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114 en perspective

La difficile genèse
de l’Autoroute du Sud
par Jean-Luc France Barbou

Il y a cinquante ans, le 12 avril 1960, était inauguré le premier tronçon de l’Autoroute du Sud, entre Paris
et Corbeil. C’était l’aboutissement d’un long processus, puisque le projet en avait été lancé en… 1934 !
Certes, il y avait eu entre-temps la Seconde Guerre mondiale : mais ce n’était pas la seule raison
de cette durée inhabituelle. Nous allons évoquer ici ces trois décennies de controverses, de polé-
miques… et de retouches, à partir des archives de la Direction des Routes et du « Service Spécial
des Autoroutes », conservées au Centre d’Archives Contemporaines à Fontainebleau.
Le lecteur souhaitant en savoir davantage pourra se procurer l’ouvrage portant le même titre paru
à l’été 2010 aux Presses de l’École Nationale des Ponts et Chaussées.

\VgY‚ZVjmZmig‚b^i‚h!ZmZbeiZYZXgd^hZbZcih
La « question |c^kZVjZiY»VXXƒhedjgaZhg^kZgV^ch2¯.
des autoroutes »
Tandis que l’état mussolinien entame la réalisa-
L’industrie automobile, qui naît en France à tion d’un réseau interurbain, plusieurs projets
la fin du XIXè siècle, trouve un réseau routier sont présentés en France (ouest de Paris : 1927,
alors en voie de déchéance, réservé au tra- Paris-Lille : 1929…). Au début de 1933, le CSTP3
fic hippomobile d’intérêt local : les transports examine même un projet de réseau national…
à longue distance s’effectuent alors par che-
min de fer, pour les hommes comme pour les Autant de projets prématurés, d’autant plus
marchandises. Cependant, des travaux d’adap- que la situation financière du pays n’est pas
tation (rectifications de tracés et de profils, brillante, comme le montrent ces déclarations
élargissements, suppressions de passages à ministérielles :
niveau, goudronnages…) donnent aux Français
de l’entre-deux-guerres – et à leurs élus – le ®>a[VjYgVnVgg^kZgjc_djg!bV^hedjgaZbdbZci!
sentiment d’avoir ®aZeajhWZVjg‚hZVjgdji^Zg \g}XZ | a»Vb‚a^dgVi^dc hVch XZhhZ edjghj^k^Z 1
AIPCR : « Association
Internationale permanente des
YjbdcYZ¯. YZcdigZVYb^gVWaZg‚hZVjgdji^Zg!XZhZgV^iYj Congrès de la Route », fondée
hjeZgÄj fjZ cdh Xg‚Y^ih cZ cdjh eZgbZiiZci en 1909, devenue aujourd’hui
« Association mondiale de la
Au même moment, le concept autoroutier naît eVh¯ (Gaston Gérard, septembre 1931). route »
en Allemagne (1909, mais mise en service en ® EVh YZ gdjiZh YZ bjc^ÃXZcXZ! eVh Y»Vjid" 2
Sur l’invention de l’autoroute,
1921), aux USA (1914), et est théorisé en Italie : gdjiZh0^a[VjiVb‚a^dgZgY»VWdgYXZfj^Zm^hiZ0 voir : G. Reverdy « Les routes de
France du XXè siècle Tome I ».
c’est au congrès de l’AIPCR1,à Milan en 1926, que edjgaZgZhiZ!dckZggVeajhiVgY¯ Press des Ponts 2007 (p. 101/113,
137/144 notamment)
l’autoroute est définie comme une ® gdjiZ he‚" (Albert Bedouce, 1936). 3
CSTP : Conseil Supérieur des
X^VaZ g‚hZgk‚Z Vjm VjidbdW^aZh! XdcX‚Y‚Z eVg Travaux Publics, en activité de
aZhedjkd^ghejWa^Xh!hdjb^hZ|e‚V\Z![Zgb‚ZZi 1917 à 1940

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des autoroutes » reste pendante lorsque sur-
vient la guerre et aura encore de beaux jours
devant elle une fois la paix revenue : les auto-
routes sont-elles indispensables et facteurs de
développement, ou bien inutiles et ruineuses,
compte tenu de l’« excellent réseau routier » dis-
ponible, et des possibilités financières du pays ?

« L’autoroute contre
le chômage »
En mai 1934 est présenté le « Projet d’Amé-
nagement de la Région Parisienne » (PARP),
Le « Plan Prost » 22 mai 1938 communément appelé « Plan Prost » : c’est le
premier plan intéressant toute la région pari-
sienne. Il prévoit un réseau de « cinq radiales
De son côté, le Touring-Club (TCF), parte- nouvelles », rejoignant les routes nationales en
naire traditionnel des Ponts et Chaussées dans grande banlieue, et reliées par une « rocade
l’amélioration du réseau routier, proclame son forestière ».
indifférence : « L’autoroute n’intéresse pas le
tourisme »… Au même moment, le ministre du Travail
A partir de 1937, l’Allemagne hitlérienne Adrien Marquet lance un « Programme de
met en chantier le vaste projet autoroutier Grands Travaux contre le chômage ». La
conçu sous la République de Weimar (1929) : liste en est arrêtée en juillet 1934 : elle com-
7 000 km d’autoroutes, à raison de 1 000 km prend les autoroutes de l’Ouest, du Sud,
par an, et 250 000 hommes mobilisés. et vers Le Bourget (voir plan ci-dessus). Le
financement est prévu au moyen des dispo-
Cet effort gigantesque n’est pas sans inquiéter nibilités des Caisses d’Assurances Sociales et
le monde politique français, ainsi que le mon- des dispositions sont prises afin d’accélérer
trent les débats de janvier 1937 à la Chambre : les procédures, ce qui permet au chantier de
®A»6aaZbV\cZXdchigj^ijcg‚hZVj[dgb^YVWaZ l’Autoroute de l’Ouest d’être ouvert dès l’an-
Y»VjidgdjiZhfj^!^a[VjiW^ZcaZXgV^cYgZ!c»Zhi née suivante 5 .
eVhYZhi^c‚|aVhZjaZhVi^h[VXi^dcYZhdcigVÃX
ZciZbehYZeV^m4¯#Mais la nécessité de l’imi- En ce qui concerne l’Autoroute du Sud, prise en
ter ne s’impose pas pour autant : ®AZg‚hZVj charge par les Ponts et Chaussées de la Seine
4
RGR février 1937 p. 30/32 [gVcV^h Zhi hj[ÃhVbbZci YZchZ edjg gZcYgZ et de la Seine-et-Oise, le projet est examiné par
5
Son tracé est alors entièrement
en Seine-et-Oise, et un seul hjeZgÄjZ aV Xg‚Vi^dc Y»jc g‚hZVj XdbeaZi le CGPC 6 en octobre 1935 : l’autoroute part de
ingénieur (Michel de Buffévent) en Y»VjidgdjiZh¯. la Porte d’Italie, sur la RN 7, contourne l’hôpital
a donc la responsabi-lité. De plus,
il traverse essentiellement des de Bicêtre, puis se dirige plein sud, à égale dis-
forêts domaniales (parc de Saint- Malgré l’ouverture du chantier de l’Autoroute tance des RN 20 et 7, à travers le plateau encore
Cloud et forêt de Marly).
6
CGPC : Conseil Général des
de l’Ouest et l’étude très avancée de l’Auto- rural (Villejuif-Morangis). Après la délicate tra-
Ponts et Chaussées. route du Sud (voir plus loin), la « question versée de la vallée de l’Orge, elle traverse le

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Le départ du tracé de 1935 en proche


banlieue (à droite, la RN 7). En haut,
le trait jaune est la limite de Paris
(au-dessus) ; en-dessous, Gentilly et
le Kremlin-Bicêtre (limites en brun).
Extrait du dossier d’EUP 1936 (original
au 1/20 000e) P&C 75

La partie Sud du tracé de 1935, avec


les deux branches. Plan d’ensemble au
1/50 000e P&C 78– 7.09.35

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nouveau lotissement de Sainte-Geneviève- Décennal d’Équipement » du gouvernement
des-Bois et se divise en deux branches, l’une de Vichy (mai 1942), qui décide la construction
rejoignant la RN 20 au sud d’Arpajon, l’autre la de déviations sur les deux RN (Longjumeau,
RN 7 au sud de Corbeil (dispositions identiques Arpajon ; Ris-Orangis, Corbeil…) : ainsi, l’auto-
à celles de l’Autoroute de l’Ouest). route n’est plus nécessaire.
Ce projet est pris en considération dès Initié en tant que cause d’intérêt national (la
novembre 1935, pour un montant de lutte contre le chômage) et doté de crédits
243 millions de francs. L’EUP a lieu en mai- en conséquence, ce premier projet, dont le
juin 1936 et ne soulève guère de protestations dossier technique a été conduit très en avant
(excepté la famille Panhard, propriétaire foncier (voir le document ci-dessus), n’a guère tardé à
au Coudray-Montceaux, et plusieurs brique- « battre de l’aile » du fait des difficultés finan-
teries sur le plateau de Villejuif). En juin 1937, cières de la France dans la seconde moitié
le Conseil d’État examine un projet de décret des années 30, et qui culminent au moment
d’Utilité Publique pour un montant réévalué à… du Front Populaire. Son abandon définitif par
330 millions : effet de l’inflation et des difficultés le gouvernement de Vichy est le résultat pré-
financières du moment. Tandis que les services visible de plusieurs années d’atermoiement.
Mais, dans l’ombre, la réflexion se poursuit, et
un nouveau projet assez différent ressurgira
après la guerre.

L’autoroute des Trente


Glorieuses
En 1942 est créé auprès de la direction des
Routes un « Service d’Étude de l’Autoroute
du Nord de la France » (SEANF) « VkZX aZh
ZcXdjgV\ZbZcih! edjg cZ eVh Y^gZ eajh! YZh
Vjidg^i‚hVaaZbVcYZh!fj^VkV^ZciZm^\‚XZiiZ
kd^ZcdjkZaaZedjggZa^ZgEVg^hVjm6jidWV]cZc
ZceVhhVcieVgaV7Za\^fjZ 7 ». C’est à lui que,
paradoxalement, sera confiée après-guerre
la conception de l’Autoroute du Sud : et c’est
là l’embryon du futur « Service Spécial des
Autoroutes » (SSA).
L’échangeur de Fresnes (le Nord est à gauche). Détail du plan d’exécution (1936).
En novembre de cette même année, la Chambre
ordinaires des Ponts et Chaussées poursuivent de Commerce de Paris adopte un rapport sur
l’étude du projet (jusqu’aux états parcellaires et les « Futures autostrades en France » ; on
plans d’exécution !), le ministre des Finances, peut y lire : ®9ƒhaVÃcYZh]dhi^a^i‚h°XZg"
arguant de l’absence de financement, bloque la iV^cZhVbdgXZhY»VjidhigVYZhedjggV^Zci„igZ
7
Charles Rickard Les autoroutes
procédure de DUP (février 1938). ZcigZeg^hZh|aVhdgi^ZYZh\gVcYZhk^aaZh!hjg"
Que sais-je ? – PUF 1984 (p. 31). L’Autoroute du Sud ne figure plus au « Plan idji YZ EVg^h! hjg jcZ Y^hiVcXZ gZaVi^kZbZci

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XdjgiZ0aZhV‚gdYgdbZhYZkgV^Zci„igZ^bb‚" de la Bièvre à Arcueil9 et se divise en plusieurs
Y^ViZbZcigZa^‚hVjm\gVcYZhV\\adb‚gVi^dch branches : la première, dite « branche RN 5»,
kd^h^cZh¯. contourne Thiais et Choisy-le-Roi, et rejoint la
De fait, deux ans plus tard, le gouvernement RN 5 après Montgeron (elle ne sera pas réa-
provisoire décide la création d’un aéroport lisée) ; la deuxième est la « branche d’Orly »,
d’importance mondiale à Orly, qui sera relié à dont la partie finale est confiée à Aéroports de
Paris par une autoroute… C’est la résurrection du Paris ; la troisième rejoint la RN 20 au Nord
projet d’Autoroute du Sud. de Longjumeau ; enfin, la « branche RN 7 »,
qui à l’origine n’est qu’une des branches du pro-
Dès 1947, bénéficiant des réflexions menées sous jet global, rejoint cette RN entre Ris-Orangis
l’Occupation, le nouveau tracé est défini : partant et Evry-Petit-Bourg, après ® jc \gVcY VgX YZ
du ®cdjkZVjWdjaZkVgYe‚g^e]‚g^fjZYZEVg^h8¯, XdcidjgcZbZci gdji^Zg Vjidjg YZ a»V‚gdYgdbZ
à Gentilly, le tronc commun traverse la vallée Y»Dgan10 ¯.

8
Compte-rendu de la réunion
MTP/MRU du 10 avril 1947, en
présence de André Prothin,
directeur général de l’Urbanisme,
des deux ICPC concernés, de
Pierre Moch, chef du SEANF, et
des représentants des STVP
(Ville de Paris)
9
À la demande du SARP (Service
d’Aménagement de la Région
Parisienne), l’emprise du tracé
En rouge : le tracé de l’Autoroute du Sud décidé en décembre 1952. Remarquer la abandonné vers la porte d’Italie
est conservé, ce qui permettra la
« branche RN 5 », non réalisée, la jonction avec la RN 7 au Sud de Ris-Orangis, et la construction de l’A6-B autour
déviation de Corbeil. Tracé brun, rayé de croix rouges : l’ancien tracé de 1935, ainsi de 1970.
que plusieurs axes prévus au PARP et supprimés en 1952. Extrait du plan au 1/50 000e 10
Étude de P. Moch du
(origine : SARP) – Dossier : Modification du PARP (décembre 1952) 12 septembre 1947.

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Les études relatives à ce tracé reposent sur YVch YZh XdcY^i^dch ZmXZei^dccZaaZbZci
les chiffres du trafic de… 1935 ! Cependant, [VkdgVWaZhiVcieVghZhXVgVXi‚g^hi^fjZh\‚c‚"
®aZegdWaƒbZYZa»6jidgdjiZYjHjYYd^i„igZ gVaZh fjZ eVg a»^bedgiVcXZ VhhZo g‚Yj^iZ YZh
‚ijY^‚ Zc [dcXi^dc YZ a»^ciZch^i‚ YZ aV X^g" Y‚eZchZh|Zck^hV\Zg#8»ZhiV^ch^fjZaZigdcX
XjaVi^dc [jijgZ# Cdjh Zhi^bdch fjZ XZaaZ"X^ Xdbbjc! YVch aV odcZ [dgiZbZci jgWVc^h‚Z!
edjggV^i YVch jc iZbeh gZaVi^kZbZci Xdjgi hZ Y‚kZadeeZ | igVkZgh YZh iZggV^ch a^WgZh Zi
¶ jcZ k^c\iV^cZ Y»Vcc‚Zh " Zi aV egdhe‚g^i‚ YZhodcZhYZkZgYjgZ!ZccZc‚XZhh^iVcifj»jc
‚Xdcdb^fjZV^YVci!ViiZ^cYgZjcX]^[[gZ\ad" cdbWgZ gZhigZ^ci YZ Y‚bda^i^dch Y»^bbZjWaZh
WVaig^eaZYZXZaj^YZ&.(*!XZfj^YdccZgV^i Y»]VW^iVi^dc!Y»V^aaZjgheZj^bedgiVcih¯.
ZcXdgZ jcZ YZch^i‚ YZ k‚]^XjaZh igƒh ^c[‚"
g^ZjgZ|XZaaZYZh:iVih"Jc^hZc&.(. 11 ». La démolition de 160 logements, dont une
centaine sur Arcueil, est pourtant néces-
On juge de l’approximation des estima- saire… En septembre 1951, l’EUP donne lieu
tions, et de la difficulté, en 1947, à tabler sur à 6 216 observations, dont 4 127 à Arcueil
une future « prospérité » que rien ne laisse (sous forme de pétitions) et 1917 à Gentilly !
encore présager… Pourtant, dès 1950 et Quatre conseil municipaux (communistes)
la suppression des restrictions, celle-ci se expriment leur hostilité au projet. Les deux
profile effectivement, et l’on commencera commissaires-enquêteurs déclarent pourtant
à craindre que les prévisions de trafic ne l’autoroute indispensable ; de plus, ® ZaaZ
soient rapidement dépassées. Xdchi^ijZgV jc kVhiZ ZheVXZ Y‚XdjkZgi!
jcZ g‚hZgkZ eZgbVcZciZ Y»V^g! jc YdjWaZ
Un principe est posé d’emblée : il faut gjWVc YZ kZgYjgZ° ¯# Mais l’administration
® h‚eVgZg aV X^gXjaVi^dc YZ egdX]Z WVc" doit organiser au plus vite le relogement
a^ZjZ! fj^ Xdci^cjZgV | ZbegjciZg aZh des expulsés : ® >a cZ hZgV^i eVh VXXZeiVWaZ
gdjiZh cVi^dcVaZh Vjm edgiZh YZ EVg^h! Zi fjZ a»Vb‚a^dgVi^dc YZ aV X^gXjaVi^dc V^i jcZ
fj^ gZhiZgV gVaZci^Z Yj [V^i YZ hdc ^ciZc" XdcigZ"eVgi^ZVci^"hdX^VaZ¯.
h^i‚!ZiaVX^gXjaVi^dcYZ\gVcYZWVca^ZjZdj
YZ egdk^cXZ! fj^ h»Z[[ZXijZgV | jcZ k^iZhhZ Le décret modifiant le PARP, et approuvant par
XdckZcVWaZ hjg aV cdjkZaaZ kd^Z ¯ - ce que là-même le nouveau tracé de l’autoroute, est
les habitants de la proche banlieue vont signé par Antoine Pinay le 19 décembre 1952.
longtemps ressentir comme une injustice :
ils auront les désagréments de l’autoroute Cependant, dès 1953, l’ICPC de Seine-et-Marne
sans y avoir accès. Arribehaute propose l’incorporation à l’au-
toroute de la « déviation de Corbeil », en
Quoi qu’il en soit, dans son AVP du vue d’un prolongement ultérieur vers
31 janvier 1949, le chef du SSA, Pierre Moch12 Fontainebleau (voire un jour, vers Lyon ?). Ce
se montre très optimiste quant à la réalisation qui est accepté par le ministre en décembre
du projet, dont le financement est d’ores et déjà 1954 : une retouche apparemment mineure,
prévu jusqu’à son achèvement… en 1956 ? : mais qui atteste la mutation de l’« autoroute
11 de dégagement » en future « autoroute de
Étude de P. Moch du
12 septembre 1947. ® Idjh aZh [gVcX]^hhZbZcih c‚XZhhV^gZh YZ liaison ».
12
Qui deviendra Pierre Mothe en kd^Zh Zm^hiVciZh dci ‚i‚ gZXdccjh edhh^WaZh
1954.
Zi V^h‚h! Zi ÃcVaZbZci XZ igVX‚ hZ eg‚hZciZ

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Le 9 mai 1950, le conseil municipal d’Arcueil
A travers la se prononce à l’unanimité contre le projet, et
« banlieue rouge » demande son report au niveau de la RN 186.
Les Ponts et Chaussées fournissent des assu-
La délicate traversée de la vallée de la Bièvre est rances concernant le remplacement du
prévue en empruntant au maximum les espaces stade, et surtout le relogement des expulsés :
encore non-bâtis : jardins ouvriers ou maraî- « (Pour Arcueil), a»VjidgdjiZ eg‚hZciZ eajh
chers, décharges, carrières en exploitation ou Y»VkVciV\Zh fjZ Y»^cXdck‚c^Zcih13». Ce qui
remblayées, stade… Mais Arcueil est aussi une ne rassure guère les élus, en majorité com-
des communes les plus pauvres de la banlieue munistes, qui obtiennent le soutien des
parisienne ; l’habitat y est le plus souvent « de communes voisines et entament une cam-
type pavillonnaire inférieur », c’est-à-dire consti- pagne virulente, par articles de presse, tracts
tué de « bicoques » ou de bâtisses insalubres, et affichage, contre l’®VjidgdjiZYZ\jZggZ¯,
avec de nombreuses « annexes », également qui serait destinée à faciliter le transport
habitées ; et l’autoroute condamne une cen- des troupes américaines – et de leurs chars -
taine de ces habitations, en pleine « crise du d’Orly à Paris : on est là dans les moments les
logement »… plus tendus de la guerre froide.

13
Rapport de la sous-commission
Photomontage du magazine « Regards » (PCF) Décembre 1950. Photo aérienne au-dessus du « lotissement du Plateau », du SARP présidée par de Segogne
à Arcueil (1950).

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Cet « argument stratégique » est abandonné taine de logements destinés aux ®Zmejah‚hYZ
dès l’année suivante, et le combat cependant a»VjidgdjiZ¯ ; ce qui ne sera réalisé qu’en 1958.
des élus va se déplacer sur le terrain de la
défense des expulsés : leur relogement sera- Ces difficultés du relogement, ainsi que celles,
t-il vraiment pris en charge par l’État ? Celui-ci très techniques, liées à la construction du via-
y est tenu par la loi ; mais la « libération des duc enjambant le fond de vallée et à la mise au
emprises » conditionne également l’ouverture point du système – très complexe - de raccor-
du chantier. dement au boulevard périphérique, font que ce
tout premier secteur de l’Autoroute du Sud ne
Dès 1951, les Ponts et Chaussées se décla- sera terminé qu’à la fin de 1959.
rent prêts à prendre en charge le relogement
sur les crédits de l’autoroute, et la commune Finalement, il semble que les élus aient appré-
d’Arcueil, bien obligée maintenant d’admettre cié la collaboration des services des Ponts et
que ® a»VjidgdjiZ hZ [ZgV ¯, à faire assurer la Chaussées et qu’ils aient reconnu que le néces-
construction de logements par l’OPI-HLM, en saire a été fait pour répondre aux obligations
surplus des énormes besoins pré-existants légales du relogement.
(1 000 logements). Une enquête permet d’affiner
les besoins liés à l’autoroute : 83 maisons seront
expropriées, et ®jcXZgiV^ccdbWgZ¯ d’annexes. La pénétrante oubliée
L’exproprié ne demandant pas son relogement
recevra le double d’une personne à reloger. Le choix d’un départ de l’autoroute au niveau
de Gentilly est dû à deux raisons essentielles :
En décembre 1952, les élus d’Arcueil - menés
par Émile Bougard, adjoint - suscitent la création la présence de jardins ouvriers sur 17 hec-
d’un « Syndicat de Défense des Expropriés », tares, « Le Chaperon Vert », au pied de la
dont le maire est président, et mettent en place chapelle de la Cité Universitaire ; mais ces
une assistance juridique. Le but du syndicat est terrains sont convoités justement par celle-
d’obtenir ® a»‚fj^kVaZcXZ YZ XZ fjZ aZh Zmegd" ci, qui souhaitait s’y étendre, et aussi par
eg^‚hVjgdcieZgYj¯. Il invite à ses assemblées l’OPI-HLM qui envisageait d’y construire
les parlementaires de tous bords ; peu se dépla- 1 600 logements,
cent. Les interventions des personnes âgées l’idée d’un prolongement de l’autoroute, en
aux maigres retraites sont particulièrement application de cet axiome alors communément
poignantes. accepté : ®>a[Vji[V^gZe‚c‚igZga»VjidgdjiZYVch
EVg^h!XVgaVbV_ZjgZeVgi^ZYZaVX^gXjaVi^dcZhi
C’est seulement en mars 1954 que sont fixées les ZcY^gZXi^dcYjXZcigZYZEVg^h14¯.
indemnités d’expropriation. Des voix unanimes
s’élèvent contre la faiblesse des indemnisations ; C’est pourquoi le SSA envisage un souterrain
de tous côtés, le ®XVgVXiƒgZ^c]jbV^cYZa»6Y" passant sous la Cité Universitaire, débouchant
b^c^higVi^dc ¯, et même son ® VX]VgcZbZci au milieu du Parc Montsouris, et prolongé par
XdcigZ6gXjZ^a¯ sont mis en cause… un viaduc au-dessus de l’avenue du même
nom (aujourd’hui avenue René Coty) : c’est la
14
Étude de P. Moch, ICPC-SSA, Au même moment, les Ponts et Chaussées « pénétrante Denfert-Rochereau ».
31 janvier 1949. acquièrent un terrain pour y construire une cen- Lorsqu’en 1953 ce projet est connu de la

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presse, et donc du public, les protesta-
tions se multiplient, au nom de la défense du
Patrimoine, des espaces verts et de la tran-
quillité des riverains. Les STVP15 , en charge du
dossier, commencent déjà à mettre d’autres
solutions à l’étude.

Le 1er juillet 1954, le Conseil Municipal de Paris,


à l’instigation de Édouard Frédéric-Dupont, très
actif dans ce combat, ®XdcYVbcZaZhegd_Zih
XdcYj^hVci | jcZ e‚c‚igVi^dc YZ a»6jidgdjiZ
Schéma du viaduc
Yj HjY YVch EVg^h ¯ et demande la construc- au-dessus de l’avenue du
tion d’une ®VjidgdjiZe‚g^e]‚g^fjZ¯. Malgré Parc Montsouris. Études
le soutien à la pénétrante de divers organismes STVP - 1954

(TCF, CCP, URF, AdP…), le SSA est conduit à la défense de la grande pelouse du Parc
étudier, en solution de repli, un renforcement Montsouris n’ait pas alors suscité la même
du raccordement au boulevard périphérique. unanimité.

Une réunion décisive a lieu en mai 1956 en L’entrée du souterrain ayant été réservée, on
présence du ministre des TP16, qui persiste à eût sans doute pu, quelques années plus tard,
®Zhi^bZg^cY^heZchVWaZaVe‚c‚igVi^dcYVchaV entamer les travaux : mais la nécessité de la
k^aaZ¯, et accepte la prise en charge financière « pénétrante » n’était sans doute plus aussi
par l’État de l’ensemble du projet : les STVP évidente…
sont chargés d’étudier plusieurs « variantes ».
L’une d’elles, accolée à la ligne de Sceaux et
descendant sur la place Denfert-Rochereau à Entre parcs et châteaux,
l’emplacement de la gare, est enfin acceptée
par le conseil municipal en mars 1957. Mais les de Chilly-Mazarin à
difficultés financières du gouvernement Mollet
conduisent alors à ® Y^[[‚gZg _jhfj»| cdjkZa
Savigny-sur-Orge
dgYgZ aZ aVcXZbZci YZ idjiZ de‚gVi^dc cdj"
kZaaZ¯ : on se contentera donc de « réserver » Après la traversée du plateau agricole,
l’entrée du souterrain… l’Autoroute du Sud (version 1952) retrouve à
partir de Chilly-Mazarin et la vallée de l’Yvette
C’est en fait le point final à ce projet de une zone où se mêlent lotissements récents et
« pénétrante », pourtant jugé indispensable anciens parcs aristocratiques.
par les responsables et les concepteurs de A Chilly-Mazarin, le passage de l’autoroute
l’Autoroute du Sud, et justification majeure de est prévu sur une pièce d’eau agrémentée
son point de départ à Gentilly. Porté à bout de d’un « nymphée », vestiges de l’ancien parc du
bras par le SSA, il doit affronter l’opposition château : ce qui provoque l’intervention de l’ar-
des habitants du « bon » XIVè arrondissement, chitecte des Bâtiments de France, en juin 1951. 15
Services Techniques de la Ville
bien relayés au niveau du Conseil Municipal Moch étudie alors une modification du tracé, de Paris.
16
de Paris : on peut cependant s’étonner que avec allongement de 135 m : d’où supplément C’est alors Auguste Pinton

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En rouge : le tracé Le domaine de Sillery, sur Épinay-sur-Orge,
originel, prévu sur la appartient à une fondation franco-britannique
pièce d’eau (« Etg »)
et héberge alors un « préventorium ».
de l’ancien parc. En
bleu, à gauche : la Les toutes premières études du tracé (47/50)
« variante » imposée prévoient le passage de l’autoroute à travers le
par l’ABF, contournant
parc. Sur l’intervention du Conseil d’Administra-
la pièce d’eau :
remarquer le « coude » tion de la fondation, appuyé par le ministère de
plus prononcé. En la Santé, le tracé est décalé légèrement ; mais
bas à gauche : le
les craintes subsistent en ce qui concerne les
chemin de fer de la
Grande Ceinture – pollutions sonore et olfactive, les menaces sur
Transversalement : la les sources, bref, le maintien du préventorium…
ligne de l’Arpajonnais,
Il semble que la quasi-disparition de la tubercu-
très sinueuse, déferrée
en 1936. A gauche, la lose ait fini par régler le problème…
RN 20. Document de A Savigny, l’autoroute rencontre deux lignes
travail d’origine SSA,
de chemin de fer, au confluent de l’Yvette et
sur fond de carte SCA
au 1/10 000e (années de l’Orge, et doit contourner le lotissement
30) du Plateau : passage hautement délicat… En
de coût. Il préconise donc fortement le main- 1950, le SSA choisit le tracé le plus rectiligne,
tien du tracé originel. Mais l’ABF entame une à travers le parc du château de Grand-Vaux,
procédure en vue de la protection du site. ce qui nécessite un important terrassement.
Malgré les arguments économiques présen- La création de l’échangeur est décidée selon
tés par Moch, l’ABF reçoit le soutien de la des normes larges, incluant la déviation du
Commission Supérieure des Sites et du Conseil CD25. Si la plupart des maisons proches sont
d’État. L’ensemble des vestiges du parc est maintenues, elles perdent l’essentiel de leurs
classé en août 1953… et le tracé de l’autoroute terrains17 ; le coût des expropriations est ainsi
modifié en conséquence ! Affrontement entre limité au plus juste. 22 maisons cependant sont
services de l’État, largement ignoré des élus et expropriées sur Savigny, de la cabane en bois à
des habitants : aucune mention au niveau du la villa en meulière, ainsi qu’un petit hôtel-res-
Conseil Municipal de Chilly-Mazarin. taurant : les documents exploités permettent
d’en avoir des descriptions précises. En ce qui
concerne le château de Grand-Vaux, dont le
parc va être défiguré, la commune de Savigny
envisage d’abord de l’acquérir pour un prix
symbolique, dans le cadre d’une opération
immobilière. Après un défilé d’intermé-
Les emprises définitives de l’auto-
route et de l’échangeur, sur fond de diaires, le château est finalement détruit (été
carte au 1/5 000 e En bas : l’Yvette et 1958) et le parc laisse la place à deux « rési-
le chemin de fer de Grande Ceinture.
dences » comprenant au total plus de 1 000
En haut : le lotissement du Plateau,
sur Savigny. A droite : le parc de logements.
Grand-Vaux. A gauche : le château
de Sillery et son parc. La limite
entre les deux communes (en jaune) 17
notamment au 13 de la rue Aquette, celle appartenant
sera rectifiée en 1961 et alignée sur au général Pennacchioni, père de l’écrivain
l’autoroute. Daniel Pennac

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ouvrages d’art sont en cours d’exécution.
Paris-Corbeil : Les treize autres, ainsi que les terrasse-
la réalisation ments, sont prévus pour 1957,
entre Viry-Châtillon et la RN 7 : rien n’est
Le financement du projet est inscrit au pre- engagé.
mier plan du FSIR 18 pour un montant de
9,5 milliards de francs, la tranche finale A la fin de 1957, le montant prévisionnel des
étant prévue en 1956. travaux est porté à 13,2 milliards, et leur achè-
vement est prévu pour la fin de l’année 1959.

Sur Arcueil, la « libération des emprises »


n’est effective que depuis peu et les travaux
peuvent enfin commencer ; le viaduc sur la
Bièvre, autre « pomme de discorde » avec
les élus, est alors adjugé.

En Seine-et-Oise, où les travaux sont supervisés


par Georges Reverdy, ingénieur d’arrondis-
Le terrassement au tractopull RGR – Juillet 1955 (DR)
sement à Corbeil, les raisons du retard sont
nombreuses et variées : si l’on ne pouvait
Quelques travaux peuvent être lancés dès bien évidemment rencontrer là les mêmes
1953 dans la zone encore rurale de la Seine ; problèmes de relogement que dans la Seine,
mais les lenteurs des expropriations en on trouve cependant, pêle-mêle, les conditions
zone urbaine et du relogement, ainsi que météorologiques défavorables, les difficultés
les difficultés techniques (ouvrages d’art, de procédure liées aux expropriations, un
terrassements en terrains instables…) font premier appel d’offres infructueux…mais
que le calendrier initial va être largement surtout des difficultés techniques : sols rocheux
dépassé. (Morsang), tourbeux (vallée de l’Essonne),
argileux (coteau d’Ormoy) ; d’où des travaux
En février 1956, Mothe fournit une « situation » de drainage imprévus et des ®Z[[dcYgZbZcih
à la DR : \‚c‚gVa^h‚h YZ iVajh Zc Y‚WaV^h YVch a»Vg\^aZ
de Paris à Arcueil : toutes les acquisitions kZgiZ ¯, sources d’importants dépassements
sont terminées, mais l’essentiel reste à faire : financiers.
accès à Paris (pénétrante ?), raccordement L’inauguration du premier tronçon de l’Auto-
au futur boulevard périphérique, démo- route du Sud a finalement lieu le 12 avril 1960,
litions après relogement des habitants, en présence de Robert Buron, ministre des
viaduc sur la Bièvre… c’est là le secteur le Travaux Publics, et de l’ensemble des tech-
moins avancé, niciens et personnalités ayant, de près ou de 18
FSIR : Fonds Spécial
entre Arcueil et Rungis : 15 ouvrages d’art loin, contribué à « cette réalisation qui honore d’Investissement Routier, créé
par la loi du 30 décembre 1951,
sont terminés, 4 restent à construire ; les l’Administration des Travaux Publics et le Corps alimenté par les taxes sur les
terrassements seront achevés fin 1956, des Ingénieurs des Ponts et Chaussées 19». carburants (et supprimé en 1981)
19
Extrait de la lettre de
de Rungis à Viry-Châtillon : toutes félicitations envoyée par le
les acquisitions sont effectuées, et trois ministère.

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La traversée de Savigny et
de la vallée de l’Orge(cliché
Durandaud – 1957)
Au premier plan, Morsang
et l’Orge ; au milieu, le
chemin de fer ; puis le
lotissement de Savigny.
A gauche, les taches
boisées sont les parcs de
Grand-Vaux et de Sillery.

La traversée de la vallée de
l’Essonne (cliché Durandaud
- 1959)A droite, la rivière et
la route déviée ; le remblai
transversal, au milieu des
marais ; à gauche, la voie
ferrée Corbeil-Malesherbes
(sans le pont), et le coteau
d’Ormoy, très argileux.

L’Aurore - 11 avril 1960

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Corbeil - Ury : accès à la forêt. Celui-ci est approuvé en
septembre 1956.
à travers la forêt
Précaution supplémentaire : le tracé ne
de Fontainebleau touche pas à la forêt domaniale (sauf sur
200 m), mais traverse le « massif des Trois
Le prolongement vers Fontainebleau est Pignons », non domanial 21, au boisement
envisagé dès 1953 : il doit rejoindre la RN alors défectueux, en partie occupé par
837 à proximité du hameau de Macherin l’Armée…
(commune de Saint-Martin-en-Bière). Cette
formule risque de perturber des villages Ceci ne satisfait pas « Les « Amis de la Forêt »,
résidentiels et d’amener tout le trafic au qui proposent un tracé alternatif, empruntant
cœur de la forêt où la voirie préexistante le plateau entre les vallées de l’Essonne et de
devra être adaptée en conséquence. l’École. Mais ce tracé, plus long de 9 km envi-
ron, est écarté a priori par le SSA.
L’association « Les Amis de la Forêt de Les « Amis de la Forêt » - dont le secrétaire,
Fontainebleau », alors présidée par André Billy Henry Flon, multiplie les interventions - reçoi-
(écrivain académicien Goncourt), s’élève aus- vent cependant le soutien de la plupart des
sitôt contre ce projet et propose une variante organismes et associations naturalistes, dont
par l’Est de Fontainebleau ; elle reçoit le sou-
tien de plusieurs autres associations. L’ancien et le nouveau tracés(fond de
carte : IGN 1/50 000e)La « bretelle
de Chailly », à la demande des
A l’issue de l’EUP de mars 1957, suivant les cultivateurs de cette commune, sera
recommandations du préfet de Seine-et- décalée à équidistance de Barbizon.

Marne, les Ponts et Chaussées acceptent une


modification importante de leur projet : une
« liaison autoroutière » rejoindra la RN 7 à
Chailly-en-Bière, à l’entrée de la forêt. Ce qui
entraîne le passage de l’autoroute à travers
les terres du marquis de Ganay (châteaux
de Courances et Fleury-en-Bière), lequel
fait intervenir – en vain - ses nombreuses
relations.

Le tronçon Corbeil-Chailly, voie directe vers


Fontainebleau, d’une construction facile, est
mis en service en décembre 1962 20.
20
Sur la seule initiative de l’ICPC
Afin de rassurer les « Amis de la Forêt » et de Seine-et-Marne,
leurs alliés, le SSA décide que l’autoroute Pierre Arribehaute, la « bretelle
de Chailly » est construite en 2 x
devra « enjamber la forêt » ; ils mettent 2 voies.
donc à l’étude et soumettent à l’EUP le tron- 21
Il sera acquis par l’État entre
çon global « Corbeil-Nemours », sans aucun 1966 et 1979.

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L’EUP, en mars 1957, confirme les positions
respectives. Mais les Ponts et Chaussées doi-
vent encore affronter l’opposition des Eaux
et Forêts, qui considèrent le massif dans son
intégralité, et du secrétaire d’État aux Beaux-
Arts (Commission Supérieure des Sites). Les
Eaux et Forêts présentent un tracé intermé-
diaire, contournant le massif par la vallée de
l’École ; mais le tracé proposé par les Ponts et
Chaussées est déclaré d’Utilité Publique par
décret du 3 octobre 1958.

Ses adversaires ne désarment pas pour


autant : l’Académie des Sciences nomme une
commission d’étude présidée par le grand
ingénieur Albert Caquot : sans résultat. Par
ailleurs, le nouveau gouvernement semble
décidé à consacrer des moyens à la construc-
tion d’autoroutes.

Mais en novembre 1959, l’Institut de France,


unanime, se prononce solennellement contre la
traversée de la forêt, et en appelle au Général de
Gaulle : ce qui crée un vent de panique du côté
des Ponts et Chaussées, qui doivent justifier
leur choix, mais aussi envisager une éventuelle
solution de repli, au cas où… Fort heureuse-
ment, ®aZ<‚c‚gVaZhiegZhh‚¯ et n’empêchera
pas le projet des Ponts et Chaussées.

En 1961, les opérations foncières commen-


cent… mais les Ponts et Chaussées devront
encore affronter les Eaux et Forêts – à cause
des 200 m en forêt domaniale –, et surtout
l’ensemble du monde sportif et de plein-air, y
Double trait rouge : le tracé P&C à travers le massif des Trois Pignons (et écornant la forêt doma- compris son ministère. Ce baroud d’honneur
niale, vert foncé). Trait continu bleu : le tracé proposé par les « Amis de la Forêt », par le plateau restera sans effet.
entre les vallées de l’Essonne, à gauche, et de l’École, à droite. Remarquer, en pointillé, l’ancien
tracé vers Macherin, et le futur prolongement vers Lyon.Fond de carte : Michelin 1/200 000e
Enfin, contrairement aux engagements, mais à
l’Académie des Sciences ; de leur côté, les la demande du préfet de Seine-et-Marne – et
Ponts et Chaussées sollicitent celui du TCF qui après mûre réflexion –, une sortie est décidée
le leur accorde sous réserve d’une traversée à Ury. Ce nouveau tronçon est ouvert le 23 mai
®Y»jchZja‚aVc¯ de la forêt. 1964.

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les prévisions budgétaires initiales : les
Conclusion 9,5 milliards de francs de 1949 – comprenant
Si l’on considère l’ensemble Paris-Ury, on peut des travaux qui ne seront pas réalisés –
constater que malgré les oppositions poli- deviennent 13,2 milliards en novembre 1957,
tiques, sociales, « environnementales », d’une et finalement 18,9 milliards d’anciens francs
part, et les difficultés techniques d’autre part, en 1960 (soit 271 millions d’euros 22). Certes,
les ingénieurs des Ponts et Chaussées ont il convient de faire la part de l’inflation, mais
su mener leur projet à son terme. Certes, ils surtout des « impondérables » inhérents à
ont dû pour cela mener une intense activité tout projet de ce type et de cette importance,
de contact et de persuasion, et parfois faire et pour lequel, répétons-le, les Français n’ont
« la part du feu » ; ils ont dû réaliser en plu- pas encore vraiment d’expérience.
sieurs endroits quelques prouesses techniques
rendues possibles grâce au savoir-faire des Fort dépassement aussi sur le calendrier : les
grandes entreprises adjudicataires…et à leur premières études prévoient la fin du chantier
matériel américain. Ils ont par ailleurs mis à en 1954, mais on voit d’année en année reculer
profit une étonnante stabilité des personnels, l’échéance, du fait des difficultés de financement
s’exprimant en décennies, et contrastant for- et des lenteurs du relogement. A la vérité, il n’est
tement avec l’instabilité ministérielle de la pas facile de mener un tel projet dans le double
IVè république. contexte des guerres coloniales dévoreuses de
crédits budgétaires, et de la crise du logement
On peut être surpris cependant par l’approxi- ; sur celle-ci, comme on l’a vu à Arcueil, l’auto-
mation de bien des données fondamentales route vient surimposer ses contraintes propres.
du projet, à commencer par celles qui en jus- C’est faire le pari de la « prospérité », dont on
tifient la nécessité. En 1952, lorsqu’il s’agit pressent au début des années 50 qu’elle sera
d’obtenir la DUP, on extrapole le trafic attendu fortement liée à l’automobile, et de façon géné-
à vingt ans (soit en 1970) à partir des chiffres rale, aux transports routiers.
de 1935, que l’on multiplie arbitrairement
par trois… mais on remarque déjà une « aug- Projet d’importance nationale, surtout à partir
mentation anormale » du trafic d’une année du moment où elle apparaît comme l’amorce
sur l’autre, et l’on s’attend déjà à ce que ces de l’axe Paris-Lyon, l’Autoroute du Sud consti-
chiffres soient rapidement dépassés ! Mais il tue une priorité pour les gouvernements
faut bien reconnaître que les ingénieurs sont successifs, et son « utilité publique » lui permet
bien démunis en ce domaine : les comptages de s’imposer par-delà toutes les contingences
de trafic ne vont renaître de façon systé- d’intérêt local.
matique qu’autour de 1955. Il n’ont comme Retracer sa conception et sa réalisation nous
références que la toute nouvelle Autoroute permet de traverser la France frileuse et en
de l’Ouest, l’expérience américaine que cer- même temps modernisatrice des années 30,
tains ont découverte après-guerre lors de Vichy, la Libération et la Reconstruction, et
« missions » (mais comment transposer cette enfin le début des Trente Glorieuses ; trois
expérience dans une France achevant à peine décennies qui voient la disparition du trans-
sa reconstruction ?), et les chiffres de la pro- port hippomobile, la stagnation du chemin de
duction automobile, en forte progression. fer, et le triomphe de l’automobile, acquis dans
22
De même, les coûts dépassent fortement les années 60 : l’autoroute arrive à point. Tableau d’équivalence INSEE.

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