DC - Groupe A - 2023-2024 - Fiche 6 - Le Gouvernement
DC - Groupe A - 2023-2024 - Fiche 6 - Le Gouvernement
DC - Groupe A - 2023-2024 - Fiche 6 - Le Gouvernement
DROIT CONSTITUTIONNEL
Licence 1 – Semestre 2 – Cours de M. Yannick Ganne
Fiche 6
Le Gouvernement
Remarques sur le devoir à la maison : il s’agit d’un sujet juridique. Les éléments non juridiques
présents dans la lettre peuvent être évoqués, mais ne peuvent constituer le cœur du
commentaire.
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Document 1 : Extraits de la Constitution du 4 octobre 1958
(au 1er janvier 2024)
Article 8 :
Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la
présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met
fin à leurs fonctions.
Article 9 :
Article 20 :
Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux
articles 49 et 50.
Article 21 :
Il peut, à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d'un Conseil des ministres en vertu
d'une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé.
Article 22 :
Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de
leur exécution.
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Article 68-1 :
Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans
l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par
la détermination des peines telles qu'elles résultent de la loi.
Article 68-2 :
La Cour de justice de la République comprend quinze juges : douze parlementaires élus, en leur
sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement
général ou partiel de ces assemblées et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont
l'un préside la Cour de justice de la République.
Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du
Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d'une commission des
requêtes.
Le procureur général près la Cour de cassation peut aussi saisir d'office la Cour de justice de la
République sur avis conforme de la commission des requêtes.
Vous m’avez fait part de votre intention de changer le Gouvernement. J’ai donc l’honneur de
vous présenter la démission du Gouvernement. Je vous demeurerai reconnaissant de votre
confiance, qui m’a permis, pendant trois ans, à la tête de mes collègues, de me consacrer
entièrement au service de la France et au bonheur des Français.
Jacques Chaban-Delmas
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Lettre du Président de la République au Premier ministre :
En réponse à votre lettre de ce jour, j’accepte la démission que vous m’avez présentée
conformément à l’article 8 de la Constitution. Au cours de nos récents entretiens, je vous ai
indiqué les raisons qui me paraissaient appeler la formation d’un nouveau Gouvernement. Au
moment où vous quittez vos fonctions, je tiens à vous exprimer toute mon estime pour la façon
dont vous les avez remplies durant trois années. Je tiens à souligner particulièrement combien
vous avez, avec mon plein appui mais avec le style et le talent qui vous sont propres, permis
par le développement d’une politique contractuelle, d’importants progrès dans le domaine
social et des relations humaines. Cette lettre, qui souligne la valeur de votre action, vous
apportera aussi le témoignage de mon amitié.
Veuillez croire, mon cher Premier ministre, à l’assurance de mes sentiments très cordialement
dévoués.
Georges Pompidou
Monsieur le Président,
Au cours de ces derniers mois, je me suis permis, à plusieurs reprises, de vous exposer les
raisons politiques et économiques qui commandaient, selon moi, une reprise en main énergique
du Gouvernement afin de donner à son action dans ces deux domaines une impulsion
vigoureuse et coordonnée. Cela supposait évidemment un renforcement sans équivoque de
l’autorité du Premier ministre. J’ai cru comprendre que ce n’était ni votre sentiment ni votre
intention.
Dans ces conditions, je ne puis continuer à accomplir la tâche que vous m’avez confiée, et j’ai
l’honneur de vous remettre aujourd’hui ma démission. Cette décision sera effective au plus tard
le mardi 3 août, c’est-à-dire dès mon retour du voyage officiel au Japon que vous m’avez
demandé de ne pas décommander.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, les assurances respectueuses de ma
haute considération.
Jacques Chirac
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Vous m’avez écrit pour m’informer que vous ne pouviez plus continuer à accomplir la tâche
que je vous ai confiée, et que vous me remettiez votre démission. Vous m’indiquez que cette
décision sera effective le 3 août. Je prends acte de votre décision.
Comme je vous l’ai dit oralement, je ne pense pas que, en l’absence de tout événement
dramatique, il convienne de procéder en quelques jours, et à un moment qui ne se prête pas aux
consultations nécessaires, à cet acte important pour la continuité de la vie de la nation qu’est la
mise en place d’un nouveau Gouvernement. Je vous demande donc d’en différer l’annonce et
d’assurer la gestion du Gouvernement jusqu’au premier Conseil des ministres que vous me
demanderez de convoquer, dans la deuxième quinzaine du mois d’août, pour me présenter la
démission du Gouvernement.
Je vous remercie de l’exceptionnelle activité que vous avez déployée dans votre haute charge
et de la loyauté avec laquelle vous vous êtes attaché à atteindre les objectifs qui me paraissaient
essentiels pour le bien et le renouveau de la France.
Le Président de la République,
Vu l'article 8 de la Constitution,
Décrète :
Article 1
Article 2
Le Président de la République,
Vu l'article 8 de la Constitution ;
Vu le décret du 16 mai 2022 portant nomination du Premier ministre ;
Sur proposition de la Première ministre, chargée de la planification écologique et énergétique,
Décrète :
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Article 1
Article 2
Est nommé ministre délégué auprès de la Première ministre et participe au conseil des
ministres :
M. Olivier VERAN, chargé des relations avec le Parlement et de la vie démocratique.
Article 3
Sont nommés ministres délégués et participent au conseil des ministres pour les affaires relevant
de leurs attributions :
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M. Clément BEAUNE, chargé de l'Europe.
Article 4
Est nommée secrétaire d'État auprès de la Première ministre et participe au conseil des
ministres :
Mme Olivia GREGOIRE, porte-parole du Gouvernement.
Article 5
Sont nommées secrétaires d'État et participent au conseil des ministres pour les affaires relevant
de leurs attributions :
Article 6
Le Président de la République,
Vu l'article 8 de la Constitution ;
Vu le décret du 16 mai 2022 portant nomination du Premier ministre ;
Vu le décret du 20 mai 2022 relatif à la composition du Gouvernement ;
Vu le décret du 25 juin 2022 relatif à la composition du Gouvernement ;
Sur proposition de la Première ministre,
Décrète :
Article 1
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Article 2
Article 3
Sont nommés ministres délégués auprès de la Première ministre et participent au conseil des
ministres :
M. Olivier VÉRAN, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ;
M. Franck RIESTER, chargé des relations avec le Parlement.
Article 4
Sont nommés ministres délégués et participent au conseil des ministres pour les affaires relevant
de leurs attributions :
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Mme Agnès FIRMIN LE BODO, chargée de l'organisation territoriale et des professions de
santé ;
Article 5
Sont nommés secrétaires d'État et participent au conseil des ministres pour les affaires relevant
de leurs attributions :
Article 6
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prenant en compte le long terme. Dans le même temps, le Gouvernement doit renouer avec les
Français l'indispensable confiance sans laquelle il n'est pas d'administration efficace.
L'organisation de l'action gouvernementale doit ainsi répondre à une triple exigence
d'exemplarité, de collégialité et d'efficacité.
Cette méthode de travail doit être mise en place sans délai. A cet égard, en votre qualité de
ministre, vous jouez un rôle essentiel, en étant à la fois membre du collectif gouvernemental et
chef de l'administration de votre ministère. La présente circulaire précise les enjeux auxquels
nous devons répondre à titre individuel et collectif.
1. Exemplarité
L'exemplarité est le fondement de la confiance accordée par les Françaises et les Français au
Gouvernement. Chacun de ses membres doit traduire cette exigence dans son comportement,
que ce soit dans l'exercice de ses fonctions ou en dehors de ses engagements publics. L'intégrité,
la dignité et la probité sont au cœur de l'action publique.
D'une part, vous devez strictement respecter les obligations légales qui vous sont applicables et
notamment celles issues de la loi du 11 octobre 2013 modifiée relative à la transparence de la
vie publique. Il vous faut déclarer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
les intérêts que vous détenez au jour de votre nomination et au cours des cinq années
précédentes. Je souhaite en outre que vous me fassiez part de tout intérêt antérieur à ces cinq
ans susceptible d'influencer ou de paraître influencer une décision publique à laquelle vous
serez associé. Vous devez aussi déposer une déclaration de situation patrimoniale et confier la
gestion de vos instruments financiers à un intermédiaire agréé dans des conditions excluant tout
droit de regard de votre part pendant la durée de vos fonctions ministérielles. En cas de
questionnement, vous pouvez vous adresser à la Haute Autorité pour la transparence de la vie
publique.
Cette exemplarité a un sens : si l'Etat doit être ferme et fort, ses serviteurs doivent être sobres
et dignes ; il en va naturellement ainsi pour les membres du Gouvernement.
2. Collégialité
Comme l'a souhaité le Président de la République, le conseil des ministres doit redevenir le lieu
institutionnel de discussion entre le Président de la République, le Premier ministre et les
ministres. Il s'agit d'y échanger sur les politiques publiques à mener et les réformes à engager.
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Ces échanges doivent se tenir très en amont afin de pouvoir être pris en compte dans la
préparation des textes. Il ne peut s'agir de le faire lors de la délibération du conseil des ministres
postérieurement à l'examen par le Conseil d'Etat d'un projet de loi, d'ordonnance ou de décret.
Ces échanges, au cœur de la collégialité, permettront d'accélérer la mise en œuvre des priorités
publiques.
L'action gouvernementale est une action collective fondée sur une claire répartition des
responsabilités.
En premier lieu, chaque ministre est compétent dans les domaines fixés par son décret
d'attribution ; il a en charge une administration. C'est à lui de mener dans son secteur la politique
gouvernementale. Pour autant il doit veiller à la bonne information de ses collègues.
En deuxième lieu, le Premier ministre dirige l'action du gouvernement. A ce titre il rend des
arbitrages qui doivent être préparés dans des conditions permettant à chacun de présenter son
point de vue. Il s'agit d'avoir tous les échanges nécessaires préalablement à la décision.
En troisième lieu, une fois les arbitrages rendus, ceux-ci doivent être appliqués. Ils prendront
la forme écrite d'un « bleu » de Matignon. Celui-ci m'engagera et il conviendra de s'y tenir.
C'est l'application d'un principe simple de loyauté. La liberté intellectuelle et la collégialité ont
pour corollaires naturels la solidarité. Chaque membre du Gouvernement pourra voir les
décisions prises être plus ou moins proches de ses positions initiales. Mais une fois cette
décision prise, il doit en être pleinement solidaire. C'est le gage indispensable de la cohérence
de l'action gouvernementale.
La collégialité implique aussi que chacun de vous, sur les dossiers dont il a la charge, cherche
d'abord à s'entendre avec ses collègues avant de recourir à un arbitrage de ma part. L'excès de
demandes d'arbitrage est une source de dysfonctionnements déjà ancienne et traduit de faibles
capacités internes de négociation ainsi qu'une mauvaise appréhension des modes de travail
collectifs.
En cas de demande d'un arbitrage, et hors l'hypothèse où je réunirai autour de moi pour rendre
celui-ci les ministres compétents, je vous demande de veiller à ce que les directeurs
d'administration centrale jouent sous votre autorité le rôle qui doit être le leur. De façon
générale, appliquant les directives que vous leur donnerez et dont vous vous assurerez de la
bonne application, c'est à eux de préparer et réaliser les réformes et les projets de texte traduisant
les priorités du Gouvernement. Il doit notamment en aller ainsi pour les projets de loi. C'est à
eux de venir personnellement en réunion interministérielle d'arbitrage présenter vos positions,
puis d'aller au Conseil d'Etat défendre le texte que j'aurai arbitré, de vous seconder dans le
travail parlementaire puis de défendre avec le secrétariat général du Gouvernement le texte au
Conseil constitutionnel. Je n'hésiterai pas à faire appel à eux pour éclairer les décisions relevant
de ma compétence. Je souhaite recevoir régulièrement les notes importantes qu'ils préparent
pour la mise en œuvre de l'action gouvernementale.
L'administration française est compétente, neutre et loyale. C'est une force de notre pays. Je
vous demande de vous appuyer sur elle. Les directeurs d'administration centrale sont nommés
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en conseil des ministres. Il vous appartient de travailler de manière étroite avec eux. Comme l'a
indiqué le Président de la République, vous serez ainsi à même de décider si vous devez opérer
des changements parmi ceux placés sous votre autorité.
3. Efficacité
Vous êtes les chefs des administrations placées sous votre autorité. Vous devez exercer
pleinement cette responsabilité et vous appuyer sur elles.
Les tâches respectives des membres des cabinets ministériels et des directeurs d'administration
centrale viennent d'être rappelées et encadrées. D'une part, les cabinets doivent être centrés sur
des fonctions politiques et veiller à l'explication de l'action et de la communication relative à
celle-ci. D'autre part, les directeurs d'administration centrale ont en charge de mener à bien les
politiques publiques dans le cadre de l'action gouvernementale. De manière simple, il convient
désormais d'éviter de doubler au cabinet les fonctions de l'administration. Ceci appauvrit le lien
entre le ministre et ses services et crée des décalages nuisibles à la cohérence de l'action
publique. Par ailleurs, pour être pleinement efficace la méthode de travail gouvernementale
s'appuiera également sur une nouvelle gouvernance entre les cabinets du Président de la
République et du Premier ministre avec la nomination de conseillers conjoints.
L'administration de votre ministère doit s'engager pour la mise en œuvre des priorités politiques
déterminées par le Gouvernement auprès du chef de l'Etat. Dès lors, vous devez organiser des
modalités de travail efficaces avec vos directeurs d'administration centrale, qui seront tous
nommés ou confirmés dans les six mois, pour prendre en charge sous votre autorité ces
politiques publiques. Des circuits courts de décision et une bonne circulation d'information
doivent permettre de rendre les modes de fonctionnement plus efficaces. Il est nécessaire que
vous rencontriez vos directeurs individuellement et collectivement très régulièrement, et que
vous vous appuyiez pleinement sur les services placés sous votre responsabilité.
Vous devez faire appel aux secrétaires généraux, chargés des fonctions support mais aussi et
surtout de la cohérence d'ensemble du pilotage, pour vérifier la cohérence des objectifs fixés
aux directeurs et l'adéquation des moyens alloués. Le secrétariat général du Gouvernement est
également à votre disposition pour vérifier cette cohérence globale au plan interministériel. Il
peut, si vous le souhaitez, afin de faciliter la mise en route de ces nouvelles méthodes de travail,
avec la délégation aux cadres dirigeants, mettre à votre disposition un accompagnement à la
mise en place de cette gouvernance.
Je vous demande de préparer, sur la base des orientations fixées par le Président de la
République, un projet de feuille de route de votre ministère pour les années à venir. Ce projet
devra m'être remis pour le 15 juin. Sur cette base, sera élaboré le programme de travail du
Gouvernement que je présenterai dans ma déclaration de politique générale devant le
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Parlement. Vos programmes ministériels seront ainsi mis en place et vous fixerez sa feuille de
route à chaque directeur d'administration centrale. Il s'agit que toute l'administration centrale
ainsi que l'ensemble des services déconcentrés se mobilisent pour la réalisation rapide et
efficace de ce programme.
Je ferai tous les six mois le point avec vous sur la mise en œuvre de ce programme et de ces
feuilles de route ministérielles. Pour votre part, vous examinerez avec vos directeurs
d'administration centrale la bonne réalisation des objectifs que vous leur aurez fixés afin de
mesurer la correcte réalisation de vos programmes ministériels.
Edouard Philippe
Auteur de l’ouvrage Droit gouvernemental (LGDJ), (…) Matthieu Caron est maître de
conférences en droit public à l’université polytechnique des Hauts-de-France et directeur
général de l’Observatoire de l’éthique publique.
En 1958, dans son discours de présentation du projet de Constitution devant le Conseil d’État,
Michel Debré avait dit du Président de la République qu’il était la clé de voûte des institutions.
Guy Carcassonne a jugé que cette image était trompeuse car, écrivait-il, « la clé de voûte, c’est-
à-dire le point géométrique où s’équilibrent des forces antagoniques, c’est le Premier ministre ;
le chef de l’État, dans la métaphore architecturale, étant plutôt la flèche de l’édifice ». Guy
Carcassonne ajoutait que, si le Premier ministre n’a pas toujours le pouvoir de décider, « il a
celui d’agir, et les moyens d’agir ou d’empêcher d’agir (...). Matignon fait tout, tout se tient,
tout s’y tient (…). Et si, au milieu des contraintes de tous ordres, on pense que le pouvoir existe,
alors, indubitablement, Matignon en est bien le siège ». En un mot, le « bicéphalisme
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administratif » – pour reprendre une expression du recteur Pascal Jean – tourne clairement à
l’avantage de Matignon et ce, pour plusieurs raisons : parce que le Premier ministre est le
titulaire du pouvoir réglementaire, parce qu’il est celui qui signe les projets de loi, parce que
ses services préparent l’ordre du jour du Conseil des ministres, parce que le chef du
Gouvernement et ses collaborateurs effectuent la plupart des arbitrages politiques et juridiques
au quotidien mais surtout, parce que les moyens de l’état-major administratif du Président de
la République demeurent dérisoires en comparaison de ceux du Premier ministre. Au total, si
c’est bien le Président qui définit en grande partie la politique de la Nation au plan politique,
c’est incontestablement le Premier ministre et son gouvernement qui la conduisent d’un point
de vue pratique.
A cet égard, vous revenez longuement sur le rôle du secrétariat général du gouvernement
(dénommé le « SGG »), une institution puissante qui, dans l’ombre, prépare la plupart
des décisions gouvernementales ?
Oui, il suffit d’analyser le rôle clé du secrétariat général du gouvernement pour se convaincre
de ce que je viens d’expliquer. Cette « main invisible de la République » comme l’a si bien
dénommée Jean Gicquel, fait l’objet de très peu de développements dans les manuels de droit
constitutionnel alors qu’elle est au cœur de la machine étatique. Lorsque vous connaissez mieux
le rôle de l’ensemble des services du Premier ministre, de même que les fonctions des cabinets
ministériels et des administrations centrales, vous mesurez à quel point la France est davantage
gouvernée par ses haut-fonctionnaires que par ses ministres. Au quotidien les collaborateurs de
Matignon réalisent de nombreux arbitrages au nom du Premier ministre lors des réunions
interministérielles – ce dont on ne parle quasiment nulle part – tandis que les collaborateurs de
cabinet et de l’administration centrale tiennent la plume lorsqu’il s’agit de rédiger les projets
de loi ! C’est dire qu’un Gouvernement technique se cache derrière le Gouvernement politique
de la France sans que les manuels de droit constitutionnel en fassent état. (…)
Si le gouvernement ne rend pas suffisamment de comptes, c’est qu’on ne lui en demande pas
assez. En matière de contrôle du gouvernement, le Parlement est parfois aux abonnés absents.
Combien de parlementaires prennent part activement à la discussion de loi de règlement du
budget ? Combien d’entre eux utilisent les moyens dont ils disposent pour évaluer les politiques
publiques du gouvernement ? Combien parmi eux posent des questions écrites relatives au
contrôle de l’ordre intérieur du gouvernement ? Cela étant, s’il faut perfectionner la mise en jeu
de la responsabilité gouvernementale, le fait de rendre compte ne doit ni écraser ni résumer
l’action publique. Comme toute institution, le gouvernement est d’abord là pour agir. Le temps
qu’il passe à rendre compte c’est le temps qu’il n’emploie pas à déterminer et conduire la
politique de la Nation, ce qui doit demeurer sa principale mission. J’ajoute que le gouvernement
a multiplié les mécanismes d’endo-contrôle ces deux dernières décennies. Autrement dit, il a
de plus en plus tendance à s’auto-discipliner si bien qu’une culture de la responsabilité, en
particulier en termes déontologiques, tend à se diffuser en interne. (…)
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Document 6 : Pierre Avril, « La disparition du Premier ministre :
conséquence ultime d’un présidentialisme exacerbé », JP Blog, 23 juin 2022
« Eh bien, si je ne peux venir à lui, qu’il vienne à moi ! » décide le président Macron, à l’inverse
de Lagardère, en convoquant les représentants des groupes pour les mettre devant… leurs
responsabilités ! Génial renversement de la situation ? (Raymond Aron dirait : ultimatum du
faible au fort). En réalité ultime escamotage de la responsabilité politique sous la Ve
République. Celle du Gouvernement devant le Parlement avait été oblitérée par la convention
sur la responsabilité non écrite du Premier ministre devant le Président, mais la fiction en était
entretenue par les articles 20 et 49 C. Aujourd’hui, le Président pose directement la question de
confiance aux députés, et il les renvoie, en guise de déclaration de politique générale, à son
programme électoral – ratifié par le vote populaire le 24 avril, celui du 19 juin ne saurait le
remettre en cause.
J’ajoute qu’une telle boulimie présidentielle m’a toujours paru dans les gènes du régime pour
deux raisons : la prééminence sur les législatives de l’élection présidentielle tenue pour
attribuant le Pouvoir de l’Etat au Président, et sa conséquence logique : il est censé intervenir
partout lorsque cette prise en charge globale du Pouvoir lui paraît réclamer qu’il se saisisse du
problème en débat. Et l’appétit vient en mangeant. Après le gouvernement, puis le Parlement,
il reste l’Administration, colonne vertébrale de l’Etat, qui est en cours de désossement avec la
suppression des grands corps qui la rendra plus digestible par la gouvernance de la start-up
France que les principes obsolètes du service public.
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Document 7 : Lettre de démission d’Elisabeth Borne, 8 janvier 2024
Vous m'avez fait part de votre volonté de nommer un nouveau Premier ministre.
Depuis près de vingt mois, j'ai eu l'honneur de diriger une équipe gouvernementale qui a conduit
avec détermination des réformes essentielles pour notre pays et nos concitoyens.
Grâce à l'action des ministres et de leurs administrations, auxquels je veux ici rendre hommage,
je me suis attelée à faire adopter, dans des conditions inédites au Parlement, les textes financiers
dont la réforme des retraites, la loi relative à l'immigration et plus de cinquante lois qui
répondent aux défis de notre pays et aux préoccupations des Français.
Hors textes financiers, nous avons su bâtir des majorités de projet dans l'esprit de dépassement
de votre élection en 2017.
Par ailleurs, conformément à la mission que vous m'avez confiée, je suis fière que la France
soit désormais dotée d'une planification écologique complète et robuste.
Ainsi que nous en sommes convenus lors de notre dernier entretien, il est plus que jamais
nécessaire de poursuivre les réformes afin de donner sa chance et des perspectives à chacun au
sein de la République et de bâtir une France plus forte et plus juste dans une Europe plus
souveraine.
Alors qu'il me faut présenter la démission de mon Gouvernement, je voulais vous dire combien
j'ai été passionnée par cette mission, guidée par le souci constant, que nous partageons, d'aboutir
à des résultats rapides et tangibles pour nos concitoyens.
Je vous remercie, une nouvelle fois, pour la confiance que vous m'avez accordée depuis 2017.
Je vous adresse mes vœux les plus chaleureux de réussite pour la suite de votre quinquennat et
vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l'expression de ma très haute
considération.
Elisabeth Borne
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