PDF La Grece Mycenienne Du Mythe A L Histoire

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La Grèce mycénienne : du mythe à

l'histoire

La guerre de Troie a bien eu lieu. Schliemann l'a montré le premier et à sa suite de nombreux
archéologues ont poursuivi ses travaux. Si la Grèce mycénienne telle qu'elle est présentée dans
les textes homériques reste sujette à caution sur de certains points, de nombreux éléments
décrivent la réalité de cette civilisation du Bronze récent, surtout célèbre pour son système
palatial. Nous avons demandé à Pascal Darcque de lever le voile sur le monde mycénien en
faisant pour nous la part du mythe et de l'histoire.

Schliemann fonda l'archéologie du monde égéen protohistorique l'Iliade dans une main et la
pioche dans l'autre. Ses premières campagnes de fouilles eurent lieu en Troade à partir de 1871,
puis à Mycènes à partir de 1874. Son romantisme et ses techniques plutôt sommaires le
conduisirent à des erreurs majeures d'interprétation, en particulier quand il identifia les bijoux
provenant du niveau Troie II avec le trésor dit « de Priam », ce qui revenait à une erreur de
datation d'un millénaire environ. Malgré cela, ses propres découvertes et la suite qui leur fut
donnée imposèrent comme un dogme non seulement l'historicité de la guerre de Troie, mais aussi
le fait que l'épopée homérique décrivait la réalité du IIe millénaire avant J.-C., en particulier la
dernière phase du Bronze récent dans le monde égéen (entre 1600 et 1100 avant J.-C.), phase
baptisée « époque mycénienne ».

Ainsi, l'archéologue américain Carl Blegen, qui avait repris les fouilles de Troie après la seconde
guerre mondiale, pouvait-il affirmer au terme de ses travaux : « La guerre de Troie fut un fait
historique, et pendant cette guerre une coalition d'Achéens ou Mycéniens, sous la conduite d'un
roi dont la suzeraineté était reconnue, combattit contre le peuple de Troie et ses alliés. »

Épopée et archéologie

Schliemann et presque tous ses successeurs se sont montrés frappés par les coïncidences entre le
texte épique et les réalités révélées par les fouilles sur les sites de la fin de l'âge du bronze, en
particulier en Grèce continentale. Comment ignorer, par exemple, que l'épithète « riche en or » qui
accompagne très souvent le nom de Mycènes dans l'épopée homérique a trouvé sa confirmation
dans les magnifiques découvertes des tombes du cercle A ? L'une de ces tombes, où étaient
enterrés trois hommes et deux femmes, n'a pas livré moins de trois masques, huit diadèmes, deux
couronnes et cinq vases en or, ainsi qu'une dizaine de vases en argent, plus de vingt vases en
bronze, trois en albâtre, deux en faïence et deux en coquille d'autruche…

Comment ne pas être frappé, également, par l'extraordinaire ressemblance des casques recouverts
de dents de sanglier et du casque que le crétois Mérion donne à Ulysse (Iliade, X, 260-270) : « Ce
casque, à l'intérieur, est fortement tendu de nombreuses courroies ; à l'extérieur, les dents blanches
de sanglier se dressent en grand nombre, à différents endroits savamment disposés ; le fond
contient du feutre » (traduction Victor Bérard). L'objet en question apparaît dans le mobilier
archéologique entre 1600 et 1200 avant J.-C., sous la forme de plaques incurvées taillées dans des
dents de sanglier, dans des tombes d'Argolide, d'Attique ou de Messénie. Il est représenté sur les
fresques des palais mycéniens, sur des sceaux et sur des objets en ivoire et mentionné dans les
inventaires en linéaire B des palais de Pylos et de Cnossos.

C'est ce genre de coïncidences qui a conduit de nombreux chercheurs à valider historiquement la


démarche de Schliemann et leur a fait perdre tout sens critique par rapport à l'épopée. Or, même
en restant sur le strict plan matériel, on pourrait être aussi sensible aux « oublis », aux « erreurs »
ou aux « anachronismes » d'Homère concernant le monde mycénien qu'aux coïncidences relevées
précédemment.

Les usages funéraires

Les funérailles de Patrocle, le compagnon d'Achille, au chant XXIII de l'Iliade, sont l'occasion de
décrire très précisément une cérémonie funéraire : « Ils entourent le bois et dressent un bûcher
[…]. Le cœur plein de tristesse, au sommet du bûcher ils déposent le corps. Puis, devant le
cadavre, ils écorchent et parent maints florissants moutons, maints bœufs aux jambes torses ; le
magnanime Achille à tous prend de la graisse et, de la tête aux pieds, il en couvre le mort puis il
entasse autour les bêtes dépouillées. Il place auprès du lit funèbre des amphores, pleines de miel et
d'huile. Avec de grands sanglots, vite il jette au bûcher quatre chevaux superbes. Il égorge deux
chiens, sur les neuf qu'à sa table entretenait Patrocle, et les lance au bûcher. Le même sort échoit à
douze nobles fils des Troyens magnanimes, qu'il tue avec le bronze : son âme ne se plaît qu'à des
œuvres de mort. De la flamme, il déchaîne enfin l'ardente force, pour qu'elle embrase tout ».

Seuls quelques-uns de ces éléments correspondent à des usages attestés à l'époque mycénienne :
on connaît ainsi de rares cas d'inhumations de chevaux et de chiens ; l'incinération est également
attestée, mais la pratique de l'inhumation dans une tombe à chambre creusée dans le rocher ou
dans une tombe à chambre circulaire construite – tholos –, comme le « trésor d'Atrée » à Mycènes,
représente la pratique de loin la plus courante.

En réalité, c'est à l'époque proto-géométrique, au début du Xe siècle, à Lefkandi en Eubée que la


description du texte homérique a trouvé ses plus exactes contreparties archéologiques.

Le linéaire B, une écriture du grec

L'écriture est ignorée par Homère, alors qu'à nos yeux, elle est devenue l'une des composantes
majeures du monde égéen protohistorique, en particulier de la Grèce mycénienne. En effet, depuis
1952 et la géniale intuition du Britannique Michael Ventris, on sait lire et traduire l'écriture
appelée linéaire B dont se sont servis les administrateurs des palais mycéniens. À cet égard, le
déchiffrement du linéaire B a constitué une véritable révolution dans les études concernant la
protohistoire égéenne. Il a d'abord montré qu'on utilisait une forme de grec en Crète et en Grèce
continentale six siècles au moins avant l'époque d'Homère. Il a également permis de comprendre
des documents de fin du IIe millénaire avant J.-C. qui sont notre principale source d'information
sur les palais mycéniens.

La lacune homérique sur l'écriture doit être opposée à tous ceux qui voient dans Homère une
source d'information sur l'organisation du monde mycénien. Plus généralement, car l'écriture ne
représente qu'un outil dans une organisation économique et politique, tout indique qu'Homère n'a
aucune idée du fonctionnement des palais du IIe millénaire avant J.-C. Ce qu'il décrit, en
particulier dans l'Odyssée à propos des palais d'Ulysse à Ithaque et d'Alkinoos en Phéacie, c'est
l'organisation d'une grande demeure aristocratique, d'une grande ferme riche, mais avec le tas de
fumier devant la porte. Cela ne ressemble en aucun cas à l'organisation des palais mycéniens, telle
qu'elle nous apparaît grâce aux vestiges archéologiques et aux informations livrées par les
tablettes inscrites en linéaire B.

Même si les administrateurs des palais mycéniens rédigent leurs comptes dans une forme
primitive de grec, qui est une langue indo-européenne, le système économique et politique qu'ils
servent s'inscrit, à la suite du système palatial de la Crète minoenne, dans la lignée des systèmes
contemporains ou plus anciens connus au Proche-Orient, en Mésopotamie, en Syrie, en Anatolie
et en Égypte. Un groupe dominant, à la tête duquel se trouve peut-être un souverain, gère un
territoire à partir d'un édifice de plan stéréotypé, qu'on appelle « palais ». Ce groupe centralise, fait
produire et stocke un certain nombre de richesses – productions agricoles, au sens large du terme,
matières premières, biens de prestige – et distribue des rations alimentaires à une population
dépendante dont l'activité productrice est contrôlée.

Le pouvoir économique et politique des centres palatiaux mycéniens apparaît relativement fort et
centralisé. Mais, s'il faut en croire les tablettes de Pylos, Cnossos ou Thèbes, ce pouvoir ne semble
pas avoir dépassé un cadre strictement régional.

Le système palatial mycénien

Comment se présentent concrètement les palais mycéniens ? Sur le continent grec, trois édifices,
découverts à Pylos, dans le Sud-Ouest du Péloponnèse, à Mycènes et à Tirynthe, en Argolide, se
démarquent de tous les autres par les caractéristiques suivantes : leurs dimensions sont nettement
supérieures à celles des autres bâtiments ; leur mode de construction est élaboré ; la décoration des
murs et des sols, très sophistiquée ; enfin, on remarque la présence d'un noyau architectural
stéréotypé. Ainsi, l'édifice principal de Pylos s'étend sur plus de mille sept cents mètres carrés,
tandis que les palais d'Argolide dépassent les trois mille mètres carrés. Les fondations de ces
édifices sont particulièrement soignées. La pierre de taille est utilisée pour la construction de
certains murs et des escaliers conduisant à l'étage. Les murs et les sols de certaines pièces portent
une décoration peinte de motifs géométriques ou de représentations figurées – poulpes, dauphins,
lions, griffons, guerriers, défilés de femmes. Le cœur architectural des trois édifices en question
mesure de vingt-trois à vingt-quatre mètres de long ; il est invariablement formé d'un porche à
deux colonnes, d'un vestibule peu profond et d'une grande salle presque carrée, mesurant de cent
quinze à cent cinquante mètres carrés, laquelle est pourvue d'un foyer central circulaire, entouré de
quatre colonnes. Le complexe palatial occupe toujours une position prééminente par rapport au
site qui l'entoure. Une conception architecturale forte et originale se trouve donc à l'œuvre sur ces
trois sites.

Dans le cas de l'édifice principal de Pylos, on peut compléter la définition et souligner que
l'édifice palatial comporte un secteur réservé à l'archivage des tablettes inscrites en linéaire B, des
pièces spécialisées dans le stockage de denrées consommables, d'autres dans l'entreposage de
vases, ainsi qu'une pièce réservée à la toilette. Le travail des textiles et de l'ivoire est attesté à
l'étage. On ne trouve dans cet édifice aucune trace tangible d'activité religieuse, aucun espace
consacré au repos, ni aux activités culinaires. À Mycènes, le travail de l'ivoire semble également
associé aux traces laissées par l'administration palatiale.

Le site de Thèbes, en Béotie, a sans aucun doute comporté un palais à l'époque mycénienne, mais
ce que l'on en connaît ne ressemble pas aux édifices de Pylos ou Mycènes.

La disparition des palais mycéniens, entre 1250 et 1200 avant J.-C., due en partie à la dislocation
des échanges en Méditerranée orientale, entraîne la disparition du système palatial dans le monde
égéen. En même temps, on cesse d'utiliser le linéaire B. Ce bouleversement politique et culturel
ouvre la voie à un nouveau mode d'organisation économique, politique et sociale, en cités, et à une
nouvelle écriture, le grec alphabétique. Ces communautés recomposées se lancent alors dans
l'aventure de la colonisation, tant vers l'Orient que vers l'Occident, aventure qui ne paraît pas avoir
eu de précédent à l'époque mycénienne.

Les Mycéniens et la Méditerranée

Pourtant, on ne peut qu'être impressionné par la très large diffusion de la céramique mycénienne
en dehors de la Grèce continentale. En effet, l'aire de répartition des vases mycéniens comprend la
Sardaigne, la vallée du Pô et même la péninsule ibérique à l'ouest, l'Illyrie, la Macédoine et la
Thrace au nord, l'Euphrate à l'est, et la haute vallée du Nil au sud.
Ceux que nous appelons les Mycéniens ont sans aucun doute « exporté » quelques matières
premières, des produits transformés – huiles parfumées, vins, tissus – et des objets finis vers tous
les rivages de la Méditerranée. Cependant, ils ne l'ont pas fait de façon uniforme. Ils ont
visiblement privilégié Chypre et le Levant pour leurs échanges, négligeant presque totalement la
partie septentrionale de la péninsule balkanique. Par ailleurs, les productions mycéniennes
apparaissent de façon relativement marginale en Méditerranée occidentale, en Anatolie et en
Égypte.

La diffusion très limitée d'artefacts, comme les figurines et les sceaux, et l'absence presque totale
des techniques de construction et des formes architecturales mycéniennes en dehors de Grèce
continentale permettent de nuancer les interprétations trop souvent simplistes qui sont encore
proposées de la diffusion de la céramique mycénienne. Les Mycéniens n'ont sans doute pas
installé de « comptoirs » ou de « colonies » à l'extérieur du continent, mais se sont contentés
d'échanger certaines de leurs productions avec les régions susceptibles de leur apporter les
matières premières qui leur faisaient défaut, en particulier le cuivre chypriote et l'étain anatolien
nécessaires à la fabrication du bronze, sans oublier l'ivoire d'éléphant et d'hippopotame ou l'ambre
de la Baltique.

Des héros, mais aussi des hommes réels

Les épopées homériques, composées au IXe ou au VIIIe siècle avant J.-C., représentent des
compilations d'épisodes d'origines et de nature très variées, épisodes transmis par des traditions
orales séculaires, dont certaines seulement remontent à l'âge du bronze. Ceux que Schliemann
assimilait aux héros homériques sont devenus, pour les chercheurs d'aujourd'hui, des hommes
réels préoccupés de compter, en grec, des rations alimentaires, des jarres d'huile, des moutons ou
des pièces de tissu. Certes, on ne connaît pas l'histoire événementielle de l'époque mycénienne,
mais on peut continuer à admirer les productions des artisans mycéniens dans tous les domaines
où ils ont exercé leur créativité.
Février 2001
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Bibliographie

L'Illiade - L'Odyssée, 2 vol.


Homère
Actes Sud, 2001
Odyssée XXIII

Archéologues sur les pas d'Homère : La naissance de la protohistoire


égéenne
Olga Polychronopoulou
Noêsis, Paris, 1999

Homère
Pierre Carlier
Fayard, Paris, 1999

Le Déchiffrement du linéaire B. Aux origines de la langue grecque


J. Chadwick
Gallimard, 1972

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