Marie Claire Bancquart Sauf Un Insecte T

Élise Tourte
Marie-Claire Bancquart, sauf

un insecte tombé dans sa paume
À bord d’une Europe dérivante
avec son chargement d’églises aux lourdes statues
l’homme accoudé sur l’usure des astres
a soif et brûle.
Il pense à la chute lumineuse des aubes

autrefois
sur des falaises inconnues
et son cœur cherche en vain la petite image nouvelle

qui susciterait une parole chez les anges.
Son royaume n’est plus en lui

mais dans un animal énorme et friable
mis au monde par ces mots qu’on peut crier, casquer, démentir
Sauf un insecte tombé dans sa paume

il n’a plus d’étendue
Dans le feuilletage de la terre (1994)

MARIE-CLAIRE
BANCQUART
(1932-2019)
ŒUVRES POÉTIQUES
Mais (1969)
Opéra des limites (1988)
Dans le feuilletage de la terre (1994)
Rituel d’emportement 1969-2001 (2002)
Verticale du secret (2007)
Terre énergumène (2009)
Toute minute est première (2019)
la terre
Femme
Je superpose
Je renâcle
J’attise au discours de l’homme
Je détourne
J’absente
Je croise un visage buté
Je suis tout ce qui grouille en pelletée de terre

Contre-immuable
Sillonné d’insomnies
Je lui passe mon temps

Ses mots sont arrachés
Mémoire d’abolie (1992)

Je suis quant à moi très attirée par les « choses de rien »
couleur de légumes tombés sous les étals du marché ;
flaques-miroirs ; odeurs d’un porte-monnaie ; détail de
sculpture, très soigné malgré la grande improbabilité
qu’on le regarde, tout en haut d'une colonne d'église ;
insectes fragiles et de structure complexe qui
vous tombent sur un doigt, l’été. Tout cela vit
fort, à la dérobée, et nous fait crier : « Terre ! ».
Poésie 1 (anthologie) (2001)
humilité dans
l’humus
Les insectes sont parmi les « intercesseurs très
humbles » pour le « feudataire des riens » qu’est le
poète.
À propos de Verticale du secret (2007)

sur elle je caresse ma figure civilisée,
mes livres verticaux,
l’espace tout entier : sa vieille histoire, sa fatigue.
Nous nous faisons une origine

dans l’odeur de ta sève.
Babel n’est pas encore construite

et nous non plus.
Ce sont les jours d’avant l’homme et la femme.
Tout est possible encore.

Mots de passe (2014)
Du temps que nous étions entre fourmis, antennes tendues,
vibrantes, je me souviens, c’était avant la famille des hommes,
entre les brins d’herbe, parmi des graines tombées. Il n’y avait pas
à réfléchir. La terre mouillée sentait fortement. Indistinct,
inconcevable était l’avenir.
Henri Michaux, Poteaux d’angle (1978)

« L’inavouable de l’herbe où vivent à bas bruit des carnivores »
Dans le feuilletage de la terre
Petit bruit, pluie.

Cavalerie fourmi
chuchote à minces pattes avec les feuilles.
L’après-midi n’est pas augurale
mais pareille à tant d’autres.
Nous aimons sa simplicité.
Dans les vitres s’inscrivent nos visages
un peu flous
comme si nous voulions dérober le paysage
et le transporter pour toujours dans notre maison.
Il nous laisserait vivre en lui, sans histoire.
Nous serions des stratèges en gouttes et brindilles,
nous préserverions une paix
Figures de la terre (2017)

La possession ne nous a pas été donnée, sauf dans
l’éphémère.
Leçons de choses, dans Opéra des limites (1988)
Il bouge doucement sur place
il déborde de vies
l’humus invite
à la caresse
il fourmille
il travaille en secret
pour nos cendres futures
qu’il recevra au nombre
de ses futures fleurs.
Qui vient de loin (2017)

interstices
Sur les vitres, les rideaux, les livres, campe l’invisible
Minuscules corps et griffes. Des envies, des dégoûts

Parfois s’opposent en bataille, parfois s’accouplent, fixent
des rendez-vous amicaux.
Ils agrippent, caressent
Dans mon bureau, parmi leur foule, je célèbre une tranquil-

lité
d’aveugle
Toute minute est première (2019)
quelques insectes
« Au silence fourbu
Le meuble continue
à mesurer mon bras
La mouche sa
transparence de
mouche »
« Portrait », dans Mémoire d’abolie
(1978)
« Pouvoir me
retourner sans tuer
des abeilles »
« Contrefable d’Orphée »
dans Opéra des limites (1988)
« existences arides
et jamais vécues de
bourrasque, de
sauterelles »
la « bête écrivante »,
« traversée par des vies
d’insectes »
Étienne Souriau
(1892-1979)
Les existences moindres de

David Lapoujade (2019)
Écrire ?
Oui, pour susciter présence

de toutes les vies
surtout les très minces
étoiles de mer
fourmi sur feuille de bardane
et la feuille même.
Peu, lentement, la vie

affleure au positif
et se suffit.
Sans glose.
Violente vie (2012)

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Élise Tourte

Marie-Claire Bancquart, sauf

Il pense à la chute lumineuse des aubes

et son cœur cherche en vain la petite image nouvelle

Son royaume n’est plus en lui

Sauf un insecte tombé dans sa paume

Dans le feuilletage de la terre (1994)

Je suis tout ce qui grouille en pelletée de terre

Je lui passe mon temps

Mémoire d’abolie (1992)

À propos de Verticale du secret (2007)

Nous nous faisons une origine

Babel n’est pas encore construite

Ce sont les jours d’avant l’homme et la femme.

Tout est possible encore.

Henri Michaux, Poteaux d’angle (1978)

Petit bruit, pluie.

Figures de la terre (2017)

Qui vient de loin (2017)

Minuscules corps et griffes. Des envies, des dégoûts

Dans mon bureau, parmi leur foule, je célèbre une tranquil-

Les existences moindres de

Oui, pour susciter présence

Peu, lentement, la vie

Violente vie (2012)

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