Extrait
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Section I
La lente consécration d’une juridiction
administrative indépendante_______________________
2. Tout d’abord, la Constitution de l’an VIII crée le Conseil d’État (même si une
institution appelée ainsi était déjà apparue sous la Révolution) et la loi du 28 pluviôse
an VIII les Conseils de préfecture. On ne peut pas encore parler de juridiction admi-
nistrative indépendante : il s’agit d’organes spécialisés à l’intérieur de l’administration.
D’ailleurs, au début de la Restauration, l’idée s’impose que « juger l’administration
c’est encore administrer » (selon la formule d’Henrion de Pansey).
Le Conseil d’État est toujours régi, et ce jusqu’en 1872, par le principe de la
justice retenue (qu’il faut distinguer de la justice déléguée) : le Conseil d’État se borne à
préparer un projet d’arrêt que le Chef de l’État suivra ou pas : le pouvoir juridictionnel
appartient donc formellement au chef de l’État.
Les Conseils de préfecture disposent, eux, dès l’origine de la justice déléguée.
Mais, leur indépendance n’est pas assurée : le préfet les préside ; les conseillers de
préfecture qui souhaitent faire carrière ne doivent pas déplaire au préfet. Les Conseils
de préfecture ont des compétences d’attribution.
Chapitre I. Le statut de la juridiction administrative 9
3. Le Conseil d’État devient une véritable juridiction par la loi du 24 mai 18721.
C’est donc une grande loi au point que lorsque le Conseil constitutionnel cherchera à
consacrer l’existence de compétences constitutionnellement garanties à la juridiction
administrative (c’est-à-dire qu’une loi ne peut lui enlever) il verra dans cette loi l’expres-
sion d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. En instituant
la « justice déléguée », cette loi fait du Conseil d’État une véritable juridiction. Certes,
pour beaucoup, il s’agissait surtout de consacrer en droit ce qui existait déjà car sous les
régimes précédents, le Conseil d’État avait acquis une véritable indépendance de fait.
L’article important de cette loi de 1872 est l’article 9 : « le Conseil d’État statue
souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative et sur les
demandes d’annulation pour excès de pouvoir, formés contre les actes des différentes
autorités administratives. ». À l’occasion du vote de cette loi, des voix hostiles à la juri-
diction administrative s’exprimèrent. Ainsi, Raudot déclarait-il (séance du 19 février
1872) que « l’État est juge et partie dans les procès administratifs. Il demanda que fût
supprimée dans le futur article 9 l’expression en vertu de laquelle le Conseil d’État
était compétent « sur les recours en matière contentieuse administrative ». C’était
admettre que le Conseil d’État pouvait être compétent en matière d’excès de pouvoir
mais rejeter sa compétence dans le domaine du plein contentieux ». Partout , ajouta-t-il,
où il y a un droit privé qui est lésé ce droit doit avoir la protection des tribunaux de
droit commun. Tout au long du xixe siècle, les libéraux critiquèrent l’existence d’une
juridiction administrative. Il arrive qu’on entende encore cette critique de ce courant
politique.
5. Le Conseil d’État est définitivement assis dans nos institutions. Il y eut un simple
soubresaut en 19631. Le général de Gaulle n’avait pas apprécié l’arrêt Canal du
19 octobre 1962 dans lequel le Conseil d’État déclarait recevable le recours pour excès
de pouvoir contre une ordonnance du président de la République prise en vertu de la
loi du 13 avril 1962 adoptée par voie de référendum. Le Conseil d’État avait annulé
l’ordonnance instituant une cour militaire de Justice pour violation des principes
généraux du droit pénal. Sous le coup de la fureur, le général envisagea une profonde
réforme du Conseil d’État. Le garde des Sceaux de l’époque, J. Foyer, souhaitait ne lui
conserver en matière contentieuse que les recours contre les décrets. Mais, finalement,
la crise aboutit à une réforme plus limitée2.
1 André Schilte, Dix ans de croissance du contentieux administratif… Les réponses de la juridiction
administrative, RFDA 2011, p. 674.
2 CE 10 octobre 2012 Mme Cadar, n° 348475, AJDA 2012, p. 2282.
12 Première partie. La juridiction administrative
1 Décision n° 86-224 DC 23 janvier1987 (Rec 8). Note B. Genevois (R.F.D.A. 1987, p. 287) ; J.
Chevallier (A.J.D.A .1987, p. 315); Y. Gaudemet (RDP 1987, p. 1341 ; L. Favoreu (R.D.P. 1989,
p. 482) ; J.F. Sestier ( J.C.P. 1987 II n° 20854 ; D. Rousseau ( JCP 1987, Cahiers du droit de l’entre-
prise, n° 25 p. 30) ; Fr. Luchaire (D. 1987 JP, 117) ; Grandes décisions du Conseil Constitutionnel
n° 43 ; Note JM Sorel (RA 1988 p 29) ; GAJA 2015, n° 85.
2 CC 22-7-1980 Lois de validation (46) ; Note G. Carcassonne (A.J.D.A. 1980, p. 480 et 602) ;
L. Favoreu (R.D.P. 1980, p. 1658) ; G.D.C.C. n° 31.
3 Pour une définition de cette notion, trente ans avant sa formulation constitutionnelle : G. Vedel. « Les
bases constitutionnelles du droit administratif ». E.D.C.E. n° 8, 1954 et préface de G.. Vedel à
la 7e édition du « hémi » de Droit administratif, 1980. Georges Vedel était membre du Conseil
constitutionnel en 1987.
Voir aussi CC 28 juillet 1989 Loi relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en
France (A.J.D.A. 1989, p. 619, Note J. Chevallier).
Chapitre I. Le statut de la juridiction administrative 13
1 considérant 15 précité.
2 CE 7 février 1947 D’Aillières, GAJA 2015, n° 55 ; Note Morange, J.C.P. 1947 – n° 3508-3509 ;
R.D.P., 1947, p. 68, conclusions Odent.
3 CE 17 février 1950 Dame Lamotte, GAJA 2015, n° 58 ; R.D.P. 1951, p. 478, conclusions Delvolvé,
note M. Waline.
Voir aussi conclusions Heumann sur CE 17 mai 1957 Sieur Simonnet recueil Lebon, p. 314 ; CE
17 avril 1953 Falco et Vidaillac Rec 175, ; conclusions Théry sur CE 20 janvier 1971 Sieur Bouez
et U.N.E.F. A.J.D.A. 1971, p. 519 .
4 J.P. Chaudet les érige en principes généraux de procédure Les principes généraux de la procédure
administrative contentieuse L.G.D.J., 1966.
14 Première partie. La juridiction administrative
Section II
La confrontation de la juridiction administrative
aux exigences externes ______________________________
13. Le Conseil d’État est un juge mais il est aussi le conseiller du gouvernement.
Ainsi, à côté de la section du contentieux qui juge les litiges (celle qui rend les arrêts),
il y a six sections administratives : la section de l’Intérieur, la section des finances, la