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名古屋外国語大学論集 第9号 2021年7月

Article

L’enseignement du FLE via les outils numériques :


ou comment s’adapter à une situation d’urgence

Jérôme PACCOUD

Résumé
Cet article se propose de revenir sur le défi qu’ont dû relever les enseignants
natifs d’un département de Français Langue Étrangère dans une université
japonaise durant la pandémie qui a frappé l’ensemble de la planète au cours
de l’année 2020. À travers une démarche qualitative, nous avons recueilli les
témoignages de ces enseignants pour chercher à mettre au jour dans quelles
mesures les cours en ligne font varier leurs pratiques de classe. L’analyse des
résultats indique notamment qu’après une période d’adaptation stressante pour
les enseignants, l’utilisation forcée des TICE a offert en contrepartie des pistes
d’exploitation pédagogiques inédites venant enrichir leur répertoire didactique.
Quelles sont ces pistes, sont-elles toutes pertinentes, certaines des solutions
évoquées sont-elles à utiliser dans une situation post-pandémique ; c’est ce que
cet article tente de mettre en lumière.

Mots clés : cours en ligne, CECR, approche actionnelle, posture réflexive, TICE

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1. Introduction
C’est au terme d’une année universitaire au contexte très particulier et
inédit, puisqu’entièrement en ligne, que cet article a vu le jour. Il est né de notre
réflexion d’enseignant sur ces conditions de classes totalement dépendantes de
ce soudain — pour ne pas dire brutal — passage aux Technologies d’Information
et de Communication pour l’Enseignement (TICE), seul moyen de garantir
une distance sociale satisfaisante selon les recommandations de l’Organisation
mondiale de la Santé (OMS).
Dans cet article, nous chercherons à mettre au jour les difficultés rencontrées,
les adaptations et des stratégies mises en place pour relever ce nouveau défi
autour de la question suivante : comment les cours en ligne font-ils varier nos
pratiques de classes ? Au-delà de notre propre contexte, les difficultés ont été
multiples, comme l’indique le rapport de l’UNESCO :
« La pandémie a obligé la communauté universitaire dans le monde entier à
explorer de nouvelles méthodes d’enseignement et d’apprentissage, notamment
au travers de l’enseignement à distance et en ligne. Cela s’est avéré difficile à la
fois pour les étudiants et les enseignants, qui doivent non seulement faire face
aux difficultés émotionnelles, physiques et économiques posées par la pandémie,
mais aussi faire de leur mieux pour freiner la propagation du virus. »1 (UNESCO,
2020).

Notre travail se focalisera plus particulièrement sur les difficultés des ensei-
gnants, en adoptant la posture d’enseignants réflexifs, concept mis en lumière par
Schön (1983) qui cherchait à déterminer « comment les professionnels pensent
en action » ; posture définie plus tard par Perrenoud comme « une question de
savoir ou d’habitus ».
En effet, ce dernier indique que « La posture réflexive implique l’articulation
entre savoirs savants et savoirs pratiques et leur intégration à des compétences,
grâce à un habitus professionnel qui permet de les mobiliser à bon escient »

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L’enseignement du FLE via les outils numériques : ou comment s’adapter à une situation d’urgence ■

(Perrenoud, 2001), nous tenterons également d’en déterminer les opportunités


d’enseignement/apprentissage dans le nouveau contexte éducatif généré par la
crise du Coronavirus.
Nous chercherons donc à savoir dans quelle mesure le répertoire didactique,
c’est à dire « l’ensemble des ressources sur lesquels un enseignant s’appuie pour
faire cours » (Cicurel, 2011 : 21), se voit bouleversé par la réalisation de cours
assurés entièrement en ligne, et plus précisément par visioconférence.
Cet article se propose donc de revenir sur ces difficultés, mais aussi, et surtout
les solutions et stratégies que les enseignants chevronnés2 de Français Langue
Étrangère (FLE) d’un département de français au Japon ont mis en place pour
leurs cours de communication.

Dans une première partie, nous nous attacherons à décrire le contexte de notre
étude, le département de français d’une université japonaise et le fonctionnement
des cours assurés tout spécialement à distance cette année 2020. Nous question-
nerons ici les habitus et les pratiques des enseignants natifs de FLE.
Dans une deuxième partie, nous décrirons les modalités de notre recherche
qui repose conjointement sur notre expérience et celle de nos collègues en poste
à travers des témoignages recueillis via un questionnaire et un entretien.
Dans la troisième partie, nous analyserons les résultats de ces témoignages.
Cela permettra de mettre en lumière les postures, attitudes et outils développés
pour faire face à cette crise. En guise de conclusion, nous répondrons alors à la
problématique suivante : comment les cours en ligne font varier nos pratiques
de classe.

2. Présentation du contexte
En mars 2020, commençait une nouvelle ère, celle qui allait donner naissance
à la crise sanitaire causée par la Covid-19. Touchant toutes les sphères profes-
sionnelles à travers le monde, l’enseignement n’était également bien entendu

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pas épargné. Au Japon, si l’enseignement primaire et secondaire ne connaissait
pas de véritables bouleversements dans les modalités des cours puisque toujours
assuré en présentiel — tout en appliquant des précautions particulières — l’ensei-
gnement supérieur suivait un autre régime dans la mesure où les universités
étaient libres d’assurer des cours en ligne ou à distance3. Nous ne reviendrons
pas ici sur les raisons des choix qu’ont fait les universités du pays de proposer
des cours en ligne, en présentiel ou encore hybrides dans la mesure où cet aspect
n’entre pas dans les questionnements de cette recherche.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur le département de français au
sein duquel nous sommes enseignant titulaire. Le présent travail est donc né de
réflexions et d’observations quant au maintien des pratiques prescrites par le
Cadre Européen Commun de Référence pour les langues, (CECR, Conseil de
l’Europe, 2001) ; tout en considérant que celui-ci a antérieurement été remis en
cause par Nishiyama (2011) sur sa contextualisation en Asie du Nord-est. Dans
ce nouvel environnement entièrement numérique, nous avons cherché à savoir
si nos questionnements et postures réflexives étaient partagés par nos collègues
enseignants natifs au sein du département. Dans quelle mesure notre habitus
didactique (Dabène, Cicurel & Alii, 1990), notre posture d’enseignant, vont-ils
être remodelés dans ces conditions d’enseignement inédites ?
Pour ce faire, nous avons créé un questionnaire qui reprend nos réflexions et
l’avons soumis à deux enseignants ; ceci dans le but de dresser un premier bilan
et des pistes de réflexion susceptibles d’enrichir la réflexion sur l’enseignement
des langues via les outils numériques.
2.1 Fonctionnement des cours
Lorsqu’il nous a été indiqué que le semestre se déroulerait finalement en
ligne, nous avons dû réagir dans l’urgence, si ce n’est dans la panique, et choisir
une plateforme idéale parmi les différents supports possibles tels que Moodle,
Google suite, Microsoft team, Zoom etc. Notre département ne dispose pas
d’ingénieurs pédagogiques4 ; c’est donc l’ensemble des enseignants qui après une

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rapide consultation a opéré ces choix. Ce faisant, l’équipe enseignante s’est for-
mée dans un délai record et parfois avec difficulté à ces outils numériques pour
faire face à cette situation ; car au sein du département comme ailleurs, « tous
les enseignants ne sont pas férus de nouvelles technologies » (FDLM, 2020).
En effet, nous nous sommes retrouvés dans une situation obligeant du jour au
lendemain des enseignants, sans doute habituellement peu enclins à utiliser les
TICE, à le faire dans la totalité de leurs cours. Dans l’hypothèse selon laquelle
le lecteur de cet article serait un fervent défenseur et usager accompli des TICE,
nous sommes de notre côté plus modérés dès lors qu’on considère les débats
entre pro et anti TICE souvent houleux ; s’agissant pour les uns d’une véritable
révolution, de simples gadgets pour les autres.
Ainsi, Larose, F., Grenon, V. & Lafrance, S. (2002) rappellent que « Les
recherches sur l’intégration des TICE dans l’enseignement identifient deux
courants majeurs. Le premier, fondé sur une épistémologie socio-constructi-
viste analyse cette intégration comme vitale et favorable à la modification des
pratiques d’enseignement. Le deuxième, de type néocomportementaliste et
pragmatique, considère les TICE comme de simples outils compatibles avec un
enseignement traditionnel. ».
De plus, les travaux des trois chercheurs cités plus haut compartimentent les
points de vue et les pratiques sur les TICE en fonction de l’âge de l’enseignant
« pour les enseignants âgés et ayant un statut de professeur, l’intégration des
TICE transforme peu l’enseignement traditionnel.
Elle montre aussi l’émergence, chez des enseignants plus jeunes et ayant
un profil de “ praticien réflexif ”, d’une intégration des TICE fondée sur de
nouvelles relations au savoir, l’autonomie des apprenants et le développement
de nouvelles compétences cognitives. »

Contrairement à cette affirmation, cette intégration, ou plutôt ce basculement


total vers les TICE au sein du département n’a pas été le fruit d’une pratique

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réflexive mûrie, mais davantage le résultat d’un pragmatisme découlant d’une
nécessité immédiate.
Devant l’offre numérique présentée en début de partie 2.1, nous avons décidé
d’utiliser conjointement les outils Google Classroom et la plateforme de réunion
en ligne Zoom. Sans entrer dans des considérations techniques qui alourdiraient
ce texte, précisons simplement que ce choix a notamment été retenu en raison des
fonctionnalités de création de petits groupes (Breakout Rooms) qui présentaient
un avantage certain, car proches d’une situation de classe habituelle.
Classroom serait donc utilisé en tant que support de classe et lieu de dépôt
des activités, de notation et de communication avec les étudiants ; Zoom, comme
espace virtuel du cours et des échanges. Les deux supports seraient donc utilisés
ensemble de façon modulable ; simultanée ou non, en fonction des objectifs
de chaque séance de cours. À l’exception de quelques rares cas, nous avons
privilégié un enseignement de type « real-time »5 plutôt qu’un enseignement de
type « on demand »6.

3. Méthodologie de la recherche
Pour notre analyse, nous sommes partis d’une série de questionnements que
nous avons eus tout au long ainsi qu’à l’issue de cette année universitaire. Ces
questionnements englobent des réflexions sur des situations et des problèmes
auxquels nous avons dû faire face, des solutions et des stratégies que nous avons
élaborées ainsi que les enseignements tirés de cette situation inédite. La question
principale de notre recherche vise donc à savoir comment les cours en ligne font
varier nos pratiques de classe.
3.1 Déroulement
Afin de proposer un premier éclairage, nous avons mené une consultation
auprès de nos collègues enseignants de FLE. Sur les principes de la conception
d’un questionnaire semi-directif (Calvet & Dumont, 1999), nous avons conçu un
questionnaire auquel deux autres enseignants natifs du département de français

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L’enseignement du FLE via les outils numériques : ou comment s’adapter à une situation d’urgence ■

de notre université ont répondu. Il s’agit donc d’une approche qualitative dont
l’ensemble des questions, au nombre de 10, figure en annexe.
Pour clarifier les conditions de notre recherche, mentionnons que nous avons
répondu en amont à ce questionnaire, avant d’en envoyer un exemplaire vierge
par courrier électronique aux deux autres enseignants qui ont participé à cette
recherche. Ce faisant, ces derniers ont disposé d’un délai de réflexion visant à les
préparer à l’entretien semi-directif reposant sur le questionnaire. Ces entretiens
individuels, d’environ 45 minutes en moyenne, se sont déroulés en présentiel ou
via Zoom dans la semaine du 11 au 15 janvier 2021, cela juste après la dernière
semaine des cours, car nous étions soucieux de recueillir des données sous
forme de témoignages « à chaud », juste après la fin de l’année universitaire et
non de vagues souvenirs d’une expérience lointaine plus ou moins réussie qui
présenteraient par essence un biais dans l’analyse.
3.2 Profil des enseignants
Les deux enseignants interrogés sont en poste au Japon depuis plus de 15 ans
et sont donc des enseignants chevronnés. Pour garantir leur anonymat, nous les
nommerons « A » et « B » et utiliserons le genre masculin dans les transcriptions.
Nous les remercions ici pour leur précieuse contribution à ce travail.
Avant la situation causée par la Covid-19, ces derniers n’utilisaient pas ou peu
les outils numériques durant la classe. Leur rapport aux technologies numériques
présente cependant des différences car l’un des deux professeurs (B), porte un
intérêt à l’informatique et possède une plus grande maitrise dans ce domaine
que l’autre professeur (A) : « --- ben déjà les outils informatiques+ je découvre+
tout++ Zoom tout ça+ »7
Enfin, par souci de neutralité, nous n’avons à aucun moment de la recherche
donné d’informations sur nos réponses ou sur les réponses des autres collègues ; à
l’exception toutefois de phases dans lesquelles une précision semblait nécessaire
à la compréhension d’un point particulier de la question (phase d’exemplification
ou de développement).

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4. Analyse
Cette partie se propose de reprendre les résultats des questionnaires et d’ouvrir
la discussion grâce aux contributions récoltées. Afin d’éviter de présenter une
présentation linéaire fastidieuse pour le lecteur, nous avons sélectionné les points
les plus pertinents et significatifs des éléments des entretiens.
Pour ce faire, les entrées suivantes matérialisent ces points saillants que sont :
la gestion du stress et les adaptations nécessaires, la modification de la charge de
travail, l’évolution des pratiques, et enfin, les limites des TICE.
4.1 Gestion du stress et adaptation
Un des premiers points significatifs qui ressort de cette année entièrement en
ligne concerne le stress perçu par l’ensemble des enseignants. Comme l’indique
A en réponse à la question 1 qui porte sur la perception du stress : « oui je pense
hein+ ben ça crée un sacré stress+ ben surtout au début+ c’est-à-dire qu’on
part de rien donc bah+ oui ça c’est un sacré stress de partir complètement+
dans l’inconnu ». Ce point de vue est partagé par B, même si celui-ci indique
une période de stress ressentie plus courte et ciblée sur un moment de l’année
en particulier, le tout début du premier semestre :
« alors on va dire au début oui+ petit à petit+ je m’y suis fait et le stress a
disparu++ donc c’est vraiment l’avant++ au début avant de commencer les
cours+ et puis on va dire+ pendant un mois environ maximum+ et ensuite le
stress a disparu »
On note aussi que les raisons du stress sont liées à 3 facteurs qui découlent
d’une incertitude qui vient bousculer leurs habitudes et pratiques de classes.
Nous utiliserons ici le concept de « gestion de classe » (« classroom manage-
ment ») de Hoy et Weinstein (2006) que ces derniers décrivent comme « se
référant à des sujets pluriels tels que les actions de l’enseignant réalisées en vue
d’établir un environnement d’apprentissage ordonné et productif » ; incertitude
quant à l’orientation des modalités de réalisation des cours vers lesquels l’éta-
blissement va se tourner, nécessité de se former dans l’urgence à de nouveaux

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outils numériques et enfin doute quant aux types de cours à assurer.


À cela s’ajoute les inquiétudes exprimées par les enseignants vis-à-vis des
apprenants. Ces inquiétudes concernent à la fois des aspects techniques, éducatifs
et humains.
4.2 Modification de la charge de travail
Les enseignants indiquent dans les entretiens une augmentation substantielle
de leur charge de travail ; au moins au début des cours du premier semestre. Cette
augmentation s’explique bien entendu par la refonte des contenus du cours, leur
adaptation numérique, la correction des copies, mais pas seulement.
En effet, en début de semestre, l’incertitude était grande de savoir dans
quelles conditions numériques les étudiants auraient la possibilité de suivre les
cours. B indique avoir préparé plusieurs types d’un même cours en fonction
des possibilités des étudiants. Cette multiplication de supports et contenus a
engendré un travail supplémentaire conséquent pour l’enseignant. De plus, les
phases de correction des travaux écrits, dont les modalités diffèrent grandement
de situations de classe habituelle ont elles aussi augmentées considérablement
chez l’ensemble des enseignants pour l’année entière.
4.3 Adaptations et évolution des pratiques
En réponse à notre problématique de départ, comment et dans quelles
mesures, les cours en ligne font varier les pratiques de classe, notre travail
d’analyse des postures réflexives indique que les enseignants ne font pas mention
explicite de l’évolution de leurs pratiques.
Pour autant, l’analyse de leurs témoignages indique des changements rendus
possibles grâce à l’enseignement en ligne. B indique :
« ils peuvent être seuls face au document ou on peut le travailler ensemble++
et ça dans les cours en présentiel++ ben il n’y a pas cette option+ ça c’est
intéressant »
« avec Classroom+ au niveau de l’écrit+ on travaille beaucoup mieux qu’en
classe »

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Et précise que le fait d’assurer des cours en ligne offre de nouveaux outils :
B : « même si ça n’a pas changé ma façon d’enseigner+ j’ai rajouté des
choses que je ne faisais pas d’habitude+ par exemple+ tous mes cours+ mes
cours de communication+ j’avais des thèmes++ par exemple le lundi c’est
cinéma »
Les deux enseignants – et nous les rejoignons – portent à ce stade un juge-
ment positif sur les possibilités qu’offrent les outils numériques, qu’ils se sont
appropriés tout au long de l’année universitaire :
B : « et ça c’est vraiment très très bien+ c’est extrêmement riche par rapport
à une classe normale+ c’est beaucoup mieux que dans la classe+ on peut écrire
sur le livre, se servir du tableau blanc, montrer une vidéo en relation avec »
Les enseignants précisent aussi que ce contexte d’apprentissage favorise les
apprenants lors des phases de compréhension orale, puisque chacun peut durant
un laps de temps déterminé, écouter et réécouter à l’envi le document audio.
On observe des similitudes dans leurs pratiques concernant les modalités de
réalisation des tâches ou activités dans la classe :
A : « par exemple+ les documents vidéos ils ont du temps pour voir la
vidéo++ les écoutes et les vidéos on peut les faire faire en direct ou en devoirs
[…]
B : « c’est pas moi qui fait l’écoute+ ils la font eux-mêmes+ je donne un temps
imparti+ 10 minutes+ et ils peuvent écouter ou visionner à leur rythme plusieurs
fois avant de répondre+ chacun a eu son propre rythme et sa propre stratégie
d’écoute+ en classe toute le monde doit faire la même chose »
En fonction du type d’équipement, du degré de maîtrise des TICE ou des
choix pédagogiques opérés, les interviewés mettent en avant d’autres points
positifs.
Ainsi, A indique l’avantage de la lisibilité offerte par les outils numériques
lors des phases d’écriture par le professeur qui n’a plus à se soucier de son
écriture. B n’aborde pas ce point, car il utilise tout comme nous, un environne-

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ment informatique différent, qui lui permet grâce à une tablette connectée à son
ordinateur et un stylet de disposer des fonctionnalités d’un T.B.I 8, reproduisant
ainsi son écriture habituelle.
Cela enrichi grandement le contenu de son cours, comme il le souligne avec
enthousiasme : « la grande force qu’on9 avait en étant sous Mac+ c’est d’avoir
une tablette branchée en permanence à l’ordinateur et qui permet véritablement
d’avoir un outil pour partager tous les types de documents+ et ça c’est vraiment
très très bien+ c’est extrêmement riche par rapport à une classe normale+ c’est
beaucoup mieux que dans la classe+ on peut écrire sur le livre, se servir du
tableau blanc, montrer une vidéo en relation avec, sous réserve d’avoir préparé
les documents et les fenêtres actives avant le cours »
4.5 Les limites des TICE:
Les enseignants s’expriment aussi à des degrés divers sur les frustrations
relatives aux limites des interactions que présentent ce type de cours. Si A
partage notre point de vue sur ces frustrations, B semble moins concerné par
cela et l’explique par la différence de niveau des classes dont nous avons
respectivement la charge. En effet, B est responsable des cours destinés aux
étudiants de troisième et quatrième année, alors que A et nous-mêmes avons
principalement des niveaux inférieurs, dont des classes de débutants complets
pour qui la première année d’université est synonyme de grande nouveauté et
d’une situation extrêmement intimidante s’il en est. Le bref échange suivant
rend compte de cela :
Jérôme : « à t’écouter+ tu (B) n’as pas été frustré+ moi je l’ai été un peu
plus que toi
B : « oui +, mais toi tu as des première année+ des gens tout silencieux + qui
ne parlent pas+ je comprends+ je comprends ».
Si l’enseignement en ligne ne change donc fondamentalement pas dans les
pratiques des enseignants, il réclame des adaptations et fait parfois surgir des
problèmes difficiles à résoudre :

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A :« +je me rends compte qu’il a des choses que je fais en classe que
j’adapte+ il y a des choses que j’ai envie de faire en fait+ j’adapte avec les
outils informatiques++ […] même si on peut faire des groupes c’est pas du
tout la même chose + c’est pas du tout la même chose d’avoir des groupes sur
Zoom et d’avoir des groupes dans la classe++ tu peux tout de suite jeter un œil
et voir quels groupes marchent quels groupes sont arrêtés+ là tu vois pas+ tu
vois pas+ et ça prend du temps d’aller voir chaque groupe+ et tu n’as pas de
panorama quoi »
Nous partageons la frustration de A qui se plaint du manque de panorama
de la classe ; bien que la fonction Breakout Room permette le travail en petits
groupes, il reste impossible au professeur d’avoir un retour général de la classe
en temps réel.
4.7 L’authenticité des échanges
On s’interroge aussi sur l’authenticité des échanges dans la classe. Rappelons
que la perspective actionnelle considère à cet égard l’apprenant de la façon
suivante :

« L’usager et l’apprenant d’une langue (sont considérés) comme des acteurs


sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans
des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action
particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des actions langagières, celles-
ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules
leur donnent leur pleine signification » (CECR, 2001 : 15).

Or, dans notre classe dématérialisée car virtuelle, le contexte social et


l’environnement particulier qui découle de cette situation inédite ne favorisent
pas les actions langagières et beaucoup d’interactions deviennent artificielles,
car provoquées ou réclamées par l’enseignant. Ainsi, celui-ci se voit contraint
de nommer chaque apprenant et de le solliciter en suivant la liste de présences,

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L’enseignement du FLE via les outils numériques : ou comment s’adapter à une situation d’urgence ■

plutôt que de s’adresser à eux au moyen d’un geste ou d’un regard comme il le
ferait en classe, dans une interaction proche ou identique à celle d’une conversa-
tion authentique. Nous rejoignons donc A qui évoque un manque de spontanéité
dans les échanges entre l’enseignant et les apprenants :
A : « je prends dans la liste et j’interroge+ en classe normale je ne fais jamais
ça++ puis il y a des choses très très simples qui me viendraient quoi+ dans la
seconde en classe + ben là sur Zoom c’est pas possible de leur demander paf
comme ça++ il faut une préparation en amont+ je trouve qu’il y a moins de
place à la spontanéité. ça peut peut être aussi + avoir des avantages d’avoir
un cadre + bien propre+ bien lissé++en tout cas ce n’est pas la même liberté
(qu’en situation de classe normale) »
B quant à lui n’exprime pas de différences particulières même s’il reconnaît que
l’enseignant doit veiller à maintenir et exiger de la part des étudiants des condi-
tions techniques définies. Ces conditions ont le but de maintenir une dynamique
de classe satisfaisante à ses yeux :
B : « + mais surtout pour éviter la latence+ le temps qu’on attend à chaque
fois+ pour qu’ils se branchent+ se débranchent+ c’est quelque chose que je ne
supportais pas donc dès les débuts+ j’ai toujours dit mettez votre micro ouvert+
et ça s’est passé comme une classe normale--- ça permet d’avoir un rythme de
classe+ sinon y a pas de rythme »
Nous partageons son avis, de même que la caméra permet de valider ou
d’invalider la compréhension des consignes et d’expliquer la présence de
silences dans les échanges de classe ; ce qu’il indique également :
« + pouvoir dialoguer avec eux de façon normale et en plus+ de pouvoir
juger s’ils comprennent ou pas ce que je leur demande++ une caméra ou dans
écran noir+ on ne sait pas du tout +est-ce qu’ils comprennent+ pourquoi ils ne
répondent pas+ on n’en sait rien--- ».
4.8 De nouveaux atouts pédagogiques
A et B indiquent, nous l’avons vu, que les étudiants ont bénéficié de nouveaux

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supports et modalités de cours, mais également que les enseignants eux-mêmes
ont utilisé de nouveaux outils (stylet tactile, tablette connectée, logiciels et
plateformes de travail en ligne et de suivi des étudiants, etc.).
Dans les circonstances difficiles que nous connaissons, les retours sur leur
utilisation sont très positifs et les interviewés — et nous les rejoignons — expri-
ment leur volonté de poursuivre l’utilisation de certains de ces nouveaux outils
éducatifs.
Tout porte à croire qu’une partie de ces outils et connaissances sur les outils
numériques sera réinvestie dans les classes traditionnelles lorsque la situation
le permettra. Les recherches de notre confrère N. Bradley sur les leçons tirées
de l’enseignement de l’anglais durant la Covid-19 menées au sein de son
département rejoignent nos résultats, puisqu’à l’affirmation : « Je souhaite retenir
certains des aspects des cours en ligne lorsque nous retournerons en salle de
classe10 », sur 17 enseignants interrogés, 11 répondent « entièrement d’accord »,
5 « d’accord » et 1 « absolument pas d’accord ». (Bradley, 2021).

5. Limites de la recherche
Cette recherche, par son caractère qualitatif, présente un échantillon réduit
d’individus qui concerne un ensemble de professeurs assurant des cours dans le
département d’une même université au Japon.
Si ces conditions peuvent suggérer une situation et un point de vue spécifique
au département de l’établissement en question, cela permet en revanche d’avoir
une mise en corrélation pertinente des différents témoignages, car bénéficiant
d’un environnement et de conditions identiques.
Par ailleurs, les réponses apportées nous invitent à nous questionner sur
de nouveaux aspects tels que l’intégration des TICE dans une situation post-
pandémique au sein de classes normales, et une meilleure prise en compte des
habitudes d’apprentissages des apprenants.

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L’enseignement du FLE via les outils numériques : ou comment s’adapter à une situation d’urgence ■

6. Conclusion
Si notre question de départ, « Comment les cours en ligne font varier nos
pratiques de classes ? » , laissait présager de profonds bouleversements, l’analyse
des entretiens a prouvé que les pratiques et finalement « les stocks d’actes, de
routines et de conceptualisations prêts à servir » (Cicurel, 2013 : 21) n’ont pas
connu de véritables révolutions qui conduiraient à l’avènement d’un nouveau
répertoire didactique, mais plutôt à des évolutions venant compléter des pratiques
déjà ancrées chez les enseignants. On observe par ailleurs que ces derniers en
ont conscience à différents degrés.
Il ressort de notre recherche que cette situation inédite a généré un stress
certain, accompagné d’une charge de travail supplémentaire conséquente,
surtout lors de la phase initiale, face à l’inconnu et aux moyens à mettre en
œuvre pour assurer les cours. Elle a en revanche permis aux enseignants de se
former aux TICE, d’utiliser de nouveaux outils d’enseignement et d’évaluation,
de proposer de nouveaux supports de cours, et ainsi d’enrichir leur approche.
Certaines frustrations subsistent néanmoins et sont inhérentes aux limites des
outils numériques actuels. Il s’agit principalement de la fluidité et du naturel des
interactions, et du manque de vision panoramique de la classe lors de certaines
phases du cours.
Il n’est donc plus question dans notre contexte d’opposer l’utilisation systé-
matique des TICE à leur non-utilisation, mais bien d’en avoir un usage adéquat
et pertinent. Il apparaît en effet qu’une partie des possibilités qu’offrent les
TICE sera réinvestie par les professeurs dans les classes traditionnelles lorsque
la situation le permettra.

Notes :
1
Dans la série « COVID-19 et enseignement supérieur », l’Impact Universitaire des Nations Unies
(UNAI) s’adresse aux étudiants, éducateurs et chercheurs de différentes régions du monde pour
savoir comment le COVID-19 les a touchés et la façon dont ils font face à ces changements. La
série met également en lumière les leçons tirées du confinement mondial ainsi que les retombées

119
positives potentielles pour l’enseignement supérieur.
2
Nous adoptons ici la terminologie de Rivière & Cadet qui utilisent le vocable chevronné en oppo-
sition à débutant dans leurs travaux sur l’analyse des discours de deux enseignants.
3
Cette différence s’explique par le fait que les écoles de l’élémentaire et du secondaire sont directe-
ment de la responsabilité du ministère de l’éducation, alors que les universités sont plus autonomes.
4
Le français dans le monde n°49 juillet-août 2020
5
C’est-à-dire que le cours se déroule en temps réel, comme s’il avait lieu en classe.
6
Par opposition les cours « on demand » sont disponibles sur la plateforme pendant un laps de temps
de temps déterminé et les étudiants accèdent aux cours lorsqu’ils le souhaitent
7
Les transcriptions adoptent la convention de transcription élaborée par le GARS (Groupe Aixois de
recherche en syntaxe sous la direction de Cl. Blanche-Benveniste). Transcription orthographique -
Orthographe normalisée avec fidélité au morphème. Aucun signe de ponctuation, majuscules sur les
noms propres, onomatopées transcrites selon l’orthographe du dictionnaire. <http://www00.unibg.
it/dati/corsi/13075/55437-(Conventions%20Gars%20simplifiées).pdf>
Conventions générales :
  + pause courte (1/2 seconde)
  ++ pause moyenne (1 à 2 secondes)
  --- pause longue (2 à 3 secondes)
8
TBI : Tableau blanc interactif
9
L’auteur de cet article utilise le même type de matériel
10
« I will retain certain online aspects of the course when we return to the classroom »
11
« Strongly agree », 5 « agree », 1 « strongly disagree ».

Bibliographie
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motion de l’engagement des élèves : articulations aux pratiques enseignantes et évolution par la
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120
L’enseignement du FLE via les outils numériques : ou comment s’adapter à une situation d’urgence ■

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Schön, D. (1994). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel.
Montréal : Éditions logiques.

121
Annexe :

Enquête enseignants :
1- Avez-vous éprouvé davantage de stress dans métier d’enseignant en raison de la
crise de la Covid-19 ?
2- Votre charge de travail a -t-elle été modifiée en raison de cette crise ?
3- De quelle façon ?
4- Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
5- Comment avez-vous réussi à surmonter ces difficultés ?
6- Quels changements avez-vous faits dans votre façon d’enseigner ?
7- Avez-vous développé de nouvelles stratégies, façon d’enseigner ? Lesquelles ?
8- Pensez-vous avoir appris de nouvelles choses grâce à la crise de la Covid-19 ?
9- Malgré cette situation difficile, trouvez-vous des aspects positifs à la mise en
place de cours donnés entièrement en ligne ? Lesquels ?
10- Pourriez-vous faire une liste de problèmes auxquels vous avez été confronté et
dresser une liste de solutions que vous avez trouvées ?
Exemple :
-Pour la prise de parole des étudiants
-Pour favoriser les interactions
-Pour avoir un contrôle sur la qualité des productions (correction en temps réel)
-Pour évaluer les étudiants

11- Autres aspects que vous souhaiteriez aborder :

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