Retour Sur Les Institutions Du Sens de V
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Kaufmann Laurence. Les institutions du sens (Vincent Descombes). In: Réseaux, 1997, volume 15 n°85. pp. 241-246.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1997_num_15_85_3145
Les institutions du sens les compare et les différencie au sein de
l'ensemble des concepts, des significations
de Vincent DESCOMBES communes et des usages établis qui fo
par Laurence KAUFMANN rment les « institutions du sens ». Des
combes reconceptualise donc la définition
Voilà fort longtemps que les sciences même de l'esprit en proposant une philo
sociales attendent « leur » philosophe pour sophie de l'esprit « alternative » qui rompt
reconstruire leur répertoire conceptuel, par avec la philosophie du sujet ou de la
trop encombré par les présupposés qui conscience à laquelle elle a toujours été
posent au début de l'analyse cela même associée.
qu'il s'agit de trouver à son terme : le rôle Ce projet, développé dans Les Institu
de la société et des institutions. C'est à ce tions du sens, vise ainsi à « libérer » l'esprit
titre que nous pouvons saluer la parution des métaphysiques « essentialistes » qui
du dernier livre de Vincent Descombes : l'ont trop longtemps enfermé dans une
inventif, rigoureux quoique parfois allusif, logique des individus, pour l'inscrire dans
l'ouvrage se propose de revisiter « les ins une logique des relations. Cette perspect
titutions du sens » sous les auspices d'un ive, dans la mesure où elle délaisse l'onto
« holisme anthropologique » qui serait seul logie des entités discrètes pour se centrer
apte à rendre compte de la complexité irr sur la dynamique des relations complexes,
éductible des systèmes sociaux. Dans son remet en question l'identité de l'esprit
livre précédent, La Denrée mentale (1), comme « être individué ». Loin d'être un
qui constitue le premier volume de ses « en soi » manipulant en son for intérieur
Disputes de l'esprit, Descombes montrait des « denrées mentales », l'esprit est pris
que les théories atomistes, en réduisant le dans le tissu du monde institutionnel de
social à la coordination des esprits indivi telle manière que la frontière traditionnelle
duels et les esprits individuels à l'associa entre le monde intérieur des faits mentaux
tion de représentations élémentaires, repo et le monde extérieur des faits physiques se
sent sur une erreur fondamentale qui ne trouve invalidée. Car l'esprit subjectif des
peut que reconduire les éternels problèmes personnes particulières, positionné relativ
de la philosophie de l'esprit. En effet, en ement au monde social et naturel qui l'en
définissant les pensées comme des entités toure, participe à une totalité structurée qui
mentales dont l'existence matérielle justi le dépasse et qui est constitutive de sa fo
fieune démarche de type physicaliste, ces rmation : l'esprit objectif des institutions.
approches « substantialistes » ne font que Ainsi, au lieu de renvoyer à la « matière
contrefaire les causalités de la nature en pensante » du sujet individuel, l'esprit chez
recherchant d'hypothétiques lois psycholo Descombes est composé de l'ensemble des
giques.Les tentatives « isolationnistes » significations communes qui forme un
qui tentent de dégager les « objets ment principe d'ordre supérieur a partir duquel
aux » sont promises à l'échec car les pen les actions et les pensées apparemment per
sées ne sont pas des états mentaux indé sonnelles sont élaborées et différenciées.
pendants que leur forme propositionnelle Les actes mentaux et physiques se rappor
permettrait de mettre à plat les uns après tant,directement ou indirectement, au
les autres. Pour Descombes, une science contexte institutionnel qui les signifie, le
de l'esprit digne de ce nom ne peut identi « siège » du mental n'est plus dans la tête
fier les pensées car ces dernières n'ont pas mais « au-dehors », dans les habitudes
les propriétés représentationnelles qui per d'action et « les échanges entre les per
mettraient de les individuer. En revanche, sonnes ». La thèse principale de l'ouvrage
les pensées ont des propriétés relation est donc que l'esprit doit être recherché '« à
nelles qui peuvent être décrites par une l'extérieur », les concepts, les règles et les
démarche d'obédience structuraliste qui usages établis constituant les prémisses et
241 —
les conditions de possibilité de la formation ment élaborées, définies par « ce à quoi »
des intentions individuelles. elles renvoient, en commun avec les
Pour démontrer ce postulat externaliste autres : c'est ce que Descombes désigne
sans présupposer des causalités venues de sous le terme de « passif intentionnel ».
nulle part ou des entités ontologiquement Dans la mesure où la réalité du passif
douteuses, Descombes va utiliser un dispos intentionnel ne relève ni des expressions
itifargumentatif qui a l'avantage majeur, personnelles, ni des conventions entre
par rapport aux pétitions de principe des deux sujets, elle ne conduit pas au « mythe
holistes a priori, de partir « d'en bas », de démiurgique » selon lequel l'histoire des
la notion d'intentionnalité centrale en ph choses n'est que l'histoire des choses-
ilosophie de l'esprit. A la suite de la dont-on-parle, le prolongement de nos
conception inaugurale de Brentano, l'in- pensées et le construit de nos discours. Au
tentionnalité a été définie comme la capac contraire, les significations à la fois inten
itémentale qu'a l'esprit humain de se fo tionnelles et impersonnelles qui définissent
rmer des représentations « à propos » de le passif intentionnel forment un espace
quelque chose. L'intentionnalité de l'esprit commun de référence bel et bien réel,
a ainsi longtemps été un trait psycholog celui de « l'usage impersonnel qui fait loi
ique, décrivant de quelle manière l'indi et que personne n'est censé ignorer ».
vidu, prenant conscience d'un phénomène C'est l'extériorité et l'antériorité de ces
qui lui est a priori extérieur, se forme des usages par rapport aux individus qui
analogons représentationnels dans son for garantit ainsi la possibilité logique de ren
intérieur. Dans cette conception dite verser la forme active et donc « personnal
« mentaliste », ce qu'un sujet pense, croit isante » des verbes intentionnels du type
ou désire est déterminé « à la première « il pense, il croit, etc. » en une forme pas
personne », de telle sorte que ses états sive, « anonymisante », du type « il est
mentaux ne peuvent qu'être opaques pour pensé que, il est cru que ».
les individus qui le côtoient et, a fortiori, Par là, le problème de l'opacité des faits
« intraitables » pour un scientifique. Or, si intentionnels est résolu, tout au moins par
l'on suit la thèse de l'indétermination des tiel ement, puisque l'usage impersonnel et
états intentionnels, ces derniers étant rela public des significations préserve la
tifs au « voir comme » des esprits subject dimension intentionnelle qui permet à un
ifs,la vie en société, la compréhension sujet de renvoyer à une chose du monde
réciproque et par là même la coordination tout en garantissant l'emploi d'une des
des individus devient un problème crucial. cription suffisamment définie, et par là
En effet, comment les individus pourr reconnaissable pour autrui, de « ce à pro
aient-ils se comprendre alors même que pos de quoi » il est susceptible de parler,
leurs pensées, a priori relatives à la réalité penser ou croire. Les actes mentaux ou
mentale de chacun, sont inaccessibles et physiques se retrouvent ainsi pourvus d'un
indéterminées pour autrui, et donc irréduc certain nombre d'attributs qui relèvent des
tibles à toute mise en commun ? Pour significations impersonnelles fournies par
répondre à cette question tout en évitant de le « milieu moral » dans lequel baignent
tomber dans l'acceptation dite solipsiste de les individus. Par exemple, un observateur
l'incommensurabilité des esprits subject qui voit un jardinier sortir avec son arro
ifs, il faut montrer que les faits intention soir ou quelqu'un se mettre en colère inte
nels, par-delà leurs différences indivi rprétera ces activités en mobilisant la
duelles, établissent une relation réelle qui « forme de vie », c'est-à-dire le « fond
leur donne « prise » sur le monde et les psychologique de besoins, de désirs, de
engage de facto vis-à-vis de leurs semb réactions naturelles » et le « fond histo
lables. L'enjeu de la discussion est donc rique d'institutions et de coutumes » qui
de montrer que même les relations inten lui permettent de reconnaître le « bien-
tionnelles, apparemment « irréalisées », fondé » de ces comportements (p. 93). On
ont des conditions de réalisation comprend dès lors la nécessité imperative
— 242
d'adopter une conception holiste de l'in- « holiste collectiviste » qui tend à attribuer
tentionnalité puisque tout acte significatif aux totalités signifiantes le statut d'un
manifeste et actualise la présence du « sys « supersujet » qui exercerait en tant que tel
tème de lois et d'usages » qui renvoie chez un pouvoir causal sur les comportements
Descombes, à la suite de Hegel puis de des « micro-sujets » qui le composent. En
Dilthey, à « l'esprit objectif » des institu effet, cette approche, cédant au « mirage
tionsdont l'autorité et la validité s'impose des individus collectifs », oublie qu'un
d'emblée aux esprits subjectifs des per individu est par définition une totalité indi
sonnes. L'esprit objectif pour Descombes, vise qui ne saurait être composée de plu
comme d'ailleurs pour Dilthey, se définit sieurs entités elles-mêmes individuées, en
comme l'ensemble des représentations col l'occurence des personnes (3). Quant à
lectives, qu'elles soient religieuses, juri l'approche inverse, l'individualisme
diques ou philosophiques. L'esprit objectif méthodologique, dont Popper est un des
est l'ensemble a priori des « significations chefs de file, elle fait des « objets » com
communes » qui, comme l'a montré plexes tels qu'un régiment, la France et,
Charles Taylor, forment la condition de plus généralement, les institutions, des
possibilité des intentions individuelles, des abstractions utiles qui permettent d'organi
opinions communes comme de tout accord ser nos pensées mais qui peuvent à tout
intersubjectif (2). Mais cette antériorité a moment être remplacées par la liste des
priori n'est pas celle de « l'esprit individus qu'elles coordonnent. Or, pour
objectivé » qui renverrait, comme chez Descombes, le statut de totalité abstraite
Merleau-Ponty, aux traces héritées du ne peut être conféré aux totalités sociales
passé dont chacun devrait se faire l'hermé- car ces dernières ne peuvent être réduites à
neute pour en réactiver le sens abandonné des « êtres » de raison dont l'existence
par les sujets disparus. L'esprit objectif serait pure convention. Les totalités
n'est ni la sédimentation poussiéreuse de sociales, contrairement à ce prétend Popp
pratiques antérieures qui ferait l'objet d'un er, ne sont pas des ensembles créés par
fastidieux travail interprétatif, ni le terme l'universalisation d'une propriété - par
d'un accord des individus consentants. Il exemple la blancheur - et ne sont donc pas
repose sur l'accord de principe qui permet réductibles aux éléments simples - les
aux membres d'une même comunauté de choses blanches - qui les composent, car
se reconnaître comme des semblables, elles constituent dans leur intégralité et
« toujours déjà-là » que sa présence au leur complexité des réalités concrètes.
plus intime des manières de penser et Ainsi, le terme « équipe » n'est pas une
d'agir impose sous le mode du familier. étiquette convenue qui permet de désigner
Dans la mesure où l'esprit objectif se une collection ou un catalogue de joueurs
définit comme le système des relations, par un terme abrégé qui renverrait à une
des significations et des usages qui est la propriété commune, celle d'être membre
condition de possibilité de la formation des de l'équipe. En effet, le terme « équipe »
pensées et des actions individuelles, il est n'est pas équivalent à l'ensemble de ses
irréductible aux éléments qui le composent membres, additionnés un à un, car le fait
et donc passible d'une approche holiste. que chaque joueur de l'équipe soit présent
Mais l'approche holiste qui est préconisée lors du match n'est pas une condition
ici est « structurale » et ne doit en aucun nécessaire à la victoire ou à la défaite de
cas être confondue avec le courant toute l'équipe. En d'autres termes, et n'en
(2) Cf. à ce propos Charles Taylor, « Interpretation and the Sciences of Man », in Readings in the Philosophy of
Social Science, Ed. by M. Martin and L. C. Mclntyre, Cambridge, MIT Press, 1994, pp. 181-211 .
(3) Dans cet ouvrage, Descombes semble se détacher d'un article précédent dans lequel il défendait l'usage
logique du terme d'individu collectif. Par-delà ce détail terminologique - qui n'en est peut-être pas un - cet
article brillant est essentiel pour éclairer le statut des « êtres complexes » auxquels doivent s'atteler les socio
logues. Cf. Vincent Descombes, « Les Individus collectifs », in C. Deschamps, Philosophie et Anthropologie,
Paris, Éd. du Centre Pompidou, 1992, pp. 57-91.
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déplaise aux « éliminativistes » de tous propriétés analogues à celles dont bénéfi
genres qui renient toute fonction descrip cie BABAR : elles se définissent en effet
tive et donc toute singularité à un terme par des propriétés relationnelles verticales
collectif, l'expression définie du type - leur structure fournit un principe d'orga
« l'équipe X a gagné le match contre Y » nisation qui permet de sélectionner « d'en
est irréductible car les prédicats qui peu haut » les fonctions et donc les parties
vent lui être attribués ne peuvent être di composantes nécessaires à leur actualisa
stribués aux parties composantes. Par tion ; d'autre part, elles se caractérisent par
conséquent, attribuer des prédicats d'ac des propriétés relationnelles horizontales -
tion comme « gagner » à des êtres comp les parties en question sont coordonnées de
lexes, que ce soit un régiment, une équipe manière à répondre à la règle de complém
ou une entreprise, constitue une procédure entarité qui les caractérise.
« logiquement correcte ». Mais le statut de Prenons par exemple l'institution du
ces derniers n'est pas pour autant résolu mariage à laquelle a sacrifié Monsieur Mart
car les totalités de ce type ne renvoient pas in, qui se trouve être ainsi, entre autres
à des états de choses ou à des substances- caractéristiques, époux de son état. Si, en
dans-le-monde que l'on pourrait, confo tant qu'unité d'être biologique, Monsieur
rmément aux critères nominalistes de Martin ne dépend pas de l'existence de sa
l'existence, toucher ou voir. femme, en revanche, appréhendé en tant
La solution de Descombes est la sui qu'homme marié, il s'avère « suspendu » à
vante : les totalités sociales ne peuvent être la position qui lui est corrélative - l'exi
confondues avec des collections ou des stence d'une épouse - sous peine d'être
ensembles d'individus, car ce sont des sys « éjecté » de la catégorie des gens mariés.
tèmes réels dont les propriétés relation Ainsi, saisis sous la description structurale
nellesn'appartiennent ni à l'ordre de l'i qui les appréhende en tant дм 'unis par les
ndividu, ni à l'ordre du tout, tout en étant liens du mariage, Monsieur et Madame
constitutives de l'un et de l'autre. Pour Martin ne sont pas les termes absolus et
illustrer l'approche que préconise Des individués que l'usage linguistique du pré
combes, prenons, à sa suite, le mot dicat apparemment monadique « être
BABAR comme exemple paradigmatique : marié » prête à penser. Au contraire, spéci
BABAR se définit par le mode d'agence fié en tant qu'époux, ils sont les « termes
ment des types de lettres qui la composent dérelativisés » d'un couple de statuts inte
et qui sont elles-mêmes définies en fonc rdépendants et complémentaires, les attribu
tion de « leur position sur la ligne d'écri taires d'une valeur de position qui les
ture». La structure BABAR est donc la consacre comme des partenaires, des parti
règle qui permet de sélectionner de culiers, au sens juridique du terme, dont les
manière significative, en fonction d'un droits et devoirs sont préfixés par une règle
ordre de sens a priori, les éléments néces institutionnelle. Le mariage n'est pas une
saires à sa réalisation, imposant aux part relation externe et contingente, une relation
ies A, В ou R un traitement purement dyadique qui mettrait en contact deux êtres
fonctionnel qui délaisse les traits qui les autonomes et séparés, comme la relation
caractérisent en tant qu'éléments matériels physique entre deux boules de billard dont
et individués - par ex., leur matériau de l'une est la cause du déplacement de
construction (métal, bois, fer, etc). l'autre. La relation de mariage constitue un
BABAR forme une totalité proprement système triadique qui, comme l'a montré
constituante puisqu'elle est simultanément Peirce, fait intervenir trois termes : un prin
l'antécédent logique, l'instruction et la cipe de niveau supérieur, c'est-à-dire une
référence obligée des parties composantes règle qui distribue des statuts complément
qui doivent et peuvent tout à la fois la aires - époux et épouse - aux deux termes
reconstituer dans son entier. Pour Des de niveau inférieur qu'elle régit. Le sys
combes, les totalités signifiantes que sont tème triadique se caractérise ainsi par la
les institutions sociales répondent à des présupposition d'une règle qui détermine
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un seul et unique fait de relation suscept cations : comme l'a montré Peirce dont
ible d'être spécifié de deux points de vue, Descombes s'inspire, les règles ne répon
celui du mari et celui de la femme, qui sont dentpas à l'ordre de la causalité qui régit le
ainsi l'envers et l'endroit d'une connexion monde positif des faits. Les règles répon
positive dont le statut est transitif : la forme dentà l'ordre logique de la nécessité condi
active « Monsieur épouse Madame » peut tionnelle qui caractérise le monde inactuel
sans doute être transformée en la forme des possibles car elles régissent des pro
passive « Madame est épousée par Mons priétés et des relations, des statuts et des
ieur ». Dans cette perspective, la relation catégories, et non des individus, que ce
intentionnelle et impersonnelle qui définit soient des agents empiriques ou des objets.
la règle du mariage a des propriétés Elles existent donc sous la forme condition
publiques indépendantes de toute attribu nelle du type si... alors de telle sorte
tion ou qualification effectuée par un indi qu'elles ne sont pas exécutées mais actuali
vidu ou un groupe d'individus. La règle sées en fonction du contexte : conformé
relève d'un ordre de sens prédéfini qui ment au postulat wittgensteinien, elles ont
s'impose comme une totalité a priori sur donc un caractère normatif car elles ne peu
des personnes dont le statut est réduit à vent être suivies que « si les gens estiment
celui de supports ou de « sujets logiques », qu'elles doivent - ou du moins qu'elles
puisque leurs caractéristiques empiriques devraient en général - être appliquées »
n'interfèrent en aucune manière dans le (p. 266) et « qu'ils veulent s'en servir pour
système triadique qu'elles reconduisent, se diriger dans la vie » (p. 257).
tout comme les lettres A, B, R dans le sys Pourtant, en dépit de ce parti pris nor
tème BABAR. Ainsi, une triade - ou un matif, les règles triadiques dont parle Des
composé de triades qui donne une polyade combes s'inscrivent dans un paradigme
- peut être définie comme « le système « juridique » qui ne laisse guère de marge
engendré par une relation qui assigne un de manœuvre à ses attributaires. En effet,
ordre entre les sujets logiques de la proposi les propriétés intrinsèques des personnes
tion, indiquant par là quel est le statut de font place aux propriétés formelles de
chacun des membres du système par rap l'institution dont elles sont les supports : la
port aux autres » (p. 236). Dans cette pers relation sociale ne réunit donc pas un indi
pective, si le tout, conformément en cela au vidu à son semblable, mais un particulier à
postulat durkheimien, est plus que la un autre particulier, rapport éminemment
somme de ses parties, ce n'est pas parce statutaire qui tend à rétrécir le sujet aux
qu'il représente une macro-entité qui exer imputations des systèmes triadiques dont il
cerait des causalités sans possibilité de est « l'objet ». Mis à demeure par une
rémission sur des individus qui, de leur approche holiste qui l'appréhende comme
côté, la subiraient sans coup férir. Le tout le terme d'une relation triadique, l'« exemp
est irréductible à ses parties parce qu'il est laire de la vie humaine » qu'est devenu le
organisé selon un ordre hiérarchique qui sujet apparaît ainsi quelque peu exsangue
permet d'imposer des conditions préalables car, s'il peut « imprimer sa marque de
« quant au type des occupants légitimes des fabrique » à l'esprit objectif, ce n'est qu'en
différentes places prévues » (p. 171). reprenant à son propre compte les attribu
Dès lors, si, dans le modèle de Des tions, exhortations, incitations et injonc
combes, la règle gouverne la pluralité qua tionsque le monde social lui impose.
litative et différentielle des contributions Autrement dit, « l'extériorisation du
nécessaires à sa (re)totalisation, et par là- mental », qui permet de remplacer à bon
même, précède ses actualisations, elle ne escient le classique « procès d'intériorisa
tombe pas dans le piège d'une ontologie tion » du social dont le présupposé inévi
substantialiste qui ferait des règles des enti table est l'existence d'une intériorité
tésindividuées. Car la règle n'est pas consi « déjà-là », a en quelque sorte le défaut de
dérée comme un mécanisme empirique qui ses avantages. Si elle permet de sortir d'une
déterminerait causalement ses conception subjectiviste de l'esprit sans
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pour autant renoncer à l'intentionnalité qui Downing remet en question les modèles et
le caractérise, le prix à payer pour ce coup les théories utilisés en Occident pour pen
de force théorique est loin d'être négli ser la communication internationale.
geable. En effet, « la descente au parti Ouvrage de combat scientifique, mais éga
culier » qu'implique la démarche holiste lement texte subtil à entrées multiples,
préconisée par Descombes tend à perdre le Internationalizing Media Theory analyse la
mouvement inverse, celui de « la montée en place des dispositifs de communication
généralité » qui permet aux individus d'en médiatisée - ne se limitant pas uniquement
gendrer, à partir d'une situation, d'une aux seuls « médias classiques » - dans trois
interaction ou d'un processus réflexif, de espaces de l'ancien « bloc soviétique »
nouvelles significations. Dans la mesure où devenus états souverains, quoique toujours
« tout » est à l'extérieur, la psychologie marqués par l'époque de l'URSS. Chemin
comme les approches qui se centrent sur les faisant, Downing se montre critique envers
interactions ou sur les activités in situ doi les modèles et referents habituellement
vent faire place à une « anthropologie des cités par ceux qui étudient la communicat
institutions » qui permet seule d'analyser ion internationale ; il pointe trois « miroirs
les « structures de l'esprit ». Aussi, le philo déformants » : - la surreprésentation des
sophe du « nouvel esprit », en rejoignant le études centrées sur les États-Unis, le
sociologue dans la tâche de décrire l'e Royaume-Uni et l'Europe occidentale ;
nsemble des règles qui régissent l'usage « l'oubli » des sciences politiques qui, lors
« confirmé » et conforme des significa qu'elles étudient les sociétés en transition,
tions, restreint simultanément son champ ne scrutent pas suffisamment les processus,
d'investigation aux institutions qui assurent les stratégies, et les acteurs de la communic
« la présence du social dans l'esprit de cha ation; les insuffisances, tout aussi
cun ». Cette démarche, si elle ne permet pas grandes, enfin, de la pensée des chercheurs
de saisir la généalogie de ces institutions es communication qui n'accordent pas ou
qui s'imposent sous le mode intemporel de guère d'importance à l'étude des rapports
la « Loi », a l'avantage de systématiser de force politiques et économiques dans
d'une manière aussi explicite que convain leur modélisation des interactions médias et
cante le postulat tacite des sociologues. Le société.
« passif intentionnel » qui perdure, par-delà Attardons-nous un instant sur ce dernier
le continuel renouvellement de ses compos point : les chapitres sept et huit s'interr
antset les vicissitudes de son histoire, est ogent sur la pertinence des approches
cela même qui rend les agents... actifs. « mainstream » - on n'ose écrire « esta
C'est cette discussion, centrale pour les blishment » - et « critiques » pour penser
sciences sociales, que Les Institutions du l'ensemble des paramètres - sociaux, éco
sens nous invite à approfondir, au terme nomiques, politiques, communicationnels
d'un raisonnement qui est, toutes descrip et autres encore - nécessaires pour com
tions considérées, remarquable. prendre les régimes et les sociétés « en
transition ». Downing démontre les insuf
fisances, voire la non-pertinence, de la
• Vincent DESCOMBES, Les Institutions pensée « mainstream » - nord-américaine
du sens, Paris, Minuit, 1996. essentiellement - de la communication
média ; elle serait, ainsi donc, trop média-
centrée. Il passe en revue les théories de
Internationalizing Media Theory « Г agenda-setting », de l'influence des
de John DOWNING médias sur les comportements (dans le
par Michael PALMER sillage des travaux de George Gerbner),
des diffusionnistes, du « gatekeeper», des
Partant d'une réflexion sur les rôles et le « usages et gratifications », du « détermi
fonctionnement des médias en Russie, en nismetechnologique doux » (Ithiel da Sola
Pologne et en Hongrie, 1980-95, John Pool), des « quatre théories de la presse »
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