Cahiers: #31 - Revue Du Cinéma Et Du Télé Cinéma - #31

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CAHIERS
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N° 31 • REVUE DU CINÉMA ET DU TÉLÉ CINÉMA • N° 31


CAHIERS DU CINÉMA
REVUE MENSUELLE DU CINÉMA ET OU TÉLÉCINÉMA

146, CHAMPS-ÉLYSÉES, PARIS ( 8 - ÉLYSÉES 05-38


R ÉD A CTE U RS EN CHEF : A . BAZIN, d. D O N IOL-VALCR OZE ET LO D U C A
DIR ECTEUR-GÉRANT : L. KEIGEL

TOME VI JANVIER 1954 N° 31

S O M M A IR E
La R é d a c t i o n ............................ Editorial ................................................................................. 1
J a c q u e s Donio l-Valcro ze . . . Déshabillage d'une p eïiîe bourgeoise sentimentale. 2
F r a n ç o t s T r u f f a u t ....................... Une certaine tendance du cinéma français ............ 1S
M a r c e l L ' H e r b i e r ....................... Télé-Shaw ............ .................................................................. 30

it
LE CINEMASCOPE
M a u r i c e S c h é r e r .......................... Vertus cardinales du C in ém asco pe............................... 36
H e r m a n G . W e i n b e r g ........... Ipso facîo ...............J............................................................ 40
A l e x a n d r e A s t r u c ....................... Le cinéma total ................................................................. 41
J a c q u e s Donîo l-Valc rc ze . . . Opération Chrétien ................... ........... ............................ 42
A n d r é Bazin .................................. Fin du montage ................................................................ 43
M i c h e l D o r s d a y .......................... Alléluia ................................................................................... 44
J a c q u e s R i v e f t e ......................... L'Age des metteurs en scène ......................................... 45


LES FILMS
A n d r é Bazin . ............................... Un fïfm au fétéob(ectif (The LîfHe Fu gitiv e) ............ 49
F r a n ç o i s T r u f f a u t ....................... Aimer Fritz Long ( The BJg Heat) ............................... 52
P h i l i p p e D e m o n s a b l o n ........... Le Travesti ( L it ! ) ................................................................ 54
J a c q u e s Donio l-Valcro ze . . . Un style de couleur (Moulin Rouge) .......................... 57
J a c q u e s Doniol-Valcroze . . . Les phénomènes (Les Org ueille ux) ............................... 58

M arie Se+on ............................... Eisensfeîn et Tes Cinés-Clubs Français (Tribune de


la F.F.C.C.) ................................................................... ,6 0


*** Table des matières du tome V ................................... 62

Mlle Lot te H. Eisner, cr a ig n a n t qu' il puisse y avoir confusion, nous p r ie d e si gn al er q u ’elle n'a écrit
dans l'ar ticle « F co m m e f e m m e » d e n ot re n" 30 q u e le p a s s a g e c o n c e r n a n t Asfa Nfelseri.
Éditorial
En doublant le cap du trentième numéro Les C ahiers d u C iném a battent
un record qui est pour nous significatif. Aucune revue de cinéma similaire lia
jam ais atteint en France ce chiffre jusque-là fatidique. Mous avons conscience que
cette sorte de majorité ne nous donne pas de droits spéciaux mais nous crée des
devoirs. C ’est pourquoi il nefa u t pas s’attendre à ce que nous nous endormions
dans un conformisme élégant. Nous nous défions certes des fausses audaces tl des
casseurs d’assiettes et c’est sans doute cette forme de prudence qui a pu parfois
nous faire taxer d ’académisme. M ais nous nous moquons bien des étiquettes et
à travers la diversité des opinions de nos collaborateurs nous savons bien quelle
ligne nous suivons. La réunion dans ce même numéro de deux études mettant en
cause des valeurs officiellement consacrées du cinéma français ne nous en paraît
pas moins réclamer quelques explications.
On nous a déjà reproché — officieusement et officiellement — de ne pas
défendre le cinéma français dans Les C ah iers du C in ém a et de préférer pêle mêle
à ses œuvres dites de qualité n'importe quel film américain de série B , n’importe
quelle production soviétique, n’importe quel essai italien. Est-il besoin depréciser
que nous faisons un « choix» parmi ces films-et qu’ils ne sont pas élus au hasard
et que c’est de la même façon que nous soutenons ou attaquons les film s français ?
Si nos intentions paraissaient confuses au lecteur, peut-être ce numéro les éclairera-
t-il. En étudiant successivement ce qu’ont été la conception de la femme et l’orien­
tation du scénario dans le cinéma français depuis 1945, en dénonçant la banale
minceur de Vune et la dangereuse pente du second, nous espérons mettre en relief
les exceptions, saluer les héroïnes dignes de ce nom et l’audace réelle ou l’intelli­
gence authentique de certains sujets et de leur mise en scène. On nous accusera
peut-être d’injustice ou de lèse-majesté à l’égard de certains des artisans les plus
réputés du cinéma. E t certes il y a toujours quelque injustice à mettre en juge-
ment le « travail » des autres. C’est pourquoi nous ?i entendons pas déprécier
ce « travail » ou méconnaître le talent mais, en prenant quelqu’altitude,
connaître des intentions et peser les influences.
Nous acceptons volontiers de voir récuser la forme pamphlétaire de
certaines appréciations mais nous espérons qu’au delà du ton, qui n’engage que
les auteurs^et en dépit peut-être de tels jugements particuliers, toujours individuel­
lement contestables et sur lesquels nous sommes loin ici d'être tous d’accord, on
reconnaîtra au moins une orientation critique, mieux : le point de convergence
théorique qui est le nôtre.
« On d ira it que p ar une étran ge b iz arrerie du cœur, la fem me aimée com munique
plus de charm e qu'elle n'en a elle-même. L ’im age de la ville lo in taine où on la v it un
in s ta n t je tte d ans une plus profonde et plus douce rêverie que sa présence elle-même.
C’est l’effet des rigueurs s>, d it S ten dh al au ch ap itre X IV de D E L ’AMOUR. A insi du
ciném atographe. F uyante, clignotante, à la m erci d ’un charbon "brûlé, papillo n qui
ne p e u t v iv re que collé à la lampe e t qui en m eurt, la fem m e de ciném a e st la g ran d e
absente de la vie des hommes nés depuis les environs de 1890. J e pu is chaque fo is que
l ’envie m ’en p rend re-vérifier ces cotes d’une héroïne de rom an, « Même à m inu it, seule
avec un homme au fond de cette obscurité dépeuplée, elle est gardée d av an tag e que dans
un salon au milieu de v in g t personnes... C hristel a v a it une robe de plage blanche, les
pieds nus dans des sandales... sa longue dém arche élastique, si noble, si dédaigneuse,
é ta it une allégresse pour moi... son rire fra is é c la ta it dans le noir, nous foulions les
h autes herbes entre les grandes écorchures des dunes, blanches comme du sel. E t c’est
v ra i que j ’au ra i voulu m archer jusqu’au m a tin » (1), ou encore : « J ’a u ra i donné to u te
la société de la ville pour le p la isir d’être assis p rès de la fille de Jacobus, hargneuse
et superbe et à peine vêtue de cette d rap erie couleur d’am bre qui la issa it en trev o ir sa

(1) J u li e n Cracq : U n beau té n ü b rru x .

2
gorge. A voir ses mèches en désordre de chaque côté de sou visage, on eut dit qu'elle
v e n a it de sa u ter hors de son lit dans la panique d’un incendie... J e la contemplai, depuis
le sommet de sa tê te ébouriffée en su iv a n t la ligne gracieuse de l’épaule, la courbe de
la hanche, la forme drapée de la longue jam be, ju sq u ’à sa mince cheville qui émer­
g e ait d'un volant sale et déchiré, ju s q u ’à la pointe d'une mule bleue à h au t talon,
to u te éculoe, b allan te à son joli pied qui s 'a g ita it légèrement, avec des mouvements
v ifs et nerveux, comme si m a présence l ’eut im patientée » (2).
J e peux contem pler sans fin le p o r tr a it de Zélie C ourbet, la Dame à l’écharpe
jau n e de Goya, la Procureuse de PEcole de F ontainebleau, la Femm e en bleu de Corot
ou les Sorcières A m auri de Leonor F in i. E lles so nt là, fixées pour l’é tern ité dans le
plom b ou la toile, prisonnières de la phrase ou du m élange des couleurs. E n un
sens p a r la v e rtu de l’im prim erie e t des musées, p a r le tru chem ent des lib raires e t de:
la reproduction en couleur, elles sont à moi, elles ne p eu ven t m’échapper, elles ne
ch an g en t pas, elles reg ard en t indéfinim ent un p o in t à l’horizon ou se prom ènent sans
fin en b a rq u e avec F abrice sur le lac de Corne.
L es femmes de ciném a ne son t même pas comme un rôle de th é â tre que je peux
d étach er de son in te rp rê te e t fixer dans m a mémoire p a r le pouvoir de mon im agination;
P h èdre ce n ’e st pas E éjan e « ou » M arie Bell c’e st d’abo rd P hèdre to u t court, ta n d is
que S carlet O' H a ra est prisonnière de V ivien L eig h e t G arance d’A rletty . Elles sont
certes défavorisées ces actrices qui depuis cin qu ante ans do nnent vie provisoire
au x fantôm es de l ’écran, car si, dans un siècle, on étu d ie ra encore le visage d ’Emma o i t
de Dominique, ira-t-on. -— ou pourra-t-on 1 — rev o ir B e tte D avis e t D anielle D arrieux,
et si on le fa it, le phénomène de dém odem ent n e nuira-t-il pas g rav em ent au personnage
de l ’héroïne à tra v e rs les tra its, lès gestes e t les v êtem en ts de l ’in te rp rè te ?
M ais le cinéma, a r t du présent, se r a ttr a p e d ans l’im m édiat. Il m et les bouchées
centuples parce qu’il se sa it menacé, E n d é p it de to u t ce que je viens de dire, en d ép it de
c e tte absence, en dép it de ces lim itatio n s de pouvoir, la femme de cinéma se dresse,
d e v a n t nous, en fan ts de ce tem ps, plus grande
que ses rivales. Des m illions de collégiens e t
d’hommes mûrs, de conscrits e t de m idin ettes,
des millions d’hommes e t de fem m es to u t à f a it
norm aux, o n t de gré ou de force, f a i t d an s leur
cœur e t d ans leur esp rit une place p répo nd éran te
à l'élém ent fém inin du cinéma. N otre époque a
in v e n té les gros tirag es e t les adhésions à la
puissance mille. L a Joconde, p o u rta n t f o r t con­
nue e t visitée, ne p eu t lu tte r contre le coefficient
m u ltip licateu r de la projection ciném atographie
que : elle fu t, est, e t sera tou jou rs m oins popu-,
la ire que ne le f û t M ary P ick fo rd ou que ne le
son t au jou rd’hui In g rid Bergm an ou R ita
H ayw orth. Il y a là un phénom ène e x tra v a g a n t
m ais significatif. A p a rtir d ’un c ertain degré de
b e a u té et d’a ttr a it, pin-up ou am bulancière, vam p
ou kolkhosienne, ingénue ou prostituée, la femme
de ce demi-siècle est d ’abord une fem m e de
ciném a e t le cinéma c’est d’abord les femmes...

A insi p o u rra it peut-être déb uter un e lon­


gue étude sur les rap po rts de la femme e t du
dernier-né des arts. H co nv iend rait ensu ite de se
pencher sur les visages e t les noms que prend
cette fem elle selon les latitu d es. « Dis-moi
quelle est to n actrice p référée e t je te dirai
qui tu es ». On im agine où cela p o u rra it
n ous conduire : à la ta ille d’u n volum e. N ous
avons choisis de ne donner ici qu’un e x tra it
de ce livre v irtu el, pas même un ch apitre,

(2) Jo s e p h C o n rad : U n so u rire de la F o rtu n e .

3
quelques parag rap hes du chapitre : « . L a femme fran çaise dans le ciném a », les
p arag rap h es concernant l’aspect l e cette fem m e de 1945 à aujou rd ’hui. E t voilà d é jà
que nous sommes perplexes. N ous la voyons cent fois p a r an, m ais com m ent fixer
ses tr a its même si je lui .donne un nom : E dw ige Feuillère ou D any R obin,
M ichèle M organ ou Simone Signoret. Ce n ’e st pas le nez Claoué ou les cheveux
courts, les yeux de biches ou le décolleté pigeonnant, qui n ’im p o rten t ici. C’e st la
tra c e in tern e de cette E dam isisi Fenirom orsi que je voudrais retro u v er, c’est la carte
d’id e n tité de cette W igenychelem one L erebing an oret que je vou drai dérober au b u reau
des producteurs, le s scénaristes e t ds réalisateurs, parce que, comme d is a it Je a n -
George Auriol, « to u t comme l’am ante-idëale e t la plus-belle-lille-du-monde, i’ac-
trice-fragile-au-charm e-déconcertant n ’a pas de numéros de téléphone e t ne p e u t être
g a ra n tie qu’abusivem ent p a r les im pressarios ». Ce qui com pte ce n ’est pas ce
qu’elle est, m ais ce que ces m essieurs v eu len t en faire, ce qu’elle d ev ien t une fois
la copie-standard mise d ans les boîtes. E t quand nous prenons un peu de recul que
signifie-t-elle ? Quel nom m ettre sur son visage ? Celui de no tre sœur, de n o tre femme,
de n o tre m aîtresse ? Celui d’une princesse que nous ne connaissons pas, d’une ouvrière
anonyme, d’un lu tin fêérique ?
E n vérité, nous voilà dans le vague : à prem ière vue, l’héroïne ciném atographique
fran çaise de 1945 à 1954 n ’a pas de nom. Il nous semble p o u rta n t — est-ce p arti-p ris ? —
qu’ailleurs il n ’en v a pas de même. L ’Italien n e ? M ais com ment donc, la voici. D’abord
Bile e st « néo-réaliste » (sic). De P aïsa à L a Provinciale, elle est « n a tu re », peu
apprêtée, coléreuse ou rian te, passionnée ou lasse, elle e st L a M ag nan i ou to u tes ces
p e tite s ragazze que nous, dévorons des yeux et qui ig no rent la cam éra : « elles
n ’éco nten t oue les orages du cœur et les tem pêtes du corps... so uvent demi-nues, elles
ont sur le dos des étoffes sans ap p arat, une mince pellicule d ’hum anité qu’elles r e je tte n t
d’un regard, d’une parole un peu sourde... m ères ou putains, te n d re s am antes ou
graves sœurs de D ieu mêlées aux in ju res de la planète, etc... (1) ». E t puis quand elle ne
sont pas néo-réalistes, elles anim ent ces grotesques films italien s peuso-historiques,
pseudo-rom antiques ou pseudo-tout-ce-qu’on-voudra, elles ne signifient plus rien e t
n ’a rriv e n t même p a s à évoquer les enflures d’A nnunzienne des « D ivas » ou les
afféteries sophistiquées de la « période des téléphones blancs ». H ors de la M agnani
p o in t de salut ? Non point. N ’y au ra it-il que
Paola (L ucia B ose), oiseau de rêve qui
ferm e la boucle amorcée p ar Louise Brooks
e t E velyne B rent...
E t quand je pense à l’A nglaise — de Celia
Tohnson à Jo a n Greenwood — , à la Sué­
doise — de M aj. B ritt N ilson à A n ita
B jork ■—, à la Soviétique —■ d éjà elle n ’a
plus de nom d’actrice,, jeune fille de l ’Etô
P rodigieux ou femme tourm entée de L a
Moissorij elle est : une citoyenne — , à l’A m é­
ricain e même, si m ultiple m ais si ré v é ­
latrice, commis-voyageuse naïv e, p arfo is ir r i­
tante, souvent charm ante, de « l’A m erican
'Way or L ife », quand je pense à to u te cette
salade de créatures, je vois se dessiner
d evan t moi deux ou tro is ty p e s p ar n atio n
e t qui me satisfont p a r leur cohérence, p a r
leur v aleu r de m essager des paysages e t
des villes, de p arlem en taires des cœurs e t
des corps. M ais la F ran çaise ? Si l’on me
posait 'brusquem ent la question, je répon­
d rais sans doute que le ciném a fran ça is p ein t
le plus so uvent des fem m es qui n ’ex isten t
pas, ce qui n ’est pas à p rio ri un défau t,
qu’il e st rem pli de ces fem m es inventées,
sans m étier, sans contexte, sans origine...
m ais encore ? J e ne saurais rien affirm er

(1) Je m ’excuse d e m e citer. A ussi n e d o n n e ­


ra is-je p a s la réference. . . . .

4
d’au tre qui n ’ex ig erait d'abord des preuves. E t ce
prem ier élém en t- de réponse n ’exige-t-il pas lui
aussi d’être prouvé 7
A rriv é à ce p o in t de mon étude, je me suis
g ra tté le m enton. F allait-il abandonner et 'laisser
s’échapper la coupable ? M ais quel homme digne
de ce nom aim e capituler sans com bat d ev an t
le m ystère fém inin, fu t-il ciném atographique ?
J e me suis donc lancé dans une o pératio n fa n ­
ta stiq u e e t je convie le lecteur, le v rai, le dur,
l’héroïque, à la re fa ire avec moi. Si p a s sérieux
s’abstenir.

F a n ta stiq u e ? Certes, qu’on en juge. J ’a i pris


la liste des 800 e t quelques films fra n ç a is « sortis »
de 1945 à a u jo u rd ’hui e t je l’ai épluchée soigneuse­
ment, film p a r film, afin de sélectionner ceux conte­
n a n t une ou plusieurs héroïnes dignes de ce nom,
c’est-à-dire a y a n t une réelle épaisseur ou é ta n t
révélatrice de quelque chose p o uvant in téresser
mon étude. J ’ai ainsi choisi soixante-films. C ette
liste qui v a devenir mon m a tériau d éfin itif appelle
plusieurs réflexions.
.1°) E lle est évidem m ent a rb itra ire puisqu’elle
écarte plusieurs centaines de films m ais il fa lla it
choisir, e t mon critère je viens de l’indiquer. L ’ob­
je c tiv ité to ta le eut consisté à étud ier tous les
films. U n numéro e n tier des CA H IER S e t six mois
de tra v a il n ’y a u ra ie n t p as suffi. J ’offre volontiers
l'idée aux chercheurs.
2°) I l se tro uv e que cette liste ne r e tie n t p ratiq uem en t que les films d its « im por­
ta n ts ». Cela n ’e st guère éto n n an t : à films inconsistants, héroïnes inc on sistan tes donc
sans in té rê t pour moi. M ais il est év id en t que le re liq u a t —- ce grouillem ent de p e tits
ou de m auvais films ■— sera it égalem ent révélateur. P eu t-être au ta n t. H est p ro ­
bable que les ré s u lta ts sera ien t identiques, les films médiocres n ’é ta n t que des sui­
v eurs e t n e fa is a n t qu’exploiter les te n d a n ces des succès de la 's a is o n précédente.
3°) I l n ’y a pas dans ma liste — hélas ! de beaucoup s’en f a u t — que des bons
films. M ais il y a ce rta in s films moyens ou m auvais qui com portent une héroïne consis­
ta n te ou rév élatrice e t qui n’existe p a rfo is pas dans les bons (C aroline chérie n ’est pas
un chef-d'œ uvre m ais le personnage est tro p en vah issant pour être passé sous
silence).
4°) IL y a aussi des films im p o rta n ts qui ne sont p as dans m a liste, soit parce
qu’ils en doublent tro p étro item en t un a u tre et qu’il fa lla it me lim iter, soit parce- que,
inten tion nellem en t ou non, ils ne com portent pas réellem ent un personnage principal
de fem m e correspondant à m a définition (Exem ples : L a B ataille du rail, Les
ATacances de M. H u lot, Je u x In te rd its... d’ailleurs j ’y rev ien d rai plus loin, c a r mon
su jet p eu t aussi se délim iter p a r les « absences ».) -
5U) On p o u rra it m’objecter qu’il y a dans Je u x In te rd its un personnage principal
de sexe fém inin. J ’indique donc to u t de suite que j ’adopte l’adm irable d éfin itio n
d’A u d ib erti « L a femme commence à onze ans pour finir a v a n t l ’âge n o ir où les
poils de son pu bis ém igrent v ers son m enton » (1). E n a tte n d a n t donc Le Blé en
herbe, la plus jeune héroïne de ma liste sera la Ju lie tte des D ernières V acances e t la
plus âgée la Sophie des P a re n ts T erribles.
6°) Enfin, il do it y av o ir ici e t là des erreurs et des omissions. Que l’on veuille
bien considérer pour m ’excuser que j ’a i m odestem ent conscience d ’ê tre le co n traire

(1) Ja cq u es A u tlih crii : L ’A n o u n (Foret., 1950).

5
d’un statisticie n . L a plus élém entaire opération m athém atique pose pour moi des
problèm es désespérants. A d d itio n n er Michèle M organ e t Edw ige Feuillère, m u ltip lier
cette somme p a r J e a n D elannoy e t René Clément, e t d iv iser le tout, p ar 63, dev ient
dès lors herculéen. Qu’on en ju g e p a r la su ite de l’opération....

...j’ai donc ran gé mes 63 titr e s e t les 76 héroïnes qu’ils d éte rm in e n t p a r année et à propos
de chacune d’elles j ’a i cherché u ne qualification correspondant aux ru briques suiv antes :
é ta t, classe, époque, style, fonction, thème. Cela dem ande quelques explications, les voici :

E ta t : S’agit-il d’une adolescente, d’une jeune fille, d ’une jeune femme, d ’ime
fem m e mûre ?

Classe: Il s’a g it de la classe sociale. J ’ai re te n u : l’aristo cratie, la bourgeoisie


(p e tite ou g ra n d e ), le p ay san n at, le peuple (c’est-à-dire su rto u t les m ilieux ouvriers
des v illes), la p ro stitu tio n (qui form e une classe à p a rt)... e t l’in déterm ination.

Epoque : I l s’e st avéré efficace après plusieu rs tâto nn em ents, de classer les films
ainsi : nos jours, 1900, dix-neuvièm e siècle, films d’époque (tous ceux qui se passent a v a n t
1800) e t indéterm inés. (A ce crible un peu som m aire échappent certaines su b tilité s :
les D ernières Vacances, film « de nos jours » est p o u rta n t spécifiquement e t v o lo n taire­
m e nt « de 1935 » : L e D iable au Corps quoique ad ap té d'u n rom an situé exactem ent
en 1914 est classé à « 1900 » parce que le film se ra tta c h e m anifestem ent à la tra d itio n
ciném atographique 1900.)

S tyle r J ’av ais prévu deux ru briques com plém entaires « D éterm ination » ; (l’h é ­
roïne est-elle plus ou moins située ?) et « S tyle » (dans quel style est-elle tra ité e ?).
J e n ’ai conservé finalem ent que le style : les héroïnes situées, mi-situées e t non situées
é ta n t généralem ent tra ité e s respectivem ent d an s des styles réalistes, m i-réalistes e t
non-réalistes. D’ailleurs cette question de réalism e est trè s équivoque e t nous verro ns
plu s loin qu’il s’a g it p lu tô t d ’une in ten tio n de réalism e que de réalism e to u t co urt
do nt la déterm in atio n à propos d ’un film est su je tte à caution et prétex te à m ille
controverses.

Fonction : Quelle e st la principale fonction de l’héroïne dans le film en ques­


tio n ? L ’expérience seule p o u v a it en déterm iner le nombre. I l en resso rt donc que
cette fonction p e u t être : rom anesque, sociale, poétique, érotique et (dans un seul
cas) m étaphysique.

Thème : J ’ai cherché à résum er p a r u ne form ule courte ce que re p ré se n ta it


chaque personnage. Exem ple : E lin a L a b o u rd e tte dans Les Dames du Bois de Bou­
logne, c’est « la révo lte du cœ ur », A lb ertine dans Le R ideau Cramoisi c’est « l’am our
qui tue ». Là-dessus aussi on p e u t discu ter à p e rte de vue. J e l ’espère bien.

I l me f a u t m a in te n a n t citer au ta b le a u d ’honneur de la recherche ciném atogra­


phique les volo ntaires aussi courageux que sav an ts qui o n t bien voulu m’aider à
re m p lir-le s cases blanches de ces a d je c tifs croisés, j ’ai nommé (p ar ordre alp h ab é­
tiq ue) : A lexandre A struc, A ndré B azin, M ichel D orsday, P ierre K a st, M ichel M ayoux,
Jean -Jo sé R icher, Jacq ues R iv e tte e t F ran çois T ruffant, (K a st m’a v a it suggéré, poussé
sans doute comme d ’h a b itu d e p a r quelque arrière-pensée lubrique, d’ajo u te r la liste
des « accessoires ». Ces o b jets se sont révélés incapables dé p rend re place dans mon
tab leau, m ais j ’en d o nn erai plus loin la liste qui constitue un savoureux poème pré-
v ertien .)

Sans plus atten d re, e t en repoussant to u te addition, je passe à l’ordre du jour.


V oici donc, de 1945 à 1954, l’ém ouvante fiche signalétique de la fem m e du ciném a
français.

6
TIT RE S ETAT CLASSE EPOQUE . STYLE FONCTION THEME

1045
L e s E n fa n t s du Paradis
A rlctty. Tourne fem m e P e u p le x ix e M i-réaliste P oétique Un rô le d ’h om m e.
F a lb a la s
M icheline P re sles. Je une fille Bourgeoisie N os jo u r s R éaliste R om anesque L ’in c e rtitu d e.
L e s D a m e s d u B ois de
B o u lo g n e
M a ria Casares. Je u n e fem m e A risto cratie Nos j o u r s Réaliste R om anesque Les lia is o n s d a n ­
gereuses.
E lin a L a h o u rd e tte . Je u n e fille Bourgeoisie Nos j o u r s R é aliste R om anesque La ré v o lte d u
cœ ur.
B o u le de S u i f
M icheline P re sles. Je u n e fem m e A risto cratie x ix e R éaliste Sociale Le cœ u r contre
l ’intérêt.
S y l v i e et le F a n tô m e
Odette Joye u x. Je u n e fille A risto cratie Nos jo u r s N on -réa liste P oétique Le rêve.
P a rtie de Campagne
S y lv ia B ataille. Je u n e fille Bourgeoisie XIXe R é aliste R om anesque L ’a m o u r et so n
regret.
1946
M acadam
S im one Signoret. Je u n e fem m e P ro s titu é e Nos j o u r s R é aliste R o m anesque Le coeur c o n tre
l ’intérêt.
L es P o rtes de la N u it
N a th a lie N a ttie r. Je u n e fem m e Bourgeoisie Nos j o u r s . 1944 M i-réaliste Poétique L ’a m o u r et le
destin .
L a S y m p h o n i e Pastorale
Michèle Morgan. Je u n e fille Bourgeoisie Nos jo u r s M i-réaliste M étaphy siqu e La pureté.
L a B elle et la Bête
Jo s e tte Day. Je u n e fille Bourgeoisie F ilm d ’époque N o n -rca lîste P oétique La ré d e m p tio n
p a r l ’a m o u r .
L a F ille d u Diable
A n d rée Clém ent. Je u n e fille P eu p le N os j o u r s R é aliste R om anesque La fille sauvage.

1947
L e D iable au Corps
M icheline P re sles. Je u n e fem m e Bourgeoisie 1900' (1914) R éaliste R om anesque Le d r o it d e p a s ­
sion.
F a rre b iq u e
Je u n e iille P a y sa n n e Nos jo u r s R éaliste Sociale L a n a tu re .
L es F rères B o n q u in q u a n t
M a deleine R o b in so n . Jeune fem m e P euple Nos j o u r s R éaliste Sociale L ’a m o u r h o nnête.
Quai des O rfèvres -C3"
Suzy D elair. Je u n e iem m e P euple Nos jo u r s Réaliste Sociale L ’in térêt contre le
coeur.
L e Silence est d ’Or
M arcelle D erric n . Je u n e fille P e u p le 1900 R éaliste R om anesque L ’école des fe m ­
mes.
A n to in e et A n to in e tte
C laire Maflcï. Je u n e fem m e P eup le Nos j o u r s R éaliste Sociale L’a m o u r ho nnête.

1948
Dédèe d ’A n v e r s
S im o n e Signoret. Jeu ne fem m e P ro s titu é e N os j o u r s R éaliste Sociale L ’a m o u r et l e
destin.
Les D ernières Vacances
O dile V er sois. Adolescente Bourgeoisie Nos j o u r s . 1935 R é aliste R om anesque L ’éveil de
l ’a m o u r .
■Aïzæ Y e u x du S o u v e n ir
Michèle M organ. Jeune fille Bourgeoisie Nos jo u r s R éaliste R om anesque L ’a v e n tu r e b o u r ­
geoise.
L ’A igle à d e u x têtes
E dw ige F eu illère. Je u n e fem m e A risto c ra tie XIXe M i-réaliste R om anesque L ’a m o u r et le
devoir.
L a Chartreuse de P a r m e i
M aria C asares. Je u n e fem m e A risto cratie XIXe M i-réaliste R om anesque H éroïne d u xvin®:
la fem m e-hom m e.
R enée F a u r e . Je u n e fille Bourgeoisie XIXe | M i-réaliste R om anesque H éroïn e d u x rx e :
la révolte d u cœ u r.

7
■ TITRES ETAT CLASSE ÉPOQUE STYLE FONCTION THEM E

L es P a re n ts T erribles
Jo sette Day. Je u n e fem m e L a révolte d u cœ ur.
Y von ne de B ray. Fem m e m ûre Bourgeoisie Nos jo u r s Réaliste R om an e sq u e L ’a m o u r incest.
G abrielle D orziat. Fem m e m û re La fem m e-hom m e.

1949

Les A m a n t s de Vérone
A n o u k Aimée. Je u n e fille Bourgeoisie Nos j o u r s M i-réaliste R om anesque L a p u reté coutrc
le vice.
A u delà des Grilles
Isa M iran d a. Je u n e fem m e P euple N os jo u r s R é aliste Sociale L ’a m o u r m a te r n e l.
L e P o in t du J o u r
L o lh Bellon. Je u n e fille P eup le N os jo u rs Réaliste Sociale L ’a m o u r h o n n ête.
M anon
C é e i l. Auln-y. Je u n e fille P eu ple Nos jo u r s Mi-ré a li s te R om an e sq u e L ’a m o u r d e s tru c ­
te u r.
Gigi
D aniel c Del orme. Je u n e fllle Bourgeoisie 1900 M i-réaliste R om an e sq u e L a fem m e-o b jet.
R e n d e z - v o u s de JniUet
N icole Courcel. J e u n e s filles Bourgeoisie N os jo u rs R éaliste Sociale Les p ro b lè m e s de
B rigitte A ubcr. la jeun esse.
Pâlies B la n ch es
A riette T h o m a s. Je u n e fille
■ ■-.‘JE
P a y sa n n e
!
Nos jo u r s M i-réaliste R om an e sq u e Lu pureté.
Suzy D elair. Je u n e fem m e Peuple L a c o m p r o m is ­
sion.
Les E n fa n t s T erribles
N icole S téphane. Je u n es filles Bourgeoisie Nos jo u r s R éaliste R om anesque L ’a m o u r
E enée Cosim a. in cestu eu x .

1950

L a Marie d u P ort
N icole Courcel. Je u n e fille P euple Nos jo u rs Réaliste Sociale L ’a m b itio n .
J u lie de Cnrneilhan
E dw ige F euillère. Je u n e fem m e A ristocratie N os jo u rs R éaliste Sociale L a re v e n d ic a tio n
de la fem m e.
Le Château de Verre
Michéle Morgan. Je u n e fem m e Bourgeoisie Nos jo u rs R éaliste R om anesqu e La b ourgeoisie et
l ’a m o u r c o u rto is.
Orphée
M aria Casarès. Je u n e fem m e In d éte rm in é Nos jo u r s Ali-réaliste P oétique L’a m o u r et la
m o r t.
M a n èg es
Sim one Signorct. Je u n e fem m e P euple Nos jours.. R éaliste Sociale La tr a h is o n .
Un H o m m e m a rch e da n s
la V ille
Gillette Leclerc. Je u n e fem m e P euple Nos j o u r s R éaliste Sociale L a tr a h i s o n .
■L a Ronde
S im one Signoret. P eu p le (2)
S im one Sim on. Jeu nes fem m es B ourgeoisie (2) 1900 N on -réa liste E ro tiq u e La fem m e-o b jet.
' D an ielle D arrie u x . P ro stitu ée (1)
Odette Joyeux.

1951

S a n s la isser d ’adresse
D anièle D elorm e. Je u n e fem m e Peuple Nos jo u rs R éaliste Sociale L ’a m o u r ho n n ête.
D eux so n s de V iolette
D an y R o b in . Je u n e fille Peuple Nos jo u rs R éaliste R om an e sq u e La p u reté con tre
le vice.
L e s A m a n t s de B rn sm o rt
N icole Courcel. Je u n e fille P euple Nos jo u r s R éaliste R om an e sq u e Le d r o it
à l ’a m o u r .
L es M iracles n ’o nt lien
q u ’un e f o i s
A lid a Valli. Je u n e fem m e Bourgeoisie Nos jo u r s Réaliste R om an e sq u e Le te m p s c o n tre
P am oûr.
Caroline Chérie
M a rtin e Carol. Je u n e fem m e A risto cratie F ilm d ’époque M i-réaliste E ro tiq u e L a fem m e-o b jet.

8
TITRES ETAT CLASSE EPOQUE STYLE FONCTION THEM E

L e Garçon s au var/e
M adeleine' R obinson. Je u n e fem m e P ro stitu é e N os jo u r s Réaliste Sociale Le cœ u r contre
1*intérêt.
L e Jo u r n a l d ’itn Curé de
Campatjnc
Nicole L a d m ira l. Je u n e fille A ristocratie Nos j o u r s Réaliste R om anesque L a révolte contre
Dieu.
Juliette et la Clef des
Songes
S u zanne Cloutier. Je u n e fille In d éte rm in é In d é te rm in é e N on-réaliste Poétique Le rêve.
E d o u a rd et Caroline
A nne Yornon. Je u n e fem m e Bourgeoisie Nos j o u r s Réaliste R om anesque Le m a riv a u d a g e
h onnête.
1952
A d o ra b les Créatures
D anielle D arrie u x.
M a rtin e Carol. J e u n e s fem m es B ourgeoisie N os jo u r s M i-réaliste E ro tiq u e La fem m e-objet.
E dw ige F euillère.
Renée Fauve.
Casque d ’Or
S im one Signoret.- Je u n e fem m e P eu ple 1900 Réaliste R om anesque L ’a m o u r honnête.
L e R id ea u Cramoisi
A nouk Aimée. Je u n e fille Bourgeoisie x ix “ M i-réaliste R om an e sq u e L ’a m o u r q u i tue.
L u vérité s u r Bébé Donge
D anielle D arrie u x. Je u n e fem m e Bourgeoisie Nos j o u r s Réaliste R om anesque L’a m o u r déçu.
L es C o n q u é m n ts s o li­
taires
C laire Maffcï. . Je u n e fem m e Bourgeoisie N o s jo u r s R éaliste R om an e sq u e L a fem m e et
l ’av e n tu re .
1953
Le Carrosse d ’Or
A nna M agnani. J e u n e fem m e P euple F il m d ’époque M i-réaliste R om an e sq u e L a ch arité.
Le Hon Dieu san s co n fes­
sion
D anielle D arrie u x. Je u n e fem m e B ourgeoisie Nos jo u r s Réaliste Sociale La tra h iso n .
Un Caprice de Caroline
chérie
M a rtin e Carol, Je u n e fem m e A ristocratie x ix c N on-réaliste E ro tiq u e La fem m e-objet.
R u e de l ’E strapade
A nne Y em o n . Je u n e fem m e Bourgeoisie Nos jo u r s Réaliste R om anesque La ten tatio n .
Lucrèce B oryia
M artine Carol. Je u n e fem m e A ristocratie F i l m d ’époque M i-réaliste E ro tiq u e La fem m e-objet.
M adam e de
D aniellc D arrie u x . Je u n e fem m e A ristocratie 1900 M i-réaliste R om anesque L’a m o u r q u i tue.
Hélène B o u ch er
Gisèle P ascal. Je u n e fem m e Bourgeoisie N os jo u r s 51i-réaliste R om anesque Le devoir.
L u P u ta in R espectueuse
B a rb a r a Laage. Jeune fem m e P ro stitu ée Nos j o u i s Réaliste Sociale La vérité.
Thérèse R a q u ïn
S im one Signoret. Je u n e fem m e P eu ple Nos jo u r s M i-réaliste R om anesque L ’a m o u r et le
destin .
L es Orgueilleux
Michèle M organ. Je u n e fem m e Bourgeoisie N os jo u r s Réaliste Sociale L a r é d em p tio n
p a r l ’a m o u r.
L ’A m o u r d ’u n e F em m e
M icheline Presles. J e u n e fem m e Bourgeoisie N os j o u r s Réaliste Sociale L ’a m o u r et le
m étier.

9
Il nous f a u t m a in te n a n t ti r e r les leçons de ce ta b leau , ru briqu e p ar rub riq ue.
E t a t :. P ou r , 76 h éro ïn es. nous obtenons 48 jeunes femmes, 26 jeunes filles, deux
fem m es m ûres e t une adolescente. L a riv a lité jeune fem m e - jeune fille (les au tres é ta n t
hors-course) a suivi les v a ria tio n s suivantes. i945 : '4 je un es filles, 3 jeunes femmes.
1946 : 3 jeunes filles, 2 jeunes, femmes. 1947 ; 2 jeunes filles, 4 jeunes femmes. 1948^ :
2 jeunes filles, 4 jeunes fem mes. 1949 : 9 jeunes filies, 2 jeunes femmes. 1950 : 1 jeune
fille, 10 jeunes femmes. 1951 : 4 jeunes filles, 5 jeunes femmes. 1952 : 1 jeune fille, 7 jeu n es
femmes. 1953 : 0 je u n e fill.e (à moins que J u lié tta ne sorte d 'ici la fin de l'année) (1),
11 jeunes "femmes'. ' ’
, On v o it que la jeune fille qui f a i t je u égal jusqu ’en 1949 e st ensuite n e tte m en t d is­
tancée. M ais la jeune femme e st la p lu p a rt du tem ps tr è s jeune. E n re p ren an t la liste
globale on s’aperço it que son âge moyen est d ’e n v iro n '25 ans.
— -.Classe: 35 bourgeoises, 21 fem m es du peuple, 10 aristo crates, 6 prostituées, 2 paysannes,
2 indéterm inées. ïh ù tile d ’exam iner les ré s u lta ts année p a r année, la bourgeoisie d om in ant
sans cesse. De plus sur les 21 héroïnes d ite du peuple une bonne m oitié "est truq uée e t n ’est
pas située , dans un cadre social vraisem blable. Loleh Bellon du P o in t du Jo ur, M adeleine
Robinson des F rères B ouquinquant, G inette L eclerc d ’ü n homme m arche ' dans la ville
e t p eu t ê tre Claire M affeï d ’A ntoine et A nto in ette , so n t seules psychologiquem ent e t
sociologiquement caractérisées.
„• Epoque : 46 héroïnes de « nos jo urs », .7 du xix° siècle, 6 de 1900, 4 dans des films
d ’époque e t 1 indéterm inée. In u tile d ’insister, le s ré s u lta ts p a rle n t d'eux-mêmes. I l est
p o u rta n t • curieux de co n stater com bien peu p arm i ces héroïnes « de nos jou rs » nous
p ara issen t nos contem poraines.
Style : 41 héroïnes réalistes, i9 m i-réalistes, 4 non-réalistes. N ous avons d é jà v u
qu’il s’a g it surtout: d ’ « in te n tio n s » de réalism e.' A ce titr e , à p a rt une ou deux exceptions
volontaires'com m e' J u lie tte oti la clef des songes,' to u tes ces héroïnes son t censées être
réalistes e t donner au sp e c ta te u r l’im pression du vécu. L à encore le ré s u lta t ne corres­
pond pas à l'in ten tio n .
. .Fonction : 33. 'Héroïnes à fo nction -ro m an esq ue, 19 à fon ction sociale, 6 à fon ction
poétique, 5 à fonction érotique, 1 à fonction m étaphysique. L e rom anesque rem p o rte e t
c ’est norm al quand il s’a g it n e u f fois sur d ix de rac o n ter des h istoires d istra y an tes, Q uant
aux 19 héroïnes sociales, elles me p a raissen t bien suspectes e t les 5 érotiques bien minces.
Cela s’explique p a r la qualité d ’ensem ble des films retenus. Si l’on p re n a it en considération
tous les films on y tro u v e ra it su rto u t et de plu s en plus des fon ction s érotiques ou sup­
posées telles, c’est-à-dire plus ou m oins pornographiques.
Q uant aux thèm es on ne p é u t les exam iner m athém atiquem ent. N otons sim plem ent
que nous retrouvons cinq fois l’am our honnête, cinq fo is la fem m e-objet, q u a tre fo is le
cœur contre l’in té rêt, q u atre fo is la pureté. M ise à p a r t la fem m e-objet, les tro is a u tre s
notions se rejo ig n en t : l’amour, l ’honnêteté, le cœur, l’in té rê t, la pu reté, to u t cela tr a d u it
une certaine tra d itio n c h rétien n e e t bourgeoise du conflit du b ien e t du m al dans
l’amour, ce qui est d éjà le p rin cip al su je t du rom an fra n ç a is depuis le dix-neuvièm e.
P a r contré des thèm es à prem ière vue aussi séduisants e t aussi différents que « l ’am our
et la m ort » (O rphée), ou « les rev end icatio ns de la fem m e » (Ju lie do C arneillian),
co n stitu en t des exceptions dans les films de qualité. E t « le rêve » — qui n ’est p a s cher
qu’aux surréalistes officiels — ou « l’am our-fou » ! Ils ne te n te n t guère nos p ro du cteurs
sinon nos réalisateurs. P o u r une « lielle », une « J u lie tte », une « A lbertine », une « M o rt
d ’Orphée » qui son t v ra im e n t des « héroïnes de rêv es », que de M adam e D urand ou D upont
qui. n ’ont même pas pour elles d e tém oigner pour le u r tem ps, d ’être la chair d ’u n grand
co n stat sur cette révolution de la condition fém inine qui m arque n o tre siècle du sceau
le plus fla g ra n t.

(1) C’est ce q u i s’est passé d e p u is la ré d a c tio n de cct a r tic le , p r im itiv e m e n t écrit p o u r le


n u m é ro spécial s u r « L a f e m m e et le ciném a » et q u i a d û être Teporté fa u te de place.

10
P arées p a r B érard de to u s les a t t r ib u ts tlc: Ja féerie, b aignées p a r Cocteau d a u s u ne lu m iè re
digne de Verm cer, les fem m es de L a Belle; et la Bête é ta ie n t d ’u n e grâce a d m ir a b le et d ’u n
caractère tro p r a re d a n s le ciném a f ra n ç a is co n te m p o ra in .

A v a n t les conclusions Quelques regrets, scrupules e t rem arques. J ’ai eu to r t sans


doute de ne pas re te n ir Les, Belles de N u its e t Le P laisir, m ais cela n ’a u ra it fa it qu’ac­
centuer la tendance vers la fem m e-objet que nous allons constater. P a r contre L a Maison
B onnadieu, L a Belle Im age, Rendez-vous avec la chance, L ’E tra n g e M adam e X e t
Félieie N anteu il qui a u ra ie n t pu logiquem ent figurer dans m a liste d o nn eraient des points
à d ’au tres tendances, m ais sans changer l’o rien tatio n générale.
P lus im p o rta n t me p a ra ît d e . souligner le nom bre assez élevé de films de grande
qualité ou a y a n t eu un g rand reten tissem en t dans le public qui ne com portent pas de
rôle im p o rtan t de femme même si un rôle accessoire d ans la conception du film est te n u
p a r une g ran de vedette ou même si — c’e st le cas du S alaire de la P eu r — le réalisateu r
a tra c é avec soin un v éritab le p o rtra it d e fem m e m ais qui a u ra it pu ê tre ab sen t du film
sans g ran d dommage pour l’intrigu e. N ous avons v u ainsi, en 1945 : L 'E spoir, en 1946 :
L a B ataille du B ail e t L e Voyage Surprise, en 1947 : Lés M audits e t M onsieur V incent,
en 1948 : L'Eeole Buissonnière, en 1949 : Jo u r de F ête e t P rem ières Armes, en 1950 :
Ju stic e est fa ite , en 1951 : L ’A uberge Bouge, en 1952 : F a n fa a la Tulipe, Je u x In te rd its
e t Le P e ti t Monde de Dom pam illo, en 1953 : Le S alaire de la P e u r e t Les V acances de
M onsieur H ulot. - ,

II
• Cecil Aub i-y :
d a n s Afano/i
d ’H.G. Clouzot.

nous laissons p arler les chiffres de n o tre ta b le au nous arrivo ns à la conclusion


suivante : l’héroïne moyenne l u ciném a fran ç ais (d'une certain e qualité) de 1945 à 1953
est une jeune femme d'environ 25 ans, "bourgeoise, v iv a n t de nos jours, présentée d’une
façon qui se v e u t réaliste, a y a n t dans le film une fonction rom anesque et sym bolisant de
façon assez prim aire le conflit dans l’am our du bien e t du mal.
Nous pouvons simplifier sans tra h ir, à condition to u tefo is d’ajo u te r à « bourgeoise » un
a d je c tif : « p e tite >ï. E n effet cette héroïne e st petite, Le désir de p laire au public la tire vers
le b a s : on no p eu t même pas dire qu’elle tém oigne de cette1 gran de ou moyenne bourgeoisie
qui est peut-être condamnée à d isp araître m ais qui a te n u les ren nes depuis 1789 et qui
continue à s’y accrocher m algré l’ap p aritio n d ’une force nouvelle : le p ro léta riat. Le
p o rtra it de la bourgeoise à ré c ra n n 'en re tie n t le plus souvent que les plus p e t i t s aspects,
ses m a n ies.p lu s que ses coutumes, son caquetage plus que sa pensée.
L a voilà donc no tre héroïne : une petite bourgeoise sentim entale. On v o it que
la statistiq u e ne m ’a pas été in u tile car ce tte femme n ’est pas exactem ent ce que je
pensais a v a n t dé la soum ettre à m a p e tite m athém atique approxim ative, je la croyais
vague, floue, superficielle et elle se révèle assez précise e t précisém ent située ; sous le
feu croisé des questions innocentes, elle se tr a h it e t m o ntre de la fe m m e française un
des visages les moins attira n ts, un profil étro it, un corps qu’elle offre avec prudence
e t un grand cœur un peu niais que gouverne encore son confesseur, m ais qui s’étale
sans pudeur dans les magazines de trico t, ou les « bons m agiques » son t le sésame-
outre-toi d ’une société qui confond le m atérialism e avec les biens de ce monde e t le
progrès avec la réussite sociale. '
Si cette Je a n e tte Dupont qui l i t M arcelle Ségal dom ine ces années de ciném a
de sa p e tite sta tu re , il v a lui fallo ir b ie n tô t céder la place ou du m oins r a b a ttr e d e 's e s
prétentions. P lu s de courrier du cœur, plus de D aphné du M aurier, elle é ta it sujet,
elle ne sera plus qu’objet. L a p e tite dam e subsiste m ais on a en trepris de la
déshabiller. Gigi en 1949 e st une d ate capitale de cette p e tite histoire. Que de
b rav es gens fu re n t rassurés quand ils v iren t, dans le con fortab le décor de 1900,
ap p a ra ître c e tte ingénue lib ertin e au cœur de dentelle, au corps en form e de guêpière
et qui red ev en ait enfin ce qu’elle n ’a u ra it jam ais dû cesser d ’être, ce que l’ordre m oral
impose : un in stru m en t am usant pour les messieurs. L a chrysalide d ev in t papillon e t

Ci-contre, de h a u t en lias et de gauche à d ro ite : E d w ig e F euillève d a n s Julie de C arneilhan


de Ja cq u e s Manuel;, E lin a L abourdette d a n s Les Dam es dit B o is de B o u lo g n e d e R o b e rt Bresson,
A no u k Aimée d a n s Le Rideau C ra m o isi d 'A le x a n d re .Astruc, M a ria C asarès d a n s L es Dames dit
Bois de Boulogne, M artine Carol d a n s Lucrèce Borgia de C h ris tia n - J a q u e , D any R o b in d a n s
Deux S o u s de Violettes de Je an A no uilh.

12
13
ce. f û t 'bientôt Caroline, ô combien chérie.’ S e s' caprices, bofgiesques ou autres, o n t rendii
un dem i sourire aux producteurs : si la paillard ise paye de nouveau, la R épublique est
sauvée. Cn appellera cela de l’érotism e e t cela p e rm e ttra de faire de la porno graph ie
avec la. bénédiction de la censure et des corps constitué. Les farouches ou suaves am azones
dés, Dam és du Bois de Boulogne, de F albaîlas, de .La Belle et la B ête, des M iracles n ’ont
lieu..' qu’une fois, d ’Orphée, les exquises dem oiselles des D ernières vacances, de P a rtie
cte:. Campagne, des A m ants de V érone e t du R ideau cram oisi, les éton nan tes créa tu res des
B aren ts Terribles ou du Carrosse d’or, sans p arler des p e tite s Cousines un peu fran çaises
du Fleuve, p eu v en t se serrer les coudes. Caroline B o rg ia les ;ïmenace tout'es. E t contre
cet o b jé t rose e t "blond lav é tous les m atins au savon L ux,: le com bat est mené de façoii
époradïqiie. U n seul, Eecker, p eu t dire comme N apoléon : mes filles ce sont mes victoires,
Ses films en effet, en p ou rsuiv ant logiquem ent une série d e p o rtra its fém in ins d ’une
réelle portée psychologique, sociale’ e t rom anesque, so nt seuls à m arquer des p o in ts de
façon cohérente contre la tendance de la fem m e-objet. L a Caroline d’E douard lu tte seule
efficacem ent, avec A n to in e tte e t ses amies de la rue de ï’E strap ad e ou des B arrières,
contre la C a ro lin e de César. ï -
L a L ib ératio n a u ra it pu ê tre celle aussi de l’héroïne des salles obscures. On a p u
le croire un in s ta n t e t il f a u t saluer bien bas ces prem iers pères, ces prem iers a m an ts qui
nous o n t donné l'eurs filles e t leurs m aîtresses. II. est d’ailleurs ré c o n fo rta n t de v o ir en
fin d’année une p e tite , un peu folle m ais sym pathique ( J u lie tta ), une voyageuse qui
’«- existe » e t « prend conscience » (Les O rgueilleux), e t une v ra ie femme qui tro u v e
sa voie dans les em bruns (L’amour d’une femme) (i) ; m ais les détestables créa tu res ne
so nt pas loin. J ’entends d ’ici leur escadron p ia illan t. Méfiez-vous spectateu rs tro p in du lgen t^
qui vous lassiez d éjà de cette p e tite bourgeoise sen tim entale et!; vous amusez m a in te n a n t
à lu i v o ir ô te r sa chemise, le ciném a fran çais, si vous n 'y prenez garde, ne sera plus
b ie n tô t qu’un v ie illa rd lubrique lo rg n a n t une luronne dévêtue.
JACQUES DONIOL-VALCROZE.

(1) Je p e n s a is au m o m en t de l a ré d actio n de cet a r tic le que le film de G rém illo n s e ra it


p ré se n té a u p u b lic a v a n t la fin de l ’année.
P.S. ■— J ’a i d it p lu s h a u t que P ie rre K ast m ’a v a it suggéré d 'a d j o in d r e k m o n ta b le a u
« L’accessoire » sy m b o liq u e de l ’h éro ïn e ou q u i lu i est in d is p e n s a b le ou encore q ui corre sp o n d ,
à so n obse ssio n d a n s le film, et j ’av a is p r o m is de r e p r o d u i r e le r é s u lta t q u i n e p o u v a it p r e n d r e
p lace d a n s le ta b le a u m a is q u i co n stitu e u n v é r ita b le « cortège » p rév ertie n . Le v oici, en
s u iv a n t l ’o r d re de l a liste, à la q u elle les a m a te u r s p o u r r o n t se r e p o rte r :
T ra v e s ti, bicy clette, m i r o i r , im p erm éab le, v aselin e, p o m m ad e, escarpolette, c h a u s s u r e s , v iso n ,
h a r m o n i u m , m a s q u e , tresses, Ut, échelle, ré c h a u d , culotte, p ilo n , m otocyclette, f o n d de tein t,
ta b l ie r , em pennage, traîne^ c a n a r i, salle de b a in , chem ise de n u it, to rc h o n , m a r te a u - p îq u e u r,
lin g erie, b o ttin e s, tro m p e tte , b ro sse, p e ig n o ir, p a r a v e n t, clef, bottes, en caustiques, m i r o i r , selle,
pàvés, li t, langes, p e tit p a n ta lo n , péniche, voile, cu lb u te , ch a m b re , 'crucifix, r e m p a r t s , ro be,
b id e t, g uillotine, escaliers, a s p irin e , sang, d o m in o s, gazogène, conque, guitare, corsage, bou cles
d ’oreilles, hélice, ju p e , tr a in , seringue, p h a re .

14
UNE CERTAINE TENDANCE

DU CINEMA FRANÇAIS

p a r François Truffa ut

Je a n A urcnchc

« On p eut a im e r que le sens du m o t ai-t so it


tenté de d o n n e r conscience à des h o m m es .
- de la g ra n d e u r q u ’ils ignorent en eux.
A n d ré M a lk a u x
(Le T e m p s du M épris, préface). ,

Ces notes n’ont pas d’autre objet qu’essayer de définir une certaine tendance
du cinéma français — tendance dite du réalisme psychologique — et d’en
esquisser les limites. . '

DIX OU DOUZE FILMS». *


Si le cinéma l’rarLça.is existe par une centaine de films chaque année, il est
bien entendu que dix ou douze seulement méritent de retenir l’attention des
critiques et des cinéphiles, l’attention donc d e ces C a s i e r s .
Ces dix ou douze films constituent ce que Ton a joliment appelé la Tradition
de la Qualité, ils forcent par leur ambition l’admiration de la presse étrangère,
défendent deux fois l’an les couleurs de la France à Cannes et a Venise où, depuis
1946, ils raflent assez régulièrement médailles, lions d’or et graîids prix.

Au début du parlant, le cinéma.français fut l’honnête démarquage du cinéma


américain. Sous l ’influence de Scarface nous faisions l’amusant Pépê le Moko.
Puis le scénario français dut à Prévert le plus clair de son évolution, Quai des
Brumes reste le chef-d’œuvre de l’école dite du réalisme poétique.
La guerre et l'après-guerre ont renouvelé notre cinéma. Il a évolué sous
l’effet d’une pression interne et au réalisme poétique — dont on peut dire
qu’il mourut en refermant derrière lui Les Portes- de la Nuit — s’est substitué
le réalisme psychologique, illustré par Claude Àutant-Lara, Jean Delannoy,
René Clément, Yves Allégret et Marcel Pagliero.

15
DES FILMS DE SCENARISTES...
.Si Ton veut bien se souvenir que Delannoy a tourné naguère Le Bossa et
La Part de l Ombre, Clavide Autant-Lara Le Plombier Amoureux et Lettres
tf*Amour, Yves .Aïlégret La Boîte, aux Rêves et Les Démons de l’Aube, que tous
ces films sont justement reconnus comme des entreprises strictement commer­
ciales.» on admettra que les réussites ou les écliecs de ces cinéastes étant fonction
des scénarios qu’ils choisissent, La Symphonie Pastorale, Le Diable au Corps,
le u x Interdits, Manèges, ün Homme marche dans la ville sont essentiellement des
films de scénaristes.
! Et puis Tin dis eu table évolution du cinéma français n’est-elle pas due essen­
tiellement au renouvellement des scénaristes et. des sujets, à l'audace prise vis-à-vis
des chefs-d’œuvre, à la confiance, enfin, faite au public d’être sensible à des
sujets généralement qualifiés de difficiles ?
; C’est pourquoi il ne sera question ici que des scénaristes, ceux qui, préci­
sément, sont à l’origine du réalisme psychologique au sein de la Tradition de la
Qualité : -.Tean Aurenche et Pierre Bost, Jacques Sigurd, Henri Jeanson (nouvelle
manière), Robert Scipiôn. Roland Laudenbach, etc...
\ ■

NUL N’IGNORE PLUS AUJOURD'HUI...


Après avoir tâté de la mise en scène en tournant deux courts métrages
ôubliés, Jean Aurenche s’est spécialisé dans l’adaptation. En 193G il signàitj
avec Anouilh, les dialogues de Vous n’avez rien à déclarer et Les Dégourdis
de la 11e. ' ■
Dans le même temps Pierre Bost publiait à la N.R.F. d’excellents petits
romans.
Aurenche et Bost firent équipe pour la première fois en adaptant et dialo­
guant Douce, que iiiit en scène Claude Autant-Lara,
Nul n’ignore plus aujourd’hui qu’Aurenche et Bost ont réhabilité l’adap­
tation en bouleversant l’idée que l’on en avait, et qu’au vieux préjugé du respect
à la lettre ils ont substitué, dit-on, celui contraire du respect à l’esprit, au
point qu’on en vienne à écrire cet audacieux aphorisme : « Une adaptation
honnête est une trahison s> ( Carlo Rim « T r a v e l l i n g e t S e x - A p p e a l » ) .

DE L’EQUIVALENCE...
De l’adaptation telle qu’Aurenche et Bost la pratiquent, le procédé dit de
l’équivalence est la pierre de touche. Ce procédé suppose qu’il existe dans le
roman adapté des scènes tournables et intournables ët qu’au lieu de supprimer
ces dernières (comme on le faisait naguère) il faut inventer des scènes équiva­
lentes, c’est-à-dire telles que l'auteur du roman les eût écrites pour le cinéma.
« Inventer sans trahir », tel est le mot d’ordre qu’aiment à citer Aurenche
et Bost, oubliant que l’on peut aussi trahir par omission.
Le système d’Aurenche et Bost est si séduisant dans l ’énoncé même de son
principe, que mzj n’a jamais songe à en vérifier d’assez près le fonctionnement.
C’est un peu ce que je me propose de faire ici.

Toute la réputation d’Aurenche et Bost est établie sur deux points précis :
1°) La fidélité à l’esprit des œuvres qu’ils adaptent ;
2°) X^e talent qu’ils y mettent.

CETTE FAMEUSE FIDELITE...


Depuis 1043 Aurenche et Bost ont adapté et dialogué ensemble : « Douce »
de Michel Davet, ,« La Symphonie Pastorale » de Gide, « Le Diable au corps »
de Radiguet, « Un Recteur à l’île de Sein » (Dieu a besoin des hommes) de

16
A g au ch e : Claude A u ta n t-L a ra et G hislaine A u b o u in p e n d a n t le to u rn ag e d e Le Don Dieu
sans C o nfession. A d ro ite : J e a n D elan n o y et C hris tian -Jaq u e.

Queffelec, « Les Jeux inconnus » (Jeux interdits) de François Boyer, « Le Blé


en lierbc » de Colette.
De plus, ils ont écrit une adaptation du « Journal d’un Curé de Campagne »
qui n’a jamais été tournée, un scénario sur « Jeanne d’Arc » dont une partie
seulement vient d'être réalisée (par Jean Delannoy) et enfin scénario et dialogues
de L ’Auberge Uouge (mis en scène par Claude Autant-Lara).
O11 aura remarqué la profonde diversité d’inspiration des œuvres et des
auteurs adaptés. Pour accomplir ce tour de force qui consiste à rester fidèle
à l’esprit de Michel Davet, Gide, Radiguet, Queffelec, François Boyer, Colette
et Bernanos, il faut posséder soi-même, j’imagine, une souplesse d’esprit une
personnalité démultipliée peu communes ainsi qu’un singulier éclectisme.
Il faut aussi considérer qu’Aurenche et Bost sont amenés à collaborer avec
les metteurs en scène les plus divers ; Jean Delannoy, par exemple, se conçoit
volontiers comme un moraliste mystique. Mais la menue bassesse du Garçon
Sauvage, la mesquinerie de La Minute de Vérité, l’insignifiance de La Route
Napoléon montrent assez bien l’intermittence de cette vocation.
Claude Autant-Lara, au contraire, est bien connu pour son non-conformisme,
ses idées « avancées », son farouche anti-cléricalisme ; reconnaissons à ce
cinéaste le mérite de rester toujours, dans ses films, honnête avec lui-même.

Pierre Bost étant le technicien du tandem, c’est à Jean Aurenche que semble
revenir la part spirituelle de la commune besogne.
Elevé chez les jésuites, Jean Aurenche en a gardé tout à la fois la nostalgie
et la révolte. S’il a flirté avec le surréalisme, il semble, avoir sympathisé avec
les groupes anarchistes des années trente. C’est dire combien sa personnalité
est forte, combien aussi elle paraît incompatible avec celles de Gide, Bernanos,
Queffelec, Radiguet. Mais l’examen des œuvres nous renseignera sans doute
davantage.
L’Abbé Amédée AyfTre a su très bien'analyser La Symphonie Pastorale et
définir les rapports de l’œuvre écrite à l’œ uvre. filmée :
« Réduction de la foi à la psychologie religieuse chez Gide, réduction
maintenant de celle-ci à la psychologie tout court... A cet abaissement qualitatif
pa correspondre maintenant, selon une loi bien connue des esthéticiens, une
augmentation quantitative. On va ajouter de nouveaux personnages : Piette et
Castemn, chargés de représenter certains sentiments. La Tragédie devient drame,
mélodrame. » ( D i e u a u C i n é m a , p. 1 3 1 ) .

CE QUI ME GENE...

Ce qui me gène dans ce fameux procédé de l'équivalence c’est que je ne suis


pas certain dù tout qu’un roman comporte des scènes intournables, moins certain
encore que les scènes décrétées intournables le soient pour tout le monde.
Louant Robert Bresson de sa fidélité à Bernanos, André Bazin terminait
son excellent article : La stylistique de {ioberl Bresson par ces mots :
« Après Le Journal d’un Curé de Campagne, Àureriche* et Bost ne sont plus
que' les Viollct-Leduc de l’adaptation. »
Tous ceux qui admirent et connaissent bien le film de Bresson se sou­
viennent de l'admirable scène du confessionnal où le visage de Chantai « a
commencé d ’apparaître peu à peu, par degré » (Bernanos).
Lorsque, plusieurs années avant Bresson, Jean Aurenche écrivit une adap­
tation du « Journal », refusée par Bernanos, il jugea intournable cette scène
et lui substitua celle que nous reproduisons ici.
« :— Voulez-vous que je vous entende ici ? (Il désigne le confessionnal).
— Je ne më confesse jamais.
■—- Pourtant, vous vous êtes bien confessée hier puisque vous avez com mu­
nié ce matin ?
— Je n'ai pas communié.
Il la regarde, très surpris.
. — Pardonnez-moi, je vous ai donné la communion.
Chantai s’écarte rapidement vers le prie-Dieu qu’elle occupait le matin.
— Venez voir.
Le curé la suit. Chantai lui désigne le livre de messe qu’elle y a laissé.
— Regardez dans ce livre, Monsieur. Moi, je n’ai peut-être plus le d roit d ’y
toucher.
Le curé, très intrigué, ouvre le livre et découvre entre deux pages l ’hostie
que Chantai y a crachée. Il a un visage stupéfait et bouleversé.
— J’ai craché l’hostie, dit Chantai.
— Je vois, dit le curé, d’une voix neutre.
— Fous n’avez jamais vu ça, n ’est-ce pas ? dit Chantai, dure, presque triom­
phante.
— Non, jamais, dit le curé très calme en apparence.
— Est-ce que vous savez ce qu’il faut faire ?
Le curé ferme les yeux un court instant. Il réfléchit ou il prie. Il dit :
— C’est très simple à réparer, Mademoiselle, Mais c’est horrible à commettre.
Il se dirige vers l’autel, en portant le livre ouvert/ Chantai le suit.
— N on, ce n’est pas horrible. Ce qui est horrible, c’est de recevoir l’hostie
en état de péché.
— Vous étiez donc en état de péché ?
— Moins que d’autres, mais eux ça leur est égal.
— Ne jfigez pas.
— Je ne juge pas, je condamne, dit Chantai avec violence.
— Taiscz-vons devant le corps du Christ !
Il s’agenouille devant l’autel, prend l’hostie dans le livre et l ’avale. »
Une discussion sur la foi oppose au milieu du livre le curé et un athée
obtus nommé Arsène. Cette discussion se termine par cette' phrase d’Arsène :
« Quand on est mort, tout est mort ». Cette discussion, dans l’adaptation sur
la tombe même du curé, entre Arsène et un autre curé, termine le film. Cette
phrase : « Quand on est mort, tout est mort », devait ctre la dernière réplique

18
Un ta n d e m fam eux. Ja cq ues S ig u rd (& gauche) et Yves AlJégret o nt doté « la t r a d itio n d e'
la q u a lité » de scs p lu s n o irs chefs-d’œuvre.

du film, celle qui porte, la seule peut-être que retient le public. Bernanos ne
disait pas pour conclure : « Quand on est mort, tout est mort », mais : « Qu’est-
ce que cela fait, tout est grâce ».
« Inventer sans trahir », dites-vous, il me semble à moi qu’il s’agit là d’assez
peu d’invention pour beaucoup de trahison. Un détail encore ou deux. Aurenche
et Bost n ’ont pu faire Le Journal d ’un Curé de Campagne parce que Bernanos
était vivant. Robert Bresson a déclaré que, Bernanos vivant, il eut pris avec
l’œuvre plus de liberté. Ainsi l’on gêne Aurenche et Bost parce qu’on est en vie,
mais l’on gêne Bresson parce que l’on est mort.

LE MASQUE ARRACHE...
De la simple lecture de cet extrait, il ressort :
1°) Un souci d’infidélité à l’esprit comme à la lettre constant et délibéré ;
2 Ü) Un goût très marqué pour la profanation et le blasphème.
Cette infidélité à l’esprit dégrade aussi bien « Le Diable au corps » ce roman
d’amour qui devient un film anti-militariste, anti-bourgeois, « La Symphonie
Pastorale » une histoire de pasteur amoureux, Gide devient du Béatrix Beck,
« Un Recteur à l’île de Sein » dont on troque le titre contre celui équivoque
de Dieu a besoin des hommes, où les îliens nous sont montrés comme les fameux
« crétins » du Terre sans pain de Bunuel.
Quant au goût du blasphème, il se manifeste constamment, de manière plus
ou moins insidieuse, selon le sujet, le metteur en scène, voire la vedette.
Je rappelle pour mémoire la scène du confessionnal de Douce, l’enterre­
ment de Marthe dans Le Diable..., les hosties profanées dans cette adaptation
du « Journal d’un Curé de Campagne » (scène reportée dans Dieu a besoin des
hommes) y tout le scénario et le personnage de Fernandel dans L ’Auberge Rouge,
la totalité du scénario de Jeux Interdits (la bagarre dans le cimetière).
Tout désignerait donc Aurenche et Bost pour être les auteurs de films fran­
chement anti-cléricaux, mais comme les films de soutanes sont à la mode, nos
auteurs ont accepté de se plier à cette mode. Mais comme il convient — pensent-
ils — de ne point trahir leurs convictions, le thème de la profanation et du
blasphème, les dialogues à double entente, viennent ça et là prouver aux copains

19
que l’on sait l’art de « rouler le producteur » tout en lui donnant satisfaction,
rouler aussi le « grand public » également satisfait;
Ce procédé mérite assiez bien le nom d’alibisme ; il est excusable et son
emploi est nécessaire à une époque ou il faut sans cesse feindre la bêtise pour
oeuvrer intelligemment, mais s’il est de bonne guerre de « rouler le producteur x>,
ù’est-il pas quelque peu scandaleux de « re-writer » ainsi Gide, Bernanos,
Radiguet ?

; En vérité, Aurenche et Bost travaillent comme tous les scénaristes du monde,
comme avant-guerre Spaack ou Natanson.
Dans leur esprit, toute histoire comporte les personnages A, B, C, D.
À l’intérieur de cette équation, tout s’organise en fonction de critères connus
d eux seuls. Les coucliçries s’effectuent selon une symétrie bien concertée, des
personnages disparaissent, d’autres sont inventés, le script s'éloigne peu à peu
de l’original pour devenir un tout, informe mais brillant, un film nouveau, pas
à pas, fait son entrée solennelle dans la Tradition de la Qualité.

SOIT, ME DIRA-T-ON...
On me dira : « Admettons qu’Aurenclie et Bost soient infidèles, mais nierez-
vous aussi leur talent... ? » Le talent, certes, n’est pas fonction de la fidélité,
mais je ne conçois d’adaptation valable qu’écrite par un homme de' cinéma,
Aurenche et Bost sont essentiellement des littérateurs et je leur reprocherai ici
de mépriser le cinéma en le sousestimant. Ils se comportent vis-à-vis du scénario
comme l’on croit rééduquer un délinquant en lui trouvant du travail, ils croient
toujours avoir « fait le maximum » pour lui en le parant des subtilités, de
cette science des nuances qui font le. mince mérite des romans modernes. Ce
n’est d’ailleurs par le moindre travers des exégètes de notre art que de croire
I’honorer en usant du jargon littéraire. (N’a-t-on pas parlé de Sartre et de Camus
pour l’œuvre de Pagliero', de phénoménologie pour celle d’AUégret ?)
En vérité, Aurenche et Bost affadissent les œuvres qu’ils adaptent, car
Y équivalence va toujours soit dans le sens de la trahison, soit de la timidité.
Voici un bref exemple : dans « Le Diable au corps » de Radiguet, François
rencontre Marthe sur le quai d’une gare, Marthe sautant, en marche, du train ;
dans le film, ils se rencontrent dans Fécole transformée en hôpital. Quel est le
but de cette équivalence ? Permettre aux scénaristes d’amorcer les éléments
anti-militaristes ajoutés à l’œuvre, de concert avec Claude Autant-Lara.
Or il est évident que l’idée de Radiguet était une idée de mise en scène,
alors que la scène inventée par Aurenche et Bost est littéraire. On pourrait,
cro3'e£-le bien, multiplier les exemples à l’infini,

IL FAUDRAIT 3IE N QU’UN JOUR...


Les secrets ne se gardent qu’un temps, les recettes se divulguent, les connais­
sances scientifiques nouvelles font l’objet de communications à l’Académie des
Sciences et, puisqu’à en croire Aurenche et Bost, l’adaptation est une science
exacte, il faudrait bien qu’un de ces jours ils nous apprissent au nom de
quel critère, en vertu de quel système, de quelle, géométrie interne et mysté­
rieuse de l’œuvre, ils retranchent, ajoutent, multiplient, divisent et « recti­
fient » les chefs-d’œuvre ?
Une fois émise l’idée selon quoi ces équivalences ne sont qu’astuces timides
pour contourner la difficulté, résoudre par la bande sonore des problèmes qui
concernent l’image, nettoyages par le vide pour n’obtenir plus sur l’écran que
cadrages savants, éclairages compliqués, photo « léchée », le tout maintenant
bien vivace la « tradition de la qualité », il est temps d’en venir à l ’exa­
men de Fensemble des films diaîogués et adaptés par Aurenche et Bost et de
rechercher la permanence de certains thèmes qui expliqueront sans la justifier
l’infidélité constante de deux scénaristes aux œuvres qu’ils prennent pour
« prétexte » et « occasion ».
Résumés en deux lignes, voici comment apparaissent les scénarios traités
par Aurenche et Bost :

20
René Clém ent, cinéaste de g r a n d ta le n t,
a p rès a v o ir lon g tem p s collaboré avec Au r e n d i t
et Jîost, v ie n t de to u r n e r, A/ojisieur R ip o is et
L a N é m ésis avec R a y m o n d Queneau com m e
scénariste. C’est avec im p atien ce que n o u s
atten d o n s d e sa voir si cette n ouvelle as so c ia ­
tio n d o n n e ra h l ’œ u v re de Clément u n e
d ire c tio n nouvelle.

La Symphonie Pastorale : Il est pasteur, il est marié. Il aime et n’en a pas


le droit.
Le Diable au corps : Ils font les gestes de l’amour et n’en ont pas le droit.
Dieu a besoin des Hommes ; Il officie,, bénit, donne l’extrême-onction et
n’en a pas le droit.
Jeux Interdits : Ils ensevelissent et n’en ont pas le droit.
Le Blé en herbe ; Ils s’aiment et n’en ont pas le droit.
On me dira que je raconte aussi bien le livre, ce que je ne nie pas. Seule­
ment, je fais remarquer que Gide a écrit aussi : « La porte étroite », Radiguet :
« Le bal du comte d’Orgel », Colette : « La Vagabonde », et qu’aucun de ces
romans n’a tenté Delannoy ou Autant-Lara.
Remarquons aussi que les scénarios, dont je ne crois pas utile de parler ici,
vont dans le sens de ma thèse : Au delà des grilles, Le Château de verve,
L ‘Auberge Rouge...

On voit l’habileté des promoteurs de la Tradition de la qualité, à ne choisir


que des sujets qui se prêtent aux malentendus sur lesquels repose tout le.
système.
Sous le couvert de la littérature — et bien sûr de la qualité — on donne
au public sa dose habituelle de noirceur, de non-conformisme, de facile audace.

L’INFLUENCE D’AURENCHE ET BOST EST IMMENSE...

Les écrivains qui sont venus au dialogue de films ont observé les mômes
impératifs ; Anouilh, entre les dialogues des Dégourdis de la i P et Un Caprice
de Caroline chérie, a introduit dans des films plus ambitieux son univers que
baigne une âpreté de bazar avec en toile de fond les brumes nordiques trans­
posées en Bretagne (Pattes Blanches). Un autre écrivain, Jean Ferry, a sacrifié
à la mode, lui aussi, et les dialogues de Manon eussent tout aussi bien pu être
signés d’Aurenche et Bost : « II me croit vierge, et dans le civil, il est profes­
seur de psychologie ! » Rien de mieux à espérer des jeunes scénaristes. Simple­
ment, ils prennent la relève, se gardant bien de toucher aux tabous.
Jacques Sigurd, un des derniers venus au « scénario et dialogue », fait

21
Les a u te u r s : J e a n Cocteau ; d e p u is 1915 a don n é a u c in ém ato g rap h e
fra n ç a is cinq de ses p lu s grands' films : L a B elle et la Bête, L ’Aigle à d e u x
têtes, L es P arents T errib les, L es E n fa n t s T errib les et Orphée. ■

équipe avec Yves Âllégret. Ensemble, ils ont doté le cinéma français de quelques-
uns de ses plus noirs chefs-d'œuvre : Déclé d ’Anvers, Manèges, Une si jolie
petite plage, Les miracles n’ont lieu qu'une fois, La jeune folle. Jacques Sigurd
a très vite assimilé la recette, il doit être doué d'un admirable esprit de synthèse
car ses scénarios oscillent ingénieusement entre Aurenche et Bost, Prévert et
Glouzot, le tout légèrement rajeuni. La religion n’a jamais de part, mais le
blasphème fait toujours timidement son entrée grâce à quelques enfants-de-Marie
ou quelques bonnes-sœurs qui traversent le cliainp au moment où leur présence
est la plus inattendue (Manèges, Une si jolie petite plage).
La cruauté par quoi l’on ambitionne de « remuer les triples du bourgeois »
trouva sa place dans des répliques bien senties du genre : « il était vieux, il
pouvait crever (Manèges). Dans Une si jolie petite plage Jane Marken envie
la prospérité de Berck à cause des tuberculeux qui s’y trouvent : leur famille
vient les voir et ça fait marcher le commerce ! (On songe à la prière du Recteur
de l’île de Sein).
Roland Laudenbach, qui semblerait plus doué que la plupart de ses confrères,
a collaboré aux films les plus typiques de cet état d’esprit : La Minute de Vérité,
Le Bon Dieu sans confession, La Maison du Silence.
Robert Scipion est un homme de lettres doué ; il n’a écrit qu’un livre :
un livre de pastiches ; signes particuliers : la fréquentation quotidienne des
cafés de Saint-Germain-des-Prés, l’amitié de Marcel Pagliero que l’on nomme
le Sartre du cinéma, probablement parce que ses films ressemblent avix articles
des « Temps Modernes ». Voici quelques répliques des Amants de Brasmort,
film populiste dont des mariniers sont les « héros », comme les dockers étaient
ceux de Un Homme marche dans la ville :
« — Les femmes des amis c'est fait pour coucher avec. »
« — Tu fais ce qui te rapporte ; pour ça tu monterais sur n ’importe qui,
c'est le cas de le dire. »
Dans une seule bobine du film, vers la fin, on peut entendre en moins de
Les a u t e u r s : Al>el Gance, d o n t l ’oeuvre « p a r la n te » n ’est pus, com m e on
le d it tro p souvent, in d ig n e d e l ’œ u vre « m u ette » et qui, com me elle,
p o r te la m a r q u e de l ’u n des m e ille u rs d irecteu rs d ’acte u rs de ciném a.

dix minutes les mois de : « grue, putain, salope, et connevië ». Est-cc cela le
réalisme ?

ON REGRETTE PREVERT...
A considérer l'uniformité et l’égale vilénie des scénarios d’aujourd’hui, l’on
se prend à regretter les scénarios de Prévert. Lui croyait au diable, donc en
Dieu, et si la plupart de ses personnages étaient par son seul caprice chargés
de tous les péchés de la création, il y avait toujours place pour un couple sur
qui, nouveaux Adam et Eve, le film terminé, l’histoire allait se mieux recom­
mencer.

REALISME PSYCHOLOGIQUE, NI REEL, NI PSYCHOLOGIQUE...


Il n’y a guère que sept ou huit scénaristes à travailler régulièrement pour
le cinéma français. Chacun de ces scénaristes n’a qu’une histoire à raconter
et comme chacun n’aspire qu’au succès des « deux grands », il n’est pas exa­
géré de dire que les cent et quelques films français réalisés chaque année
racontent la même histoire : il s’agit toujours d’une victime, en général un
cocu. (Ce cocu serait le seul personnage sympathique du film s’il n’était toujours
infiniment grotesque : Blier-Vilbert, etc...). La rouerie de ses proches et la
haine que se vouent entre eux les membres de sa famille, amènent le « héros »
à sa perte ; l’injustice de la vie, et, en couleur locale, la méchanceté du monde
(les curés, les concierges, les voisins, les passants, les riches, les pauvres, les
soldats, etc...).

23
Distrayez-vous, pendant les longues soirées d’hiver, en cherchant des titres
de films français qui ne s’adaptent pas à ce cadre et, pendant que vous y êtes,
trouvez parmi ces films ceux où ne figure pas dans le dialogue cette phrase,
ou son équivalent, prononcée par le couple le plus abject'du film : « C’est
toujours eux qui ont l’argent (ou la chance, ou l’amour, ou le bonheur), tih ! c ’est
trop injuste à la fin. >>,

Cette école qui vise au réalisme le détruit toujours au moment mêinc de le


capter enfin, plus soucieuse qu’elle est d’enfermer les êtres dans uü monde
clos, barricadé par les formules, les jeux de mots, les maximes, que de les
laisser se montrer tels qu’ils sont, sous nos yeux. L’artiste ne peut,dom iner
son œuvre toujours. Il doit être parfois Dieu, parfois sa créature. Ori connaît
cette pièce moderne dont le personnage principal, normalement constitué lorsque
sur lui se lève le rideau, se retrouve cul-de-jatte à la fin de la pièce, la perte
successive de chacun de ses membres ponctuant les changements d actes. ;Curieuse
époque où le moindre comédien raté use du. mot Kafkaïen pour qualifier ses
avatars domestiques. Cette forme de cinéma vient tout droit de la littérature
moderne, mi-« kafkaïenne », mi-bovaryste !
Il ne se tourne plus un film en France, que les auteurs ne croient refaire
Madame Bovary. 1
Pour la première fois dans la littérature française, un auteur adoptait par
rapport à son sujet l’attitude lointaine, extérieure, le sujet devenant comme
l’insecte cerné sous le microscope de l’entomologiste. Mais si, au départ de
l’entreprise, Flaubert avait pu dire : « Je les roulerai tous dans la même boue
—• étant juste » (ce dont les auteurs d’aujourd’hui feraient volontiers leur
exergue), il dut déclarer après coup : « Madame Bovary c’est moi » et; je doute
que les mêmes auteurs puissent reprendre cette phrase et à leur propre :compte 3

Les a u t e u r s : Max O pliûls. De L a Fiancée V en d u e et L i b e l e ï a u P la i s i r et


M a d a m e de , il a su im p o se r d a n s to u s les stu d io s d u m o n d e son style
f a it de tendresse et de cru a u té , de b r illa n c e ci d e r ig u eu r.

24
Les a u te u r s : Roger Leenharclt. T o u s ceux q u i o n t a d m ir é Les Dernières
Vacances f o rm e n t le vœ u de le v o ir ro m p re b ie n tô t u n tro p long silence.

MISE EN SCENE, METTEUR EN SCENE,


TEXTES.

L’objet de ces notes se limite à l’examen d’une certaine forme de cinéma,


du seul point de vue des scénarios et des scénaristes. Mais il convient, je pense,
de bien préciser que les metteurs en scène sont et se veulent responsables des
scénarios et dialogues qu’ils illustrent.
Films de scénaristes, écrivais-je plus haut, et ce n’est certes pas Aurenche
et Bost qui me contrediront. Lorsqu'ils remettent leur scénario, le film est fait ;
le metteur en scène, à leurs yeux, est le monsieur qui met des cadrages là-dessus...
et c’est vrai, hélas ! J’ai parlé de cette manie d’ajouter partout des enterrements.
Et pourtant la mort est toujours escamotée dans ces films. Souvenons-nous de
l'admirable mort de Nana ou d’Emma Bovary, chez Renoir ; dans La Pastorale,
la mort n’est qu’un exercice de maquilleur et de chef opérateur ; comparez un
gros plan de Michèle Morgan morte dans La Pastorale., de Dominique B la n c h a r d
dans Le Secret de Magerling et de Madeleine Sologne dans YEternel Retour :
c’est le même visage 1 Tout se passe après la mort.
Citons enfin cette déclaration de Delannoy qu’avec perfidie nous dédions
aux scénaristes français : « Quand il arrive que des ailleurs de talent, soit
par esprit de lucre, soit par faiblesse, se laissent aller un jour à « écrire pour
le cinéma s>, üs le font avec le sentiment de s'abaisser. Ils se livrent plus à une
curieuse tentative vers la médiocrité, soucieux qu’ils sont de ne pas com pro­
mettre leur talent, et certains que, pour écrire cinéma, il faut se faire comprendre,
par le bas. » (L a S y m p h o n i e P a s t o r a l e o u l ' a m o u r nu m é t i e r , revue. Verger,
novembre 1947).
Il me faut sans attendre dénoncer un sophisme qu’on ne manquerait pas de
m’opposer en guise d’argument : « Ces dialogues sont prononcés par des gens
abjects et c’est pour mieux stigmatiser leur vilénie que nous leur prêtons ce
dûr langage. C'est là notre façon d’être des moralistes. >
A quoi je réponds : il est inexact que ces phrases soient prononcées par

25
Les a u te u r s : Ja cques Be citer (à gauche) et R o b e rt B resson . Gageons, sa n s
g r a n d r i s q u e que., com m e Les D am es d u B ois de B oulogne, Casque d ’Or
gagnera b ie n tô t son procès en ap p el.

les pins abjects des personnages. Certes, dans les films « réalistes psycholo­
giques » il n’y a pas que des ctres vils, mais tant se veut démesurée la supé­
riorité des auteurs sur leurs personnages que ceux qui d’aventures ne sont
pas infâmes, sont au mieux infiniment grotesques.
Enfin, ces personnages abjects, qui prononcent des phrases abjectes, jç
connais une poignée d’hommes en France qui seraient i n c a p a b l e s de les conce­
voir, quelques cinéastes dont la vision du monde est au moins aussi valable
que celle d’Aurenche et Bost, Sigurd. et Jeansori. Il s’agit de Jean Renoir,
Robert Bresson, Jean Cocteau, Jacques Becker, Abel Gance, Max Ophiïls, Jacques
Tati* Roger Leenhardt; ce sont pourtant des cinéastes français e t'ïl se trouve
— curieuse coïncidence — que cë sont des auteurs qui écrivent souvent leur
dialogue et quelques-uns inventent eux-mêmes lés histoires qu’ils mettent en
scène.

ON ME QIRA ENCORE... , . ' - .


« Mais p ô i ï r ' q u ô i m e dira-t-on — pourquoi ne pourràit-on porter la
même admiration à tous les cinéastes qui s’efforcent d’œuvrer au sein de cette
Tradition et de' la Qualité -qtié vous gaussez avfec tant de légèreté ? Pourquoi
ne pas admirer autant Yves Âllegret que Beckér, Jean Delannoy que Bresson,
Claude Autant-Lara que Renoir ? » ( * ) . . ; ' '
Eh bïeii je ne puis croire à là co-existence pacifique de là Tradition de
la Qualité [et d’un cinéma d’auteurs.
Au fond Yves' Allegret, Delannoy ne sont que les caricatures de Clouzot,
de Bresson. - * ■ . . . '- '
Ce n’est pas le-désir de faire scandale- qui m’amène à déprécier un cinéma
si loué par ailleurs. Je demeuré convaincu que l’existence exagérément prolongée
du réalismë psychologique est la cause de l’incompréhension du public devant
des œuvres aussi neuves de conception que Le Carrosse d ’Or,. Casque d ’Or,
voire Lcs 'Dames dn Bois de Boulogne et Orphée. ; ^
Vive 1-âtidace certes, encore faut-il la déceler-où elle est vraiment Au terme
de cette année -1953, s’il me fallait faire une manière de bilan des audaces du
(*) « Le goût est f a it de m ille dégoûts » (P a u l V aléry).

26
cinéma français, n’y trouveraient jplace ni le vomissement dés'.Orgueilleux; ni
le refus tic Claude La y du de prendre le goupillon dans Le Bon Dieu sans
confession, non plus les rapports pédérastiques des personnages du Salaire de
la Peur, mais bien plutôt la démarche de Hulot, les soliloques de la bonne de
La Hue cle l’Estrapade, la mise en scène du Carrosse d ’Or, la direction d’acteurs
dans Madame de , et aussi les essais de poly vision d’Abel Gance. On l’aura
compris, ces audaces sont celles d ’hommes de cinéma et non plus de scénaristes,
de metteurs en scène et non plus de littérateurs. .
Je tiens par exemple,, pour significatif l’échec, qu’ont rencontré les plus
brillants scénaristes et metteurs" en scène de la Tradition' de la Qualité lorsqu’ils
abrodèrerit la comédie : Éerry-Clouzot Miquelte et sa Mère, Sigurd-Boyer Tous
les chemins mènent à Rome, Scipion-Pagliero La 'Rose Rangé, Laudenbach-
Delannoy La Route Napoléon, Aurenche-Bost-Autant Lara L’Auberge Rouge ou
si l’on veut Occupe-toi d ’Amélie.
Quiconque s’est essayé un jour,î à écrire un scénario ne saurait nier que la
comédie est bien le genre le plus difficile, celui qui demande le plus de travail,
le plus de talent, le plùs d’humilité; aussi. ,

TOUS DES BOURGEOIS...


Le trait dominant du réalisme psychologique est sa -volonté anti-bour­
geoise. Mais qui sont Aitrenche et Bost, Sigurd, Jeanson, Autant-Lara, Allegret,
sinon des bourgeois, et qui sont les cinquante mille nouveaux lecteurs que ne
manque pas d’amener chaque film tiré d’un roman, sinon des bourgeois ?
Quelle est donc la valeur d ’un cinéma anti-bourgeois fait par des bourgeois,
pour des bourgeois ? Lçs ouvriers, on le sait bien, n’apprécient guère cette
forme de cinéma même lorsqu’elle vise à se rapprocher d’eux. Ils ont refusé de
se reconnaître dans les dockers d’Ujg Homme marche dans la utile comme dans
les mariniers des Amants de bras-nïQrt. Peut-être faut-il envoyer les enfants sur
le palier pour faire l’amour, mais léurs parents n’aiment guère à se l’entendre
diré, surtout au cinéma, même avec « bienveillance ». Si le public aime à
s’encanailler sous l’alibi: de la littérature, il aime aussi à le faire sous l’alibi

L es au teu rs : Jeiin R enoir. P lu s g r a n d de /ilni en film. Son d e rn ie r


c h e f-d ’œ uvre V L e Carrosse (t’Or.

27
du social. II est instructif de considérer la programmation des films en fonc­
tion des quartiers de Paris. On s’aperçoit que le public populaire préfère peut-
être les naïfs petits films étrangers qui lui montrent les hommes « tels qu’ils
devaient être » et non pas tels qu’Aurenche et Bost croient qu’ils sont.

COMME ON SE REFILE UNE BONNE ADRESSE...


Il est toujours bon de conclure, ça fait plaisir à tout le monde. Il est remar­
quable que les « grands » metteurs en scène et les « grands 2> scénaristes ont
tous fait longtemps des petits films et que le talent qu’ils y mettaient ne suffisait
pas à ce qu’on les distinguât des autres (ceux qui n’y mettaient pas de talent).
Il est remarquable aussi que tous sont venus à la qualité e n -m êm e t e m p s , comme
on se reûle une bonne adresse. Et puis un producteur — et même un réalisateur —
gagnent plus d’argent à faire Le Blé en herbe que Le Plombier amoureux. Les
films « courageux » se sont révélés très rentables. La preuve : un Ralph Habib
renonçant brusquement à la demi-pornographie, réalise Les Compagnes de la
Nuit et se réclame de Cayatte. Or, qu’est-ce qui empêche les André Tabet, les
Companeez, les Jean Guitton, les Pierre Véry, les Jean Laviron, les Ciampi, les
Grangier de faire, du jour au lendemain, du cinéma intellectuel, d’adapter les
chefs-d’œuvre (il en reste encore quelques-uns) et, bien sûr, d’ajouter des enter­
rements un peu. partout ?
Alors ce jour-là nous serons dans la « tradition de la qualité » jusqu’au cou
et le cinéma français, rivalisant de « réalisme psychologique s , d’ « âpreté »,■
de « rigueur », d ' « ambiguïté », ne sera plus qu’un vaste-enterrement qui pourra
sortir du studio de Billancourt pour entrer plus directement dans le cimetière
qui semble avoir été placé à coté tout exprès pour aller plus vite du producteur
au fossoyeur.
Seulement, à force de répéter au public qu’il s’identifie aux « héros » des
films, il finira bien par le croire, et le jour où il comprendra que ce bon gros
cocu aux mésaventures de qui on le sollicite de compatir (un peu) et de rire
(beaucoup) n’est pas comme il le pensait son cousin ou son voisin de palier
mais lui- mkme, cette famille abjecte, sa famille, cette religion bafouce, sa religion,
alors ce jour-là il risque de se montrer ingrat envers un cinéma qui se sera
tant appliqué à lui montrer la vie telle qu’on la voit d’un quatrième étage de
Saint-Germain-des-Prés.
*

Certes, il me faut le reconnaître, bien de la passion et même du parti-pris


présidèrent à l’examen délibérément pessimiste que j’ai entrepris d’une cer­
taine tendance du cinéma français. On m’affirme que cette fameuse « école
du réalisme psychologique » devait exister pour que puissent exister à jleur tour
Le Journal d*un ' Curé de Campagne} Le Carrosse d ’Orf Orphée, Casque d ’Or,
Les Vacances de Monsieur Hulot, !
Mais nos auteurs qui voulaient éduquer le public doivent comprendre que
peut-être ils l’ont dévié des voies primaires pour l’engager sur celles, plus
subtiles, de la psychologie, ils l’ont fait passer dans cette classe de sixième chère
à Jouhandeau, mais il ne faut pas faire redoubler une classe indéfiniment I

F r a n ç o is T ruffaut,

28
N O T E S

‘ (1) L a S y m p h o n i e Pastorale. P ersonnages a jo u té s d a n s le film : riette, fiancée de Jacques,


Çastcran , p è r ç de Piette. P ersonnages r e tra n c h é s : tr o is e n fa n ts du P aste u r. D ans le fllm, il
n ’est ]ias f a i t m e n tio n de cc que. d e v ie n t Ja c q u e s a p r è s la m o r t de ■Gertrude. D ans le livre;
Jheques entre clans les o rd res.
« O p ératio n S ym phonie P a sto ra le » : 1°) Gide é c rit lu L in è in e un e a d a p ta t io n de son liv re ;
2?) Cette a d a p ta tio n est jugée « In to u rn a b le » ; 3°) J e a n A uren ch e et J e a n D elannoy écrivent
à le u r to u r u n e a d a p ta tio n ; 4°) Gide la re fu s e ; 5U) L ’entrée d e P ie r re Bost d a n s l ’cq uip ç
concilie to u t le m onde.
(2) L e Diable, ail Corps. A l a Radio, a u co u rs d ’u n e ém iss io n d ’A ndré P a r ïn a u d consacrée
à R adiguet, C laude A u ta n t-L a ra d é c la ra it en su b sta n c e : Ce qu i m ’a a m ené à fa ire u n f i l n f
d ’a p rès « L e Diable an Corps », c’est que j ’a i ou là u n ro m a n contre la guerre.
A la m êm e ém ission, F ra n c is P oulenc, a m i de R ad iguet, d i s a it n ’a v o ir vieil r e tro u v e d u liv re
eh v o y an t le fllm.
(3) Au p r o d u c te u r éventuel du « J o u r n a l d ’un Curé de C am pagne », q u i s’é to n n a it d e v o ir
dans l ’a d a p t a t i o n d is p a ra îtr e le p e rso n n ag e d u D octeur D elbendc, Jean' A urenche (lequel eut
signé la m ise en scelle) réx>ondit : « Peut-être que, d a n s d i x ans, u n scénariste p ou rra conserver
u n p e rso n n ag e q u i m eu r t à la m o itié d u f i l m , q u a n t à m o i, je ne m ’en s m s pas capable ».
T rois a n s p lu s t a r d , R o b e rt B resson co n s e rv a it le D o cteur D elbende et le la i s s a it m o u r ir à la
nioitic du film.
(4) A urenche et Bost n ’o n t j a m a i s d it q u ’i l s é ta ie n t <s fidèles ». Cc sont les critiq u e s.
(5) L e Blé en Herbe. Le ro m a n de Colette éta it a d a p té d e p u is 19*16, C laude A u ta n t- L a r a
accusa Roijer L e e n h a rd t d ’a v o ir avec L es D ernières Vacances p lag ié « Le Blé en H erb e » de
Colette; L ’arbitrage, d e M aurice Garçon d o n n a t o r t à C laude A u ta n t-L a ra . Avec A uren ch e et Bost
l ’-mtrigue "imaginée p a r Colette s’éta it e n ric h ie d ’u n n o u v eau perso n n ag e , celu i de Diek, une
lésbien ne q u i v iv a it avec la « D am é b lan ch e ». Ce p e rso n n ag e l u t s u p p r im é q u elq u es sem aines
a v a n t le to u rn a g e du fllm p a r Mme G h isla in e A u boin, q u i « re v o y ait » l ’a d a p ta tio n avec
Claude A u ta n t-L a ra ; -
- (6) Les perso n n ag e s d ’Aurenche et Bost p a r le n t v o lo n tie rs p a r m axim es. Quelques exem ples /:
ï L a S y m p h o n i e Pastorale : « A h î Dès e n fa n ts co m m e ça il v a u d r a it m i e u x q u ’ils ne so ient
pas nés », — « T out te m o n d e n ’a pa s la chance d ’être aveugle ». — « Une i n f i r m e c’est
quclqii’i i n ' q u i f a i t s e m b la n t d ’être co m m e to nt le m o n d e >>:
L é D iable au Corps (Un so ld a t a p e r d u u n e jam b e ) i « — C’est p eu t-être le d e rn ie r blessé » -4-
« Ça lu i f a i t une belle ja m b e ».
Jeu x i n t e r d i t s : F ra n c is : Q u ’est-ce que ça v e u t d ire : la charrue d eva n t les b œ u f s . —
B erthe : Ben, c’est ce q u ’on fa it (iis f o n t l ’a m o u r ). —■ F ra n c is : Je s a v a is pa s que ça s ’app ela it
co m m e ça.
(7) J e a n Aurcnchc éta it de l ’éq uipe des D a m es du B ois de B oulogne, m a is il d u t q u itte r
B resson p o u r ’ in c o m p a tib ilité d ’in s p ir a tio n .
(8) Un e x tr a it des d ialogues d ’A urenche et Bost p o u r Jeanne d ’A rc a été p u b lié d a n s là
R evue d u C i n é m a (n° 8, page 9).
(9) En fa it, le nSali.rme psychologique s’est créé p a r a llè le m e n t au ré a lis m e poétique avec le
ta n d e m S p a ak -F ey d er. Il f a u d r a b ien, u n j o u r , o u v r ir u n e u ltim e q u ere lle F ey d er, a v a n t que
celui-ci ne tom be d éfinitivem ent d a u s l ’o u b l i .

Ce c o r b illa rd , cher à nos troii n o m b re u x cinéastes a m a te u r s d ’en terre m en ts,


ne v ie n t p a s d ’un de leurs films... m a is de Miracle à M ilan, ca r c e rta in s
Italiens, eux aiissi... m a is ce s e ra it u n e a u tr e h isto ire.

29
A nouk Aimée et A la in Çuny d a n s A d riem te M esurât, ém iss io n d e télé v is io n de M arcel L ’H erbier
d ’a p r è s le ro m a n de J u l i e n Greeh.

TELE-SHAW

p a r M a rc e l L 'H e rb ie r ‘

(A p r o p o s d e « P y g m a l i o n »)

J ’a v a is rassem blé, il y a deux mois, quelques notes p rises en re g a rd a n t sur mon


poste de* T.V. une émission que P ie rre . V iallet a v a it consacrée à l’œ uvre fam euse de
G-.B. Shaw : « Pygm alion ». Ces notes d ev aien t p a ra ître ici. U ne transm ission m al assurée
en a re ta rd é la “publication. E lles v o n t v o ir le jo u r tro is mois, p lu s 'ta rd , à un m om ent où
j ’au rais sans doute grand in té rê t à ce qu’elles re s te n t dans l’ombre. Car, en tre temps,
j ’ai moi-même, pour mes débu ts de « créateu r d ’émissions », réalisé à la T.V. l'adm irable
« A drienne M esu rât » de Ju lie n G reen ! Ainsi, depuis le 5 décem bre où j ’ai fran ch i

30
l’é tro it e t vaseux Rubiçon qui sépare le critiq u e du critiquable, je me trou ve exposé à
reto u rn er contre moi-même les sévérités, d’ordre général ou particulier, que j ’avais eu
au p arav an t l’av a n tag e d’infliger sans risques à un au tre ! .; -
M a position est, de ce fa it, mal commode... E t p o u rtan t, à b ie n r réfléchir, - il me
semble que ce que je dis plus loin du « P ygm alion » de V ia lle t ne s a u ra it s’appliquer,
sans retouches positives ou négatives, à 1’ « A drienne M esurât » de M arcel L ’H erbier.
E t, sans doute, si je donnais dans l’autocritiqu e, je devrais être plus sévère à. mon
égard (ce qui ne v e u t pas dire plus ju ste) que je ne l ’ai été envers le ré alisateu r de
Sliaw. Je d evrais a v a n t to u t te n ir scrupuleusem ent compte de la distance, chiffrée au
fond de mon jugem ent, qui sépare ce que j ’ai te n té de rep résen ter et ce que les im pe­
d im enta techniques, ou les autres, m ’o n t perm is finalem ent de fa ire passer sur le tube.
Mais je devrais su rto u t rappeler, et cela en prem ier, que mon dessein in itia l n ’é ta it
en rien com parable â l ’am bition de V iallet. I l a te n té d’offrir l’équivalent « télév isu el »
d’une pièce de th é â tre , c’est-à-dire d ’une œ uvre, p a r’ définition, o b je t de spectacle. J e me
suis « atta q u é » (m ais le chef-d’eeuvre de G reen est de ta ille à se défendre) à la mise
en im ages p a rla n te s d’un récit litté ra ire q u ’eut tra h i to u te th é â tra lisa tio n ; ma te n ta tiv e
ab o u tissa n t à ce que j ’a i nommé (pour situ e r m a recherche) la p résen tatio n d ’un « télé-
rom an ».
Au reste, depuis cette h arassan te perform ance, qui marque mes débu ts du 5 décembre,
de nom breux e t excellents critiq u es o n t défini, de la riv e droite du Kubicon, -ce qu'ils
o n t aperçu dans mon « A drienne » de l’a u tre rive.
Qu’ils aie n t été unanim em ent sensibles au respect de l’œ uvre originaire, aux in n o ­
v ations n i th é â tra le s n i ciném atographiques d o n t j ’ai usé pour re s titu e r .aux téléspec­
ta te u rs la plénitude du rom an ; enfin à la qualité, surprenante pour moi-même, d ’une
in te rp ré ta tio n que l'élan du je u en « d ire c t », c’est-à-dire affranchi des inversions, des
syncopes du film, comme des e n tra c te s d u th é â tre , a m iraculeusem ent p ortée au sommet
d'elle-même, — cela n ’empêche pas que j'a u ra is bien des choses à a jo u te r/ que les
critiques n 'o n t pas dites,' sur les ré s u lta ts artistiq u e s e t su rtou t techniques •de cette
prem ière e t redoutable épreuve.

A no u k Aimée d a n s A d rie n n e M esurai, ém issio n télévisée de Marcel L ’I Ie rb ie r


d 'a p r è s le r o m a n de J u lie n Green.

31
II arriv e ra p eu t-être que je le fasse "bientôt, car les progrès de la T.V. sont au p rix
de la mise en lum ière des ré s u lta ts d ’une telle expérience. M ais je ne sau rais le fa ire,
alors, sans te n ir compte des réflexions qui me sont d éjà venues à l’e sp rit en re g a rd a n t
la rep résen tatio n , su r p e tit écran, du gran d « F ygm alion » de B ern ard Shaw.
C’e st pourquoi, comme une m ise en place de la question, je liv re aujo u rd ’hui à nos
lecteurs les réflexions que voici. ' -

ir
« P ygm alion » e st une pièce am biguë, v ertu eu sem en t ex c ita n te, où les graves p ro ­
blèm es du langage, te ls que B rice P a rra in e t M aurice B lanchot les en ten d en t (pensons
au « P arad o x e d’A y tré »), e n tre n t de b iais dans la danse scénique e t fo n t d é tein d re
sur les situ atio n s exploitées une nuance de p erversion sentim entale.
M ais c e tte pièce à deux sens que J e a n M arais in s c rit à son p rem ier program m e
d irecto rial e t qu’eu t aim ée le M istra l du M o t d’Or : « qui tie n t sa langue tie n t la clé
qui, de soi-même, le délivre », est, aussi, devenue un film. U n film auquel A nthony A sq u ith
d oit une gloire, p a rta g ée au générique avec L eslie H ow ard, et en im ages avec W endy
H iller, une gloire qui ne lu i est, jam ais depuis, revenue to u t entière.
'Enfin, d ern ière m étam orphose, d ’après une a d a p ta tio n concise, écrite en collab o ratio n
avec Jacq u es Chabannes, P ie rre V iallet, tech n icien de l’électronique, a b â ti récem m ent
une grande émission, — doit-on dire un big-show, — qui f u t publiquem ent diffusée
p ar la T élévision P ra n çaise sous le titr e de <c P ygm alion ».
C ette cascade d’a v a ta rs subis p ar l’aim able « je u » des m ots dû au cher G.B.S.
risque de susciter un monde de conclusions divergentes.
P our les concilier, il s e ra it tro p simple de s’en te n ir à celle qui v ie n t d’ab o rd à
l ’esprit : que le film ne v a u t pas la pièce. N i l’émission, le film. E t, à fortiori, la pièce.
D’où cette conséquence élém entaire que si le ciném atographe e st d é g rad atio n de
la litté ra tu re (ou de la d ra m a tu rg ie ), la T élévision est d ég rad atio n de la d ég ra d atio n
ciném atographique.
E t sans -doute c e tte conclusion com blerait ceux qui s’en tien n en t, selon Chris
M ark er ou Sam G o ld w y n ,"à la récente conception H ollyw odienne des ra p p o rts e n tre
Ciném a e t T.V,, ceux qui se p la ise n t à penser que b ie n tô t la T.V., victorieuse m ais
vulgaire, « d ev ien d ra le mass-m edium », ta n d is que le ciném a, à m i-pente de la d é g ra ­
d atio n des données qu’il utilise, re la ie ra le th é â tre là où il trio m p h a it nagvière, e t le
c o n train d ra à se ré fu g ier — comme fit la p e in tu ré d e v a n t la photographie — dan s les
zones im prenables de son essence propre, de sa pure « co n g én ialité ».
M ais c e tte vue, facilem en t cavalière, pourra-t-elle convaincre quelqu’un d ’a u tre
qu’A lb ert T h ib au d et qui l’a lancée il y a belle lu re tte dans le commerce des idées.
I l fa u t en d outer. E t, p a r conséquent, chercher plus loin.
Si l ’on ne considère de l’A r t dram atiq u e que ce qui form e son T résor, on ne v o it
pas quel film y p u is e ra it sans le dégrader. E ncore m oins quel téléspectacle n ’a v ilira it
pas, s’il l’utilise, l’un des chefs-d’œ uvre du musée th é â tra l.
Shakespeare ou R acine, m ais to u t a u ta n t les G-recs ou Calderon, M usset, Ibsen,
T chekov pu K le ist, — nous cito ns au h asard , — ne p eu v en t m anquer, du h a u t de le u r
ciel ou du fond de leu r enfer, de te n ir pour tra h iso n to u te trad u ctio n , en v aleu r de
films ou d ’ondes, de ce qu ’ils o n t créé en term es de th é â tre .
E t, (Tailleurs, ce n ’est p as a u x in itié s des « Cahiers du Cinéma » que l’on p o u rra it
fa ire pren d re les vessies d ’H am let-film pour des la n te rn e s Shakespeariennes. Que L aurence
O livier yj m éd ite su r l’ê tre et le non-être d e v a n t les vagues d’une vraie m er, n ’ajo u te
rien, qu’une v u lg a risa tio n physique à ce qui est, dans les m ots, e sp rit pur, langage pur.
P a r co n tre la rig u e u r du problèm e s’infléchit, ses données s’in v ersen t, quand il
s'a g it d’un autre th é â tre , d 'autres pièces. P a u t-il in siste r ? Chacun sa it ce que le ciném a,
p a rfo is le ciném atographe, o n t f a it de pièces qui so n t sim plem ent bonnes : « L es
P a re n ts Terribles », « Le T ram w ay Nommé D ésir », « L a M o rt du Commis V oyageur »,
voire « L à Corde ». Y a-t-il, dan s ces cas p articu liers, d é g rad atio n du th é â tre ?. C ertain e­
m ent non. P rom otion de l’A rt du film ? C ertain em en t oui. E t dans « S talag 17 » bien
plus encore.

32
Le ciném atographe n ’abaisse donc pas automatiquement to u t ce qu’il touche ; et
pourvu qu’il ne se je tte pas inconsidérém ent su r les jo y au x de l’e sp rit b rilla n t aux plus
h a u ts étalages du th é â tre ou du rom an, il a le pouvoir m agique d ’infliger au x su jets
q u ’il choisit à sa p o rtée un tra ite m e n t si fla tte u r qu’il les enrichit, e t p arfo is les
sublim ise. , .
D ans c ette perspective comment situ e r Pygm alion-film , au reg ard de Pygm alion-
pièce ? E t comment, p a r ra p p o rt aux précédents, situ e r le Fygm alion-des-ondes d ont
nous parlons ?
E h "bien, il fa u t le dire : h é ritie r d’Oscar W ilde, G-.B.S. n ’égale, en génie dram atique,
n i Shakespeare, ni les a u tres dieux du th é â tre . « César e t Cléopâtre » n ’e st pas « A ntoine
e t C léopâtre », n i « C andida », « B érénice », n i « A ndroclès », « P o ly eu cte », n i « Pyg-
m al ion », « H am let »,
A près c ette réserve, rien d ’éto n n an t que le film, m algré ses faiblesses in term itten tes,
p arv ien n e à surclasser une pièce que. Shaw lui-même a tr a ité e de « pièce populaire ».
Qu’il a rriv e même à la transcender. U n a r t ici éclipse l’au tre. I l lu i ap p o rte l’espace. Le
gratifie du tem ps. L e frappe, du même coup, de m ort. Donc de pérénnité. T o u t ce que la
scène est au présent, le film l ’e st au passé. L a v ie n ’y a plus prise. A v an tag e immense,
m assif, qui s ’a ss o rtit p o u rta n t d’une, co n tre p a rtie au bénéfice du th é â tre où règne, on le
sa it, la v e rtu du « se fa is a n t », du « p ris su r le v if », de l ’in s ta n t d ram atiq u e vécu,
ra v i au Temps avec sa « fleur »... ; '
M ais, en fa it, grâce à to u tes sortes de m agies, de v e rtu s génériques, de réussites
irretro u v ab les d ’in te rp ré ta tio n (L eslie H o w a r d , W endy H ille r o n t d is p a ru ), « Fyg-
m alion » - film se classe ■ fo rt au-dessus de « P ygm alion » - pièce. Qu’il la rajeu n isse en
p a rtie , puisqu’il d a te de 1938, — elle, de 1912, — n ’e st p as ce qui com pte ici. Ce qui
com pte c’e st qu’inco n testab lem en t le film l’em porte en puissance d ’envoûtem ent, va
plus loin, pèse plus lourd, e t finalem ent p rév au t.
Si le ciném atographe n ’est pas, en l’occurrence, d ég rad atio n du th é â tre, qu’est, en
face de l ’un et de l’au tre, la to u te jeune T élévision 7
L ’ém ission de P ie rre V iallet, — si p récaire dans ses m oyens, si provisoire d an s ses
ré su lta ts, m ais si considérable dans ses in ten tio n s, — p eu t nous renseigner d éjà. Evoquons-la,,
E lle se b asait, je l’ai rappelé, sur une a d a p ta tio n excessivem ent concise de la pièce

Cecil A ub ry dans P yg m a lio n , ém issio n d e té lé v is io n de P ie rre V iallet,


d ’a p rè s la pièce de B e rn a rd S haw .

33
3
Ceci 1. A u b ry et D aniel L ecou rto is d a n s P iigm alion, é m iss io n de télévision
de P ie rre V iallet, d 'a p r è s la pièce de B e rn a r d Sliaw.

de Shaw. 642 répliques contre 1.030. C ette réduction, .obligatoire nous dit-on, de la d ia ­
lectique th é â tra le (les yeux des té lésp ec ta te u rs se fa tig u e n t v ite ) s’accom pagnait, hélas,
d’une tran sp o sitio n m oins in é v ita b le : l’actio n ne se situ a it plus à L ondres, il y a q u a ­
ra n te ans. E lle é ta it à P aris, de nos jo u rs (comme dans la m édiocre tra d u c tio n H am o n ).
Cela nous fa is a it sau ter dangereusem ent de l ’époque (1912) où « ne touchez p as à la
gram m aire » a v a it un sens, à l’époque (1953) où l ’on p réfère s’en te n ir à « ne touchez;
p a s au g risb i », T ossé sérieux pour une apologie de la phonétique. D ernière épreuve pour
le réa lisa te u r : des in terp rètes, quelques-uns excellents, m a is si peu f a its p our leiur
rôle que, n i de près n i de loin, on ne p o u v ait les com parer, je ne dis pas au x trio m p h a ­
te u rs du film, m ais aux acteu rs qu’e u t exigés une re p rése n ta tio n moyenne de la pièce.
V oilà "bien des handicaps. M ais négligeons-les ou p lu tô t tenons-les pour le f r u it
de co n tra in tes passagères, sem blables à celles que le ciném a co n n u t ju sq u ’en 1910 où.
L ’Assom?noir a v a it 800 m ètres e t L es M ystères de Paris, 1.500 (ils en a u ro n t p lu s de
5.000 en i£l43) e t où l’acteu r d ’écran n ’e x ista it pas encore.
Venons-en à l ’essentiel : le tra v a il, les procédés, la tech n iq u e du c ré a te u r d ’ém is­
sions ; en un mot, l’affirm ation ou la prom esse dé son style.
D e quel langage « télévisuel » se se rt P ie rre V ia lle t ? H use résolum ent, — à
l'exem ple de B ern ard E eclit, de B arm a, Cazeneuve, G illes M a rg a ritis e t des m e illeu rs
spécialistes, — d’un bilinguism e Télé-Ciné, que j ’a i v a n té d éjà, que j ’ai p ra tiq u é sou­
vent, e t qui rep résen té au jo u rd ’hui, dans ce genre de spectacle, une id io sy n crasie du.
(v irtu el) 9“ A rt.
A insi V iallet ouvre son « Télé-Shaw » sur un fra g m e n t de film (e n re g istré en.
35 m /m ) qu’il passe au téléciném a. B rève séquence où il nous m ontre, dans une rue,
la n u it, d e v a n t un th é â tre , l ’amorce de la scène qui, — pièce ou film, — se passe à
C ovent G arden, e t qui d écrit la ren co n tre in itia le ' du P ro fesseu r de phonétiq u e, H ig g in s,
e t de la fleuriste au m au v ais parler. P u is V iallet enchaîne savam m ent en « d ire c t »
sur le p la te a u de la ru e Cognacq-Jay, d o n t le décor e st un h all de th é â tre qui a b rite la.
suite de la même séquence, avec n atu rellem en t les mêmes acteurs.
TJn peu p lu s loin, pour m o n trer la bouquetière, chez H ïggins, plongée d an s le bain,
qu i la décrasse, V iallet, de nouveau, a u ra recours au ' ciném atographe. Puis, de n o u v e a u
encore, le « d ire c t » v iv a n t, th é â tra l, hasardeux, e t qui se déroule au p ré se n t, fe ra
succéder le la b o rato ire du P ro fesseu r à la b aignade filmée, fixée, incorrigible-, qui s’étaifc
déroulée pour ainsi d ire au passé.

34
Ju sq u 'au b out de son émission, . p ra tiq u a n t les mêmes alternances, avec une réelle
"habileté m anceuvrière, avec une g ran d e in tu itio n de la co ntexture secrète d ’un a rt qui
s’in v e n te chaque jour, P ie rre V ia lle t v a jongler sans cesse avec les notions, irré d u c­
tib le s e t sans doute ennem ies, de th é â tre et de cinéma. U san t de ces deux langages, aux
ra cin es contraires, qu’il modifie l’un p a r l’a u tre en les a rtic u la n t l’un sur l’au tre, il y a
n ous fournir, avec une réu ssite certes v ariab le, m ais une conviction sans d éfaillance,
u n exemple c a p tiv a n t des forces neuves, des séductions in édites e t du pouvoir am bi­
v a le n t que la T.V., a rt de synthèse, offre à l’ingéniosité des créateu rs qui sa v e n t la
■considérer au fu tu r. ' 1
P o u rta n t, il me f a u t l’avouer à re g re t, le « Pygm alion » télévisé dans les condi­
tio n s que j ’ai décrites n 'égale ni la pièce, n i, à plus fo rte raison, le film. E t cela tie n t,
d’abord, à ce que là T.V. (on l’ignore tro p ) e st m ieux disposée à tra d u ire les données
du ré c it rom anesque que les lignes de force de l’action d ram atique. De to u te m anière,
ce que c ette émission, p arm i d ’autres, a révélé de la T.V., nous prouve que, dem ain,
le « 9» A rt. », peut e t doit, n ’ê tre p as plus à la remorque, du th é â tre que du ciném a, m ais
fa ire triom pher une form e m ixte de spectacle, où le th é â tre gagne en prolongem ents
ce que le ciném a lu i ap p o rta it, où le ciném a puisse recouvrer ce que son im m u tab ilité
lu i re tira it, n o tam m en t l’ém otion, de la v ie vécue, risquée chaque soir, qui carac­
té ris e la perform ance th é â tra le . '
V oilà v e rs quoi progresse le b ilinguism e de la T.V. et, même si l ’on p réfère que
l a prem ière de ces langues so it le récit, il v a u t qu’on le considère avec atte n tio n .
P ouf fin ir sur un rêve, m ais qui précise bien le sens de ces quelques rem arques,
im aginons qu’un a u tre Leslie H ow ard, une a u tre W endy H iller se tro u v e n t p rê ts, p a r
m iracle, à in te rp ré te r de nouveau l’œ uvre de Shaw. Sous quelle form e souhaiterions-
nous qu’ils en in c a rn e n t les deux héros ?.. ' 1
Allons-nous désirer que ce so it la pièce seule qu’ils d écid en t de jo u er 7 L a pièce
d a n s la lim ite étro ite de ses cinq actes e t de ses m ilie répliques ? L a pièce avec son
Covent G arden de to ile e t l’absence fâcheuse de la réception chez la D uchesse *? Ou
b ien allons-nous p ré fé re r qu’ils to u rn en t, d ’après le scénario ciném atographique é c rit
p a r Shaw lui-même, un film nouveau, voisin p o u rta n t de celui d’A squith dans ses
prestig es e t dans ses m anques ; un film où le u r créatio n ne p a ra îtr a it to u jo u rs qu’au passé,
privée du saisissem ent irrem plaçable de la présence activ e de la scène ?
Ou bien rêverions-nous en fin que ce so it p a r les moyens conjugués d ’un a r t té léci­
ném atographique, élarg i ju sq u ’aux p erfectio n s techniques e t m atérielles qu’il nous la issé
p re sse n tir au jo u rd ’hui, que se déroule sous nos y eux un spectacle to tal, capable de
confondre en lui seul les v e rtu s de la pièce e t les v ertu s du film ?
la is s o n s ce rêve à qui v e u t rêver.,, M ais perm ettons-nous de sourire des lim itatio n s
que Charensol, après René Clair, v e u t im poser dès m ain te n a n t à la T.V. de dem ain.
E t disons qu’en nous m e tta n t ce rêve à l’esprit, l’émission même im p a rfa ite de
P ie rre V iallet a bien m érité de B ern ard Shaw, de la Télévision e t de ceux qui ne
v o ien t ce qui est que dans ce qui .sera.
MARCEL L ’H E R B IE E
LE CINEMASCOPE

M a rily n Monroe, Betty G rab le et L a u rc c n Bacall d a n s Hoiu to m a r y a m illio n n a ire , second film
' en C iném ascope.

Dans notre num éro 25 de Juillet 1953, nous avons déjà publié quelques
avis contradictoires sur le Cinémascope à la suite des projections expérimentales
du R e x . A u jo u rd ’h u i, après la présentation à Paris de La Tunique, voici
d ’autres avis.

M a u ric e S c h é r e r : V e r tu s c a r d i n a l e s d u C in é m a s c o p e

C’est, d’abord un point de médecine. En prisant les dernières banquettes,


la troupe des spectateurs, sacrifie à l ’hygiène, non à l’esthétique, si bien que
les « mordus » ont peine à convaincre l ’ouvreuse de les mener jusqu’aux premiers
rangs. J’aime que le spectacle m ’enveloppe, mais souffre d ’un trop proche
voisinage de la toile tremblottante. Ce n’est pas une des moindres raisons pour
lesquelles j’applaudis tout de suite au procédé-Chrétien,

Inquiets sont nombre de mes confrères de la .rupture des proportions de


l’image. Je ne répondrai pas qu’un tel format est familier aux peintres, non
moins que les anciennes mesures, boiteuses depuis Jâ-réduction de 1930. Ce
n’est pas en rognant une photographie de filin ;:qu’on donnera, à qui ne l’a
pas vu, une idée de l’écran panoramique. 11. ne s’agit pas d’une modification
du cadrage, mais des conditions de la vision.^J’irai plus loin, dirai que tout

36
ce qui déborde des limites anciennes, et passablement déformé par la pers­
pective, ne comprendra probablement rien, acteur, objet, élément même de
décor, que l’ancien écran ne nous eût montré. Ce que je reprochais au cadre
traditionnel, c’est qu’il nous obligeait à le bourrer (aussi ai-je toujours préférié
les objectifs à courte focale). Fi de cette tyrannie, de cet étau mesquin que
seuls les plus gi*ands cinéastes parvinrent, je ne sais pas par quelle magie, à
desserrer ! Le cinémascope introduit enfin dans notre art le seul élément
sensible qui lui échappât : l ’air, l ’éther divin des poètes.
Non, ce n’est pas exactement au relief que nous aspirons. Le procède
polaroïdal comprimerait plutôt l ’espace. Aussi ne puis-je le supporter. J’ai,
en revanche, constamment souhaité que la brutalité d’une invention technique
nous délivrât, une fois pour toutes, de la superstition de la belle image :
« Le cinéma c’est le gros plan muet » répondait à Jacques Doniol-Valcroze,
dans un rccent débat radiophonique un de nos critiques les plus chevronnés.
Il m’en coûte d’agiter des poncifs. Tout naïvement croyais-je que maintes dés
plus saines idées d’ « objectif 49 » dont les meilleures oeuvres, depuis lors,
sorties — américaines le plus souvent, hélas ! — ne cessent de vérifier la jus­
tesse, avaient fait, en France, leur chemin. Il y avait du cinémascope en

Ces d e u x im ages —- l*une en Ciném ascope, l 'a u tr e d a n s l ’a n cien f o r m a t — p r is e s p e n d a n t le


to u rn a g e de B ow. to m a r y a m illio n a ire , m o n tre n t, die fa ç o n assez .sournoise p u is q u e le cad rag e
p o u r l ’é c ra n sta n d a rd is é est absurde* ré la rg is s e m e n t d u c h a m p o b te n u avec l ’h y p e rg o n a r.

37
Une scène de L a T u n iq u e (The R ob e) d ’H e n r y K oster.

puissance dans la Règle du Jeu, les Am bersons cm La Corde. Mais non pas
seulement parce que ces films prônaient le plan long. La continuité cle l ’espace,
avant tout m’importe. Certains découpages pauvres en « numéros » la brisent,
d’autres morcelés à l’extrême, savent la conserver. Je ne sache pas que les effets
de montage soient désormais condamnés. Le nouveau procédé apporte phis qu’il
n ’ôte. Les raccords dans le mouvement, le passage d’un détail à la scène générale
s’opèirent non moins aisément.
Eloignant, loin de rapprocher, le cinémascope condamne-t-il une des plus
fameuses découvertes de l ’art de l ’écran ? Tout au plus rendrait-il vain ce qu’on
appelle le « style de gros plan » et, par là-même, faisant de lui exception
renforce dudit plan l’efficacité, comme aux beaux temps de Griffith. Quelle
différence entre théâtre et cinéma ? Que ce dernier, je veux bien, grossit l’acteur
à volonté. Encore faut-il que ce coup de loupe soit souhaité, consenti par le
spectateur. Je gage qu’en la plupart de nos films actuels, il n’en est que trop
rarement ainsi.
Mais où est le mal ? Certes l’écran large servira de préférence le « grand
spectacle ». Je fus moi-même trop ardent défenseur du cinéma intime pour
qu’on ne me taxe pas de parti-pris. Au contact de la nature, dé la grande Nature,
notre être intérieur se peut aussi bien révéler que dans le secret d’une cellule
monastique. Retour, dira-t-on, éternel retour, à la première esthétique. Murnau,
Griffith, Gance, sont jugés parfois extérieurs. Revoyez-les. Sont-ils moins pro­
fonds? En tout cas, la familiarité du ton de bien d’œuvres récentes m’excède. On
se lasse vite du naturel. Depuis quelque temps, je cherche plus de tenue, plus
d’ampleur dans le geste, plus de fresque, moins de miniature.
Art nouveau, dit-on, veut sujets nouveaux. Il est malséant de faire le
prophète. Simplement dirai-je que les films qui m’ont ravi n’auraient guère à
perdre — leur découpage conservé — à la nouvelle technique. Bien davantage
les médiocres. La T unique, certes, n’est pas de très bon exemple. Sans exiger
un chef-d’œuvre, j’eusse préféré quelque Niagara. La mise en scène d’Hathaway
jurait trouvé grâce à mes yeux ne serait-ce qu’en montrant, mieux encore

38 -
Une a u tr e scène de L a T u n iq u e où, f a i t r a r e d a n s ec film, les p o ss ib ilité s du Ciném ascope
sont lo giq uem en t exploitées.

qu’elle n’a fait, les fameuses cascades. Sur dix films que l’on prépare six,
dit-on, seront tournés presque entiers en extérieurs. Prenons l’air un moment ;
il sera toujours temps de nous cloîtrer ensuite.
Surtout réjouissons-nous que l’avènement du cinémascope entraîne celui,
définitif, de la couleur. Que de sophismes là encore ! Je ne parle pas de ceux
qui regrettent leurs chers éclairages ou non moins chers effets de contre-jour.
On prêchait pour une couleur expressive, entendez stylisée, schématisée. J’admets
qu’il soit besoin d’une sélection initiale de teintes —- curieusement choisies à
rebours dans La T u niq ue — mais, certaines précautions prises, les plus vives,
comme dans la nature, se côtoient sans aucun danger. Couleur expressive,
soit ; non pas jugée selon les critères du peintre. Je ne vois pas de meilleur
exemple que ce Niagara que je citais. La couleur y vit, y parle, bien qu’un
tantinet vulgaire. Mais ce criard laisse apparaître du neuf et excite mon esprit.
Reste à le tenir en bride. Il est faux que les Technicolors, Eastmans, ou autres
s’accommodent mieux des sujets fantastiques ou anciens. Ils découvrent dans
la vie moderne un chatoiement qu’oubliait notre œ il émoussé par cent ans de
bricolage photographique. J’aime beaucoup cette vue parisienne d’Ichae par
quoi commence le programme. La couleur renforce la croyance en la réalité,
XI n’est d’elle d’autre traitement que réaliste.
Cinéma donc privé de tous les prestiges dont le. paraient les esthètes.
Mais prestiges aussi médiocres que laids sont les mots qui les désignaient. Aussi-
bien ne parlera-t-on plus de cadrages mais de paysages ou de sites, non d’éclai­
rages mais de lumière. Tout le vocabulaire poétique nous sollicite d’entrer dans
nos articles. Oublions vite ces affreux ternies de métier.
Orgueil national, quel beau champ pour t’exercer ! L’invention, est nôtre.
Si nous n’avons su ou pu prendre les devants, il n’est que de rattraper le
retard. Dans les années. qui. vont suivre, moins de. films, dit-on, seront tournés.
A cèux-ci d'être pliis ambitieux, plus achevés. Plus facilement s’imposeront-ils
dans les salles étrangères équipées pour les recevoir. Par ce biais l’art français,

39
jadis dédaigné en Amérique, trouvera occasion de se faire connaître et, j’espère,
aimer.
\ Pierre Kast, mon vieil ennemi, dans le débat plus haut cité, prétendait con­
fondre avant-garde avec le seul désir de « démystifier », de saper je ne sais
, quel conformisme social. Pour ma part, je découvrirais plutôt dans les chefs-
œuvre de tout temps, un conservatisme sincère, voire ingénu. L’art, en son
fond respecte plus qu’il ne démolit ; mais la lorgnette où il nous presse de
regarder, nous la tend-il sans cesse par un bout nouveau. Le cinéma doit son
existence à une invention de technicien. Que la technique, donc, ait le premier
mot, s’il n ’est pas juste qu’elle garde Je dernier. Cet art court m ille fois plus
vite que les autres. Réjouissons-nous qu’il change au moment où nous n’étions
pas lassés encore de tous ses anciens aspects. C’est sa bouillante force inté­
rieure qu’il convient de servir, non de louches impératifs, d’ailleurs importés.

[ Ecartons les regrets oiseux. Si le cinéma, tel que vous le conceviez vous
paraît trahi, craignez que votre conception même ne vous apparaisse, un jour
Èorame une non moins grave trahison. Quant à ceux dont le fait nouveau
confirme si bien les idées, mauvaise grâce auraient-ils à ne pas chanter
triomphe. Le concept d’avant-garde nous a valu trop de mauvais films : j’ai
cru bon quelquefois de le mettre en question. Qu’on me permette aujourd’hui
de le prendre à mon compte et le charger de son vrai sens. Viendra vite le
temps d’autres querelles. En cette année m il neuf cent cinquante-quatre qui
commence, l ’avant-garde c’est A’abord le cinémascope.
M a u r ic e S c h e r e r

H e riria n G. W e i n b e r g : Ip so f a c to

La publicité de La T u n iq u e, annonce-fièrement : « Le spectacle miraculeux


qu’on peut voir sans lunettes » sans penser que depuis cinquante ans, les gens
voient les films sans lunettes.
« Le plus grand événement de l’Histoire du Cinéma » ajoute cette publicité,
oubliant l’événement infiniment plus important qui se produisit, il y a de cela
un quart de siècle, à savoir le passage du muet au parlant.
Pourquoi la projection d’un film sur écran panoramique lui conférerait-il,
automatiquement, une supériorité sur ce même film ou sur un axitre projeté sur
écran normal ? En Amérique, le nouveau est ipso facto supérieur à l’ancien
et le géant est. encore plus nécessairement supérieur. Cela fait partie de notre
philosophie de l’énorme. Dans la Nature, l’énorme est souvent anormal, ainsi
qu’en témoignent les mots d’Èléphantiasis ou de Gigantisme.
La T un iqu e est en elle-même une histoire pseudo-religieuse, tirée d’u.i
roman de troisième ordre, qui fait de la tunique portée par le Christ au Cal­
vaire, un absurde fétiche. N ’osant pas faire l’expérience initiale avec un sujet
profane, afin de minimiser toute critique possible de l’ouvrage et de la tech­
nique, la 20th Century Fox a « assuré » son premier film en Cinémascope
en l’entourant de l ’auréole du Christ. La présentation était du plus beau lyrique,
conçue dans le style du Cantique des Cantiques ou des Psaumes de David, alors
que le film lui-même est fait à seule fin d’émouvoir l ’hystérique pour qui un
acteur, levant les yeux au ciel sur l ’écran, devient une réincarnation de la
sainteté et un symbole suprême de l ’extase mystique. Mais La T u n iq u e n’a
aucune spiritualité. Etant donné le public des salles de cinéma aux Etats-Unis,
La T u n iq u e paraît devoir rapporter bon nombre de dollars aux exploitants,
mais son message est banal et n’a aucun rapport avec les problèmes spiri­
tuels d’aujourd’hui, comme cela se serait produit avec un bon film sur le
Christ. (C’est ici que nous manque Dreyer ou Gance !). C’est même une
oeuvre d’une spiritualité inférieure à celle du M illion que j ’ai revu l’autre jour
et qui reste délicieux. La Tunique prétend aussi, du moins sur l ’affiche, raconter
« la plus belle histoire d’amour et de foi que le monde ait connue » mais le
film chargé de ce message salutaire a été fait sans amour... aussi comment
pourrions-nous saisir ce message ?
H e r m a n G. W e i n b e r g {New Y o r k )

A l e x a n d r e A stru c : Le c in é m a t o t a l

« ...Le cinéma aura hérité de la peinture la notion de cadrage, comme


il aura emprunté à la musique son rythme et au roman son expression du
temps. Les techniques de l’art de l’écran sont nées et se sont développées en
marge de moyens d’expression millénaires dont, en définitive, elles sont les
héritières, beaucoup plus qu’elles ne sont des langages vraiment nouveaux.
Nos films ont pour scénarios les sujets des romans du xix° siècle, leurs images
empruntent leur construction aux lignes de la peinture classique et il n’est
pas jusqu’aux techniques d’éclairage qui ne doivent au Carravage ou à
Rembrandt... De tous ces éléments, le cadre est le seul qui soit resté longtemps
immuable.
De quoi s’agit-il exactement : techniquement, ce procédé vise à produire
sur le spectateur un plus grand effet en lui imposant une vision plus large et en
le plaçant à peu près dans l’axe central de la projection. Esthétiquement, il
revient à remplacer le tableau de chevalet par la fresque. La question est de
savoir si un univers dramatique reste possible dans ce format. La tension drama­
tique, dont l ’art de l ’écran est l’expression, ne risque-t-elle pas de disparaître
au profit d’éléments purement spectaculaires ?
Je crois en tant qu’auteur de films à l ’avenir de l ’écran large, car
je crois que la mise en scène est un moyen d’expression total. Les peintres
vénitiens de Tïntoret à Véronèse, de même que le Carravage et Vêlas quez
nous donnent l’exemple d’un art baroque qui ne se refuse aucun des pres­
tiges de la pompe ni aucun des effets de la puissance, sans cesser pour cela
d’être prodigieusement rattaché à l ’humain. Comment ne pas concevoir
par exemple que l ’univers de Shakespeare, univers de laves en fusion et de
forêts en délire, soit particulièrement à sa place dans ce cadre qui doit
permettre à la tragédie et au lyrisme de faire à leur tour leur intrusion sur
la surface glacée des écrans ? Comment ne pas comprendre que l’écran large
ajoutera aux ressources actuelles du cinéma celles d’un art tragique ou lyrique
d’une efficacité inouïe, où la peinture, la musique et le théâtre pourront
multiplier leurs recherches les unes par les autres et permettre aussi bien
Wagner que Shakespeare ou Dostoïevsky ?

41
4
L’histoire de la peinture occidentale, quelque soit le format sur lequel elle a
écrit ses œuvres, nous apprend qu’elle n’a jamais cessé d’être ce que le cinéma est
devenu à son tour : un art de mise en scène. L’art du portrait correspond au
roman, et celui-ci se retrouve dans le cinéma classique. Mais le portrait n ’est pas
le seul genre pictural, comme il n’est pas non plus le seul genre littéraire ou ciné­
matographique. La tragédie, le roman dostoïevskien ou le drame shakespearien
nous offrent de l’homme une image démultipliée mais tout aussi profonde. De
Macbeth aux frères Karamazov se poursuit une certaine notion de l ’œuvre
d ’art, ou la création artistique devient celle d’un univers tout entier, un
univers de fantômes et de rêves, surgis des profondeurs des ténèbres pour
s’imposer à tous dans des clairs obscurs hallucinés de Rembrandt, dans l’ivresse
d’un Tintoret, ou au son des douloureuses trompettes de la 5e Symphonie... »

A lexandre A struc
(E xtrait d u n u m é r o de d écem bre du J a b d i n d e s M o d e s ) .

J a c q u e s D o n io l-V a lc ro z e : O p é r a t i o n C h r é tie n

Les rapprochements entre l ’élargissement « cinémascopique » de l’écran


et certains formats de tableaux de maîtres (cf. les propos d’Astruc) me paraissent
séduisants mais périlleux. Il ne faut pas confondre le signe et la chose signi­
fiée. Si l ’océan semblé s’accommoder du format « marine » et le portrait de la
hauteur on peut faire des marines en hauteur (mats, voiles, tout cela « monte »)
et des portraits en long (« L’Olympia » de Manet ou son « Chasseur de fauves »).
Ce qui est arbitraire c’est la condamnation du cinéaste à un seul format, l ’ancien
ou le nouveau.
Ce dernier a du moins l ’avantage d’être... nouveau et, pàrtant, un
stimulant pour la verve créatrice. Le cinéma ne serait pas mort demain si le
cinérama ou le cinémascope n ’étaient arrivés aujourd’hui, car l ’écran large
inventé il y a belle lurette a failli déjà être exploité à la veille du parlant.
L’opération « Cinémascope 1953 » n’est qu’un épisode d’une contre-attaque
commerciale qui prendra sa valeur dans la mesure où elle permettra au cinéma
de se survivre en dépit de la Télévision. Se dresser contre le procédé ou s’enthou­
siasmer pour dans la seule perspective de cette contre-attaque me paraît parti­
ciper d’une même naïveté. Que, par contre, des auteurs de films placés soudain
devant le fait de cette apparition (dans laquelle à part un Gance, un Autant-Lara
et quelques autres, ils ne sont pour rien) s’élèvent au-dessus du plan marchand
et se passionnent pour les possibilités nouvelles de mise en scène qui surgissent
ainsi, cela est à la fois logique et réconfortant. Le cinéma ne serait pas avant
tout une industrie avec ce que cela comporte d’interdits et de servitudes
que l ’apparition du cinémascope serait sans importance... ou plutôt qu’il y aurait
longtemps que le réalisateur choisirait à sa guise la proportion de ses images,
comme le peintre décide du format de sa toile et le romancier du nombre de
pages de son récit. Mais dans l ’enchaînement commercial de la création ciné­
matographique, la moindre technique nouvelle donne soudain un temps de
répit : pour la durée d’une mise au point l’audace et l ’invention redeviennent
licites et il y a lieu de penser qu’après les obligatoires errements du début, l ’écran

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large sera l’occasion bienheureuse d’une nouvelle jeunesse des structures du film.
Plus tard le problème se reposera pratiquement dans les mêmes termes, mais
nous n’en sommes pas là et cette mue, si elle ne conduit pas à une encore plus
grande concentration industrielle stérilisante au détriment des entreprises indé­
pendantes doit être considérée comme un événement faste. A condition toute-
fois de reconsidérer en mcme temps un autre problème, aussi important en soi
que le format de l’écran : celui de la couleur.
J a c q u e s D o n i o l -V a l c r o z e

A n d r é B azin : Fin d u m o n t a g e

J’étais enthousiaste du Cinémascope à la suite des projections expérimen­


tales organisées durant l’été à Paris et à Venise. D’abord pour des raisons
théoriques. L’écran étroit traditionnel est un accident contre lequel se sont
plus ou moins élevés la plupart des grands cinéastes. Si le son n’était pas venu
alors polariser l ’intérêt du public, il est très vraisemblable que Napoléon et
Construire u n feu auraient révolutionné le Cinéma depuis 1927.
Mais peut-être les temps n’étaient-il s pas venus ! Abel Gance utilisait
moins son triple écran comme une extension du champ visuel, que pour mul­
tiplier dans l ’espace les effets du montage, et l’intérêt que je vois au contraire
aujourd’hui dans l’écran large, c’est qu’après, et mieux que la profondeur de
champ, il vient détruire définitivement le montage comme élément majeur du
discours cinématographique. Le montage dans lequel on a voulu voir à tort
l ’essence du cinéma est en effet relatif à l ’exiguïté de l ’image classique
condamnant le metteur en scène au morcellement de la réalité. De ce point de
vue, le Cinémascope s’inscrit dans la suite logique de l’évolution du Cinéma
depuis 15 ans, de La Règle du Jeu aux Plus belles Années de notre Vie, de
Citizen ICane à Europe 51.
Mais il me faut bien avouer que la vision de La T u niq ue a porté un rude
coup à cet enthousiasme théorique. Compte non tenu même de l ’exceptionnelle
platitude du scénario et de la mise en scène il demeure que certains défauts
optiques constituent une inquiétante régression sur la qualité à quoi était par­
venue l ’image cinématographique. Devrions-nous renoncer désormais à l ’image
piquée et aux couleurs franches et opaques ? Mais admettons que ces défauts
puissent être corrigés (ce dont j’aimerais être assuré), il importe encore d’être
certain que l’hypergonar puisse être adapté aux principales optiques, car sinon
l’élargissement de l’angle de prise de vue serait illusoire et l’on obtiendrait
effectivement le même résultat avec un grand angulaire et une projection
« panoramique ». J’ai posé à Cannes la question au professeur Chrétien sans
en obtenir une réponse bien nette. En sorte qu’il est permis de se demander
jusqu’à plus ample informé si le compte profits et pertes, esthétique du Ciné­
mascope n’est pas déficitaire. H est vrai qu’il faudra pour en juger attendre
une autre démonstration que celle de La Tunique. Rêvons en attendant mieux
à ce qu’aurait été Le Salaire de la Peur sur écran large en stéréophonie.

A n d r é R a z in

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M ichel D o r s d a y : A llefuia

Intéressé, passionné même par les essais montrés an Rex, mais discutant
(cadre, proportions et tout ce que vous imaginez — chez tout le m onde),
interrogeant, anxieux, je change d’avis? je ne discute plus. C’est indiscutable.
Le cinémascope est né. H n’appartient déjà plus aux marchands, il nous appar­
tient. H ne se contente pas de reprendre les leçons des renaissances italiennes
et flamandes, bienheureux enfant il assimile tout de suite toutes les autres : les
grands films muets étaient virtuellement parlants ; les grands films de naguère,
d’hier, étaient virtuellement en cinémascope. Car ils avaient, car ils ont l’espace
pour eux, le vaste espace du vaste inonde, première libération vers le total.
Le cinémascope est shakespearien, claudelien. Pour la première fois, j’imagine
les journées du Soulier de Satin. Au bout du bras qui se tend, il fait du poing
de l’homme qui s’ouvre sur l ’écran, le coquillage merveilleux d’où s’échappe
le monde qui s’étend, qui s’étend, en largeur, je le poursuis mais ma poursuite
n’a pas de fin, je cours, je cours, et je ne regarde pas au-dessus de ma tête, je
n’ai pas le temps, il n’y a rien d’ailleurs au'dessus de ma tête, si ce ne sont
d’inconstantes nébuleuses et celles-ci sont fort bien aux cintres de salles de
cinéma.
Cette poursuite inlassable obligera à de constantes découvertes. Elle relé­
guera bon nombre qui parlaient pour ne rien dire. Les autres n’ont rien à
craindre, même s’ils ne sont pas encore conquis, car le cinémascope est leur
invention. Ils ont mis vingt ans d’art à l ’inventer (depuis qu’il est découvert
mécaniquement, pour l’armée !) Henri Chrétien n’a pas le droit de protester,
sa lentille (il n’a jamais trouvé que le truc d’une lentille après tout) n’aurait
servi à rien il y a vingt ans. Renoir, Ophüls, Hitchcock ont plus fait pour le
cinémascope que lui. Qu’il se contente d’avoir été un prophète : cela suffira à
sa gloire, ce n’est pas si fréquent.
Et les arguments de ceux qui sont contre ? Comprends pas. (Si ce ne sont
les techniques, mais là toiit est possible : dans la lutte contre la nature, qui
triomphe ? Même au prix du temps.) Tenez, V exemple : le gros plan dont ils
annonçaient la mort, pour la première fois s’authentifie. Qu’était-il jusqu’à
présent ? L’écran tout entier mangé par un microcosme qui se substituait tota­
lement au monde. Maintenant il s’identifie comme une réalité plus précise, plus
délimitée dans ce monde qu’on n’a plus besoin de dérober aux regards. On
l ’isole de la matière, on ne l ’isole plus des nébuleuses. Nébuleuses, matière,
l’homme refait toujours plus ou moins inconsciemment le cycle de la création.
C’est bien relle-là qu’il s’agit de définir. On ne peut cependant pas dire que
La T unique, puisqu’il faut en toucher un mot à cause des ricanements,
soit du plus fin pinceau des enlumineurs, mais c’est d’un curieux élan. Et
pourquoi bouder puisqu’il y a là, c’est certain, une conception, peut-être fausse
mais si soutenue par tant de croyances, du sacré, et puisqu’au m ilieu souvent
du manque de goût, il y a l ’accent brusquement qui touche, naïf peut-être, mais
vrai, qui veut dire (trop quelquefois ; le bout de l’oreille des intentions le&
moins pures, passons). J’écris cela quelques jours avant Noël ; Noël c’est bien

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connu, c’est triste, triste à crever, triste parce qu’on est seul, ce jour-là comme
d’habitude et plus. On est toujours tout seul, comme le grain de poussière
de lumière au m ilieu de l ’univers cinémascopique, seul mais vous qui — 1953 :
D é c o u v e r t e — 1954 : P r e m i è r e a n n é e — vous qui allez avoir la chance de
pétrir de nouvelles formes grâce à une petite lentille de rien du tout, ne
boudez pas votre plaisir, le cinémascope est né. Alléluia ! Alléluia !

M i c h e l D orsday

J a c q u e s R iv et t e : L 'A ge d e s m e t t e u r s e n s c è n e

Comment peut-on être Persan ? ou encore, comment accepter le Ciné­


mascope ? Tel est bien le sentiment que ne me donne pas seulement le refus,
mais la moindre réserve. L’hypergonar aura à tout le moins ce premier avan­
tage : avoir enfin tracé une frontière précise entre deux écoles, davantage,
deux idées du cinéma, deux modes fondamentalement opposés et irréductibles
de l’aimer et le comprendre. le ne vois qu’une différence, mais d’importance :
il ne s’agit plus de géographie, mais d’histoire ; tant d’atermoiements seront
vite balayés, avant d’aller rejoindre les nostalgies du silence, les regrets du
blanc-et-noir — et leurs auteurs avec, s’ils n’y prennent garde.
Disons-le tout net : l’apparition du cinémascope est un fait d’une autre
importance que celle du parlant, sur le plan esthétique s’entend : car le
parlant ne faisait enfin que confirmer un fait acquis, pallier une infirmité,
prouver la vérité de Griffith, Murnau, Stroheim contre, disons, Chaplin ou
Eisenstein. Il faut être bien gourd pour ne pas avoir la mémoire obsédée par le
timbre vif et clair de Lillian Gisli, les intonations savantes dont Lil Dagover
nuançait ses esquives devant Tartuffe, les cris étranglés de Fay Wray ; aux
brillants causeurs du Lady W inderm ere de Lubitsch, il ne manquait que la
parole, pas même, la voix.
Bien plus donc que sur le coup d’état du parlant, l’histoire du cinéma me
semble toute entière s’infléchir sur l’infiltration irrésistible de la couleur ; de
ce long progrès, le cinémascope est d’abord le couronnement et la consécra­
tion ; l’un et l’autre vont désormais de pair, ils ont même but. Je ne veux
prétendre l’énoncer en quelques mots ; mais ce n’est plus enfin du fantôme
des choses que le cinéaste doit tirer matière, mais de leurs apparences les
plus vives et choquantes, il lui faut composer avec ce qu’il y a en elles de plus
concret, de plus pesant, et s’il prétend, toujours uniques, les entraîner vers
l ’abstrait, ce ne sera aux dépens de l’individuel et du singulier ; c’en est fait,
semble-t-il, de toute velléité d’algèbre syntaxique ou romanesque et, n’en
déplaise aux pédants, le cinéma n’est décidément pas un langage.
N ’en déplaise encore à beaucoup, je ne puis éprouver devant l ’écran du
cinémascope quelque regret de l’ancien écran, ni avoir même pour celui-ci
là moindre pensée *, mais déjà, quelle nostalgie du cinémascope pendant,
l ’habituel spectacle. Revoyant il y a quelques jours L ’appât au premier rang
d’une salle dont l ’écran est cependant de proportions fort acceptables, je ne

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cessai d’éprouver tout au long le sentiment d’une étroitesse oppressante, de
l ’intolérable confiscation des marges où l’air circule, des limites les plus artifi­
cielles que l’on puisse imposer à l ’œ il comme à l’esprit. Ce qui justifie d’abord
le cinémascope, c’est le désir que nous en avons, et qui ne se lim ite pas au
seul rôle du spectateur.
Que l ’amertume des critiques soit d’ailleurs justifiée, nul n’en doute ; ceux-
ci se plaisent à revoir ce qu’ils connaissent déjà ; ils n’admettent de beauté que
classée, la croient alors classique, et passent le plus clair de leur temps à
regretter ce qui n’aura plus lieu : quel déchirement à la pensée de ne plus
pouvoir encore une fois se satisfaire de ces fastidieux gros plans, ces cadrages
docilement soumis aux lois du nombre d’or, tout ce dont la routine leur a
donné l ’illusion de l ’irremplaçable. — Mais comment ne pas sentir s’enflammer
l’unagination à l*idée de ce qui n’est pas encore, mais nous est promis, au
pressentiment de tout ce qui peut advenir ; ce gros plan dont nous con­
naissions la moindre ruse, prédisions chaque inflexion, que peut-il lui arriver
que d’heureux dans ces nouveaux espaces ? L’art vit non obligatoirement
du nouveau, mais de la trouvaille ; le plus rétif s’y voit maintenant obligé, et
le plus timide à l ’audace.
Je ne veux prendre argument de mon goût personnel, que par exemple
ces nouvelles proportions m’imposent d’abord l’idée de Vélégance, et que l’intelli­
gence y est satisfaite autant que l’œil; — ni m’attarder à la description de l’atti­
tude neuve offerte au spectateur, et je ne vois guère cependant que l’on parle de
l’essentiel, c’est-à-dire que l ’étendue du regard n’y soit pas aux dépens
de la proximité : l’hypergonar est bien le triomphe du grand angulaire,
encre des cinéastes de race. Mais puisque le cinémascope est d’abord, dit-on
communément, un problème de mise en scène, eh bien, parlons mise en scène.
Que La T un iqu e ne soit pas un fort bon film, je le veux bien (meilleur
pourtant que tel film d’Àlan Crossland de 1927) ; s’il est permis de lui
préférer certaines images documentaires, c’est qu’il est dans la logique des
choses que le génie de l ’instrument éclate avant celui des créateurs : Lumière
aura toujours plus de charmes que Méliès, l ’emploi brut de la découverte à
son utilisation trop ingénieuse par les truqueurs ; je pense ici surtout à quel­
ques plans de Negulesco que nous avions vu au Rex, et qui semblaient accu­
muler les précautions rhétoriques pour justifier un procédé dont l’évidence
est le premier atout : précautions d’où naissent pour l’un la suspicion, l’autre
le pléonasme. Oui, je crois encore préférer, de ce point de vue de la démonstra­
tion, l ’absence totale de recherche et. d’idées d’un Koster, qui semble ne
s’être guère embarrassé du cinémascope et prouver ainsi, sans le vouloir sans
doute, que tout y est effectivement possible ; que dis-je, possible : on voit
ici comment une mise en sccne conventionnelle jusqu’au pastiche, et par­
fois stupide, acquiert par le seul jeu de l ’hypergonar une dimension supplémen­
taire, qui n’est pas que celle de la largeur, et somme toute un certain style,
encore ambigu et confus, mais indiscutable; que sera-ce quand le simple talent
s’en mêlera ? Je vois mal ce qui, dans tout domaine que l’on puisse imaginer,
devrait être sacrifié au nouvel objectif, je vois mieux, me semble-t-il, ce que
chacune des virtualités de la mise en scène va gagner d’efficacité, de beauté, de
largeur véritable et toute spirituelle en même temps que visible.
Car telle est la querelle : nos critiques acceptent de reconnaître le pro­
cédé, mais veulent maintenant lim iter les dégâts, et sinon toujours le limiter

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au rang de curiosité ou d’attraction, qui n’empiètent pas sur l’art (celui-ci étant
de droit divin silencieux, étroit et noir), le cantonner en certains genres
définis et si j’ose dire, l ’enfermer en extérieurs (mais comment ne pas revoir
La Corde sans y reconnaître d’abord la plus géniale prescience du cinéma de
demain ?) ; ces discours ne sont point neufs, mais deux ans plus tard tous les
films parlaient, et la couleur n’est plus qu’une question de mois ; car les
metteurs en scène décident, qui savent seuls séparer ce qui accroît de ce qui
limite leurs pouvoirs — et les critiques suivent ; on les voit même bientôt
découvrir avec reconnaissance ce qui jadis réclamait déjà la nouvelle technique.
La passion de Jeanne d'A rc de notre époque est multiple ; on ne tardera pas
à constater que nos meilleurs films récents — et sans doute tous les grands
films de l’histoire du cinéma — contiennent l ’appel ou la nostalgie du cinéma­
scope, et que tant de panoramiques, de travellings latéraux, I’étagement
savant des personnages sur la . surface de l ’écran (Le Carrosse d ’or) avaient
peut-être un sens, ne serait-ce que celui de la largeur.
Non, je ne veux pas tenter de décrire ce cinéma, non même de demain,
mais de l ’heure prochaine ; je constate un fait : cinémascope, triple écran
d’Abel Gance, cinérama, qu’importe ; voilà bien toujours le même désir
d’éclatement du cadre vétuste, et d’avantage encore, du brusque épanouissement
de l’écran comme d’une fleur de papier japonaise plongée dans l’eau vive. '—
La recherche de la profondeur est démodée : voilà ce qui condamne le « relief »
plus sûrement que toutes les imperfections techniques : quels problèmes neufs
celui-ci pourrait-il se flatter de proposer aux metteurs en scène d’aujour­
d’hui ? Après tant d’années de mise en scène en profondeur, quel renouvel­
lement, quel défi ? L’argent propose la couleur, le parlant, mais qui les impose
sinon le cinéaste qui veut relever le défi qu’ils sont à son imagination, et se laisse
prendre au jeu, découvrant malgré lui, parfois, les nouvelles dimensions de son
art. Léger critère que celui-ci du défi ? Mais qu’était la technique de la
fresque à Michel Ange, celle de la fugue à Bach sinon d’abord la question
provocante qui impose la riposte et l’invention (et je tais les multiples défis,
de métier ou d’architecture, subtils souvent jusqu’à pouvoir paraître puérils,
que tout artiste s’impose à soi-même au secret de son travail et qui devront être
ignorés toujours du public) : oui, voilà bien l’élément fondamental de l’art ;
« l’étude du beau est un duel... »
L’histoire de la mise en scène se confond, semble-t-il, avec l ’exploration
forcenée de cet étroit couloir d’espace qui se refermait jusqu’alors sur l’œ il
du cinéaste dès qu’il se penchait sur l’œilleton (qu’était le plus large angu­
laire, devant l ’impatience de son regard, embrassant d’un éclair des paupières
l ’ampleur de la scène et de l’espace ?), mais aussi avec l’obsession, qui parcourt
secrètement l’œuvre des plus grands, d’un étalement, d’un éploiement de cette
mise en scène, le désir d’une perpendiculaire parfaite au. regard du spectateur :
de Naissance d’une nation au Carrosse d’or, du Murnau de Tabou au Lang de
R ancho Notorious, cette utilisation extrême de la largeur de l’écran, des écarts
des personnages, des vides gonflés par la crainte ou le désir, comme des mou­
vements latéraux, me semble, bien plus que la profondeur, la langue des
metteurs en scène de race, et le signe de la maturité et de la maîtrise : voyez
comment Renoir passe de Madame Bovary ou La Règle du je u au Journal
d?une fem m e de cham bre et au Fleuve ; si le cinéma, suivant le mot de Bresson,
est l ’art des rapports, c’est donc celui d’abord des affrontements, des regards,
des distances et de.leurs variations, inappréciables avec précision en profon­

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deur ou plus confuses. L’utilisation de la profondeur, où un regard défor­
mant impose aux protagonistes un plus et un moins souvent arbitraires,
que dominent la disproportion, les démesures, la dérision, n’est-elle pas
liée au sentiment de l ’absurde, — mais celle de la largeur à l'intelli­
gence, à l’équilibre, à la lucidité et, par la franchise des rapports, à la
morale ? voilà-t-il un aspect du conflit étem el du baroque et du classicisme ?
et la grande mise en scène, comme la grande peinture, serait-elle plate,
n’employant la profondeur que par encoches, non par trouées ?
L’avenir ouvre ces questions, et d’autres pins liées à l’exercice quotidien du
métier : faut-il attendre du théâtre les leçons d’un jeu dramatique étendu enfin à
l’univers ? certes, mais le cinéma ne saurait en même temps sans se perdre
renoncer à la recherche d’une écriture précise et très articulée, à l’obsession
d’une figure abstraite — qu’ignore le travail théâtral, soumis à la logique
dramatique, l ’explication des situations, la démonstration de la scène. Qu’espérer
de la grande peinture, également commandée par la pompe murale et le
théâtre, qu’un exemple d’audace ? — Délivré du cadrage (et des esclavages
plastiques), détruit au profit de l ’angle ; délivré du montage, sacrifié à la
simple succession des prises, fragments-de-cinéma, et au jeu des ruptures,
voilà donc enfin notre cinéma contraint à la recherche de ses vrais problèmes.
J’exagère un peu : La Tunique montre bien comment le cinémascope
autorise tout, et même qu’on ne se préoccupe pas de lui : Henry Koster
change de plan, règle des mouvements d’appareil suivant sa routine, sans
grand mécompte et rencontre même des hasards heureux, des réussites inat­
tendues ; m ille détails, mille ruses qui lasseront vite prouvent pourtant qu’on
ne saurait longtemps en rester là ; il faudra aborder enfin franchement la
recherche d’une nouvelle largeur du geste et de l ’attitude : largeur du geste
contemporain surtout, qui assumera sur ce fond plat le relief. Le metteur en
scène apprendra à revendiquer parfois toute la surface de l ’écran, la mobiliser
de sa verve, y jouer un jeu multiple et serré — ou à espacer au contraire les
pôles du drame, et créer des zones de silence, des surfaces de repos ou des
hiatus provocants, des ruptures savantes ; vite las des chandeliers et des vases
introduits aux côtés de l’image pour 1’ « équilibre » des plans rapprochés, il
découvrira la beauté des vides, des espaces ouverts et libres où passe le vent,
saura désencombrer l’image, n’avoir plus peur des trous ni des déséquilibres
et multiplier les fautes contre la plastique pour obéir aux vérités du cinéma.
Voilà qui ne saurait tarder : le génie se distingue d’abord du talent par
son empressement à employer le nouveau, découvrir avec lu i et dépasser son
temps en inventant à partir de celui-ci. L’histoire du Technicolor est pour
nous celle de quelques films de Jean Renoir, Alfred Hitchcock, Howard Ha'svks
ou Fritz Lang. Ne nous plaignons point : nous connaissons déjà une première
utilisation géniale du Cinémascope : ce court métrage de Hawks sur une
chanson de Marilyn, trois minutes de cinéma total.
Depuis quarante ans, les m aîtres ont montré les voies ; nous ne saurions
renier leur exemple, mais l’accomplir enfin. Oui, notre génération sera celle
du Cinémascope, celle des metteurs en scène, enfin dignes de ce titre : mou­
vant sur la scène illim itée de l’univers les créatures de notre esprit.

J a c q u es R iv e t t e

.48
LIS FILMS

The L itilc F u g i t i v e "

UN F IL M AU T É L É O B JE C T IF
LITTLE FUGITIVE (LE PETIT FUGITIF), film américain produit et réalisé
par R a y A s h l e y , M o r r i s E n g e l et R u t h O r k i n . Scénario : Ray Ashley. Images :
Morris Engel. Interprétation : Richie Andrusco. Distribution .-"Cinedis, 1953.

Quelques journalistes exceptionnelle­ nelle a-t-elle parfois quelqu’excuse de


ment vertueux attendaient avec rési­ céder aux tentations adriatiques. Mais,
gnation en cet après-midi du 2 sep­ pour une fois, la vertu et la persévé­
tembre 1953, dans le Palais du Festival rance furent récompensées et ceux qui
de Venise, la projection du film amé­ avaient vu le Petit Fugitif purent le soir
ricain : The Little Fugitive. Ils troubler avec une insistance sadique la
n’avaient sur cette production indé­ conscience des absents.
pendante aucune documentation. Un On médit chaque fois des jurjrs de
seul pronostic possible en fonction de Festival ! Compte tenu des c o n tin ­
l ’heure de la projection car, en dépit gences diplomatiques, leur jugement
de toutes les dénégations officielles, il n’est, en définitive, pas si mauvais
est bien connu que les séances d’après- qu’on le prétend. Cette année le Lion
midi sont consacrées aux films sacri­ d ’or n’étant pas attribué, les six filins
fiés. Les places, d’ailleurs, sont moins ayant obtenu le Lion d’argent étaient
chères. Aussi la conscience profession­ en principe sur le même plan. En fait,

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5
l’ordre du palmarès marquait une mûre écrasée sur la chemise sim ule
hiérarchie implicite. Les Contes de la l’accident. Epouvanté, Joey prend la
Lime Vague venait en tête comme il fuite, mais le goût de la liberté pre­
sé devait puisque, de l’avis de tous, nant assez vite le dessus, sur un assez
seul le Grand Prix de Rashomon deux vague remords le gamin se réfugie à
ans plus tôt empêchait le film japonais Goney Island, ce mélange de Luna-Park
de Fobtenir en 1953. I Vilelloni venait et de plage populaire de la banlieue
T ir seconde position, ce qui par contre new-yorkaise. A partir de là tout récit
n’est guère explicable que par un chau­ devient impossible, car le film est fait
vinism e un peu déplacé. Mais The du spectacle de l’enfant en liberté dans
iLiltle Fugitive fut nommé avant Moulin ce paradis forain. Finalement, grâce à
\Ronge, Thérèse Raguin et Sadko et l'initiative d’un patron de manège, le
;ce fut avec le japonais le film le plus grand frère finira par retrouver son
[applaudi du Palmarès. cadet juste à temps pour que leur mère»
! Ainsi, une petite production indépen­ revenant de voyage, ne se doute de
dante, sans acteurs, près qu'un film rien.
;d’amateur, glissé comme clandestine­ Je rendrais volontiers compte du
ment entre les grosses marques dépo­ Petit Fugitif en suivant une hiérarchie
sées de Hollywood, handicapée encore de plans critiques. On pouvait évidem­
par les séances sans prestige de l ’après- ment louer d’abord les auteurs de l’ori­
midi, éclipsait finalement au Palmarès ginalité psychologique du scénario. On
les plus importantes productions fran­ sait que d’ordinaire le cinéma n’a gucr’e
çaises, anglaises et soviétiques et rem­ évoqué les problèmes de l’enfance que
portait îa plus haute récompense obte­ d’un point de vue éducatif on, mieux,
nue par un film américain. Pour cette rééducatif. Le Petit Fugitif évite au
décision relativement courageuse, le contraire de conserver indirectement
Jury de Venise doit tout de même être sur l'enfant l’autorité et le point de vue
félicité. de l ’adulte. Mais sous ce rapport le
The Little Fugitive est l’œuvre d’une film ne dépasserait pas l'intérêt mineur
équipe de trois journalistes : Ray d'un scénario ingénieux et gentiment
Ashley, Morris Engel et une femme, attendrissant. On peut d'ailleurs, en
Ruth Orkin. Au départ ils mirent en tout état de cause, admettre que c’est
;commun 5.000 dollars, qui leur per­ précisément le caractère assez inolTen-
mirent de tourner asseiï de pellicule sif du thème qui fait la limite du Petit
pour donner une idée de leurs inten­ Fugitif et l’empêche d'atteindre à la
tions et de leur talent. On leur fit grandeur de certains classiques du
confiance là-dessus pour quelques film d'enfants. Quiet One, beaucoup,
dizaines de milliers de dollars supplé­ moins original dans sa technique, avait
mentaires. En fait, le film a pratique­ tout de même d'autres résonances !
ment été produit en coopérative abso­ Plus intéressant serait déjà l'aspect
lument en dehors du circuit financier documentaire et social du film, Avec
normal dans ce genre d’entreprise et une très louable adresse, les réalisa--,
pour une somme relativement dérisoire. teurs ont évité de donner le pas au
Le principal protagoniste, le petit pittoresque du décor et au réalisme
Richie Andrusco, a été découvert par social sur le réalisme psychologique du
les réalisateurs sur un manège de Coney comportement de l'enfant. Toute 1&
Island, mais le cas est moins original : mise en scène lui est subordonnée..
au départ tous les gosses du cinéma Mais ils se sont visiblement préoccu-.
étant, évidemment, découverts par pés de nous donner par la bande un
hasard. document social sur Goney Island. Pour'
Mais il faut bien en venir à tenter tout dire ils ont vu Dimanche d Août;.
d’évoquer, pour le lecteur, la matière certains documentaires anglais et peut-
de ce film insolite. Le résumé qu’on être aussi Les Hommes du Dimanche-
en peut- faire ne saurait saisir, hélas ! de Siodmack et Solitude de Paul Fejos.
dans ses rets grossiers que le moins Et s’ils n’ont pas vu tout cela, ils en
important et le plus banal. Un gamin retrouvent du;moins l'esprit par. l 'i n t e r ­
de sej)t ans, Joey, est confié par sa médiaire du reportage photographique,,
mère à la garde de son aîné, Lennie. style Life, auquel ils sont exercés.
Pour se débarrasser de ce morveux qui Si le film était italien ou anglais, c e t
prétend se mêler à tous leurs jeux, le aspect nous paraîtrait assurément moins,
frère et ses copains imaginent de lui étonnant. Son originalité est en grande
faire croire qu’il a tué Lenriie d’un partie relative à ce qu’il nous révèle
coup de carabine. Une tomate trop des aspects de la vie américaine, que*

50
même la production dite néo-réaliste dramatique est insignifiant. Tout son
ne nous avait pas encore découverts. charme, toute sa force spectaculaire
Mesurons en passant les lacunes d’un naissent de l’invention du détail.
cinéma national par rapport à son Ainsi, détourné un moment de son
domaine social et n’imaginons pas sur­ obsession des boîtes de conserve par
tout que le cinéma français est plus les mystères de la « barbe à papa »,
exhaustif. ; Joey en achète un énorme écheveau,
Mais la radicale nouveauté du fllm mais, immédiatement déçu par la spé­
de Rey Ashley, Morris Engel et Rutli cieuse sucrerie, il s’avise que, réduite
Orkin procède moins de sa matière, aux dimensions d’une boule de chiffon,
si intéressante qu’en soit la relative elle constituerait un projectile parfait
nouveauté, que de la technique de mise pour continuer son entraînement. Et
en scène. Non qu’il s’agisse le moins ainsi de suite. Encore l’idée de trans­
du monde d’une œuvre formaliste -— former une « barbe à papa » en pro­
toute la critique s’est plu au contraire jectile pour jeu de massacre peut-elle
à la défendre contre ses imperfections être du scénariste. Ce qui ne peut avoir
formelles — mais assurément d’un film été prévu dans le script c ’est l’évolu­
où le sujet, dans ce qu’il a de plus tion de la mimique de Joey, ses gestes
essentiel, est engendré par la structure pour pétrir la laine de sucre, s’en dépê­
même du récit. trer tant bien que mal, accumuler sur
Eu égard à sa te clinique de mise en le rebord d’une passerelle une pyra­
scène, on croirait volontiers que Le mide de gobelets de carton usagés et
Petit Fugitif a été tourné en 1G mm. la démolir entre les jambes des pas­
puis agrandi en 35 à l’instar de Quiet sants inattentifs. En d’autres termes,
One distribué précisément aussi par il est probable que les prévisions du
Joseph Burnstyn. La mort subite dans scénario descendent jusqu’à une cer­
l’avion New-York-Paris de cet extra­ taine profondeur de l’événement recons­
ordinaire petit vieillard bossu auquel titué, pour céder insensiblement la
l ’Amérique doit de connaître le meil­ place à l’improvisation pure. Mieux
leur du cinéma européen d’après- vaudrait dire du reste : à la vie elle-
guerre, nous prive provisoirement de même, car cette improvisation n’a rien
la documentation que nous aimerions de commun avec la Comœdia dell’arte
avoir sur The Little Fugitive. Il déclara qui demeure dans les catégories du jeu
pourtant à Venise que la mise en scène théâtral.
exigea un très long travail de direction Nous assistons au contraire ici à
d’acteurs et que l’improvisation du un amalgame de l’ordre dramatique,
gamin n’était qu’une apparence trom­ de son organisation a priori, avec la
peuse. Mais j’inclinerais volontiers à spontanéité de la vie. 11 est probable
interpréter ces affirmations, leur auteur que les initiatives du gosse ont suggéré
jugeant sans doute que tout ce qui pou­ en maints endroits le scénario, mais,
vait laisser croire à des procédés même si tout avait été primitivement
« amateurs » risquait de nuire à la prévu dans les grandes lignes, chaque
publicité de son film. A la vérité, il se plan, chaque prise de vue ne pouvait
peut fort bien que chaque scène ait l’avoir été. C’est essentiellement la
exigé de très longues répétitions et de conscience que nous avons de cette
multiples « prises s>, on m’enlèvera marge d’indétermination qui fait le
seulement difficilement de l’idée que charme du film. Zavattini a souvent
Richie était libre d’improviser dans le parlé de ce film (irréalisable ?) dont
détail et tout l’intérêt du lilm est là. le réalisateur ne connaîtrait pas le
Prenons par exemple la séquence des dénouement, d’un film libre comme la
boîtes de conserve, Joey a essayé son vie elle-mcme. En ce sens, Le Petit
adresse contre la traditionnelle pyra­ Fugitif est un événement du néo-réa­
mide de boîtes cabossées dont la chute lisme. Non pas tant par son aspect de
•d’un seul coup de projectile fait gagner documentaire social, qui n’a jamais été
un lot. Tout étonné de ne pas triom­ l’essentiel du néo-réalisme — tout au
pher dans un jeu apparemment si plus son décor le mieux approprié —
facile, le gamin s’entraîne avec tout ce mais en ce qu’il approche de cet idéal
qui lui tombe sous la main, puis revient du film sans scénario dont le drama­
à la baraque pour vérifier ses progrès. tique naîtrait exclusivement du présent
Considéré comme un épisode, un élé­ en évolution.
ment d ’action, cette séquence demeu­ Appliqué à l’enfance, ce point de vue
rerait encore dans lés catégories du ne semble plus seulement fécond, mais
scénario classique, mais son intérêt nécessaire. Car si le cinéma présente

51-
sur la littérature clans ce domaine une film de Rey Ashley et de ses. camarades
formidable supériorité, c’est justement constitue un progrès original et sans
en ce que l’enfance nous étant impé­ doute définitif dans le film d’enfant,
nétrable, l’observation du comporte­ dont les classiques — Le Chemin de
ment est le seul mode de connaissance la Vie et Emile et les Détectives —
à la fois sérieux et possible. prennent maintenant la teinte rose et
Après Jeux Interdits qui démystifiait brumeuse des contes de fées.
radicalement l’enfance, la rendait à son
objectivité ontologique et morale, le An dré B a zix

A IM E R F R IT Z LANG
THE BIG HEAT (REGLEMENT DE COMPTES), fdm américain d e F r i t z L a n g .
Scénario : Sydney Boehm. Images : Charles Lang. Interprétation : Glenn Ford,
Gloria Grahame, Jocelyn Brancîo. Production ; Columbia, 1953.

A la veille de rédiger un article qu’il tout cela, souvent une femme, une
voudrait tout à la fois général et précis, femine aimée parfois (Joan Bennett
exhaustif et documenté, le critique de dans Man Hunt, la vieille dame de
cinéma se prend à envier, de son Cape et Poignard, la fiancée de Kennedy
confrère littéraire, le privilège de la dans Rancho Notorious, Jocelyn Brando
bibliothèque où font tapisserie de dans The big heat).
lourds volumes d’œuvres complètes C’est alors que le conflit devient
consultables et citables à merci. strictement individuel, que des raisons
Il est rare en effet que tous les films personnelles se substituent à celles
d’un cinéaste soient dans le même sociales ou politiques, le seul souci de
temps en exploitation ; c'est la raison la vengeance enfin à celui, initial, du
pour laquelle j’apprécie à sa valeur le devoir. (Walter Pidgeon, clans Chasse à
hasard qui a voulu que, dans ce mois l’Homme, se moque des barbareries
de décembre 1953, paraisse un nou­ nazies. Hitler a tué Joan Bennett : Il
veau Fritz Lang : The big heat, que des faut tuer Hitler. Glenn Ford, dans The
salles de quartiers affichent tiancho big heat, démissionnera de la police
Notorious (L’Ange des Maudits) et Cape pour se venger plus sûrement).
et Poignard, tandis que le Parnasse
reprenait La Rue Ronge et que la ciné­ ★
mathèque nous présentait, un soir après
l'autre, le dernier film allemand : Le Tout se joue et se noue chez Lang,
testament du Docteur Mabuse (sous-, au cœur d’un univers hautement moral.
titré en danois) et le premier améri-, Certes, la morale conventionnelle n’y
cain : Furie (sous-titré en Flamand). a aucune part et les forces en tant que
telles (police, armée, résistance) nous
* sont presque toujours montrées basses,
défaillantes et lâches, La société et les
La solitude morale, l’homme menant honnêtes gens en prennent' souvent
seul une lutte contre un univers mi- pour leur grade. Les héros de Lang
hostile, mi-indifférent, tel est le thème sont, en fait, « côté de la société, c’est
favori de Lang. Ce thème, il n’est pas' pourquoi l’espionnage y a la part si
jusqu’aux titres mêmes de ses films qui belle. Rien jamais de mélodramatique
ne témoignent de sa fidélité : Le Mau­ puisque le héros n’est que le justicier
dit, Furie, J’ai le droit de vivre, Chasse de soi-même, ne défendant ni les fai­
à Vhomme, etc... bles ni les opprimés, ne revendiquant
Un homme s’engage dans un combat rien, ne vengeant qu’une victime par
soit par devoir s’il est flic, soldat ou film ; seul, l’être d’exception préoccupe
savant, soit encore par oisiveté. Le Lang, une exception qui par pudeur
moment vient toujours où il est las de sut revêtir l’humble apparence d’une
luttér, où la cause montre sa faille. Il entraîneuse, d’une espionne, d’un fiic
est sur le point d’abandonner lors­ ou d’un fruste cow-boy.
qu’une circonstance lui fera reprendre « Univers hautement moral », disais-
le duel, se hausser jusqu’au sacrifice de je plus haut, univers de convention
soi. Cette circonstance est presque tou­ me répondront certains, non sans jus­
jours la mort de quelqu’un, étranger à tesse d’ailleurs. Les intrigues de Fritz

52
Gloria Gvahanie et Glenn F o r d dntis Th e Big Heat de F ritz Lang.

Lang se jouent des conventions et les hommes aiment les femmes, qui les
jouent avec. Jetés dans un conflit où le aiment en retour, la terre est ronde et
réalisme toujours côtoie l'invraisem­ même elle tourné, deux et deux imman­
blable et le défie, les personnages de quablement font quatre.
Lang avancent dans leur nuit, propul­
sés jusqu’au bout d’eux-mêmes avec ★
une outrance telle que les méchants
deviennent des infâmes, que les bons The big heat est un beau film.
accèdent au sublime. Il est la très précise réplique en thriller
Toujours sollicitée,, j’en conviens, de l’excellent Ange des Maudits. Admi­
l ’émotion est cependant d’une qualité rable directeur d’acteurs (et surtout
telle qu’il faut être tristement blasé d’actrices), Fritz Lang donne enfin à
pour ne pas se rêver un temps le Gloria Grahame sa vraie chance. Elle
créateur qui frapperait ceux-ci el sau­ s’accroupit sur les canapés comme elle
verait ceux-là, et si Fritz Lang à la fin aime à le faire, téléphone, danse, fait,
du compte se substitue lui-même au la révérence chinoise, est brûlée, mas­
Divin, comment le lui reprocher quand quée et meurt hélas. Son jeu pointu
il sut si bien, tout au long du récit, est maintenant continuellement parfait.
tantôt se soumettre et tantôt régner, L’histoire racontée est aussi belle que
être dominé, dominer tour à tour ? simple, la violence y est comme tou­
jours extrême.
★ « Règlement de comptes (The big
heat). Ni mauvais, ni très bon. Fritz
A une mode qui, jusqu’au cinéma­ Lang n’esl plus Fritz Lang. Nous le
tographe, se complaît à abaisser en savions déjà depuis quelques années.
installant partout la confusion, se Il n’y a plus trace de symbolisme dans
piquant de provoquer des sentiments Ise ouvrages que fabrique aujoiird*hul,
la déroute, il me plaît assez d’opposer le réalisateur de Métropolis. El d ’ex­
Fritz Lang, moraliste à sa façon, pressionnisme plus guère. » Ces quel­
cinéaste quasi balzacien, cinéaste qui ques lignes de Louis Chauvet font assez
ne répugne pas de trancher et de bien la synthèse des sophismes qu'il
conclure. Avec Fritz Lang, chaque plan devient urgent de dissiper.
répond à la question « comment V », A revoir l’œuvre de Fritz Lang, on

53
est frappé de ce qu’il y avait d'holly­ étrange que tous les films américains
woodien dans scs films allemands {Les de Fritz Lang, bien que signés de scé­
Espions, Métropolis, Le Testament du naristes différents et tournés pour le
Docteur Mabuse) et de ce qu’il a voulu compte des firmes les plus diverses,
conserver de germanique dans son racontent très sensihlement la même
œuvre américaine (le£ décors, certains histoire ?
éclairages, le goût des perspectives, des Ceci ne donne-t-il pas à penser que
angles vifs, le masque de Gloria Fritz Lang pourrait bien être un véri­
Grahame ici, etc...)- On comprend aisé­ table auteur de films et que si ses
ment ce çfu’ü put naguère y avoir d’irri­ thèmes, son histoire empruntent, pour
tant dans le départ des meilleurs de venir jusqu’à nous, l’apparencè banale
nos cinéastes européens poiir Holly­ d’un thriller de série, d’un film de
wood et la' tentation puérile de voir, guerre ou d’un western, il faut peut-
avec l’exil, disparaître le plus clair de être voir là le signe de la grande pro­
leur génie, . mais le chauvinisme ne bité d’un cinéma qui n’éprouve pas la
trouverait-il pas aussi bien son compte nécessité de se parer d’étiquettes allé­
si nos critiques voulaient bien adopter chantes ? Ce qui suit est une certitude :
le parti-pris opposé (puisque la grâce pour faire du cinéma, il faut faire
de savoir regarder leur semble à jamais semblantr ou si l’on préfère ce slogan :
refusée) et déclarer que le meilleur de pour, parler avec le producteur, le tra­
la production américaine est d’inspi­ vesti est de rigueur. Or, tant il est vrai
ration européenne (Hitchcock, Lang, que l’on se déguise toujours en son
Preminger, Renoir/ etc,..) ? contraire, on ne s’étonnera pas de me
voir préférer les cinéastes qui imitent
l ’insignifiance...
Il faut aimer Fritz Lang, saluer la
Une autre légende veut que le met­ venue de chacun de ses films, s ’y pré­
teur en scène américain soit un « astu­ cipiter, y retourner souvent et attendre
cieux bricoleur » qui « sauve comme impatiemment le prochain (ce sera,
il peut » les « effarants » sujets qu’on cette fois, La Femme au Gardénia).
lui « impose s-. Dans ce cas n’est-il pas
F r a n ç o is T ruffa ut

N OTE : P a r u à la «r Série N oire », sous ïe titre f ra n ç a is de « Coups de to rc h o n s », le


b o u q u in de W il l i a m P. Mac G ulvern, d o n t T h e Big Ilea t est tiré , se révèle tr è s in f é r ie u r a u
■ film en d é p it de l a fidélité de celui-ci a u r o m a n . S im p lem en t l'o n « cro it » a u fllm, à ses
perso n n ag e s et à ce q u ’il s ’y passe, et n o n a u x m êm es p ersonn ages, aux m êm es évén em en ts d a n s
le liv re . S em b lab le re m a rq u e p o u r Big S leep, D a rk Passage, etc... C ’est à la c e n s u re c in é m a to ­
g ra p h iq u e a m é ric a in e que l ’on d o it que M arlow c n e soit p lu s p éd éraste et q u è les p e rso n n a g e s
d e v ien n en t les u n s a im a b le s , les a u tre s h a ïs s a b le s . Nécessité do nc d ’u ne cen su re m o r a lis te (qui
exige q u ’u n e m o r a le so it proposée). E t cep en d a n t, tel q u ’est le film de L ang, u n sc én ario id e n ­
tiq u e f a it en F ra n c e , q u i m e ttr a it en cause l a police fran ç aise, l a m a g is tr a tu r e f ra n ç a is e , en
co n s e rv a n t m êm e îa d e r n iè re scène (Glcnn F o r d ré in tè g re la police), ch, b ie n , ce scén ario ne
d é p a s se ra it m êm e p a s le stad e de la p ré-c cn su re. Com m e d i t R o ssellini : D ov'e ta liberta ?

LE TRAVESTI
LILI, film américain en Technicolor de C h a u l e s W a l t e r s . Scénario : Helen
Deutsch, d’après une nouvelle de Paul Gallico. Musique : Bronislau Kapers.
Chorégraphie : Charles Walters. Images ; Robert Planck. Décors : Edwin B. Willis,
Arthur Krams. Interprétation : Leslie Caron, Mel Ferrer, Jean-Pierre Aumont,
Zsa-Zsa Gabor, Kurt Kasznar. Production : Metro-Goldwyn-Mayer.
« Le spectacle, v oici l a chose où
j ’a tt r a p p e r a i sa conscience. »
K a m le t , II, 2.

La faculté de s’émerveiller étant la rière un mur, la silhouette d’un acro­


.chose du.m onde la plus mal partagée,' bate s’élance un instant dans le ciel :
en est aussi la plus précieuse ; elle sait invitation rapide à laisser un monde
distinguer la fraîcheur de l’affèterie, de laid où la bassesse se complaît dans
l’effort concerté la' grâce. Lili ne pou­ ses impulsions, à pénétrer dans le
vait nous solliciter plus sûrement qu’en inonde enchanté du travesti ; la révé­
s’adressant à ce sens du merveilleux, lation qu’apporta « Le Grand Meaulnes »
et le fait toujours avec bonheur. Der- à l’éveil de notre existence ne fut-elle

54
Mcl F e r r e r et Leslie Caron d:ins L i l i de Charles W altcrs.

pas de découvrir quels domaines pré­ fice que le dépouillement de tout arti­
servés peuvent se rencontrer, poursui­ fice, au dépaysement du travesti, que
vant leur ordre secret à l'intérieur de l’occasion de se surprendre soi-même
l’univers commun ? (blancheur furtive (ainsi certains voyageurs...). Lili et
d’un Pierrot, saisie à travers les arbres Paul le Saturnien n’ont su se rencon­
fuyants, .'par la glace d’une berline...). trer que par des intermédiaires, jouant
Le travesti, c’est d’abord une vie par eux leur inquiétude et leur tour­
d'emprunt, un masque souriant — l’at­ ment, chacun gardant pour soi seul le
trait d’un jeu dérisoire à qui Ton devine premier contentement, le premier sai­
la promesse de quelque gravité. Marc sissement. La transparence d’une gaze
le Magnifique séduit aussitôt, détourne les dissimule encore l’un à l’autre, inac­
sur soi l’attention ; Lili, qui fait d’une cessibles et si proches. Lili devra recon­
montre un reliquaire, s’attache à ses naître un à un les déguisements pour
pas pour un sourire, l’aime pour une les effacer, risquer de perdre l’illusion
fleur de papier et, pour le retenir, s'em- pour susciter le vrai visage de Paul ;
bellit en reve, prenant à sa rivale tous délaissant le jeu pour la communica­
ses attributs que la fraîcheur transfi­ tion, il lui sera permis de composer
gure, n^ais inventant aussi les rites enfin les images de l’abandon le plus
savants de la dérobade et du scintille­ aimable.
ment — elle qui ne sait que dire bon­ L’itinéraire de Camilla, celui de
jour à son idole et se confier à des Madame de..., Lili le parcourt aussi,
marionnettes. sa valise à la main ; je ne veux: pas
Acceptant ainsi le merveilleux, elle me dissimuler quelle distance sépare
se prépare à en découvrir l’ambiguité : ces trois œuvres — mais celle-ci nous
si le masque était la marque d’une toucherait-elle aussi subtilement si dans
délicatesse, cette pudeur qui, s’ef­ sa légèreté d’apologue nous n’avions
frayant :d’exposer nus les sentiments, reconnu un peu de la gravité des deux
veut leur donner quelques alibis sans autres, celte résonance familière de la
nécessité comme sans évidence ? Peut- quête de soi ? Sous les couleurs tendres
être l’existence d’emprunt n’était-elle de la simplicité, Lili s’achemine dans
si ardemment souhaitée que pour la recherche difficile d’une sincérité.
rejoindre au plus profond l’existence
véritable :■ on ne demandait à l ’arti­ P h il ip p e D em onsablon

55
Zsa-Zsa G abor d an s M o ulin lïouge de J o h n H u s to n . Les p h o to s en n o i r cl
b la n c de ce film ne d o n n e n t, h élas, au cu n e idée de son- p rin c ip a l in té rê t ;
la couleur.

Michèle M organ et C arlos Lopez M octezum a d a n s L es O rg ueilleux d ’Yves


Allégret. Cette fam eu se scène de l a p iq û r e a f a i t co uler b e a u c o u p d ’énere...
et on se d e m an d e bien p o u rq u o i. Il est a u s s i n a ï f de s’en f o rm a lis e r q u e de
s’en épater.. O u tre q u ’elle est p a r fa ite m e n t justifiée d a n s le d éro u le m e n t
de l’h isto ire , elle con stitu e en so m m e l a p re m iè re scène d ’a m o u r d u film .

56
UN STYLE DE COULEUR
MOULIN ROUGE, film anglais en Technicolor de J o h n H u s t o n . Scénario :
Anthony Veiller et John Huston, d'après le roman de Pierre La Mure. Images :
Oswald Mori'is. Décors : Paul SlierifL Costumes : Vertès. Musique ; Georges Auric.
Interprétation : José Ferrer, Zsa-Zsa Gabor, Suzanne Flon, Colette Marchand,
Claude Nollier, Katherine Kath. Production ; Romulus Film, 1953. Distribution :
Artistes Associés.
Dès que fut connu le projet d’Huston film valable sur Toulouse-Lautrec autre­
de porter à l’écran « Moulin Rouge », ment que sous forme de montage de
roman américain de Pierre La Mure documents, ce qui existe d’ailleurs en
sur la vie de Toulouse-Lautrec, il réduction dans le film d’Huston, vers
n’était pas bien sorcier de prévoir que le milieu, montage qui a je crois été
le résultat de cette dangereuse entre­ réalisé en France par Arcady. Mais
prise n’aurait pas le degré de qualité sitôt que Lautrec apparaît, le « pitto­
et surtout de personnalité des œuvres resque » entre en scène avec lui et
les plus marquantes de ce cinéaste. tout est gâché, car le personnage histo­
Son registre est pourtant très étendu rique, pour avoir un minimum de vrai­
qui va d ’Africart Queen à The Red semblance, doit d’abord apparaître
Badge of Courage et même jusqu’à Let comme anonyme, inséparable de la
there be Light, très beau long métrage masse de ses contemporains qui ne
sur la rééducation des « choqués » de percevraient en lui aucun signe d’éter­
guerre. Huston, pourtant, ne s’était nité.
jamais encore attagué à la biographie Ceci posé, il paraît pourtant incon­
et ne devait pas ignorer les dangers testable que Moulin Ronge représente
du genre qu’il avait soigneusement évi­ le summum de bon goût et de respect
tés dans The Red Badge, qui ne passe concevable dans un film anglo-saxon
jamais sur le plan de l’histoire, ainsi sur un sujet qui nous tient aussi à cœur
que dans We Were Etrangers où la révo­ que l’art et les artistes français du
lution demeure toujours à l’état de début de ce siècle. Nous sommes fort
notion abstraite. Maintenant on pourra loin de la représentation traditionnelle
lui reprocher éternellement d’avoir du Français dans le film hollywoodien
donné de Toulouse-Lautrec une vision et la majorité du public parisien et
parfois grossièrement inexacte. Deux de province né se représente pas autre­
sortes de « motifs » qui apparaissent ment le peintre des danseuses de
souvent à l’étranger comme spécifique­ French-Gancan et des filles de maisons.
ment français, le motif du rapin et Huston, qui a lui-même étudié la pein­
celui de l’aristocrate se rencontrent ici ture à Paris dans sa jeunesse, admire
fâcheusement sur la trop monstrueuse Toulouse-Lautrec en connaisseur et il
personne du nabot. On eut sans doute a fallu ce réel degré de culture artis­
préféré moins de ressemblance phy­ tique pour atteindre à ce minimum de
sique — la création de José Ferrer est fidélité cinématographique.
à cet égard quasi prodigieuse — et plus Huston ne s’est pas laissé prendre
de vraisemblance psychologique. à ce jeu trop conventionnel. Il sait
J’entends bien que le film s’inti­ bien que l’on ne raconte pas la vie
tule Moulin Rouge et qu’Huston n’a de Toulouse-Lautrec avec une soirée
jamais prétendu faire œuvre d’histo­ au Moulin Rouge, l’opposition facile
rien. Il est pourtant regrettable qu’il entre deux aventures sentimentales
ait sans justification logique appa­ banales et une agonie de fantaisie. Aussi
rente zigzagué dans une zone indecise a-t-il en quelque sorte décidé que c’est
aussi éloignée de la fantaisie pure que pour d’autres raisons que nous nous
du souci d’authenticité. L’irréalisme souviendrons de Moulin Rouge et que
concerté d’Ün Américain à Paris est ces raisons ressortissent directement de
impossible ici, où la présence continue l’art cinématographique. Moulin Rouge
de Lautrec nous rejette sans cesse dans est un film de peintre et c’est ainsi
les souvenirs et les témoignages qui sans doute que l’auteur a voulu rendre
contredisent tous cette réduction d’un hommage à son modèle. Cette projec­
grand écorché vif aux proportions des tion nous permet en effet d’assister à
exigences de l’industrie cinématogra­ un des^essais les plus élaborés qui ait
phique. A la vérité on voit mal comment, jamais été tenté d’unité de style dans
même en France, on pourrait faire un la couleur. Différents procédés techni­

57
6
ques — que d’ailleurs nous ignorons — théâtrale. La date donc est à retenir et
ont permis à Huston d’obtenir une la façon dont Huston — après Renoir
« valeur » générale de la couleur dont — a plongé au cœur d’un problème
le ton est donné par la première d’une importance au moins égale à
séquence, et le tour de force c’est celle de l’écran large.
d’avoir réussi à maintenir ce ton à peu Le pouvoir d’unification, d’harm oni­
près continuellement. sation des éléments les plus divers
Reste donc avant tout cette première d’Huston se retrouve encore dans la
séquence qui, a elle seule, justifie le direction des acteurs, d’origines et de
film. La recréation du Moulin Rouge langues très différentes et de talents
avec ses personnages traditionnels inégaux, Zsa-Zsa Gabor qui est prati­
— La Goulue, Valentin le Désossé, quement nulle, Colette Marchand qui
Jane Avril, Chocolat — avec dans est une comédienne néophyte peuvent
un coin Toulouse-Lautrec crayonnant faire face à l’acteur chevronné qu’est
par la main habile de Vertes, est José Ferrer sans que nous soyons
éblouissante par son rythme et le bal choqués. Quel régal pourtant quand
des couleurs noyées dans une légère elles cèdent la place à l ’admirable
brume. Nous sommes là très loin de Suzanne Pion, héroïne rêvée (et digne)
l’habituel traitement de la couleur dans d’Audiberti, et qui n’a qu’à apparaître
le fllm, surtout dans les films de spec­ ici pour faire soudain briller le cristal
tacles de ce genre. Ici, le mouvement du rare de l’esprit français, non pas celui
ballet n’est plus déterminé par son qu’on croit, tricolore, bien Parisien, de
action, mais par les possibilités de ren­ Roussin ou de Cecil Saint-Laurent, mais
contres et de séparations des teintes» celui qui a compris comme la Bella
Il ne faut pas s’y tromper : les règles de Giraudoux que les étoiles ne sont
qui régissent le film de danse en cou­ pas attachées. Et il y a quelque cour­
leurs, même s’ils sont de la classe de toise ironie de la part de ce grand
ceux de Gene Kelly, 'sont très diffé­ diable de John de faire ce cadeau de
rentes. Si la danse maintenant est, dans Noël au cinéma français : sa plus fine
les bons films, intégrée au film, la cou­ actrice,
leur continue d’y être traitée de façon J acques D o n io l -V à l c r o z e

LES PHÉNOM ÈNES


LES ORGUEILLEUX, fllm franco-mexicain d’YvEs A llé g r e t . Scénario :
Jean Aurenche. Adaptation et dialogues : Jean Aurenche et Jean Clouzot. Images
Alex Philips. Musique : Paul Misraki. Interprétation : Michèle Morgan, Gérard
Philipe, Victor Manuel Mendoza, Michèle Cordoue, André Toffel, Carlos Lopez
Moctezuma. Coproduction ; C.I.C.C.-Productions Iêna-Reforma Films, 1953. D istri­
bution : Columbia.
Ils en ont entendu de belles ceux s’il n’y a pas dans la structure générale
qui ont eu la suprême audace de pro­ du récit et dans le détail des Orgueil­
noncer le mot de phénoménologie à leux une tentative de description phé­
propos des Orgueilleux I Haro sur le noménologique, ou si le mot l’effraye
baudet qui parle de ce qu’il ne connaît — et d’ailleurs, qu’importe le mot ? —■
pas et utilise un substantif sacré à une façon différente des films français
propos d’une entreprise aussi primaire habituels de faire vivre et agir les per­
et méprisable que le cinéma. Je ne sonnages devant la caméra (façon qui
recommencerai pas ici une démonstra­ était déjà grosso modo celle de Pagîiero
tion que j’ai déjà fait ailleurs et qui, dans Un Homme marche dans la ville
pour ma modeste part, me satisfait et partiellement dans La Putain respec­
d’autant plus que je n’en ai jamais dis­ tueuse).
simulé l’à peu près. Je renvoie le lec­ Je n’ai interrogé ni Yves Allégret, ni
teur aux définitions de la description Jean Aurenche, ni Jean Clouzot, yignore
phénoménologique par Lalande et donc quelles furent précisément leurs
Merleau-Ponty (1). Il ira ensuite voir le intentions. On sait, par ailleurs, que le
film — si ce n’est déjà fait — et se nom de Jean-Paul Sartre ne figure pas
demandera, s’il est aussi fou que moi, au générique, bien qu’à l’origine de
(1) U n « sp é cialiste » , J e a n D o m a rc h i, m ’ex p liq u e, à l ’in s ta n t, q u e le s défin itio n s de L alande-
et d e M e rleau -P o n ty n e v a le n t rien, q u ’il f a u t se r e p o r t e r a u se ul H u s se rl, q u e c ’e s t u n e recherche
des t essences », q u e cela n*a r ie n à v o ir avec le « c o m p o rte m e n t »... A llon s b o n , t o u t e s t &,
reco m m encer.

58
toute l’affaire il y ait un scénario de une fraction de seconde sur la crête
lui intitulé Typhus. J’aime à croire de l’imminence avant de tomber d’un
pourtant que l’originalité des Orgueil­ côté ou de l ’autre. Cette fraction de
leux n’est pas due à un pur phénomène seconde qui est dans la vie comme le
de hasard. Je pense que le cinéma fran­ signe le plus évident de la liberté, a
çais ne souffre pas de la qualité de aussi libéré l’écran de la servitude des
ses sujets, mais des styles dans lesquels emplois et des règles de la dramatur­
ils sont adaptés et traités. Ici le parti- gie. Postulant le réel par essence photo­
pris n’a rien en soi de nouveau. La graphique, le cinéma ne triche plus
littérature américaine dite de compor­ quand il acquiert ainsi l’incertitude et
tement est déjà une révélation loin­ commence à rendre compte du dilemme
taine. C’est pourtant le seul cinéma ita­ existentiel. Païsa et Umberto D, La
lien qui lui a répondu vingt ans plus Terre tremble et Rome ville ouverte
tard au moment même où se dévelop­ sont ainsi des œuvres pleines de trous,
pait, en France, le roman sartrien et de vides qui sont la chance dorynée au
un certain nombre d’entreprises paral­ phis secret de se manifester par sur­
lèles. Les Orgueilleux en faisant un pas croît, en prime à l’honnêteté. J’éclai-
dans ce sens mérite, en dépit de nom­ ' rerai peut-être mieux mon propos en
breuses faiblesses, d’être considéré disant que j'ai vu l’admirable Europe 51
comme un des films français les plus en croyant, jusqu’à la dernière minute,
importants de l’année. que l’héroïne allait sortir de l’asile et
Le sujet lui-même pouvait prêter à çiue, si je comprends comme un autre
toutes les sortes d’interprétations et de à quelle sanctification ultime corres­
mises en scène. Une jeune femme s'ar­ pond ce refus de la société à ouvrir
rête dans une petite ville mexicaine la porte, je n’en regrette pas moins
avec son mari malade. Atteint de mé­ cette sanction finale de l’événement,
ningite cérébro-spinale, celui-ci meurt cet exhaussement brusque au plan de
aussitôt et l’épidémie se propage, l’unique, alors que c ’était l’incertitude
condamnant la ville à la quarantaine qui me bouleversait... car, enfin, je
et rendant la jeune femme prisonnière n’avais pas attendu la dernière bobine
de cette variante de huis-clos physique pour comprendre que c ’était bien de
et moral qu'est le cordon sanitaire et sainteté qu’il s’agissait.
le guet de la mort. Elle va découvrir Les Orgueilleux ont sans doute subi
d ’abord qu’elle a peu de peine de la trop de contraintes dans leur élabora­
mort de son mari, ensuite son intérêt tion pour pouvoir prétendre à la valeur
croissant pour un déchet d’humanité des œuvres citées plus haut. Il semble
local, ex-médecin français sombré dans que des soucis contradictoires aient
l’alcool après la mort de sa femme présidé à la réalisation du film. Quand
plus ou moins par sa faute. Rédemp­ un certain style semble s’affirmer, un
tion par l’amour ? Enchaînement des pavé est jeté qui rompt l’équilibre.
circonstances ? Peu importe. L’homme Ainsi de la danse de Gérard Philipe
et la femme resteront ensemble pour et plus généralement de toute son inter­
tenter de briser Tétouffante solitude du prétation poussée dans le sens du pitto­
désespoir et affronter l’opiniâtre hosti­ resque, alors qu’au contraire celle de
lité du monde. Cette fin, qui aurait pu Michele Morgan est en parfaite adé­
être ailleurs coup de théâtre ou péro­ quation avec la tendance qui nous inté­
raison morale, n’est ici que simple inci­ resse : femme qui subit ses pleurs là
dent qui ne tranche en rien sur le où elle ne les attendait pas et qui est
reste. Le film s’arrête là. Un point c ’est surprise elle-même par son rugissement
tout. Dix minutes plus tôt, dix minutes de lionne offensée quand le patron de
plus tard, cela n’aurait rien changé *, bistrot tente de la violer. 11 eut fallu
de toute façon les jeux étaient faits plus de modestie pour conduire à
sans qu’on sache jamais exactement bonne fin ces Orgueilleux. L’aspect
comment. général de la démarche demeure pour­
Ce qui est intéressant, c’est le refus tant captivant. L’écran français s’élar­
des enchaînements habituels, des justi­ git soudain des dimensions nouvelles.
fications psjrchologiques consacrées, de La vie soudain se déroule en long
la sacro-sainte progression dramatique. comme un ruban, sans solution de
Ce qui est intéressant, comme dans le continuité. Cette exploration latérale
néo-réalisme italien, c’est le respect de constitue en somme le premier film
cette frange d’indécision du quotidien français en « Cinémascope s>.
où les êtres et les objets, ainsi que les
événements qu’ils déterminent, hésitent J a c q u e s D o n i o l -V a l c r o z e

59
EISENSTEIN ET LES CïNES-CLUBS FRANÇAIS
p a r M a r ie S e a to n

(Tribune de la F. F. C. C .)

A l’issue d ’n n e tournée de co nférences q u i l ’a m enée d u r a n t six; se m a in es


d a n s u n e tre n ta in e de c in és-clu b s fr a n ç a is , M a dam e M arie Seaton. a bien v o u lu
n o us d o n n e r ses im p re ss io n s s u r les réactions du p u b lic fra n ç a is d e v a n t
l ’œ u v re de S. M. E isenste in. R a p p e lo n s que Marie Sea to n v ie n t de p u b l i e r en
A ngleterre et a u x V .S .A . «ne i m p o rta n te étude b io g ra p h iq u e et critique s u r
le grand m a ître so v iétiq u e g u ’elle a f o r t b ien connu.. Une é d itio n fra n ç a is e
est en p ré p a ra tio n ,

H e st de n o to riété publique que les idées d’E ise n ste in su r le m ontage o n t été influen­
cées p a r les tra v a u x de P av lo v e t de F reud, a in si que p a r les te n ta tiv e s fa ite s p a r
D.W. G riffith (notam m ent dans Intolérance) en v u e d 'o b te n ir « un m ontage dynam ique ».
C'est ap rès son p rem ier film (L a Grève, 1924) qu’E ise n stein définit la science d es
« chocs » e t le m ontage des « chocs ». H d é c rit le co n ten u de son film comme « une
suite de chocs reliés e t disposés d’une c e rta in e m an ière en vue d 'u n c e rta in effet su r le
public ». L a form e, p our lui, é ta it la m anière d o n t ces chocs é ta ie n t reliés en v u e de
p roduire la réactio n désirée dans la pro p o rtio n voulue.
J ’ai te n u à rap p eler l ’o b je ctif qu’E ise n ste in se p ro p o sait en guise d’in tro d u ctio n
à c e t article su r les conférences que j'a i données d an s les cizzé-clubs fra n ç a is. D ans la
p lu p a rt des cas, j ’a i co n staté en effet que so it la to ta lité , so it la m a jo rité du public
ré a g issa it ex actem en t comme E isen stein a v a it espéré, il y a v in g t-cin q ans, que son
public ré a g irait.
D ans l ’un des ciné-clubs visités, une séquence de L a L igne générale, l'essai de
récrém euse que les p ay san s vo ien t fo n ctio n n er p o u r la prem ière fois, provoqua u n
am usem ent in a tte n d u , l e s paysans ont p aru com iques e t le s rire s é ta ie n t sans sym pathie.
S 'il e st exact, comme il m’a été d it p a r ailleurs, que les ad h éren ts de ce club a p p a r­
tie n n e n t po u r la p lu p a rt à la bourgeoisie e t d é fe n d e n t des th é o ries esth étiq u es sophis­
tiquées, le u r réactio n confirme b ie n alors l’opinion d ’E ise n stein selon laquelle « un c e rta in
choc p e u t pro d u ire une ré a c tio n ou un effet donné un iq u em en t d e v a n t u n pu b lic d’une
classe définie ». J 'a i eu personnellem ent l’im pression que, p our ce ciné-club, les films
d’E isein stein c o n stitu a ie n t d av an tag e une cu rio sité cin ém atographique que le m oyen
d'exprim er, d’une m anière créatrice, des problèm es v iv a n ts co n cern an t la v ie des m asses
e t des nations.
A u ciné-club des E scaldes, le public é ta it composé de jeunes filles de 17 à 25 ans
d’une éducation assez élém entaire. Ja m a is au cours de m es conférences en A n g leterre,
en H ollande e t en F ran ce, je n ’ai ren co n tré une te lle id e n tificatio n du sp e c ta te u r avec
l’im age pro jetée. Des rire s fu s a ie n t à, c e rta in s p assages de Tim e in the Sun e t de la
b a ta ille su r la glace dans Alexandre New ski. l e pub lic p ro te sta v iv e m en t a u m om ent
de la p rojectio n des scènes de l’escalier e x tra ite s du Cuirassé Toternkine. L a séquence qu i
p ro d u isit la p lu s v ive im pression f u t celle du couronnem ent du tsa r, tiré e de la prem ière
p a rtie à ’Iva n le Terrible. A la f in de cette séquence, le pu b lic ré cla m a it à, h a u te voix :
« Continuez, continuez... ». L e lendem ain m a tin , la p lu p a rt des je u n es filles ré c la m a it
aux d irig ea n ts du club la p ro je ctio n in té g ra le d’Iv a n le Terrible.
A u ciné-club du S an ato riu m de S ain t-Je an -d ’A ulph, où le pu b lic (composé d’in s ti­
tu te u rs e t d 'é tu d ia n ts) e st ég alem ent jeune, m ais d’u n n iv e a u in te lle c tu e l p lu s élevé,
j'e u s l’occasion de d iscu ter avec les m alades. L es ré a c tio n s au x scènes p ro je té e s fu re n t
égalem ent trè s v iv es e t le pu b lic s’in téressa beaucoup à to u t ce qui c o n cern ait la vie
e t la p erso n n alité d ’E isenstein. L es sp ecta te u rs d é c la rè re n t av o ir é té particu lièrem en t,
frap p és p a r la puissance des im ages e t le u r p u issan t réalism e. L a discussion p a rtie de
su je ts pro p rem en t ciném atographiques donna lieu, en su ite, à u n la rg e échange de vues,

60
su r la politique e t la religion. Ce phénom ène sem ble pro u v er la v é ra c ité de la théorie
d 'E isen stein : « L e film in tellectu el d o it ê tre absolu. I l d o it ê tre a u th en tiq u e d an s sa
p résen tatio n , ém otionnel e t p a th é tiq u e d a n s sa form e ». On p eu t s ’éto n n er qu’une te lle
théorie a it pu ê tre tr a ité e de fo rm aliste ! E n to u t cas, d a n s to u s les ciné-clubs la puissance
des films d ’E ise n ste in p a rv in t à su rm o n ter to u te s différences d ’opinions ta n t p olitiques
que religieuses.
J ’ai été surprise de c o n sta te r que les p u b lics p u rem en t fém inins é ta ie n t au ssi touchés
que les publics m ix tes p a r l ’expression c ré a tric e d 'E isen stein m algré l’absence de dram e
psychologique.
L ’épilogue de Tim e in the Sm , f u t g én éralem en t considéré, notam m ent p a r les m em bres
des ciné-clubs de S ain t-H ilaire-du-T houvet e t de Lyon, comme plein d’hum our e t d’ironie.
J e doit souligner la g ran d e différence de ré a c tio n des publics des ciné-clubs b rita n n iq u es
e t des ciné-clubs fra n ç a is à l ’ég ard de c e tte séquence. L es b iz arres cérém onies du jo u r des
m orts n ’a jam ais éveillé le rire p arm i le public b rita n n iq u e alors qu’elles am usèrent souvent
dans les ciné-clubs fran ç a is. C urieux rapprochem ent, c e tte réactio n amusée est égalem ent
celle du public m exicain.
H existe d ’ailleurs, bien des c o n tra ste s e n tre l’a ttitu d e du public fran çais, d ’une
part', b ritan n iq u e e t h o llan d ais d ’a u tre p a rt, à l’égard de l’œuvre d ’E isen stein .
E n A ngleterre e t en H ollande, les p rin cip ales questions qui m ’é ta ie n t posées concer­
n a ie n t la techn iqu e d’E ise n stein e t notam m en t cet asp ect de sa technique qui consiste à
donner l ’im pression de tem ps p a r des p la n s chevauchés (exem ples : la chute de la femme
contre la v o itu re d’e n fa n t dans L e Cuirassé Potem kine e t les pièces d’or versées su r la
tê te d’Iva n le Terrible p e n d a n t le couronnem ent). Cet effet rem arquable du m ontage d ’E i­
senstein n ’a jam ais été souligné en F ran ce. P a r contre, le public fra n ç a is a m o n tré qu’il
é t a it beaucoup plus conscient de l’influence de la p e in tu re su r la com position de c ertain es
im ages d'E isenstein . A Lyon, p a r exem ple, les sp ectateu rs so ulignèrent l’influence de
certain s p e in tres de la pré-R enaissance su r la m anière d o n t E isen stein tr a ite les problèm es
de perspective.
E n ce qui concerne le c h a h u t qui salu a, à la Sorbonne, m a prem ière conférence en
Fran ce, je dois avo u er que j ’en ai été su rp rise — e t même un peu choquée — m ais aussi
am usée. J e n ’a i pas tr è s bien com pris pourquoi une p a rtie du pu b lic se d o n n a it ain si en
spectacle e t em pêchait d ’éco u ter ceux qui v o u la ie n t bien le faire . P ersonnellem ent je n ’en
ai ja m ais voulu au x étran g e rs qui p a rle n t an g lais même avec un trè s f o r t accen t : je
considère p lu tô t comme un com plim ent le seul f a i t qu’ils p a rle n t ma langue.
D ans les villes où les é tu d ia n ts fo rm a ie n t la m a jo rité du public, j ’ai to u jo u rs co n staté
u n e atm osphère « anarchique » a v a n t la conférence; m ais, dès le d éb u t de la séance, le
calm e rev en ait. J e crois qu’en f a it les ciné-clubs fo n t to u t ce qu’ils p eu v en t pour stim u ler
des discussions in tellig e n te s e t libres, m ais qu’ils ont à lu tte r contre un c e rta in e sp rit d ’in ­
c e rtitu d e e t de cynism e rép an d u dans une p a rtie de la jeun.esse fran çaise. C ependant la
sym pathie qui m ’a m ain te s fo is été tém oignée indique que c ette jeunesse désire v ivem ent
ê tre confrontée avec des f a its e t se fo rm er une opinion.
J ’ai te n té d’ap p o rte r une co n trib u tio n sincère, honnête et stim u lan te à la discussion
ciném atographique en F ran ce. J ’espère y ê tre parvenue.
E ise n stein e st une figure cap itale du ciném a m ondial e t il est possible que son œuvre
so it la plus im p o rtan te de celles qui o n t influé su r le développem ent du ciném a (à l’exception
de l'œ uvre de G riffith ),
E n ce qui me concerne, je me suis to u jo u rs refusée à la isse r la politique de guerre
fro ide influencer m on in te rp ré ta tio n de la v ie e t de l ’œ uvre d’E isenstein. I l a connu
certain es difficultés en U nion S o viétique; mais, d’a u tre p a rt, n ’a jam ais pu te rm in er un
film d an s u n pays- é tra n g e r. J e suis heu reu se de pouvoir dire que les m em bres des ciné-
clubs de F rance, de H ollande e t de. G rande-B retagne o n t clairem en t m a n ifesté qu’ils
d é sira ie n t v ra im e n t c o n n aître la v ie d’E ise n stein , m ais qu’ils n ’e n ten d aien t p as se se rv ir
de son cas pour co n trib u er à la g uerre fro id e.
Pourrait-on, d ’ailleurs, l’u tilise r p our a tta q u e r les E ta ts-U n is ? H ollyw ood a persécuté,
depuis, tro p de ses p ropres ré alisateu rs, scén aristes ou a cteu rs am éricains en raiso n de Ieurs.
opinions p olitiques supposées ou du contenu ré p u té « su b v ersif » de leurs fllms...
E ise n stein a é té m e v ic tim e m in eu re ; il a aisém ent surm onté le dommage subi. Sa
p lace d an s l ’h isto ire du ciném a e st a u jo u rd ’h u i aussi im p o rtan te, sinon plus, que de son
v iv a n t. C 'est là la m esure de la g ran d e u r d ’un a rtis te qui p eu t e x a lte r p a r son œ uvre les
g én ératio n s qui le su iv en t.
M a r ie S eaton

61
TABLE DES MATIÈRES
TOME V — DU NUMÉRO 25 (Juillet 1953) AU NUMÉRO 30 (Décembre 1953)

A N D E R SO N Lindsay
L e t t r e a n g l a i s e s u r B e c k e r ................................................................................................................. N s 2 8 P. 31
ASTRUC A lexandre
La f e m m e 0 + la m o r t ........................................................... » .......................................................... N" 3 0 P. 15
AU DIB ER TI J a c q u e s
G r e t a , M a r l e n e , N i n o n ......................................................................................................................... N" 3 0 P. 3
AUDREY Suzanne
Les F e m m e s e t le C i n é m a a u J a p o n ....................................................................................... N’ 3 0 P. 4 2
B A Z IN A n d r é
Le r é e l e t l ' i m a g i n a i r e (Crin Blanc) ............................................................» ................... . , N° 2 5 P. 5 2
P e t i t D i c t i o n n a i r e p o u r V e n is e .......................................................................» ......................... N° 2 7 P. 6
De l ' a m b i g u ï t é (The RedBadge 0 f Courcge) ...................................................................... N° 2 7 P. 4 9
B, S
P o u r q u i s o n n e le g l a s ......................................................................................................................... N° 2 7 P. 38
CHABROL C lau d e
Q u e m a jo ie d e m e u r e (S?ng/ng ïn fhe R aîn) ............................................................................ N° 2 8 P. 5 5
COCTEAU J ean
Le M y t h e d e la f e m m e ......................................................................................................................... N° 3 0 P. 2
D EM A N G E O T M ylène
Les O m b r e s .................... ........................................................................................................................... N9 30 P. 4 8
D EM O N SA BL O N Philippe
V i s a g e d e l ' a m o u r e u s e ................................................ ....................................................................... N» 3 0 P. 16
DOMARCHI Jean
U n e f i d é l i t é m a l r é c o m p e n s é e f i e Bon Dieu sans co n fessio n ) ..................................... N° 2 9 P. 5 0
D O N IO L-V A L CR O ZE J a c q u e s
Les c l e f s i n u t i l e s (The Bad and fhe B ea u tiiu l) ....................................................................... N" 2 6 P. 5 2
Le m a r i n d e la m a l c h a n c e (Thérèse Raquin) ....................................................................... N5 29 P. 41
C a r o l i n e B o r g i a (Lucrèce Borgîa) .............................................................. .............................. N° 2 9 P. 5 4
D O R S D A Y M ic h e l
D im e n s i o n s e t p r o p o r t i o n s (Le Cinémascope) ................................................ .. ................... N° 25 P. 23
S i t u a t i o n d e l ’A m é r i q u e .......................................................................................... .. ...................... N° 25 P. 41
L’o r d r e d e s c h o s e s (Pâques sanglantes) . . ............................................................................ N° 25 P. 47
V i s a g e d ' u n e A m é r i q u e .................................................................................................................... N° 26 P. 31
Des t o u r m e n t s e t d e s h é r o ï n e s (My Cousin Rachel, The Fourposter, M o n s o o n ) . . N" 27 P. 54
De la g r a n d e u r (Pierre le Grand, ! l s p a r t i e ) ...................................................................... N° 27 P. 60
D i a l o g u e (La femme gai inventa l'omour, El Bruio, The Moon is B lue) .................... N° 28 P. 57
Le v o y a g e a l l e m a n d ........................................................ ................................................................ N° 29 P. 38
Les O m b r e s ..................................................................... . . . , ............. ................................. ..... • • ■ N" 30 P. 48
E1S NER L o t t e H .
I m p r e s s i o n s d e d e u x F e s t i v a l s ........................................................................................................ ..... N" 2 6 P. 3 6
En m a r g e d u F e s t i v a l d e V e n i s e ........................................................................................................ N° 2 8 P. 3 6
Les a f f a m é s d u Film d e q u a l i t é ............................................................................................. • N® 2 9 P. 3 6
F R A N K N în o
Le c i n é m a c o m m e p h é n o m è n e d e c u l t u r e ............................................................................ N° 3 0 P. 5 4
© A N CE Abel
Les n o u v e a u x c h a p i t r e s d e n o t r e s y n t a x e ................................................... ........................ N° 2 7 P. 2 5
KAST P i e r r e
il e s t m in u it , D o c t e u r K î n s e y .......................................................................» ................ .. N° 3 0 P. 5 0

62
K IM J e a n - J a c q u e s
Les d e s s i n s a n i m é s e n r e l i e f ........................................................................................................ N° 2 5 P. 35
LACHENAY R obert
Les d e s s o u s d u N i a g a r a ( Niagara) ........................................................... .................................N° 2 8 P. 6 0
LA M B ER T S a vin
« L ' é l é g a n t e m é l a n c o l i e d u c r é p u s c u l e » ............................... .. ......................................... N a 2 5 P. 15
L e t t r e d e L o n d r e s ..................................................... .............................................................................. N a 2 6 P. 42
LO D U C A
Q u e l q u e s N o t e s (Le cinémascope) . , ......................... ....................................................... N° 2 5 P. 2 0
V a r i a t i o n a u t o u r d ' u n e d i s c u s s i o n s u r le c i n é m a e s p a g n o l ........................................... N 3 2 8 P. 4 7
T e c h n i q u e d e la V a m p ................................................................................................................... N° 3 0 P. I I
M ARKER C hris
L e t t r e d e H o l l y w o o d . . . * ............................................................................................................. N° 2 5 P. 2 6
Le C i n é r a m a ........................................................................................................................ .. ................... N J 2 7 P, 3 4
M A R T IN A n d ré
Fil m s d ’a n î m a t i o n a u F e s t i v a l d e C a n n e s ............................................................................ N° 2 5 P. 38
Film i n c o m p l e t m a i s G r i m a u l t i n t é g r a l (La Bergère et le Ramoneur) ............... N° 2 5 P. 4 9
L ' é c o l e p r i m a i r e d o n n e le b o n e x e m p l e (Martin et G a s to n ) ..................................... N° 2 6 P. 5 4
M A Y O Ü X M ichel
U n c h e f - d ’œ u v r e i n t i m i s t e .....................................* .......................................................... .. N" 2 6 P. 6
P e t i t D i c t i o n n a i r e p o u r V e n i s e ................................................................................................. N° 2 7 P. 6
M E L O N N O V EL H o r a c e
P o u r s a l u e r D o u g l a s .............................................................................................................................. N° 2 9 P. 2
M IC H A René
La V é r i t é C in ém ato g rap h iq u e ................................................................................................... N° 2 9 P. 16
M I C H A U T P ie r r e
J o r i s Iv e n s ................................................................... .. ............................................ ........................... N° 2 5 P. 5
J o r i s Ivens (11) ............................................................. * ................................................................. N° 2 6 P. 2 6
J o r i s Iv e n s ( f i n ) .................................................................................................................................... N° 2 8 P, 2 0
M O U S S IN A C Léon
A v e c Y s e v o l o d P o u d o v k î n e .......................................... ................................................................. N° 2 6 P. 2
RENZI Renzo
« L ' a r m a t a s ' a g a p o » ......................................................................................................................... N° 2 8 P. 4
R IC H ER J c a n -J o sé
D im e n s i o n s e t p r o p o r t i o n s (Le cinémascope) ................................................................. N" 2 5 P. 23
P e t i t D i c t i o n n a i r e p o u r V e n is e ......................................................................... N° 2 7 P. 6
L 'A f f a ir e C é s a r (Juiïus Cœsar) .............................................................................................. . W 29 P. 4 5
L ' é p o p é e g e l é e (Shane) ........................................................... , ..................................................... N° 29 P. 5 2
RIVETTE J a c q ues
L’A r t d e la f u g u e (I C o n fe s s) ................................................................................................. Na 26 P. 4 9
D e l ’i n v e n t i o n (The Lusiy Men) ................................................................................. ................ N° 27 P. 5 9
L e m a s q u e ( M a d a m e d e ) ................................................................................................................... N° 28 P. 4 9
R e n c o n t r e a v e c O t t o P r e m î n g e r .................................. ...................................................... N° 29 P. 7

ROBIN Jo a c h im
N o te s sur L ocarno ........................................................ .. ................................................................... N° 2 6 P. 41
SADOUL G eorges
F i l m o g r a p h i e d e V. P o u d o v k î n e ...........................................................- .................................... H 3 2 6 P. 9
E x iste -t- il un n é o r é a l i s m e j a p o n a i s 7 ....................................................................................... N 5 2 8 P. 7
S A D O U L R uta
F i l m o g r a p h i e d e V. P o u d o v k î n e ............................................. .. ...................................... N a 2 6 P. 9

SCH ERER M au rice


G é n i e d u C h r i s t i a n i s m e ( E u r o p e 5 î ) . . . . . . . . . . .................................. . ...................... N° 2 5 P. 4 4
D e t r o i s films e t d ' u n e c e r t a i n e é c o l e .................................................................................. N° 2 6 P. 18
L e s m a î t r e s d e l ' a v e n t u r e (The Big Sky) ... ............. ................................................................ N° 2 9 P. 4 3

63
5 i C A Y ittorîo d e
L ettre à Z a v a ttin i ................. .............................. . . . . . . .................................................. ................N° 2 8 P. 4 5

SOL LEVILLE M a r î e - C i a i r e
N o s a m i e s les f e m m e s ............................................................................................................... * • • N° 3 0 P. 2 2
TRUFFAUT F ran ço is
En a v o i r p l e i n la vue (Le cinémascope) ........................... . . ................................. . . . N° 2 5 P. 2 2
T e r r e a n n é e Z é r o (F iv e ) ...................................................................................................................... N° 2 5 P. 5 5
Du m é p r i s c o n s i d é r é . . . (S fa h g 17) ......................................................................... N° 2 8 P . 51
VEDRES N i c o l e
Petite lettre à A n d r é Bazin s u r un s u j e t i n t r a i t a b l e ...................................................... N° 3 0 P. 27

W EIN B ER G H erm an G.
Lettr» de New Y o r k ......................................................................................................................... ..... N 9 2 7 P. 4 6
L ettre de New Y o r k .......................................................................................................................... ..... N° 2 8 P. 3 8
le ttre d e New Y o r k ........................................................................................ .. .................................... N" 2 9 P. 4 0

Z A V A T T IN I C e s a r e
R e n c o n t r e a v e c V a n G o g h .............................................................................................................. N’ 29 P. 3 I

E D I T O R IA L
M a i s o ù s o n t le s G a r b o d'antan ................................................................................................... Na 30 P. !

LIVRES DE C I N E M A
J .D .- V ., A.B. e t F.L. (Le Surréalisme au cinéma d ' A . K y ro u , D/eu ou Crnémor,
d ’A . A y ffr e, Une grosse légume d ' O . W e l l e s , L'Index de la Cinèmato 19S3) N* 2 5 P. 6 0
A ndré Rossi (Livres de Cinéma) ....................... ........................................................................... N’ 29 P. 6 2

N O T E S S U R D 'A U T R E S FILM S
A .B ., M .D ., F.T. e t F.L. ( f e m m e s en cage s, Le Renne Bfance, Le quatrième
H o m m e , Docteur C y c / o p e , La Main de la Momie, Miracle à Tunis, Mon in
fhe Dark) .................................................................................................................................... ■ Ma 2 5 P. 5 7
A . M . e t F. d e M . (Flamenco, Bienvenue M. Marshall, Le Père de Mademoiselle,
La Polka des Marins, C o u p s d e Feu, Char lie Ckan à M exic o, Tempête sur la
colline) .............................................................................................................................................. N* 2 6 P. 5 7
D.V. e t M .D . ( Dortoir des grondes, L'Esc/ave, The Cruel S ea, O Càngciceiro, Celle
de nulle part) ...................................^ , .......................................... ...................................... Na 28 P. 6 2
C . C . , J .D .V ., M.T., F. d e M ., R. L„ F.T., A .B . e t J . R . (The Hitch-Hiker, G e n e ­
viève, Lettre ouverte, C ette sacrée famille. Ma vie à moi, Le Pari Fatal,
L'autocar en folie, Scandale à Las Vegas, The Turning Point, Quand tu liras
cette lettre, La Dame aux Camélias, The Naked Spur, L efs do it again, Les
danseuses du désir, Q u o Yadis...) ............................................................................. N° 2 9 P. 5 7
N O U V E LL ES DU C I N E M A . . ................................................................................................................... ..... N° 2 5 P. 4 0
N O U V E LL ES DU C I N E M A ........... . " . ................ .. ................................................................................... ..... N a 2 6 P. 4 6

REVUE DES REVUES


A.B. (Positif : « Jean P ig o ............................................................................ .................................N° 2 6 P. 6 3
F.T. e t A .B. ( Bizarre, Bianco et Nero) ...................................................................... ...................... N “ 2 7 P. 6 3

T R IB U N E DE LA F . F . C . C .
Q u e s t i o n s a u t o u r d e et m o n p u b l i c » p a r P i e r r e B illa rd ................................................ N5 26 P. 4 4
R e n c o n t r e s , p a r A n d r é - G e o r g e s B runelîn ............................................................................ N° 2 8 P. 4 0

CORRESPONDANCE
J . Q u e v a l e t F. T r u f f a u t .............. .......................................................... .. ...................................... N“ 26 P. 6 4
J e a n d ’fv o îr e e t F. T r u f f a u t . . . . . . . » ............................... ............. ‘.........................................• N° 2 7 P. 6 4

F C O M M E FEMME
{ L o t t e H . Eîsnsr, F r a n ç o i s T r u ffa u t, J a c q u e s R î v e t t e , P h i l i p p e D e m o n s a b l o n ,
J e a n - J o s é R i c h e r , M ic h e l D o r s d a y e t F r é d é r i c L a c l o s ) ... ........................... N3 30 P. 29
REVUE PERPETUELLE DES IL L U S I O N S D ' O P T I Q U E S ............................................................ N° 2 6 P. 6 0

N.D.L.R.
A r r ê t e z - n o u s t o u s ............................... » .............................. .. ................................................................ Ns 28 P. 2

64
CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

Janvier-Avril
MUSÉE DU CINÉMA
7, A venue de M essine. P a ris

CINQUANTE ANS DE CINÉMA ITALIEN


Exposition
des collections du Museo del Cinéma de Turin

Le Museo del Cinéma de Turin est un des trois musées spécialisé


d'Europe. Ses collections sont uniques et capitales pour Fhistoire du cinéma

C O M M U N IQ U E
A près la 2ft‘' A ssem blée Générale, le bureau so r ta n t a yant été réélit à l 'u n a n im ité , le Conseil
d ’A d m in istra tio n de la C iném athèq ue F ra n ç a is e se com pose com m e su it : P ré sid en t d ’/ionnciiî' ;
M. A. K um enku ; P ré sid e» ! : M. J . lirc m iU o n ; Vice-Pi'éxidents : MM. Léon M athot et Jism
Tedesco ; Secrétaire Général : M. H en ri L anglois ; Secrétaire G én éral-A d joint : Mme Yvonne
D ô m es ; M em b res : Mines Georges B id a u lt, Colson-M alleville, MM. Marc Allégret, René Clair,
Charles Delac, H u b ert Devilloz, R. Feignoux, A. L a p o rte, L, M onssinae, ,T. P ainlev c, A. P aulv é,
G. Sadoul.

C A H IER S D U C IN É M A
R e v u e mensuelle du cinémo ei du iélé-dnèm n
Rédacteurs en Chefs : A. BAZIN,
J, DONIOL-VALCROZE e t LO DUCA
Direcleur-çjérant : L. KEJGEL

Tous droits réservés.
C o pyrig ht by « Les Editions d e l'Etoile a
25, Bd Bonne-Nouvelle - PARIS (2e) R.C. Seine 326.525 B

Pr!< du numéro : 250 Frs
A b o n n e m e n t 6 numéros :
France, Union Française .................................... 1.375 Frs
FILMS PUBLICITAIRES Et ran ge r .................................... ............................ 1.800 Frs
A bonnem e nt 12 numéros .
Production Distribution France, Union Française .............................. 2.750 Frs
Etranger . . . .............................. 3.600 Frs

Adresser lettres, ch è q u e ou m a n d a t aux CAHIERS
DU CINEMA, (46, Champs-Elysées, PARIS-86 ( ELY 05-38)
CHAMPS - ELYSÉES 7 9 C hèq ue s postaux : 789Q-7à PARIS

PARIS 8 e •
Les articles n 'e n g a g e n f que leur auteur.
Tél. : BALZAC 6 6 -9 5 et 00-01 Les manuscrits ne sont pas rendus.

Le Direcieiir-Gémni : !.. K e i g e l .
Imprimerie H é b issk y , Evreux, N" 1131. — Dépôt légal : 1er trimestre 1954.
BROADWAY
LA SALLE DE L'ÉLITE

36, CHAMPS-ELYSÉES, PARIS-8* - ÉLYsées 24-89

Pd nte d In France PRIX DU NUMÉRO : 250 FR/S

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