Argent Lilia Livre
Argent Lilia Livre
Argent Lilia Livre
(ÉPISODE 1)
Par
LILIA ET WASSIL YOUCEF SBAA
1
2
RESUME ET AVERTISSEMENT
« L'histoire de l'argent » est un texte court illustré par des photos et dessins originaux (40 pages)
conçu comme un conte pour enfants mais qui en réalité aborde des questions sérieuses relatives à
l’industrialisation de l'agriculture, à la société de consommation et au réchauffement climatique. Il
s'appuie sommairement sur les connaissances de la paléoanthropologie, de l'archéologie et de
l'économie. Il vulgarise l'aventure humaine de l'époque du néolithique et celle de la société moderne.
Il amène le lecteur à s'interroger sur les enjeux et les pièges de notre modèle de consommation
actuel et finit sur une note d'espoir. Écrit dans un style simple, parfois volontairement fantaisiste
mêlant le passé et le présent, le texte est à la portée des enfants et fera plaisir aux adultes.
Conçu comme un conte pour enfants de 7 à 77 ans, il s'articule sur les thèmes suivants :
- La naissance de l’agriculteur et de la société humaine dans la préhistoire.
- La naissance du commerce, de la marchandise, de la monnaie, du système décimal et de l’argent.
- L’aliénation par l'argent et la détérioration de l'environnement
- Le salut dans le respect de la mère nature qui n’abandonne pas ses enfants.
« L’histoire de l’argent » est conçue sous la forme d’une trilogie qui comporte trois épisodes :
- L’histoire de l’argent I : Conte pour enfants de 7 à 77 ans
- L’histoire de l’argent II : Tout se vend et tout s’achète
- L’histoire de l’argent III : Du village aux empires
Certaines illustrations dans le présent manuscrit ne sont pas définitives et sont susceptibles de
changements sauf les dessins et les photos d’objets archéologiques.
L’équipe réalisatrice :
Lillia et Wassil Youcef Sbaa : Auteurs honorifiques et conseillers sur la vision enfantine
El-Hadi Bouabdallah : Texte et photos
Mohamed Youcef Sbaa : Dessins et illustrations
Amal Bouabdallah : Conseillère pédagogique
3
4
TABLE DES MATIERES
5
L’HISTOIRE DE L’ARGENT
A un moment donné de leur histoire que personne ne situe exactement ni quand ni où,
ils ont remarqué que parmi les animaux qu'ils chassaient, certains présentaient un
caractère doux et pacifique (moutons, chèvres…). Ils se mirent à les garder vivants
dans leur campement pour les sacrifier plus tard et s'en nourrir. Ils abandonnèrent la
chasse et se mirent à l'élevage.
6
7
Plus tard ou en même temps, personne ne le sait également, les êtres humains
remarquent qu'en semant une graine, celle-ci germait et donnait une plante avec des
fruits, des graines ou des tubercules. Ils se mirent alors à semer et récolter les plantes
qu'ils trouvaient bonne à manger. Ils abandonnent alors la cueillette et se mettent à
cultiver la terre. De l'élevage des animaux et de la culture des plantes nait alors
l'agriculture et ceux qui la pratique, les agriculteurs. C’est la naissance des paysans.
N'ayant plus besoin de se déplacer pour chasser le gibier et cueillir les fruits, ces
derniers se fixent sur les lieux de leurs champs de culture et commencent à se
regrouper dans des hameaux, des villages …etc …
8
On situe l'apparition de l'agriculture vers 8500 ans av. JC dans le « croissant fertile »
de la Mésopotamie au moyen orient, vers 7500 ans av. JC en chine et vers 3500 ans
av. JC en Amérique du nord et du sud. Bien sûr, il s'agit là, d'approximations basées
sur des découvertes de vestiges archéologiques et des théories.
9
2. L’agriculteur invente la société humaine, les arts et la culture
Ce faisant, l'agriculture crée deux liens chez les êtres humains. Le premier est un lien
naturel, c'est le rapport de l'homme à la terre et le second est un lien social, c'est le
rapport des hommes entre eux. C'est par la réalisation simultanée de ces deux
rapports, affirment les anthropologues, qu'est née la société humaine et apparurent les
diverses civilisations qui ont jalonné son histoire, comme celle de Babylone, de
l’Égypte antique ou de l’empire aztèque par exemple.
Il est facile de comprendre le lien naturel. C'est le travail que l'agriculteur fournit en
échange du produit qu'il obtient de la terre. L'agriculteur laboure, sème, récolte … etc
Le deuxième lien est moins évident à comprendre. C'est un rapport social. Il s'établit
entre deux personnes quand celles-ci échangent entre elle un ou des objets. Par
exemple notre agriculteur peut obtenir une bonne récolte de pomme de terre qui fait
en sorte que la quantité produite dépasse son besoin de nourriture. Il dispose donc
d'un surplus. Il peut l'offrir gratuitement à son voisin et en retour son voisin lui dit
merci. L'agriculteur et son voisin ont établi alors un rapport social entre eux en
échangeant des amabilités : des pommes de terre gratuites de l'un en échange d'une
aimable reconnaissance exprimée par un « merci » de l'autre. Appelons ce rapport
social, un rapport de solidarité.
10
Notre agriculteur peut également vouloir profiter de son surplus pour l'échanger
contre un produit qui lui manque, le lait par exemple. Cela tombe bien, son voisin
élève des brebis. Il va donc échangé avec lui des pommes de terre contre du lait. Là
encore une fois, les deux personnes ont créé entre elles un rapport social. Appelons le,
rapport de complémentarité. Et ainsi semble-t-il, vécurent les hommes longtemps,
solidaires et complémentaires. La paix et la joie régnaient. Quand ils étaient contents
de leurs récoltes, ils se réunissaient pour manger ensemble, chanter et danser. Par le
chant et la danse ils créent les arts et la culture.
11
3. L'agriculture apparaît dans la préhistoire. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Les spécialistes de l'étude de l'histoire humaine divise celle-ci en deux périodes :
l'histoire proprement dite et la préhistoire. Ce qui distingue l'une de l'autre est
l'écriture. L'Histoire est la période qui débute avec l'apparition de l'écriture jusqu'à
nos jours et la Préhistoire est la période qui commence avec l'apparition du genre
humain jusqu'à l'apparition des premiers documents écrits. La préhistoire est
subdivisée en deux sous-périodes : le paléolithique (aussi dit l'âge de la pierre taillée)
et le néolithique (aussi dit l'âge de la pierre polie).
12
Le Paléolithique commence avec l’apparition des premiers outils en pierre taillée,
donc avec l'apparition du genre humain il y a environ 3,3 millions et s'achève il y a
12 000 ans. Il couvre donc environ 98 % de la durée de la Préhistoire. Durant toute
cette période les êtres humains se nourrissaient de chasse et de cueillette.
Le paléolithique est suivi par une courte période appelé Mésolithique et que nous
connaissons mal puis par le Néolithique. Ce dernier semble être survenu à des dates
différentes selon les régions. Il débute au Proche-Orient il y a 9000 ans av. J.-C. dans
le Croissant fertile. Il atteint la Grèce en 7000 av. J.-C. et commence en Chine un peu
plus tard, vers 6000 av. J.-C. Le Néolithique prend fin avec l'apparition de l’utilisation
du métal aux environs de 3000 av. J.C.
C'est dans le néolithique qu'apparaît l'agriculture c’est-à-dire que les êtres humains
ont mis environ 3,2 millions pour inventer l’agriculture. Ouf, ce fût très long. Cette
période de la préhistoire, qui a débuté il y a à peine 12 000 ans, a été caractérisée par
ce qu’on appelle la « révolution néolithique ». Cette révolution transforme les êtres
humains. De chasseurs, cueilleurs ils deviennent agriculteurs, éleveurs. De ces âges
lointains nous viennent par exemple, ces peintures rupestres du Tassili en Algérie,
dont certaines désignent des pasteurs qui élèvent de grands bovins. Il semble qu'il y a
près de 3000 ans, la désertification progressive du Sahara provoqua la disparition de
ces sociétés d’éleveurs.
13
4. La naissance du commerce
Supposons maintenant que dans cette période lointaine, un jour un agriculteur qui
cultive des pommes de terre casse la pioche avec laquelle il retourne la terre pour la
cultiver. Sans pioche il aura du mal à préparer la terre et faire son semis la saison
prochaine. La pioche, lui l'agriculteur, il ne sait pas la fabriquer parce qu’il ne sait pas
travailler le fer. Il ne peut pas non plus la demander au voisin en échange de ses
pommes de terre, car ce dernier n'a qu'une seule pioche qu'il utilise pour semer du
fourrage et nourrir ses brebis. Il apprend qu'au village voisin, un habile forgeron
fabrique des pioches et les vend contre de l'argent. Notre agriculteur à alors l'idée
d'échanger son surplus de pomme de terre contre de l'argent au lieu du lait. Comme ça
il va en disposer pour payer le forgeron en échange d'une pioche. Il se rend donc au
marché du village, vend son surplus de pomme de terre contre de l'argent et court
chez le forgeron pour acquérir une pioche en échange de l'argent que lui a rapporté la
vente de son surplus de pomme de terre. Le forgeron remet alors à notre agriculteur
une pioche et lui retourne une partie de l'argent car celle-ci coûtait moins cher que la
somme d'argent totale dont il disposait. Notre agriculteur retourne chez lui content
avec dans une main, une pioche et dans l'autre le reliquat d'argent issu des deux
transactions qu'il a effectué en vendant les pommes de terres et en achetant la pioche.
Il ne sait pas quoi faire de cet argent. Il le dépose alors dans un coin de sa maison et le
laisse là. Le commerce est né.
14
5. Avec le commerce nait la monnaie
Dans l’histoire précédente, notre brave agriculteur ne sait pas fabriquer une pioche.
Normale on ne peut pas tout savoir. Son voisin qui cultivait lui aussi des pommes de
terre observa ce fait et constata qu’il était général ou presque. Rares étaient les
agriculteurs qui savaient fabriquer une pioche et lui, il était parmi ceux qui connaissait
cet art. Il décida alors d’abandonner la culture de pomme de terre car il trouvait cette
dernière trop fatigante et de se mettre à fabriquer des pioches pour les échanger contre
de la pomme de terre avec ses voisins sans se fatiguer à les cultiver.
Il s’installe alors dans une échoppe et se met à fabriquer des pioches qu’il échange
avec ses voisins contre des pommes de terre. Les jours s’écoulent et au fur et à mesure
que les pioches sont cédées aux agriculteurs, les pommes de terre s’accumulent chez
le fabricant de pioches au point qu’il ne reste nulle place où les mettre.
Pour trouver une solution à l’espace de stockage de la pomme de terre, il eut l’idée
alors d’échanger des pioches contre un produit moins encombrant mais de même
valeur que la pomme de terre. Il fabrique une longue barre de fer, puisqu’il savait
travailler ce métal et la découpe en petits morceaux de mêmes dimensions sur
lesquelles il grave dix petites encoches. Il distribua ces morceaux de fer à ses voisins
habitués à se fournir en pioches chez lui en leur demandant de ne plus lui ramener de
pomme de terre la prochaine fois mais seulement ces morceaux de fer. Il leur expliqua
que les 10 encoches gravées sur le morceau de fer représentent 10 pommes de terre et
15
comme il avait l’habitude de prendre 20 pommes de terre pour une pioche, il leur dit
que dorénavant il prendra seulement deux morceaux de fer pour une pioche. Et pour
lui, quand il voudra des pommes de terre il leur offrira un morceau de fer en échange
de 10 pommes de terre ou trois morceaux de fer s’il désire acquérir 30 pommes de
terre par exemple. Ses voisins agriculteurs trouvèrent ce système d’échange génial et
l’adoptèrent et ils ont appelé les morceaux de fer « des pièces » et le pluriel de pièce
devient « la monnaie » et pour échanger les pommes de terre et les pioches contre de
la monnaie, ils ont inventé le verbe « payer » et pour savoir combien payer ils ont
inventé le mot « valeur » pour exprimer qu’une pièce à une valeur de 10 pommes de
terre.
Maintenant, va savoir pourquoi le pluriel d’un pluriel s’écrit au singulier comme : les
pièces = la monnaie. Mais bon, c’est comme ça et on ne peut pas changer l’histoire.
Tout le monde s’est habitué alors à échangé des pommes de terres et des pioches
contre de la monnaie mais il arrivait parfois que certains se trompaient. Au lieu
d’échanger les pommes de terre contre des pièces, ils faisaient le contraire. Alors ils
inventent les verbes « vendre » et « acheter ». Quand ils vendent, ils reçoivent des
pièces et quand ils achètent, ils donnent des pièces. Mais comme les échanges
n’étaient plus directs comme avant : des pommes de terre contre des pioches, il fallait
d’abord transformer les pommes de terre en pièces pour ensuite transformer les pièces
en pioches et vice versa, les gens continuaient à se tromper encore et ils leur arrivaient
de ne plus savoir échanger quoi avec qui. Alors ils ont inventé deux mots encore « le
marchand » et le « client ». Le marchand vend et le client achète.
16
6. Avec le commerce nait la marchandise
C’est bien, tout le monde comprend maintenant mais un jour le fabricant de pioches
s’est mis à fabriquer en plus des pioches, des couteaux, des râteaux et des brouettes.
Pour la roue de la brouette, il utilisait des rondelles de bois découpées dans un tronc
d’arbre. Lorsque les agriculteurs se présentaient dans l’échoppe pour acheter une
pioche, ils découvraient alors tous ces objets et commençaient à poser plein de
questions.
- c’est quoi tout ça ?
- c’est de la marchandise, répond le fabriquant
- C’est quoi la marchandise ?
- C’est ce que vend le marchand
17
- Et nous quand nous vendons de la pomme de terre est-ce que c’est de la
marchandise aussi ?
- Bien sûr, c’est aussi de la marchandise
- Et quand nous la mangeons ?
- C’est de la nourriture
- Et pourquoi ce n’est pas de la marchandise
- Parce que vous ne pouvez pas vendre à vous-même votre pomme de terre, il faut la
vendre à un client pour qu’elle devienne une marchandise.
- Ah nous comprenons maintenant, il faut qu’on cultive de la marchandise
- Non, il faut cultiver de la pomme de terre et quand, moi je viens vous l’acheter elle
devient une marchandise
- Mais vous, vous êtes un marchand, vous n’êtes pas un client
- Non moi, je suis un fabricant qui fabrique. Je deviens un marchand quand je vous
vends ce que je fabrique et un client quand j’achète les pommes de terre que vous
cultivez
- Et nous ?
- Vous, vous êtes des agriculteurs qui cultivent. Vous devenez des marchands quand
vous me vendez les pommes de terre que vous cultivez et des clients quand vous
m’achetez les pioches que je fabrique
- Ah maintenant nous comprenons.
18
7. Avec la monnaie nait le calcul et le système décimal
Et s’écoulèrent ainsi des jours heureux pour tout le monde : on cultive, on fabrique,
on vend et on achète, jusqu’au jour où notre fabricant de pioche voulait acquérir
seulement 15 pommes de terres au lieu de 20 comme il avait l’habitude de faire. Là il
fût bien embêté parce qu’il ne disposait que de deux pièces de monnaie, chacune
valant 10 pommes de terre. Or pour payer 15 pommes de terre, il lui fallait une pièce
et la moitié d’une autre pièce. Mais comment couper en deux une pièce qui est un
morceau de fer ? Ce n’est pas du tout facile. Alors il eut l’idée de ramasser tous les
morceaux de fer qui étaient chez lui et chez ses voisins agriculteurs en leur promettant
de les rendre dès que possible.
Il les fit fondre pour fabriquer de nouvelles pièces avec une seule encoche au lieu de
10. Les nouvelles pièces prirent alors la valeur d’une seule pomme de terre au lieu de
10 pommes de terre comme auparavant.
Notre brave fabricant de pioche prit 15 pièces et partit acheter 15 pommes de terre. Il
rendit également les pièces qu’il avait empruntées à ses voisins agriculteurs pour les
faire fondre. Ces derniers se retrouvèrent alors avec beaucoup de pièces. Celui qui
avait 3 pièces d’une valeur de 10 pommes de terre chacune se retrouva avec 30 pièces
d’une valeur d’une pomme de terre et celui qui avait 30 pièces en a 300 maintenant.
19
Les agriculteurs furent très content et remercièrent le fabricant de pioches se croyant
devenir riches au vue du nombre de pièces qu’ils possédaient maintenant.
Mais ils déchantèrent très vite quand ils se sont rendu compte que maintenant il leur
faut 20 pièces pour payer une pioche au lieu de deux auparavant. La colère se répand
et le fabriquant de pioche, tenu pour responsable de cette situation fût sommé de
trouver une solution. Il réfléchit encore et se souvient qu’il avait trouvé autrefois un
métal qui ressemblait à du fer mais qui n’était pas du fer. Il était un peu plus mou que
le fer et il ne pouvait pas l’utiliser pour fabriquer des pioches c’est pour ça pour ça
qu’il l’a abandonné. Mais ce métal avait un avantage sur le fer, il ne rouillait pas.
Alors il s’est dit : et si je fabrique une autre fois des pièces à 10 encoches qui valent
10 pommes de terre avec ce métal qui ne rouille pas et je laisse aussi les pièces à 1
encoche fabriqués avec du fer qui ne valent qu’une pomme de terre. Il trouva l’idée
géniale parce qu’il comprit qu’il pourra toujours acheter 15 pommes de terres avec
une pièce à 10 encoches à laquelle il rajoute 5 pièces à une encoche.
Cela lui fait 6 pièces à donner au lieu de 15 pièces. Et voilà, le système décimal vient
de naître puisque maintenant notre brave fabricant de pioches vient de découvrir les
dizaines et les unités.
20
8. La monnaie a une valeur et la marchandise a un prix
Puis il réfléchit à haute voix encore et se dit mais maintenant que tout le monde va
avoir des pièces à 10 encoches et des pièces à une encoche je peux augmenter la
valeur de mes pioches et les vendre à 23 pommes de terres au lieu de 20 puis il se tait
et reste pensif durant un long moment. C’était le mot « valeur » qui le dérangeait. Il
trouvait que le mot « valeur » c’était pour la monnaie pas pour la marchandise car la
valeur d’une pièce de monnaie, on ne peut pas la changer. Une pièce qui a 10
encoches, c’est 10 encoches ce n’est ni 9 encoches ni 11. C’est invariable. Et si je dis
la valeur de la marchandise, celle-ci va devenir aussi invariable et je ne pourrai pas
demander 23 pommes de terre à la place de 20 pommes de terre. Tout d’un coup la
21
face de notre brave fabricant de pioche s’illumine d’un grand sourire. Il vient de
trouver l’astuce. Il change le mot « valeur » par le mot « prix » pour la marchandise.
Ainsi la monnaie va avoir une « valeur » et la marchandise, un « prix ». Aussi
quand il va augmenter le « prix » de la marchandise sachant que la valeur de la
monnaie reste fixe, le marchand va s’enrichir au dépend du client qui ne s’apercevra
de rien. Et si le client rouspète, il suffit au marchand de dire « oh savez-vous mon
cher client que le prix du fer a augmenté ? ». Avec cette phrase magique, le client se
tait, paye et le commerce continue.
22
Content de sa fortune prochaine le fabriquant de pioches, court chez ses voisins
agriculteurs pour leur distribuer les nouvelles pièces à 10 encoches faites en métal qui
ne rouille pas. Il leur explique que dorénavant le prix des pioches est 23 pommes de
terre et pour payer ils n’ont pas besoin de lui ramener 23 pièces mais seulement 5
pièces comprenant 2 pièces à 10 encoches et 3 pièces à une encoche. Et voilà, le
système décimal devient maintenant populaire. Tout le monde va maintenant savoir
compter de 1 jusqu’à 100 et tous les marchands et les clients vont se comprendre.
Les agriculteurs sont contents. Ils n’auront plus à payer les pioches avec 20 pièces
mais seulement avec 5. Et comme le chiffre 5 est inférieur à celui de 20 ils ne
s’aperçoivent pas que le prix des pioches est maintenant plus cher parce que le mot
« cher » n’est pas encore inventé vu que nous sommes encore dans le « monde des
bisounours ». Mais deux questions taraudent leur esprit. C’est quoi « le prix » ?
demandèrent-ils. C’est la valeur de la marchandise répondit le fabricant de pioches
sans plus d’explications. Les agriculteurs acquiescent d’un hochement de tête et
adoptent le nouveau mot. La prochaine fois qu’ils iront chez le fabricant de pioches ils
profiteront pour demander le prix du couteau, du râteau et de la brouette.
23
9. Enfin l’argent nait
Puis ils regardent les nouvelles pièces que vient de leur distribuer le fabricant de
pioches et remarquent qu’elles sont plus brillantes que les anciennes qui sont ternes et
rouillent par endroit à cause du fer qui les compose. Comprenant qu’elles sont
différentes des premières, les agriculteurs demandent alors : comment s’appellent ces
nouvelles pièces ? Le fabricant de pièce qui savait que le métal qu’il avait utilisé pour
fabriquer ces pièces était de l’argent, répondit sans hésitation : L’ARGENT. Et le
mot « argent » fût adopté par tout le monde pour désigner toute la monnaie qu’elle
soit en pièces à une encoche ou à dix et même les billets en papier plus tard.
24
10.Les prix ne se calculent plus en pommes de terre
Et de nouveau se mirent à s’écouler les jours heureux pour tout le monde : on cultive,
on fabrique, on vend et on achète. Il y avait partout des pommes de terre et plus il y
avait des pomme de terres, plus il y avait des pioches et plus il y avait des pioches,
plus il y avait d’argent. Les agriculteurs se mirent à acheter même les brouettes car il
y avait trop de pomme de terre à transporter. Mais un jour, les habitudes ont changé.
Les agriculteurs qui devenaient de plus en plus riches ne voulaient plus continuer à
manger matin et soir et tous les jours, des pommes de terre. Alors ils se mirent à
cultiver d’autres légumes comme les carottes, les tomates, les choux … et même des
fruits comme les fraises, les raisins, les pommes … Au début les agriculteurs
cultivaient toutes ces bonnes choses dans le même champ et chacun disposait
directement chez lui des pomme de terre, des fraises, de carottes …Il suffisait de sortir
le matin dans le champ pour choisir quoi récolter et préparer un bon repas varié. Mais
comme c’était un peu fatigant de tout cultiver en même temps, les agriculteurs se sont
entendus entre eux pour que chacun s’occupe d’une culture à la fois. Alors il y en a
qui se sont mis à cultiver juste des pommes de terre, d’autres des carottes et d’autres
encore des fraises et ainsi de suite et chacun s’est mis à vendre à l’autre ce qu’il n’a
pas. Mais cette façon de faire ne fonctionnait pas bien. Comme la valeur de l’argent
était calculée en pommes de terre, le vendeur de fraises par exemple ne pouvait pas
acheter des carottes car l’agriculteur qui cultive les carottes ne sait pas combien de
carottes il faut donner en échange d’une pièce qui vaut 10 pommes de terre.
Et retour à la case départ ! Les agriculteurs se mettent en colère et retournent voir le
fabricant de pioches qui a inventé l’argent, pour le sommer de trouver une solution.
Celui-ci réfléchit et leur dit : C’est simple on ne comptera plus l’argent en pomme de
terre mais en « bagatelles » et chacun décidera du prix auquel il veut vendre son
« produit » en bagatelles. On peut dire par exemple que le prix de la pomme de terre
est une bagatelle, celui des carottes 2 bagatelles et celui des fraises 3 bagatelles.
Alors les agriculteurs demandent :
- C’est quoi un produit
25
- C’est ce que vous produisez. Quand vous cultivez votre champs c’est pour produire
des pommes de terre, des fraises, des carottes … si on met tout ça dans un même
sac, on dit c’est des produits.
- Alors on cultive des produits ?
- Non, vous cultivez des pommes de terre. Quand celle-ci sort de votre champ elle
devient un produit. Si vous décidez de manger le produit, il devient une nourriture
et si vous décidez de le vendre, il devient une marchandise. C’est la même chose
pour les fraises, les carottes …
- Comment on peut savoir le prix de notre produit pour le vendre ?
- Vous calculez ce qu’il vous « coûte » pour le produire et vous rajouter « le
bénéfice »
- C’est quoi coûter ?
- C’est le prix que vous payez pour obtenir votre produit. Par exemple, pour produire
de la pomme de terre il faut acheter des semences et travailler, comme labourer,
semer, désherber, récolter … Si vous additionnez le prix de la semence et celui de
votre travail, vous obtenez le prix de votre produit
- Le bénéfice c’est quoi ?
- C’est ce qui vous permet de gagner de l’argent en vendant la marchandise. Par
exemple si vous avez produit 100 pommes de terre qui vous ont couté 50 bagatelles
pour les produire et que vous voulez gagner 100 bagatelles en les vendant, votre
bénéfice doit être de 50 bagatelles. Pour calculer ce bénéfice de 50 bagatelles il faut
faire l’opération suivante :
Bénéfice = Prix de la marchandise – Prix du produit
- C’est quoi la bagatelle
- C’est la nouvelle unité qui sert à compter l’argent, plus tard, bien plus tard, les êtres
humains vont l’appeler « l’Euro » et ils vont remplacer les encoches gravées sur les
pièces par le signe € et des chiffres.
- Ah nous avons tout compris maintenant et nous sommes très contents d’apprendre
des nouveaux mots comme « bagatelle », « produit », « coûter », « bénéfice » et
« Euro ». Merci Monsieur le fabricant des pioches.
26
27
11.L’argent rend fou
Et de nouveau se mirent à s’écouler les jours heureux pour tout le monde : on cultive,
on fabrique, on vend et on achète. Il y avait partout des pommes de terre, des carottes,
des fraises, du raisin et partout il y avait des bagatelles. On ne jurait que par les
bagatelles et on accumulait à qui mieux mieux les bagatelles. Les agriculteurs ont
même oublié qu’ils cultivaient pour se nourrir tellement ils voulaient juste des
bagatelles alors ils se sont mis à cultiver toujours plus pour vendre et gagner des
bagatelles. Même le verbe « cultiver » fût oublié. Il était démodé et remplacé par le
verbe « produire ». On ne cultive plus des légumes pour se nourrir, on produit de la
marchandise pour la vendre et pour se nourrie on achète aussi la marchandise chez le
voisin. Plus personne ne cultivait pour lui-même pour se nourrir. Cela ne fait pas
gagner des bagatelles car on ne peut pas vendre à soi-même. Alors on produit pour
vendre aux voisins et on achète la nourriture chez les voisins. La folie s’est emparé de
tout le monde : vendre, vendre, vendre …acheter, acheter, acheter …
28
29
12.La grande catastrophe
Un jour, une terrible sécheresse arriva, et sans eau point de légumes à cultiver ni de
fruits. Au début, il faisait juste chaud. Les agriculteurs ne se doutaient pas que de
terribles changements se préparaient. Ils s’étaient juste allégés de la fourrure de bêtes
avec laquelle ils se couvraient et allaient aux champs à demi nus pour continuer à
produire et toujours produire pour vendre. La pluie se raréfia et les incendies de forêts
devinrent de plus en plus fréquents, mais personne ne s’arrêta de vendre, vendre,
vendre …et … acheter, acheter, acheter … Une année passa sans pluie et l’inquiétude
commença à s’installer, pas de peur de manquer de nourriture, non ! Mais de ne pas
avoir suffisamment de pluie pour produire et vendre. On dériva alors les sources pour
remplir de grands bassins d’eau creusé à même le sol pour arroser les champs et
encore produire pour vendre. La folie de vendre et la soif des bagatelles étaient
tellement grandes que personne ne songea un instant à s’aménager un petit carré dans
les champs pour cultiver de quoi se nourrir. On vendait pour des bagatelles et on
achetait toujours la nourriture chez le voisin avec des bagatelles.
30
31
On tint comme ça une année encore mais les sources se mirent à tarir et les bassins à
se vider. A la troisième année, la panique prend. On commence à se rendre compte
qu’il y a de moins en moins de légumes à acheter chez le voisin pour se nourrir et
encore moins dans son propre champ. Les prix de la nourriture flambent car celle-ci
devenait rare et ceux qui arrivaient encore à cultiver quelques légumes dans leurs
champs se mirent à profiter de la situation en augmentant les prix pour gagner plus de
bagatelles encore. Les agriculteurs qui avaient amassés beaucoup de bagatelles virent
fondre à vue d’œil leur fortune qui ne servait plus qu’à payer au prix fort les quelques
légumes qu’ils pouvaient encore trouver pour se nourrir chez des voisins de plus en
plus éloignés.
32
33
13.L’argent ne se mange pas
A la fin de la troisième année la famine montra le bout de son nez. Les enfants
commençaient à avoir faim mais les adultes résistaient. Au début de l’année suivante
la face hideuse de la famine apparaît, un rictus aux lèvres. Des enfants commencent à
mourir et des adultes à avoir faim. Certains se mirent à manger de l’herbe mais celle-
ci disparut aussi sous l’effet de la sécheresse qui se prolongeait. Au milieu de l’année
la famine dévoila son corps tout entier. Il n’y avait plus rien à manger et à côté des
montagnes de bagatelles amoncelées, des corps gisaient, incapables de se mouvoir par
manque d’énergie. Certains bougeaient encore et péniblement s’approchaient des tas
de bagatelles pour en manger. Après avoir avalé une, deux et même trois bagatelles,
ils s’apercevaient que L’ARGENT NE SE MANGE PAS.
34
35
14.La mère nature n’abandonne pas ses enfants
Alors que le désespoir régnait et que tout semblait perdu, un coup de tonnerre lointain
se fit entendre puis d’autres, de plus en plus rapprochés. Le ciel se couvrit d’un épais
manteau de nuages gris que de temps à autres des éclairs aveuglants déchirait. Le ciel
se fit lourd et d’un coup, comme si les nuages s’ouvraient, ils laissèrent échapper des
trombes d’eau qui tombèrent sur la terre assoiffée. Cela dura plusieurs heures et le
lendemain sur la terre gorgée d’eau on vit apparaître des plants de pomme de terre qui
n’attendaient que des mains heureuses pour les sortir du cocon terreux dans lequel la
nature les a gardés pour les protéger. Les femmes et les hommes encore valides
s’enfoncèrent dans les champs pour les récolter, les faire cuire et les distribuer
gratuitement et sans bagatelles. On commença d’abord à nourrir les enfants et les
personnes âgées puis ce qui resta fut partagés à part égale entre les femmes et les
hommes adultes. Les êtres humains sont redevenus solidaires et complémentaires. On
se remit à cultiver les champs mais pour se nourrir seulement car les êtres humains
ont fini par comprendre que L’ARGENT NE SE MANGE PAS et quand on faisait de
bonnes récoltes tout le monde se rassemblait pour partager, chanter et danser. Les arts
et la culture reprennent leur place et de roi, on fit de l’argent un valet seulement.
36
37
38
39
40