Habitat 23
Habitat 23
Habitat 23
Origine
des
maisons-bulles
Changements
Jusqu’au XIXe siècle, les matériaux principaux de la construction sont la pierre, la chaux et le
bois. L’architecture évolue avec leurs techniques et tend vers l’emploi des courbes : voûtes, cou-
poles, arcades et linteaux cintrés. Seule la difficulté d’exécution freine le recours aux courbes et
aux ornements dans les grandes constructions. Ces caractéristiques se retrouvent dans quelques
habitations. A toutes les époques, l’architecture subit l’influence des pouvoirs politiques, écono-
miques, médiatiques et — en France, jusqu’au XVIIIe siècle — religieux. Les donneurs d’ordres
et les leaders d’opinions orientent les choix. A partir du XIXe siècle, le progrès des sciences et
des techniques, associé au développement des banques, entraîne une formidable croissance
industrielle. De nouveaux matériaux produits en grande quantité arrivent sur le marché.
L’expansion économique et le développement de la démocratie font émerger de nouveaux déci-
deurs : industriels, commerçants, banquiers et nouvelle classe politique issue du suffrage univer-
sel. D’autres perdent de leur influence : hiérarchie héréditaire et autorités religieuses.
L’architecture en est transformée.
Au XXe siècle, les métaux, le béton armé et le verre deviennent les matériaux principaux de
la construction. Les architectes, en perfectionnant leur utilisation, intègrent la logique industrielle
dans la conception des formes : place aux lignes et aux angles droits, suppression des ornements,
soumission accrue aux règles comptables et utilitaires. La création se réfugie dans une savante
alternance des pleins et des vides. Mais au delà de ces caractéristiques dominantes, la recherche
des courbes persiste : construction de coques et de voiles minces, maisons-bulles, etc…
L’expérience révèle les aspects fonctionnels et l’ambiance des habitations en courbes. Dans les
années 1980, l’informatique commence à transformer la conception et la production industrielle :
les lignes droites n’apparaissent plus comme une nécessité. Les sciences de la nature mettent en
lumière le caractère artificiel des formes orthogonales. Nous sommes à la veille d’autres change-
ments importants. Ce sont ces sujets que nous abordons ici.
C. R.
SOMMAIRE
3 - Origines des maisons-bulles :
pour une histoire des courbes en architecture
34 - Mosaïque…
2
Origines des
maisons -bulles
Pour une histoire
des courbes
en architecture
Comment expliquer la fascination que sus- Les premières maisons-bulles, analogues à
citent les maisons-bulles ? Chacun se souvient celles qui existent aujourd’hui, ont été
de sa propre réaction quand il en a vu pour la construites dans les années 1960. Mais leur
première fois. On a pu aussi entendre ce que apparition correspond à l’émergence particu-
d’autres expriment à ce sujet : l’attrait incon- lière d’un véritable courant d’intérêt pour ce
testable, qui s’accompagne d’une déstabilisa- type de formes dont on peut retrouver les
tion psychologique, probablement dûe à l’effet traces à travers les siècles. On peut même se
de surprise dans ce domaine primordial de poser la question : les maisons-bulles ne
notre vie quotidienne qu’est l’habitat. Nous seraient-elles pas l’une des évolutions impor-
avons depuis notre naissance une image de la tantes de l’architecture ? Nous tentons ici de
maison type, constituée à partir de visions suc- résumer l’enchaînement dans le temps des
cessives : quatre murs, un toit le plus souvent à formes courbes — ou plus largement des
deux pentes, des fenêtres et des portes rectan- formes non orthogonales — à partir des épi-
gulaires. sodes principaux.
Les maisons-bulles surprennent par leurs Le développement des formes à angles
formes courbes, comparables à celles des êtres droits dans le bâtiment a des raisons utilitaires.
vivants. Ce ne sont pas des formes très répan- Il est simple de découper ou de former des élé-
dues pour une maison. Leur connaissance par ments droits. Leur assemblage et leur prolon-
de simples reproductions, des dessins ou des gement se font sans difficulté de conformité.
photos en deux dimensions, retient déjà l’at- Dans un environnement orthogonal, tout peut
tention, mais la perception dans la réalité crée être juxtaposé et fixé aisément. Cette simplifi-
encore une toute autre impression. Nous allons cation correspond donc à une utilité technique
voir cependant que ce type de formes pourrait et pratique, plus qu’à une vraie nécessité
bien être un vieux rêve de l’humanité. d’usage, qui exigerait plutôt des courbes. De
3
Coupoles Dans la campagne de plusieurs régions de
France, on trouve des habitations, parfois très
voûtes
anciennes, à voûtes en pierres sèches. Elles
sont nommées bories ou cabornes.
C’est l’invention par les Romains de la
maçonnerie en pierres et briques, liées avec un
arcades…
mortier, qui a permis les premières grandes
voûtes et les premières grandes coupoles.
Celle du Panthéon de Rome a un diamètre
intérieur de 43,40 m.
Dans l’empire byzantin, les coupoles sont
construites essentiellement au-dessus des sanc-
même, le quadrillage des surfaces est un mode tuaires. Parmi les plus célèbres : Saint-Vital de
de division géométrique commode, mais ce Ravenne et Sainte-Sophie de Constantinople.
n’est pas nécessairement une solution fonc- « La première fut élevée à partir de 526 pour
tionnelle : il faut des courbes, par exemple, célébrer la reconquête de Ravenne par l’empe-
pour faire une route. reur. La coupole qui la surmonte, d’un dia-
En matière d’ambiance, la préférence pour mètre intérieur de 16,70 m, se caractérise par
les volumes intérieurs à voûtes ne suscite sa grande légèreté grâce à l’emploi d’une tech-
guère de discussion. L’intérêt pour les formes nique qui était fort répandue en Afrique du
courbes de la construction se retrouve partout Nord, consistant à bâtir les voûtes à l’aide de
et à toutes les époques. Pourtant les livres d’ar- tubes de céramique s’emboîtant les uns dans
chitecture n’abordent pas ce sujet au fond et les autres.» (Ibid.)
d’un point de vue global ; ils ne le traitent De nombreux édifices de culte musulman
qu’incidemment. dans le monde entier sont surmontés d’une
Aux temps préhistoriques, des huttes de coupole. En Occident, on en trouve à l’époque
branchages étaient construites sur un plan cir- carolingienne pour les églises et les palais (le
culaire : des pierres servant à bloquer des dôme d’Aix-la-Chapelle: 14,50 m), puis dans
branches fichées dans le sol ont été retrouvées l’architecture romane. Les nervures saillantes
sur des sites archéologiques. Des habitations de certaines coupoles romanes (église Saint-
rondes existent sur la plupart des continents, Blaise d’Oloron, Hautes-Pyrénées), « dénotent
notamment en Afrique. Les coupoles et les une influence de l’Espagne arabe, qui ne sera
voûtes en pierre, en briques, en terre crue, pas sans inspirer l’architecture gothique.»
creusées dans la roche, en neige ou même en (Ibid.)
textile (la yourte en feutre, par exemple) exis- Les architectes byzantins, romans et
tent parfois depuis plusieurs millénaires. gothiques ont utilisé la voûte, car elle seule
«Les premiers exemples de salles circu- permettait la couverture des vastes espaces des
laires couvertes par une coupole font appel, basiliques et des cathédrales qui dépassaient
comme toutes les voûtes primitives, à la tech- les possibilités des poutres en bois sur murs et
nique de l’encorbellement, procédé consistant colonnes.
à donner à chaque assise une légère saillie par « C’est l’Italie du XVe siècle qui va revenir
rapport à l’assise inférieure. (…) Les couver- aux coupoles monumentales en faisant
tures de ce type ont été en usage dans toutes les construire par Brunelleschi la coupole de la
parties du monde ignorant la voûte clavée, cathédrale de Florence (1420-1434). Presque
aussi les trouve-t-on dans l’architecture préco- l’égale du Panthéon avec 42,20 m d’ouverture
lombienne comme dans celle de l’Inde ou dans sur une base octogonale, elle est constituée
les constructions de la protohistoire européen- d’une double enveloppe de maçonnerie nervu-
ne. Les réalisations les plus grandioses dues à rée, que Brunelleschi put élever sans recourir à
cette technique sont sans conteste les tombes un cintre général. Chaque assise d’une coupole
mycéniennes édifiées au XIVe siècle avant constituant en effet une petite voûte annulaire,
notre ère. Au tombeau dit d’Agamemnon ou il est possible de monter une coupole entière
Trésor d’Atrée, on peut admirer une tholos (1) en s’aidant de cintres partiels que l’on retire
couverte par une ogive d’un diamètre de base dès qu’une assise est bouclée.
de 14,50 m pour une hauteur de 13,20 m. »
(Jean-Pierre Adam).
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1 - Tombe à coupole en pierres superposées.
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J. N. Reichel
P. de Jong
Sainte-Sophie de Constantinople :
une coupole lumineuse de 31 m de diamètre
En argile, pièce centrale (Sussu et Kuranko) qui culmine à 65 m de hauteur
G. Gerster, Rapho
5
Forme de constructions courbes, il faut nous arrêter
sur les débuts de l’architecture moderne que
et
beaucoup situent au XIXe siècle, avec la redé-
couverte de l’architecture médiévale et le
dévelopement de l’industrie.
En Grande-Bretagne, Augustus W. N.
fonction
Pugin (1812-1852) affirme la supériorité des
édifices médiévaux sur ceux de son temps et
donne, le premier peut-être, une définition de
ce que l’on nommera ensuite le « fonctionna-
lisme » : « Le grand critère de la beauté archi-
tecturale est l’adaptation de la forme à la fonc-
tion. »
«A Saint-Pierre de Rome, Michel-Ange John Ruskin (1819-1900) publie un Eloge
dirigera jusqu’à sa mort, en 1564, la construc- du gothique. Il estime que le sublime du
tion de la majestueuse coupole de 42 m de gothique tient d’abord dans la structure même
diamètre à double enveloppe de pierre et de du bâtiment. Il propose d’envoyer les archi-
brique, selon la technique de Brunelleschi.» tectes apprendre leur métier dans la nature:
(Ibid.) «Leurs yeux sont habitués à l’étroitesse et à
La voûte du ciel est considérée comme le la ténuité: pouvons-nous les voir brusquement
symbole de l’harmonie divine. Ce symbole est concevoir et ordonner l’ampleur et la solidité ?
reproduit dans la coupole qui «surmonte aussi Ils ne devraient pas vivre dans nos villes : il y
bien le Ming tang chinois que la mosquée a dans leurs murs misérables de quoi étouffer
musulmane, le temple du ciel de Rome et tuer les imaginations des hommes. (…)
(Panthéon) ou la basilique byzantine et roma- Envoyez-les dans nos montagnes ; qu’ils
ne : la coupole repose sur la base quadrangulai- apprennent là ce que la nature entend par un
re de l’édifice et l’ordonne; cette base symbo- arc-boutant, ce qu’elle entend par un dôme. »
lise la terre et ses tensions contradictoires ». En France, Eugène Emmanuel Viollet-le-
(Gilbert Durand) Duc (1814-1879) sera le grand restaurateur des
Cercle, sphère, coupole ou voûte symboli- édifices gothiques, mais il exprimera aussi des
sent par extension l’harmonie, la perfection idées à l’avant-garde de son temps :
dans le mouvement, l’accomplissement de la « Il faut étudier les monuments du passé,
forme parfaite. Mais on comprend aussi que non pour les copier, mais pour en déduire le
les courbes sont plus complexes à concevoir et principe original… Toute forme dont il est
à construire que des parois planes. Elles ont impossible d’expliquer la raison ne saurait être
donc surtout été utilisées pour des lieux de belle. »
cultes, des mausolées, des bâtiments à usage Il reprend la définition du fonctionnalisme
public ou symbolisant le pouvoir. Tous usages de Pugin et de Ruskin, mais en y intégrant la
pour lesquels les coûts de construction sont machine:
secondaires et où seule importe la perfection « Si la forme indique nettement l’objet et
de la forme. fait comprendre à quel fin cet objet est produit,
Ces connotations vont se retrouver évi- cette forme est belle, et, c’est pourquoi les
demment dans toute construction de formes créations de la nature sont toujours belles pour
courbes, même si les symboles y sont devenus l’observateur. La juste application de la forme
étrangers. Les maisons-bulles contemporaines, à l’objet et à son emploi ou sa fonction, l’har-
lieux de vie permanents, vont permettre en monie qui préside toujours à cette application
outre de constater les caractéristiques psycho- nous saisissent d’admiration devant un chêne
sensorielles particulières (1) à ce type d’es- comme devant le plus petit insecte si bien
paces, que les vastes et rares constructions pourvu. Nous trouvons du style dans le méca-
prestigieuses n’avaient pas encore permis de nisme des ailes de l’oiseau de proie, comme
découvrir. nous en trouvons dans les courbures du corps
Après ce rapide survol de plusieurs siècles du poisson, parce qu’il ressort clairement de ce
mécanisme et de ces courbes si bien tracées
que l’un vole et l’autre nage. »
_______
6
Lauros-Giraudon
7
Métaux casion des expositions universelles, où l’on
retrouve l’influence des courbes de l’architec-
et béton
ture en pierre. La Tour Eiffel en est l’un des
exemples les plus connus. Il faut mentionner
les ponts suspendus, mais aussi des bâtiments
qui associent métaux et maçonnerie en pierre,
armé
la bibliothèque Sainte Geneviève (1843-1850)
et la Bibliothèque nationale de Paris (1868-
1878) de l’architecte Henri Labrouste (1801-
1875).
La fonte, le fer et l’acier, puis l’aluminium
vont entraîner des changements considérables
dans l’architecture. L’entrée de l’industrie
tionnalistes, on trouve des poètes, comme métallurgique dans le bâtiment avec la fabrica-
Théophile Gautier (La Presse, 1850): tion des « produits longs » va générer des
« On crée une architecture caractéristique formes comparables à celles de la construction
dès lors que l’on utilise un produit nouveau, en bois, avec des lignes droites et des assem-
fourni par la nouvelle industrie. L’emploi du blages à angles droits. Les courbes devien-
fer permet et impose de nombreuses formes dront plus rares qu’à l’époque de la construc-
nouvelles comme on peut en observer dans les tion en pierre.
gares, dans les ponts suspendus et dans les La deuxième évolution technique au XIXe
voûtes des jardins d’hiver.» siècle, qui va bouleverser l’architecture, c’est
Charles Baudelaire, dans un article sur l’invention du béton armé. Un autre jardinier
l’Exposition universelle de Paris, en 1855 : est à l’origine — sinon le seul inventeur — de
« L’admirable, l’immortel, l’inévitable rapport ce procédé : Joseph Monier (1823-1906) qui
entre la forme et la fonction…» fabrique en 1849 un bac à fleurs en béton armé
A ce début du fonctionnalisme, on peut de tiges de fer. Il prend de nombreux brevets
penser qu’à la diversité des fonctions va cor- pour toutes sortes d’usages de cette technique
respondre une diversité des formes. Mais c’est dans la construction. Il faut aussi mentionner
l’inverse qui va se produire. Les contraintes Joseph Lambot qui fait naviguer sur la Seine,
provenant de la logique industrielle vont en 1848, une barque en ferrociment (avant la
conduire à une restriction des formes, contraire lettre), c’est-à-dire une coque mince en micro-
à la définition même du mot fonctionnalisme. béton armé de tiges en fer.
Au XIXe siècle, deux types de matériaux La pierre — comme le béton sans armature
vont se répandre dans la construction : les — résiste à la compression. Elle convient pour
métaux et le béton armé. Ce sont deux la construction par empilement de matière,
constructeurs étrangers à l’architecture, deux c’est-à-dire pour des murs verticaux et des
jardiniers, qui vont jouer un rôle important colonnes , et, par recherche du point d’équi-
dans cette évolution technique. libre ou de verrouillage, pour des voûtes et des
Joseph Paxton (1803-1865), jardinier coupoles en encorbellement, clavées ou join-
anglais de William Spencer, duc de tées au mortier. De la protohistoire au XIXe
Devonshire construit en 1837 une serre géante siècle, les variétés de styles sont nombreuses.
en métal et en verre (84 x 38 et 20 m de hau- Mais les formes donnent toujours l’impression
teur) qui suscite l’admiration. Il propose pour d’être statiques, quelle que soit la virtuosité de
l’Exposition universelle de Londres en 1851 l’architecte. Le béton armé par sa résistance, à
un pavillon géant sur le même principe, le la fois en compression et en traction, convient
Cristal Palace (563 x 124 m). Il utilise pour pour des coques, c’est-à-dire des formes
cela des éléments usinés, préfabriqués, en fer, homogènes et autoportantes, d’une variété
verre et bois. C’est l’un des premiers exemples géométrique indéfinie. La résistance provient,
d’industrialisation du bâtiment avec construc- non seulement de la matière, mais de la forme
tion en série, standardisation des matériaux et elle-même, ce qui permet de réduire le poids et
mécanisation du chantier. Ce bâtiment gigan- la quantité de matière. Ces coques donnent une
tesque est construit en six mois. impression de dynamisme et de légèreté très
L’architecture métallique donnera ainsi des différente des constructions en pierre. Il faudra
constructions remarquables, notamment à l’oc- attendre les créations d’ingénieurs pour décou-
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Marburg
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«Détruire mule un poteau commet une faute. Celui qui
fait un faux poteau commet un crime. »
la boîte»
Mais il va imiter la charpente de bois ou de
fer (système orthogonal de poteaux et de
poutres) sans utiliser toute la liberté de formes
qu’offrait le béton.
dit-il
Aux Etats-Unis, l’Ecole de Chicago avec
Louis Sullivan (1856-1924) et Dankmar Adler
(1844-1900) fait évoluer l’architecture et chan-
ger les formes, mais avec le corollaire d’un
fonctionnalisme orthogonal: « La forme
découle de la fonction » (Sullivan). Ces deux
architectes seront cependant des créateurs ori-
vrir ces couvertures complètement inédites. ginaux échappant à l’académisme ambiant.
Précisons tout d’abord qu’il ne faut pas Sulivan soutenait un fonctionnalisme mesuré
confondre ciment, béton et béton armé, comme et recommandait de se plier aux rythmes de la
le font certains auteurs qui citent des brevets nature :
antérieurs à ceux de Monier. Le ciment est un « Ces processus, ces rythmes, écrivait-il,
mélange d’argile et de calcaire, soumis à une sont essentiels, organiques, cohérents,
cuisson et finement moulu. Additionné d’eau, logiques au dessus de toute logique
il se solidifie. Le béton est un mélange de livresque. » Il annonce ainsi « l’architecture
ciment, de sable, de graviers et d’eau. Lorsque organique » de son disciple Frank Lloyd
l’on noie des tiges d’acier ou des treillis métal- Wright (1869-1959).
liques dans le béton, celui-ci devient béton Sullivan et Adler préconisent les lignes ver-
armé. (Michel Ragon). C’est donc l’associa- ticales, Wright préfère les lignes horizontales.
tion du béton et du ferraillage qui donne au Mais il prend aussi conscience de l’ambiance
béton armé une résistance non seulement à la insupportable des espaces orthogonaux que la
compression, mais à la traction, ce qui change réduction des ornements ne fait qu’accentuer.
radicalement les possibilités de construction. Il ne résout pas le problème, dans la plupart de
Le mortier (ou micro-béton) est un mélange cas, par l’emploi de courbes :
de ciment, de sable et d’eau. Il peut être armé « La fenêtre en coin est représentative
de tiges d’acier (ferrociment) ou de fibres d’une idée que j’ai eu dès mes premiers tra-
diverses (notamment d’acier et de verre, ce vaux, à savoir que la boîte est un symbole
sont les CCV, Composites Ciment Verre ou concentrationnaire… C’est pourquoi je m’atta-
GRC, Glass Renforced Cement). A notre chai à détruire le principe de la boîte dans la
époque, de nombreux composants et adjuvants construction. Comme pour donner toute sa
peuvent faire varier considérablement les per- portée à cette idée, la fenêtre en coin fit son
formances des mortiers, notamment l’emploi apparition. »
de ciments spéciaux, de silices, de polymères Toujours pour éviter l’impression d’enfer-
ou plastiques et de multiples espèces de fibres mement et donner plus de liberté d’aménage-
et de textiles. C’est un type de matériau qui, ment, il supprime la plupart des murs intérieurs
armé, est résistant lui-aussi en compression et et les remplace par des poteaux. Puis le mur-
en traction. Il pourrait bouleverser les modes rideau extérieur apparaît. Il n’est pas porteur :
de construction en apportant, par sa résistance il est constitué principalement de vitrages.
exceptionnelle, économie de matière et liberté Certains attribuent le premier mur-rideau à
des formes. Burnham et Root, architectes du Reliance
Le premier à donner au béton armé ses Building construit en 1890 à Chicago.
lettres de noblesse et à oser l’imposer à la vue Wright refuse l’assimilation entre « archi-
dans les constructions sans le cacher derrière la tecture organique » et « architecture fonction-
pierre, c’est Auguste Perret (1874-1954). Il nelle » que l’on fera dans les années 30. Il
affirme un fonctionnalisme technique sans donne au mot organique une connotation pan-
équivoque : théiste qui dépasse le sens rationnel du mot
« Celui qui dissimule une partie quelconque fonctionnel. Il est convaincu de la nécessité
de la charpente se prive du seul légitime et plus d’une vie harmonieuse dans la nature.
bel ornement de l’architecture. Celui qui dissi- Il construit en Pensylvanie (1936) l’une des
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Maison sur la cascade (1935-1939) à Bear Run, Pensylvanie, de Frank Lloyd Wright.
Des formes significatives d’un type de relation avec la nature.
11
Ornement réaction face aux nouveaux matériaux, mais
qui ne méconnait pas la valeur attribuée à la
et
structure par l’évolution des conceptions. « Il a
inventé la colonne inclinée évitant les arcs-
boutants, les arcades paraboliques et il a donné
au toit de l’école de la Sagrada Familia cette
crime…
forme paraboloïde hyperbolique qui sera la
source d’une nouvelle forme contemporaine
dite « selle de cheval ». (Michel Ragon)
« Le gothique est système mort, dit Gaudi.
Il faut lui redonner vie et traiter la construction
d’une manière naturaliste pour qu’elle soit
l’expression des forces qui agissent sur elle. »
plus célèbres maisons individuelles du XXe « Ce naturalisme, il le trouvait d’abord dans
siècle : la « maison sur la cascade ». Celle-ci l’arbre (« L’arbre est mon maître »), puis dans
manifeste au premier coup d’œil par ses le squelette (« Toute forme n’est que l’envelop-
formes orthogonales une domination de la pe d’une structure intérieure, le squelette. Le
nature par l’homme, ce qui est plutôt contraire reste n’est que détails qui de loin disparais-
aux convictions philosophiques de Wright. sent.»). Gaudi étudiait les structures sur les
L’homme continue inconsciemment de s’im- coquillages marins.» Il a construit des voûtes
poser à la nature par les formes étrangères ondulées, des dalles champignons et des
qu’il y installe. Ce type de relation peut appa- arcades paraboliques, « qui seront considérées
raître désuet à notre époque d’écologie. plus tard comme le dernier cri de la moderni-
Mais Wright ne « s’est pas borné aux plans té ».
rectangulaires. Il a utilisé le cercle et la spirale Parmi les créateurs de l’Art nouveau à rete-
dès 1925 dans son projet du String automobile nir, Hector Guimard (1867-1942), Victor Horta
du Maryland » et en 1946 pour le Musée (1861-1947), Henri Van de Velde (1863-1957).
Gugenheim de New York. A propos de cette période, Nikolaus
Avant de revenir aux explications concer- Pevsner déplore « son déchaînement d’indivi-
nant les lignes droites de l’architecture moder- dualisme ». La réaction va entraîner un fonc-
ne, il faut accorder une place au « style 1900 », tionalisme absolu, où l’on retrouvera certains
nommé Art nouveau en France et en Belgique, des créateurs de l’Art nouveau comme Henri
Modern style en Angleterre et Jugendstil dans Van de Velde.
les pays germaniques. C’est un style floral qui Adolf Loos (1870-1933) publie en 1908 un
ne doit rien aux styles du passé, même si l’on livre-manifeste Ornement et crime, dont le
évoque à son propos l’art baroque. retentissement et l’influence seront considé-
Louis Hautecœur écrit que le baroque « est rables : « J’ai formulé et proclamé la loi sui-
avant tout décoration ; il se préoccupe beau- vante, à mesure que la culture se développe,
coup moins de la structure que de l’apparence ; l’ornement disparaît des objets usuels. (…)
il est plus pittoresque que rationnel ; il donne L’inventeur d’ornements modernes n’est plus
une extrême importance aux façades, multiplie un artiste vigoureux et sain qui parle au nom
les ornements, cherche les contrastes des de son peuple ; c’est un rêveur isolé, un attardé,
formes, des volumes, des matières, des cou- un malade…»
leurs. Le désir de l’effet le conduit à accentuer Ces affirmations passionnées vont influen-
le mouvement, mouvement des plans, des cer ou du moins caractériser durablement la
lignes, des élévations, si bien qu’il amplifie création du XXe siècle, qui abandonne les
l’espace et cherche tout au moins à donner ornements surajoutés aux formes. Cette impé-
l’impression d’un espace dilaté ; il se plaît à ratif allait dans le sens de l’économie et de la
tous les jeux, à tous les artifices de la perspec- logique industrielle.
tive. » Autre influence sur l’architecture, celles
Cette définition de l’architecture baroque des plasticiens : cubistes, futuristes, constructi-
convient bien à l’Art nouveau, mais dans le cas vistes, Stijl, etc… A Paris, Le Corbusier sera
d’Antonio Gaudi (1852-1926), il faut néan- peintre le matin et architecte l’après-midi.
moins parler d’un « baroquisme de la structu- Le résultat : une orthogonalité généralisée
re » et non pas d’un simple décor. C’est une dans la ligne de l’esthétique de Piet Mondrian,
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Ch. Bastin & J. Evrard
à Bruxelles
de Victor Horta
(1897-1900)
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Les lignes tive : le mobilier, les ustensiles ménagers et
toute la création de formes industrielles en
droites
seront profondément transformés. Beaucoup
des idées qu’il a propagées dans ces secteurs
correspondent ainsi à l’emploi des courbes
fonctionnelles et épanouissantes, à l’inverse de
s’imposent
la pratique architecturale. Durant 14 ans, ce
groupe a attiré les plus grands artistes et
savants du monde entier.
Le Bauhaus (« maison de la construction »),
fondé en Allemagne par Walter Gropius est le
regroupement de l’Ecole des arts décoratifs et
de l’Ecole des beaux-arts de Weimar. Gropius
ne veut plus distinguer entre beaux-arts et arts
appliqués. Il veut unir l’art et la technique, la
constituée de l’équilibre des lignes horizon- peinture, la sculpture et l’architecture. Il élimi-
tales et verticales. « Les architectes du Stijl ne la distinction entre artisan et artiste, arts
n’acceptent comme formes que le cube et le d’agrément et arts utiles. Il accepte la standar-
parallélépipède rectangle, les murs intérieurs disation et fait appel à l’industrie pour la pro-
prolongés à l’extérieur assurant une continuité duction de certaines œuvres.
spatiale, comme chez Wright. » (Michel Le Bauhaus en passant de l’activité de l’ar-
Ragon) tisan-compagnon, au départ, à la collaboration
Il est paradoxal que des peintres parfaite- avec l’industrie, ne parvient plus à maintenir
ment libres dans leur création intériorisent des son unité en raison des prises de position poli-
contraintes formelles qui relèvent surtout des tique de ses membres. L’arrivée au pouvoir de
simplifications industrielles. Ils vont générer l’hitlérisme entraîne sa disparition et le départ
(ou contribuer à renforcer) une architecture de ses principaux animateurs dans d’autres
aux formes artificielles et davantage faites pays, notamment aux Etats-Unis.
pour être regardées que pour les usages de la Le Bauhaus se réclamait de l’enseignement
vie quotidienne. La création devient un savant de Henri Van de Velde tout comme le groupe
assemblage de masses et de vides à angles des expressionnistes allemands. Les uns sont
droits. Le fonctionnalisme se transforme en un fonctionnalistes et rationalistes, les autres plus
formalisme, synonyme d’orthogonalité. Les proches du Jugendstil (Art nouveau).
mots peuvent prendre, par un étonnant retour- L’importance des expressionnistes n’est pas
nement d’usage, un sens très différent de celui comparable au Bauhaus du point de vue du
de leur origine… nombre de réalisations, mais l’originalité de
En 1911, un jeune architecte allemand de leurs projets en fait des précurseurs dignes
28 ans, Walter Gropius (1883-1969) construit à d’attention.
Alfeld-sur-Leine une usine pour le groupe Le romancier Franz Kafka (1883-1924)
Fagus. Les parois n’ont plus aucune fonction donne « dans ses romans la vision d’un cau-
portante. Les dalles reposent sur des pilliers en chemar fonctionnel d’une société d’arpenteurs
retrait de la façade. C’est l’un des premiers parfaitement bureaucratisée. Ce pessimisme
exemples de murs rideaux, une architecture de incite certains architectes expressionnistes à
verre et de métal appelée à un succès considé- opposer tout naturellement à la « maison de
rable dans le monde entier. Ce procédé va verre » la fascination de la grotte, de la caverne
assurer la durée à une architecture orthogonale et du labyrinthe. Hans Poelzig et Hans
qui, sans cette solution d’ouverture, apparaît Luckhardt ornent de stalactites et de stalag-
difficilement supportable. Cela révèle aussi mites leurs salles de concert. A l’anti-art du
chez Gropius la même sensibilité que chez Bauhaus, les expressionnistes répondent en
Wright au caractère oppressant de la « boîte ». imaginant leur architecture en sculpteurs. Par
Il faut faire ici une place au Bauhaus (1919- là même, ils anticipent sur la tendance née en
1932), même si du point de vue qui est le nôtre 1960 dans un même contexte et dite « architec-
ce groupe a surtout renforcé en architecture ture-sculpture ». La Casa Nova de Hermann
l’emploi des formes à angles droits. En Finsterlin, en 1919-1920, est une sorte de
revanche, son influence sur le design est posi- sculpture baroque qui préfigure les Demeures
14
d’Etienne Martin. La maison sans fin de
Frédérick Kiesler (1896-1966) est une violente La maison
sans f in
protestation contre la tyranie de l’angle droit.
Par ailleurs, Erich Mendelsohn avec sa tour
Einstein à Postdam (1921) et Fritz Hoegers
avec sa maison du Chili à Hambourg (1923)
de Kiesler
affirment le droit de l’architecture à être émo-
tionnelle, voire symbolique. La maison du
Chili prend la forme de la proue d’un navire et
la tour Einstein est une étonnante démonstra-
tion des possibilités du lyrisme moderne en
architecture » (Michel Ragon)
Le théosophe Rudolf Steiner (1861-1925)
prône la «réconciliation des arts ». Son spiri-
tualisme influence les expressionnistes. la première, une galerie d’art à New York, la
En 1924, en pleine période de ce qu’il World House Gallery, avec des murs courbes,
appelle « le cube prison, panacée universelle », des plans d’eau et des salles en continuité laby-
Kiesler conçoit deux maisons sphéroïdales et rinthique ; la seconde est le Sanctuaire des
développe le principe de sa « Maison sans fin »: manuscrits de la mer Morte à Jérusalem.
« C’est durant les années 24-25, dans le « Cette dernière est un étonnant palais souter-
Vienne des valses de Strauss et dans le Paris rain, surmonté d’un dôme qui ressemble à un
des beaux-arts, que je supprimai le séparatisme sein de femme jaillissant d’un bassin d’eau.»
dans la construction de la maison, c’est-à-dire (Ibid.)
la distinction entre le plancher, les murs et le A la veille de sa mort, il publie le livre de sa
plafond, et créai avec le plancher, les murs et le vie: Journal d’un architecte ou La recherche
plafond un continuum unique.» sans fin. « Jusqu’à présent, dit-il, l’architecture
En opposition avec Le Corbusier, il affir- était masculine. Maintenant commence une
me : « La maison n’est pas une machine, ni la architecture féminine, avec une continuité sans
machine une œuvre d’art. La maison est un fin, comme le corps féminin. »
organisme vivant et non pas seulement un Cette architecture féminine, des courbes,
agencement de matériaux morts : elle vit dans des spirales, de l’œuf, de la continuité a mar-
son ensemble et dans ses détails. La maison est qué à cette époque une timide réaction contre
un épiderme du corps humain. » l’angle droit et la boîte. (Ibid.)
En 1932, Kiesler s’installe aux Etats-Unis. Tous les architectes expressionnistes ont
A l’université de Columbia où il enseigne, il très peu construit. Hermann Obrist (1863-
« base tous ses plans architectoniques et plas- 1927) écrit : « Vive l’utopie ! C’est en fait la
tiques sur la structure du noyau cellulaire. seule chose qui nous reste. Vivons dans l’uto-
Qu’il s’agisse de peinture ou de sculpture, de pie, projetons des plans, des châteaux en
l’équipement technique ou de l’installation Espagne, faisons « semblant » et préparons la
intérieure, des éléments d’un bâtiment ou de nouvelle époque qui viendra dans trente ans. »
ceux d’une ville, tout était envisagé, non pas Le nazisme élimine aussi bien l’expression-
comme l’expression exclusive d’une seule nisme que le fonctionnalisme. La plupart de
fonction, mais comme un noyau de possibles, leurs créateurs s’exilent. A la place, s’installe,
que la coordination avec les autres éléments dans les pays fascistes et communistes, une
peut élargir. Parmi les notions neuves dévelop- architecture syncrétiste et pompeuse, qui copie
pées par Kiesler dans les années 25, on trouve les formes du passé.
encore la théorie de l’architecture mobile En France, Charles Edouard Jeanneret, dit
(« Nous voulons des demeures dont l’élasticité Le Corbusier (1887-1965) a tenu et tient enco-
soit égale à celles des fonctions vitales. ») ; de re une place considérable. L’importance du
l’architecture-sulpture («L’architecture ne doit créateur est incontestable. Il est impossible de
pas être comme la sculpture. Elle doit être résumer ici son activité et ses conceptions. On
sculpture. ») ; de l’abolition de la division entre peut dire qu’il incarne l’idéologie rationaliste,
ville et campagne.» (Ibid.) collectiviste et mécanicienne. Il faut faire
Kiesler construira très peu. Dans les der- cependant la distinction entre ses théories caté-
nières années de sa vie, il réalise deux œuvres : goriques et une pratique beaucoup plus nuan-
15
Projet
de la « maison sans fin »
de Frédérick Kiesler.
Maquette et plan.
F. Kiesler
Chapelle de Ronchamp
de Le Corbusier
(1955)
Freytag
cée. L’orthogonalité est quasi omniprésente
dans ses constructions, excepté à la fin de sa Les coques
des
vie, où la chapelle de Ronchamp révèle une
tendance expressionniste inattendue. L’épais-
seur des murs et l’ampleur de la toiture en
voile de béton de la chapelle n’ont rien de
ingénieurs
fonctionnaliste. C’est une pure (et remar-
quable) création de plasticien. Il n’aura pas le
temps de démontrer que courbes et fonctionna-
lisme ne sont pas inconciliables.
Au début, le béton armé imite la construc-
tion en pierre, puis la structure poteau-poutre
de l’architecture métallique. Très vite appa-
raissent les dalles qui couvrent de grandes sur- frages métalliques peuvent être réemployés,
faces, puis les dalles-champignons où les mais ne permettent pas le « sur-mesure »
colonnes porteuses se terminent par un cône comme les coffrages en bois. La découverte
qui fait corps avec la dalle et permet de suppri- des coffrages perdus, c’est-à-dire incorporés à
mer les poutres. la coques permet une très grande variété de
Enfin on arrive aux premières coques. On formes ; il s’agit ici de treillis métalliques atta-
passe comme l’explique P.A. Michelis : « de la chés au ferraillage et qui retiennent le micro-
notion de dalle portante à celle de surface por- béton lors de la projection.
tante, notion qui résulte en fait de la construc- La construction de coques en voile de béton
tion des cuves réalisées par Monier ». Nous de faible épaisseur est facilitée par l’invention
obtenons de cette façon un élément porteur tri- des pompes cement gun en Allemagne et aux
dimensionnel capable de couvrir des aires Etats-Unis. Le béton est transporté dans des
étendues avec une épaisseur minime : 5-8 cen- tuyaux par un flux d’air sous pression et proje-
timètres pour 40-50 mètres de portée, c’est-à- té avec un pistolet sur le ferraillage qu’il per-
dire le rapport d’épaisseur de la coquille met d’enrober. De nombreux types de pompes
d’œuf. existent maintenant : à voie sèche, à voie humi-
Le béton armé se prête à des structures dont de, à transport par air comprimé ou à propul-
la résistance est due pour une grande part à la sion par vis et autres procédés mécaniques.
forme. L’ossature poteaux, poutres et dalles est De 1910 à 1940, les plus importantes
un « véritable château de cartes ». Les coques constructions en béton de formes courbes
et les voûtes, au contraire, sont autostables. seront l’œuvre d’ingénieurs. Les industriels
Le béton précontraint est inventé par ont joué un rôle dans ce changement par la
Eugène Freyssinet en 1928. « La précontrainte recherche de démonstrations innovantes. Ces
est obtenue principalement par la tension de ingénieurs conçoivent, ainsi qu’ils le déclarent
câbles en acier et par leur assemblage avec le à la manière des artistes. Pier Luigi Nervi
béton durant l’état de tension. La tension se (1891-1979) estime que la science ne se sert
fait soit par l’ancrage de l’extrémité des câbles pas seulement de processus analytiques et de
au béton durci, soit par la mise en tension des calculs. L’intuition, dit-il, est la forme la plus
câbles avant la coulée du béton qui aboutit à un élevée de l’esprit. Dans son travail, il procède
assemblage du béton et de l’armature sur toute d’abord à l’invention de la forme, puis à la
la longueur grâce à leur adhérence.» (P.A. construction d’une maquette et enfin soumet ce
Michelis) modèle à des épreuves de calcul et de poids. Il
Le béton précontraint est particulièrement corrige ensuite la forme en fonction du résultat
résistant, ne se fissure pas et permet une des expériences.
meilleure étanchéité des coques. Il convient Eugène Freyssinet (1879-1962) affirme :
aux constructions importantes. « Il n’existe pour moi que deux sources d’in-
Matériau malléable, le béton se prête à formation : la perception directe et l’intuition,
toutes les formes. Mais le coût des coffrages en laquelle je vois l’expression et le résumé de
est important pour des formes courbes. P.A. toutes les expériences accumulées par la vie
Michelis estime qu’il peut atteindre 30 à 50 % dans le subconscient des êtres, depuis la pre-
de la construction. Les coffrages en bois ne mière cellule. Il faut, bien entendu, que l’intui-
sont généralement pas réutilisables. Les cof- tion soit contrôlée par le calcul. Mais quand
17
Petit palais des sports de Rome de Pier Luigi Nervi (1957)
En haut, la construction ; ci-dessus, détail de la coupole.
18
elle se trouve en contradiction avec le résultat
d’un calcul, mes collaborateurs assurent que, Freyssinet
Nervi
en fin de compte, c’est toujours le calcul qui a
tort.»
Eugène Freyssinet, polytechnicien, ingé-
nieur des Ponts et chaussées construit de 1916
Lafaille
à 1919, les hangars à dirigeables d’Orly
(détruits en 1944). Les voûtes sont immenses :
62,50 m de hauteur (à peu près la hauteur des
tours de Notre-Dame de Paris) sur 300 m de
longueur et 80 m de largeur (la nef de Notre-
Dame a 12 m). Elles sont « plissées » pour en
augmenter la rigidité. tecte n’était pas sanctionné par un diplôme par-
Constructeur de ponts particulièrement ticulier, il serait permis de dire que Nervi est
audacieux (pont à arc en béton armé de 182 m l’un des plus importants architectes du XXe
à Traneberg, en Suède, en 1932), Freyssinet siècle. Mais lui-même refuse ce titre, sans
construit des usines, des installations por- doute trop galvaudé, préférant celui de
tuaires, des entrepôts, des constructions exi- constructeur.» (Ibid.)
geant de vastes surfaces sans poteau. C’est un Le stade de Florence (1930-1932) est sa
ingénieur d’une importance comparable à première œuvre importante. Il construit d’im-
Eiffel. menses hangars pour l’aviation à Orvieto,
Autre ingénieur, constructeur de ponts par- Orbetello et Torre del Lago. Le Palais du tra-
ticulièrement novateur, le Suisse Robert vail de Turin (avec son fils Antonio) peut être
Maillart (1872-1940). Siegfried Giedon écrit : considéré comme l’une des grandes œuvres du
« Maillart élimina tous les éléments passifs. XXe siècle (1959-1961). Il construira des
Chaque partie d’un plancher ou d’un pont coques pour divers usages dans de nombreuses
devint un élément actif de la construction. Cela villes italiennes.
devint possible grâce à une méthode nouvelle. Bernard Lafaille (1900-1955) a consacré
Maillart fit de la dalle en béton armé un élé- ses études à l’hyperboloïde et aux paraboloïdes
ment structural de la construction. Tout ce qui hyperboliques. « Le rôle de l’analyse mathé-
a été créé depuis repose sur le même principe : matique, disait-il, dépasse le stade classique
la surface plane ou la dalle courbe sont armées d’application pratique où on le cantonnait dans
de façon à rendre superflues les poutres des le domaine de la résistance des matériaux
planchers et les arches massives des ponts. Les (contrôle des formes simples, poutres et
phénomènes qui entrent en jeu dans une dalle poteaux). Les mathématiques deviennent un
ainsi armée défient toute possibilité de calcul. » mode intellectuel de penser. Ce mode, à ce
Maillart résolvait donc certains problèmes degré, alimente l’imagination constructive non
par intuition, ce qui suscitait parfois la défian- plus seulement pour indiquer les limites maté-
ce. Beaucoup de ses projets de ponts resteront rielles (épaisseur, dimensions, portées), mais
à l’état de dessins. bien au même titre qu’une connaissance archi-
L’Espagnol, Eduardo Torroja (1900-1961) tecturale. »
est lui aussi ingénieur des ponts. Il refuse de Lafaille en France et Mathew Nowicki aux
s’asservir aux calculs et donne la priorité à Etats-Unis dessinent les premières esquisses
l’imaginaire. « Il lui arrive même de s’aban- de la forme dite « en selle de cheval».
donner aux formes gratuites de l’architecture- Les créateurs des pays nordiques, plus que
sculpture. Torroja anticipe sur l’imagerie orga- dans d’autres pays, utilisent des courbes. Ils
nique et végétale qui se répandra dans l’archi- tentent d’intégrer leur architecture à l’environ-
tecture d’avant-garde vers 1960.» nement, alors que les ingénieurs qui précèdent
«A la fin de sa vie, rouvrant la voie tracée conçoivent souvent des œuvres pour elles-
par son compatriote Gaudi , il s’attache à l’étu- mêmes. Le finlandais, Alvar Aalto (1898-
de des formes organiques asymétriques.» 1976) se rattache au courant de l’architecture
(Michel Ragon) organique. « Les lignes sinueuses qu’il donne à
Pier Luigi Nervi est à la fois ingénieur et ses plans rappellent les innombrables lacs de
entrepreneur. La majorité de ses œuvres a été Finlande. Tout comme Wright, Aalto recherche
construite sans architecte. « Si le titre d’archi- d’abord l’accord avec le site et il modèle ses
19
Marché couvert de Royan (1956) de Louis Simon et André Morisseau.
Etude technique de Bernard Lafaille reprise après sa mort par René Sarger.
Roger Viollet
Raleigh (USA) une des premières « selles de cheval » (1953), de Mathew Nowicki.
surfaces courbes sur le terrain.» Il est créateur
de nombreux meubles et objets usuels Aalto
Niemeyer
Il faut mentionner aussi le Danois Arne
Jacobsen (1902-1971). Il s’attire dès 1929 une
certaine hostilité avec la « Maison de l’avenir »
sur plan ciculaire, équipée d’un toit plat. Il
Candela
construit une maison ronde en 1957 à Odden.
Il sera le plus célèbre architecte des pays nor-
diques avec Aalto, mais toujours avec une
majorité d’œuvres orthogonales.
Un autre architecte emploie les courbes,
c’est le Brésilien, Oscar Niemeyer. Il est né à
Rio de Janeiro en 1907. Disciple de Le construction en coque d’une extrême minceur
Corbusier, il prendra ses distances avec ses apporte à Candela de nombreuses commandes
conceptions, notamment au sujet de l’angle (usines, entrepôts, halles, salles d’exposition,
droit. Il renoue avec les lignes courbes du restaurants), pour lesquelles il se lance dans
baroque brésilien. Il construit beaucoup des recherches structurales de plus en plus har-
notamment à Brasilia, la nouvelle capitale, où dies. En 1968, il collabore au Palais des Sports
il conçoit la plupart des bâtiments publics. de Mexico. Il s’impose à l’échelle internatio-
Il critique le fonctionnalisme devenu le nale par des édifices monumentaux, la Bourse
« style international ». Plus que la fonction, il de Mexico (1954) et surtout plusieurs églises
recherche la beauté plastique : «Je me rappelle influencées par les formes de Gaudí : Santa
comme beaucoup m’accusaient de formalisme, María Miraculosa à Mexico (1954), chapelles
de pénétrer dans les formes gratuites qu’ils de Cuernavaca et de Coyoacán (1959 ), église
craignaient tant. Je ne les ai jamais pris au José Obrera de Monterrey (1969).
sérieux. La forme libre et la courbe généreuse De 1971 à 1978, Candela est professeur
— tellement liées à notre architecture colonia- d’architecture à l’université de l’Illinois et il
le — m’attiraient irrésistiblement. J’ai toujours collabore à différents projets dans les pays du
travaillé dans cette direction ; ce sont les sur- Golfe : en particulier pour l’université de
faces recoupées de formes courbes et libres; Djedah en Arabie Saoudite en 1977 et pour
les toits voûtés, les surfaces inclinées, les pilo- l’université islamique de Ryadh en 1994. A
tis différents, cherchant à créer des surfaces partir de 1990, il travaille à Madrid comme
libres, quelquefois des arcs, pour éviter les ingénieur-conseil. Alliant le sens plastique de
colonnes ou les solutions suggérées par la l’architecte à la science de l’ingénieur et à la
conformation du terrain; éléments qui se sont connaissance des matériaux du constructeur,
intégrés dans le vocabulaire de l’architecture Candela apparaît comme un des spécialistes
brésilienne, tout en cherchant à la rendre plus les plus complets dans l’utilisation du béton
désinvolte, plus libre et variée en contraste armé et l’exploitation de sa souplesse fonction-
avec la rigueur rectiligne, géométrique, extrê- nelle et formelle. (Yves Bruand)
ment limitée, qui caractérisait le développe- Aux Etats-Unis, Mathew Nowicki (1910-
ment de l’architecture contemporaine.» 1950) met au point quelques mois avant sa
La courbe est pour lui une nécessité esthé- mort dans un accident d’avion, le projet d’une
tique. Il a conçu en France le siège du Parti halle de marché à Raleig (Caroline du Nord)
communiste à Paris, dont la coupole est bien dont la couverture en voile de béton est bapti-
connue. sée « selle de cheval » en raison de sa forme.
Felix Candela est né en 1910 à Madrid. Il Réalisée en 1953, elle suscite un intérêt extra-
émigre au Mexique en 1939 après avoir été ordinaire : elle apparaît comme une forme tout
interné dans un camp de réfugiés en France. à fait opposée à la « boîte ».
Héritier spirituel de l’ingénieur Torroja dont il Ce sont des coques couvrant de vastes
avait pu apprécier les audacieuses structures en espaces sans point d’appui que réalise Eero
voiles de béton. Il construit le Laboratoire Saarinen (1910-1961) pour la patinoire de
d’études du rayonnement cosmique à la cité l’Université de Yale (1958), puis pour les
universitaire de Mexico, avec une couverture extraordinaires aéroports de la TWA à New
en paraboloïde hyperbolique, première du York Kennedy (1961) et Dulles à Washington
genre dans le pays (1952). Le succès de cette (1963). Certains considèrent qu’il s’agit là de
21
Le Ricolais : tion industrialisée. Il a conçu à Lyon (1995),
pour l’EDF, un vaste local technique en voile
inventeur de
de béton, surnommé le « Galet » en raison de
sa forme.
Robert Le Ricolais (1894-1977), inventeur
de formes et de structures, n’était ni architecte,
structures
ni ingénieur, ni mathématicien. Albert Laprade
le surnomme cependant, le « Claude Bernard
de l’architecture », pour avoir introduit dans
cette discipline la méthode expérimentale.
N’obtenant pas en France la reconnaissance
qu’il avait à l’étranger, il émigre en 1951 aux
USA où il enseigne la « structure architectura-
créations néo-expressionnistes. Mais la forme le » à l’université de Pennsylvanie. Pour lui,
y est indissociable de la structure et c’est bien « l’architecture doit être un arrangement scien-
ce qui en fait l’exceptionnelle séduction. tifique d’espaces et de formes, soumis aux
Saarinen est aussi le créateur de meubles fonctions et aux sites. »
célèbres, notamment les tables et chaises à « Nous croyons, écrit-il encore, que l’évo-
« pied tulipe », éditées par Knoll. lution architecturale ne pourra se faire qu’en se
A rapprocher de Saarinem et Gaudi, l’espa- libérant de considérations esthétiques révo-
gnol Santiago Calatrava (1951-) constructeur lues, en retrouvant avec humilité le respect des
de ponts et de gares célèbres. lois de la raison. Au lieu d’une attitude pure-
Bruce Goff (1904-1982) disciple de Wright ment analytique, une vision synthétique des
et de Mendelsohn recherche la « poétique des structures est la prochaine étape à franchir, et,
formes » : ellipses, obliques… La Bavinger il est hors de doute que l’étude des formes
House est en forme de spirale, la Maison Ford naturelles gouvernées aussi par le nombre nous
à Aurora, en forme de parapluie. aidera à franchir un grand pas. Depuis la toile
José Luis Sert (1902-1983), travaille avec d’araignée jusqu’aux structures mystérieuses
Le Corbusier. Parmi ses meilleures œuvres : des radiolaires, nous sommes confrontés avec
l’ambassade des USA à Bagdad (1955-1963) les problèmes de la forme, notion difficile et
et la Fondation Maeght en France, à Saint-Paul abstraite, car la forme est souvent confondue
de Vence (1962-1964) avec une toiture carac- avec l’aspect visuel d’objets statiques. »
téristique, en partie cylindrique. Il montre, par exemple, la concordance des
Le Danois, Jorn Utzon (1918-) construit en mathématiques avec les formes naturelles au
Australie l’opéra de Sydney (1957) dont les moyen de travaux pratiques sur les bulles de
coques ont fait la célébrité. Son œuvre est en savon. Son travail influencera de nombreux
partie dénaturée, le chantier ayant été achevé architectes.
par deux autres architectes, à la suite d’un David Georges Emmerich note que « le
changement politique. fonctionnalisme, bien qu’il fût en fait une théo-
A Paris, l’une des coques les plus connues rie morphologique, avait pour caractère essen-
est celle du rond-point de la Défense, le tiel la négation de la forme en tant que substan-
C.N.I.T. (1958). L’aménagement orthogonal ce architecturale, et, jetait justement sur toute
du vaste hall masque l’intérieur de la structure libre invention formelle l’anathème de forma-
en voile de béton prétendu, œuvre des archi- lisme ».
tectes Camelot, de Mailly et Zehrfuss, de l’in- Richard Buckminster Fuller (1895-1983)
génieur Esquillan et de Jean Prouvé pour la est surtout connu pour être l’un des pères des
façade. dômes géodésiques. La structure sphérique de
A Royan, l’église avec un voile prétendu 76 mètres de diamètre qui sert de pavillon des
est l’œuvre de Guillaume Gillet, Lafaille et États-Unis à l’exposition de Montréal en 1967
Sarger. Le marché couvert en coquille est le rend mondialement célèbre.
l’œuvre principalement de René Sarger. Les dômes géodésiques sont des structures
Renzo Piano (1937-) associé à Richard constituées de réseaux polyédriques, recou-
Rogers pour le Centre Pompidou à Paris verts d’une enveloppe, permettant d’abriter
(1971-1977) a effectué des recherches sur les des surfaces considérables sans support. Les
structures spatiales, les coques et la construc- éléments peuvent être produits en série.
22
Terminal TWA à l’aéroport de New York (1956-1962) de Eero Saarinem.
Architecturologie et urbanologie
On sait que la crise de l’architecture est liée aux évolutions scientifiques,
technologiques et industrielles, génératrices de déséquilibres et s’accompagne
d’une déstabilisation sociale, économique, écologique et philosophique.
L’architecture n’est évidemment pas une science. Mais il y a toute une
gamme de connaissances qui relèvent d’une démarche scientifique et qui pour-
raient davantage lui servir de base de travail. Dans une société où l’instabilité
est le phénomène dominant, il devient nécessaire d’accroître la mise en ordre
de ces connaissances afin de faciliter l’ouvrage du praticien qu’est l’architecte.
On peut utiliser le mot architecturologie pour définir ce champ de connais-
sances.
Il n’est pas possible de traiter de l’habitat sans aborder l’urbanisme.(1) Dans
ce domaine aussi, il y a place pour une démarche scientifique : pourquoi ne pas
la nommer urbanologie ?
Les mots qui existent n’ont pas toujours le sens adéquat. Mais on peut par-
fois garder le contenant quand on travaille sur le contenu. Nous souhaitons
contribuer aux bases du consensus nécessaire.
_______
1 - Nous ne disposons pas de la place suffisante dans ce bulletin.
Rêves Les constructions massives de logements
pour compenser les destructions de la guerre
et
39-40 et pour faire face aux nécessités démo-
graphiques du baby boom entraînent, particu-
lièrement en France, des réactions perceptibles
dès les années 1950. Les problèmes d’urbanis-
réalité
me posés par les « grands ensembles », l’empi-
lement de « boîtes » répétitives dans des
immeubles, sans prise en compte suffisante des
nécessités d’ambiance et d’usages — en dépit
de l’amélioration du confort ménager — ne
peuvent que stimuler les imaginations pour
Buckminster Fuller construit à Baton Rouge, chercher de nouvelles solutions. Une efferves-
en Louisiane, un dôme de 117 m de diamètre cence extraordinaire agite alors la création
(1958). Il envisage des dômes de plusieurs architecturale. Michel Ragon par ses livres et
kilomètres. L’expérience Eden en Angleterre les articles publiés dans la revue Arts-spec-
utilise ce type de structures. tacles joue un rôle important de catalyseur.
Il s’intéresse aussi à l’industrialisation des On n’a peut-être jamais autant fait
habitations. Il conçoit la «Maison Dymaxion » d’« architecture de papier ». Dans beaucoup de
en 1927, qui ne sera pas produite en série. Il cas, ce seront des rêves sans lendemain
conçoit aussi une maison en plastique la concret, mais pas nécessairement sans avenir.
« Fuller House » (1955). Le décalage avec la réalité sociologique, éco-
L’une des premières maisons-coques entiè- nomique et le manque de réalisme des tech-
rement en plastique, depuis la structure jus- niques d’exécution expliquent en partie cet
qu’aux meubles, la « Maison Escargot », est échec. L’arrivée du premier choc pétrolier en
l’œuvre de Ionel Schein, Yves Magnant et 1974 donne le coup de grâce aux rêves et
Coulon. Elle est présentée à l’exposition des maintient pendant plusieurs années l’architec-
Arts ménagers en 1956 à Paris. ture réelle dans une banalité sans grande enver-
Des cellules autonomes en résine et fibres gure.
de verre sont expérimentées par Pascal Le FRAC (Fond Régional d’Art Contem-
Haüsermann, Claude Costy, Chanéac et Antti porain) de la région Centre rassemble à
Lovag. Chacun conçoit ses modules qui sont Orléans une importante collection de plans,
combinables avec ceux des autres, afin de créer dessins, maquettes et textes sur la création
la diversité (Habitat évolutif). La fabrication architecturale de cette brève période de
en est abandonnée faute de demandes. Plus de recherches intenses. Le Centre Pompidou, à
70 prototypes de maisons en plastique sont Paris, réunit aussi des documents.
recensés de 1956 à 1971 (Techniques et Mais ce qui nous intéresse surtout ici ce
Architecture, 1971). sont les œuvres abouties, c’est-à-dire qui sont
L’une des habitations en plastique, complè- réalisées : un projet d’habitation n’est évidem-
tement achevée, est beaucoup plus récente, ment pas encore une habitation. La confronta-
c’est celle des designers Pierre Colleu et tion avec la matière est une étape difficile et
Martine Jovine, dans la Drôme (1990). décisive. La construction de maisons-bulles,
Parallèlement, se développent des struc- par exemple, est étroitement dépendante des
tures gonflables : abris de radars, de piscine, de matériaux, de la technique utilisée et du savoir-
courts de tennis, salles de spectacles et même faire. Il n’est pas réaliste de concevoir des
habitations. Le spécialiste le plus connu de ces formes inhabituelles sans savoir comment les
systèmes pneumatiques en France est Hans réaliser. Enfin, l’existence d’une solution tech-
Walter Muller (1935-). nique n’est pas une garantie de viabilité pour
Des textiles enduits de plastique, tendus sur de nouvelles formes, encore faut-il qu’elles
structures métalliques, sont l’œuvre notam- soient économiquement acceptables.
ment de Frei Otto (1925-). Il est le construc- Finalement, c’est la réalité concrète qui est
teur du pavillon allemand de l’Exposition uni- féconde. Les projets font rêver, mais n’em-
verselle de Montréal de 1967, ainsi que des brayent pas toujours sur le réel. L’œuvre bâtie
principales installations des jeux Olympiques confirme la faisabilité, génère de nouvelles
de Munich de 1972. perceptions, et, en cas de réussite, suscite
24
Maison Unal en Ardèche
25
Premières Trois architectes ont joué un rôle important
dans l’invention et la diffusion de l’idée des
maisons-
habitations en coque : le Suisse, Pascal
Haüsermann, le Français, Chanéac et
l’Anglais, Arthur Quarmby. (Michel Ragon)
L’une des premières habitations en voile de
bulles
béton, une maison de week-end, est réalisée en
1959 par Pascal Haüsermann (1936-), alors
qu’il est encore étudiant en architecture. La
mise en forme de la coque est faite directement
avec le ferraillage sur lequel est attaché un
grillage qui sert de coffrage perdu et retient la
projection de micro-béton. L’absence de cof-
l’émulation. Heureusement, les années 1960- frage en bois réduit considérablement la main-
70 auront permis aussi d’expérimenter de d’œuvre d’exécution et permet toutes les liber-
nombreux matériaux et de nouvelles formes. tés de formes. Cette innovation va permettre de
La confrontation avec la matière se poursuit construire en France, durant les trente années
ensuite avec des réussites bien réelles. suivantes, une centaine de maisons-bulles.
Jusqu’en 1959, il n’y a aucune habitation Durant plus d’une dizaine d’années, le couple
en voile de béton. Les coques des ingénieurs d’architectes, Pascal Haüsermann et Claude
influencent les premiers concepteurs de mai- Costy, conçoivent des maisons-bulles. Un per-
sons-bulles. La grande nouveautéde celles-ci fectionnement important sera apporté par Antti
par rapport aux coupoles, aux voûtes et aux Lovag avec la mise au point d’un système de
arcades en pierre, c’est la continuité des parois gabarits pour la mise en forme du ferraillage.
entre murs et toiture, ainsi que la liberté des Dans les premières constructions sans
formes et du plan qui échappent aux tracés gabarit, l’utilisation de fers à béton trop gros
orthogonaux et à la symétrie. Les ouvertures (jusqu’à 20 mm), disposés de manière irrégu-
prennent toutes les directions. lière et enveloppés d’un bétonnage d’épaisseur
Deux tendances vont très vite apparaître. variable, entraînent des fissurations et des dif-
• Il y a ceux qui veulent réaliser une œuvre ficultés d’étanchéité. Plusieurs habitations sont
d’art, analogue à l’expression personnelle du « bricolées », en raison de l’absence d’expé-
sculpteur, Michel Ragon nomme cette pratique rience de l’autoconstructeur, souvent le pro-
« architecture-sculpture »; les nécessités de priétaire de la maison. Les formes ne sont pas
l’usage se combinent avec une recherche vraiment maitrisées. Les chantiers restent par-
esthétique. La difficulté est de poursuivre deux fois inachevés.
objectifs en même temps : il y a le risque de Il faut accorder une place particulière à Joël
n’atteindre ni l’un ni l’autre. Unal, le spécialiste du ferraillage de voiles de
• Enfin, il y a ceux pour qui la forme décou- béton depuis 1970. Autoconstructeur de sa
le de la fonction. C’est le fonctionnalisme maison-bulle (patrimoine architectural du XXe
moderne, mais débarrassé de l’utilitarisme siècle) dans l’Ardèche, sur un projet de Claude
orthogonal apparu au début du XXe siècle. La Haüsermann-Costy, il publie en 1981 un livre,
diversité des usages génère la diversité des « Pratique du voile de béton en autoconstruc-
formes, comme chez les êtres vivants, les tion », qui reste le seul ouvrage de ce genre. Il
organes sont le résultat de l’adaptation à la travaille sur plus de 100 chantiers (15 000 m2)
fonction. L’expression formelle ou artistique, de ferraillage courbe, en France et à l’étranger,
dans ce cas, est le résultat de la variété néces- pour Christian de Portzamparc, Renzo Piano,
saire : elle est obtenue par surcroît, sans en Antti Lovag, Thierry Valfort, Ipoustéguy,
avoir été le but. Mais elle est souvent bien pré- Copin-Parent-Gasnier-Gossart, M.Kluj, etc…
sente, au point que certains se méprennent sur Parmi ces constructions — certaines de gran-
le but poursuivi en qualifiant ces œuvres de de surface, le Galet EDF de Lyon, 2 500 m2 —
sculptures. il y a au moins une dizaine de maisons-bulles.
Le partage des créateurs de maisons-bulles Jean-Louis Rey, dit Chanéac (1931-1996)
entre ces deux tendances n’est pas toujours installe en 1970 une « bulle pirate » en stratifié
constant, certains relèvent un moment de polyester, sur une façade d’immeuble à
l’une, puis ensuite de l’autre. Genève (Architecture insurrectionnelle). Il
26
Villa Bernard dans les Alpes-Maritimes (1970-1980) d’Antti Lovag.
27
Lovag : Il construit ses premières coques en voile
de béton en 1963, intégrées dans une maison
des œuvres
traditionnelle, à Théoule-sur-Mer. En 1968, il
réalise une première maison-bulles qu’il quali-
fie de « maquette », sur la propriété Gaudet, à
Tourrettes-sur-Loup.
majeures
Il construit ensuite trois grandes villas en
voile de béton (plus de mille mètres carrés cha-
cune) par « simulation avec gabarits », c’est-à-
dire adaptées directement au site : l’une à Port-
la-Galère (1970-1980) et la deuxième à
l’Esquillon (1980-1992), cette dernière avec
l’assistance de Philippe Mousset ; toutes deux
sont sur la commune de Théoule-sur-Mer. La
conçoit des habitations en coque durant troisième est à Tourrettes-sur-Loup (en cours).
quelques années et étudie leur industrialisa- Une quatrième, conçue sur le site et sur
tion. Il construit son habitation personnelle en plans, est réalisée à Fontaines-sur-Saône, dont
voile de béton (1975) près d’Aix-les-Bains. Il nous avons conduit le chantier. Cette dernière
poursuit ensuite une carrière plus traditionnel- villa (1991) est aussi le siège de l’association
le. Homme et habitat qui regroupe des construc-
Arthur Quarmby (1934-) étudie notamment teurs et des amateurs d’habitations en coque et
des coques en plastique industrialisables et des publie le bulletin Habitat.
structures gonflables. Antti Lovag a réalisé plusieurs autres mai-
Parmi les créateurs de l’ architecture-sculp- sons-bulles, certaines à l’occasion de stages
ture, il faut mentionner André Bloc, Jacques d’initiation au voile de béton.
Couëlle, Pierre Szekely, Daniel Grataloup, La villa de Tourrettes-sur-Loup est inscrite
Peter Vetch. à l’Inventaire supplémentaire des monuments
historiques.
André Bloc (1896-1966) fonde en 1930 la Il y a bien sûr d’autres concepteurs, et,
revue Architecture d’aujourd’hui, qui devient parmi les maisons-bulles autoconstruites, il
Art aujourd’hui, puis Aujourd’hui. Il tente faut mentionner celles d’Antoine Beninca,
d’associer tous les arts à l’architecture. Il près de Roanne, de Daniel Bord, près de
construit en 1962, dans son jardin de Meudon, Limoux, de Claude Butscher (Cyril Jean et
deux «sculptures-habitacles » en maçonnerie. Laurence Rigail) à Visan. Les architectes de
Jacques Couëlle (1902-1996) créateur cette dernière villa sont Christian Chambon et
d’œuvres multiformes, élu à l’Académie des Jean-Noël Touche.
Beaux-Arts, se considère d’abord comme un L’habitation construite pour Martin Gray,
artiste. Ses maisons de Castellaras (1965) évo- près de Cannes (1989), est de Thierry Valfort.
quent des grottes ou des animaux fantas- La démarche qui conduit au choix de
tiques (1). construire ou d’acquérir une maison-bulle
Mais le créateur qui a le plus contribué au s’inspire d’une intuition : il n’est pas possible
développement des maisons-bulles est incon- de vivre agréablement et commodément dans
testablement Antti Lovag (1920-). Depuis une des cubes et des parallélépipèdes rectangles.
quarantaine d’années, il se consacre totalement Selon les tendances personnelles de chacun,
à leur conception, à leur réalisation et à la for- c’est une intuition fondée sur l’esthétique (du
mation aux techniques de construction. grec, aisthanesthai, sentir), ou bien, c’est la
Collaborateur de Jacques Couëlle pendant prise de conscience rationnelle que notre corps
quelques années, il conçoit des formes très dif- et nos mouvements correspondent à des
férentes et beaucoup plus fonctionnelles. Il ne courbes . Autrement dit, une bonne utilisation
se considère ni artiste ni architecte, il se dit de l’espace exige des volumes courbes.
« habitologue ». C’est un créateur de maisons- Le raisonnement selon lequel nous fonc-
bulles d’importance majeure. tionnerions sur un mode orthogonal ne résiste
pas à une simple observation de nos caractéris-
tiques morphologiques et sensorielles. Notre
______
28
est le résultat d’une accoutumance depuis l’en- trie par son effet de masse qui va transformer à
fance. C’est aussi le résultat de la transcription la fois les mentalités et notre cadre de vie. Les
du réel en deux dimensions sur le papier et architectes devront apprendre à utiliser ces
tous les autres supports que nous utilisons pour nouveaux moyens pour une adaptation plus
le dessin et les images reproduisant la réalité. fine aux nécessités individuelles et collectives.
Nous avons pris conscience des avantages géo- La création personnelle devrait plus facilement
métriques et méthodologiques de l’orthogona- s’exprimer en dehors de la grande série. C’est
lité. Ils font partie des découvertes de notre ce qu’a apporté l’ordinateur dans les domaines
cerveau et il n’est pas question de les nier. En de l’imprimerie-bureautique et du design.
revanche, la création d’habitations systémati- C’est ce qu’il pourrait apporter à l’architecture
quement orthogonales, qui en a été la consé- et aux entreprises du bâtiment.
quence, est une extension abusive. Beaucoup Christian Roux
l’estiment contraire à notre bien-être.
Construire des habitations en courbes ne
correspond pas, à notre époque, à un formalis-
me plus ou moins baroque. C’est maintenant
Bibliographie
une décision fondée sur la perception et le rai-
sonnement, provenant de l’expérimentation de
• Jean-Pierre Adam, La construction romaine,
en deux dimensions à la planche à dessin, sur • Frédérick Kiesler, Journal d’un architecte ou
L’architecture du XXe siècle (Taschen).
davantage de l’orthogonalité.
• Joël Unal, Pratique du voile de béton en
29
Libres propos
d’Antti Lovag
Un appel inattendu par téléphone a susci- formes quand on ne sait pas quel sera le
té la première habitation en coque sur la Côte résultat. Cela permet aussi de tester les maté-
d’Azur, à Tourrettes-sur-Loup. riaux. Nous avons ensuite construit pour
J’étais absent. Le collaborateur qui a pris Robert Antoine Gaudet une grande habita-
le message m’a dit : « Quelqu’un t’a appelé. tion qui n’est pas terminée. Il est âgé, il veut
Il voudrait réaliser votre œuvre commune ». maintenant la céder.
J’ai pensé que c’était une blague. Nouvel La question que l’on me pose souvent,
appel à 21 heures. J’ai dit à celui qui avait c’est : « Pourquoi des formes courbes ? »
appelé précédemment : Il y a bien sûr plusieurs explications.
— Tu te fouts de ma gueule ! C’est d’abord pour le plaisir de ces
— Ah, non ! Pas du tout, Monsieur. formes, pour susciter d’autres sentiments.
C’était Robert Antoine Gaudet. Financier Les formes habituelles des maisons ne sont
très sollicité, il ne comprenait pas : il deman- pas satisfaisantes. Une parois plane reçoit
dait quelque chose, on ne le prenait pas au intégralement la lumière. Avec les angles,
sérieux. On s’est rencontré à 22 heures, le cela crée une telle agressivité que, pour moi,
même jour, et, à minuit, on était copains pour c’est insupportable.
toujours. Quand on entre dans une maison vide à
Quelques jours auparavant, il avait vu angles droits, à quoi pense-t-on ? Que va-t-
exposée une maquette d’habitation de on mettre dedans ? Il faut coller des papiers
formes courbes, qui l’avait beaucoup intéres- peints. Il faut accrocher des rideaux. Il faut
sé. mettre une armoire et d’autres meubles.
Je lui ai demandé s’il était modeste. Il N’importe quoi pour « tuer » ces parois
m’a répondu : « Je ne suis pas modeste. Tous planes. Je ne comprends pas, par exemple,
mes amis ont des châteaux des XVe, XVIe ou que l’on utilise ces formes dans un hôpital où
XVIIe siècle. Si je fais un château contempo- l’on soigne les gens…
rain, je fais mieux ». J’ai besoin des ondulations. Les formes
Pour qu’une chose s’impose dans le courbes laissent courir la lumière en un
public, il faut qu’elle fasse envie. Il est dégradé qui exprime la douceur et le confort.
nécessaire de faire des constructions presti- Regardez la nature, c’est quelque chose
gieuses. Construire pour quelqu’un de riche d’extraordinaire, tout bouge, les formes à
va susciter le désir de faire comme lui. C’est angles droit n’y existent nulle part.
aussi la condition nécessaire pour faire des Une autre explication découle de la pré-
essais, sans ruiner ceux qui n’en ont pas les cédente : ces formes correspondent mieux à
moyens. l’usage. Notre corps est constitué de
Quelques mois plus tard, nous construi- courbes. Nos gestes et nos déplacements tra-
sions, sur un vaste terrain, à Tourrettes, une cent des courbes. Quand on marche, au
maquette à l’échelle 3/4 d’une petite habita- niveau des pieds, on a besoin de peu d’espa-
tion en courbes. C’était une grande maquet- ce au sol. C’est à hauteur des bras qu’on a
te, car il faut expérimenter les espaces et les besoin de plus d’espace. Moins au dessus
30
des épaules. L’usage détermine la forme soleil, selon les saisons, pour éviter la cha-
pour de nombreux ustensiles : assiettes, bols, leur excessive.
verres, bouteilles, tonneaux, etc… Pourquoi L’habitation est l’enveloppe de nos
pas pour nos habitations ? besoins. Elle doit être conçue pour vivre à
L’esthétique, je ne sais pas ce que c’est. l’intérieur. L’extérieur peut n'être que le
Ce qui m’intéresse, c’est l’homme. résultat des choix internes.
Comment il vit, de quoi il a besoin pour Dans ces constructions, la technique
habiter, pour travailler, pour être heureux. d’exécution est évidemment déterminante.
On ne connait qu’en partie l’être humain. Pour moi, la technique stimule l’imagina-
Mais je sais que celui d’aujourd’hui n’est tion. L’évolution industrielle a créé l’acier, le
déjà plus celui d’hier. Ce que je cherche, verre, le béton, mais on persiste à les utiliser
c’est comment l’homme actuel peut et en copiant la pierre et le bois. Quelquefois
devrait habiter aujourd’hui. Pas l’homme en on les utilise pour des formes plus libres et
général qui n’existe pas, mais les individus. défiant la pesanteur, mais c’est pour des
Chacun doit faire sa maison. constructions exceptionnelles et rarement
Je ne me considère pas comme architecte, pour des habitations.
je veux être habitologue. Je me demande pourquoi on continue,
Cela exige l’analyse de ce qui constitue la avec les coffrages, à faire presque toujours
vie quotidienne dans toute sa complexité. des murs plats en béton, alors que ce maté-
Prenons l’exemple de ce qui se passe au riau est malléable. Les formes courbes don-
moment du coucher. Avant d’entrer dans la nent pourtant plus de résistance aux maté-
chambre, on se déshabille et on procède à sa riaux. Elles permettent de diminuer le poids.
toilette. Au réveil, c’est le processus inverse. Sur le marché, on trouve surtout des pan-
Cela conduit à concevoir un enchaînement neaux plats de bois, de plâtre, de métal, de
des espaces qui correspondent à ces nécessi- verre et de matériaux synthétiques, alors que
tés : en venant du séjour, on passera au ves- les techniques actuelles permettent toutes les
tiaire, puis à la salle de bain et ensuite à la formes. La conception en 3D sur ordinateur
chambre. Le respect de cet ordre permet et l’exécution des formes par de nouvelles
aussi à celui qui se lève de très peu déranger machines-outils donnent maintenant toutes
celui qui reste couché ; il n’a pas besoin, une les libertés nécessaires. Des robots ana-
fois sorti du lit, de rentrer dans la chambre logues à ceux de l’industrie automobile peu-
pour prendre des vêtements ou de la traver- vent construire des habitations nouvelles.
ser après avoir fait sa toilette. Quand je regarde en arrière le chemin
En ce qui concerne l’espace de séjour, un parcouru durant plus de trente ans de
salon-salle à manger peut être installé dans construction de coques et que je considère le
une coque qui s’ouvre sur une terrasse. Cela présent, je mesure combien peu de gens
permet les repas et la détente, dedans ou bénéficient de ces habitations. Mais le passé
dehors, sans transport de meubles ou de cou- ne m’intéresse pas. Il faut avoir le goût de
verts. C’est l’ensemble table-sièges et l’aventure. C’est le présent et l’avenir qui
convives qui se déplace en même temps. Des comptent. Pour progresser, les investisseurs
coques et des meubles articulés offrent une sont nécessaires, car il faut créer des labora-
plus grande diversité d’usages. toires de recherche afin d’améliorer la
Il faut des ouvertures rondes ou ovales, conception et les techniques de ces construc-
car découper des rectangles dans une sphère tions. Il faut surtout que toujours plus de
ou des éléments sphériques, c’est complète- gens en fassent l’expérience. Car c’est en y
ment illogique. Les ouvertures skydome vivant que l’on peut en ressentir le confort et
donnent beaucoup plus de lumière et permet- l’agrément.
tent de ventiler efficacement. Une fenêtre
ovale correspond au champ de vision de nos Propos d’Antti Lovag
deux yeux. Toutes les ouvertures sont soi-
gneusement orientées et cadrées par simula-
recueillis pour le magazine américain
31
Encadrement de portes
et de fenêtres courbes
Diverses solutions existent pour réaliser sé par l’absence de peinture et par conséquent
l’encadrement des portes et des fenêtres d’entretien. Voici les fournitures en inox de
courbes des maisons-bulles. Nous présentons base (dimensions en mm) :
ici les procédés utilisés dans la maison de • cornières 30 x 30 x 3 ;
Fontaines-sur-Saône. La plupart ont été mis au • U 30 x 50 x 30 x 3 ;
point par Antti Lovag. • plat 40 x 5 ;
Il est nécessaire d’aborder la fabrication des • plat 50 x 6 (raidisseurs de portes en poly-
cadres d’ouverture puisqu’il s’agit de produits ester) ;
qui n’existent pas sur le marché du bâtiment. • tubes inox non soudés finis à froid pour
Contrairement à l’impression que l’on peut réaliser les charnières de fenêtres :
éprouver de prime abord, les solutions sont Ø extérieur 21,3 x 2,6 (servant d’axe) ;
assez faciles à réaliser et parfaitement effi- Ø extérieur 26,9 x 2,6 .
caces. Il est possible de les faire exécuter par
une entreprise de cintrage-roulage. Le scellement des dormants dans le voile de
Ces encadrements peuvent être en acier béton se fait avec du fil de fer de 4 mm soudé
ordinaire pour les portes à l’intérieur de l’habi- tous les 30 cm au cadre et entouré au ferrailla-
tation. Pour les portes et les fenêtres exté- ge des coques. La pose des cadres exige une
rieures, il est préférable d’utiliser de l’acier parfaite planéité. Il peut être nécessaire d’utili-
inox : le prix de matière plus élevé est compen- ser un chassis raidisseur pendant la pose.
Porte entrouverte en résine colorée, armée de Fenêtre ouvrante avec et sans skydome.
fibres, avec serrure et raidisseurs de part et Cadres plus grands que l’ouverture dans la
d’autre du panneau. Le cadre maçonnerie pour ne pas être visibles de l’inté-
en cornière est bordé d’un joint souple. rieur. Système d’ouverture manuel ou électrique.
32
Schémas d’exécution des cadres en acier
Homme et habitat
33
Mosaïque…
Du 5 au 10 août, le stage avait lieu sur le
Les publications chantier de l’habitation d’Istvan Racz, à Vence
(Alpes-Maritimes). Les participants venus de
Chaque année, des émissions de télévision diverses régions de France et de Suisse ont pu
et des magazines présentent des maisons- découvrir la conception et le ferraillage d’une
bulles. Nous ne les mentionnons pas régulière- habitation en voile de béton.
ment, car leur exposé n’est pas toujours perti- Enfin, à l’automne, c’est à la villa Arson,
nent. Une certaine accélération s’est produite Ecole des beaux-arts de Nice, qu’a eu lieu une
ces dernier mois. présentation des maisons-bulles.
• Le livre d’Eric Tourneret et d’Olivier
Darmon, Du côté de chez vous, des maisons Internet
pleines d’idées, (Editions Hoëbeke), est consa-
cré à une quarantaine d’habitations parmi les- Liste des sites Internet qui concernent les
quelles la maison-bulles de Fontaines-sur- constructions de coques :
Saône. www.habiter-selon-lovag.com - Site de
• Des photos dans l’hebdomadaire VSD, Pierre Roche, sur Antti Lovag, avec illustra-
n°1326, du 23 au 29 janvier 2003 ; des photos tions et textes.
et un texte documenté dans Marie-Claire www.memoria.mc - Nombreuses photos
Maison, n°379, de février-mars 2003. sur la villa Bernard à Port-la-Galère, conçue
• Dans la revue américaine Nest, n°20, par A. Lovag.
publiée à New York, en février 2003, des pho- http://perso.wanadoo.fr/jloup.drouet/habi-
tos de la villa de Tourrettes-sur-Loup, par tat.html - Guide remarquable sur l’habitat tro-
Andreas Pauly, en anglais, un texte de Robert glodytique. Informations sur les maisons-
Harbison, professeur à l’Ecole d’architecture bulles.
du nord de Londres et une transcription des www.palaisbulles.com/4architecture.htm -
propos d’Antti Lovag (dont nous publions le Présentation du Palais-Bulles de Pierre Cardin,
texte en français dans les pages précédentes). conçu par Antti Lovag.
www.odorama5.com puis cliquez sur
Stages de découverte "Vision of home"- Site de Cyril Jean et
Laurence Rigail propriétaires d’une villa en
des habitations en coque voile de béton.
www.frac-centre.asso.fr - Site du FRAC
Durant l’année 2002, une série de stages a Centre qui possède une importante collection
a eu lieu. Fin avril, début mai, Antti Lovag de documents et de maquettes d’architecture.
s’est adressé à des étudiants de l’Ecole d’archi- www.multimania.com/floreportages - Tenu
tecture de Clermont-Ferrand, à l’invitation de par une journaliste indépendante des Alpes-
Pierre Yves Brégeaut. Certains d’entre eux ont Maritimes qui a effectué un reportage sur A.
pu expérimenter la simulation de formes sur Lovag.
gabarits et la technique particulière du fer- www.ferrocement.com - Site américain
raillage. ouvert aux créateurs de coques de tous pays.
Du 15 au 19 juillet, c’est à l’Espace de l’art Plusieurs langues.
concret, à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) www.ferrocement.net - Site américain de
qu’un « workshop » a présenté une autre simu- Paul Sarnstrom, lié à des universités et à la
lation de formes, celle du tricot tendu sur gaba- recherche en génie civil.(en anglais)
rits. Ce procédé permet de réaliser très rapide- www.ferrocement.org - De l’International
ment une enveloppe qui révèle des formes tout Ferrocement Society and the International
à fait caractéristiques, certaines du type « selle Ferrocement Information Center, basée à
de cheval ». Deux habitations seulement de ce Bangkok à l’Asian Institute of Technology.
genre existent actuellement, une à Théoule- www.vetsch.ch, puis cliquez sur
sur-Mer conçue par Antti Lovag et l’autre en "Earthhouse.info"- de Peter Vetsch, construc-
Belgique, de Philippe Mousset. teur de villas en voile de béton.
34
Habitat
SOMMAIRE DES PRECEDENTS
N°6 N°14
Antti Lovag : l'industrie doit produire des éléments courbes Jalons pour une nouvelle architecture - Architecture textile
- Projection de micro-béton sur des plaques de polyurétha- - L'enseignement de l'architecture en Europe : le pire et le
ne - L'architecture sculpture à Blois - De Tourrettes-sur- meilleur - Des bulles au collège de l'Estérel à Saint-Raphaël
Loup à Fontaines-sur-Saône - La baleine de la citadelle : - Constructions thérapeutiques - Pierre Cardin achète la
chronique d'une autoconstruction collective - Le voile s'ex- villa de L'Esquillon.
pose à Lyon. N°15
N°7 Des coques qui respirent - Technique d'une construction en
Protéosolis : un prototype éolien solaire - Maquettes de ferro-ciment : la maison d'Antonio Beninca - Au bout de
tissu tendu présentées à Blois et Vénissieux - Un an de l'aventure, l'avenir nous appartient - Au pays des sons -
«Béton vole» - Nouvelles des chantiers - Cinquante ans Architecture et acoustique - Histoire du voile de béton.
d'architecture sculpture, quel habitat demain : un numéro N°16
spécial d'Habitat. Les meubles d'Antti Lovag - Le mythe imaginé de la sphère
N°8 - Enseignement de l'architecture: création d'un pôle pra-
La maison-écailles, d'Antti Lovag ; consruction au C.E.T.E. tique - Rencontre entre constructeurs de maisons en voile
d'Aix-en-Provence d'une coque en mortier armé de fibre de de béton.
verre et en polystyrène - La maison Sanson à Orléans, de N°17
Jean-Luc Johannet - Pour une nouvelle architecture, par Bulles en modules : Antti Lovag propose des coffrages pour
Daniel Grataloup - Deux avant-projets de Jean-Michel construire des voiles autoportants - Création d’un centre de
Ducancelle - En bref. recherche sur l’habitat- Présentation du Centre de
N°9 recherche et d’expérimentation sur l’habitat.
Voile de béton pour l'orgue de la Cité de la musique à Paris N°18
- Silos-bulles près de Tours avec coffrage pneumatique - La Des bâtiments en matériaux composites : les coques du
maison-écailles d'Antti Lovag - Trois ans pour obtenir un Groupe Impact Design - Un habitat aquatique ou terrestre :
permis de construire - Un défi : construire avec des courbes Anthénéa, un module de vie autonome en composites -
naturelles. Miser sur l’innovation - Jacques Couëlle, pionnier d’une
N°10 libération des formes : l’architecture mimétique -
Réflexion sur la beauté et la casa piu bella del mondo - Le Nouveaux produits.
domaine de Samara : répondre à des nécessités culturelles N°19
en s'inspirant des «architectures» animales - Domespace : Nouveau monde - Antti lovag et habitologie : priorité aux
une maison à double calotte sphérique en bois - Prouesse espaces de vie, leur enveloppe, le mobilier et les circula-
technique en Suède: l'une des plus grandes constructions tions - Pour une mise à jour de l’architecture.
sphériques du monde. N°20
N°11 Construire en harmonie avec la nature - Une maison-bulle
A la recherche des formes optimales: les exemples de la monument historique - Techniques de construction des
nature, des mathématiques et des technologies - maisons-bulles - Une habitation exemple de conception par
L'exposition Naturbulence à Nice : parallèle entre nature et Antti Lovag - Architecture et maisons-bulles - Liste de mai-
architecture - Joël Unal et les constructions en voile de sons.
béton - L'architecture organique du Hongrois Imre N°21
Macovecz. Pistes de recherche - La maison organique de Naucalpan
N°12 (Mexique) - Les voiles de béton armé ont-ils la forme -
Amélioration de la durabilité des composites ciment-verre Mosaïque d’événements - De l’image virtuelle à une réalité
par ajout de métakaolin - Ciment renforcé par des fibres de personnalisée - Coques dans le monde par Internet - Un
polyester - Etude du comportement de composites ciment- livre sur le ferrociment publié aux U.S.A.
fibres chez Eternit - Structures textiles dépliables, nou- N°22
veaux modèles industrialisables - Conception et design des Une interview d’Antti Lovag : pragmatisme et technologie
structures textiles tendues - Peinture-habitable en feuilles - Des coffrages de maisons-bulles conçus sur ordinateur -
de stratifiées de Richard Dhohedt. Usage et ambiance des formes courbes - Histoire de bulles
N°13 et bulles sans histoire - Ferro 7 à Singapour - Mosaïque
Le jardin merveilleux de Pierre Cardin - Confiance créatri- d’événements.
ce : Pierre Bernard avait donné à Antti Lovag la possibilité
de construire les villas de La Galère et de L'Esquillon - Les Un Habitat du n° 5 au 18 : 4,57€, du n° 19 au 21 : 7,62€.
Numéros épuisés fournis en photocopie
coques préfabriquées en matériaux composites d'Impact Homme et Habitat, chemin Vetter, 69270 Fontaines-sur-
Design - L'Héliostore, par Jacques Deval - Sculpture avec
ordinateur et laser. Saône. Tel. (33) 04 78 08 07 37, Fax (33) 04 78 08 64 57.