’opera seria (genre sérieux, tragique, par opposition à l’opera buffa, comique). Caractérisée par
une grande virtuosité et un tempo rapide, Allegro, la partition comprend de redoutables sauts
mélodiques traduisant la colère du personnage - les trois premières mesures de la partie chantée,

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« Martern aller Arten », enchaînent ainsi une quarte descendante à une sixte ascendante -, présente
une tessiture (écart entre la note la plus aiguë et la note la plus grave) très étendue et de
nombreuses vocalises (à une syllabe correspondent plusieurs notes). Dans un souci de figuralisme,
les gammes, vertigineuses, permettent de mettre en valeur certains mots (le O de « belohne »,
« récompensera », le E de « Segen » « la clémence ») ou d’illustrer le texte (le A de « verlache », je
me ris).
L’autre élément remarquable, propre à la musique savante et donc au genre seria, réside dans la
présence de quatre instruments solistes, une flûte, un hautbois, un violon et un violoncelle, qui
dialoguent avec la voix. Cette configuration rappelle le concerto grosso, en vogue au XVIIe siècle, où
un groupe d’instruments solistes dialogue avec le reste de l’orchestre.

À l’opposé, le duo d’Osmin et Pedrillo célébrant le bon vin et les jolies femmes instaure une toute
autre atmosphère.

Acte II : « Vivat Bacchus ! Bacchus lebe ! » (Vive Bacchus, Bacchus soit loué)
Le duo met en scène Osmin, gardien de sérail aux pulsions primaires, et Pedrillo, serviteur de
Belmonte reconverti en jardinier. Savourant un verre de vin, ce dernier parvient à inciter Osmin,
malgré les interdits religieux, à faire de même. Il s’agit en fait d’un stratagème destiné à l’endormir et
permettre ainsi la fuite de Konstanze, Blonde et Belmonte.
Un chant de célébration au vin et aux femmes ne peut qu’être le fait de personnages comiques,
avant tout soucieux de satisfaire des besoins charnels, tout comme Papageno dans La Flûte
enchantée.
Le duo est écrit dans un style relativement simple : la mélodie, réjouissante et facile, est très
conjointe (peu de sauts entre les notes) et assez répétitive ; elle s’étend sur une tessiture
relativement limitée (écart réduit entre la note la plus aiguë et la plus grave). La partition multiplie
les passages homorythmiques (les personnages chantent sur les mêmes rythmes), pour une
meilleure compréhension du texte par exemple sur « Es leben die Mädchen, die Blonden, die
Braunen » (Vivent les filles, les blondes, les brunes), déclamé avec ferveur par Osmin et Pedrillo.
Le départ en anacrouse, sur un temps faible - le deuxième dans une mesure à 2/4 comme c’est le cas
ici - tend à asseoir durablement la rythmique à 2/4 tandis que le caractère populaire se voit accentué
par le choix de la tonalité de do majeur (aucun dièse ni bémol), simple et lumineuse.

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4. W.A.Mozart, compositeur (1756-1791)

Un enfant prodige sur les routes d’Europe


Fils du compositeur et violoniste Léopold Mozart et de Maria Anna Pertl, Wolfgang Amadeus
Mozart naît à Salzbourg le 27 janvier 1756, benjamin d’une famille de six enfants, dont deux
seulement survivent : lui et sa sœur Maria Anna. Dès l’âge de trois ans, le garçon fait preuve de
prédispositions musicales hors du commun qui incitent son père à se consacrer exclusivement à la
formation de son fils, en organisant des tournées, d’abord en pays germaniques, puis dans toute
l’Europe. En 1762, Vienne découvre les talents du jeune Mozart : lors de sa visite à la cour, intrépide,
il saute au cou de l’impératrice. Entre 1763 et 1766, la famille se rend à Francfort, Bruxelles, La Haye,
Paris et Londres où Mozart se lie d’amitié avec Johann Christian Bach. De 1769 à 1771, le
compositeur séjourne en Italie et reçoit de Milan la commande d’un opéra : Mitridate, Rè di Ponto.

Musicien indépendant à Vienne


En 1778, son deuxième séjour à Paris ne lui apporte que déceptions : au décès de sa mère
s’ajoute le désintérêt du public parisien à l’égard d’un jeune homme de vingt-deux ans qui ne fascine
plus autant que l’enfant prodige.
Deux ans plus tard, il compose pour Munich Idoménée, son premier opéra de la maturité.
Premier violon à la cour du prince-archevêque de Salzbourg depuis l’âge de douze ans, il rompt en
1781 un rapport d’allégeance qu’il exècre, pour mener une carrière indépendante à Vienne. L’année
suivante, peu après la création de L’Enlèvement au sérail le 16 juillet au Burgtheater de Vienne, il
épouse, contre l’avis de son père, Constanze Weber, sœur de son amour déçu, Aloysia. Les difficultés
financières se font régulièrement sentir car Mozart peine à obtenir un poste à la cour. Il vit tant bien
que mal de concerts, de ses compositions et de leçons. Grâce à l’appui du librettiste Da Ponte, il
parvient à faire représenter, en 1786, Les Noces de Figaro, qui remportent un grand succès. Après ce
triomphe, Prague lui commande Don Giovanni, créé en 1787. Così fan tutte, en 1790, marque la fin
de sa collaboration avec Da Ponte.

Au total, près de six cents œuvres


La dernière année, particulièrement prolifique, est celle du Requiem, de La Clémence de
Titus, œuvre de circonstance commandée à l’occasion du couronnement de Léopold II, et de La Flûte
enchantée. Probablement victime de surmenage et d’une fièvre aiguë, Mozart meurt le 5 décembre
1791 à Vienne, âgé de trente-cinq ans. Le Requiem, inachevé, est complété par son élève Süssmayr.
Le catalogue, établi par Köchel, fait état de près de six cents œuvres dans les genres les plus divers :
musique de chambre, symphonies, concertos, messes… mais toutes ou presque recèlent une
dimension dramatique rappelant la prédilection du compositeur pour le théâtre.

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II. Autour de l’œuvre

1. Le Singspiel et la naissance de l’opéra allemand, auf Deutsch !

Une réaction à l’opéra italien


L’Europe du XVIIIe siècle est dominée par l’opéra italien. Dans les pays germaniques, ce dernier
cohabite cependant avec un genre plus populaire, le Singspiel, qui marque la naissance de l’opéra
allemand. Comme l’opéra-comique français, le Singspiel alterne passages parlés (« spielen ») et chantés
(« singen »), et se constitue dans un élan de prise de conscience nationale contre l’opéra italien, comme
le rappelle Timothée Picard (Tout Mozart, Bouquins) : « [Le Singspiel] est né du désir de s’émanciper de
l’italianisme culturel et de créer un opéra authentiquement national, un genre dans lequel les scènes
d’action seraient parlées, au lieu d’être chantées en récitatif. […] Mozart va révéler toutes les
potentialités et toute la richesse de ce type d’œuvres ».
Si le Singspiel revêt au XIXe siècle des formes plus élaborées, il est conçu au départ comme un
genre résolument populaire qui, chanté en allemand, se veut accessible à tous. Tirant sa forme de
l’opéra-comique français et du ballad opera anglais, il connaît son apogée à la fin du XVIIIe siècle avec
Mozart qui lui donne ses lettres de noblesse par l’ajout d’éléments tragiques, dans L’Enlèvement au
sérail mais aussi dans son autre Singspiel, La Flûte enchantée.

Burlesque mais pas seulement


De même que l’opéra-comique qui, au cours de son évolution, se départit peu à peu de sa
dimension burlesque – le meilleur exemple en est Carmen de Bizet (1875) où l’héroïne meurt à la fin -, le
Singspiel intègre au fur et à mesure des éléments plus sombres. Mozart passe pour un maître en la
matière, lui dont l’idéal consiste justement à mêler, comme dans L’Enlèvement au sérail, les registres
comique et tragique : « L’Enlèvement au sérail est, à plus d’un titre, révélateur de cette synthèse réussie
qui devient une constante de cet opéra allemand naissant et fera des émules », analyse Christian Merlin.
Les personnages sont ainsi répartis autour de deux couples : l’un, noble (Konstanze et
Belmonte), l’autre, populaire (Blonde et Pedrillo), dotés chacun de styles musicaux différents. Cette
configuration devient constitutive du Singspiel et on la retrouve dans La Flûte enchantée (Tamino /
Pamina – Papageno / Papagena) ou encore Fidelio de Beethoven (Léonore / Florestan – Marcelline /
Jaquino).

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2. L’Orient dans L’Enlèvement au sérail et la mode des turqueries : comme un parfum
d’ailleurs… (Elisabeth Rallo)

La mode des turqueries a marqué toute l’Europe du XVIIIe siècle. À cette époque, la Turquie
incarne dans l’imaginaire de l’Occident chrétien la figure d’un islam destructeur, violent et stérile : les
idées propagées par une certaine littérature (voyageurs, commerçants, diplomates) sont crues sans
vérification. On pense que la polygamie est généralisée et que la femme n’est qu’un objet sexuel.
Cette représentation de la femme, qui appartient entièrement à l’homme, séduit les imaginations
masculines européennes, confortées par la traduction des Mille et une nuits par Antoine Galland, au
début du siècle, et donne lieu à l’éclosion d’une abondante littérature érotique et pseudo-orientale,
avant que les philosophes et les écrivains des Lumières s’en emparent à d’autres fins. Il faut citer par
exemple une œuvre antérieure fondamentale pour l’image de l’Orient et la valeur de la tolérance,
Nathan le sage de Lessing, publiée en 1779 mais jouée seulement en 1783. Et également le récit du
voyage en Turquie de Madame Montagu, femme de l’Ambassadeur d’Angleterre, qui fut un succès
en son temps.
Le contexte viennois est particulier : l’Empire Ottoman est bien connu des Autrichiens, il a
été leur ennemi et a marqué la culture viennoise (qui leur doit la mode du café et… des croissants !).
C’est une puissance crainte et respectée à la fois, et moins exotique pour les Autrichiens que pour les
Français. L’emploi chez Mozart de la musique pseudo turque exorcise quelque chose, le fait de créer
une turquerie sur fond de piraterie « barbaresque » et d'esclavage d'Européens en terre d'islam
aussi.
L'Enlèvement au sérail est le revers buffa d'un opéra dont il existe un avers seria, mais
inachevé, Zaide (1779). Pachas, vizirs et belles esclaves européennes enlevées, sans oublier
l’eunuque : on a là l’imagerie coutumière dans les pièces de théâtre et les livrets d’opéra qui brodent
sur ces éléments d’un Orient de pacotille. Mais l’opéra de Mozart va au-delà des apparences, il est
complexe, ambigu et ne laisse pas de poser des questions sur cet Orient – et ce qu’on en fait.

La couleur d’Orient
Le décor est volontairement idyllique, en contraste avec la violence ambiante. Même Blonde
y sera sensible, incitant Konstanze à goûter les charmes de la belle nuit orientale. Un printemps
délicieux, des fleurs, des fruits et des oiseaux et une belle nuit d’Orient : nous sommes dans
l’imagerie traditionnelle et sans doute aussi assez près de la réalité si on en croit les récits de
voyages.
Le sérail est le lieu où se passe l’action. Le public de l’époque adore les histoires de sérail qui
font jouer l’érotisme et le sadisme dans un cadre enchanteur. Le sérail est le point de rupture entre
Orient et Occident : ce que les Européens ne tolèrent pas et qui les intrigue, ou même les fascine. Le
rapport amoureux y est raconté sous forme de soumission et de sensualité, de domination de
l’homme aussi.
Peut-être Mozart a-t-il lu les Lettres de Turquie de Madame Montagu, femme de Lord Hervey
Montagu qui est nommé en 1716 ambassadeur de Grande Bretagne à Constantinople, chargé de
donner le point de vue de l’Angleterre dans le conflit qui oppose la Turquie à l’Autriche. Lady
Montagu décide de l’accompagner et entreprend le long voyage – un an – de Londres à
Constantinople par voie de terre.

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Elle apprend la langue turque, qui s’écrit alors avec l’alphabet arabe. Elle fréquente les gens
de son rang et a des amies parmi les femmes du harem, les trouve libres dans leur réclusion – parce
qu’elles acceptent cette réclusion, et souvent la détournent à leur profit. Dans ses Lettres de Turquie,
publiées en 1763, Lady Montagu aborde donc les questions qui se posaient aux Européens, celles qui
concernaient la condition féminine. Elle a pénétré dans le sérail et en a donné un récit nuancé. Lady
Montagu a fréquenté les « odalisques », elle sera reçue dans le harem impérial où vivent près de 600
femmes et elle serait la première à avoir eu ce privilège. Elle raconte leurs appartements clos et frais,
faits de jardins intérieurs, de volières et de fontaines et de bassins d’eau, leurs occupations, leurs
bains « turcs », leurs fêtes et leurs danses. Ces lettres ont donné de la matière à réflexion en leur
temps, sur l’Islam et sur la Turquie. Elle relativise les valeurs occidentales, celles de l’Islam méritent
d’être connues et sont recevables, selon elle. Elle élargit en fait la notion d’universalité.

Le gardien du sérail est une figure type des récits et des romans. Ici, Osmin est une véritable
caricature et porte en grande partie le comique de l’œuvre.
Osmin est l’œil officiel du despote, son « favori et espion » (Acte I, scène 4). Son juron favori
est « Poison et poignard ». Il est soupçonneux, sensuel, gourmand, cruel, fanatique. Il se comporte
tout le temps en garde-chiourme, maltraite Pedrillo qu’il voit sans cesse comme un rival et cherche à
lui nuire, il le voue aux gémonies et imagine pour lui de terribles supplices : « D’abord décapité, puis
pendu, puis empalé sur un brûlant pieu, puis brûlé, puis enchaîné, et noyé, à la fin écorché » (Acte I,
scène 3) : le tout est dans le désordre et assez drôle mais relève tout de même de la cruauté
sadique ! Comme il est berné en permanence, on ne saurait le prendre au sérieux, ni prendre au
sérieux son portrait outré d’oriental effroyable. Pourtant, il n’est pas sot et il a de l’intuition, il fera
échouer l’enlèvement. Il reste bien dans le droit fil de ce qu’on dit en général des gardiens de sérail
sur le mode sérieux : s’il était dans une œuvre seria, il serait terrifiant.
C’est le personnage que l’on représente comme musulman, il dit « Par la barbe du
Prophète » sans cesse, et prétend respecter les prescriptions de sa religion, mais se laisse aller à
boire du vin. Pedrillo, qui le connaît, sait qu’il ne dira pas non : « Il va peut être mordre à l’hameçon,
il aime trop la bouteille » (Acte II, scène 7). C’est à peu près tout ce qu’on trouve sur la religion
musulmane dans l’œuvre et cela ne dépasse pas les clichés du temps. Les plaisanteries que fait
Pedrillo pourraient être lancées contre une autre religion, on ne peut certes y voir une attaque
contre la religion musulmane : « Il y a longtemps que Mahomet dort et il a mieux à faire que de se
soucier de ta bouteille de vin », dit-il pour convaincre Osmin. Mais on notera qu’il n’y a aucune
valorisation de la religion musulmane non plus.

La confrontation des nations


Les personnages sont de nationalités différentes, ils ont leurs caractéristiques, mais forment
tout de même le groupe des Européens face aux Orientaux. Ils défendent les valeurs de l’Occident et
de la chrétienté, plus ou moins bien selon leur statut social.
Konstanze et Belmonte sont les amoureux fidèles et sincères, leurs valeurs ne sont pas celles
de l’Orient et ils ne veulent pas les trahir. Selon l’usage de l’époque, les fiançailles valent mariage et
donc jamais Konstanze ne pourra répondre à Selim, même si elle semble avoir une certaine
« inclination » pour lui – ou au moins de l’estime. Belmonte est amoureux et courageux, digne de sa
haute naissance espagnole, selon les représentations de l’époque.
Blonde est anglaise, son image est tout aussi fabriquée que celle des Espagnols ou des O -
rientaux. Pour Mozart, pour l’Europe en général, l’Angleterre est le pays de la liberté. « Je suis

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Anglaise, née pour la liberté », dit-elle fièrement à Osmin qui veut la soumettre ! (Acte II, scène 1).
Elle est une fille forte et courageuse, elle n’a pas peur d’Osmin, qu’elle manipule, et elle défend son
droit, celui des femmes libres.
Pedrillo est un serviteur traditionnel, celui qu’on appelle gracioso dans les comédies
espagnoles. Il est bavard et joyeux, il aime le vin, il est d’une couardise sans vergogne : « La vaillance
est une chose bien vaine ! Celui qui n’en a pas n’en aura pas à force d’en vouloir ! Ce que mon cœur
bat ! Mon papa devait être un sacré poltron », dira-t-il au moment d’agir (Acte III, scène 3). En
revanche, il est de bon sens, et sait jouer de la ruse. Il est le valet espagnol sympathique et
indispensable, pas très à cheval sur l’honneur et sur l’honnêteté, malgré son origine, « une bonne
vieille famille chrétienne espagnole » (Acte III, scène 8). Pourtant la tentative d’enlèvement échoue
et ce n’est pas lui qui résoudra l’intrigue : ce sera bien le maître en personne.

Le despote et le pardon
Selim est le personnage principal, celui qui est au centre de l’intrigue et de la signification de
l’œuvre. Pourtant, il a un rôle parlé et non chanté. Et il est loin de se laisser cerner facilement. Le
despotisme est le point central de la pensée du XVIIIe siècle et des Lumières, et l’Orient sert à le
penser et à le questionner, à questionner le pouvoir absolu. Le thème de la clémence est très
répandu dans les œuvres du temps. Le Turc « si bon si généreux, si magnanime », le tyran qui
pardonne est un type aussi. Mais Mozart en fait quelque chose de plus.
Selim a acheté les deux jeunes filles et les retient prisonnières, il veut leur imposer des
maîtres, lui-même pour Konstanze et Osmin pour Blonde. Tout le monde vit sous l’œil du despote et
on est contraint de lui obéir. Il a sa garde, les hommes armés, l’eunuque. Les femmes sont sous haute
surveillance : « Les janissaires font leur ronde toutes les heures » (Acte III, scène 2). Pedrillo
entretient les fleurs et les fontaines, et fait passer Belmonte pour architecte afin qu’il puisse
approcher Konstanze. C’est prendre de gros risques : Selim n’est pas tendre, il est violent et cruel, il
fait décapiter quand il le veut ceux qui s’opposent à lui : « Le pacha a beau être un renégat, quand il
s’agit de couper des têtes, c’est un vrai Turc », dit Pedrillo (Acte III, scène 1). Mais son portrait est
plus nuancé qu’il n’y paraît.
Mozart et Stephanie ont supprimé la conversion au christianisme de Selim que l’on trouve
dans le Singspiel de Christoph Bretzner. Et pour cause : Selim n’est pas un oriental, il est Espagnol. Il
est un renégat, comme l’explique Pedrillo à Belmonte, ce qui selon lui explique sa délicatesse envers
les femmes. Il fait donc partie des Espagnols qui ont rejeté la religion chrétienne et adopté les mœurs
et la religion orientale : de nombreux chrétiens réduits en esclavage en Afrique du Nord se
convertissaient et devenaient des « renégats » (renegados) et Selim était à Oran avant d’aller en
Turquie, comme il l’expliquera lui-même à Belmonte, dont le père était gouverneur d’Oran. On
apprendra (Acte III, scène 6) que c’est à cause du père de Belmonte que Selim a quitté sa terre
natale, père chrétien et très cruel, qui a ruiné la vie de Selim, lui enlevant tout, en particulier la
femme qu’il aimait.
La question se pose de la nécessité d'inventer cette histoire de renégat et de chrétien
converti avant de faire que Selim pardonne la conduite du fils de son plus terrible ennemi. Il est vrai
qu’il n’a pas le « profil » parfait du tyran Turc. Il est certes conforme, par certains côtés, à l’image que
s’en font les Européens, mais sa conduite avec Konstanze n'est guère celle d'un maître de harem
(voir Les Lettres Persanes et la figure d'Usbek, éclairé peut-être, mais vraiment tyrannique chez lui),
sa façon d'être est celle d'un amant européen, « colorée » à l’orientale.

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En effet, malgré une certaine violence, Selim est un être distingué, dont « les passe-temps
sont l’architecture et l’art des jardins », il a « assez de délicatesse pour ne contraindre aucune de ses
femmes à l’aimer » (Acte I, scène 4). Il respecte Konstanze et lui parle comme un amoureux transi,
comme dit justement Pedrillo : « Toujours aussi triste Konstanze chérie ? Toujours en pleurs ?…c’est
à toi seule qu’il appartient de me donner ton cœur,… à toi seule » (Acte I, scène 7). Du reste, les
premiers mots que prononce Konstanze sont pour l’appeler homme magnanime. Elle dit aussi sa
confiance en lui : il a un cœur bon et compatissant. Si Selim profère quelques menaces, dans
l’ensemble, il sait parler d’amour. La prisonnière est reine du sérail, reine de son cœur : « Selim a
aussi un cœur, Selim sait aussi ce qu’est l’amour » (Acte I, scène 8) et on apprendra à la fin qu’il a été
amoureux et que sa bien-aimée lui a été enlevée. Il ne veut pas la contraindre, il espère se faire
aimer et son ultimatum ne semble pas complètement dangereux.
Est-ce parce que c’est un homme exceptionnel… ou parce qu’il n’a pas oublié les valeurs et
les mœurs de sa nation d’origine ? Chrétien un jour, chrétien toujours ? Selim va pardonner les
offenses que les jeunes gens ont commises envers lui. Et le pardon est présenté dans la religion
chrétienne comme valeur phare. Le pardon de Selim est d’autant plus grand que la faute du père de
Belmonte a été plus lourde envers lui. Il a aimé une bien-aimée qui était tout pour lui, dit-il, et il est
fou amoureux de Konstanze à nouveau. Tous les critiques le disent touché par la force des amoureux
et leur amour mutuel : peut-être est-ce un souvenir du sien autrefois ? Ces deux amants espagnols lui
rappellent son passé… et le pardon chrétien s’impose ?

On voit qu’il n’est pas si simple de dire que Mozart et son librettiste opposent deux mondes
et penchent en faveur du monde oriental.
Alors quel sens donner à la clémence de Selim ? On peut aussi voir dans le geste de Selim une
sorte de « pensée de l’équilibre », son geste rachète et équilibre le mal qu’a fait le père de Belmonte,
les événements se disposant selon une sorte d’harmonie universelle, harmonie « naturelle » mais qui
doit être maintenue par la volonté humaine : « réparer par des bienfaits une injustice subie est une
joie bien plus grande que de rendre le mal pour le mal » (Acte III, Dernière scène). On s’élève au-
dessus de la loi du Talion. « Rien n’est plus laid que la vengeance / Mais l’humanité et la clémence /
Et le pardon sans égoïsme / Sont l’apanage des grandes âmes », chantent les jeunes gens à la fin. On
voit déjà ici les prémisses de la pensée maçonnique.
L’éloge de la tolérance, la condamnation de la violence ne font en tout cas aucun doute : ce
qu’Osmin a rêvé, le père, chrétien, de Belmonte l’a fait : c’est lui le barbare, au moins aussi barbare
que les Turcs. Mais le pardon de Selim pose des questions auxquelles il est difficile de répondre
simplement : en effet, ce personnage qui ne chante pas (on a voulu y voir une figure de Joseph II) a
une véritable profondeur et change au cours de l’opéra. Il passe d’un comportement de despote à
celui d’un être qui possède une grande âme, il découvre qu’imiter son ennemi, c’est être comme lui :
« J’ai trop exécré ton père pour suivre ses traces », dit-il à Belmonte. Il espère avoir appris quelque
chose à Belmonte : « Sois plus humain que ton père et mon geste aura sa récompense », avoir fait
grandir l’humanité en lui.
Mozart et Stephanie n’opposent pas deux mondes de façon simple et ne font pas l’éloge des
Turcs et de l’Islam : ils font de cette histoire le récit du cheminement intérieur de Selim, une prise de
conscience et un mouvement magnifique vers la tolérance et la générosité, simplement humaines.

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3. L’Enlèvement au sérail et le contexte des Lumières (Marie-Jeanne Coutagne)

« Je suis enchanté de cet opéra, je dois l’avouer ». (Mozart à son père, Vienne, 29 mai 1782)

« Messieurs les Viennois (parmi lesquels, il faut comprendre, en tête, l’Empereur) ne doivent pas
s’imaginer que je suis au monde pour Vienne seule. Je crois être en état de faire honneur à n’importe
quelle Cour. Si l’Allemagne, ma chère patrie, dont je suis fier (vous le savez), ne veut pas m’accueillir,
par Dieu ! Il faudra donc que la France ou l’Angleterre s’enrichissent de nouveau d’un habile Allemand
de plus ! À la honte de la nation allemande ». (Mozart à son père, Vienne, 17 août 1782)

Aleksandra Kurzak (Blonde) et Kristinn Sigmundsson (Osmin), 2008


(crédits: Ken Howard / Metropolitan Opera)

L’Enlèvement au sérail : une « turquerie » politique… lumineuse !


Le 16 mars 1781, Mozart arrive à Vienne où il vient rejoindre son employeur, le prince-
archevêque de Salzbourg, Hieronymus Colloredo. Le 9 mai 1781, après quelques impertinences et
une réplique cinglante de l’archevêque qui le traite publiquement de voyou, Mozart lui donne sa
démission et est chassé de la salle d’audience à coups de pied par le majordome de l’archevêque :
« Je ne savais pas que j’étais un valet de chambre !! ». Mozart s'installe alors dans la capitale
autrichienne comme compositeur indépendant, dans la pension de Madame Weber : elle a trois
filles, dont l’une Constance plaît aussitôt à Mozart.
Voilà Mozart libre ! Première raison de son bonheur. Seconde raison : il obtient non sans
difficultés l’autorisation paternelle d’épouser Constance.
Pourtant il serait erroné de restreindre l’enjeu de L’Enlèvement à cette exubérante fête de
l’amour triomphant qui transparaît à chaque page de la partition de cet opéra lumineux ! Car ce chef-
d’œuvre a aussi une claire intention politique en ce siècle des Lumières, époque d’émancipation de
toute tutelle comme le dira si bien Kant, alors que nombre d’intellectuels et d’artistes se sentent
emportés par l’ouragan de liberté qui secoue l’Europe. Le sujet de L’Enlèvement est comme une
métaphore de cette euphorie politique, et la forme ambiguë et joyeuse de la « turquerie » qui sert
de prétexte et de trame à l’ouvrage ne dissimule en rien ce propos : au contraire il le révèle
magnifiquement.
Dans un article sur L’Enlèvement au Sérail publié dans l’Avant-Scène opéra n° 59 (janvier
1984), Brigitte et Jean Massin ne s’y sont pas trompés. Pourtant il semble possible, sans contredire

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leur analyse, d’ajouter quelques remarques et de prolonger la référence insistante de Mozart aux
penseurs des Lumières qui soutiennent son œuvre et lui permettront un peu plus tard, en 1784, de
rejoindre la franc-maçonnerie. On entreverra peut-être un lien entre L’Enlèvement au Sérail et La
Flûte enchantée.

Au service de l’Empereur

L’ivresse de liberté de Mozart rejoint en effet les projets politiques de l’Empereur Joseph II,
commanditaire de l’opéra. Dans sa conception politique et esthétique, Joseph II, qui se veut
monarque éclairé du Siècle des Lumières, envisage de faire du théâtre et de l’art national un facteur
de développement culturel de la nation allemande et décide, dès 1778, d’associer au Burgtheater, le
Théâtre national de Vienne, une section d’opéra allemand consacrée à la création de Singspiels. Cela
convient tout à fait à Mozart qui projette d’écrire des opéras allemands : « Chaque nation a son
opéra : pourquoi nous autres Allemands, ne l’aurions-nous pas ? La langue allemande n’est-elle pas
aussi chantante que la française et que l’anglaise ; plus chantante que la russe ? » (lettre de Mozart à
son père, Vienne, 5 février 1783).
En 1782, Mozart participe à l’organisation des Concerts des dilettantes qui ont pour vocation
de supprimer le monopole culturel de l’aristocratie en le sortant des palais, afin de mettre la
musique, la culture, à la portée de tous, avec l’approbation et le soutien de Joseph II. Le premier
concert des dilettantes a lieu le 29 mai 1782, six semaines avant la création de L’Enlèvement.

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Le Pacha muet
Or il y a une bizarrerie - qui saute aux yeux et aux oreilles de tout spectateur - dans
L’Enlèvement, c’est la présence d’un personnage « muet » ou du moins privé de chant : ce
personnage n’est rien moins que le personnage principal, le pacha Selim.
« A-t-on songé au problème central que pose L’Enlèvement et qui semble n’avoir guère
intrigué les critiques jusqu’à présent : pourquoi le rôle du Bassa Selim, rôle de première importance
dans le sens de la pièce, est-il entièrement parlé et ne comporte-t-il pas une note de musique ? »,
s’interrogent Brigitte et Jean Massin (op. cité). Après avoir étudié les hypothèses liées à des
difficultés dues aux chanteurs ou à un désaccord par rapport au livret, les auteurs émettent une
hypothèse liée à la situation même de Mozart. Après avoir souligné que Zaide (1780) (équivalent
tragique de L’Enlèvement) ne présente nullement cette étrangeté, ils précisent que dès le départ,
semble-t-il, Mozart n’a pas trouvé bon de donner un rôle musical à Selim. Au lendemain de sa
rupture avec Colloredo et de sa propre sortie d’esclavage, Mozart, selon eux, se serait senti incapable
de faire autrement que de réduire au silence le représentant du pouvoir dans l’opéra, si tolérant fût-
il ! Non, Mozart ne mettra pas en musique la clémence de Selim : avec rage, il règle en somme un
compte douloureux, sans qu’esthétiquement la musique de L’Enlèvement n’en souffre ! Neuf ans
plus tard pourtant, Mozart compose son dernier opéra sur un livret de Mazzolà adapté de Métastase,
La Clémence de Titus (créée le 6 septembre 1791), et Titus chante ici sa clémence et son pardon.
Cette interprétation est séduisante et certainement juste, en partie du moins. Faut-il
comprendre le rôle du despote dans le Singspiel par rapport au tyran dont Mozart s’est enfin libéré
ou aussi en relation avec celui au service duquel il accepte de se mettre ? Entre une vision
rétrospective et une autre plus prospective qui ménage l’avenir et annonce Les Noces de Figaro,
L’Enlèvement permet à Mozart de livrer des indices sur ses espérances. Dans L’Enlèvement, opéra de
la maturité, sur le mode élégant de la turquerie, Mozart livre ce qui lui tient à cœur.

De Mozart à Montesquieu

Et si Selim représentait aussi Joseph II ? Du moins un Joseph II qui oserait aller au bout de ses
réformes et correspondrait au despote éclairé qu’il entend être ?
Ce qui frappe lorsqu’on observe comment est construit le rôle de Selim, c’est qu’y domine
l’ambiguïté ! Ce rôle parlé ne cesse de retarder l’action rapide et fringante des différents
protagonistes. Si, comme le dit Montesquieu, avidement lu dans toute l’Europe intellectuelle à cette
époque, le despotisme, dont le modèle est le tyran oriental, se caractérise comme le règne de

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l’instant,2 Selim ne correspond pas du tout à la description du despote oriental. (Esprit des Lois, V,
14). Loin de déléguer ses pouvoirs (surtout pas à Osmin), il entend intervenir lui-même, et reconnaît
au-dessus de lui des lois, qui lui suggèrent la tolérance et la clémence, malgré les obstacles religieux
qui l’incitent à l’inverse ! Ce prince qui devrait n’être qu’un goujat, dans cet espace fermé qu’est le
sérail, ouvre un espace symbolique qui permet justement qu’une décision « politique » juste et
morale soit prise.
Sans doute Selim a-t-il bien des points communs avec ce Persan magnifique qu’est Usbek
dans les Lettres Persanes. Même si ce dernier n’est « éclairé » qu’en voyage et reste bien « oriental »
chez lui. Mozart, comme Montesquieu dont il connaît peut-être l’œuvre, au moins de renom (il n’est
pas exclu qu’à Paris, il ait eu une connaissance assez directe de ces idées nouvelles pour lesquelles il
s’enthousiasme), n’utilise l’Orient que comme vecteur d’un questionnement adressé directement au
pouvoir en place, surtout si le pouvoir essaie de se conformer, au moins en partie, à la définition d’un
monarque des Lumières.

C’est sur un État d’une diversité et d’une complexité très grande, politique, culturelle et religieuse,
que le fils de l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780), Joseph II (1741-1790) est amené à régner en
1765, après avoir reçu une éducation « démodée », fondée sur l’enseignement des classiques latins,
de la philosophie politique du XVIIe siècle, mais aussi de la science militaire et de la musique, qui fit
de lui un « idéaliste impénitent ». Joseph II, après une période de « corégence » avec sa mère, non
sans conflit, gouverne seul à partir de 1780.
Mozart met ses espoirs dans ce nouvel empereur qui semble ouvrir des voies politiques et culturelles
qui lui conviennent.
Pourtant, Joseph II ne réalisera pas l’idéal qu’esquisse le rôle de Selim dans L’Enlèvement : rôle muet
trop sérieux peut-être pour être chanté, et qui est comme un appel personnel de Mozart à son
nouveau protecteur. Joseph II exaltera plutôt le rôle de l’État, conformément aux philosophies
classiques du XVIIe siècle, que les réformes tant attendues par les adeptes des Lumières, illustrant la
remarque si juste de Paul Hazard dans son ouvrage La Pensée européenne au XVIIIe siècle, de
Montesquieu à Lessing (1946) : « C’était une figure de menuet : révérences des princes aux

2
Louis Althusser, Montesquieu la politique et l’histoire Paris, PUF, coll. Quadrige 1985, p 85 sq

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philosophes et des philosophes aux princes (…). Le despotisme changeait de sens pourvu qu’on lui
ajoutât seulement un adjectif et qu’on l’appelât le « despotisme éclairé » ! »

De L’Enlèvement à La Flûte enchantée


Pétri des idées des Lumières, Mozart entre le 14 décembre 1784 en franc-maçonnerie dans la Loge
de la Bienfaisance, et accède au grade de maître le 13 janvier 1785. Il écrit une douzaine d'œuvres
pour ses frères maçons, dont Die Maurerfreude (« La Joie des maçons », K.471) en février 1785, la
Maurerische Trauermusik (« Musique funèbre maçonnique », K.477) en novembre 1785.
Dès lors, l’Empereur, qui se contentait de lui reprocher à propos de L’Enlèvement qu’il y avait « trop
de notes », considèrera quasiment comme un suspect celui qui sait piétiner allègrement les
convenances et les mœurs.
Les Noces de Figaro (1786) illustrent la politisation progressive de Mozart et la distance qu’il prend
peu à peu avec les projets de celui qui fut son commanditaire.
Mais c’est pour son dernier opéra qu’il retrouvera un Orient idéalisé dans lequel il insère ses idéaux
maçonniques. On a beaucoup évoqué le fait que la Reine de la Nuit pouvait incarner l’impératrice
Marie-Thérèse, alors que Joseph II pouvait se lire autant dans le rôle positif de Tamino, que dans
celui bien plus inquiétant de Sarastro. Monostatos en tous cas peut s’interpréter comme la version
noire d’Osmin.
Ainsi, Mozart qui a mis en scène la liberté dans L’Enlèvement, l’égalité dans Les Noces de Figaro, ose
traiter avec audace de la fraternité dans La Flûte enchantée.
Sans doute L’Enlèvement, qui doit toujours être aussi un amusement, ne peut aborder des thèmes et
des symboles que Mozart ne mettra en scène que plus tard. Dans L’Enlèvement, la signification
philosophique, bien que présente, est toujours plus implicite qu’explicite. Bien réelle pourtant. Dans
L’Enlèvement, il n’est question que de liberté et d’amour, La Flûte enchantée abordera la question
autrement ambitieuse de la sagesse. Mais dans l’une et l’autre œuvre, il est avant tout question
d’émancipation, ce qui correspond en profondeur à la vocation des Lumières comme le rappelle Kant
en 1784 dans Réponse à la question : qu'est-ce que les Lumières ? (« Beantwortung der Frage : Was
ist Aufklärung? »):

« Les Lumières sont l'émancipation de l'homme de son immaturité dont il est lui-même responsable.
L'immaturité est l'incapacité d'employer son entendement sans être guidé par autrui. Cette
immaturité lui est imputable non pas si le manque d'entendement mais la résolution et le courage d'y
avoir recours sans la conduite d'un autre en est la cause. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de
ton propre entendement ! Voilà donc la devise des Lumières. »

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III. La production du Festival d’Aix-en-Provence

Distribution

Direction musicale, Jérémie Rhorer


Mise en scène, Martin Kušej

Konstanze, Jane Archibald


Belmonte, Daniel Behle
Osmin, Albert Pesendorfer
Pedrillo, David Portillo
Blonde, Rachele Gilmore
Bassa Selim, Tobias Moretti

Freiburger Barockorchester

1. L’Enlèvement au sérail au Festival d’Aix-en-Provence : une longue histoire…

Le Festival d’Aix-en-Provence est étroitement lié à Mozart. C’est d’ailleurs l’un de ses opéras,
Così fan tutte, qui est donné lors de la première édition, en 1948. Depuis, chaque été, est représenté
un opéra, au moins, du compositeur autrichien. En 2015, le choix s’est porté sur L’Enlèvement au
sérail, ouvrage déjà plusieurs fois monté. Retour sur les productions aixoises de cette turquerie haute
en couleurs :

- 1951 : L’Enlèvement au sérail est présenté pour la première fois au Festival d’Aix-en-
Provence dans une mise en scène de Pierre Bertin, « l’une des riches heures du Festival
d’Aix-en-Provence », selon Christian Merlin. Les décors et les costumes sont signés André
Derain (1880-1954), peintre français comptant parmi les fondateurs du fauvisme.

- 1954 : la production, confiée au metteur en scène Jean-Pierre Grenier, reprend les


costumes et les décors d’André Derain comme en 1963 et 1967 où le spectacle est dirigé,
cette fois, par le metteur en scène Jean Le Poulain.

- L’année 1987 est marquée par une nouvelle production signée de l’homme de théâtre
Georges Lavaudant, en collaboration avec le chef d’orchestre Armin Jordan.

- Jorge Lavelli signe la nouvelle production de 1990.

- La dernière nouvelle production, conçue par Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff,


fondateurs de la troupe des Deschiens, remonte à 2003. Forte de son succès, elle a été
reprise en 2004 et 2007, à chaque fois sous la direction du chef d’orchestre Marc
Minkowski, et a fait l’objet d’une captation DVD.

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Photo de la production de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff

Le Festival s’apprête donc, avec Martin Kušej, à accueillir L’Enlèvement au sérail pour la dixième fois.

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2. En coulisses : premières photos de maquette de la mise en scène de Martin Kušej et
compte-rendu de réunion technique

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Ce 15 octobre, le plateau du Théâtre de l’Archevêché avait des airs d’oasis saharienne : une tente
berbère, une bande de sable… autrement dit, un embryon de ce que deviendront dans quelques
mois les décors de L’Enlèvement au sérail. Malgré les premières maquettes, tout doit encore être
précisé et les discussions vont bon train entre la scénographe Annette Murschetz et l’équipe
technique du Festival.
Il est d’abord question d’une dune dont il s’avère que la ligne d’horizon devra être plus nette que ce
qui a été proposé. On parle alors granulométrie, c’est-à-dire de la taille des grains de sable, de la
partie haute de ce sol désertique qui devrait s’appuyer sur davantage de liège.
Se pose ensuite le problème de la tente : fabriquées en poils de chameaux, les tentes berbères ne
sont que peu commercialisées. L’alternative est donc la suivante : la fabriquer ou en acheter une qu’il
faudra, de toute façon, adapter (ignifugation – protection contre le feu -, teinture éventuelle, effets
de patine…). La fabriquer implique aussi de choisir une matière, ce à quoi le responsable de l’atelier
de construction et du bureau d’études répond par un imposant classeur d’échantillons : moquette,
soie, coton, trames diverses et variées… le choix est impressionnant.
Enfin, question brûlante, celle… du feu ! Une idée est à ce jour évoquée d’installer un foyer sur scène.
Pour le bureau d’études, l’important est d’en connaître la durée, ce qui permettra de déterminer le
procédé à utiliser, sans compter que le foyer devra être retiré en un temps record, en même temps
que la tente.
Autant de défis à relever d’ici le mois de juillet…

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3. Martin Kušej, metteur en scène

Martin Kušej est né le 14 mai 1961 à Wolfsberg (Autriche).


En 1986, il devient assistant à la mise en scène au Landestheater de Salzbourg et au Théâtre National
de Slovénie, à Ljubljana. Après avoir fondé avec le scénographe Martin Zehetgruber et la dramaturge
Sylvia Brandl la compagnie my friend martin, il travaille dès 1992 à l’étranger, et sa vision de Kabale
und Liebe de Schiller, lui vaut, en Allemagne, le prix du Jeune metteur en scène en 1993. Un an plus
tard, il est invité aux Wiener Festwochen. Il travaille régulièrement au Staatschauspiel de Stuttgart
(qu’il dirige en 1993-94) et au Burgtheater, depuis 1999, entre autres, montant Grabbe, Grillparzer,
Goethe, Horváth ou Sarah Kane.
Ses débuts à l’opéra remontent à 1996 (King Arthur, de Purcell, à Stuttgart). Depuis, il a travaillé à
Vérone, Zurich, Berlin, Amsterdam, Munich, Vienne et à Salzbourg. Il monte ainsi Fidelio de
Beethoven, Salomé et Elektra de Strauss, collabore avec Nikolaus Harnoncourt à un cycle mozartien à
Salzbourg (Don Giovanni, 2002, et La Clémence de Titus, 2003 ; ensemble, ils abordent à Zurich La
Flûte enchantée en 2007, puis Genoveva de Schumann et The Rake’s Progress de Stravinsky en 2008),
s’attaque à Carmen de Bizet, à Otello ou à Macbeth de Verdi. La reprise de sa mise en scène de Lady
Macbeth de Mzensk de Chostakovitch à l’Opéra Bastille en 2009 est très remarquée. Nommé trois
fois pour le prix Nestroy, il finit par l’obtenir en 2009 pour Der Weibsteufel de Schönherr (présenté à
l'Odéon en février 2013). Depuis 2011, Martin Kušej est directeur artistique du Residenztheater. À ce
jour, il y a signé trois mises en scène, dont Hedda Gabler d'Ibsen et Die Anarchistin de David Mamet,
tout en continuant son travail à l'opéra (dernièrement : La Force du destin de Verdi à l’Opéra de
Munich).

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IV. Pistes pédagogiques proposées par Fabienne Berthet et Frédéric Isoletta

Pistes pédagogiques proposées par Fabienne Berthet

Séquence I :

Extrait :
Ouverture

Écoute :
Repérer la structure de l'ouverture
Repérer les contrastes qui énoncent les confrontations culturelles (au sein même de la partie A –
piano / forte - formation « classique » / alla turca – mais entre les parties A et B). Comment ces
« contrastes » évoluent-ils ? Quel parti pris, quelles pensées, Mozart laissent déjà entrevoir ?

Aborder les différentes ouvertures, définir le type de cette ouverture. Comparer avec d'autres
œuvres (La Traviata, Verdi – Carmen, Bizet - Tristan und Isolde, Wagner – Elektra, Strauss)

Proposition :
Chanter le thème de l'andante, se familiariser avec le contraste mineur-majeur. Proposer des thèmes
connus, s'essayer à la chanter dans la tonalité relative.
Procéder de même sur le thème du mouvement Presto.
Qu'en est-il du thème de l'aria n°1 de Belmonte ?

Par groupes de 6 à 8 élèves.


Proposer deux créations musicales très contrastées, courtes de 30 à 60 secondes. (L'une d'elle peut
être un extrait d’œuvre ou une improvisation jouée par le professeur de musique sur son instrument.
L'une de ces propositions est une musique que l'on peut qualifier « d’exotique » (par le rythme, les
timbres, les instruments mis en jeu (objets, matières, détournés), logiciel M.A.O.). Recréer la
première partie de l'ouverture de L'Enlèvement au Sérail.

Séquence II :

Extrait :
Acte I Lied n° 2, Osmin et Belmonte « Wer ein Liebchen hat gefunden »

Proposition :
Répartir le travail en plusieurs groupes.
Utiliser pour plus de facilité une chanson connue (si nécessaire adapter des paroles qui
correspondent à une situation similaire à celle d'Osmin - ex : je suis portier physionomiste et je
prends mon travail très au sérieux...).
Concevoir un texte pour un personnage éduqué mais suffisamment obstiné, qui interpelle le
chanteur jusqu'à l'obtention d'une réponse à sa question.
Après avoir analysé les différents personnages, leurs interactions, élaborer une mise en scène et
jouer les différentes propositions. Prendre le temps d'échanger avec les élèves spectateurs, afin

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d'enrichir, nuancer l'interprétation. Observer l'incidence des interventions parlées sur l'interprétation
de la chanson. Observer l'évolution de l'intensité des échanges.
Enregistrer, écouter, comparer avec la proposition de Mozart.

Écoute :
Fournir le texte. Repérer la structure du Lied, mettre en lien avec la structure refrain couplet de la
chanson. Repérer le côté ternaire. Observer le rôle de l'orchestre, l'interprétation. Comment Mozart
met-il en évidence l'exaspération de ses personnages ? Comment introduit-il le duo ?

Mettre en lien avec la Romance n°18 de Pedrillo « In Mohrenland ». Quelles sont les similitudes ?

Séquence III :

Extrait :
Acte I Duo n°2, Osmin et Belmonte

Proposition :
Les élèves se mettent 2 par 2. L'un prend une posture, le second avec son corps occupe les vides
laissés par son camarade. Et ainsi de suite. Les déplacements peuvent se faire en opposition, l'un
aérien, l'autre au sol, l'un lent, l'autre rapide, l'un saccadé, l'autre très lié ou en imitation, les deux au
ralenti, en accélérant, etc... Explorer la fluidité, la continuité dans l’enchaînement des propositions.

Toujours par 2, un élève est « Osmin », cruel, tyrannique, l'autre est Belmonte « digne de sa haute
naissance ». En se référant au contexte de la scène, chaque élève propose une phrase courte,
caractéristique du personnage, ex : Osmin : « toi, je vais t'empaler »
Belmonte : « tu es un gars super ». Chaque phrase comporte le même nombre de syllabes.
L'élève dans le rôle de Belmonte chante sa phrase, l'élève dans le rôle d'Osmin chante également sa
réplique en reprenant en imitation la même mélodie. Chaque nouvelle proposition de Belmonte
donne lieu à une reprise de la mélodie par Osmin. S'exercer pour parvenir à une improvisation fluide,
en continu. Comme dans l'improvisation « corporelle », jouer avec le tempo, les durées, les hauteurs,
les nuances. Rappeler que seule la mélodie est imitée : l'effet comique réside dans des
interprétations complètement opposée d'une même mélodie, car l'un se maîtrise, l'autre est en rage,
l'un nargue, l'autre menace. Permettre la poursuite de l'improvisation en abandonnant le modèle
Question-Réponse, et observer comment le duo évolue.

S'enregistrer, s'écouter, comparer au duo de l'enlèvement.

Écoute :
Repérer les voix, distinguer le timbre. Mettre en évidence la structure.
Comparer avec les autres ensembles (duos n° 9, n°14, n°20, trio n°7, quatuor n°6)

Séquence IV :

Extrait :
Acte I Air n°3, Osmin, Allegro Assai « Erst geköpft »

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Proposition :
Marcher jusqu'à l'installation d'une pulsation commune à tout le groupe. Puis, sur une mesure à 3
temps, marquer chaque premier temps par une frappe sur la cuisse. Puis ne plus marquer le premier
temps, mais le second en claquant des doigts. Enfin, marquer seulement le 3e temps en frappant le
buste. À chaque proposition, laisser un temps suffisant pour une coordination « sereine ».
Puis enchaîner, 4 mesures en marquant le 1er temps, 4 mesures en marquant le 2e temps, 4 mesures
en marquant le 3e temps, avec les gestes correspondants. Laisser observer et commenter. Le nombre
de mesures peut se moduler (ex : sur 2 mesures).
Il est aussi possible de marquer tous les temps avec les gestes appropriés ou décider de ne marquer
que certains temps (ex : 2 et 3, 1 et 3, etc.)

Écoute :
Repérer le type d'orchestre utilisé par Mozart dans cet air (Grand Orchestre et / ou « formation
turque » ?). Observer quels sont les temps marqués. Combien de mesures sur le premier temps,
combien sur le second, combien sur chaque temps. Quel changement cela induit-il ? Comment
l'obsession d'Osmin s'emballe, se détraque-t-elle ? Écouter avec le texte.

Cet air peut être appris (paroles en allemand ou en français, tempo abaissé) et superposé à une
chorégraphie simple reprenant « les coups portés » par l'orchestre et Osmin. Pour cela, imaginer
différentes situations mises en scène, permettant le transfert des coups rêvés par Osmin sur Pedrillo,
objet de sa rage.

Faire le lien avec le « Vaudeville » du 3e acte, dans lequel Osmin est rattrapé par son irrépressible
envie de supplicier.

Séquence V :

Extrait :
Air n° 6 de Konstanze, « Martern aller Arten »

Proposition :
Travail en petits groupes. Choisir un mot ou expression dans chacune de ces 3 listes (soit en français
soit en allemand).
Liste 1 : je me moque – bénédiction – liberté / ich verlache – Segen – Befreit
Liste 2 : rien – ordonne - enrage / nichts – ordne nur – wüte
Liste 3 : douleur – mort – ciel / Pein – Tod – Himmel

Pour chaque mot, expérimenter plusieurs façons de l'interpréter (par ex : pour rire, fou rire, rire
jaune, rire nerveusement, s'empêcher de rire, pleurer de rire, etc.). Se servir des personnages de
l'opéra, de leurs différences culturelles, sociales, psychologiques.
Un travail sur l'expression opposée au sentiment (ex : je suis en colère, donc je ne suis pas…) peut
amener d'autres pistes d'interprétation.

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Puis se placer en cercle. Sur le principe d'un relais que l'index de la main droite transmet d'un voisin à
un autre, un participant démarre en dessinant une trajectoire muette. Laisser s'installer l'activité,
encourager l'imagination en modulant sur la hauteur du geste, la vitesse, la durée, le lié ou détaché,
geste ample et arrondi, geste anguleux, etc... Ajouter des sons simples aux trajectoires (ch, ss, ffft,
zwit, etc..) le son s'interrompt avec le geste détaché.
Enfin, utiliser les mots précédemment listés, et les lier au geste initié par l'index. Expliquer les
notions « vocalise » et « syllabique ». Donner la consigne de ne faire durer que les consonnes des
mots. Puis, ne faire durer que les voyelles. Enfin, ajouter aux mots l'interprétation abordée en début
de travail.

Explorer et moduler les tempi, durées, nuances, la répétition, le timbre.

Chaque groupe fait une proposition en lien avec sa liste et se produit devant la classe. Possibilité
d'enregistrer, filmer et comparer les propositions.
Certains mots se portent-ils plus à la vocalise, au style syllabique, à l'exploration de registres
extrêmes ? Pourquoi, est-ce lié au sens, à l'expressivité, à la matière ou sonorité du mot ?

Écoutes :
À l'aide du texte, repérer les mots vocalisés, les mots dans les limites extrêmes du registre de la voix
de soprano, les mots chantés de façon syllabique sur différentes durées. Quelle importance revêtent
ces mots, par rapport au sens du texte ?

D'autres éléments peuvent être observés, notamment la structure de l'air par rapport au sens et à la
structure du texte.
Comment participe l'orchestre ? Dès l'introduction, repérer le style « concertant », comment les
instruments sont-ils utilisés ? Comment fonctionne l'orchestre par rapport au chant ?

Séquence VI:

Extrait :
Acte III, Chœur des Janissaires « Bassa Selim lebe lange »

Proposition :
Fournir le texte. Apprendre le chœur transposé en sol majeur, voix soprano. La partie à 2 voix permet
une polyphonie simple à partir d'un bourdon.

Écoute :
Repérer la structure. Celle-ci est mise en évidence par le texte, l'utilisation de la polyphonie, mais
également par l'orchestre. De quelle façon ? Comparer avec le premier chœur de Janissaires (Acte I
n°5). Dégager les similitudes et différences de ces deux pièces (structure, instrumentation, voix,
entrée en imitation, etc...). Écouter l'ouverture du Ballet Les Petits Riens de Mozart.

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Annexe :

Séquence II :

Lied n°2 (acte I), Belmonte / Osmin

OSMIN OSMIN
Wer ein Liebchen hat gefunden, Celui qui a trouvé une belle
Die es treu und redlich meint, Qui veut être sincère et fidèle,
Lohn' es ihr durch tausend Küsse, Qu’il la gratifie de mille baisers,
Mach' ihr all das Leben süsse, Lui fasse la vie douce,
Sei ihr Tröster, sei ihr Freund. Soit plein d’égards et de tendresse.
Tralallera, tralallera! Trallalera, trallalera.

BELMONTE (spricht) BELMONTE (parlé)


Villeicht, dass ich durch diesen Alten etwas
Peut-être apprendrai-je quelque chose de ce
erfahre. He,
vieux… Hé,
Freund ! ist das nicht das Landhaus des Bassa
L’ami ! n’est-ce pas la demeure du pacha
Selim? -
Selim ?...

OSMIN OSMIN (continue de chanter tout en travaillant)


Doch sie treu sich zu erhalten, Mais s’il la veut toujours fidèle,
Schliess er Liebchen sorglich ein; Qu’il enferme bien la belle :
Denn die losen Dinger haschen Car ces créatures frivoles attrapent
Jeden Schmetterling, und naschen Au vol les papillons et se plaisent
Gar zu gern vom fremden Wein. Trop à goûter le vin nouveau.
Tralallera, tralallera! Trallalera, trallalera.

BELMONTE (spricht) BELMONTE (parlé)


He, Alter, he! Hört Ihr nicht? – ist hier des Hé, mon vieux, hé ! n’entendez-vous pas ? est-
Bassa Selim ce là le
Palast? Palais du pacha Selim ?

OSMIN (sieht ihn an, dreht sich herum und singt wie zuvor)
Sonderlich beim Mondenscheine, OSMIN (le regarde, se retourne et se remet à chanter)
Freunde, nehmt sie wohl in acht!
Surtout au clair de lune,
Oft lauscht da ein junges Herrchen,
Amis, surveillez-les bien !
Kirrt und lockt das kleine Närrchen,
Souvent un jeune galant la guette,
Und dann, Treue, gute Nacht!
Appâte et charme la follette,
Tralallera, tralallera!
Et alors bonsoir, fidélité !
Trallalera, trallalera.

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Séquence III :

Duo n°2 (acte I), Belmonte / Osmin

BELMONTE BELMONTE
Verwünscht seist du samt deinem Liede! Maudit sois-tu, toi et ton air !
Ich bin dein Singen nun schon müde; J’en ai assez de t’entendre ;
So hör' doch nur ein einzig Wort! Écoute un peu, rien qu’un seul mot !

OSMIN OSMIN
Was, Henker, laßt Ihr euch gelüsten, Pourquoi diable avez-vous envie
Euch zu ereifern, Euch zu brüsten? De vous emporter, vous rengorger ?
Was wollt Ihr? Hurtig, ich muß fort. Que voulez-vous ? Vite ! car je m’en vais.

BELMONTE BELMONTE
Ist das des Bassa Selim Haus? Est-ce la maison du pacha Selim ?

OSMIN OSMIN
He? Hein !

BELMONTE BELMONTE
Ist das des Bassa Selim Haus? Est-ce la maison du pacha Selim ?

OSMIN OSMIN
Das ist des Bassa Selim Haus. C’est la maison du pacha Selim.
(will fort) (Il veut partir.)

BELMONNTE BELMONTE
So wartet doch! Attendez donc…

OSMIN OSMIN
Ich kann nicht weilen. Je ne peux pas flâner.

BELMONTE BELMONTE
Ein Wort! Un mot…

OSMIN OSMIN
Geschwind, denn ich muss eilen. Dépêchons, car je suis pressé.

BELMONTE BELMONTE
Seid Ihr in seinen Diensten, Freund? Êtes-vous à son service, l’ami ?

OSMIN OSMIN
He? Hein ?

BELMONTE BELMONTE
Seid Ihr in seinen Diensten, Freund? Êtes-vous à son service, l’ami ?

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OSMIN OSMIN
He? Hein ?

BELMONTE BELMONTE
Seid Ihr in seinen Diensten, Freund? Êtes-vous à son service l’ami ?

OSMIN OSMIN
Ich bin in seinen Diensten, Freund. Je suis à son service, l’ami.

BELMONTE BELMONTE
Wie kann ich den Pedrillo wohl sprechen, Comment puis-je parler à Pedrillo
Der hier in seinen Diensten steht? Qui est ici à son service ?

OSMIN OSMIN
Den Schurken, der den Hals soll brechen? Ce maraud ?... qui aura le cou rompu ?...
Seht selber zu, wenn's anders geht. Voyez vous-même si c’est possible.
(will fort) (Il veut partir.)

BELMONTE(für sich) BELMONTE (à part)


Was für ein alter grober Bengel! Qu’il est grossier ce vieux coquin !

OSMIN(ihn betrachend, für sich) OSMIN (l’observant, à part lui aussi)


Das ist ja so ein Galgenschwengel. Voilà bien du gibier de potence !

BELMONTE BELMONTE (à Osmin)


Ihr irrt, es ist ein braver Mann. Erreur, c’est un brave homme.

OSMIN OSMIN
So brav, dass man ihn spießen kann. Si brave qu’on peut le passer à la broche.

BELMONTE BELMONTE
Ihr müsst ihn wahrlich nicht recht kennen. C’est que vous ne le connaissez pas vraiment.

OSMIN OSMIN
Recht gut! Ich ließ ihn heut verbrennen. Si fait ; je le ferais brûler dès maintenant.
Heut, heut, ließ ich ohn verbrennen!

BELMONTE BELMONTE
Es ist fürwahr ein guter Tropf! Un si bon garçon, en vérité.

OSMIN OSMIN
Auf einen Pfahl gehört sein Kopf! Sa tête est bonne à être empalée.
(will fort) (Il veut partir.)

BELMONTE BELMONTE
So bleibet doch! Mais restez donc !

OSMIN OSMIN
Was wollt Ihr noch? Que voulez-vous encore ?

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BELMONTE BELMONTE
Ich möchte gerne... J’aimerais bien…

OSMIN (höhnisch) OSMIN (sarcastique)


So hübsch von ferne … Rôder autour de la maison ainsi
Ums Haus 'rumschleichen, Et voler quelque fille ?... Filez, vous et vos
Und Mädchen stehlen? Fort, Euresgleichen pareils,
Braucht man hier nicht. On n’en a pas besoin ici.

BELMONTE BELMONTE
Ihr seid besessen, Vous écumez de rage !
Sprecht voller Galle Et osez me lancer votre haine au visage !
Mir so vermessen
Ins Angesicht! OSMIN
Modérez votre ardeur !
OSMIN
Nun nicht in Eifer! BELMONTE
Ich kenn' Euch schon! Ménagez votre aigreur !

BELMONTE OSMIN
Schont Euren Geifer! Je vous connais bien.
Lasst Eurer Droh'n!
BELMONTE
OSMIN … Cessez de me menacer.
Schert Euch zum Teufel!
Ihr kriegt, ich schwöre, OSMIN
Sonst ohne Gnade Allez-vous en au diable, sinon, sans pitié,
Die Bastonade! Je vous le jure, vous tâterez du bâton ;
Noch habt Iht Zeit! Vous avez encore le temps, vous avez encore le
temps !
BELMONTE (Il le pousse.)
Es bleibt kein Zweifel,
Ihr seid von Sinnen! BELMONTE
Welch ein Betragen Plus de doute, vous avez perdu la raison,
Auf meine Fragen! Quelle façon de répondre à mes questions,
Seid doch gescheit! Calmez-vous donc, calmez-vous donc.
(ab) (Belmonte sort.)

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Séquence IV :

Air n°3 (acte I), Osmin

OSMIN OSMIN
Erst geköpft, dann gehangen, Décapité et embroché,
dann gespießt auf heiße Stangen; Empalé sur des pieux ardents
dann vebrannt, dann gebunden, Puis brûlé, puis ligoté,
und getaucht, zuletzt geschunden. et noyé, écorché enfin.

Séquence V :

Air n°6 (acte II), Konstanze

KONSTANZE KONSTANZE
Martern aller Arten Les tortures de toutes sortes
Mögen meiner warten, peuvent bien m’attendre
Ich verlache Qual und Pein. je méprise la douleur et les tourments.
Nichts soll mich erschüttern. Rien ne peut m’ébranler.
Nur dann würd' ich zittern, Je ne tremblerais
Wenn ich untreu könnte sein. Que si je pouvais être infidèle.
Lass dich bewegen, verschone mich! Laisse-toi émouvoir, épargne-moi !
Des Himmels Segen belohne dich! La bénédiction divine te récompensera.

Doch du bist entschlossen. Mais tu as pris ton parti.


Willig, unverdrossen, Impassible, déterminée,
Wähl ich jede Pein und Not. Je choisis la douleur et le supplice.
Ordne nur, gebiete, Ordonne, exige, menace,
Lärme, tobe, wüte, Tempête, enrage !
Zuletzt befreit mich doch der Tod. La mort enfin me délivrera.

Séquence VI :

Chœur n°21 (acte III), Chœur des janissaires

Bassa Selim lebe lange, O grand Selim, que ta vie soit longue.
Ehre sei sein Eigentum! Au Pacha rendons honneur !
Seine holde Scheitel prange Que son front resplendisse de gloire et de
jubilation,

Voll von Jubel, voll von Ruh. Que de joie et de louanges, O longue vie à toi
Selim !

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Pistes pédagogiques proposées par Frédéric Isoletta

L’Enlèvement au sérail est chanté en allemand, la langue de Mozart, qui a longtemps lutté
pour pouvoir composer un opéra en allemand car il n’était pas aisé de se soustraire au diktat de la
langue italienne en matière d’art lyrique. L’œuvre est construite à la manière d’un Singspiel, forme
privilégiée dans les pays germanophones, au cœur de laquelle alternent parties chantées et parlées.
Profondément humaniste, cet ouvrage défend les vertus mises en avant par les Lumières, ce qui fera
dire à Goethe, admiratif : « Tous les efforts que nous faisions pour parvenir à exprimer le fond des
choses devinrent vains au lendemain de l’apparition de Mozart. L’Enlèvement nous dominait tous ».
À propos de ces vertus, pensons à la métaphore qui oppose l’absolutisme à la liberté, sans oublier
l’époque à laquelle est composé l’ouvrage, ainsi que son contexte européen. De même, les efforts de
Belmonte pour soustraire Konstanze de la servitude du pacha Selim.
Opéra le plus populaire du vivant du compositeur, il ne tarde pas à passer les frontières dans des
versions souvent « traduites ». C’est aussi à propos de ce chef-d’œuvre d’un nouveau genre à la
mode, le Singspiel, que l’empereur Joseph II aurait déclaré : « C’est trop beau pour nos oreilles, et il y
a trop de notes ».
Cette turquerie de quelques centaines de pages ne trahit pas les préceptes de Mozart selon
lesquels la « poésie », ou plutôt les mots (d’un livret au demeurant ici assez faible) doivent
obéissance à la musique. N’oublions pas également que la littérature et les livrets d’opéras de
l’époque foisonnent de sujets « turcs ». À ce propos, Mozart s’inspire de l’orchestration des fanfares
de janissaires (troupes d’infanterie d’élite du sultan ottoman, réputées pour leurs fanfares) : grand
tambour, triangle et cymbales font alors leurs entrées dans l’orchestre, où sont également intégrés
de nombreux instruments à claviers de l’époque, les futurs pianos. Il est intéressant de montrer aux
élèves quelques instruments qui évoquent cet univers oriental fantasmé.

Le pianoforte est l’ancêtre du piano actuel, mais avec une facture moins évoluée.

- Le pianoforte Joseph Angst est muni d’une turquerie reproduisant cymbale, clochettes et
tambour. Lorsqu’on enfonce la pédale, trois clochettes sont frappées simultanément, la
cymbale est reproduite par du laiton sur les cordes graves de l’instrument ; quant au
tambour, il est imité par un coup frappé sur la table d’harmonie. Ces multiples effets sont
situés sous le piano.

- Par rapport au piano, les nombreuses pédales servent à actionner les effets souhaités
(cymbale, clochettes, tambour…)

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- Dans le même esprit, le piano table avec pédale turque permet, en appuyant sur une des
pédales, d’actionner un tambourin.

Le tambourin est ici reconnaissable aux petites cymbales accrochées sous le piano.

Mozart n’est pas le premier à tomber sous le charme d’un Orient imaginaire. Sous Louis XIV, Lully
collabore avec Molière pour la comédie-ballet Le Bourgeois gentilhomme où la culture turque est
caricaturée pour des raisons diplomatiques à travers la fameuse Cérémonie des Turcs.
Il est possible de faire visionner aux élèves l’extrait du film Le Roi danse où de nombreux passages de
l’ouvrage en question sont remarquablement transcrits. Il est également possible de faire une écoute
comparative avec le chœur des janissaires de l’œuvre de Mozart.

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D’autres écoutes, évocatrices de ces turqueries, sont envisageables :
- Le Bourgeois gentilhomme de Lully (1670) : les Récits du Muphti, l’Air pour donner le turban,
l’Air pour les coups de sabre, l’Air pour les coups de bâton…
- Dans L’Europe galante de Campra (1697), la Turquie fait partie intégrante de cette Europe.
- Dans l’opéra-ballet Les Indes galantes de Rameau (1735), le « Turc est généreux », comme le
dit le personnage de Valère.
- Parmi les Concertos comiques de Corrette (1752), le concerto Turc est, comme les autres
concertos, destiné à être joué pendant les intermèdes de l’opéra-comique.
- Zaide (inachevé) de Mozart préfigure le futur Enlèvement au sérail en 1780.
- La célèbre Marche Turque de Mozart.
- Chez Gluck en 1764, l’opéra-comique La Rencontre imprévue (Les pèlerins de la Mecque en
allemand) est composé sur le même sujet que le futur ouvrage de Mozart.
- Au début du XIXe siècle, Rossini compose l’opéra-bouffe Le Turc en Italie, qui met en scène le
prince Selim « en voyage pour observer les coutumes européennes », Zaida « née au pied du
Caucase », Fiorilla « à qui les Turcs ne déplaisent pas » et pour qui « il n’est pas si difficile de
conquérir les Turcs ». Cette dernière s’exclame : « Vous êtes Turc, je ne vous crois pas ! Vous
avez cent femmes autour de vous. Vous les achetez, vous les vendez quand l’ardeur s’éteint
en vous ». Ce à quoi Selim répond : « Ah ma chère, même en Turquie, si on possède un trésor
on ne l’échange pas, on ne le cède pas ; même un Turc ressent de l’amour ».

En guise de conclusion, il est utile de rappeler le contexte de composition de cet opéra pour Mozart :
entre la rupture avec l’archevêque (à l’instar du joug de Selim) et le mariage avec Constanze, on ne
peut qu’entendre la jubilation d’un homme libre et aimé.

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V. Ressources

1. Lire

[collectif], L’Enlèvement au sérail, n° 59 de L’Avant-Scène Opéra, Paris, 1984

Hocquart Jean-Victor, Mozart, Solfèges/Seuil, 1994

Massin, Jean et Brigitte, Mozart, Fayard, Paris, 1970

Michot, Pierre, Mozart opéras, mode d’emploi, Premières Loges, Paris, 2006

Mozart Wolfgang Amadeus, Lettres des jours ordinaires, traduction Bernard


Lortholary, Fayard, 2005

Robbins-Landon, H.C., Dictionnaire Mozart, Lattès, Paris, 1991

Stricker, Rémy, Mozart et ses opéras : fiction et vérité, Gallimard, Paris, 1987

2. Écouter

Wolfgang Amadeus Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec Anton Dermota, Sari


Barabas, Josef Greindl, Rita Streich, Helmut Krebs, Ernst Dernburg, Orchestre du
RIAS Berlin, direction Ferenc Fricsay, Myto, 1949 : selon L’Avant-Scène Opéra, il
s’agit de la version de référence, « l’authenticité mozartienne avec une distribution
sans faille », pour Christian Merlin.

Wolfgang Amadeus Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec Stewart Burrows,


Christiane Eda-Pierre, Robert Lloyd, Norma Burrowes, Robert Tear, Curd Jürgens,
Orchestre St Martin in the Fields, direction Colin Davis, Philips, 1978 : ce disque
donne l’occasion d’entendre l’une des grandes Konstanze de la discographie, la
soprano Christiane Eda-Pierre.

Wolfgang Amadeus Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec Peter Schreier, Arleen


Augér, Kurt Moll, Reri Grist, Harald Neukirch, Otto Mellies, Staatskapelle Dresde,
direction Karl Böhm, Deutsche Grammophon, 1973 : cette captation immortalise
l’interprétation d’une autre grande Konstanze, la soprano Arleen Augér
accompagnée du remarquable Osmin de Kurt Moll.

Wolfgang Amadeus Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec Peter Schreier, Yvonne


Kenny, Matti Salminen, Lilian Watson, Wilfried Gahmlich, Wolfgang Reichmann,
Orchestre de l’Opéra de Zurich, direction Nikolaus Harnoncourt, Teldec, 1984 : cette
version, radicalement différente du reste de la discographie par son atmosphère crue
voire violente, présente la particularité d’inclure des instruments évocateurs de
l’exotisme, spécialement fabriqués pour l’occasion.

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3. Voir

Wolfgang Amadeus Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec Francisco Araiza, Edita


Gruberova, Martti Talvela, Reri Grist, Norbert Orth, Thomas Holtzmann, Orchestre
de l’Opéra de Munich, direction Karl Böhm, mise en scène August Everding,
Deutsche Grammophon, 1980 : cette version demeure un classique de la
vidéographie où Osmin est interprété par un monument du chant, la basse
finlandaise Martti Talvela qui incarne le rôle à merveille du haut de ses deux mètres.
Quant à la scénographie, L’Avant-Scène Opéra en parle comme « de vrais tableaux du
XVIIIe siècle ».

Wolfgang Amadeus Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec Matthias Klink, Malin


Hartelius, Wojtek Smilek, Magali Léger, Loïc Félix, Shahrokh Moshkin-Ghalam, Les
Musiciens du Louve Grenoble, direction Marc Minkowski, mise en scène Jérôme
Deschamps et Macha Makeïeff, Bel Air, filmé au Festival d’Aix-en-Provence, 2007 :
ce DVD est l’occasion de découvrir la dernière production de L’Enlèvement au sérail
présentée au Festival d’Aix-en-Provence, ainsi que la vision jubilatoire et colorée du
couple fondateur des Deschiens sur cet opéra orientaliste.

Conception dossier : Anne Le Nabour

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