9782705937539
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LES SEKSAWA
Recherches
sur les structures sociales
du Haut-Atlas occidental
THÈSE POUR LE DOCTORAT ks LETTRES
PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES
DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS
PAR
Jacques BERQUE
(1) G. GERMAIN est conduit par divers indices, dont la présence actuelle
d'Idaw i-yzimmer, à situer dans notre région ces hérétiques dénoncés par al-
Bakrî au XIIe siècle, Le culte du bélier en Afrique du Nord, Hesp., 1948, p. 113.
(2) On sait que ce thème, à la fois juridique et polémique, n'a pas encore
été abandonné.
(3) Telle est en effet la prononciation locale, qui est mise en rapport avec les
grès rouges stéphanotriasiques du col : on les nomme amachchô «roche de chat »
(allusion à la couleur). Mais la dénominaton des roches dans la région manque
absolument de rigueur. Je cite les explications qui m'ont été données.
décadence des Maçmûda. Quant aux amandiers et aux oliviers,
dans quelle mesure ont-ils survécu, ou au contraire succédé à la
forêt d'arganiers qui peut-être s'étendait jusqu'à l'asif el-Mâl
au xve siècle, c'est ce qu'il est difficile de préciser. Et que penser
d'éléments aussi caractéristiques d'un paysage qu'ont pu l'être,
dans ce piémont aujourd'hui déboisé, le thuya, le gommier, ou les
associations de l'oléolenliscelum ?
Revenons donc à la carte, encore qu'imparfaite. Ces vallées,
ces trouées, le Nffis, l'asif el-Mâl, le Seksawa, divergent toutes
d'un même château d'eau, le massif du Tichka (1), lieu historique
important, et qui, de son énorme môle granitique, fait butoir au
pays Seksawa vers le S. Avec les cimes proches, montant à 3.000
et 3.400 m., un ressaut d'un millier de m. environ fait surgir le
massif ancien au-dessus de la dépression permotriasique et de la
zone subtabulaire de l'O. C'est la première barrière face aux vents
de l'Atlantique, d'où forte condensation des nuages arrivant en
général du S.-O. C'est aussi, lorsqu'on vient de l'E., la dernière
affirmation de haute montagne. Après, on ne trouvera plus que
les causses, les collines Mtugga et H'âh'a.
Le Seksawa, le Nffis, l'asif el-Mâl, et deux des affluents les
plus importants de l'Issen proviennent directement du Tichka.
Les autres affluents de l'Issen, plusieurs affluents du Sous
sourdent du versant Sud de la chaîne axiale. Toutes ces sources
ponctuent une distance de moins de 30 km. Il y a donc là un
important foyer hydrogéographique, donc de culture sédentaire,
donc de constance historique. Ce rôle du Tichka, ou plus exac-
tement de la crête qu'il flanque, a été perçu par les auteurs
musulmans. Ibn Khaldûn le marque en un passage dont les pré-
cises correspondances sauvent le métaphorisme. Le marabout de
Tasaft est encore plus formel. Il compare ces bassins fluviaux,
suspendus à la crête, à des outres dont les hauts cantons sont les
pattes. Le Tichka, dit-il, est « la balance des eaux », mîzân al-
miyâh, le'réservoir de la montagne (2). Réservoir de bien d'autres
choses encore, comme on sait.
(1) Cf. notre étude sur les Antiquités Seksawa, Hesp., 1953, p. 363. Le pre-
mier à avoir souligné l'importance de ce môle d'histoire, d'économie pastorale,
et de sociologie tribale, est R. MONTAGNE,L'Aghbar et les hautes vallées du
Grand Atlas, Hesp., 1927, p. 16.
(2) JUSTINARD, La Rihla du marabout de Tasatt, 1940, p. 91.
LIMITATION DU MONDE SEKSAWA
FIG. 3
LE TERROIR
Cultures sur le toit, cultures au balcon, cultures à même la
rue : ces trois métaphores, se référant au pays Seksawa considéré
comme une cité, ne seront démenties ni par la réalité des choses, ni
par la vision qu'en a le génie coutumier.
Le toit, ce sont les vastes plans qui couronnent les moyens et
même les hauts reliefs, et perchent autour de 2.000 m., dans le
silence de l'alpage et de la forêt, les labours de l'homme. Voilà une
forme caractéristique de cette partie de l'Atlas. Sa molle horizon-
talité tranche avec l'énergie du plissement alentour. Qu'elle
résulte d'érosions antérieures au mouvement tertiaire, ou au
contraire de remaniements plus tardifs, c'est de quoi discutent les
géologues. La chose n'en est pas moins là, avec tous ses effets
géographiques et sociaux. Ces plans sont utilisés par le pacage et
la culture. Celui-là succède à celle-ci dès l'enlèvement des récoltes,
ou bien s'approprie de vastes domaines. Les hautes emblavures
sont appelées lbur, terme arabe qui revient souvent dans la topo-
nymie (et aussi les formes albur, ilburan, talburt, talburin, etc.).
Au-dessus de 2.000 m., et de plus en plus haut, règne le seigle. Pour
reprendre le mot de nos montagnards, c'est là le plâ pyrénéen oule
replat alpin. Une série de mots chleuhs, tasila, agoni, aggwmi,
agodal éveillent, peut-être sémantiquement, la même idée et cor-
respondent à la même réalité surtout pastorale. Mais le mouve-
ment pastoral est collectif, tandis que l'agriculture sur les hautes
terres est l'affaire de quelques-uns. Elle implique des transports,
des déplacements amples, dont le riche est seul capable. Ce n'est
donc pas pour tous qu'elle comportera cette «remue » incessante
si caractéristique de nos paysans de montagne. Là-haut, seul le
notable, apte aux conflits à longue portée, se répandra. La démo-
cratie agricole règne plus bas, tout contre le village, où elle
s'acharne à son horticulture de balcons. Le riche, par son associé,
ou ses cousins pauvres, ou ses bergers, surveille les confins entre
cantons. Au droit de fond de vallée, étroitement municipal, se
substituent, sur ces hauteurs, les accords, les drames et les trêves
d'un droit international. Là naissent, de la contemplation des
vastes perspectives, nécessaires au troupeau, des stratégies d'ex-
pansion d'autant plus ressenties et soutenues par le groupe, qu'avec
les cultures du chef, c'est la possession des alpages et l'impluvium
des torrents qu'elles mettent en jeu.
Tout autre style dans les fonds de vallée. D'en haut, on dirait
d'un dessin patient, tout en courbes de niveaux. A la couleur
fauve des parois s'opposent, selon les saisons, l'ocre vif des
labours, le vert des jeunes pousses ou l'or des moissons. Tout ce
monde de teintes vives et de minutieuses géométries, damiers de
parcelles, parallèles de terrasses, se casse brusquement vers le
haut, à la rainure d'une séguia. Au delà, et à l'infini, c'est la roche
schisteuse, la forêt, le pâquis. En deçà bouillonne une vie persé-
vérante et cloîtrée. Le village est, dans cette île que forme la
montagne au sein de la steppe, lui-même une île. C'est l'île de
l'île. D'extraordinaires valeurs de synthèse, de concentration s'y
font jour.
Le mot français de balcon éveille tout naturellement l'idée de
ces cultures que nous disons aussi en banquettes, ou en terrasses,
ou en gradins. Il exprime bien ces encoches sur la paroi dévalante
où un peu de végétation est juchée sur un peu de terre, à grand
renfort de peine de l'homme. Il s'agit de transformer en ligne
brisée, à degrés horizontaux, si ténus soient-ils, la droite déclive
que constitue la pente. Par là, simultanément la maîtrise des sols
et la distribution de l'eau d'irrigation seront possibles, et par là
seulement l'eau et la terre naîtront simultanément du labeur. Le
géographe est assez familiarisé avec ce genre de cultures, dont des
exemples classiques peuvent être trouvés aussi bien en Orient
qu'en Europe. Cela éveille toujours une idée de vertus rustiques,
de courage et de travail. Incessant ouvrage pour s'opposer à la
descente des sols, à la chute de l'eau, lentes remontées, couffin à
l'épaule, attentif aménagement à la houe et aux «petits outils »,
art des murs en pierres sèches : tout cela sur guère plus d'espace
qu'un pot de fleurs, ou qu'un caisson de terreau à la fenêtre d'un
building ! La surprise est ici que tant de peine n'aboutisse qu'à
une poignée d'orge ou du maïs. Ces « grandes cultures », au
scandale de l'économiste, jurent paradoxalement avec un cadre
aussi minutieux, aussi coûteux. N'y a-t-il pas là subversion
économique ?
Descendons encore. La rue, c'est le torrent. Ses parois, dans les
meilleurs cas, s'étagent en paliers successifs, en terrasses natu-
relles. Il y a aussi des plaines et des bassins suspendus parfois
assez spacieux : à Sidi Âmer u H'addô, à Tuz'z'umt. Ailleurs aussi,
plus pauvrement. Mais parfois le fond du couloir se réduit au lit
actuel du fleuve. Et l'on s'avise alors que ce lit lui-même n'est pas
négligé. Des murs de pierre perpendiculaires au courant s'érigent.
Vienne la crue : là où ils ne tiennent pas, tout est emporté. Ainsi
en Sekrat. Ailleurs, des cheminements de rigoles tâchent de pro-
fiter d'une déclivité générale, sans souci de l'orage qui prendra
tout. Ainsi en Imt'ddan.
Peine infinie, art presque gratuit, imprévoyance totale, dirions-
nous. Toute une agriculture de lit de torrent édifie et réédifie des
défenses, chaque année plusieurs fois vaincues. La pierre est si
familière : on la déplace, on la replace avec une telle légèreté !
Propension cyclopéenne, gaspillage d'ouvrage humain. Et l'on
croit, d'une foi aveugle, au bienfait de l'eau. On fera donc de
l'orge et du maïs avec de la pierre et de l'eau. Le fleuve grossit,
arrache le tout. Mais on aura parfois l'aubaine d'une récolte :
orge forcé sur le galet, véritable explosion végétale. Et le monta-
gnard de braver le torrent : ghwan izri, nezdagh nokni, «il passe
et nous demeurons » (1). Forte maxime d'un abus de courage.
Par là la vie s'exalte, peine, et de temps à autre, misérablement
festoie.
(1) Adage des a.Lh'sen qui sont ceux en effet qui ont le mieux colonisé
leur asif.
Car cette vie si dure a ses jaillissements. Une alacrité vigilante
l'anime. Ici pas de nonchalance, pas de cette langueur des plaines
atlantiques, doublement influencée par la mollesse de l'air et les
fatalités bédouines. Tout, dans cette montagne, est dur, contrasté,
nerveux. De toutes parts, des coins et des recoins finement
affouillés, des fonds de vallée ciselés par la houe, un pays découpé
en vallons et cantons. Autant de signes de l'homme, d'un génie
aux passions fortes, aux non moins fortes patiences. L'Atlas est,
on l'a vu, botaniquement une île méditerranéenne, isolée et ana-
chronique. Ce ne sera pas préjuger de la suite de cette étude, que
de dire déjà qu'avec cet aspect du pays, une certaine histoire et
certaines structures sociales conspirèrent, pour que fût assumé,
dans l'encerclement du Sud, un destin à part.
III
DES HOMMES
LAMAISON (1)
Pays de bourgs. Malgré l'identité de la teinte et des matériaux
avec la roche alentour, la maison, par sa verticalité audacieuse,
son entassement géométrique de cubes et de terrasses, oppose un
vif contraste à la nature environnante. Ce paysan, si proche de
son support géologique, affirme ainsi une initiative qui proclame
l'énergie de la communauté.
Environ 80 agglomérations, groupant actuellement une dou-
zaine de mille habitants, s'égrènent dans les fonds de vallée. Elles
y profitent d'une sorte d'inversion qui tourne ici en avantages les
tares habituelles de l'économie montagnarde. La basse latitude,
qui fait fructifier l'olivier jusqu'à Ad'erd'ur en moyenne vallée,
remédie aux rigueurs de l'altitude. L'abri sousparois escarpées, au
lieu d'effets répulsifs par le froid et l'ombre, offre une protection
contre l'insolation estivale. D'autres causes encore ont fait de
cette partie du Maroc, prise entre les steppes, un refuge plutôt
qu'un repoussoir. Delà la densité de la vie qui tend, d'emblée, par
les formes mêmes de l'habitat et de l'architecture, au système
urbain.
Le village étale des terrasses presque continues. A peine si
d'étroites ruelles, parfois ouvertes en tunnel, les séparent. Une
légende de Tinmel illustre l'antiquité d'un tel style. Un bélier
échappé put, dit-on, y sauter une journée entière de terrasse en
terrasse (2). Hyperbole, sans doute, mais instructive.
Dès lors l'incertitude est grande quant aux limites de la
(1) Sur la maison du Haut-Atlas, R. MONTAGNE, L'Aghbar et les hautes
vallées du Grand Atlas, Hesp., 1927, p. 4 sq., Les Berbères et le Makhzen dans le
S. du Maroc, 1930, pp. 41 sq. ; planches et légendes dans Villages et kasbahs
berbères, 1930, pp. 5 sq. ; J. DRESCH et J. DE LEPINAY, Le guide alpin de la
montagne marocaine, lemassif du Toubkal, 1938, p. 73sq. Dans un autre domaine
chleuh, où la réalité technique et linguistique paraît plus riche que celle du
Haut-Atlas, A. ADAM, La maison et le village dans quelques tribus de l'Anti-
Atlas, 1951, pp. 8 sq. Enfin, on ne peut pas ne pas citer, dans un domaine géo-
graphique très différent, E. LAOUST,L'habitation chez les transhumants du Maroc
Central, 1935.
(2) JUSTINARD, La Rihla du marabout de Tasaft, 1940, p. 119.
«maison ». Ce sont entre autres des nécessités de défense qui ont
inspiré cette architecture de masses et de blocs. Mais prenons
garde que le mot iigemmi, s'il désigne bien l'agrégat matériel de
cubes maçonnés, de cours, de baies horizontales, de terrasses
percées d'un trou carré, s'entend aussi, de façon plus étroite, de la
«demeure »qui n'en est qu'une fraction, et qui se décompose par-
fois encore elle-même en «appartements »Ibyut. Cette demeure est
une. C'est l' « ouverture » tiflut, ou même imi « dégagement,
débouché », qui la définit et la rend autonome de celles avec
lesquelles elle est agglomérée. Il n'y a donc pas à proprement
parler en Seksawa de maisons d'ikhs, bien qu'il puisse y avoir,
comme par exemple aux a. Mh'nd, des blocs plus ou moins com-
pacts pressant les demeures d'un même ikhs. Mais c'est là un cas
privilégié et à peu près unique. D'une façon générale, une partie
seulement de l'ikhs s'agglomère. Et le contraste est frappant entre
une architecture qui, à certains égards, reste agnatique, et l'ha-
bitat divis à l'échelon de la famille conjugale.
Non seulement les Seksawa bâtissent des maisons, mais ces
maisons sont de pierres et à étages : beau sujet d'étonnement pour
les premiers observateurs venus de ce «Maroc utile »que désole la
hutte. Un examen plus attentif permettra de nuancer cette
appréciation. Jusqu'à mi-vallée, s'observe l'architecture de
pisé (1) du Sud. C'estle loh'h', constitué par coffrage et «damage ».
Levillage de Bulcwân, par exemple, orgueilleusement dominé par
la maison d'un amghar, ne serait pas déplacé plus bas dans la
plaine. Uncrépissage extérieur à la chaux a mêmeété ici pratiqué.
Fait exceptionnel, parce que seigneurial. Mais l'architecture de
pisé se raréfie à mesure qu'on remonte le fleuve. Encore en
a. Musa, elle prédomine de beaucoup : environ deux tiers des
maisons. Mais elle devient fort rare (un dixième environ) à Z'init'
et en Imt'ddan. Inexistante en Idma et plus haut. Ce n'est pas
que la terre manque : elle sert encore ici à un crépissage intérieur,
et parfois extérieur : mais l'architecture de pierre règne de plus en
plus absolument à mesure qu'on monte.
Ce n'est pas seulement les matériaux qui changent. Mais
naturellement aussi la forme de la maison. C'est maintenant une
maison dressée : à deux ou trois étages. La première qui frappe
l'œil, c'est, à la limite dirait-on destechniques proprement monta-
(1) E. Laoust, dans le travail cité ci-dessus examine, pp. 295 et 296, le pro-
blème que pose cette technique du pisé, familière au Maghreb et à l'Espagne.
H. TERRASSE, Kasbahs berbères de l'Atlas et des oasis, 1938, pp. 48 sq., voit dans
le pisé, « le fourrier d'une autre civilisation », en l'espèce des influences urbaines -i
(p. 79).
gnardes, mais avec une perfection toute classique, l'agglomération
de T i g e m m i y-Iggiz : assemblage en ruche d'alvéoles qui sont des
d e m e u r e s i n d i v i d u e l l e s : 7 f o y e r s y v i v e n t . P e u à p e u se d é g a g e u n
t y p e m o n u m e n t a l , qui c o m p t e déjà de b e a u x exemplaires, d'allure
p r e s q u e u r b a i n e à Z ' i n i t ' , e t c u l m i n e e n a. H ' a d d u y w s a u x
c i n q é t a g e s d u p a l a i s d e l ' a n c i e n a m g h a r U m u l i d . N o r m a l e m e n t , le
rez-de-chaussée, agrur, sert d'étable et de chauffage central. A u -
dessus, des a p p a r t e m e n t s Ibyut, t i n w a l i n ; a u - d e s s u s , f a c u l t a t i -
v e m e n t , la tameçrit, pièce de r é c e p t i o n o u de vie m a s c u l i n e ; enfin,
l'asqqif, g r e n i e r - v é r a n d a , p i t t o r e s q u e m e n t o u v e r t s u r l ' u n e de ses
faces, a v e c d e s piliers de bois p a r f o i s s ' a j u s t a n t à la b o r d u r e de la
terrasse p a r une sorte de dorique. L a m a i s o n à asqqif a p p a r a î t en
a . M u s a , o ù elle c o n s t i t u e e n v i r o n u n t i e r s d e s t y p e s . D a n s l a h a u t e
v a l l é e , elle e s t g é n é r a l e . L ' o u v e r t u r e d e t o u t e s les v é r a n d a s b â i l l e
s u r la m ê m e o r i e n t a t i o n . R i e n d e p l u s f r a p p a n t q u e c e s v i l l a g e s
é t a g é s e t a r c h i t e c t u r e s , a u x l o n g u e s b a i e s p a r a l l è l e s t r o u a n t la
façade : tel a p p a r a î t F e n s u à celui qui d e s c e n d d ' U z a g a .
T o u t cela est noir e t triste. C'est b â t i en pierre schisteuse, a u x
c a s s u r e s l o n g i t u d i n a l e s , a u x p l a n s l u s t r é s , e t lié d e t e r r e g r a s s e . L e
t o i t , d o n t R . M o n t a g n e p o u r l ' A g h b a r , J . D r e s c h p o u r le T u b k a l
o n t d é c r i t la c o m p o s i t i o n f e u i l l e t é e , n ' e s t a u f o n d q u ' u n sol. Il f a i t
chaussée. Les maisons, s ' a c c u m u l a n t d a n s u n système jointif, o ù
c h a q u e n o u v e a u p a r t i c i p a n t a u t o n o m e loge son p r o p r e a p p o r t de
pièces, s ' o r d o n n e n t v o l o n t i e r s e n q u a r t i e r s , s é p a r é s p a r des ruelles
o u d e s t u n n e l s . U n b e l e x e m p l e d u g e n r e à I g e r s s a f f e n , o ù le c h e m i n
m u l e t i e r s u i v a n t la vallée d o i t e m p r u n t e r u n p a s s a g e c o u v e r t .
Ces d e m e u r e s s o n t b i e n f e r m é e s . L e s p o r t e s , c o n f o r m e s a u t y p e
h o m é r i q u e , n e t o u r n e n t pas s u r des g o n d s e n c a s t r é s d a n s u n m o n -
t a n t immobile : mais leur axe t o u r n e lui-même mobile sur des
c r a p a u d i n e s . C ' e s t d u d e d a n s q u e la s e r r u r e f o n c t i o n n e . S y s t è m e
a u m a n i e m e n t c o m p l i q u é , c o n s i s t a n t e n p e n n e s d e b o i s o u d e fer.
U n t r o u p o u r la m a i n p e r m e t d e l ' o u v r i r d u d e h o r s . E t l ' o n s e
rappelle, sans vouloir faire de r a p p r o c h e m e n t , c e t t e a n e c d o t e de
l ' A f r i c a i n A p u l é e , s u r l a m é s a v e n t u r e d ' u n v o l e u r : il i n t r o d u i t l a
m a i n , m a i s u n e v i e i l l e , g u e t t a n t d e r r i è r e la p o r t e , l u i e n f o n c e u n e
a l è n e d a n s le p o i g n e t , d e s o r t e q u e , p o u r n e p a s r e s t e r p r i s , il e s t
o b l i g é d e se t r a n c h e r l u i - m ê m e le b r a s .
LES BOURGS
PERSONNALITÉS CANTONALES
DESCENTE DU TICHKA : LE BOUT DU MONDE
Il existe dans la montagne d'Amizmiz un «bout du monde »
Imi n-ddunit. Bien que le nom ne se retrouve pas ici, c'est bien au
bout du monde que l'étranger se sent, lorsqu'il est parvenu au
dernier palier de la dernière impasse, au flanc même du Tichka.
Mais ce qui est aboutissement, ultime effort pour le visiteur venu
de la plaine, explorateur, conquérant, prosélyte, sera pour nous,
plus justement, un point de départ.
Commençons donc à descendre du fond de la vallée des «fils de
Géryon », Idaw Geryun, à partir de leur bourg nommé Targa
Ufella «la séguia suprême ». Derrière nous, plus rien que le Tizi
Uzdim, dont l'escarpement, entaillé dans le granit du vieux
massif, vous mène en plein ciel, aux pâquis silencieux du Tichka.
Six mois de l'année, de novembre à mars, la neige les couvre. Et,
à partir du 10mars, une mise en défense impérieusement «nouée »
aggwmiiqqan, sauvegarde les herbages jusqu'à ce que les I. Geryun
la «délient ». Alors y affluent, outre les troupeaux Seksawa, ceux
des tribus environnantes : Imedlaun, Idaw Mçat't'og, Tigguga,
a. Tkssit et même a. Ughbar. Pendant cette longue interdiction,
les troupeaux du haut Seksawa ont transhumé en plaine chez les
arabes UdBessebâc. Outre le mouton, la richesse de ces vallées est
le noyer, dont les feuillages odorants, à partir de mai, font de
chaque ravine un couloir de verte pénombre, en contraste violent
avec les reliefs d'alentour, puissants, tristes, dévorés de soleil ou
de frimas.
En effet, le pays des I. Geryun est de tous côtés enserré de
montagnes. Le Tanddri, dominant l'archaïque bourg d'Ikis et
souvent appelé Ikis lui-même par nos cartes, s'élance en cône
aigu, d'une rectitude presque géométrique, aux échappées de la
rive droite. Sur la gauche, un autre cône, le Ras Mulay Âli, point
culminant de cette partie de la chaîne, dont sa pyramide élancée
défie l'habituelle lourdeur. Son sommet (3.310 m.) est une minus-
cule plate-forme, partout entourée de pentes à 80 % et entière-
ment occupée par les ruines de bâtisses en pierre sèche, dites
1954. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)
ÉDIT. N° 23.556 IMP. N° 13.744
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