Formation À La Maturité Humaine Et Affective
Formation À La Maturité Humaine Et Affective
Formation À La Maturité Humaine Et Affective
Éléments d'une intervention faite au Séminaire Jean XIII de Kinshasa le 2 octobre 22013 à destination des
supérieurs et professeurs des séminaires.
I. Préambule
Il y a quasiment un an que le Père Maurice Pivot m’a sollicité pour participer à cette session des
équipes de grand séminaire de la région de Kinshasa et de Brazzaville.
Et je remercie très chaleureusement Mgr Timothée Bodika de sa confiance et de son accueil.
Lorsque j’ai accepté ce service, j’enseignais encore la théologie morale au grand séminaire de Lille
et j’étais Curé-Doyen de Valenciennes, une petite ville au nord de la France près de la Belgique.
Pendant 8 ans, j’ai aussi enseigné la morale familiale et sexuelle au séminaire de Saint-Sulpice à
Issy-les-Moulineaux.
Depuis, vous le savez, j’ai accepté la mission que le Pape François m’a confiée comme évêque
auxiliaire de Reims. L’ordination a été célébrée la semaine dernière. Mais avec l’autorisation de
mon nouvel archevêque, je n’ai pas voulu renoncer à ma parole et me voici.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne suis pas familier de la culture de l’Afrique
équatoriale, ou devrais-je dire des cultures de l’Afrique équatoriale. C’est la première fois que j’y
viens. En revanche, depuis 8 ans, je participe chaque année à l’université d’été organisée au
Maroc par le diocèse de Rabat où je rencontre à chaque fois plus de 70 étudiants subsahariens.
J’espère que cette modeste expérience, ainsi que les discussions avec des confrères subsahariens
et des lectures diverses me permettront d’apporter quelques éclairages sur les enjeux d’une
formation à la vie affective pour les séminaristes de votre région. Je vous fais confiance pour
corriger mon ignorance et adapter ce qui aura besoin de l’être.
Sans tomber dans les excès de la théorie du genre qui voudrait soumettre la sexualité au bon
vouloir du sujet et de sa culture tout en ignorant le donné primordial du corps, on ne peut
cependant nier qu’il y a un rapport étroit entre la façon dont l’être humain se découvre comme
être sexué, c’est-à-dire soit homme soit femme, et les représentions et les lois qu’il s’est donné
pour intégrer cette « découverte » dans une vie sociale au service de la vie du groupe et de la vie
de la personne elle-même.
Et ni vous ni moi ne pouvons nous abstraire de notre culture et de notre sexe pour rejoindre
l’homme ou la femme « chimiquement » purs de tout l’environnement culturel dans lequel il est
inséré. C’est donc bien comme un homme d’abord, occidental de surcroît, mais aussi chrétien et
évêque que je prends la parole devant vous. Et il est impossible qu’il en soit autrement.
Le travail que nous menons lorsque nous réfléchissons nos pratiques éducatives suppose que
nous prenions du recul par rapport à nos évidences pour éventuellement mieux nous les
réapproprier[1]. Le décalage entre nos deux cultures participe de cette mise à distance. C’est
pourquoi, je ne crains pas trop d’exposer mon point de vue que j’espère être aussi en communion
avec celui de toute l’Eglise, notre Eglise.
Le Pape François au JMJ à Rio, lorsqu’il rencontrait les évêques n’a pas craint de leur dire : « qu’il
est important de promouvoir et de soigner une formation qualifiée qui fasse des personnes
capables de descendre dans la nuit sans être envahies par l’obscurité ni se perdre ; d’écouter les
illusions d’un grand nombre, sans se laisser séduire ; d’accueillir les désillusions, sans se
désespérer ni tomber dans l’amertume ; de toucher ce qui a été détruit chez les autres, sans se
laisser dissoudre ni décomposer dans sa propre identité. »[2] Si la matière des illusions et des
blessures peut être diverse, il est clair que le travail de formation des futurs prêtres suppose de la
part des accompagnateurs un attachement très solide au Christ de telle sorte que sa lumière en
nous nous évite de tomber dans les pièges des jeunes parfois très idéalisés ou de tomber dans
leur désespérance lorsqu’ils ne se voient pas progresser aussi vite qu’ils le voudraient. Il faut sans
doute avoir éprouvé pour soi-même l’infinie patience de Dieu sur nos chemins personnels de
conversion pour permettre à d’autres d’y mettre leurs pas avec courage et persévérance, avec une
espérance qui leur ouvre l’avenir. Ici, si la science peut être utile, l’expérience de la miséricorde
de Dieu l’est tout autant.
A vrai dire, ce que je vous dis là vaut aussi pour la formation des prêtres en occident et en France
en particulier. Pour tout vous dire, chaque année, des jeunes prêtres français quittent le ministère
quelques années (moins de 10 ans) après l’ordination pour se marier ou parce qu’ils attendent un
enfant. Leur nombre n’est vraiment pas négligeable. De ce point de vue, je n’ai aucune leçon à
donner qui viendrait d’un supposé savoir-faire dont on aura vite fait le tour des limites.
De plus, on sait que probablement en raison de la modernité de notre vie actuelle les jeunes
séminaristes et les jeunes novices, garçons et filles, ont parfois eu « une vie » avant de se
convertir. Saint Augustin et le Bienheureux Charles de Foucauld l’ont fait avant eux.
Enfin, pour mémoire, la Ratio Institutionnis de 1998, sur la formation des futurs prêtres convoque
les équipes des séminaires à se saisir explicitement du sujet (cf. p. 30-32). Pour que ces hommes
aient des qualités humaines vérifiées, il est nécessaire qu’ils travaillent leur rapport à leur
affectivité et à leur sexualité. On notera en particulier l’aide que l’équipe du séminaire leur doit
pour qu’ils puissent « progresser dans la chasteté ». « On veillera à ce qu’ils acquièrent une bonne
compréhension de cette vertu chrétienne qui signifie par-là l’unité intérieure de l’homme dans
son être corporel et spirituel. Elle assure la maîtrise de soi vécue tant par le cœur que par le corps
selon les différents états de vie, mariage ou célibat ». Plus loin les auteurs ajoutent « qu’il s’agit
spécialement pour eux d’évaluer leur capacité à effectuer ce choix et à le vivre dans la durée de
manière heureuse. » Tout ceci a pour objectif qu’ils puissent vivre leur célibat dans un « amour
totalement livré ». Bien d’autres choses mériteraient d’être travaillées dans ce texte. Mais retenons
que les séminaristes sont les acteurs de leur propre discernement et qu’il importe qu’ils
perçoivent cela comme une nécessité qui conditionne leur manière de vivre le célibat aujourd’hui
et demain plus encore. Comme le dit un proverbe d’Afrique : « le vieillard se chauffe avec le bois
qu’il a ramassé dans sa jeunesse ». Plus la décision du célibat chaste est prise pour de bonnes
raisons et dans la clarté de ses faiblesses et plus il sera vécu de manière heureuse.
A ceci, nous pourrions ajouter une adresse aux supérieurs de séminaire du préfet de la
Congrégation pour le clergé : « Que les supérieurs de séminaire soient des personnes
suffisamment matures, réconciliées avec eux-mêmes et leur propre dimension psychoaffective,
non frustrées, et, de ce fait, non enclins à projeter sur les autres leurs propres nœuds non
résolus »[3].
Enfin, le travail que nous présentons suppose comme acquis la compréhension positive du célibat
pour le Royaume de Dieu, car pour le prêtre, il est heureux de conformer sa vie à celle du « bon
maître », de le suivre et de l’imiter jusque dans son mode de vie.
II. Introduction
La formation à la maturité affective des futurs prêtres de la région du Congo est un sujet
évidemment difficile. Il n’est pas simple en France et dans le monde de culture occidentale. Ça ne
l’est sans doute pas plus dans l’univers du Congo même si des difficultés nous sont communes.
Lesquelles sont liées à la « nature humaine » ou encore à l’envahissement des comportements de
ma culture via les médias modernes.
En réalité, toute formation à une conduite humaine se doit de prendre en compte que le sujet est
affronté à divers déterminismes au sein desquels il doit apprendre à devenir libre.
Le schéma sur la boucle des conditionnements éthiques peut nous aider à comprendre :
Bien que nos vies sont marquées par des déterminismes de plus en plus forts tels que notre corps,
notre éducation et la société, il reste que nous avons une part de liberté qu’il faut parfois
préserver, augmenter, voire créer pour que nous puissions nous attribuer à nous-mêmes non
seulement les actes que nous posons (sinon, sans liberté, il ne peut y avoir de responsabilité
morale) mais aussi leurs conséquences.
Dans le cas particulier qui nous occupe, former des jeunes et en particulier des séminaristes à la
maturité affective et sexuelle suppose de prendre en compte tous les facteurs évoqués. Croire que
l’on peut se contenter d’un seul serait une illusion.
En même temps, se poser la question de la formation suppose que l’on croit que l’on peut être
formé et que les « déterminismes » - que l’on subit et qu’il ne faut surtout pas ignorer - peuvent
être relativisés, déplacés, convertis. Ou encore que l’on peut trouver un espace de liberté là où
l’on ne voit que chemins obligatoires. Si nous ne sommes pas convaincus de cela, la session peut
s’arrêter tout de suite.
Les études sont nombreuses mais peut-être celle qui est la plus connue dans le monde occidental
est celle du Cardinal Malula[4]. C’est en juin 1987 que votre ancien cardinal rédige un « Essai de
profil des prêtres de l’an 2000 au Zaïre ». Il pointe les qualités qu’il pressent dans le jeune clergé :
Des prêtres plus sensibles à l’idée de fraternité
Une compréhension de l’Eglise plus présente au monde
Une Eglise tout entière missionnaire
Un vrai sens de la coresponsabilité, en particulier avec les laïcs
Des prêtres rassembleurs au service de l’Eglise locale.
Mais il note aussi ce qu’il qualifie d’idolâtrie (un fort penchant mauvais, une recherche et une
préoccupation exagérée, un attachement désordonné, une passion pour…) :
La recherche exagérée de l’argent, des aises, et de la vie facile.
La soif du pouvoir.
La recherche exagérée de la compagnie des femmes, des filles, des religieuses.
Ce qui nous intéresse, ici, c’est la 3° difficulté. Il y a 26 ans que le Cardinal Malula pubiait cette
réflexion. Elle est toujours d’actualité et elle le sera toujours. Ce qui change, c’est la connaissance,
les moyens techniques au service de la connaissance… Mais jusqu’à la fin des temps nous aurons,
tous et chacun, tant que nous serons des hommes ou des femmes, à « apprendre à habiter chez
soi pour parvenir à se respecter et s’estimer. Cela demande un gros travail : celui de l’accès à la
maturité qui reste toujours un labeur. »[5] Le Catéchisme de l’Eglise Catholique n’hésite pas non
plus à dire lui-même, sans naïveté, que la chasteté est une tâche quotidienne : « La chasteté
comporte un apprentissage de la maîtrise de soi, qui est une pédagogie de la liberté humaine. »N°
2339 ; « La maîtrise de soi est une œuvre de longue haleine. Jamais on ne la considèrera comme
acquise une fois pour toutes. Elle suppose un effort repris à tous les âges de la vie (cf. Tt 2, 1-6).
L’effort requis peut être plus intense à certaines époques, ainsi lorsque se forme la personnalité,
pendant l’enfance et l’adolescence. » N° 2342. Et le dernier numéro sur le sujet affirme : « La
chasteté est une vertu morale. Elle est aussi un don de Dieu, une grâce, un fruit de l’œuvre
spirituelle (cf. Ga 5, 22). Le Saint-Esprit donne d’imiter la pureté du Christ (cf. 1 Jn 3, 3) à celui
qu’a régénéré l’eau du Baptême. » N° 2345.
Ce que je me propose de faire, c’est de vous partager dans un premier temps quelques approches
sur la chasteté. Ensuite nous regarderons les différents acteurs qui participent à la formation à la
vertu de chasteté. Enfin, je proposerai quelques repères et éventuellement des pratiques
pédagogiques pour former, mieux former nos jeunes à cette vertu, qui, en définitive, est une vertu
pour tous, une vertu pour les hommes et les femmes, que l’on soit célibataire ou marié.
Il va de soi que la chasteté pour les personnes qui ont fait le libre choix du célibat suppose la
continence, c’est-à-dire l’abstinence de tout plaisir sexuel volontairement provoqué.
Pour les célibataires le schéma se modifie donc de la façon suivante :
Mon hypothèse de travail est qu’avec la boucle des conditionnements éthiques et le schéma sur la
vertu, nous disposons de deux grilles de travail qu’il faut mettre en œuvre simultanément. Notre
capacité à mettre en œuvre un « programme éducatif » au service de la maturation affective et
sexuelle des séminaristes sera le fruit de la mise en œuvre courageuse et prudente de tous ces
critères :
Participent à la maturation affective du jeune : lui-même, la communauté éducative et la société
(au moins l’Eglise dans laquelle il vit). Cette dernière doit prendre en compte les trois
composantes de la chasteté : le rapport au plaisir, la maîtrise de soi et le rapport à autrui.
Si nous voulons que les jeunes séminaristes rentrent de manière positive dans un célibat chaste
pour le Royaume de Dieu, il faut que tous les acteurs tirent dans la même direction en agissant
sur tous les leviers. Il sera évidemment plus difficile pour un jeune prêtre de persévérer dans la
chasteté et la continence s’il ne trouve pas autour de lui une communauté chrétienne qui perçoit
dans son célibat chaste un trésor pour sa propre vie de communauté.
A. Quelques définitions de la chasteté.
On verra que le regard est toujours impliqué.
« Jésus n’a pas choisi d’être chaste par principe, au nom d’un idéal ou comme le moyen de
réaliser quelque chose : il a simplement choisi d’être lui-
même. » Jacques Guillet
« "Chaste" sera le regard accessible à cette beauté. Loin d'être asexué (eros intervient toujours
dans l'appréhension de la beauté), le regard chaste supporte la distance et respecte l'altérité (qui
ne se réduit pas à la différence). Il perçoit le corps comme personnel et expressif avant de le
percevoir comme objet de désir. Chaste est le regard qui perçoit le corps à partir de son visage. La
chasteté est liberté ou, plus précisément, liberté vis-à-vis du désir. La difficulté que nous avons à
poser un regard innocent sur un corps dévêtu est signe certes de l'accès à la pudeur, c'est-à-dire
au sens de l'intimité, mais aussi des limites de l'unification en nous du désir et de la liberté. La
notion de pureté du regard serait à redécouvrir, en lien avec celle de pureté du cœur. »
Xavier Lacroix
« La maîtrise de soi dont nous avons besoin dans le célibat pour écarter les tentations et résister au mal naît
de notre accueil de l’Amour indéfectible du Père. S’il nous faut combattre des tentations charnelles par
exemple, ou maîtriser des pulsions sexuelles plus ou moins perverses, c’est sans doute moins en fustigeant
notre corps ou en évitant toutes les rencontres dangereuses dans ce monde où la mixité est de règle partout,
qu’en nous tenant sous le regard du Père. Notre Père ne veut pas que nous succombions dans les
épreuves, les tentations ou les souffrances qui nous sont infligées. Notre regard vers le Père restaure notre
lucidité et nous remet debout lorsque nous faiblissons. Car son Amour est empreint d’espérance sur nous et
nous remplit de la force de l’Esprit. » A. Barral-Baron
La chasteté est avant tout une vertu du cœur. « Bienheureux les cœurs purs… » Le prêtre (et déjà
le séminariste) doit apprendre à regarder les femmes comme Jésus les regardait, non seulement
avec un regard pur mais avec un regard purificateur. (…) Un regard de convoitise (souvent
partagé) tue la chasteté et la liberté intérieure.
Cardinal Malula
« Est chaste une personne qui, sous l’action reconnue de l’Esprit Saint, tente de vivre sa sexualité de
façon à construire sa relation aux choses et aux êtres dans la reconnaissance des différences qui la
structurent. »
Xavier Thévenot
Si une relation commence à me troubler, il peut être utile de vérifier loyalement, c’est-à-dire en
conscience et sans se mentir où j’en suis dans cette relation. La grille de lecture peut y aider.
D. Tenir debout.
La chasteté, disais-je, ne trouve sa pleine dimension que dans la confiance. C’est une découverte
importante que le séminariste doit faire que d’éprouver la joie de la confiance honorée. Cela
suppose que l’institution du séminaire mette en place des lieux et des moments de confiance. De
ce point de vue, elle prend nécessairement le risque des échecs. Mais ceux qui ne voudraient
aucun échec en mettant tout sous contrôle dans leur maison risquent fort de voir les séminaristes
exploser dès qu’ils auront quitté l’institution du séminaire.
De ce point de vue, l’apprentissage de la chasteté passe par l’effort éducatif de permettre au
séminariste de « se tenir » alors même que l’institution n’est plus là pour le soutenir dans la
gestion de ses horaires, de sa prière, … Nous le savons tous, ceux qui écoutent la parole et la
mette en pratique n’évitent pas les torrents, les vents et les pluies, mais ils tiennent debout ! (Cf.
Mt 7). C’est toujours prendre le risque de le voir rentré un peu « cabossé » mais il n’y a pas
d’éducation sans ce risque-là. Imaginez un papa qui veut apprendre à son fils à faire du vélo mais
qui ne lâcherait jamais le vélo de peur qu’il ne tombe ?
Nous connaissons tous le proverbe : « quand le chat est parti, les souris dansent ». C’est-à-dire,
dès que l’autorité est partie, les barrières tombent, et on fait n’importe quoi. Autrement dit,
l’enjeu de toute éducation et de l’éducation affective en particulier est celui-ci : comment le chat
peut-il apprendre à vivre sans lui ? Une mauvaise manière serait de surcharger le
« surmoi »[7] de telle sorte que quelle que soit le lieu où se trouve le séminariste il n’ose
transgresser la loi en raison de cet « œil » permanent que l’on aurait mis en lui à son insu – ce qui
ne serait pas du tout être chaste à son égard évidemment. Ou bien c’est par une adhésion au
Christ et par le désir de l’imiter et de le suivre que le séminariste qui est avant tout un disciple du
bon maître vit sa chasteté. On passe alors d’une chasteté crispée à une chasteté heureuse
nettement préférable. C’est cette dernière que l’équipe éducative doit viser.
Pour le dire de manière un peu plus ramassée, on ne choisit pas le célibat parce qu’il le faut bien
mais parce qu’Il le vaut bien ! Non pas parce que c’est le passage obligé pour être prêtre, mais
parce que le Christ vaut l’effort que suppose un tel choix de vie.
Je ne veux pas dire qu’il faut ignorer des règles de prudence, il en faut bien sûr et j’en donnerai
moi-même quelques-unes. Mais elles sont au service de cette chasteté libérante que nous
cherchons à promouvoir. Entendons par « libérante » une chasteté telle qu’elle libère les énergies
pastorales et la fécondité du ministère parce qu’elle est fondée sur le Christ et non sur la seule
volonté du sujet qui peut connaître des faiblesses comme chacun le sait. Cela ne vaut que si le
séminariste, et plus tard le prêtre, demeure enraciné dans le Christ par une vraie vie de prière.
Nous pouvons avoir des fragilités. Qui n’en a pas d’ailleurs en matière d’affectivité. Nous
pouvons craindre de ne pas garder les dons de Dieu et la promesse que nous avons faite. Mais
rappelons-nous que la seule manière pour une cruche fêlée de garder l’eau vive en son sein est de
rester immergée dans la source !
Essayons de dresser un tableau[8] rapide de ce que permet la chasteté lorsque nous sommes
affrontés aux difficultés et aux tentations fondamentales de ce monde :
Encore une fois, la chasteté est cette vertu complexe qui est un espace de vie, un espace pour
vivre. Elle n’évite à personne les difficultés, mais elle permet de tenir debout.
E. Lorsque le jeune connaît de difficultés sur le chemin de la chasteté
A vrai dire cela peut arriver à tous les âges. Mais comment peut-on aider un jeune qui le
demande ? Voici quelques critères que vous adapterez en fonction de votre connaissance bien
meilleure que la mienne de votre culture.
Il importe qu’il puisse relire sa vie dans un récit unifié. Qu’il puisse dire « c’est mon histoire ».
On ne peut pas la recommencer mais elle n’est pas totalement close en ce sens qu’elle peut-être
réinterprétée, réassumée voire objet de guérisons intérieures. En particulier sur la « jeunesse
sexuelle » que le séminariste aurait pu connaître avant sa conversion ; ou sur les « rites
d’initiations » que son ethnie lui a fait vivre et qui incluaient parfois des rites d’initiation sexuelle
d’ordre et de gravité divers ; ou sur sa culture propre qui dans certaines ethnies veut que pour
être un homme au sens plénier du terme, il faut avoir pris femme et avoir engendré. En France, il
est important que l’on assume le milieu social d’où l’on est issu : populaire, bourgeois, nouveau
riche, vieille noblesse, … On ne peut pas savoir où l’on veut aller et surtout comment s'y rendre si
on ne sait pas d’où l’on vient.
Dans cette relecture, il est bon de repérer sur les points difficiles en quoi la liberté du candidat a
été engagée ? Il a pu être piégé mais il a pu y mettre sa volonté.
Lui permettre de passer du stade de l’humiliation (qui clôt le sujet sur lui-même) à celui de
l’humilité qui va l’ouvrir à l’avenir.
Eventuellement lui ouvrir la possibilité d’avoir de la bienveillance sur lui-même, en particulier si
cela touche des faiblesses personnelles liées à la masturbation. La frontière entre bienveillance et
complaisance est étroite mais il est important de bien la connaître.
Réfléchir sur les circonstances des faiblesses et travailler à l’évitement des « occasions
prochaines ».
La pratique régulière des sacrements où l’on ne parle pas à demi-mots. L’ennemi de la nature
humaine, dit saint Ignace, est comme un amoureux frivole qui agit de nuit et exige le secret.
Lorsque son projet est connu, il s’enfuit. Ainsi en est-il de l’enjeu de la transparence dans
l’accompagnement spirituel et dans la confession.
La dévotion mariale. La prière avec Marie qui est nous conduit sur le chemin du disciple qui
garde tout ce que dit le Fils dans son cœur et se laisse transformer lentement par ce qu’il reçoit.
La prière elle-même. « La confrontation à l’Ecriture, au Christ, renvoie à soi, à son histoire, à ses
ambiguïtés »[9] et nous décentre vers celui qui nous libère et nous guérit.
Un hobby, du sport, …
Le cardinal Malula rappelle que l’accompagnateur ou le recteur du séminaire ne peut se
contenter d’observer. Il doit « avertir à temps le séminariste qui aime passer son temps à des
causeries interminables avec des filles » qu’il n’est pas sur la bonne voie. Et qu’il faut l’aider à
acquérir de la volonté.
Apprendre à gérer sa solitude. A vivre dans le silence avec soi-même. Cela suppose par exemple
que l’on ne mette pas toujours la radio ou la télévision pour tromper le sentiment de vide. Ou
encore que l’on range correctement son bureau ou sa chambre pour que l’on ait plaisir à y
revenir. Sinon, on risque d’aller traîner dans le quartier.
Apprendre à vivre avec soi-même comme avec un ami.
Aimer habiter le temps ordinaire (voir la spiritualité de Madeleine Delbrel).
Développer le goût de la joie et le dégoût du dégoût. Aller vers sa joie est un chemin sûr.
Bref ! Par le développement de sa conscience morale, les éducateurs permette au jeune d’être
l’acteur principal de sa décision. De telle sorte que le jour où les difficultés viendront, et elles
viendront certainement, il ait en mémoire une décision claire, prise avec toute la lucidité qu’il
pouvait avoir alors. Les difficultés seront plus faciles à traverser.
La liste est sans fin bien sûr. Retenons deux critères majeurs : ne pas donner prise au soupçon ; ne
pas se mettre en danger inutilement. Une vigilance ordinaire du cœur devrait nous y aider.
[1] « Contre l’habitude qui nous les incorpore, c’est de désapprendre les apparences qui nous
bouleverse – ce qui soudain nous en distancie, nous les révèle dans leur étrangeté primordiale et nous
renvoie à cette désappartenance originaire au monde qui le fait objet de nos entreprises. » Marcel
GAUCHET
[2] Pape François, Rencontre avec les évêques du Brésil, 27 juillet 2013.
[3] Cardinal Mauro Piacenza, cité par Urbi et Orbi, le 17 mai 2011.
[4] MALULA, J., « Essai de profil des prêtres de l’an 2000 au Zaïre », dans Documentation Catholique N°
1961, 1988, pp.463-469.
[5] Véronique MARGRON, « Vie affective et vie consacrée », in Entre cœur et raison, l’éducation affective et sexuelle,
Edifa, Paris.
[6] Pape François, Rencontre des séminaristes et des novices, 8 juillet 2013 : « Je voudrais vous donner un conseil :
soyez transparents avec votre confesseur. Toujours. Dites tout, n’ayez pas peur. « Père, j’ai péché ». Pensez à la
Samaritaine qui, pour prouver, pour dire à ses concitoyens qu’elle avait trouvé le Messie, a dit : « Il m’a dit tout ce
que j’ai fait », et ils connaissaient tous la vie de cette femme. Toujours dire la vérité à son confesseur. Cette
transparence fera du bien, parce qu’elle nous rend humbles, tous. « Mais Père, je suis resté là-dedans, j’ai fait ceci,
j’ai détesté »… peu importe de quoi il s’agit. Dire la vérité, sans cacher, sans demi-paroles, parce que tu parles
avec Jésus dans la personne du confesseur. Et Jésus sait la vérité. Lui seul te pardonne toujours ! Mais le Seigneur
veut seulement que tu lui dises ce qu’il sait déjà. La transparence ! C’est triste quand on trouve un séminariste,
une sœur qui se confesse aujourd’hui pour effacer la tâche et demain il ou elle va voir l’un, l’autre et encore un
autre : une pérégrination d’un confesseur à l’autre pour se cacher sa vérité. La transparence ! C’est Jésus qui
t’écoute. Ayez toujours cette transparence devant Jésus présent dans le confesseur ! Mais c’est une grâce. Père, j’ai
péché, j’ai fait ceci, ceci, cela… avec tous les mots. Et le Seigneur te serre dans ses bras, il t’embrasse ! Va, et ne
pêche plus ! Et si tu reviens ? Encore une fois. Je dis cela par expérience, j’ai croisé tant de personnes consacrées
qui tombent dans ce piège hypocrite du manque de transparence. « J’ai fait ceci », humblement. Comme le
publicain qui se trouvait au fond du temple : « J’ai fait ceci, j’ai fait ceci… ». Et le Seigneur te fait taire ; c’est lui qui
te fait taire ! Ce n’est pas à toi de le faire ! Vous avez compris ? De notre péché, la grâce surabonde ! Ouvrez la
porte à la grâce, avec cette transparence ! Les saints et les maîtres de vie spirituelle nous disent que pour nous
aider à faire grandir notre vie en authenticité, la pratique de l’examen de conscience est très utile, et même
indispensable. Que se passe-t-il dans mon âme ? Comme ça, ouvert, avec le Seigneur, puis avec le confesseur,
avec le père spirituel. C’est tellement important, cela ! »
[7] Instance psychanalytique de l’inconscient qui est le lieu de « l’autorité parentale introjectée ». C’est-à-dire le
lieu où sont intégrées de façon inconsciente mais pourtant très prégnante les lois éducatives des parents, puis de
toute instance éducative.
[8] Inspiré des travaux de Xavier Thévenot.
[9] Véronique Margron, opus cité, p. 85.
[10] Claude PLETTNER, Le corps bouleversé, choisir le célibat, DDB, Paris, 2002.
[11] Ibid p. 146.
[12] Ibid p. 189.
[13] Louis BEIRNAERT, Aux frontières de l’acte analytique, Seuil, Paris, p. 157. Cité par Claude Plettner, p. 190.