Que Faut Il Dire Aux Hommes Dossier21 22
Que Faut Il Dire Aux Hommes Dossier21 22
Que Faut Il Dire Aux Hommes Dossier21 22
Je me souviens de la religieuse qui m’a ouvert la porte du dispensaire de Mère Teresa à Calcutta, de
son sourire et de sa poignée de main. Je me souviens d’un moine dans un temple au Cambodge qui
me parlait d’une voix douce au son des clochettes. Il y a eu d’autres rencontres avec ces hommes et
ces femmes « habités » d’une étrange manière. Pour quelqu’un qui ne croit pas comme moi, ces
rencontres m’ont toujours accompagné. Et interrogé.
Qui sont ces hommes et ces femmes ? Que s’est-il passé pour qu’ils croient que leur liberté passe par
cette voie ? Quel est leur quotidien, leurs doutes, leurs désirs ?
Le 8 juillet 2018, soir de la première de TRANS (més enllà) au Festival d’Avignon, je rencontre deux
frères dominicains, Thierry et Charles, figures du festival. Je les retrouve quelques jours après à la
sortie du spectacle. On échange, on se questionne sur le genre, ils sont eux-mêmes des hommes en
robe, les choix, l’engagement, la liberté, le deuil d’un monde, d’un mode de vie. Je reste très marqué
par cette rencontre.
En septembre, je revois frère Thierry à Paris et lui parle de mes questionnements, de ma curiosité et
de mon désir d’engager un travail de création avec des hommes et des femmes de foi. Il m’accueille
avec enthousiasme, propose de me faire rencontrer les représentants des principales religions
(catholiques, protestants, musulmans, juifs, orthodoxes, bouddhistes) avec qui il travaille depuis
quelques jours, nouvellement nommé producteur de l’émission Le Jour du Seigneur sur France
Télévision.
Ce hasard est un signe… du ciel.
Dans une société en manque de spiritualité, où les religions sont synonymes de déchirements et de
haine, il me semble que nous avons besoin de nous reconnaitre, de nous retrouver. Nous avons
besoin de soleil. Oui, de soleil.
La religion ne m’intéresse pas en tant que telle. La spiritualité oui. Elle m’aide à conserver mon statut
d’être humain, à vivre avec les autres. Et surtout elle m’aide à penser la mort.
Il y a Brice, frère et père dominicain qui vit dans un couvent parisien après avoir longtemps dirigé une
galerie d’art contemporain sur les quais de la Seine, Marie-Christine, théologienne spécialisée en
anthropologie, ancienne religieuse qui a quitté sa congrégation depuis une dizaine d’années, et
Grace, pasteur protestante qui prêche à Paris. C’est l’équipe des chrétiens.
Il y a ensuite Jean-Pierre, de confession juive du XIème arrondissement, avocat à la retraite, Eric le
bouddhiste engagé auprès d’ONG dans des missions à l’étranger et Olivier le chamane qui est
également clown, ce qui pour lui revient au même. Signe que la spiritualité mène à tout, permet tout
et n’empêche pas grand-chose… Et il y a Adel, plasticien, qui porte un regard très personnel sur
l’Islam d’aujourd’hui.
On est loin de l’image de l’ermite isolé dans la forêt. Ils vivent dans le monde et le perçoivent avec
leur regard orienté sans doute, mais jamais décalé de la réalité.
J’entends beaucoup de choses communes dans leur bouche, des certitudes mais aussi des doutes,
l’écriture d’un chemin loin des dogmes officiels.
Ils ne représentent en rien des courants officiels mais plutôt des manières différentes de vivre leur
foi. Aujourd’hui et dans la joie.
C’est un sujet sensible me dit-on dans mon entourage. Parler de spiritualité au théâtre n’est pas
chose courante. J’ai bien conscience que laisser apparaitre sans affirmer, laisser la porte ouverte sans
certitude, nourrir une réflexion sans avoir la main lourde est une position délicate et le fil est mince…
Je mesure que le fait de dire, ou pas, peut colorer dans un sens ou dans un autre, et mes angoisses
sont bien au rendez-vous, mais je suis convaincu que c’est avec eux, avec leur capacité à
s’émerveiller de l’autre que nous trouverons la voie juste. Ni pro ni anti. Donner à voir et à entendre
des êtres différents qui nous semblent si proches malgré tout.
Après les ex-prisonniers d’Une longue peine, les personnes transgenres de TRANS (més enllà), ce
troisième volet ferme un triptyque consacré aux invisibles, engagés dans des convictions pour
atteindre la liberté. Comme pour les précédentes créations je travaille selon le procédé de la parole
accompagnée qui m’est cher, faisant le choix de la partition orale et non d’un texte.
Pour cette nouvelle création, sont associés des complices de longue date : Tomeo Vergés,
chorégraphe, qui s’interroge depuis longtemps sur la transe chez les soufis en Turquie, Olivia Burton,
dramaturge, Emmanuelle Debeusscher, scénographe, Maurice Fouilhé, créateur lumière, Adrien
Cordier, créateur sonore.
En 1999, Didier Ruiz est sur le plateau du Théâtre Ouvert à Paris quand
soudain il décide d’aller voir si les histoires qui se jouent dehors ne
seraient pas plus saisissantes que celles qu’il incarne en tant que
comédien. Sortant de la scène, il y fait entrer un élément qui d’habitude
ne s’y trouve pas : une parole vraie. Didier Ruiz entame alors une première
série de spectacles, Dale Recuerdos (Je pense à vous), qui atteint en 2021
sa trente-sixième édition, et qui convoque la mémoire de personnes
âgées. Dans les récits exposés, Didier Ruiz retrouve le caractère sacré de l’acte théâtral : la vérité du
présent qui s’énonce. Car pour le directeur artistique de La compagnie des Hommes, la mission du
théâtre, qu’il accueille du réel ou de la fiction, est toujours la même : donner à voir et à entendre une
humanité partagée.
C’est le lieu où quelqu’un éteint les lumières, éclaire des êtres, et invite d’autres à les écouter.
Auprès de ceux qu’il appelle « innocents » comme avec les « professionnels du mensonge » que sont
les comédiens, Didier Ruiz est metteur en scène au sens propre ; il accompagne sur le théâtre les voix
et les corps de ceux qu’il a réunis, et autour desquels il ajuste le cadre afin que s’y déploient les
paysages que chacun recèle. Portraitiste, Didier Ruiz provoque une double découverte : le sujet du
tableau s’étonne lui-même de l’étendue révélée, et le spectateur est bouleversé d’y voir le reflet de
sa propre intériorité.
Maurice Fouilhé a fait ses armes dans le théâtre aux côtés de Jacques
Nichet et Marie Nicolas. Parallèlement, il a développé des fidélités
créatives avec diverses compagnies, notamment La compagnie des
Hommes (Didier Ruiz). Il ne néglige aucun aspect du métier, s'investit avec
des compagnies de danse et des musiciens, fait les régies et conçoit les
lumières. Pour lui, la lumière est en toute chose, elle ne se confine pas au
spectaculaire et à l'éphémère, elle est aussi accompagnatrice et pérenne.
C'est donc tout naturellement qu'il met son savoir-faire à l'épreuve de l'éclairage architectural et
urbain (muséographie, ouvrages d'art, quartiers, bâtis…) et s'attache en qualité de citoyen soucieux
de l'avenir, à proposer des illuminations en accord avec l'environnement et le développement
durable.
Ses créations s'enrichissent au fil des années de ses expériences et rencontres diverses. Il sillonne la
France, parcourt l'Europe et œuvre sur les cinq continents.