Avs - Le - Monde - de - La - Priere 2
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Le Monde de la Prière
*
A usage privé
L'édition originale de cet ouvrage a paru
chez Johannes Verlag à Einsiedeln, en 1951, sous le titre :
Die Welt des Gebetes.
ISBN 2-87299-043-7
ISSN 0222-9473
D/1995/4255/3
PRÉFACE
Le caractère particulier des écrits d’Adrienne von Speyr justifie, pour le pré-
sent ouvrage également, un court exposé de la part de l’éditeur. La plupart des
ouvrages parus jusqu’ici étaient des méditations sur la Sainte Ecriture qui, dans
un élan toujours nouveau, cherchaient à faire entendre, verset après verset, la
parole de Dieu et à l’interpréter. L’effort de cette démarche intrépide, toujours
renouvelée, n’a de sens pour le lecteur que s’il l’accomplit inlassablement lui
aussi, que s’il ne considère pas ce qui lui est présenté comme un traité cohérent,
mais comme une incitation et une invitation à une méditation personnelle. En
dépit des apparences, la même chose vaut pour le présent ouvrage. Parmi les
nombreuses déclarations de l’auteur sur le thème de la prière, l’éditeur en a
choisi un certain nombre qui, telles des fleurs, s’harmonisent en bouquet tout en
gardant, comme tout bouquet, quelque chose d’imprévu : il aurait pu être plus
grand, plus petit, ou arrangé autrement. Il ne faut pas s’attacher à la composi-
tion qui provient de l’éditeur, comme les titres d’ailleurs, et qui, quel que soit le
regroupement, restera perfectible, mais au contenu et à la valeur propre des dif-
férents morceaux qui débotent un style unifié évident dans la façon de concevoir
la prière et même tout le christianisme. Aussi étrange que cela puisse paraître,
il est presque indifférent d’ouvrir ce livre n’importe où, pour se mettre à lire :
tous les chemins, (p. 6 :) comme les rayons d'un cercle, mènent tout droit au
centre. Il faut s'attacher partout à l'unité intérieure et non à l'extérieure.
On peut dire succinctement que l'unité réside en ceci que toute vue humaine
doit être transposée et fondée dans une vue ecclésiale, toute vue ecclésiale dans
une vue christologique, toute vue christologique dans une vue trinitaire. Par là
se révèle déjà la pensée fondamentale extrêmement audacieuse, et néanmoins
logique, de l'ouvrage : comme tout ce que Dieu nous manifeste de lui dans le
Christ, comme la grâce, comme la foi, l'espérance et l'amour, comme la relation
entre le Christ et l'Église, la prière a son ultime racine en Dieu même, dans son
échange de vie trinitaire. Dépassant tous les motifs et les contraintes de notre
condition de créature, la prière chrétienne est participation à une vie et à une
prière intradivine, telle qu'elle nous a été révélée, manifestée, accomplie et don-
née en exemple par Jésus-Christ Notre Seigneur. Parce que telle est la pensée es-
sentielle de l'ouvrage, la section qui traite expressément et le plus complètement
du fondement trinitaire de la prière a été placée au début, en dépit de toutes les
Épiphanie 1951
Hans Urs von BALTHASAR
La nature de la prière
Il n'existe pas de définition de la prière, car c'est une vie mystérieuse avec Dieu, une
participation à son être profond, à son amour divin, trinitaire. Certes, les formes qui
s'écartent le plus de ce centre sont, prises isolément, celles qui sont aussi le mieux es-
quissées. Elles permettent ainsi une description et une délimitation relativement ac-
cessibles. Cependant, pour apprendre à connaître la nature vraie de la prière, il fau-
drait partir de la prière dans laquelle l'homme se trouve lc plus parfaitement uni à
Dieu, de la contemplation totale, quand il est parfaitement adapté par Dieu lui-même
à sa volonté. Dieu lui-même l'ayant placé dans l'état ou il veut l’avoir, il est devenu un
miroir éclatant de sa divine volonté, une claire réponse à sa révélation. Alors la parole
de Dieu est devenue si puissante qu'il n'est absolument plus besoin d'autres paroles
pour l'exprimer. Dieu fait voir, et l'homme n'a plus besoin de transposer en images
étrangères ce qui lui est montré : il est entièrement absorbé par le fait d'être à Dieu.
Un enfant qui joue est tellement pris par son jeu qu'il lui faut s'arracher à son monde
et construire un pont vers l'extérieur pour expliquer le jeu à un non-initié. Ainsi l'orant
parfait, s'il doit expliquer à d'autres ce qu'il fait.
Tout dialogue avec Dieu, au fond, nous embarrasse. N'est-il pas un « ersatz » d'une
entente plus profonde ? Si nous n'avions pas péché, il serait nattlrel d'aimer Dieu et de
répondre à la parole qu'il (p. 10 :) nous adresse. Au Paradis, Dieu ne pose pas de ques-
tions à Adam ; Adam vit simplement devant sa face, dans la foi, dans le bonheur, et
tout ce qu'il fait correspond aux intentions de Dieu. « Tu dois régner », lui dit Dieu ;
il n'est rien rapporté d'une réponse d'Adam. Il va de soi qu'il comprenne la parole de
Dieu et l'accomplisse. Il ne lui vient pas à l'idée de demander : « Ô Dieu, comment est-
il possible que je règne sur les animaux et comment dois-je m'y prendre ? » Il n'y a de
question de Dieu posée à l'homme qu'après la chute dans le péché. « Adam, où es-tu ? »
Ce n'est que maintenant que commence le dialogue, comme entre deux sujets qui se
sont éloignés l'un de l'autre et, par là, ce que nous nommons aujourd'hui la prière.
Quelque chose qui a pour fondement, quelque part, la mauvaise conscience; qui tire
d'une funeste réalité les meilleures conséquences à tirer ; qui a pour but de rapprocher
de Dieu ceux qui s'en sont éloignés. Ainsi, dans le Notre Père, le Fils tient compte du
péché. S'il n'y avait eu aucun péché, nous n'aurions pas besoin de dire : « Que ton nom
soit sanctifié », car le nom de Dieu serait toujours sanctifié. Nous n'aurions pas besoin
de dire : « Que ton règne arrive », car son règne serait là. Inutile de dire : « Que ta vo-
lonté soit faite sur la terre comme au ciel », car la volonté de Dieu s'accomplirait sans
différence au ciel comme sur la terre. Une demande du pain quotidien serait superflue,
car ce que Dieu a déjà créé avant l'homme et pour lui se trouverait là sans question. Et
les demandes qui suivent seraient toutes aussi superflues.
Dans la prière, Dieu donne à l'homme la possibilité de se rapprocher à nouveau de
Tout ce qui est bon, et cela veut dire tout ce qui est généreux et aimant, est trans-
parent vers Dieu. Non pas comme le serait un verre mort au travers duquel on regarde,
où l'on doit soi-même (p. 17 :) accomplir l'acte de voir, mais comme quelque chose d'ac-
Il existe entre l'individu et Dieu la relation personnelle qui s'établit dans la prière.
Mais sans porter préjudice à cette relation directe, il y a dans la prière et par la prière
quelque chose comme une couche intermédiaire entre l'homme et Dieu, dans laquelle
se trouve et se réalise ce que Dieu fait de la prière. Dieu a la possibilité de répondre à
une prière, à une demande personnelle, par exemple, d'une facon absolument créatrice
et transformante. Et cette transformation dépendra en partie de la communauté de
tous ceux qui prient, particulièrement du trésor de prières de l'Eglise. Dans sa réponse,
Dieu ne se tourne pas seulement de façon directe et privée vers un appel individuel ;
sa réponse puise dans les appels de tous ceux qui prient, des saints avant tout, et s'en
inspire. Cette couche est le domaine propre de l'action des saints, de ceux, spéciale-
ment, dont la vocation est de prier. Elle est même, essentiellement, le fruit de leur
prière. Elle est en quelque sorte la demeure que tout homme possède en Dieu, son re-
fuge qui fait partie de sa mission. Le lieu où l'on est avec Dieu, où l'on réfléchit peut-
être en commun à un cas difficile qu'on ne peut résoudre tout seul ; ou bien le lieu où,
lorsque de lassitude on ne peut plus examiner une question, on ne fait plus que prier
pour repasser l'affaire à Dieu et s'en remettre à lui, confiant non seulement en sa grâce,
mais dans le soutien qu'on peut attendre de toute prière. Peu importe ici que quelqu'un
recommande l'affaire directement à Dieu ou à l'un de ses saints pour que celui-ci la pré-
sente à Dieu et la mette en ordre devant Dieu, à condition quc tout se meuve au sein
de la relation avec Dieu, de la mission chrétienne. Là où s'ouvre ce royaume intermé-
diaire, l'homme perd tout contrôle de la force et de l'effet de sa propre prière; mais (p.
20 :) en même temps il comprend qu'avec l'existence de ce royaume, toutes ses sollici-
tations se trouvent en de bien meilleures mains qu'elles ne pourraient l'étre en raison
de ses efforts purement personnels .
Lorsque, sur terre, le Fils de Dieu accomplit une œuvre, un miracle par exemple,
cette œuvre n'interrompt pas son contact permanent avec le Père. Ses œuvres ne sont
pas seulement des fruits de sa prière, elles sont expression directe de son union avec
Action et contemplation
Parce que tout se passe en Dieu dans une parfaite unité, l'acte d'engendrer du Père
inclut par avance pour le Fils le fait d'être engendré et cela comme réponse à ce que
fait le Père. Comme une réponse se trouvant depuis toujours autant dans la volonté di-
vine du Fils que du Père. La seigneurie du Fils est déjà parfaite et atteinte dans l'acte
même d'engendrer. En étant engendré, le Fils saisit l'intention parfaite d'engendrer du
Père et se met à sa disposition dans un laisser-faire qui est acte. Faire et laisser faire,
dans la Trinité, sont une seule et même chose : parce que celui qui fait est à ce point
compris par celui qui est fait que celui qui est fait – celui est engendré, celui qui est
spiré – comprenant ce que fait celui (p. 37 :) qui opère, participe avec lui à son acte,
parce que sa nature est par avance celle de celui qui agit et, pour cette raison, elle est
une avec sa compréhension et son vouloir. En voyant la volonté du Père, le Fils com-
prend directement cette volonté, ce qu'elle se propose de faire, et l'intègre depuis tou-
jours commme étant sa propre volonté. L'acte d'engendrer et le fait d'être engendré for-
mant une même chose, il apparaît que l'action active et le laisser-faire passif consti-
tuent une unité parfaite dans laquelle aucune séparation n’est possible. Tout en elle est
lié ; l'actif et le passif s'incluent réciproquement, se comprennent et s'accomplissent.
C'est l'unité originelle de l'action et de la contemplation, leur unité de naissance,
leur unité d'origine, leur unité d'être. Une unité qui est un noyau, une cellule première.
Et si les choses en étaient restées là, on serait difficilement parvenu à ces deux notions
pour caractériser ce qui se passe en Dieu. Mais il y a ensuite des actes de la vision –
en Dieu lui-même et, communiqués par lui, chez les créatures – qui ne sont à qualifier
de contemplatifs que parce que cette origine existe. Pris séparément, ils seraient diffi-
ciles à expliquer, mais, ramenés à cette origine, ils montrent une unité due à la volonté
Adoration
Il y a en Dieu une reconnaissance de soi-même dans l’autre. Comme s’il était indif-
férent au Père d'être lui-même Dieu et comme s'il apercevait l'immense grandeur et la
sublimité de l’être divin juste au moment où il le transmet comme don au Fils. Comme
si le Fils, par sa présence, faisait découvrir au Père l'infinitude de l’être divin. Il en est
ainsi parce que l’amour qui unit le Père, le Fils et l'Esprit dévoile partout au Père la
grandeur du Fils, au Fils la grandeur du Père, à l’Esprit la grandeur des deux et aux
deux la grandeur de l'Esprit. L'amour est la raison de toute découverte et l'amour s'unit
à chacune des qualités divines. Ainsi le Père voit que le Fils est Dieu, mais Dieu parce
que plein d'amour, mais vrai ; parce que plein d'amour; prêt à la rédemption parce que
plein (p. 45 :) d'amour ; il voit que l'Esprit souffle, parce que c'est en aimant qu'il souffle
et ainsi de suite. L'amour fait d'abord voir le divin dans l'autre ; dans l'amour qui est
propre à Dieu et qui est tout autant propre au Dieu qui se trouve devant lui, Dieu dé-
couvre, comme à nouveau, ce que Dieu est ; il voit l’excellence de Dieu ; il sent l'amour
de Dieu ; de façon toujours nouvelle il est directement frappé par la nature de Dieu. Et
parce que Dieu voit dans la vérité cette nature divine de l'autre, l'adoration coule aus-
sitôt à grands flots de cette reconnaissance. L'adoration est l'expression de la rencontre
de Dieu avec Dieu, dans l'amour. Ce n'est qu'en adorant que Dieu peut rencontrer
Dieu, dans le face à face Père, Fils et Esprit. Et parce qu'il en est ainsi, toute adoration
ne peut être vraie que dans l'amour, à l'imitation de Dieu. Et c'est dans l'amour que
l'adoration sera toujours une adoration vévue et compréhensive. I.orsque le Fils, de-
venu homme, manifeste son amour au Père sous la forme de l'adoration, il ne fait rien
de nouveau il fait ce qu'il a déjà fait de toute éternité. Son attitude la plus intime à
l'égard du Père n'a pas été modifiée par l'Incarnation sa nature humaine doit précisé-
ment faire apparaître le divin, le céleste. En priant le Père sur la terre, Le Fils recon-
naît le Père, comme il l'a reconnu de toute éternité : comme le Dieu qu'il adore. Il le
Cette première adoration est comme un grand silence entre le Père et le Fils. Tout
d'abord, ils ne veulent rien faire d'autre que se contempler et se reconnaître mutuelle-
ment en s'adorant. ll ne s'agit cependant pas d'une simple activité intellectuelle, mais,
dès le (p. 47 :) début, c'est la manifestation de l'amour qui aime et est aimé. De sorte que,
dans l'adoration, action et contemplation, avant de se différencier, ne consistent en
rien d'autre, sinon que tous les trois aiment et sont aimés, aiment activement et sont
aimés passivement, et que le noyau de toute action et de toute contemplation se ma-
Prière de demande
Lorsque Dieu est en face de Dieu, Dieu voit que Dieu possède une volonté. Que les
intentions de Dieu sont cachées dans le calme. Que, dans la contemplation de Dieu et
par elle, se fait voir l'action de Dieu. Ainsi le premier à avoir mis en acte une intention
en Dieu, c'est le Père, et la réalisation de son intention, c'est le Fils. L'engendrement
du Fils a sa source dans une intention du Père, qui aime le Fils. Tant qu'on ne regarde
que le Père, son intention est totalement en lui, dans une nécessité de sa faculté de re-
connaître et de vouloir, qui depuis toujours apparaît comme acte. Et de la même force
d'une intention tenant à leur nature, le Père et le Fils font ensemble jaillir l'Esprit. En
cela, l'intention première qui se trouvait originellement dans le Père s'est retrouvée
dans le Fils, de sorte que l'Esprit procède alors d'une intention des deux. Et comme les
Décision
Dans toute prière humaine, il y a des décisions, et prise globalement, elle est même
le résultat et l'expression d'une décision pour Dieu. Celui qui prie est décidé à res-
pecter Dieu, à vivre en sa présence, à le contempler, à se mettre à nu devant lui, à l'im-
plorer pour quelque chose. Mais cette décision humaine est toujours déjà la réponse à
une décision de Dieu qui veut se faire adorer et contempler, qui est résolu à se révéler
à l'homme, à lui être accessible, à exaucer ses prières. Cette décision divine, qui pré-
cède et permet la décision de l'homme de prier, contient également la résolution par-
ticulière de se laisser conduire à des décisions par notre prière ; la réponse de Dieu à
notre prière n'est pas seulement dans le fait qu'il se montre, qu'il nous permet d'entrer
en conversation avec lui, mais aussi dans ce qu'il donne lui-même une forme à cette
conversation, dans une véritable réciprocité où il demeure toujours libre de répondre
à l'appel de l'homme avec toute forme de décision qui lui convient. Ainsi, sa décision
peut nous apparaître comme réponse adéquate à nos demandes, comme elle peut aussi,
(p. 63 :) vue de façon purement humaine, dénoter à peine une corrélation avec la de-
mande.
Et lorsque Dieu parle avec Dieu, dans cette conversation aussi, se retrouvent toutes
les formes de la décision. L'adoration et la contemplation réciproques des Personnes
divines sont le fruit d'une décision dans l'amour. Mais il y a aussi à prendre conti-
nuellement des décisions dans la prière et dans l'exaucement. Le Fils, par exemple, se
décide à présenter une demande au Père ; le Père se décide à la lui accorder d'une façon
3. La prière du Christ
Prière de l’Incarnation
Lorsque le Fils incarné est un homme parmi les hommes, sa prière doit être telle
qu'il puisse la communiquer à ses frères. Au ciel, sa prière était une prière de la pure
vision. Ce qu'il doit apprendre, à présent, c'est une prière qui puisse devenir, chez ses
frères, une prière de foi. ll doit, dans sa nature humaine, faire maintenant l'expérience
de la manière dont un être humain se comporte envers Dieu. Certes, il possède la vi-
sion du Père ; mais, à présent, il doit la voiler, la masquer, la mettre en arrière, ne pas
s'en servir. (p. 69 :)
Il doit la placer entre les mains du Père, comme son esprit, sur la croix. Sa prière,
au ciel, jaillissait de son engendrement par le Père et de sa vision du Père dans une
union. A présent, sa prière doit jaillir de son incarnation et de la foi que doivent avoir
les hommes et qu'apporte la Nouvelle Alliance.
Nous sommes de pures créatures, issues du néant. Le Fils s'est fait homme à partir
de son propre être éternel. Dans la différence entre le fait que nous sommes créés et
son incarnation (par laquelle il élève et assume la nature humaine) se trouve quelque
chose qu'il s'approprie pour pouvoir, à partir de cette possessions nous donner la foi.
Il pourrait se faire qu'un homme ait recru de Dieu la grâce de la vision. Il pourrait avoir
vu chaque année un certain mystère de fête et puis, une fois, Dieu ne lui accorde pas
cette vision. Il devrait alors apprendre à se passer de la vision – ou bien rattacher la vi-
sion antérieure à l'actuelle absence de vision et ressentir la fête de maniere tout aussi
catholique et la vivre tout aussi joyeusement que les années précédentes. De la même
manière, le Fils qui s'est fait homme porte en lui la différence entre la vision céleste et
la possibilité de croire qui est donnée à l'être humain créé, afin de préparer, à partir de
là, la foi chrétienne qu'il doit donner aux siens. Certes, étant le Fils de l'homme, il pos-
sède la vision du Père. Mais s'il ne pouvait pas atteindre notre possibilité de relation
avec Dieu, le don de la foi ne proviendrait pas réellement de lui. Jésus n'occuperait pas
Adoration
Sur terre, l'adoration du Fils est fortement déterminée par l'Ancienne Alliance : il
voulait la construire en partant de là où se trouvaient les élus, ou mieux, ou ils auraient
dû se trouver, si leur péché continuel ne s'était pas opposé à la véritable adoration. Il
reprend l'adoration là où elle a effectué tout le développement de l'Ancienne Alliance.
Il ne la prend pas chez Adam, pas plus que chez Abraham ou Salomon mais là ou elle
se trouve à son époque. Elle recèle la connaissance de tout ce qui est survenu au cours
de l'Ancienne Alliance, en particulier des révélations et des promesses du Père et des
accomplissements que lui, le Fils, peut apporter. Son adoration est celle qui est due à
Dieu, au moment où la Nouvelle Alliance fait sauter l'Ancienne. C'est une adoration
dans la distance que l'homme ressent devant Dieu et toute cette distance est remplie
par la divinité de Dieu. Ainsi ce n'est pas une distance qui éloigne ou qui sépare, mais
une vue – vue non comme vision directe mais comme simple connaissance expéri-
mentale du Dieu vivant. Et là où l’homme adorateur se trouvait devant Dieu dans l'An-
cienne Alliance, là le Fils doit désormais apprendre à se tenir : il doit traduire la dis-
tance divine Pere-Fils dans la distance chrétienne Dieu-homme. Et, inversement : mal-
gré la distance Dieu-homme, il doit en adorant approcher par sa prière la distance Père-
Fils. Par contre, cette proximité Père-Fils, il ne doit pas la ressentir au point d'oublier
la distance Dieu-homme, dans laquelle il doit pénétrer par sa prière ; une distance qu'il
doit d'une part apprendre et qu'il possède d’autre part tellement en lui que, finalement,
pour l'apprendre, il doit la sortir de lui-même. Car sa mission continue déjà (p. 74 :) tout
ce qu'il faut apprendre. Cette mission, c'est comme Dieu, omniscient et tout-puissant
qu'il l'a assumée. Lorsqu'il se fait homme, il sait ce qu'il fait et il sait également ce que
veut dire apprendre en tant qu'homme.
On peut être sûr que le Fils adore le Père comme le Père l'attend d'un croyant par-
fait n'ayant été souillé par aucun péché. À partir de cette pureté, son adoration, confor-
mément à sa nature, tend vers une adoration toujours nouvelle et toujours plus élevée.
Le Fils est tellement subjugué par l'être du Père qu'il rencontre, qu'il se sent heureux
partout où il le rencontre dans l'adoration, et qu'il a besoin de ce bonheur pour vivre.
Non pas dans un sens égoïste, mais dans le sens qu'il a pour l'homme pur et qui est
donné par sa mission. Il doit être tellement rempli par l'adoration que, de la plénitude
de tout son être, il puisse la donner aux autres. Pour que les hommes, rien qu'à le voir,
soient saisis d'un ardent besoin d'adoration. En adorant, le Fils accomplit les pro-
messes de l'Ancienne Alliance. Mais il le fait moins en fixant son regard sur l'Ancienne
Alliance qu'en recueillant et en portant à leur plénitude, dans son adoration, toutes les
Prière de demande
Plus le Fils adore, plus il perçoit les ardens désirs des hommes C'est ainsi que naît
sa prière de demande Il voit leurs besoins ; combien ils auraient besoin de vivre en re-
lation avec Dieu et combien il faudrait leur faire voir cette relation. Et la prière de de-
mande comme telle, aussi bien dans sa présentation que dans son exaucement, con-
tient des possibilités de rendre Dieu accessible aux hommes. En elle les hommes peu-
vent porter devant Dieu tout ce qui les touche : les choses matérielles et spirituelles,
les choses privées et communes, les affaires de famille et celles de tous les groupe-
ments humains, et il leur est permis également d’attendre une réponse de Dieu. Dans
l'adoration, qui correspond à un état, il était moins question de l'homme que de Dieu,
de sa grandeur, de son amour et du respect envers lui. Dans la prière de demande sont
mises en lumière les relations de Dieu avec les hommes. On peut y faire entrer tout le
quotidien concerné. Et, en ce monde l'homme ne peut vivre seulement de l'adoration.
Il vit dans des situations, se trouve engagé dans des destinées, il est lié à d'autres
hommes qui ont leurs destinées à eux. Ainsi la prière de demande lui sert de pont entre
son monde et le monde de Dieu.
Le Fils connaît la nature de la prière de demande au ciel où chacune des Personnes
divines demande aux autres de lui laisser accomplir ce qu'elle désire, pour vivre la joie
de la demande et la joie de l'exaucement dans une surenchère infinie, mais lorsue le
Fils descend dans le monde pécheur, la prière de demande prend pour lui un autre vi-
sage. sa mission dans sa totalité apparaît déjà comme l’exaucement d’une prière du
Père : le Père allait perdre sa création dans l’aliénation du péché, et le Fils la ramène
Contemplation
La même loi réapparaît également pour sa contemplation après qu'il s'est fait homme
d'un côté, le Seigneur invente la contemplation pour les hommes, en traduisant pour
eux ce qui est céleste en terrestre ; de l'autre côté, il la complète en la rattachant à tout
ce qu'il trouve dans l'Ancienne Alliance jusqu'au consentement de sa Mère. Dans l'An-
cienne Alliance, il y avait plus une attitlede contemplative qu'une contemplation vraie,
épanouie. La matière de la contemplation était limitée ; elle s'exprimait principalement
dans l'attitude et concernait avant tout la Promesse l’our contempler, on se trouvait
dans une sorte d'état d'attente et d'espérance. Il ne fallait jamais perdre la foi dans l'ac-
complissement, dût-on même ne jamais voir soi-même cet accomplissement. Dans
l'Ancien Testament, l’homme observait les commandements qui le lient, qui plongent
leurs racines dans sa vie, l'enchaînent plus étroitement à Dieu et le rende en même
temps capable de vivre plus fortement dans l'esprit de la Promesse. En évitant de pé-
cher, il essayait de se garder libre pour la Promesse. Une sorte de justification limitée
était donnée comme fondement. L'homme faisait à peu près ce qui était attendu de lui,
et en raison de ce qu'il faisait, il pouvait attendre que Dieu, un jour, ferait davantage.
Ainsi le respect des commandements était le point de départ d'une contemplation.
Mais l'espérance vers laquelle elle se tournait n'était contenue que dans des paroles de
promesse il était difficile de donner à ces paroles une véritable objectivité et non moins
difficile de parvenir, dans cette contemplation, à une prise de position personnelle. Les
grandes actions de Dieu dans l'histoire du peuple élu pouvaient (p. 81 :) également être
matière de contemplation, et elles étaient comme un début d'accomplissement de la
L'adolescente
À mesure qu'elle grandit, commence l'explication avec l'exigence. Par certains côtés,
elle ressemble au débat d'un converti il aime Dieu, il veut se garder libre pour lui et
néanmoins il sait que la forme actuelle ne suffit pas, n'est pas la forme définitive. On
L'ange
L'ange apparaît de manière absolument subite. Elle n'a pas pressenti sa venue ni
qu'elle pourrait devenir la mère du Messie. Mais, lorsqu'il apparaît, il est évident que
« le temps est accompli ». Tout ce qui a été en était la préparation. Comme lorsqu'une
plénitude est atteinte et qu'elle doit déborder. Comme s'il n'y avait plus de place en
elle-même, aucune place à laquelle elle pût encore prétendre elle-même. Cette place
devient celle que Dieu réclame, dans laquelle l'ange apporte la plénitude de Dieu.
Comme elle a appris, jeune fille grandissante, à se soucier de son futur ménage, elle se
trouve à présent requise pour une nouvelle tâche dans sa vie spirituelle, la vie de son
âme et celle de sa prière et, pour ceux qui la contemplent, il apparaît qu'elle présente
toutes les dispositions exigées, car tout en elle est orienté vers ce but.
Lorsque l'ange apparaît, il se révèle que son comportement et sa prière se passent
sur un même plan, qu'ils sont étroitement imbri- (p. 90 :) qués. Elle dit oui, pleine
qu'elle est de la grâce divine, mais elle demande aussi : « Comment est-ce possible,
puisque je ne connais pas d'homme ? » Cela la caractérise comme étant une jeune fille
calme, normale, instruite, sage, qui, en même temps, se donne totalement. Qui calcule
humainement et qui jette tout dans le plateau de la balance divine. « Qu'il me soit fait
selon ta parole ». Le naturel et le surnaturel sont en équilibre. Lucidité et ravissement,
le monde de tous les jours et le monde de Dieu ont leur place en elle. L'un n'exclut pas
l'autre, l'un parachève l'autre. Les deux, le naturel qu’elle doit dire et le surnaturel
qu'elle est admise à dire, font partie de ce que Dieu a déposé dans sa vie et qu'il de-
mande à présent. Sa vie naturelle et sa vie surnaturelle sont mûres à présent. Et sa ré-
ponse est la réponse de cette maturité. Et sa surnature ne s'étonne pas d'apercevoir un
ange. Ce regard est mûr, lui aussi, et il est naturel à sa surnature de voir l'ange. Mais
sa raison normale n'oppose aucune barrière au surnaturel, elle ne se fait pas problème.
Et la foi, l’amour et l'espérance ont mûri en elle. La rencontre avec l'ange est l'ac-
complissement de son espérance du Messie. Mais d'une espérance qui se trouvait tel-
lement contenue dans la foi et dans l'amour qu'elle ne se mettait pas en avant et qu'elle
ne devient visible comme espérance qu'au moment où elle se réalise : espérance d'un
rédempteur, espérance donc de n'importe quel croyant, et subitement aussi cette cu-
rieuse espérance qu'elle est l'élue. Mais, précisément, parce qu'elle est choisie, cette es-
pérance a le caractère de ce qui n'a jamais été réfléchi, qui ne s'est jamais objectivé
dans son humilité. La foi et l'amour ont grandi ensemble dans sa prière. Et maintenant,
le Fils va être l'unité de son amour divin et humain. Elle aime Dieu et le prochain.
Mais, jusqu'ici, elle n'avait pas la possibilité d'aimer Dieu dans le prochain et le pro-
chain en Dieu. Le Fils va le réaliser. Et sa foi a toujours été prête à se dilater autant
que son amour. Rien n'est forcé en elle. Tout est compris dans un épanouissement que
Grossesse
C'est avant tout dans la prière que Marie ressentait l'ombre de l’Esprit sur elle, ainsi
au début de sa grossesse, sa prière est spécialement adressée au Saint-Esprit. Son sens
naturel n'aurait jamais suffi pour comprendre ce qui lui arrivait. Mais dans la prière,
elle ressent un apaisement infini et reçoit une force, qui lui permet de supporter le na-
turel et le surnaturel. Et elle ne commence plus par transposer le naturel dans la
prière. À présent elle doit placer la prière dans le naturel pour avoir une relation crois-
sante avec sa grossesse qui, sans prière, serait inconcevable et dont la présence ne peut
être vécue sereinement que dans la prière. Et de la prière au Saint-Esprit naît sa nou-
velle prière au Fils. Dans la prière au Saint-Esprit, elle vit la réalité de son état, la réa-
lité de la croissance de l’Enfant en elle. Cette réalité est autant apaisement que dilata-
tion et, dans son expérience priante, elle franchit le pas qui mène au christianisme.
L'Esprit, durant ce temps, a soin d'elle comme un époux, en lui procurant tout ce qui
est nécessaire pour son état. Il se soucie d'elle et, dans sa prière, elle sent ce souci
qu'elle ne rapporte cependant pas à elle-même, mais immédiatement à l'Enfant, dans
la certitude que l'Esprit du Père vivra dans le Fils, que Dieu fera tout pour l'Enfant,
que partout où ses forces humaines à elle seront insuffisantes, c'est l'Esprit lui-même
qui interviendra. Mais aussi, pour ce qui est d'être elle-même une mère attentive, elle
n'a pas à se faire de soucis exagérés, car l'Esprit lui inspirera ce qu'elle aura à faire, la
protégera à cause de l'Enfant et fera en sorte qu'elle soit toujours à la hauteur de l'En-
fant, toutes les fois que l'Esprit le demandera. Non pas avec le sentiment de suffire à
la tâche, mais surtout avec celui de correspondre, qui est donné dans la prière. La
grâce, pour elle, pèse toujours plus lourd par rapport à tout ce qu'elle pourrait faire.
Elle sait que, par elle, le Fils de Dieu se fait homme et vient sur terre, et elle parti-
cipe dans la prière, aussi bien dans la prière avec l’Esprit qu'avec le Fils lui-même, non
seulement à son devenir extérieur mais à tout ce dont, d'après elle, il s'occupe déjà.
Elle ignore son projet exact, mais elle sait qu'il est le Messie et elle lui consacre, (p. 92 :)
à lui et à son œuvre, beaucoup de prière. Déjà maintenant elle prie le Père et l'Esprit
pour lui, afin qu'il puisse disposer par elle d'un trésor de prière, lorsqu'il sera homme
à côté d'elle. Afin qu'il ne se sente pas trop seul. Pour que la distance entre sa divinité
et son humanité lui paraisse en quelque sorte plus supportable en raison de ce trésor
de prières Pour qu'il ne se heurte pas partout à des obstacles. Pour qu'en elle et en
saint Joseph il n'ait pas seulement des êtres humains sur lesquels il puisse se reposer
et qui sont là pour lui, mais pour qu'il obtienne par eux deux une relation de prière
avec le Père différente de sa vision du Père, simplement une prière mise à disposition,
une prière qui comprend dans la foi.
Sa prière s'adresse aussi au Fils. À présent déjà, elle s'habitue à avoir avec lui une
sorte de dialogue dans la prière, qui ne la concerne en aucune façon mais qui renferme
quelque chose du commandement de l'amour qu'il veut apporter. Et par lui, dans sa
Naissance
La prière à la naissance du Fils appartient à ce qu'il y a de plus mystérieux car ce
par quoi la femme passe normalement d'une manière purement corporelle se déroule
chez la Mère du Seigneur dans la prière. Cette façon d'être éclatée et déchirée, de ne
plus maîtriser son propre corps, d'être livrée à la force de l'enfantement ; cette façon
plus pressante, plus active, plus impérieuse que tout ce que la femme s'était imaginé,
tout cela, elle le vit au premier degré comme une forme de prière. Dieu prend les pa-
roles de sa prière et les fait éclater en quelque sorte par son Verbe divin. Elle participe
à un événement en elle qui est prière et qui est la naissance du Verbe et elle renaît dans
ce Verbe qui naît. Quoiqu'elle ait toujours eu jusqu'ici une idée de la distance entre
l'homme et Dieu, de l'éminente grandeur de Dieu et de son infinitude, elle est à pré-
sent placée comme à travers cette distance dans l'infinitude de Dieu. Non pas elle, en
tant que personne, mais le Verbe en elle qui est le Verbe de Dieu et tout de même son
Verbe à elle. Elle vit dans la prière l'instant où la promesse s'accomplit. C'est une vi-
sion immense de ce qui se produit et qui lui est communiqué dans la prière. Elle est
projetée dans l'absolu de Dieu. C'est pourquoi sa prière ressemble aux douleurs d'une
femme qui enfante, et Dieu, pour réaliser cette naissance, a besoin de la parole de sa
servante, de sa parole de prière, de son attitude de prière et de son laisser-faire. Certes,
tout se passe dans un sens spirituel, mais de sorte que ce sens se reflète dans son corps
Elle vit l'accouchement dans la prière – son corps virginal devient l'image de son es-
prit virginal –, et prière et corps forment une unité qui appartient à Dieu. Elle n'a plus
besoin d'offrir : il dispose.
Mais il veut disposer d'elle en profondeur, il veut s'emparer de toutes ses forces Elle
est arrachée au-delà d'elle-même, mais elle sent néanmoins comme elle est emmenée
Elle le vit. Et la prière qui débute comme dans l'anxiété, avec le sentiment de n'être pas
à la (p. 94 :) hauteur, est en quelque sorte guidée à travers les phases d'une naissance
normale, pour déboucher dans une prière d'exultation, de joie débordante, de grati-
Fuite en Égypte
Dans la prière de cette époque, il y a différents niveaux. Il y a la prière familiale que
Marie et Joseph récitent ensemble, oralement, mais également dans leur attitude inté-
rieure à l'égard de l'Enfant Une sorte de prière d'état, de leur situation à tous les trois
le père nourricier, la Mère et l'Enfant. Chez la Mère, cette prière est influencée par sa
confiance en saint Joseph. Dans cette vie en commun, c'est une prière où elle prie Dieu
de les bénir tous les trois, pour que l'Enfant soit vraiment à sa bonne place, dans les
mains qu'il faut, et (p. 95 :) qu’il apprenne de Joseph et d'elle, comme homme et comme
Dieu, ce qui l'attend. Cette prière qui est nouvelle, nouvellement née par la naissance
de l'Enfant alors qu'elle était déjà nouvellement née par la vie avec Joseph, cette prière
qui semblait devoir se développer si tranquillement, est maintenant tout agitée par la
fuite Marie est à la fois rassurée et inquiète. Inquiète non pas pour ce qui la concerne,
mais à cause de la menace qui a pesé sur l'Enfant et parce qu'elle doit s'en remettre à
Joseph de ce qui, jusqu'ici, lui revenait. Elle a dit oui à l'ange et ainsi assumé une res-
ponsabilité. Mais le voyage, avec tout ce qu'il comporte d'inattendu et de subit, est à
présent confié à Joseph. Et elle doit réapprendre à se confier à un être humain, après
s'être confiée à l'ange, à l'Esprit, au Père et à l'Enfant. C'est comme si elle ne devait ja-
mais s'appartenir mais, dans l'obéissance, se trouver continuellement libre pour de
nouveaux engagements. Pour des engagements qui sont là subitement et qui changent
subitement, bien que Dieu demeure le maître Bien que le Père veille sur le tout Bien
qu'elle ait à demeurer fidèle à l'Esprit. Tout cela est dilatation de sa prière, parce
qu'elle y disparaît toujours davantage ; apparemment, c'est également une limitation,
car son destin, ce destin inouï qu'elle a vécu dans la grossesse et la naissance, est main-
tenant, durant cette fuite avec tous ses risques aux yeux des hommes, ramené plus
dans le simple quotidien celui d'une femme qui obéit à ce que son mari ordonne. Elle
doit se défaire d'une certaine sensibilité de la prière qu'elle avait connue dans la vision
de l'ange pour se laisser conduire maintenant par saint Joseph en raison de la mission
Enfance de Jésus
Elle est une jeune mère avec son enfant ; et sa maternité, l'enfance du Fils et toute
la vie avec Joseph forment une heureuse unité, bien que régulièrement assombrie par
des images du futur, de ce qu’elle en sait et pressent, sans être réellement troublée ce-
pendant, car elle sait également qu'elle doit se tourner vers le présent, que Dieu le Père
attend une prière dans l'actualité. Elle adore le Dieu trinitaire et le Fils qui s'est fait
Seule à Nazareth
Durant les années passées avec son Fils, il était si près d'elle que sa prière était vi-
siblement – visiblement pour elle – entretenue par sa présence. Elle participait à sa
prière et lui à la sienne. Et cette prière allait de soi, elle s'y était habituée. Et prier fai-
sait partie de sa vie, lui était nécessaire et jamais elle ne ressentait cela comme un de-
voir ou une contrainte. Prier lui était aussi naturel que parler avec son Fils. Maintenant
qu'il est parti, sa prière est devenue un ministère. Avec la charge qu'un ministère ap-
porte, avec ses exigences incontournables. L'immédiateté de la prière avec le Fils ne
résulte plus de circonstances communes à tous les deux. Elle sait peu de choses à son
sujet. Elle le voit rarement et n'a pas beaucoup de nouvelles. Le travail qu'il accomplit,
sa vie active, elle ne peut pas se les représenter exactement. Ce qui est nouveau, ce qui
est inconnu dans sa vie a pris totalement le dessus et n'est plus réglé et interrompu,
comme à la maison, par un ordre habituel. C'est à peine si elle connaît son entourage ;
la plupart des gens qu'il rencontre, elle ne les connaît pas ; elle ne connaît plus ses ha-
bitudes ; elle ne sait pas dans quelle mesure son environnement lui est favorable ou
hostile, de quelle facon il annonce au peuple le message du Père ; si les gens sont atti-
rés, s'il a des disciples, s'il reçoit l'assistance nécessaire. Elle ne voit que la charge
monstrueuse qui a été placée sur ses épaules ; elle se sent seule et elle sait que l'aide
qu'elle peut fournir à présent ne peut être que celle de la prière. Celle-ci doit donc
avoir plus un caractère de régularité, de devoir à remplir. Elle doit accompagner les
heures du Fils qu'elle ne connaît plus. La division de la journée qu'ils avaient autrefois
dans leur vie commune entre maintenant en quelque sorte dans sa vie de prière. Et tout
ce qui est inconnu y trouve sa place, toute détresse du Fils qui, dans la perspective de
la Passion, lui est certes visible et imaginable, mais qui lui demeure cachée dans le dé-
tail. Ce qui lui est pénible, dans sa solitude et son délaissement et son incertitude, cela
(p. 102 :) a sa part dans sa prière. Elle ne demande aucun allégement pour elle, elle prie
Dieu de lui faire partager tout ce qui peut être utile, qu'il accepte son anxiété pour que
d'autres puissent être secourus, tous les autres mais également Dieu le Fils qui est son
Fils à elle.
Sous la croix
C'est à présent une prière sans parole qui n'appartient qu'à la peur. C'est de là
qu'elle part pour finir dans le Fils. Le Père et le Saint-Esprit lui sont enlevés. Elle voit
son Fils suspendu devant elle, et Mère, elle est au bout de sa force, dans une partici-
pation qui ne laisse plus rien reconnaître de ce qui était autrefois. Tout ce qui est en
elle sentiment maternel est focalisé par le Fils. Elle le contemple et vit sa mort. Elle y
voit en même temps la mort de son Dieu. Il en va pour elle comme si le lien entre le
Fils qui est sur la terre et le Fils qui est au ciel était brisé. Les liaisons se défont. Elle
voit mourir son Fils aimé et son Dieu adoré. Elle vit la fin de tout. Elle ne peut ratta-
cher aucune pensée à ce qu'elle vit pour se sauver ou se consoler, chercher un nouveau
chemin par-delà ces journées, vers Pâques ; elle se trouve tellement emportée par Dieu
Après la Résurrection
C'est comme si la Mère ne participait pas seulement à la fête de la résurrection, mais
pour une part à la Résurrection même. Elle passe soudain du monde du Samedi saint,
à la vue duquel elle a eu le privilège de participer, dans un monde qui est à la fois vie
éternelle et joie terrestre parfaite. Elle est encore sous le coup de tout ce qu'elle a vécu,
dans un état physique de complet épuisement qui, cependant, soudainement se trans-
forme, et c'est presque en chancelant qu'elle entre dans ce nouveau monde, chancelant
de joie et de gratitude et de ne pouvoir comprendre. Cette impossibilité de pouvoir
comprendre ressemble au signe près à celle qu'elle a éprouvée dans la croix. Pour pou-
voir ressentir une telle joie dans sa prière, il faut qu'elle s'abandonne au Père, elle et
sa prière et le Fils et le prochain et tout ce qui a été vécu, comme dans un grand pêle-
mêle (p. 106 :) de gratitude qu'elle étale devant lui pour tirer une joie nouvelle de tout
ce qui possède un profil et devient plus ou moins saisissable et remercier encore. Les
hommes et les choses ont reçu un aspect tout nouveau et prennent une place nouvelle
dans sa vie.
Sa joie est si grande que, pas un instant, elle ne reste en elle, mais se communique.
Elle la donne au Fils, elle la donne aux Apôtres, elle la donne tout particulièrement à
Jean, elle la donne à quiconque sur son chemin, même à l'inconnu. Elle la donne à
Dieu. Elle la donne à l'Esprit. Et en dépit de son essoufflement, de sa confusion, de son
imprévisibilité, cette joie a le caractère du calme, car dans tout ce qui arrive, dans tous
les événements, la Mère reçoit et communique toujours quelque chose de la joie de
l'éternité, de la joie du Père.
Sa prière est orale et elle est contemplative. Des mots passent sur ses lèvres et sont
aussitôt reçus et transformés par Dieu pour recevoir une nouvelle sonorité, pour com-
poser de nouvelles harmonies, harmonies de l'éternité qui s'achèvent dans le Père. Et
elle qui était habituellement si réservée et timide, ne désirant jamais prendre une place
par-devant, se trouve maintenant poussée par sa joie à s'avancer, pour participer par-
tout à la joie céleste, y être présente, parce que, même sans le comprendre pour elle-
même, elle sait que partout elle en fait partie. Quelque chose manquerait si, de sa
propre initiative, elle n'allait pas se mettre partout à une première place avec toute sa
prière, tout son comportement, sa vision, ses paroles. Voudrait-elle à présent se mettre
en retrait, ce serait alors se soustraire à sa responsabilité, une sorte de refus qui por-
terait préjudice à la joie céleste. À présent sa joie fait tellement partie de la joie céleste
qu'elle la complète spontanément et qu'elle trouve les paroles qui manquent pour par-
Après l'Ascension
La prière, à l'Ascension, est essentielle pour tout ce qui va suivre ; la prière après
l'Ascension en découle. Dans la prière de la Mère, au moment de l'Ascension, il y a
comme une cassure. Certes, elle voit avec ses yeux de chair ce qui se passe ; mais en
voyant ce que des yeux humains peuvent voir, elle doit renoncer à cette vision pour ne
plus voir que ce que lui inspire la vision divine. Elle voit Dieu monter au ciel. Elle voit
cette splendeur, cet Être infini qui était venu de l'éternité pour vivre en homme parmi
nous et qui, à présent, est repris comme neuf dans la lumière de l'éternité. Elle voit
quelque chose qui peut être appelé la doctrine chrétienne : le Verbe qui est venu habi-
ter dans le monde, la Parole qui a été annoncée et entendue, l'amour qui a été vécu, qui
s'est livré, la vie quotidienne dans laquelle une abondance de la volonté divine était
toujours vivante. Tout cela, elle le voit désormais comme transfiguré, s'élevant, mon-
tant au ciel et sublimé dans une lumière qui est là pour être reçue par elle. Dans une
lumière de l'éternité qui rayonne aujourd'hui, dans une revendication d'amour qui dé-
bouche dans l'amour. Dans une exigence d'amour qui est elle-même réponse. À cet ins-
tant, elle sait que tout est vrai. Vrai d'une vérité qui n'appartient qu'à Dieu. Chaque
sens est accompli. Rempli d'une signification qu'elle ne saisit pas pleinement, mais qui
est donnée par Dieu. Et elle a part à cette vérité et part à ce sens accompli, pas seule-
ment parce que tout cela pour elle devient vrai, mais parce qu'elle est la Mère de Dieu
et que tout cela est devenu (p. 108 :) ainsi vrai par sa participation. Parce qu'elle s'est
donnée dans cette vérité, complètement livrée à elle. Et comme dans un rapide survol
de tout ce qui s'est passé, dans lequel surgissent les détails comme de petites sil-
houettes qu'il est possible d'évoquer à présent et qu'on doit peut-être évoquer, tous les
épisodes sont maintenant des éléments d'une vérité complète, achevée, de petites
formes avec un grand contenu qui n'apparaît que maintenant. Des parties de cette vé-
rité infinie qui est l'amour. Et aussi la Passion et aussi la croix et aussi sa propre soli-
tude et son incapacité à comprendre, et la grande angoisse et les petites craintes. Tout
cela a maintenant part à la vérité de l'Ascension. Cela se présente dans une nouvelle
lumière, possède un sens tout neuf. Tout apparaît partout comme une semence deve-
nue arbre et fruit pendant la nuit. Pâques était une promesse de fruit. À présent, dans
l'Ascension, le fruit est là, rayonnant et surabondant.
La mort
LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRIÈRE
1. La prière de l'enfant
Une mère s'agenouille auprès du lit de son enfant et prie avec lui. L'enfant est en-
core si petit qu'il ne comprend rien. Il sait seulement que, journellement, la mère l'a
pris dans ses bras, lui a joint ses petites mains et a dit ensuite quelque chose avec une
certaine intonation. Cela s'est répété et fait partie à présent du quotidien. Et mainte-
nant que l'enfant est un peu plus grand et se souvient mieux, si elle venait à omettre,
ou à changer quelque chose, alors, dans la conscience de l'enfant, le rite établi, l'habi-
tude seraient entamés. Il a été introduit dans la prière, sans savoir ce que prier veut
dire ; il sent seulement qu'il s'y passe quelque chose d'autre que d'habitude et comme
produit par l'amour de la mère, que cela fait partie de son amour. C'est une des façons
dont l'enfant fait l'expérience de l'amour de la mère qui est présente et s'occupe de lui.
Mais, de bonne heure, le monde de représentation de l'enfant s'élargit en ce sens que
la mère n'a plus besoin d'être toujours visible. Il apprend à comprendre que, même
lorsque la mère n'est pas dans la chambre ou qu'elle sort de la maison, elle s'occupe
encore de lui. Elle est allée préparer ou acheter quelque chose et reviendra avec
quelque chose de bon pour l'enfant. La mère peut partir de cette représentation que
l'invisibilité peut être une bonne chose, pour expliquer le Bon Dieu à l'enfant. Ici se
rencontrent deux (p. 112 :) choses et on ne sait pas laquelle laisse la première impres-
sion à l'enfant : les mots de la prière et son explication. Peut-être que la mère raconte
quelque chose de la Mère céleste, et l'enfant saisit peu à peu que cette Mère invisible
a des qualités comparables à celles de la mère qui le regarde. Il saisit quelque chose de
l'amour et de la préoccupation de la Mère céleste à son sujet et il apprend à mettre
cette pensée en rapport avec l'attitude de prière que prend la mère et avec les mots
qu'elle dit. Le monde de la prière est un monde de l'invisibilité qui acquiert cependant
une réalité dans les bras de la mère visible et dans ses paroles. Un monde dont l'enfant
sait qu'il existait depuis toujours, auquel il a ouvert les yeux – car la mère a prié de-
puis toujours – et dans lequel il grandit comme dans quelque chose qui va de soi.
Quelque chose qui est juste en soi, même lorsqu'on ne le comprend que partiellement.
Et ensuite, pour la première fois, l'enfant apprend à prier avec sa mère. À formuler
quelques mots : « Viens, mon cher Sauveur », « Je vous salue, Marie ». Et peut-être
qu'un contact s'établit davantage avec la prière implorant la venue que par une préoc-
cupation directe avec les personnes : on attend quelqu'un qui doit venir, on salue quel-
qu'un ; cela se passe avant qu'on sache au juste qui est celui qui est attendu, salué.
Ensuite, deux nouvelles représentations prennent corps. D'abord, qu'il y a un temps
de prière. La mère décide de ce temps et le commence. Il fait partie du déroulement
4. Prière et vocation
Les rencontres racontées dans l'Évangile entre des croyants et le Seigneur ont tou-
jours conduit à une sorte de choix. Moins expressément quand le Seigneur parlait au
peuple, ou bien quand des hommes le rencontraient auxquels il ne donnait aucune di-
rective pour leur vie, ne proposait aucune modification à leur état antérieur. Le choix
signifie alors que le Seigneur donnait à celui qui était concerné une nouvelle plénitude
de foi, sans lui donner une nouvelle orientation de vie. Le croyant était infiniment en-
richi après cette rencontre comparable à une prière qui pouvait continuer à agir en lui
de façon imprévisible. Et le souvenir de cette rencontre le ramenait toujours à la
prière ; pour lui la décision consistait en cela.
Dans de rares cas, le Seigneur a même repoussé quelqu'un qui voulait le suivre de
manière plus étroite et lui a indiqué sa place dans l'état qu'il occupait déjà. Quelqu'un
en faveur de qui il avait opéré un miracle et qui était parvenu à une foi subite. Celui-
là devait, dans sa vie quotidienne habituelle, faire grandir le fruit de la parole qui lui
avait été donnée.
Mais d'autres sont invités par le Seigneur à une imitation directe. Ils doivent tout
abandonner, et le Seigneur assume toute la responsabilité, tout le souci de la vie qui se
LA PRIÈRE D’ÉTAT
2. La prière du prêtre
Par la prière, le jeune homme est arrivé un jour à vouloir être prêtre. Il sait par ex-
périence ce qu'il doit à la prière et il veut donc contribuer à maintenir vivante la vie de
prière dans l'Église. Il sait également qu'il doit lui-même beaucoup prier pour cela.
Mais, en raison de son ministère, il a toute une foule d'obligations qui lui (p. 152 :) lais-
sent peu de temps pour la prière. Et pourtant, il doit trouver un moyen pour donner à
sa prière toute la force nécessaire pour que son ministère et toutes ses occupations
prospèrent par elle. Comme tout chrétien, il s'acquittera des prières quotidiennes,
celles du matin et du soir, du benedicite, etc. D'autres prières orales lui sont imposées
en plus par son ministère : à la messe, pour l'administration des sacrements, aux dif-
férents offices dans l'Église, sans oublier le bréviaire. Puis l'Église désire qu'il pratique
également la prière de contemplation.
Souvent, il devra s'acquitter rapidement du premier groupe de prières. Il se couche
tard, se lève tôt, il est souvent dérangé, il est appelé à l'improviste auprès d'un mou-
rant, souvent avant d'avoir pu dire la messe. Sa prière orale, personnelle, doit presque
se contenter à l'occasion d'une bonne intention. Il a plus de temps pour les prières qu'il
peut répartir à son gré sur la journée. Et il a tout le temps pour celles qu'il doit dire à
l'office, en raison de sa fonction. Ces prières-là, il ne les récite pas à titre privé ; elles
sont entendues par d'autres, faites et portées collectivement devant Dieu. Pendant qu'il
s'en acquitte, il ressent la communauté de prière. Une unité qui confère la présence du
Seigneur : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux ». Le
1. Adoration
Le chrétien qui a connaissance de l'absolu de Dieu n'éprouve pas le besoin de l'abor-
der et de l'analyser par la pensée. Ce qu'il veut, c'est contempler la majesté de Dieu,
se laisser toujours plus captiver par elle, lui rendre hommage. Mais pour lui rendre
hommage, aucune contemplation abstraite n'y mène, aucune intensification des capa-
cités de conceptualisation ou du dialogue, ou de la distanciation pour établir une dis-
tance et s'en complaire : soit parce que Dieu est tellement grand que la distance per-
met malgré tout de voir quelque chose de sa grandeur, soit parce qu'il est tellement
proche malgré sa grandeur. Le croyant ne peut vivre et supporter la majesté de Dieu et
la rencontre avec elle que dans la prière, dans cette prière particulière consacrée ex-
clusivement à Dieu : dans l'adoration. L'adorateur renonce par avance à toute estima-
tion de la distance, à toute comparaison entre Dieu et l'homme, à toute introduction
de la négativité de la créature devant Dieu. La petitesse indéfinissable de l'homme est
au mieux un point de départ qui sera laissé loin derrière et qui ne fera absolument pas
partie de la prière. L'adorateur s'est oublié lui-même. Il n'a aucun motif d'en revenir à
sa personne. Il est libre de consacrer toute sa force, tout son amour et toute son at-
tention à la grandeur de Dieu.
Cette majesté est incommensurable. Tout ce qui oserait s'approcher d'elle pour l'ex-
primer reste en arrière de la réalité, n'est qu'une (p. 181 :) tentative et veut dire beau-
coup plus que ce qu'elle peut exprimer. Lorsque l'adorateur s'adresse à Dieu, lui donne
un nom, célèbre sa nature et ses faits et les lui rappelle, met son espoir en lui pour le
futur, se laisse saisir et remplir par la toute-puissance de Dieu, il sait toujours, cepen-
dant, qu'il ne s'agit dans tout cela que d'élans enfantins, car Dieu dépasse tout concept.
Pourtant, il est admis à adorer Dieu avec ses faibles forces ; Dieu attend même l'hom-
mage au point qu'il ne l'accepte pas seulement des croyants, mais de Dieu lui-même.
Le Fils qui s'est fait homme a, sur terre, adoré le Père, comme signe qu'au ciel il adore
éternellement le Père, que l'adoration est un événement trinitaire.
Le monde de Dieu s'ouvre dans l'adoration. Ce n'est que dans l'adoration que Dieu
se fait reconnaître. La plupart du temps, le croyant, déjà au début de la prière qu'il
compte faire, possédera, dans la foi, une expérience de la proximité de Dieu et s'y pla-
cera. Il se propose de contempler Dieu d'une manière qui lui convient, à lui, le croyant.
Il s'approche de Dieu avec ses paroles balbutiantes, avec ses petits élans que lui pro-
pose la foi et ce qu'il sait de Dieu. Il commence une adoration à la mesure de sa foi et
de sa connaissance. Mais il fait ensuite l'expérience que le Dieu ainsi adoré lui rend
dans une forme transformée ce qui lui est offert, et le rend ainsi plus capable d'adora-
2. Remerciement
Le don de soi dans l'amour est un témoignage de gratitude. Engendré, le Fils aper-
çoit en premier le Père, sa grandeur, son adorabilité, l'acte de son amour. Mais, dans
l'adoration, il voit que celle-ci contient et exige, au-delà de la sphère de la reconnais-
sance, un engagement, une offre, une réponse qui ne consiste pas en de simples pa-
roles, une action que lui, et non pas le Père, doit accomplir et qui n'a pas d'autre nom
que le don de soi. Une reconnaissance qui renferme aussitôt une mise à disposition de
soi, et qui, comme telle, porte en elle, non seulement l'esprit de gratitude, mais le re-
merciement rendu. La nécessité de cette réponse se trouve dans la nécessité de la re-
connaissance adorante décidée qui, à son tour, se trouve décidée dans la nécessité avec
laquelle le Père engendre le Fils. S'il n'engendrait pas, le Père ne serait pas du tout
Père, de même que, sans le don de soi, le Fils ne serait pas Fils. Aussi nécessairement
que le Père tend vers le Fils, aussi nécessairement le Fils (p. 188 :) tend en retour vers
le Père et se donne à lui. Et l'unité qui en résulte, que le Fils retourne dans la posses-
sion du Père, est une unité vivante, toujours fraîche et jaillissante. La force avec la-
quelle le Père engendre le Fils est comme recueillie par la force en retour avec laquelle
le Fils se donne au Père. Leur unité est une unité du donner et du recevoir. Et comme
dans cette unité il n'y a pas de succession dans le temps, le Père reçoit déjà le Fils en
retour en l'engendrant. De la même façon que l'homme prend pour donner et que la
femme donne pour prendre. Seulement, cette concomitance en Dieu ne supprime pas
la priorité de l'acte paternel. Le Père engendre réellement ; il pose cet acte à partir de
sa contemplation du Fils, pour faire participer le Fils à sa vision. Il ne peut pas le re-
tenir en lui-même. Et son acte d'engendrer est déjà un acte de don de soi au Fils, au-
quel le Fils répond en se donnant en retour. Et don et acceptation renferment la grati-
tude. Car, dès l'acte d'engendrer du Père il y a gratitude envers le Fils de ce que celui-
ci veuille se laisser engendrer ; comme dans le fait de se laisser engendrer, il y a grati-
tude du Fils envers le Père de ce que celui-ci veuille l'engendrer.
Ce qui, en Dieu, est parfaite unité : l'acte de l'adoration et l'acte du don de soi re-
connaissant, cela doit, chez l'homme, tendre toujours plus à l'unité. Dans l'adoration,
l'homme se soumet une fois pour toutes à la souveraineté de Dieu, il se donne entiè-
rement et, en réponse, il se reçoit en retour de Dieu, capable maintenant de se donner
même en détail et au cours du temps, partie pour partie. Cette réponse de Dieu à l'ado-
ration indivisible est la richesse de l'acte de son autorévélation qui montre sa splen-
deur par de nombreux côtés et qui demande que l'homme tienne compte de ces nom-
breux côtés. Elle est en même temps cette grâce qui touche l'homme dans la multipli-
cité de son existence temporelle et lui rend possible la réalisation graduelle du don de
soi qui se trouve dans son adoration. Même si un homme venait à se convertir de façon
fulgurante comme saint Paul et parvenait en une seconde à la foi, à l'amour et à la par-
faite adoration, il ne lui serait cependant pas épargné de devoir, par la suite, expliciter
cet acte tout au long de sa vie et, en le répétant, le traduire dans la réalité. A-t-il donné
un premier consentement englobant toute son existence, qu'il doit ultérieurement en
marquer chaque phase de sa vie, et des différentes (p. 189 :) parties reconstruire la tota-
3. Demande
L'homme a des soucis en relation avec sa nature humaine, sa vie personnelle, la fa-
mille, l'Église, l'État et le monde en général. D'autres soucis le concernent lui-même et
correspondent à des besoins de son Moi profond. D'autres encore le dépassent. Il y par-
ticipe cependant, parce qu'il vit aujourd'hui et maintenant, mais ils dépassent large-
ment sa vie individuelle : ce sont les soucis du Royaume de Dieu, les soucis du Sei-
gneur lui-même. Lorsqu'il rencontre Dieu dans la foi, il le rencontre avec toute son
existence, avec tout ce qui constitue sa vie. Et il ne peut pas s'ouvrir à Dieu et libérer
la moindre place pour l'action de Dieu en lui sans entreprendre simultanément la ten-
tative d'intéresser et de faire participer Dieu à tout ce qui le concerne, à tout ce qui,
précisément, constitue sa vie. C'est une invitation réciproque : l'homme invite Dieu à
entrer dans sa vie et Dieu l'invite à collaborer à la sienne et à prier pour obtenir,
comme croyant, la coopération de Dieu.
Si la foi de l'homme est faible, il verra avant tout en Dieu un appui et lui soumettra
ses petits problèmes personnels. Peut-être trouvera-t-il difficile de devoir laisser en
tout la prérogative à Dieu, (p. 192 :) de présumer que Dieu comprenne mieux les choses
que lui. Mais plus il croit, plus il est ancré dans la confiance et l'amour, plus sa de-
mande devient impersonnelle, non pas qu'il se désintéresse de ce qui lui est propre,
mais parce qu'il doit le vivre au service de Dieu et que tous ses besoins sont dans une
dépendance de la volonté de Dieu. Toutes ses demandes, d'une certaine manière, ren-
1. Le saint
Le saint est celui qui, sérieusement, ne vit qu'en Dieu, qui n'aspire qu'à Dieu, qui,
dans tout ce qu'il fait, cherche Dieu et s'efforce de se tenir devant lui. Il sait que, par
sa propre force, il ne peut rien ; c'est pourquoi il voudrait tout faire par la force de
Dieu, de sorte qu'il ne fasse rien d'autre que ce que veut Dieu et ne réclame rien de
plus et rien de moins de la force de Dieu, que ce que Dieu veut lui donner. Son désir
de vivre uniquement de la force de Dieu ne l'amène pas à réclamer cette force exagé-
rément et de façon indiscrète ; il a l'humilité de ne vouloir demander que ce que Dieu
veut lui accorder. Dans sa prière, il cherche à comprendre de Dieu tout ce que Dieu
veut lui montrer. C'est une prière qui va à Dieu et qu'il entend aussi directement de
lui. Et pourtant, parce que le saint fait précisément peu de cas de lui-même et de sa
force, il est peut-être celui qui, originairement, est porté presque davantage vers la
prière indirecte que vers la prière directe. Il ne s'impose pas. Ce qu'il sait du contact
direct de Dieu lui a montré combien il est faible et indigne. Et parce qu'il est toujours
un isolé, il regarde volontiers vers les autres isolés pour voir comment ils ont vécu de
la force de Dieu. Il apprend à prier auprès des saints. Et c'est ainsi que, de lui-même,
il cherche plutôt la prière indirecte, alors que la prière directe lui est donnée par Dieu.
Il fait, pour ainsi dire, baigner sa mission dans la lumière des autres saints. Ainsi, pen-
dant sa maladie, alors (p. 195 :) qu'il est à la recherche de la véritable prière, saint Ignace
lit des vies de saints et c'est à chaque fois une sorte « d'essai » de la sienne : il voit
comment les autres ont prié, il prie Dieu de lui donner une prière semblable pour sa
plus grande gloire, mais il se sent si maladroit qu'il se tourne vers les saints pour qu'ils
l'aident à prier. Le curé d'Ars, depuis la non-sainteté qu'il côtoie dans les confessions,
regarde vers la sainteté des saints. Pour certains péchés, il revoit toujours comment
certains saints, dans certaines situations, se sont comportés ou se seraient comportés.
Lorsque des saints se trouvent confrontés à un problème difficile, ils tiennent beau-
coup à considérer dans la prière d'autres saints ayant eu à remplir des obligations et à
subir des épreuves comparables, et considérer signifie alors toujours aussi se laisser
initier par les saints en question. Cela s'observe très bien chez des saints vivant à la
même époque, comme chez sainte Thérèse et saint Jean de la Croix. Leurs entretiens
spirituels ont toujours la forme d'une prière informulée, latente. Ils considèrent en-
semble leurs problèmes devant Dieu, se recommandent mutuellement leurs préoccu-
pations dans la prière, sont reconnaissants de ce que l'autre « le fasse ». Ils person-
nifient la forme catholique de l'amitié, dans laquelle Dieu est le centre et dans laquelle
chacun sait aussi de l'autre que ses rapports avec Dieu sont vrais. Lorsque le saint mé-
diateur est déjà au ciel, les relations avec lui n'en sont pas affectées. Elles sont seule-
2. Le prêtre
Pour le prêtre qui doit réciter les prières prescrites par l'Église les prières de la
sainte Messe, du bréviaire, de la méditation et de divers offices – il y a d'avance une
répartition entre prière directe et prière indirecte qui échappe à sa volonté. Il sait que,
par son ministère, il est placé directement devant Dieu ; personne d'autre que le prêtre
ne se trouve plus directement devant Dieu à l'élévation et à la communion. À la cons-
cience de cette position ministérielle devant Dieu, vient se mêler un sens personnel de
la rencontre avec Dieu. Il connaîtra des moments où il peut éprouver plus particuliè-
rement la présence de Dieu et, en bien des cas, il dépendra de lui de placer ou non la
prière prescrite dans cette zone. À certains moments, son ardent désir de parler direc-
tement à Dieu sera si grand qu'il brisera sa lassitude, peut-être même sa résignation,
qu'il mettra tout de côté pour trouver Dieu sans médiation. À d'autres moments, la
force de son ministère lui apparaîtra comme quelque chose de si vivant que sa propre
force, à côté, lui semblera petite au point de disparaître, et qu'il n'aura pas le courage,
ainsi découvert, de se tourner vers Dieu, mais souhaitera volontiers l'assistance et la
médiation des saints. Ce n'est pas par hasard que la plupart du temps les litanies sont
récitées le soir : pour tout ce qu'on ne peut faire soi-même, on s'en remet à la Mère du
Seigneur, ou « à tous les saints ».
Dans la prière du prêtre, ce qui est direct et ce qui est indirect sont fortement im-
briqués l'un dans l'autre. En raison de ses études, le prêtre est quelqu'un qui connaît
beaucoup de choses sur Dieu et qui, par la grâce de son ministère, possède une intui-
tion surnaturelle et une assurance particulière. En priant, il a une intelligence de sa re-
lation à Dieu. Il connaît la vocation, la qualification ministé- (p. 203 :) rielle, mais il
connaît tout autant son indignité globale, ses fautes et ses péchés personnels dans le
détail. Et, dans cette situation, il se trouve constamment devant de nouvelles obliga-
tions. Il les examinera dans la prière, seul avec Dieu, réfléchira à ce qu'il doit faire, es-
3. Le croyant
Un croyant peut souvent prier des années, des décennies, sans prêter attention au
fait que sa prière est directe ou indirecte. Comme enfant, il a appris les prières que sa
mère lui a enseignées, qu'il a apprises plus tard au cours de l'instruction religieuse, et
ces prières, il les répète à présent. Il s'agit soit du Notre Père qui s'adresse directement
DEVANT DIEU
3. Seul et en commun
Etre devant Dieu, c'est à la fois être seul et en commun. Pour le saisir, il faut re-
___________
2. Se reporter à la section « Sentir et ne pas sentir », au chapitre « Nature et Grâce ».
Le saint
Le fait que le saint se tient devant Dieu avec une communauté en lui n'est pas une
situation plus claire et plus simple. Le saint peut se tenir si personnellement devant
Dieu qu'il en oublie, involontairement ou volontairement, sa mission, avec bien sûr des
états intermédiaires. Cela se fait involontairement lorsque Dieu seul le détermine
ainsi, parce qu'il veut avoir son saint seul devant lui. Volontairement, lorsque le saint
lui-même considère qu'il est bon d'être seul devant Dieu et de laisser derrière lui sa
mission, comme un arrière-plan lointain et flou. Comme autre cas extrême, en face de
ces deux formes de prière, il y a celui de ces saints qui ne se tiennent pas autrement
devant Dieu qu'en plein dans leur mission, que ce soit Dieu qui le veuille ainsi, ou que
ce soit le saint lui-même qui ne le veuille pas autrement. Là également, il y a de nou-
Le prêtre
Celui qui veut être prêtre a déjà trouvé Dieu et, dans une rencontre personnelle, lui
a offert sa vie. Certes, il avait avant tout la volonté de servir Dieu dans une forme qui
soit à la fois ministérielle et personnelle. Mais celui qui n'a pas encore fait l'expérience
du ministère peut globalement proposer ses services pour cela, il ne (p. 229 :) voit ce-
pendant pas exactement de quelle manière sa personnalité s'adaptera au ministère et,
dans le ministère, se conformera à Dieu. Il sait que c'est le même Dieu qui rencontre
l'homme dans le ministère et dans ce qui lui est personnel, mais, du fait de l'incorpo-
ration dans le ministère, cette rencontre prendra un autre visage. Il ne peut donc pas
discerner d'avance comment s'effectuera sa rencontre future avec Dieu. Celui qui reste
dans la vie privée, rencontrera toujours Dieu comme un particulier (avec tout ce que
renferme la vie ecclésiale, sa communauté, la rencontre avec le Seigneur dans les sa-
crements) ; la portée de sa forme de rencontre est moindre. Dieu restera libre de se ré-
véler à lui de telle ou telle manière ; mais ses révélations s'effectueront toujours dans
un certain cadre personnel. Le fruit de la rencontre ira à l'Église, mais c'est toujours
l'individu 3 qui reçoit au moment de la rencontre, même s'il a une mission à part et, par
la connaissance qu'il a de luimême, possède un certain contour des rencontres pos-
sibles. Ce cadre saute pour quelqu'un dans un ministère. Ce qui est personnel et ce qui
relève du ministère s'intègrent pour former quelque chose de nouveau : à savoir le sa-
cerdotal, et même là où les deux éléments semblent apparaître indépendamment, ils
restent dépendants l'un de l'autre. Meilleur est le prêtre, plus il sera ministériel dans
ses rencontres personnelles avec Dieu. Non pas dans le sens d'un amoindrissement de
sa vie intérieure, mais de telle sorte que lorsqu'il est prêtre devant Dieu, Dieu ne peut
pas lui faire de plus grand plaisir que de le voir dans son ministère et ne l'en séparer
jamais complètement, même là où il s'agit de transformer ce qu'il a de plus personnel,
d'indiquer des voies très personnelles qui devront enrichir son ministère. Il y a dans
le ministère quelque chose d'irréductible, dans la mesure où cela relève de la loi ec-
clésiale ; mais c'est également un don du Seigneur. Le Seigneur qui a vécu sa vie de
façon parfaite devant le Père, avec comme tout homme une personnalité marquée, a as-
sumé en même temps le premier ministère ecclésial dans la Nouvelle Alliance, qui
consistait à sauver le monde. Il l'a bien sauvé selon son enseignement, mais (p. 230 :) son
enseignement comme sa personnalité était toujours devant le Père et se trouvait, par
l'acceptation permanente de la volonté du Père, dans un état constant de vitalité : en
s'offrant et en étant reçu, en grandissant et en se développant. Certes non pas que le
Seigneur formait son ministère suivant sa personnalité, mais plutôt qu'il formait son
empreinte personnelle d'après son ministère. Mais son ministère n'était finalement en-
__________
3. Sont visés tous les laïcs dans l'état mondain. Les religieux sans ministère se trouvent dans une
sorte de position intermédiaire. Pour eux, la règle tient lieu de ministère. Dieu en fait le nouveau
cadre d'une rencontre au-delà de la personne.
Le croyant
Au chrétien ordinaire, toute l'échelle des possibilités dans la prière est offerte : de-
puis la prière en toute solitude à la prière avec toute la communauté. Et cela en tout
lieu et en tout temps. Néanmoins, le croyant prie d'ordinaire d'une façon étroitement
déterminée ; il effectue une très petite sélection de prières et s'y maintient jusqu'à la
mort. La plupart du temps, il n'arrive pas à se faire à l'idée que la grâce de Dieu est
plus importante que sa propre façon de voir et ses préférences et que le projet que Dieu
voudrait réaliser en lui est infiniment plus grand que le programme mesquin qu'il s'est
bricolé pour son horaire quotidien. Et très souvent, sa vie en famille, au travail, dans
sa profession, lui paraît avoir tellement de poids qu'il la reprend continuellement dans
sa prière avec tous ses faits concrets, dans la crainte toutefois que Dieu ne lui en retire
la conduite et ne la modifie. D'une certaine manière, il ne se fie pas totalement à Dieu
pour la conduire. Si, dans la solitude, sa prière est souvent tellement incolore, c'est
avant tout parce qu'il est rare qu'il s'ouvre à Dieu et (p. 236 :) se mette à sa disposition,
qu'il a rarement la volonté de rencontrer Dieu dans une complète nudité, qu'il consi-
dère en général qu'il est suffisant de présenter à Dieu ses idées et ses demandes et sup-
pose tacitement qu'elles sont conformes au point de vue de Dieu. Et si Dieu ne bouge
pas dans le moment, il prend la chose comme un signe d'assentiment.
Se tenir devant Dieu dans la foi signifierait, en vérité, présenter rapidement sa vie à
Dieu, s'en libérer ensuite et tenter de se trouver devant lui ouvert à tel point qu'il
puisse se montrer et se révéler lui-même. Le contempler, lui et non pas soi-même. Ne
pas donner aux mots dont on se sert le sens acquis, mais celui qu'ils avaient à l'origine
en Dieu de façon première. C'est peut-être ce qu'il y a de plus difficile pour le croyant
que de se trouver réellement dans la foi, devant Dieu et non pas comme un homme de
ce monde, un homme bourré de ses représentations et de ses projets à lui. Le saint veut
ce que Dieu veut. C'est là sa définition. Il se précipite toujours à nouveau dans l'abîme
de Dieu. Le prêtre y est constamment poussé : par son ministère, par l'attente des
hommes et un peu aussi par les nombreuses prières qu'il doit réciter. Pour le croyant
ordinaire, la prière est laissée à sa libre appréciation qui, la plupart du temps, n'est
plus libre, parce qu'il est tout empêtré dans les choses de ce monde. S'il essaye tout de
même, il voit immédiatement tout ce que Dieu a à lui dire, comme les difficultés qu'il
2. Humeur et constance
Dieu est l'immuable et, cependant, c'est toujours différemment qu'il se montre aux
hommes. Tantôt il se fait reconnaître presque sans voile, et tantôt sa reconnaissance se
trouve contenue tout entière dans la foi et il ne se produit rien qui puisse paraître faire
avancer cette connaissance comme telle. Mais la foi s'en trouve fortifiée. Par nature,
l'homme est celui qui change ; son humeur est variable, mais il doit s'efforcer de faire
siens, dans sa prière, certains aspects de l'immuabilité de Dieu ; celle-ci se reflétera
chez lui, avant tout par une constante disponibilité, comme régularité et vigueur à être
disponible et à vouloir écouter, à ne chercher que Dieu, choses qui toutes se rappor-
tent à l'attitude fondamentale. Naturellement, certains aspects extérieurs de la prière
sont influencés par l'état d'esprit. Une prière de fête ne doit pas ressembler à une
prière de souffrance, une prière dite dans la lassitude pas à une prière du matin. Et
lorsque Dieu permet que quelque chose de la vie extérieure apparaisse dans la prière
et influence le comportement, cela est pensé, en quelque sorte, comme un encourage-
ment de l'homme, pour qu'il ne baisse pas les bras en raison d'une trop grande régu-
larité et que quelque chose de la tension personnelle soit repris dans celle de la prière.
L'exemple le plus éminent en est le Seigneur qui, devant le Père, est, toujours pa-
reillement obéissant et pareillement à l'écoute et qui, cependant, laisse agir les situa-
tions et les états d'esprit de sa vie extérieure. Sa prière, lors des fêtes et dans la joie,
est différente de sa prière lors du jeûne au désert ou sur la croix. Si l'on voulait se
contraindre pour la prière à se défaire de la coloration de sa personnalité pour paraître
3. Actif ou passif
La prière où la participation active de l'homme l'emporte, comme dans les heures ca-
noniales, est la plus facile. Plus difficile est la prière où principalement il reçoit. Il s'en
lasse plus vite, ou bien il se laisse décourager lorsqu'il pense que cela ne va pas. La
prière active porte et conduit pour nous éviter de dévier. Dans la prière passive, il faut,
de temps en temps, se reprendre, s'arrêter, se faire porter. Dans la prière active, on sent
la durée du temps comme quelque chose qui porte et qui est maîtrisé d'avance ; dans
la prière passive, on la perçoit plutôt comme un obstacle contre lequel on doit toujours
lutter de nouveau pour le surmonter. Dans la prière active, on est soutenu par la loi de
l'action qui conduit ; dans la prière passive, on est beaucoup plus livré à soi-même, on
se trouve dans un vide et, chaque fois, il faut le traverser.
Dans la contemplation, celui qui prie est conduit par Dieu et par son Esprit où il
veut aller et où il ne veut pas aller. Il y a là une forme de la conduite qui ne peut être
vécue que lorsqu'on est véritablement conduit de façon passive, que celui qui prie doit
saisir moins par sa nature que par sa direction et qui le façonne continuellement. Peut-
être croit-il qu'avec sa disponibilité du début, s'étant mis en état d'écoute, il en a déjà
fait assez. Mais c'était tout au plus le point de départ. C'est à présent seulement que
peut venir l'exigence de persévérer dans la disposition d'écoute qui se prolonge, appa-
remment sans fin et sans contour. Il peut se faire que cette attitude soit précisément
cause de souffrance : la souffrance d'une mortification ininterrompue, d'un dépouille-
ment de soi, d'un renoncement à soi. Mais cela importe peu. Ce qui compte, c'est uni-
quement de savoir en vue de quoi on doit être disponible, être à l'écoute. Tout est dans
l'attente et le laisser-faire. Souvent, on ne sait pas comment continuer, ce qui doit se
passer et pourtant, il n'est pas permis dans cet état de chercher consolation et soutien.
Dans les souffrances, on pense qu'elles vont passer. Ou bien qu'il y a pire. Ou bien, on
songe à d'autres qui souffrent encore davantage. Une telle diversion n'a pas sa place
ici. Seule est réclamée la qualité de la constance pour demeurer ainsi et pas autrement,
ne prêtant (p. 252 :) attention qu'à ce qui est présentement. Il y a un certain abaissement,
une certaine humiliation à être ainsi placé et maintenu exclusivement à disposition.
Aucune « interjection » n'est permise et non seulement on n'a pas à s'exprimer mais il
n'est pas permis non plus de chercher ce qu'on pourrait exprimer. Ce qui est montré
est à tel point don qu'il faut prendre en considération tout le don. La participation à
ce qui se passe est requise et c'est quelque chose de bien déterminé et qu'on ne peut
cependant ni fournir ni maîtriser. Il semble qu'il y ait contradiction dans l'exigence :
d'un côté, ne pas se soucier de ce qui se passe, comment cela se développe, le temps
que cela dure – donc ne pas réfléchir –, d'un autre côté, ne pas se relâcher dans la ten-
sion et l'attention, mais rester silencieux jusqu’à ce que tout soit montré, et demeurer
dans le cadre donné : s'en tenir à cette image, à ces points. La méditation n'a pas un
4. Réconfort et désolation
Lorsque l'âme entre en prière, il existe deux possibilités : elle peut venir exactement
telle qu'elle est, ou bien dès avant la prière, elle peut s'adapter dans une certaine me-
sure à la méditation. Si elle vient telle qu'elle est, elle peut penser que la bonne hu-
meur qu'elle apporte, le plaisir qu'elle a de méditer maintenant, est quelque chose d'es-
sentiel à conserver tout le temps de la méditation. Ce ne serait pas tout à fait exact.
Mais peut-être ne le comprend-elle pas mieux ; il peut y avoir un manque de direction ;
elle peut penser que Dieu ait à se conformer à elle, sur ce point. Elle se réjouit peut-
être de dialoguer avec Dieu et aussi de ce que Dieu la trouvera de bonne humeur. Sup-
posons que ce soit une âme pour laquelle Dieu n'a pas de projet extraordinaire, alors
il peut se faire que Dieu la laisse dans son état d'esprit, lui donne un certain enrichis-
sement dont elle devra se contenter, et qu'elle ne sorte pas essentiellement transfor-
mée de la méditation quant à son état d'esprit et à sa disponibilité. Si Dieu a plus en
vue avec elle, alors il peut rompre son état d'esprit. De telle sorte que l'âme elle-même
voie le chemin de la rupture, ou de telle sorte également que la rupture s'intercale
comme un mur en plein dans sa méditation, qu'elle s'effraie du changement, qu'elle ne
5. Prévalence de Dieu
Le chrétien vit sur deux plans : celui de sa conscience où il sait ce qu'il pense, veut
et fait, et qui lui paraît en quelque sorte fermé et prévisible – et celui de l'esprit qui lui
commande toujours d'accomplir des choses qu'il ne peut embrasser et auquel il obéit
simplement : c'est le plan de la réalité de sa foi. Il doit voir comment mettre en har-
monie les deux plans par le seul esprit qui dirige le naturel comme le surnaturel, qui
donne aussi bien les ordres depuis l'espace invisible qu'il attire l'attention sur ce qui
doit se produire (p. 260 :) dans l'espace naturel. Et être chrétien consiste essentiellement
à ne pas subordonner l'esprit divin et ses indications surnaturelles aux lois de l'esprit
humain et à son organisation de l'espace naturel, mais à laisser l'esprit divin régner
également sur l'espace naturel. Cela vaut avant tout pour la prière. Dans la prière,
l'homme doit être introduit dans le monde de Dieu, qui n'est pas conscient à son Moi,
mais dans lequel son Moi et tout le monde naturel occupent leur place et jouent leur
rôle. Celui qui est chrétien par habitude croira n'importe comment que le monde de
Dieu lui est ouvert, mais il vit tellement dans sa vie de tous les jours qu'il subordonne
les lois du monde divin à celles de sa vie de tous les jours et qu'il essaye de garder en
main le contrôle et la décision quant à l'étendue des exigences de Dieu. Mais lorsqu'un
2. L'efficacité de la prière
Un premier effet de la prière consiste pour celui qui prie à éprouver toujours da-
vantage le besoin de s'adonner à Dieu. C'est un effet qui se produit en lui, qui ne
s'épuise cependant pas dans le besoin, mais qui s'oriente déjà sur ce qui est produit
par le besoin: l'écoute de Dieu. Le premier fruit de la prière crée la place, chez celui
qui prie, pour les intentions de Dieu. Dieu augmente sa soif et, par là, sa capacité de
recevoir, sa foi, son appartenance à Dieu, son obéissance. Ce premier effet ne vise pas
du tout, en première ligne, la personne mais le devoir, le service à venir. Dans le be-
soin de prier, il y a le premier germe qui mène à la connaissance de la mission, du
choix de vie, à la place du chrétien dans le monde. Celui qui prie ne le remarque pas
encore, il comprend seulement qu'il se détermine avec plus de force, sans savoir exac-
tement en quoi. En lui, la place est dégagée, mais pas seulement pour une connaissance
PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
I. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
La nature de la prière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
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