Je Suis Amoureux D Un Tigre Chapitres 1 2
Je Suis Amoureux D Un Tigre Chapitres 1 2
Je Suis Amoureux D Un Tigre Chapitres 1 2
Chapitre 1 :
Je m’appelle Benjamin et, cet après-midi, je suis tombé amoureux d’un tigre.
J’avais pas prévu ! Sale journée à l’école ; je récolte une mauvaise note, et je flanque mon stylo à la tête du prof.
Le directeur me convoque dans son bureau. C’est grand, grand, comme une prison sans portes, un océan sans navires.
Il me regarde, l’air mécontent.
- Encore toi, Benjamin ? Tu sais ce qui finira par arriver ?
Je sais bien... Je baisse le nez, et je compte mes pieds. Le temps que le directeur termine son discours, je deviens
un vrai millepatte.
Plus tard, je sors de l’école en courant, en pleurant.
Il pleut. Je rabats le capuchon de mon anorak, et je fonce jusqu’au canal Saint-Martin. Là, je monte sur le pont de
la Grange-aux-Belles. J’habite de l’autre côté, au coin du quai de Jemmapes et de la rue de la Grange-aux-belles,
au-dessus du café La Péniche jaune. La porte est jaune, la façade bleue. Dans le fond, un escalier en colimaçon,
grimpe jusqu’à l’appartement. Ma chambre donne sur la Seine, et je regarde souvent l’eau couler. Pas loin, il y a
l’Hôtel du Nord, avec ses murs blancs qui virent au gris. Des touristes viennent parfois le regarder, à cause d’un
film célèbre. Je m’arrête au milieu du pont, sur les planches en bois noires, mouillées, glissantes. En bas, l’eau coule,
très verte, lente, à cause des écluses. Plus loin, du côté de la Place de la République, le canal disparaît brusquement,
il glisse sous terre comme un caramel au fond d’une poche.
Je me perche sur la pointe des pieds, le menton posé sur la rambarde. Je contemple l’eau, des feuilles mortes,
parfois une branche, une planche qui tourbillonne. - Tu regardes quoi ?
Je me retourne, surpris. J’aperçois une fillette de mon âge. Elle porte un anorak noir, un jean bleu sombre, presque
noir. On croirait un garçon, sauf que ses longs cheveux sombres, mouillés, alourdis par la pluie tombe sur ses
épaules.
Chapitre 2 :
En rentrant du café, je me secoue comme un chien mouillé. Naturellement, Catimini, qui rôde sous les tables, reçoit
quelques gouttes. Il pousse un miaulement indigné. S’il était un tigre, j’aurais des ennuis ! Virginie est embusquée
derrière la caisse. Ses lunettes brillent pendant qu’elle surveille Catimini, ses bagues brillent pendant qu’elle
pianote les additions. Elle clame :
- Benjamin-in-in ! Tes pieds !
Ah oui, les pieds. Je soupire, saute sur le paillasson. Et je frotte, frotte, consciencieusement.
Au comptoir, Roméo essuie les verres. Il rigole, comme toujours. Il a des cheveux gris, et un cigare sur l’oreille.
Mes vrais parents sont morts en Asie, quand j’étais bébé. Après des années de foyer, Roméo et Virginie, qui n’ont
pas d’enfant, m’ont pris avec eux. Je les aide au café. Ils attendent les papiers qui les autoriseront à me garder.
Parfois, on s’entend bien, parfois non. Mais je suis obligé d’être parfait : poli avec eux, gentil à l’école, mignon avec
les copains même s’ils m’appellent le Chinois, et tout et tout. Sinon, les gens du foyer diront que je suis malheureux,
et ils me reprendront. Ça me rend nerveux et j’ai des ennuis, des bagarres, des mauvaises notes...Roméo me fait
signe :
- Cesse de gaspiller tes pieds, bonhomme ! Viens m’aider.
Et comment ! M’occuper du café, des clients, j’adore ça ! Parfois, on part à la campagne, en province : Roméo et
Virginie possèdent une maison grise, au bord de la Loire. Mais moi, je préfère La péniche jaune, le comptoir brillant,
les bouteilles renversées, la machine à café, les gens du quartier, qui entrent et sortent en pestant contre la pluie,
ou le soleil, ou les impôts. Je me faufile derrière le comptoir. Chaque soir, Virginie l’astique comme un miroir. Le
matin, avant de partir pour l’école, je me regarde dedans, je fais des grimaces, les plus horribles possibles ! De là,
si je me perche sur la pointe des pieds, et s’il fait beau, et si les rideaux sont tirés, j’aperçois le canal, parfois une
péniche.
Mais ce soir, pas question ; il pleut de plus belle, et les clients ne me laissent pas une minute. Ils me connaissent
tous, maintenant :
- Benjamin ! Un café noir.
- Benjamin, un p’tit blanc !
- Benjamin, une bière rousse !
Je tire la langue, galope entre les tables, jongle avec les petites cuillères, le couteau à pain, les chiffons, les verres
à cognac, les œufs durs et le paquet de beurre. Je marche sur la queue de Catimini et lui renverse un verre d’eau
sur la tête, le pauvre. Il doit regretter de ne pas être un tigre ! Au bout d’un moment, les clients repartent ; c’est
l’heure du dîner. On s’installe tous les trois dans la petite cuisine. Il y a de la daube, et de la tarte aux framboises !
Je raconte à Roméo et Virginie ma rencontre avec Sonoko.
Ils se consultent du regard. Roméo déclare, définitif :
- Je ne la connais pas. Ils sont nouveaux dans le quartier, des Japonais.
Virginie suggère, romantique :
- Tu devrais la revoir, Benjamin, ...
Roméo conclut, railleur :
- Et te déguiser en lion !