Historique de La Linguistique
Historique de La Linguistique
Historique de La Linguistique
Foued LAROUSSI
SOMMAIRE
Sujet d’entraînement
Foued Laroussi
0. Avant-propos
Cet enseignement ne se présente pas comme un cours de linguistique (au sens habituel du
terme), mais tente de faire une présentation historique de la discipline – ce qui est différent
– L’accent est souvent mis sur l’approche diachronique, comment la discipline est née,
comment a-t-elle évolué ? etc. Pour cela, vous ne trouverez pas systématiquement des
exercices ou des illustrations de certaines théories qu’elles soient phonologiques,
syntaxiques ou pragmatiques (je l’ai fait quand je l’ai estimé nécessaire). C’est à vous de le
faire si vous voulez approfondir vos connaissances en prenant ce cours comme un point de
départ.
Dans ce cours, il ne sera question que des grands courants de la linguistique au XXe siècle.
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Histoire de la linguistique
Incontestablement, c’est l’analyse du sanskrit par les grammairiens hindous qui est
considérée comme la réflexion rigoureuse la plus ancienne sur le langage. Mais selon les
représentations en usage, la réflexion sur le langage est liée à la pensée définie par la
civilisation grecque classique. Soucieux de préserver la « pureté » de leur langue contre la
variation sociale et diachronique, les Grecs se préoccupèrent de l’établissement de
certaines normes, ce qui les a conduit à développer une appréhension rationnelle du
langage en dehors de tout cadre mythique ou religieux. Mais le langage fut étudié plutôt
comme une organisation spécifique. Dans ce contexte, deux approches se distinguèrent :
l’une rhétorique, liée à l’émergence de la sophistique, l’autre logique. La constitution de la
démocratie grecque a fait passer au premier plan la persuasion politique, rendant nécessaire
l’émergence de « techniciens » de la parole, les sophistes. Dans leur volonté de faire
acquérir à leurs disciples la maîtrise du verbe, ils ont été conduits à envisager le langage
comme un instrument que l’on pouvait analyser et codifier. On sait que cela, c’est-à-dire le
souci de parler efficace, a conduit à la rhétorique d’Aristote (384-322 av. J.-C.) qui a
exercé une influence considérable sur la culture occidentale. Cette approche a fait du
langage un instrument d’agir sur autrui (les sophistes excellaient dans la maîtrise de cet
art). Parallèlement, s’est développée une autre réflexion tentant d’articuler langage et
vérité, il s’agissait de mettre en relation les structures du langage et les propositions par
lesquelles l’esprit est en mesure d’énoncer des jugements vrais ou faux sur le monde. Sur
ce point aussi, il convient de citer l’œuvre d’Aristote qui insista sur la complémentarité
entre « sujet » et « prédicat ».
Plus tard, avec les grammairiens d’Alexandrie, va se dégager une réflexion plus soucieuse
de l’articulation des langues naturelles. On peut considérer, par exemple, Denys de Thrace
(170-90 av J.-C.) comme l’auteur de la première grammaire systématique de la culture
occidentale. Il y distingue 8 parties du discours (article, nom, pronom, verbe, participe,
adverbe, préposition, conjonction). Mais, pour les grammairiens d’Alexandrie, l’intérêt
pour la langue est lui-même lié à un intérêt philologique : rendre lisible les textes littéraires
prestigieux et – l’œuvre d’Homère (vers 850 av J.-C.) par exemple, tentait de répondre à
cet objectif.
Avec l’apparition du christianisme, l’analyse textuelle va se concentrer sur l’interprétation
de l’Ecriture. Ainsi se développa une théorie herméneutique qui tentait d’expliquer
comment il fallait interpréter la parole de Dieu. La préoccupation philologique céda ainsi le
pas à un intérêt proprement théologique.
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Foued Laroussi
Aussi les Grecs ont-il légué deux des grands débats de philosophie du langage qui ont
influencé toute la culture occidentale. Le premier débat oppose « analogistes » et
« anomalistes » : les premiers pensent que la structure de la langue est cohérente, régulière
et, par conséquent, peut faire l’objet d’une science ; les seconds y voient, eux, seulement le
résultat de la fixation d’un ensemble d’usages arbitraires. Le second débat oppose les
tenants d’une relation naturelle entre les mots et la réalité (tel mot a tel sens parce qu’il est
composé de tels sons) à ceux qui, comme Aristote, pensent que le rapport entre les signes
et ce qu’ils désignent (leur référent) est conventionnel, immotivé.
Avec la Renaissance et le rationalisme classique, on assiste à un double mouvement :
enrichissement des connaissances linguistiques et rationalisation de la grammaire. D’une
part, on étend le champ d’investigations, puisque au grec et au latin vont s’ajouter les
langues des peuples européens, d’autre part, l’exigence rationnelle a renforcé l’analyse des
rapports entre la pensée et le langage, considéré comme la représentation de celle-là. Ces
investigations ont connu leur point culminant avec la Grammaire générale et raisonnée de
Port-Royal (1660).
La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe constituent un tournant décisif dans l’histoire de
la linguistique comme une science proprement dite. On découvre une parenté entre le grec,
le latin, le sanskrit et les langues germaniques : on fait alors l’hypothèse que toutes ces
langues dérivent d’une langue-mère qu’on appela « l’indo-européen ». Deux grands noms
s’illustrent dans cette entreprise de comparaison entre les langues : le Danois R. Rask
(1787-1832) et l’Allemand F. Bopp (1791-1867). La grammaire comparée a eu des
conséquences très importantes surtout sur la démarche du linguiste : comparer des langues
dont les formes semblent, d’un point de vue phonétique, très différentes pour faire
apparaître des invariants cachés et des ressemblances structurelles, c’est privilégier
l’abstraction par rapport aux données linguistiques immédiates. C’est aussi introduire une
idée capitale, celle de loi. Autrement dit, il ne suffit pas, pour montrer la parenté entre deux
langues, de dégager des ressemblances entre elles, mais surtout de construire la règle qui
permet le passage de l’une à l’autre.c
Sans s’attarder sur les détails des investigations de la grammaire comparée – ce n’est pas
l’objet de ce cours – on peut dire que l’objectif de ces recherches étaient double :
reconstituer l’indo-européen (langue-mère hypothétique) et expliquer par des lois
phonétiques toutes les transformations qu’elles a subies et qui ont provoqué la
diversification des langues composant cette famille. Mais en traitant la langue comme un
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Histoire de la linguistique
objet physique, soumis à des évolutions naturelles, cette démarche tend à éliminer la
dimension psychologique et sociale du langage.
« Que doit, que devrait être en effet l’histoire de la linguistique générale ? Elle a souvent été conçue jusqu’ici
comme l’histoire de la transmission des idées et des théories linguistiques, des principes et des méthodes :
c’est-à-dire une histoire des sources, des influences, des généalogies intellectuelles. » (p. 5)
L’auteur conçoit l’histoire de la linguistique comme « une histoire du développement de l’analyse
du langage en parties du discours (…) mais en prenant bien garde à ne pas poser que toute thèse une fois
émise est un jalon dans la direction des recherches ultérieures, tout ancêtre un précurseur, toute esquisse une
prémonition. » (pp.5-6).
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Foued Laroussi
Avec toute la prudence nécessaire, on peut avancer qu’on a besoin d’une histoire qui nous
éclaire sur les conditions dans lesquelles est née et s’est développée la discipline qui nous
occupe, à savoir la linguistique. L’objectif n’est pas l’étude scientifique du langage en lui-
même et pour lui-même mais pour éclairer d’une lumière toujours actuelle les
conditionnements propres à nos recherches d’aujourd’hui. A cela, il faut ajouter que
chaque époque, chaque nation, chaque civilisation écrivent l’histoire à partir de leur propre
point de vue ; ce qui implique que toute histoire s’avère une interprétation et par
conséquent on se doit toujours de relativiser les faits relatés. Ainsi toute la période
chrétienne jusqu’au XVIIIe siècle a été marquée par la pression d’une thèse théologique,
celle de l’hébreu langue mère de toutes les autres : concernant le langage, seule la
recherche des origines était alors digne d’intérêt. Aussi tout le XIXe siècle n’a-t-il pas vécu
sous la domination du point de vue historiciste ; la seule recherche digne d’efforts
concernant les langues était celle de leur histoire, de leur évolution, de leur filiation.
On a déjà énoncé que toute histoire est en quelque sorte une interprétation. Pourquoi
propose-t-on alors ce cours consacré à l’histoire de la linguistiques ? Deux objectifs sont
visés : aussi sommaire soit-il il apporte une masse d’informations sur l’histoire des idées,
les principes et les méthodes en linguistique. D’un point de vue proprement didactique, il
vise à familiariser les étudiants aux différentes théories linguistiques, aux principaux
courants majeurs et surtout aux éventuelles filiations entre eux.
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Histoire de la linguistique
2. La rupture épistémologique
Le succès qu’a connu la grammaire au XIXe (surtout dans l’étude des langues indo-
européennes) a été tel que pendant longtemps les investigations linguistiques ont été
réduites aux études historiques et comparatives. Ces recherches avaient pour fondement la
croyance à la désorganisation progressive des langues sous l’influence des lois
phonétiques, elles-mêmes liées à l’activité de communication. Cette thèse est mise en
question par Saussure, qui après la publication de son Mémoire sur le système primitif des
voyelles dans les langues indo-européennes (1879), abandonne presque totalement les
recherches de linguistique historique, trouvant leur fondement incertain. Pour lui, en
attendant une refonte d’ensemble de la linguistique, il fallait suspendre les recherches en
linguistique historique. Et c’est lui même qui se chargera de cette refonte.
Si la langue, comme semblent le concevoir les comparatistes, doit représenter une structure
de la pensée, laquelle existerait indépendamment de toute mise en forme linguistique, pour
Saussure, la langue est fondamentalement un instrument de communication. Si, pour les
comparatistes, l’unité du radical et des éléments grammaticaux, dans le mot, représente
l’unité de l’acte intellectuel soumettant l’expérience aux formes a priori de l’esprit, pour
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Foued Laroussi
Saussure, cette thèse est insoutenable : si chaque langue, à chaque moment de son
inexistence, présente une certaine forme d’organisation, ce n’est certainement pas l’effet
d’une fonction préexistant à sa fonction de communication.
3. 2. L’objet de la linguistique
Pour Saussure, l’objet de la linguistique résulte d’un point de vue :
« Bien loin que l’objet précède le point de vue, on dirait que c’est le point de vue qui crée l’objet, et d’ailleurs
rien ne nous dit d’avance que l’une de ces matières de considérer le fait en question soit antérieure ou
supérieure aux autres. » (ibid. : 23).
Il en résulte que les faits de langage ne sont pas extérieurs à l’expérience humaine, mais en
font partie, en sont même le produit, puisque le langage est une activité de l’homme. Pour
lui, le langage étant une activité humaine plus vaste et moins spécifique que la langue,
l’objet de la linguistique est la langue et non le langage.
Il définit la langue comme « le produit social dont l’existence permet à l’individu
l’exercice de la faculté du langage ».
« Mais qu’est-ce que la langue ? Pour nous, elle ne se confond pas avec le langage ; elle n’en est qu’une
partie déterminée, essentielle, il est vrai. C’est à la fois un produit social de la faculté du langage et un
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Histoire de la linguistique
ensemble de conventions, adoptées par le corps social pour permettre l’exercice de cette faculté chez les
individus. Pris dans son tout, le langage est multiforme et hétéroclite ; à cheval sur plusieurs domaines, à la
fois physique, physiologique et psychique, il appartient encore au domaine individuel et au domaine social ;
il ne se laisse classer dans aucune catégorie des faits humains, parce qu’on ne sait comment dégager son
unité.
La langue, au contraire, est un tout en soi et un principe de classification. Dès que nous lui donnons la
première place parmi les faits de langage, nous introduisons un ordre naturel dans un ensemble qui ne se
prête à aucune autre classification. » (p.25)
« La langue est un système de signes exprimant des idées, par là comparable à l’écriture, à l’alphabet des
sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc., etc. Elle est
seulement le plus important de ces systèmes. » […] La linguistique n’est qu’une partie de cette science
générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi
rattachée à un domaine bien défini dans l’ensemble des faits humains. » (p. 33).
Comme on peut le voir dans le C.L.G., la langue est un fait social. Elle est aussi marquée
par « l’essentiel », « le permanent » ; elle est « collective », puisqu’elle est partagée par
l’ensemble des membres de la communauté. Quant à la parole, elle est « individuelle ,
« somme » de ce que les locuteurs disent, « psychologique », « non collective ».
« Notre définition de la langue suppose que nous en écartions tout ce qui est étranger à son organisme, à son
système, en un mot tout ce qu’on désigne par le terme de « linguistique externe ». Cette linguistique-là
s’occupe pourtant de choses importantes, et c’est surtout à elles que l’on pense quand on aborde l’étude du
langage ». (p.40)
Saussure désigne par « linguistique externe » toutes les disciplines (ethnologie, histoire
politique, géo-linguistique, dialectologie, pour ne citer que celles-là) qui décrivent les liens
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Foued Laroussi
que la langue peut avoir avec ce qui est en dehors d’elle même. La linguistique externe ne
rend pas compte du fonctionnement interne et autonome de la langue.
« Pour la linguistique interne, il en va tout autrement […] La langue est un système qui ne connaît que son
ordre propre. » (p.43).
4. Langue/parole
4.1. Caractéristiques de la langue et de la parole
1. « Elle est un objet bien défini dans l’ensemble hétéroclite des faits de langage […] Elle est la partie sociale
du langage extérieur à l’individu, qui à lui seul ne peut ni la créer ni la modifier ; elle n’existe qu’en vertu
d’une sorte de contrat entre les membres de la communauté » […]
2. « La langue, distincte de la parole, est un objet qu’on peut étudier séparément » […]
3. « Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi délimitée est de nature homogène : c’est un système
de signes où il n’y a d’essentiel que l’union du sens et de l’image acoustique, et où les deux parties du signe
sont également psychiques » (pp. 31-32).
« L’étude du langage comporte donc deux parties : l’une essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale
dans son essence et indépendante de l’individu […] l’autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du
langage, c’est-à-dire la parole y compris la phonation : elle est psycho-physique » (p.37).
« On peut à la rigueur conserver le nom de linguistique à chacune des deux disciplines et parler d’une
linguistique de la parole. Mais il ne faut pas la confondre avec la linguistique proprement dite, celle dont la
langue est l’unique objet. » (p.39).
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Histoire de la linguistique
« Langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts ; l’unique raison d’être du second est de
représenter le premier ; l’objet linguistique n’est pas défini par la comparaison du mot écrit et du mot parlé ;
ce dernier constitue à lui seul cet objet. » (p. 45).
Il faut étudier les sons de la langue, « substituer tout de suite le naturel à l’artificiel »
(p.55). C’est le but de la phonologie qui permet d’échapper « aux illusions de l’écriture »
(p.56). Il distingue ainsi la phonétique – qu’il conçoit comme « une science historique » –
de la phonologie qu’il situe « en dehors du temps »
5. Le signe
5.1. langue et réalité/pensée
Pour Saussure, la langue n’est pas le reflet de la réalité. Les mots ne sont pas des étiquettes
mises sur les réalités du monde. De la même manière, la langue ne traduit pas la pensée qui
aurait une forme antérieure à elle.
« Pour certaines personnes la langue, ramenée à son principe essentiel, est une nomenclature, c’est-à-dire une
liste de termes correspondant à autant de choses […] Cette conception est critiquable à bien des égards. Elle
suppose des idées toutes faites préexistant aux mots. » (p.97).
« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette
dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la
représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle et s’il nous arrive de
l’appeler ‘matérielle’ c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le
concept généralement plus abstrait. » (p.98).
Si Saussure insiste sur le caractère non matériel de l’image acoustique (bien que concret),
cette insistance est capitale pour la distinction entre phonétique et phonologie, la première
comme science du son matériel, la seconde comme science de l’image acoustique.
Il suggère ensuite de remplacer concept et image acoustique par signifié et signifiant :
« Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image
acoustique par signifié et signifiant. » (p.99).
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« Le mot arbitraire […] ne doit pas donner l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant
[…] ; nous voulons dire qu’il est immotivé, c’est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n’a
aucune attache dans la réalité .» (p.101).
Par exemple, l’idée de « papa » n’a pas de lien particulier avec la suite de sons [papa]. Et
les signifiants dans les autres langues le confirment, puisqu’on dit [fātr], en allemand,
[fāθr], en anglais, ou [ab], en arabe. Mais pour lui, le signe linguistique est différent du
symbole où « il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié » (p.101). Si
la balance est le symbole de la justice ou de l’égalité, c’est à cause de l’équilibre de ses
deux plateaux, l’un portant la chose à peser, l’autre le poids marqué ; ici le lien est
analogique.
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Histoire de la linguistique
6. Le système
6.1.Nature du système
La notion de « système » est l’une des notions les plus importantes dans le CLG. Pour bien
l’expliquer, Saussure use de la métaphore du jeu d’échecs ou de celle des pavillons :
« […] Quand un pavillon flotte au milieu de plusieurs autres […], il a deux existences : la première est d’être
une pièce d’étoffe rouge ou bleue, la seconde est d’être un signe ou un objet, compris comme doué d’un sens
par ceux qui l’aperçoivent. ».
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Foued Laroussi
définissables, non pas par leur description isolée et diachronique (conformément aux
méthodes de la grammaire comparée), mais par leur place et leurs relations à l’intérieur du
système. Les unités de la langue n’ont aucune caractéristique propre, en dehors des
relations qu’elles entretiennent avec les autres unités, relations que Saussure définit comme
des oppositions négatives.
« Mais pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phénomènes relatifs au
même objet, nous préférons parler de linguistique synchronique et de linguistique diachronique. Est
synchronique tout ce qui se rapporte à l’aspect statique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux
évolutions. De même synchronie et diachronie désigneront respectivement un état de langue et une phase
d’évolution. »
Le langage
↓
langue + parole
↓
synchronie + diachronie
Saussure n’évacue pas la linguistique diachronique mais distingue bien les deux
approches ; l’exclusion de l’approche diachronique n’est pas faite en soi mais par rapport à
la définition de la linguistique synchronique.
6.4. La Valeur
Pour Saussure, chaque unité linguistique du système acquiert sa valeur par opposition à
une autre unité du système.
« […] L’entité linguistique n’est complètement déterminée que lorsqu’elle est délimitée, séparée de tout ce
qui l’entoure sur la chaîne phonique. Ce sont ces entités délimitées ou unités qui s’opposent dans le
mécanisme de la langue » (p.144).
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Histoire de la linguistique
Le terme « opposition » est ici fondamental, car ce sont les jeux d’opposition qui
permettent de doter les signes d’une valeur. Saussure s’appuie sur la synonymie pour
expliquer la notion de valeur :
« Dans l’intérieur d’une même langue, tous les mots qui expriment des idées voisines se limitent
réciproquement : des synonymes comme redouter, craindre, avoir peur n’ont de valeur propre que par leur
opposition ; si redouter n’existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents. » (p.160).
Saussure donne à la valeur une définition négative : « leur plus exacte caractéristique est
d’être ce que les autres ne sont pas » (p.162).
« D’une part, dans le discours, les mots contractent entre eux, en vertu de leur enchaînement, des rapports
fondés sur le caractère linéaire de la langue, qui exclut la possibilité de prononcer deux éléments à la fois […]
Ces combinaisons qui ont pour support l’étendue peuvent être appelées des syntagmes. » (p.170).
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importante, puisque les positions grammaticales des éléments sont identiques) qui ne
reposent pas uniquement sur un point commun mais qui s’organisent en séries construites
selon le type de rapport pris en compte : par exemple ; la série change, changer,
changement repose sur un radical commun, la série changement, débarquement,
enterrement repose sur un suffixe commun ; la série route, chemin, sentier, passage repose
sur « la seule analogie des signifiés » (p.174).
Les rapports associatifs sont dotés des caractéristiques suivantes : in absentia, autrement
dit, sans présence effective dans la chaîne parlée, la série étant établie virtuellement dans la
mémoire, l’ordre de succession est indéterminé, puisqu’il n’y a aucune contrainte de
linéarité ; le nombre des éléments est indéterminé (sauf pour les séries flexionnelles, par
exemple, où les formes de conjugaison sont en nombre fixe).
7. A propos de Saussure
Le CLG a été accueilli différemment par la communauté des linguistes. Cela a sans doute
été, pour eux, l’occasion de marquer leur position dans le champ théorique.
Antoine Meillet, par exemple, sans mettre en cause « la conscience et le talent des
rédacteurs » du CLG – Bally et Sechehaye – ni la « fidélité » avec laquelle ils ont rendu la
parole du maître de manière générale, met en doute le propos tel qu’il a été restitué :
« […] Quant à la forme, on a l’impression de l’enseignement de Saussure, mais schématisé […] Les
objections que l’on est tenté de faire tiennent à la rigueur avec laquelle les idées générales qui dominent le
cours sont poursuivies. » (1978 : 164-165)1.
Pour Schuchardt (1917), c’est par son « systématisme » que pêche le CLG. Selon cet
auteur, Saussure a relégué au second plan l’intérêt pour les faits concrets.
« Saussure n’a pas commencé par le véritable commencement, c’est-à-dire par la seule représentation
concrète ici accessible, celle de la langue individuelle ; la langue globale est quelque chose d’abstrait tout
comme l’âme collective face à l’âme individuelle » (ibid. : 175).
Les distinctions posées par Saussure sont dénoncées comme inopérantes telle l’opposition
synchronie / diachronie. Pour Schchardt encore, « alors que les faits synchroniques
devraient être déterminés par la synchronie, c’est l’inverse qui semble plutôt s’imposer :
‘ un état absolu se définit par l’absence de changements’. Du coup toute opposition
disparaît entre synchronie et diachronie. » (p.178).
1
Normand C. et al., 1978, Avant Saussure. Choix de textes (1875-1924), Bruxelles, Complexe.
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Histoire de la linguistique
« Saussure a été le premier à mettre au jour la carte du monde dans lequel la grammaire comparée historique
de l’indo-européen n’est rien qu’une simple province ; il nous a donné la base théorique pour une science du
langage. » (ibid. : 198).
8. Du système à la structure
Dans la théorie linguistique, la mise en circulation du concept de système a précédé
l’emploi du concept de « structure ». Comment doit-on comprendre cette corrélation et
quels sont ses enjeux ? Le terme « système » (du grec sustema) désigne un assemblage, et
depuis le XVIIe siècle, un ensemble constituant un tout organique. C’est à peu près dans le
même sens que Saussure l’utilise quand il définit la langue comme un « système de
signes ». Mais cette définition générale ne dit rien de la manière dont est organisé le « tout
organique » que constitue un système donné. Et c’est là qu’intervient précisément le
concept de structure qui désigne un certain type de rapport entre les éléments composant le
« tout organique en question ». Il faut préciser que les deux termes font état d’une relation
de complémentarité, voire d’inclusion : la dichotomie système / structure réfère non
seulement à la possibilité d’un tout doté d’autonomie mais aussi à un tout doté d’un mode
d’organisation propre auquel il doit son autonomie. En philosophie des sciences, la
définition du concept de structure fait appel à un certain type de règles ou de contraintes.
La structure désigne ainsi un ensemble de phénomènes solidaires : chaque élément dépend
des autres et ne peut être ce qu’il est que dans et par relation avec eux.
Au delà de cette discussion théorique sur les enjeux terminologiques, on peut dire que les
différents courants du structuralisme en linguistique constituent autant d’interprétations
productives du concept saussurien de système. Dans chaque cas, il s’est agi d’axer la
théorie avec les programmes de recherche qu’ils impliquent sur les différents niveaux
d’organisation de la langue.
Par ailleurs, Ducrot (1968), dans Le structuralisme en linguistique, apporte une
contribution éclairante au concept de structure :
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Foued Laroussi
« Si l’on entend par structure toute organisation régulière, la recherche des structures linguistiques est aussi
vieille que l’étude des langues. Dès que celles-ci sont devenues objets de description, dès que les
grammairiens ont entrepris de démonter l’instrument linguistique […], on s’est aperçu que chacune d’elle
possède une organisation. » (p17).
Ducrot en dégage deux étapes fondamentales qui, selon lui, correspondent à deux grandes
conceptualisations qui sont à l’origine du développement d’une science du langage : la
constatation que chaque langue possède une « organisation » et que celle-ci lui est propre
et « ne se fonde sur rien d’extérieur » (cette idée a commencé à être achevée au XIXe
siècle). Pour Ducrot, le « moment saussurien consiste à revendiquer, pour cette
organisation, une réalité et une certitude au moins égales à celles des éléments. » (ibid. :
60).
On peut dire enfin que la redéfinition en extension du concept de structure va constituer
l’identité et l’orientation que va prendre chaque courant théorique en linguistique.
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Histoire de la linguistique
« L’école néo-grammairienne […] croyait fermement que la seule méthode véritablement scientifique dans la
recherche en linguistique était la méthode historique, et tout ce qui ne se conformait pas à cette méthode
tombait sous l’accusation de grammaire descriptive. Une linguistique plus récente en est venue à reconnaître
qu’à côté de l’approche historique ou diachronique, il existe des raisons scientifiques équivalentes de prôner
une approche non historique, synchronique, des recherches dans une langue donnée et à une époque donnée,
sans prise en compte de son état antérieur. Car seule une analyse du complexe entier de phénomènes se
produisant simultanément à un moment donné nous permet de saisir leur interdépendance synchronique qui
les rattache au système linguistique. » (1983 :121-122).
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A la fin de son article, V. Mathesius souligne combien sont étroits les liens de la
linguistique pragoise avec la production littéraire :
« Sur la question de la corrélation de la langue, le linguiste qui a un point de vue fonctionnel sur la langue
marche main dans la main avec l’artiste qui produit des créations linguistiques. Ce n’est pas un hasard. Cette
relation étroite entre la nouvelle linguistique et les belles lettres s’avère profitable même dans d’autres
domaines. » (ibid. : 139)
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Histoire de la linguistique
régularité absolue – céder le pas à la notion de l’enchaînement selon des lois des faits évolutifs
(nomogenèse) ».
La deuxième thèse jette les premières bases de la phonologie pragoise : une théorie du mot
et une théorie syntaxique. Le son comme phénomène physique constitue l’objet de la
phonétique alors que le son considéré dans ses fonctions (le phonème) fait l’objet de la
phonologie.
La troisième thèse intitulée « Problèmes des recherches sur les langues de diverses
fonctions » présente d’abord la notion centrale de fonction de la langue et fait ensuite un
certain nombre de propositions sur respectivement les langues littéraire et poétique.
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Histoire de la linguistique
(c) La fonction conative, orientée vers le destinataire : l’énoncé est destiné à agir sur l’interlocuteur.
(d) La fonction phatique : l’énoncé dit le contact entre le locuteur et l’interlocuteur, il s’agit d’un message
qui sert « essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit
fonctionne… » (p.217).
(e) La fonction métalinguistique : l’énoncé donne des renseignements sur la façon dont il est produit, sur le
code dans lequel il est produit. « Chaque fois que le destinataire et/ou le destinateur jugent nécessaire de
vérifier s’ils utilisent bien le code, le discours est centré sur le code : il remplit une fonction
métalinguistique (ou de glose). » (p. 217-218).
(f) La fonction poétique : l’énoncé constitue une production qui est dotée d’une valeur en tant que telle ; « la
fonction poétique met en évidence le côté palpable des signes » (p.218).
Jakobson précise qu’un message ne relève pas strictement d’une seule fonction, mais de
plusieurs, avec une dominante. Il existe une hiérarchie des fonctions dans les énoncés
produits.
En général, deux reproches sont faits à cette classification : 1) chacune des fonctions ne
s’appuie pas forcément sur des éléments structurels spécifiques du langage. Il est difficile
de trouver des critères proprement linguistiques pour différencier les fonctions. Soit les
deux énoncés suivants : « l’eau est un liquide incolore et inodore » et « in situ est une
locution adverbiale latine », ils ont la même structure mais aucune marque linguistique ne
permet de dire que le premier relève de la fonction référentielle alors que le second de la
fonction métalinguistique. 2) On retrouve aussi ces fonctions dans des systèmes de
communications non linguistiques ; ces fonctions ne sont donc pas spécifiques des langues
naturelles.
2. Le développement de la phonologie
Nicolas Sergueevitch Troubetskoy (1890-1938)
Son père était professeur de philosophie à l’Université de Moscou. A 13 ans, le fils étudiait
l’ethnographie finno-ougrienne, à 14 ans, il assistait à toutes les séances de la Société
ethnographique de Moscou et à 15 ans, il publiait ses deux premiers articles. A 17 ans, il
étudiait les langues paléo-sibériennes tout en s’intéressant à l’ethnologie, à la sociologie et
à la philosophie de l’histoire. Il entre à l’université de Moscou en 1908 mais aussitôt déçu
par le niveau « alchimique » de ces disciplines, il décide de suivre les cours de grammaire
comparée, car persuadé que c’était la seule branche des sciences humaines possédant une
méthode scientifique positive. En 1913, il décide de préparer sa thèse de doctorat sur le
futur en indo-européen, thèse qu’il soutiendra en 1916 (la même année où Bally et
Sechehaye publiaient le CLG de F. de Saussure). Plus tard, il sera chargé de cours à
23
Foued Laroussi
24
Histoire de la linguistique
« Ce qui caractérise particulièrement la phonétique, c’est qu’en est tout à fait exclu tout rapport entre le
complexe phonique étudié et sa signification linguistique » (1964 : 11)2.
Quant à la phonologie, elle « doit rechercher quelles différences phoniques sont liées, dans la langue
étudiée, à des différences de signification, comment les éléments de différenciation (ou marques) se
comportent entre eux et selon quelles règles ils peuvent se combiner les uns avec les autres pour former des
mots ou des phrases. » (ibid. : 11).
Les objets du phonéticien et du phonologue ne sont donc pas les mêmes : si le phonéticien
travaille sur « la face matérielle des sons du langage humain » (p.11), le phonologue, lui,
observe le son en tant qu’il remplit une fonction dans le système de la langue, fonction qui
est destinée à produire du sens.
« La phonétique actuelle se propose d’étudier les facteurs matériels des sons de la parole humaine : soit les
vibrations de l’air qui leur correspondent, soit les positions et les mouvements des organes qui les produisent.
Par contre, ce que veut étudier la phonologie actuelle, ce ne sont pas les sons, mais les phonèmes, c’est-à-dire
les éléments constitutifs du signifiant linguistique, éléments incorporels, puisque le signifiant lui-même est
incorporel (d’après F. de Saussure). » (p.148).
2
On réfère ici à l’édition de 1964 (traduction française de J. Cantineau), Klincksieck.
25
Foued Laroussi
différents : le /r/ apical (dit roulé), noté [r], le /r/ uvulaire (dit grasseyé), noté [R] et le /r/
central, noté [Я ]. On dit alors que [r], [R] et [Я] sont des variantes du phonème /r/.
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Histoire de la linguistique
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Foued Laroussi
3.1. L’axiomatisation
Il développe une théorie qui se présentera comme une axiomatisation des principales
conceptions du CLG. Il analyse la langue comme un ensemble de fonctions (au sens
mathématique), ou de rapports entre différentes variables du même processus :
« On doit affirmer que chaque processus peut être analysé en un nombre limité d’éléments qui servent
constamment dans différentes combinaisons […]. En se basant sur cette analyse, il devrait être possible de
ranger ces éléments en classes, selon leurs possibilités de combinaison. Et il devrait en outre être possible de
faire un compte général et exhaustif des combinaisons possibles » (1935 : 2).
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Histoire de la linguistique
De manière générale, Hjelmslev conçoit la théorie du langage dans les termes d’une
« algèbre de la langue, qui opère avec des entités sans nom, i.e. avec des entités
arbitrairement nommées et qui n’ont pas de désignation naturelle. Abstraite dans son
principe, la théorie doit être indépendante de toute expérience ; « les faits expérimentaux
ne peuvent jamais renforcer la théorie même, mais seulement son applicabilité ». La
théorie est essentiellement prédictive, car elle « doit servir à prédire […] n’importe quel
texte composé dans n’importe quelle langue », elle est susceptible d’une application « à
des langues qui ne sont peut-être jamais réalisées et dont certaines ne se réaliseront peut-
être jamais ».
La glossématique est donc caractérisée par une forte volonté de théorisation et de
conceptualisation. Ce courant exercera une grande influence sur le développement de la
sémiotique européenne et nord-américaine. En France, il suscitera le fonctionnalisme de
Martinet, et sera l’une des références majeures de l’école de Paris.
4 Le structuralisme américain
4.1. Edouard Sapir (1884-1939)
Sapir est Germano-Américain, né à Lauenbourg, et venu aux Etats-Unis à l’âge de cinq
ans. Il a fait toutes ses études à New York, et les a achevées à l’Université de Columbia où
voulait se préparer à une carrière de germaniste (1900-1904). Là il fait la connaissance de
l’ethnologue et linguiste Franz Boas (1858-1942), l’un des grands maîtres de la
linguistique comparée, et va suivre ses cours, ce qui va radicalement modifier son
itinéraire. En 1909, il obtient son Ph. D. (doctorat de philosophie). Mais dès 1907-1908, il
travaille comme ethnologue à l’Université de Californie où il prend contact avec la langue
amérindienne yana. De 1908 à 1910, il enseigne à l’Université de Pennsylvanie, où il
s’intéresse à une autre langue, le païute. A 26 ans, de 1910 à 1925, il devient le directeur
du Département d’Anthropologie du Canadian National Museum d’Ottawa où il a
l’occasion d’étudier d’autres langues amérindiennes, le nootka, l’athabaskan et le tlingit.
Il participe à plusieurs expéditions ethnographiques et fait de longs séjours parmi les tribus
indiennes. De 1925 à 1931, il enseigne l’anthropologie et la linguistique à l’Université de
Chicago, puis de 1931 à 1934, à l’Université de Yale. Il meut en 1939, à 55 ans.
Outre ses publications sur les langues amérindiennes, en 1921, il publie son ouvrage
Language (traduit en français en 1953, Payot), ouvrage qui reste l’un des traités
fondamentaux de la linguistique de la première moitié du XXe siècle.
29
Foued Laroussi
Sapir est l’un des grands spécialistes de la linguistique amérindienne. Les langues
amérindiennes ont joué un grand rôle dans l’élaboration de sa théorie de linguistique
générale, mais c’est à cette théorie même qu’il doit la place qu’il occupe parmi les
linguistes du XXe siècle.
« Je découvris qu’il était difficile ou impossible d’apprendre à un Indien à établir des distinctions phonétiques
qui ne correspondaient à rien dans le système de son langage, même si ces distinctions frappaient nettement
notre oreille objective ; mais que des variations phonétiques subtiles, à peine perceptibles, étaient aisément et
rapidement traduites en écriture, à condition qu’elles puissent se rapporter exactement aux caractéristiques de
son système indien. En regardant mon interprète nootka transcrire son langage, j’ai eu souvent la sensation
bizarre qu’il transcrivait le flot idéal d’éléments phonétiques qui lui parvenait, assez peu exactement d’un
point de vue objectif, comme étant pour lui l’esprit même des bruits tangibles de la parole. »
30
Histoire de la linguistique
(Le Langage, p. 59). Pour lui, la linguistique est l’étude des formes. « Nous sommes obligé
de conclure que la forme linguistique peut et doit être étudiée en tant que système, en
faisant abstraction des fonctions qui s’y rattachent » (Ibid., p. 60).
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Foued Laroussi
32
Histoire de la linguistique
réponse qu’il formule comme suit : S-r-s-R (S est le stimulus externe qui pousse
stimulus s qui provoque en retour une réponse R). On peut symboliser les deux moyens
humains de répondre à un stimulus par ces deux schémas :
Réaction sans parole : S → R
Réaction avec parole (qui se fait par l’intermédiaire du langage) : S→ r → s → R
Il est important de noter que S et R sont des « événements pratiques » appartenant au
monde extralinguistique ; seuls r et s constituent l’acte linguistique que Bloomfield appelle
« discours ».
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Foued Laroussi
description est donc considérée comme impossible car la saisie de cet ensemble est
impossible.
Etudier une langue, c’est donc réunir un corpus, c’est-à-dire un ensemble d’énoncés
effectivement émis, dans le but de faire apparaître des régularités formelles, sans prise en
compte de l’aspect sémantique. Le seul concept considéré comme valide dans l’analyse est
celui du contexte linéaire ou d’environnement.
« Les traits de disposition grammaticale apparaissent sous des combinaisons variées, mais on peut
généralement les isoler et les décrire séparément. Un trait simple de disposition grammaticale est un trait
34
Histoire de la linguistique
grammatical ou taxème. Un taxème est à la grammaire ce qu’un phonème est au lexique – c’est-à-dire la plus
petite unité de forme. » (1933 : 157).
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Foued Laroussi
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Histoire de la linguistique
Il existe deux plans dans la langue, le plan des éléments phonologiques et celui des
éléments morphologiques : tout énoncé peut être décrit comme combinaison d’éléments
phonématiques et d’éléments morphématiques.
Aussi pour les éléments morphématiques, Harris propose une définition qui ne tienne pas
compte du sens. Il faut signaler ici que le sens américain du terme morphème est différent
de celui qui a cours en Europe ; il s’agit d’un équivalent approximatif du signe
linguistique.
1.2.2. La distribution
La notion de distribution repose sur celle d’environnement. Soit un élément A : dans un
énoncé, il est environné d’éléments à sa droite et à sa gauche, appelés des co-occurents.
Ceux-ci constituent la sélection de A dans l’énoncé en question. Harris donne l’exemple
suivant : I tried, noté phonétiquement [ay#trayd]. Il explique :
« l’environnement du phonème /a/ consiste en l’ensemble des phonèmes /tr—yd/, ou, si les intonations
phonémiques sont prises en compte, /tr—yd/ : plu /./, ou plus complètement /ay#tr—yd/ » (1947 : 15).
37
Foued Laroussi
Sur le plan morphémique, l’environnement du morphème try est I—ed. La somme de tous
les co-occurrents de A observés dans les énoncés recueillis dans un corpus constitue la
distribution de A. Harris donne du concept la définition suivante :
« La distribution d’un élément est la somme de tous les environnements dans lesquels il apparaît, c’est-à-dire
la somme de toutes (différentes) positions (ou occurrences) d’un élément relatives à l’occurrence d’un autre
élément » (Ibid : 16).
On peut également définir la distribution au moyen d’une autre opération, à savoir la
substitution : si un élément A peut se substituer à B dans les mêmes environnements, on dit
que A et B ont la même distribution. Substitution et distribution sont donc étroitement
liées.
« Dans tout matériel linguistique, les unités, ou du moins les segments initiaux, peuvent être ordonnés
linéairement. Chaque discours est une séquence de phonèmes. De façon plus précise, cela revient à dire que
chaque morphème est une séquence de phonèmes, chaque mot une séquence de morphèmes, chaque phrase
une séquence de mots, et chaque discours une séquence de phrases » (1971 : 10).
On obtient le schéma suivant : Phonème→morphème→mot→phrase→discours.
Son projet distributionnel est renouvelé par la notion de transformation. Conformément à
la méthode descriptive appliquée aux unités de la langue et à leur relation distributionnelle,
il part de l’observation des phrases pour proposer ensuite une formalisation possible. Il ne
cherche pas à rendre compte de la totalité des phrases productibles, mais à distinguer les
combinaisons de segments formant des phrases acceptables de celles qui n’en forment pas.
Pour lui, « toutes les combinaisons d’éléments ne constituent pas un discours ».
38
Histoire de la linguistique
Les phrases d’une langue peuvent être analysées et classées à partir de quelques opérations
formelles appliquées aux structures de phrases dites de base (en anglais kernels, « phrases-
noyaux »). Par exemple, la phrase suivante : Cette théorie a été conçue par un
astrophysicien peut être analysée comme la transformation passive de la phrase
originelle : Un astrophysicien a conçu cette théorie. Cette procédure permet de rendre
compte de la production de phrases complexes en les décomposant en phrases simples. Soit
la phrase : Jean informe que le train est arrivé peut se décomposer en : Jean informe ; le
train est arrivé, qui produisent la phrase complexe par subordination. Harris propose une
typologie de douze transformations possibles (transformation passive, subordination,
substitution pronominale…).
Ce travail ne peut se faire sur toutes les phrases de la langue, et il n’est pas question pour
Harris de proposer une description exhaustive des phrases d’une langue, et encore moins
un modèle abstrait de génération exhaustive des phrases (projet qui sera plus tard celui de
Chomsky) ; il s’agit de ramener la diversité et la complexité apparentes des phrases à des
combinaisons de phrases simples qui, elles, sont en nombre fini. Pour lui, la transformation
est un outil d’ordonnancement de la langue.
On dit que le milieu de l’automne et la fin du mois d’octobre sont équivalents car ils
apparaissent dans le même environnement. On fait le même constat pour Les premiers
39
Foued Laroussi
froids arrivent et Nous commençons à chauffer. Ces éléments sont dits appartenir à la
même classe d’équivalence.
L’analyse de discours de Harris a pour but de montrer que les phrases ne s’enchaînent pas
arbitrairement, qu’il existe une grammaire de cet enchaînement, différente de la grammaire
de la langue, mais dont l’analyse distributionnelle peut rendre compte.
40
Histoire de la linguistique
2.1.1. Le tagmème
Pike définit l’unité comme l’association du trait (feature), définissable par opposition aux
autres unités, de la manifestation (réalisation dans le discours) et de la distribution (rôle
dans les unités plus larges). Il résume sa définition dans la formule suivante : U= FMD.
Les unités du langage peuvent être observés sous l’angle de leurs traits, celui de leur
manifestation et celui de leur distribution. Il conçoit ainsi l’unité linguistique comme
fondamentalement plurielle et ancrée dans la production contextuelle des énoncés.
Quant au tagmème, il est, pour Pike, l’unité de la grammaire ; c’est la corrélation d’une
fonction grammaticale spécifique avec la classe d’items qui assume cette fonction. C’est
une unité en contexte dotée de quatre caractéristiques qui se manifestent simultanément :
place, classe, fonction et cohésion fonctionnent ensemble, et la notion de tagmème permet
à l’analyse de saisir cette simultanéité.
41
Foued Laroussi
Dans les pages qui vont suivre, je me contente de présenter quelques traits de la Théorie
standard qui a dominé la linguistique américaine pendant la seconde moitié du XXe siècle
et partiellement en Europe.
42
Histoire de la linguistique
Il insiste sur « l’indépendance de la grammaire » par rapport au sens (on retrouve ici une
idée déjà avancée par Harris). Chomsky cherche à construire une grammaire susceptible de
rendre compte de toutes les phrases grammaticales d’une langue, sur le plan de leur
structure syntaxique. Il donne l’exemple devenu célèbre depuis : Les idées vertes sans
couleur dorment furieusement. Cette phrase est grammaticale mais asémantique.
Dans le cadre d’un modèle théorique de la communication, Chomsky examine le cas d’une
machine qui partirait d’un état initial pour arriver à un état final, le résultat étant la
production d’une phrase, c’est la grammaire à états finis qu’il considère comme
« extrêmement puissante et générale » (p.23). Celle-ci est cependant incapable de rendre
compte de certaines phrases.
Alors il se tourne vers la grammaire des constituants : l’analyse en constituants étant une
description en termes de structures syntaxiques. Le modèle consiste à proposer des règles
de réécriture permettant d’engendrer des phrases via une procédure de dérivation. Soit la
phrase : The man hit the ball, elle est engendrée par une suite de 9 dérivations produites par
les règles de réécriture, marquées par les + (p.30).
Th man hit the ball (Phrase)
SN + SV (1)
Art + SN + SV (2)
Art + N + Verbe + SN (3)
The + N + Verbe + SN (4)
The + man + Verbe + SN (5)
The + man + hit + SN (6)
The + man + hit + Art + N (7)
The + man +hit + The + N (8)
The + man + hit + the + ball (9)
43
Foued Laroussi
Chomsky constate que ce modèle est plus puissant que le premier mais il est inadéquat à
rendre compte de la formation des phrases anglaises. Pour lui, « la preuve la plus décisive
de l’inadéquation d’une théorie linguistique consiste à montrer qu’elle ne peut absolument
pas s’appliquer à une langue naturelle » (p.39).
Pour cela, il va proposer le modèle de la Grammaire transformationnelle (GT) qui se
présente comme le prolongement et l’amélioration du modèle des constituants. Il y
introduit donc de nouvelles règles dites « transformations grammaticales ». Il écrit (1957 :
50) :
« Une transformation grammaticale T opère sur une séquence donnée […] possédant une structure
syntagmatique donnée, et la convertit en une nouvelle séquence ayant une nouvelle structure syntagmatique
dérivée ».
Soit la phrase : John admires sincerity. On peut la réécrire comme suit : (SN1
─Aux─V─SN2) Si on lui applique la transformation passive, par exemple, on obtient ceci :
Sincerity is admired by John, formalisable comme suit : (SN2─Aux + be +
en─V─by─SN1)3
Chomsky distingue les transformations facultatives et les transformations obligatoires. Si
l’on considère cette phrase, on remarque que la transformation passive est facultative mais
l’auxiliation est obligatoire pour obtenir des phrases au passé. L’ensemble des phrases
produites par des transformations obligatoires est appelé « noyau de la langue ». Il
distingue alors deux types de phrases : les phrases-noyaux et les phrases dérivées des
séquences sous-jacentes aux phrases-noyaux.
Il propose une architecture de la grammaire qui repose sur trois niveaux successifs :
- la structure syntagmatique : c’est le niveau de la construction des séquences de
morphèmes organisées selon les formules d’instruction (c’est-à-dire les règles de
réécriture) ;
- la structure transformationnelle : les séquences de morphèmes subissent des
transformations produisant des séquences de mots ;
- la morphophonologie : les séquences de mots sont converties en séquences de
phonèmes.
3
L’élément /en/ est la désinence du participe passé pour des verbes comme to eat (eaten)
44
Histoire de la linguistique
Chomsky pense que le modèle transformationnel est supérieur aux précédents car il a une
plus grande puissance explicative.
« Une grammaire générative n’est pas un modèle du locuteur ou de l’auditeur […] elle tente de caractériser
de la manière la plus neutre la connaissance de la langue qui fournit sa base à la mise en acte effective du
langage par le locuteur-auditeur » (1965 : 19).
La grammaire générative n’est pas du tout une théorie des performances, autrement dit des
productions effectives des locuteurs. La grammaire transformationnelle postule l’existence
de transformations à partir de phrases-noyaux : on peut dire que deux phrases différentes
en apparence (c’est-à-dire au niveau de leurs structures superficielles) reposent en fait sur
une même structure profonde, commune aux deux phrases avant la transformation.
L’inverse est vrai aussi : deux phrases analogues peuvent avoir deux structures profondes
différentes. Soit les deux phrases suivantes : Pierre promet à Marie de venir et Pierre
permet à Marie de venir sont apparemment analogues (elles ont la même structure de
surface) mais différentes en profondeur (la première suggère la venue de Pierre, la seconde
celle de Marie).
Le modèle de Chomsky comporte trois composantes :
45
Foued Laroussi
La composante syntaxique est constituée par les règles de réécriture qui produisent des
schémas syntaxiques, et les transformations qui permettent d’engendrer des structures
superficielles à partir des structures profondes.
La composante sémantique : elle relève de l’interprétation et est constituée par l’ensemble
des données nécessaires à la compréhension ; elle est articulée sur la composante
syntaxique, au niveau des structures profondes.
La composante phonologique, qui relève, elle aussi, de l’interprétation, permet l’habillage
des structures de surface ; c’est elle qui est le plus liée aux langues particulières, et dont les
variations sont les plus importantes.
46
Histoire de la linguistique
4
Cet ouvrage a été réédité plusieurs fois ; on réfère ici la réédition de 1991.
47
Foued Laroussi
« Le terme ‘fonctionnel’ y est pris au sens le plus courant du terme et implique que les énoncés langagiers
sont analysés en référence à la façon dont ils contribuent au processus de communication. Le choix du point
de vue fonctionnel dérive de la conviction que toute recherche scientifique se fonde sur l’établissement d’une
pertinence et que c’est la pertinence communicative qui permet de mieux comprendre la nature et la
dynamique du langage. Tous les traits langagiers seront donc, en priorité, dégagés et classés en référence au
rôle qu’ils jouent dans la communication de l’information » (p. 53).
« Chaque science est caractérisée moins par le choix des objets que par le choix de certaines caractéristiques
de ces objets. Chaque science est fondée sur une pertinence. En linguistique fonctionnelle, nous estimons que
la pertinence est la pertinence communicative » (p. 37).
Martinet distingue deux types de pertinence : la pertinence distinctive, celle des phonèmes,
et la pertinence significative, celle des monèmes, notion nouvelle en linguistique qu’il
introduit dans le cadre de la double articulation du langage.
48
Histoire de la linguistique
Cette première articulation n’est possible que parce que les monèmes sont eux-mêmes
constitués de la succession d’unités plus petites, non porteuses de sens, les phonèmes :
c’est la deuxième articulation du langage.
La deuxième articulation : compte tenu du fait que toute langue est en constante évolution,
la liste des monèmes qui la composent est ouverte, ce qui n’est pas le cas des phonèmes qui
forment une liste fermée. Ainsi comme l’avait montré Troubetskoy, les phonèmes
constituent un système. Cela dit, l’exemple précédent : il lit un roman est constitué de neuf
phonèmes [il li ε romã]5.
49
Foued Laroussi
communication bien qu’elles soient nombreuses, par exemple, en français. Que chaise soit
de genre féminin, en français, et que fauteuil masculin n’est pas pertinent d’un point de vue
communicationnel, puisque, dans d’autres langues, ces mêmes objets inanimés reçoivent
des genres différents.
L’axiologie : elle étudie la valeur significative des monèmes, c’est-à-dire les traits
constitutifs du signifié des monèmes lexicaux et grammaticaux, ainsi que les effets de sens
que les fonctions syntaxiques peuvent produire. Martinet distingue l’axiologie de la
sémantique qui traite des faits de sens en général : « l’axiologie est donc l’étude des
valeurs signifiées qui s’opposent » (p.36).
« C’est au niveau des monèmes individuels que se pose la question d’une valeur de sens. Cette valeur
toujours particulière à une langue déterminée, est, pour chaque monème, sous la dépendance de celle des
autres monèmes de la classe [classe des monèmes] : un monème qui désigne les facultés intellectuelles,
comme intelligence, n’aura pas la même valeur dans une langue où n’existent pas de monème distinct pour la
ruse et pour l’astuce […] C’est donc à l’intérieur de la langue même qu’il convient de dégager les valeurs
signifiées » (1991 : 210).
5
Le ε est nasalisé (il manque le trait de nasalisation ˜)
50
Histoire de la linguistique
« Le langage n’est pas seulement une partie du processus social – il en est aussi une expression ; et c’est
pourquoi il est organisé d’une manière qui en fait en même temps une métaphore du processus social » (Steel
et Threadgold, 1987 : 604)6.
L’articulation entre les données langagières et sociales se fait grâce à ce que Halliday
appelle les métafonctions (idéationnelle, interpersonnelle, textuelle).
« Les métafonctions sont les concepts théoriques qui nous permettent de comprendre l’interface entre le
langage et ce qui en dehors du langage –et c’est cette interface qui a modelé la forme de la grammaire. »
(Ibid. : 608).
Pour Halliday, les métafonctions permettent de sortir du système pour aller vers le texte.
La notion du système étant au cœur de sa linguistique, on désigne ses travaux par le
modèle systémique fonctionnel.
La notion de choix. Elle est définitoire de celle de réseau. Le langage est considéré comme
un réservoir de possibilités sémantiques dirigées vers la communication ; le locuteur opère
des choix dans des « séries d’alternatives » signifiantes. C’est pourquoi sa grammaire
systémique est parfois appelée grammaire de choix (choice grammar). Mais le principe ne
se résume pas à la simple possibilité d’un choix pour le locuteur. Le modèle repose sur
6
Language Topics. Essays in Honour of M.A.K. Halliday, vol. II, John Benjamin Publishing Company,
51
Foued Laroussi
Amsterdam-Philadelphia.
52
Histoire de la linguistique
1. Le sujet de l’énonciation
Alors que les théories structuralistes et générativistes ignorent la question du sujet, les
approches énonciatives la mettent au cœur de la linguistique. Dès les années 20, avec
Bakhtine, le sujet parlant est un sujet en relation avec son environnement, ayant intériorisé
des normes et des formes discursives extérieures à lui, mais qui le constituent.
L’énonciation est le lieu de la parole, définie comme une intercation verbale.
Cette conception interactionnelle de la communication remet en cause une représentation
de la communication qui reposerait sur les paroles du locuteur destinées à un interlocuteur,
mais les deux protagonistes construisent ensemble la communication ; c’est pour cette
raison que l’énonciation devient, par exemple chez Culioli, la co-énonciation.
Cette conception du sujet comme co-énonciateur, on la retrouvera aussi chez les
théoriciens de l’école de Palo Alto et chez Habermas, philosophe et théoricien de la
communication.
53
Foued Laroussi
« - L’énonciation ne doit pas être conçue comme l’appropriation par un individu du système de la langue. Le
sujet n’accède à l’énonciation qu’à travers les contraintes multiples des genres de discours,
« - L’énonciation ne repose pas sur le seul énonciateur : c’est l’interaction qui est première […],
« - L’individu qui parle n’est pas nécessairement l’instance qui prend en charge l’énonciation » (Ibid.).
54
Histoire de la linguistique
personnes ont un statut différent de ceux de 3e personne, parce qu’ils constituent des
marques de la situation d’énonciation. Les personnes 1 et 2 n’ont de réalité que dans le
discours et n’ont pas de signifié stable et universel. « ‘Je’, écrit Benveniste, signifie la
personne qui énonce la présente instance de discours contenant je ».
Les déictiques spatio-temporels : l’espace et le moment d’énonciation s’inscrivent dans
d’autres formes de la langue qui, elles aussi, ne peuvent s’élucider qu’à partir de la
situation d’énonciation :
« Ce sont les indicateurs de la deixis, démonstratifs, adverbes, adjectifs, qui organisent les relations spatiales
et temporelles autour du ‘sujet’ pris comme repère : ‘ceci, ici, maintenant’ et leurs nombreuses corrélations
‘cela, hier, l’an dernier, demain’, etc. Ils ont en commun ce trait de se définir seulement par rapport à
l’instance de discours où ils sont produits, c’est-à-dire sous la dépendance du je qui s’énonce. » (1966 :
262).
Soit l’énoncé suivant : « Venez ici demain à la même heure ». Sans la date de la rédaction
et le lieu exact du rendez-vous, on ne peut élucider les déictiques ici et demain.
55
Foued Laroussi
56
Histoire de la linguistique
57
Foued Laroussi
énonciative ne sont pas les mêmes que les règles de bonne formation phrastique. Ce n’est
pas la production langagière en elle même qui l’intéresse, mais la signification de l’énoncé
en tant que résultat des conditions de production.
5.3. La co-énonciation
Comme l’émetteur et le récepteur ont chacun deux rôles, puisque l’émetteur est aussi son
propre récepteur et que ce dernier est un émetteur potentiel, il y a une dissymétrie
fondamentale dans l’acte d’interlocution. Chacun construit à la fois la production et la
réception de l’autre : il s’agit, pour Culioli, de co-énonciateurs.
« L’on ne peut se satisfaire d’un modèle simplifié du langage ramené à une boîte noire entre un émetteur et
un récepteur, qui, comme leur nom l’indique, tour à tour émettent et reçoivent. » (1999 : 11).
58
Histoire de la linguistique
[…] En d’autres termes, un discours est un énoncé caractérisable certes par des propriétés textuelles, mais
surtout comme un acte de discours accompli dans une situation (participants, institutions, lieu, temps) […].
Le texte, en revanche, est un objet abstrait résultant de la soustraction du contexte opérée sur l’objet concret
(le discours) » (1990 : 23).
59
Foued Laroussi
On comprend donc que l’objet discours intègre le contexte, c’est-à-dire les conditions
extralinguistiques de sa production, alors que le texte les écarte.
60
Histoire de la linguistique
Cette notion est construite sur le couple thème / rhème, comprise dans une perspective
logico-sémantique ; tout texte comporte un thème (ce dont on parle) et un rhème (ce que
l’on dit à propos du thème). Tout texte peut être défini comme « un développement
progressif et cohérent de l’information communiquée à partit d’un thème donné » (Sarfati,
1997 : 30).
Depuis les travaux de Danes (1974) et Adam (1990), on distingue trois types de
progression :
La progression à thème constant : un texte est organisé selon une progression à thème
constant quand chaque phrase ou proposition qui le constitue prend pour point de départ le
même thème et développe successivement des thèmes différents.
(a) La progression à thème linéaire : un texte est organisé selon une progression à thème
linéaire si la phrase ou la proposition précédente devient le thème de l’unité suivante,
celle-ci dotée d’un rhème lui-même repris comme thème suivant, etc.
(b) La progression à thème divisé (ou dérivé) : un texte est organisé selon cette progression
s’il existe un thème d’ensemble ou hyperthème, divisé en plusieurs sous-thèmes à
partir desquels les unités successives développent des nouveaux propos.
(c) Même si chaque type de progression résulte des choix des sujets parlants, certains
genres contraignent néanmoins les progressions: par exemple, la description admet
plutôt un thème divisé, alors que la progression implique de préférence un thème
linéaire.
(1929/1977 : 40).
Bakhtine parle de « genres de discours » qu’il appelle aussi « types ». Il distingue deux
catégories, les « genres de discours premiers » ou « types élémentaires » (présents dans les
productions spontanées et quotidiennes des locuteurs ; ce sont des formes stables) et les
« genres de discours seconds » ou « types secondaires » (présents dans les productions
construites, textes littéraires en particulier). Ils s’appuient sur les genres premiers.
Jean-Michel Adam, tout en adoptant les hypothèses bakhtiniennes, adopte pour sa part un
autre vocabulaire : il parle de schémas prototypiques ou de prototypes.
61
Foued Laroussi
En 1992, il propose un schéma résumant les principaux modes de classement des textes :
TEXTE
A. Le texte comme configuration pragmatique : les discours sont étudiés dans leurs
rapports avec la réalité.
B. Le texte comme suite de propositions : il est considéré en soi en dehors de ses rapports
avec la réalité.
Pour plus d’informations et de détails sur cette typologie textuelle, vous pourrez consulter
l’ouvrage de Jean-Michel Adam, 1992, Les textes : types et prototypes (Nathan).
« Il est difficile de retracer l’histoire de l’AD puisqu’on ne peut pas la faire dépendre d’un acte fondateur,
qu’elle résulte à la fois de la convergence de courants récents et du renouvellement de pratiques d’étude des
très anciennes (rhétoriques, philologiques et herméneutiques). »
62
Histoire de la linguistique
63
Foued Laroussi
Sept hypothèses :
1) Discours et interdiscours. Les productions discursives sont étudiées en tant qu’elles
sont informées par d’autres. « L’interdiscours prime le discours. Ce qui revient à poser que l’unité
d’analyse pertinente n’est pas le discours mais un espace d’échanges entre plusieurs discours
convenablement choisis. »
2) L’intercompréhension : « Le caractère constitutif de la relation interdiscursive fait apparaître
l’interaction sémantique entre les discours comme un processus de traduction, d’intercompréhension
réglée. Chacun introduit l’Autre dans sa clôture en traduisant ses énoncés dans les catégories du Même et
n’a donc d’affaire à cet Autre que sous la forme du ‘simulacre’ qu’il en construit. »
3) Le système de contraintes : « Pour rendre compte de cet interdiscours, on pose l’existence d’un
système de contraintes sémantiques globales. Le caractère ‘global’ de cette sémantique se manifeste par
le fait qu’elle contraint simultanément l’ensemble des ‘plans’ discursifs : aussi bien le vocabulaire que
les thèmes traités, l’intertexualité ou les instances d’énonciation. »
4) La compétence interdiscursive : « Ce modèle de contraintes doit être conçu comme un modèle de
compétence interdiscursive […] Nous postulons chez les énonciateurs d’un discours donné la maîtrise
tacite de règles permettant de produire et d’interpréter des énoncés relevant de leur propre formation
discursive, et, corrélativement, d’identifier comme incompatibles avec elle les énoncés des formations
discursives antagonistes. »
5) La pratique discursive : « Le discours ne doit pas être pensé seulement comme un ensemble de
textes, mais comme une pratique discursive ». Autrement dit, une pratique sociale, culturelle,
intellectuelle.
6) Une pratique intersémiotique : « La pratique discursive ne définit pas seulement l’unité d’un
ensemble d’énoncés, elle peut aussi être considérée comme une pratique intersémiotique qui intègre des
productions relevant d’autres domaines sémiotiques (pictural, musical, etc.).
7) L’inscription socio-sémiotique : « Le recours à ces systèmes de contraintes n’implique nullement
une dissociation entre la pratique discursive et d’autres séries de son environnement socio-historique. ».
Ce programme de l’AD de Maingueneau a bien entendu évolué dans les vingt dernières
années, mais il constitue toujours un socle théorique important.
64
Histoire de la linguistique
« Un texte est une suite linguistique empirique attestée, produite dans une pratique sociale déterminée, et
fixée sur un support quelconque » (2001 : 21).
Cette conceptualisation est importante pour appréhender les rapports qu’entretient la triade
texte/genre/langue.
« Les tâches principales d’une ST se disposent sur trois lignes convergentes : élaborer une sémantique unifiée
pour les principaux paliers de description (mot, phrase, et texte) ; élaborer une catégorie pour une typologie
des textes (littéraires et mythiques, scientifiques et techniques) ; développer ces théories descriptives en
liaison avec le traitement automatique des textes » (Ibid. : 38).
65
Foued Laroussi
1. Pragmatique et linguistique
Qu’elle soit autonome (philosophie du langage ordinaire) ou incorporée (pragmatique
linguistique), la pragmatique conserve une identité propre. Ses orientations prennent le
contre-pied de la linguistique issue de la théorie saussurienne.
Deux débats historiques (Benveniste/Austin) et (Ducrot/Searle) ont été à l’origine de
l’intégration progressive de la pragmatique à la linguistique.
66
Histoire de la linguistique
philosophie (ce qui est redondant), soit la refonte des grandes questions de la philosophie à
partir des acquis de la philosophie analytique ; quant à l’expression « pragmatique
linguistique », elle désigne l’ensemble des théories élaborées dans le cadre de la
linguistique, en mettant à contribution les concepts de la philosophie du langage ordinaire.
« Pragmatique du langage » désigne l’ensemble des modèles de type pragmatique ayant
pour objet l’étude du langage non articulé (les systèmes culturels par exemple).
67
Foued Laroussi
« Acte (A) – locutoire : Il me dit : « tu ne peux faire cela », Acte (B) –illocutoire : Il
protesta contre mon acte ; Acte (C.a) –perlocutoire : Il me dissuada, me retint, Acte (C.b)
–Il m’arrêta, me ramena au bon sens, etc. Il m’importuna ».
S’il existe des liens d’ordre conventionnel entre les aspects locutoire et illocutoire, aucun
lien conventionnel ne serait susceptible de régir les relations de l’aspect illocutoire et de
l’aspect perlocutoire. Pour ces raisons, Austin exclut de sa théorie l’étude de la perlocution.
68
Histoire de la linguistique
Il faut mentionner deux types de critique, celles qui émanent des pragmaticiens et celles
des autres.
Du côté de la pragmatique, J.R. Searle, disciple d’Austin, intervient sur les principaux
aspects de la TAP et propose de la reformuler de façon plus rigoureuse. Il conçoit l’acte de
parole comme une entité à double face qui comporte un contenu propositionnel et une
force propositionnelle explicitée ou non par un marqueur illocutoire (une distinction qui
recoupe celle de dictum/modus que nous avons déjà vue). Il réexamine ensuite la taxinomie
des valeurs illocutoires pour la reconstruire selon 12 critères, seuls les 4 premiers ont
véritablement rang de critères de choix :
(a) Le but illocutoire (condition essentielle)
(b) La direction d’ajustement soit des mots avec le monde, soit du monde avec les mots
(condition préliminaire qui inclut aussi le statut des locuteurs).
(c) L’état psychologique exprimé (condition de sincérité).
(d) Le contenu propositionnel (un rapport porte sur le passé ou le présent, une prédiction
sur le futur).
Ces critères lui permettent de classer les « forces illocutoires primitives » en 5 rubriques :
1) Assertifs (affirmer, constater…), qui font correspondre l’énoncé avec l’état du monde ;
2) Directifs (ordonner, conseiller…), qui visent à modifier la situation de l’allocutaire ;
3) Promissifs (promettre, jurer…), qui font correspondre le monde avec les mots ;
4) Expressifs (féliciter, remercier…), qui visent ni à faire correspondre les mots avec le
monde (1) ni à modifier le monde en fonction des mots (2) ;
5) Déclaratifs (décréter, ouvrir une séance…), qui instituent un état de fait en même
temps qu’il le décrivent, ils participent à la fois de (1) et de (3).
69
Foued Laroussi
lois du monde dans lequel nous vivons (dans ce exemple, la loi du champ gravitationnel
qui donne sens à la préposition sur) que nous pouvons interpréter adéquatement cette
phrase. Et cela se fait indépendamment des conditions habituelles relatives aux conditions
de vérité, à l’exactitude des propos… Pour Searle, ce sont des capacités d’Arrière-plan qui
facilitent l’interprétation. Il définit la notion des capacités d’Arrière-plan comme
« l’ensemble des capacités mentales non représentatives qui est la condition d’exercice de
toute représentation ». Il souligne notamment le caractère préintentionnel de cette
dimension structurante.
De côté des cognitivistes, D. Sperber et D. Wilson (1989) ont critiqué la taxinomie des
valeurs illocutoires de Searle. Selon eux, l’identification de la force illocutoire d’un énoncé
n’est ni toujours possible ni même nécessaire à son interprétation. Ils ramènent ainsi les 5
classes à 3, repérables sur la base de marques exclusivement linguistiques (lexicales et
syntaxiques). Ils distinguent les énoncés à partir d’une tripartition de type verbal et classent
les phrases en 3 types : dire que (phrases déclaratives), dire de (phrases impératives),
demander si (phrases interrogatives)
Quant aux critiques des générativistes, elles sont au nombre de deux, qui concernent
l’hypothèse performative. Soit une phrase déclarative : les cours se sont effondrés, elle doit
être analysée comme performative (implicite), car elle dérive d’une structure profonde qui
contient un verbe principal performatif explicitement représenté (s’effondrer).
W.G. Lycan (1984), dans son ouvrage, Logical Form in Natural language (Cambridge), a
contesté, lui aussi, la validité de l’hypothèse performative en montrant son caractère
paradoxal. Il donne les deux exemples suivants :
(1) la Terre est ronde
(2) j’affirme que la Terre est ronde
Pour lui, si ces phrases ont la même structure profonde, elles ont les mêmes conditions de
vérité. Or (1) est vrai si et seulement si (1) ; mais (2) n’est pas vrai du seul fait que le
locuteur affirme que (2) est vrai. Tels sont les termes du paradoxe de l’hypothèse
performative (performadoxe). Procéder à l’instar de la phrase (1) à l’interprétation
sémantique de la phrase (2) reviendrait à lui attribuer des conditions de vérité incorrectes.
70
Histoire de la linguistique
Entre 1957 et 1969, le philosophe Grice a posé les jalons d’une théorie sémantique et d’une
théorie pragmatique complémentaire, toutes les deux fondées sur l’hypothèse du caractère
intentionnel de la communication. Par l’expression de signification non naturelle, il entend
les particularités des conduites langagières (verbales ou non). Dire quelque chose à
quelqu’un c’est instaurer une relation intentionnelle. Il distingue la « signification non
naturelle » de la signification dite naturelle que l’on attribue communément à des relations
causales ayant cours dans la nature (tel orage sera signe d’intempérie, telle coulée de lave
sera signe d’irruption volcanique…). Ce mode de signification correspond au concept
d’indice proposé par Peirce.
Grice subdivise ensuite le domaine de la « signification non naturelle » en deux types : le
plan de la signification induite par l’intermédiaire d’un indice direct (par exemple,
l’attribution d’une mauvaise note lors d’un examen final équivaut à un échec) ; le plan de
la signification induite par l’intermédiaire d’un indice indirect (l’attribution d’une note
disqualifiante lors d’un examen final assortie de l’observation : « étudiant doué pour la
calligraphie »). Seuls les actes de communication ayant pour but avéré de faire reconnaître
par le récepteur de cet acte l’intention qu’on a de lui faire reconnaître notre intention
vérifient les principes de « la signification non naturelle ». Ainsi la réussite probable d’un
acte de communication dépend étroitement de l’inférence qui permet au récepteur
d’identifier les contenus qu’on souhaite lui transmettre.
Soit les deux situations suivantes :
(1) un policier arrête une voiture en se tenant sur son chemin.
(2) un policier arrête une voiture en lui faisant signe de la main.
Pour Grice, seul le cas (1) illustre une situation de communication dans laquelle l’attitude
du policier est dotée d’une « signification non naturelle ».
71
Foued Laroussi
72
Histoire de la linguistique
7
1986 (1983), La modularité de l’esprit, Minuit.
73
Foued Laroussi
« Toute représentation ayant une forme propositionnelle, en particulier tout énoncé, peut servir à représenter
de deux manières. Elle peut représenter un état de choses en vertu du fait que sa forme propositionnelle est
vraie de cet état de choses ; dans ce cas, nous dirons que la représentation est une description, ou qu’elle est
utilisée descriptivement. Ou bien la représentation peut représenter une autre représentation dotée elle aussi
d’une forme propositionnelle –une pensée par exemple– en vertu d’une ressemblance entre les deux formes
propositionnelles ; dans ce cas, nous dirons que la première représentation est une interprétation de la
seconde, ou qu’elle est utilisée interprétativement. » (1989 : 343).
74
Histoire de la linguistique
La recherche de pertinence, pour ce qui est de (1), donne lieu à un usage descriptif. Cette
recherche de pertinence peut être redondante compte tenu du contexte cognitif ; concernant
(2), elle donne lieu à un usage interprétatif (le sens littéral du terme étant ici exclu). La
conception interprétative est reformulée à partir de la prise en compte du point de vue du
destinateur et du destinataire.
« Nous pourrons dire que le locuteur fournit par son énoncé une expression interprétative d’une de ses
pensées, et que l’auditeur construit, sur la base de cet énoncé, une hypothèse interprétative portant sur
l’intention informative du locuteur. » (Ibid.).
Pour les auteurs, une représentation peut être « utilisée descriptivement ou
interprétativement ».
Que peut-on dire enfin ? Si les cognitivistes conçoivent la pragmatique comme une théorie
de l’interprétation du sens des énoncés, ce qui distingue la pragmatique de la linguistique,
en revendiquant par ailleurs une certaine involution représentaliste de la discipline, ils
effectuent un retour à la conception mentaliste du langage, elle-même fondée sur une
conception a-historique du contexte, ce qui constitue une contradiction non-négligeable
pour une théorie pragmatique.
2.4.1. La démarche
La plupart des théories, que nous avons examinées jusqu’ici, adoptent le point de vue des
sujets parlants, et tentent d’étudier la communication verbale dans un cadre assez restreint.
La démarche des chercheurs de Palo Alto est inverse : ils partent de la considération du
75
Foued Laroussi
système culturel global pour étudier les conduites communicationnelles (verbales et non
verbales) des sujets.
L’école de Palo Alto fonde les prétentions sur la conviction suivante : nous ne pouvons
connaître que ce que nous construisons nous-mêmes : symbolismes, œuvres culturelles,
biens matériels etc. C’est une théorie qui procède d’une critique du concept de réalité.
2.4.3. Le contexte
Selon Hall, « Dans la vie, le code, le contexte et les significations ne peuvent être
considérés que comme des différents aspects d’un fait unique » (ibid. : 93). Le concept de
niveau de contexte permet de caractériser les différents types de contexte :
Une interaction spécifique fait face à deux types de contraintes : les contraintes qui
définissent le contexte interne (l’expérience et les réactions programmées des sujets), les
contraintes qui définissent le contexte externe (la situation objective). Pour ce qui est du
code linguistique, il est élaboré ou restreint selon le degré de proximité des sujets. Cet
ajustement de l’expression verbale est relatif au type comme au but relationnels.
8
La dimension cachée, Points.
76
Histoire de la linguistique
77
Foued Laroussi
P Wtzlawick (1972)9 fait remarquer que c’est l’étude des paradoxes qui renseignent le
mieux sur les fins de la pragmatique (il s’agit d’analyser leurs effets pratiques et leurs
incidences effectives). Le logicien H. Reichenbach rapporte le cas de paradoxe
pragmatique suivant :
« Dans une troupe militaire, le barbier est un soldat à qui son capitaine ordonne de raser
tous les soldats de la compagnie qui ne se rasent pas eux mêmes » (cité par Watzlawick,
ibid. 195). Et Reichenbach de conclure que « le barbier de la compagnie, au sens qui a été
défini, n’existe pas ». En fait, peu importe que d’un point de vue strictement sémantique,
cette formulation soit un non-sens. Ce qui compte c’est la situation contradictoire dans
laquelle ses termes plongent le sujet qui en fait les frais. Ainsi le paradoxe pragmatique
peut être caractérisé comme la mise en œuvre pratique d’un paradoxe sémantique.
9
Watzlawick et ali., 1972 (1967), Une logique de la communication, Seuil.
78
Histoire de la linguistique
Saussure a été largement présenté au début de ce cours (en tant que père de la linguistique
moderne), je n’en parle donc pas. Quant à Antoine Meillet et Marcel Cohen, ils
s’efforçaient de donner à la linguistique alors dominée par les conceptions mécanistes de la
langue, une orientation sociologique. Formé dans la tradition de la grammaire comparée,
Antoine Meillet (1866-1936) suit l’enseignement de Saussure à qui il a succédé à l’Ecole
des Hautes Etudes.
Auteur de nombreux ouvrages et articles, A. Meillet est surtout spécialiste d’indo-
européen. Dans toute son œuvre, il a affirmé clairement le caractère social du langage.
Ainsi, dans un article intitulé: « Comment les mots changent de sens ? », il proposait déjà
une définition du « fait social » en se référant au sociologue Emile Durkheim :
« Les limites des diverses langues tendent à coïncider avec celles des groupes sociaux qu’on nomme des
nations ; l’absence d’unités de langue est le signe d’un Etat récent, comme en Belgique, ou artificiellement
constitué, comme en Autriche […] Le langage est donc éminemment un fait social. En effet, il entre
exactement dans la définition qu’a proposée Durkheim ; une langue existe indépendamment de chacun des
individus, elle est cependant, de par sa généralité, extérieure à lui ».
Dans son livre Linguistique historique et linguistique générale (1921), l’auteur est
explicitement favorable à la prise en compte des faits sociaux pour toute interprétation des
faits linguistiques:
« Le XIXe siècle a été le siècle de l’histoire, et les progrès qu’a réalisés la linguistique en se plaçant au point
de vue historique ont été admirables ; les sciences sociales se constituent maintenant, et la linguistique y doit
prendre la place que sa nature lui assigne. Le moment est donc venu de marquer la position des problèmes
linguistiques au point de vue social » (p.16).
Pour ce qui est de Marcel Cohen, élève de Meillet, il a insisté dans tous ses travaux, sur la
nécessité d’interpréter les faits de langue par rapport aux faits sociaux et aux événements
politiques. Parler de rapports entre langage et société dans l’œuvre de Cohen, c’est, en
particulier renvoyer à l’ouvrage, qui a porté successivement les titres de : Pour une
sociologie du langage et Matériaux pour une sociologie du langage (1956). « C’est le livre
que Meillet n’a pas écrit - disait David Cohen -, « il constitue le couronnement qui est parti
de Meillet, et qui y a trouvé son aboutissement ». Dans cet ouvrage, M. Cohen écrit:
79
Foued Laroussi
« le langage parlé est un instrument de communication des hommes en société. Or l’homme n’existe qu’en
société, et la société n’existe que s’il y a communication entre ses membres ».
Dès son apparition, l’ouvrage fut diversement accueilli, en ce sens qu’il a provoqué des
critiques sévères : certains lui ont reproché son opposition à la théorie de Saussure, en
particulier son refus de la dichotomie langue / parole ; d’autres ont critiqué sa conception
dialectique des rapports entre langage et société.
Toujours est-il que les indications qu’il donne et les concepts qu’il manipule ne sont
nullement étrangers à ceux du développement de la sociolinguistique actuelle. Avec ses
observations et enquêtes sur l’argot, ses propos sur les langues en contact, ses regards sur
la langue française, sa prise de position pour une simplification de son orthographe et ses
critiques des puristes qu’il appelle « alarmistes », M. Cohen a précédé bien les tendances
actuelles.
Les deux codes se distinguent entre autres du point de vue des formes grammaticales. Le
code restreint se caractérise par des phrases courtes, sans subordination et par un
vocabulaire réduit ; le code élaboré se caractérisant par un vocabulaire plus riche, un
emploi fréquent des modalités et une syntaxe élaborée. Bernstein se défend de vouloir
80
Histoire de la linguistique
classer hiérarchiquement les deux codes : chaque code ayant sa dignité, sa valeur et sa
pertinence contextuelle.
Dans ces travaux, Basil Bernstein est concerné par des problèmes de logique et de
sémantique. Son hypothèse principale est la suivante: l'apprentissage et la socialisation sont
marqués par la famille dans laquelle les enfants sont élevés, et la structure sociale
détermine entre autres les productions langagières. Du point de vue sociologique,
Bernstein est marqué par E. Durkheim, comme il l’écrit lui-même (1975 : 306) :
« En un certain sens, les concepts de code restreint et de code élaboré ont leur origine dans
les deux formes de solidarité distinguées par Durkheim ».
Ses travaux ont été d'abord accueillis favorablement, c'était la première fois qu'un
chercheur tentait une description de la différence linguistique en partant de la différence
sociale. Mais plus tard, on s'est rendu compte de l'opposition binaire entre les deux codes
(y a-t-il des systèmes intermédiaires que Bernstein ne repère pas ? Se demandaient
certains) et de la faiblesse de ses concepts linguistiques.
Mais la critique la plus sérieuse est venue de William Labov travaillant alors sur le Black
English (l'anglais des Noirs-Américains) : Labov montre que Bernstein ne décrivait pas des
codes mais des styles, et qu'il n'avait aucune théorie descriptive.
« Lorsqu'il s'agit de décrire ce qui sépare réellement les locuteurs de la middle class de ceux de la working
class, voilà qu'on nous met sous les yeux une prolifération de je pense, de passifs, de modaux et d'auxiliaires,
de pronoms de première personne, de mots rares, etc. Mais qu'est-ce là sinon des bornes (...) Nous nous
rendons un grand service quand nous parviendrons enfin à distinguer dans le style de la middle class ce qui
est affaire de mode et ce qui aide réellement à exprimer ses idées avec clarté » (1978 : 136).
Labov pousse sa critique jusqu'à la caricature quand il affirme que les bernsteiniens ne
souhaitent qu'inculquer les valeurs de la classe moyenne aux enfants de la classe ouvrière
par l'apprentissage du verbiage élaboré. Il faut reconnaître que c'est en termes de déficit,
par rapport au code élaboré, que le code restreint est souvent défini : d’aucuns diraient que
la terminologie est elle-même parlante. De plus, bien que Bernstein ne l'ait jamais affirmé,
le code restreint occupe dans la description une position inférieure par rapport au code
élaboré.
81
Foued Laroussi
que ses travaux soient rarement cités aujourd'hui, n'enlève rien au rôle qu'il a joué dans le
développement de la sociolinguistique par la suite.
On ne peut parler de l’apport de William Bright sans mentionner les noms de E. Haugen, J.
Gumperz, C.A. Ferguson, Dell Hymes qui ont joué aussi un rôle important dans
l’émergence de la sociolinguistique aux Etats-Unis.
Mais Bright pense que l’événement qui a le plus marqué « la sociolinguistique moderne »
était l’organisation du congrès sur la sociolinguistique (du 11-13 mai 1964). Les actes ont
été publiés sous le titre de Sociolinguistique en 1966. En effet, sur l'initiative de William
Bright, vingt cinq chercheurs sont réunis à Los Angeles (UCLA) pour un congrès sur la
sociolinguistique. Les thèmes abordés par les chercheurs sont variés : l'ethnologie du
changement linguistique (John J. Gumperz), la planification linguistique (E. Haugen), les
langues véhiculaires (Smarin, Kelly), l'hypercorrection comme facteur de changement (W.
Labov)...
William Bright qui se chargera de la publication des actes, tente, dans son introduction, de fédérer ces
différentes contributions. L'auteur (1966 : 11) définit alors la sociolinguistique comme une
discipline destinée à « mettre en évidence le caractère systématique de la co-variance des structures
linguistiques et sociales et, éventuellement, établir une relation de cause à effet ».
On fait intervenir l'état social de l'émetteur, l'état social du récepteur, les conditions
sociales de la production du discours, l'étude de la variation géographique ; enfin en
sociolinguistique appliquée, on étudie les problèmes de planification et d'aménagement
linguistique. L'intervention de Bright se situe dans une analyse linguistique empruntant ses
notions de base à la théorie de la communication. Il se propose de dégager un certain
nombre de dimensions de la sociolinguistique :
82
Histoire de la linguistique
1. l'opposition synchronie/diachronie ;
Bright ne conçoit la sociolinguistique que comme une approche annexe des faits de langue,
qui vient compléter l'approche linguistique ou anthropologique. C'est cette subordination
qui va disparaître avec les travaux de William Labov.
William Labov a été chimiste industriel de 1949 à 1961 puis professeur assistant de
linguistique à l’Université de Colombie de 1964 à 1970 et professeur de linguistique et de
psychologie à l’université de Pennsylvanie à partir de 1971. C’est en 1961, qu’il est inscrit
en thèse de doctorat sous la direction d’Uriel Weinreich. Labov a occupé les fonctions de
président de la société de linguistique d’Amérique en 1979.
Labov s’est longtemps opposé au terme de sociolinguistique, car, pour lui, il recèle une
certaine contradiction que Labov appellera plus tard le paradoxe saussurien qui consiste à
reconnaître que la langue est sociale mais exclut de ses préoccupations tout ce qui relève
de l’étude sociale de la langue, autrement dit, la linguistique de la parole.
Et les premières études que Labov a réalisées sous l’impulsion de Weinreich avaient pour
objectif d’aborder ce point. Voici un bref aperçu de ses travaux :
L'enquête de Martha's Vineyard (1961-1962), c’est une île qui se trouve dans le
Massachussets (Etats-Unis, Nouvelle Angleterre). Les sondages des dialectologues
indiquent que certains traits phonétiques de l'île se développent, c'est celui de la variation
sous la seule forme que la théorie linguistique ne peut tout à fait exclure de la langue
depuis le développement de la linguistique diachronique.
83
Foued Laroussi
William Labov veut étudier le changement phonétique dans le but de faire « l'histoire
sociale du changement phonétique » et montrer qu'on ne saurait rendre compte de
l'évolution linguistique indépendamment de la communauté où elle se fait, contester la
causalité structurale interne de la linguistique structurale au profit de la causalité sociale
externe.
Pour ce qui est de l'enquête proprement dite, elle consiste en interviews formelles d'un
échantillon de locuteurs natifs de l'île : liste de mots, questions, lectures ; le sujet parlant
est soumis à l'expérimentation du linguiste.
Trois magasins sont choisis en fonction de leur position géographique dans l'île et des
clients qui les fréquentent (différenciation sociale).
L'étude fait apparaître que le groupe des Noirs est structuré du point de vue de l'utilisation
de cette variable « r ». Ceux occupant des postes élevés prononcent le « r » de la même
façon que les Blancs. Alors que les Noirs qui prononcent le moins de « r » sont ceux qui
occupent des postes subalternes. La langue varie selon le statut social de l'interlocuteur
(client) et dans le sens de la variété de langue associée à ce statut. La variation stylistique
(différents usages d'un même locuteur) est aussi socialement déterminée, elle est la réponse
du locuteur ou plutôt du groupe de locuteurs à la crainte symbolique exercée par
l'interlocuteur dans le rapport (présumé) que ce dernier entretient avec la « norme
légitime ».
84
Histoire de la linguistique
Toute observation peut modifier l'objet observé et peut également exercer une « violence
symbolique » du dominant sur le dominé. L'observation scientifique est un rapport social,
tout comme n'importe quelle interaction linguistique ou acte de parole. En conclusion, la
variation stylistique suit la même direction quelle que soit la classe : plus le complexe est
formel, plus apparaissent, chez tous les locuteurs, les variations de « prestige », c'est-à-dire
celles que les classes supérieures utilisent.
L’enquête dans le quartier de Harlem. De 1965 à 1967 W. Labov dirige à Harlem (quartier
des Noirs à New York) une enquête ayant pour but d'étudier le Black English, son objectif
étant de préciser les différences entre la langue quotidienne des bandes d'adolescents noirs
du Centre Sud de Harlem et l'anglais standard de l'école dans l'intention de rendre compte
de l'échec scolaire en matière de lecture. Il conclut que les causes majeures de l'échec en
lecture sont les conflits sociaux. Les différences de dialecte sont importantes parce qu'elles
symbolisent ces conflits.
L'observation porte sur des groupes naturels, les clubs de rue des adolescents de Harlem :
cette méthode lui permet de recueillir les données linguistiques sur le vif (telles quelles,
dans les échanges entre membres des clubs). En tant qu'observateur étranger aux prises
avec son paradoxe de l'observateur – la présence du linguiste (observateur) pourrait
changer partiellement ou entièrement la production recueillie, alors que le but de
l'enquêteur est de recueillir des données spontanées – Labov confie la tâche de recueillir les
données à un jeune homme noir, pour sa connaissance interne de la culture de la rue et du
vernaculaire. Il est introduit dans les divers groupes, il participe totalement à leur vie et
habite avec eux.
W. Labov considère que les problèmes linguistiques ne peuvent être résolus qu'en faisant
appel à des variables sociales. Il remet ainsi en cause la linguistique existante et tire ses
données de la communauté linguistique elle-même. Cette dernière n’est pas conçue comme
un groupe de locuteurs utilisant les mêmes formes linguistiques, mais comme un groupe
partageant un ensemble d'attitudes envers la norme. Il développe de nouvelles
méthodologies permettant de mieux connaître les phénomènes langagiers. Il constate que
l'appartenance d'un locuteur à une communauté linguistique le rend capable d'une maîtrise
structurée de différents sous-systèmes. Son objet d'étude est la variation qui est manifeste à
deux niveaux : stylistique (une langue n’est jamais identique d’un locuteur à un autre) et
sociale (la langue n’est jamais identique d’un groupe social à un autre). C’est cette
variation qui représente l’objet d’étude de la sociolinguistique.
85
Foued Laroussi
1. La linguistique qui ne prend pas en compte les variables non linguistiques (sociales, en
particulier) ne conduit pas son travail jusqu'au bout si bien que la sociolinguistique, pour
lui, est la véritable linguistique : c'est la linguistique « remise sur ses pieds ».
4. Le chercheur (enquêteur) doit être prudent lors de son recueil des données, son objectif
étant de recueillir un discours spontané, alors que son intervention ou sa présence
pourraient altérer la spontanéité du spontané (de l’enquêté), c'est le paradoxe de
l'observateur.
A Rouen, J.B. Marcellesi et B. Gardin (1974) ont été les premiers à avoir fait connaître les
travaux de William Labov. Dans leur ouvrage, Introduction à la sociolinguistique : la
linguistique sociale (Larousse), et après avoir repris et passé au scribe l'essentiel des
théories qui ont abordé la problématique langage et société, ils proposent « la linguistique
sociale » dont la tâche est d'étudier les
« conduites linguistiques collectives caractérisant des groupes sociaux, dans la mesure où
elles se différencient et entrent en contraste dans la même communauté globale. »
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Histoire de la linguistique
Les groupes sociaux ne sont pas conçus comme une "collection d'individus" mais comme
des « unités collectives réelles mais partielles, fondées sur une activité linguistique
commune, et impliquées dans un processus historique » (motions, résolutions, adresses,
etc.). Cette activité linguistique peut (ou non) aboutir à la production de textes qui ne
soient pas considérés comme l’œuvre de tel ou tel membre du groupe, mais comme le
discours du groupe tout entier. Et les auteurs d’ajouter que :
« dans linguistique sociale par rapport à sociolinguistique, l'ordre des éléments est inversé:
cela ne signifie pas que le social passe au second plan, mais simplement que le linguistique
(...) est éminemment social, par lui-même, tout autant que la partie sociale de
l'extralinguistique (le social extralinguistique ou non linguistique). »
Les sociolinguistes de Rouen ont donc développé des recherches très variées ayant pour
base une conception sociale de la langue. Celle-ci n’est pas considérée comme un système
ou objet homogène et par conséquent inaltérable, mais comme un usage dépendant
largement des forces sociales en œuvre dans une société donnée. Sans prétendre à
l’exhaustivité, on peut signaler quelques problématiques centrales.
Les travaux portant sur le couple bilinguisme/diglossie s’inscrivent dans le sillage des
propositions théoriques de J.B. Marcellesi et en opposition au modèle canonique proposé
par C. A. Ferguson (1959).
Pour élucider les termes du conflit, on met l’accent sur le rôle de l’idéologie linguistique,
puisque le conflit fonctionne en retombée d’idéologie. Cette donnée capitale pour l’analyse
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Foued Laroussi
des situations linguistiques a été passée sous silence par la sociolinguistique nord-
américaine.
5.1.2. La glottopolitique
Elle « désigne les diverses approches qu'une société a de l'action sur le langage, qu'elle en soit ou non
consciente: aussi bien la langue, quand la société légifère sur les statuts réciproques du français et des langues
minorées par exemple; la parole, quand elle réprime tel emploi chez tel ou tel ; le discours quand l'école fait
de la production d'un tel type de texte matière à examen ».
« La glottopolitique est nécessaire pour englober tous les faits de langage où l'action de la
société revêt la forme du politique. » (L. Guespin et J.B. Marcellesi, Langages 83, 1986 :
5). La glottopolitique traite entre autres des problèmes de minoration linguistique (le terme
de langue minorée est utilisé pour référer à ce qu'on appelle tantôt langues régionales tantôt
langues minoritaires). On réfère au :
« processus de minoration par lequel des systèmes virtuellement égaux au système officiel se trouvent
cantonnés par une politique d'Etat certes, mais aussi par toutes sortes de ressorts économiques, sociaux dans
lesquels il faut inclure le poids de l'histoire, dans une situation subalterne, ou bien sont voués à une
disparition pure et simple » (J.B. Marcellesi, La Pensée 209, 1980 : 15).
En tant que pratique, la glottopolitique concerne à la fois les interventions au niveau
macro-sociolinguistique (intervention de l'Etat sur la langue, planification, aménagement
linguistiques) et au niveau microso-ciolinguistique (quand des parents refusent, par
exemple, de transmettre leur langue à leurs enfants sous prétexte qu’elle n’est pas
prestigieuse, ou quand un adule reprend un enfant qui transgresse la norme linguistique de
référence). La réflexion glottopolitique met en cause le discours de l'idéologie dominante,
discours qui est généralement tenu pour normatif.
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Histoire de la linguistique
place par les idéologies linguistiques notamment quand il s’agit de concevoir les rapports
entre langue, identité et Etat-nation.
Il s’agit de problèmes liés aux difficultés d’adaptation d’un groupe social à un nouveau
contexte socioculturel ou sociolinguistique.
XIX. Conclusion
Au terme de ce parcours, je suis tenté de reprendre l’idée déjà annoncée dans l’introduction
selon laquelle toute histoire disciplinaire est en quelque sorte une interprétation. En
linguistique, quoi que disent les critiques à propos du travail de Saussure : acte fondateur
ou simple démarche méthodologique, il occupe bien une place importante dans
l’émergence de la linguistique et ce à travers des lecture et relecture du CLG.
On ne peut que regretter cependant que certains courants théoriques n’ont pas toujours eu
la reconnaissance institutionnelle qu’ils méritent.
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Foued Laroussi
Bibliographie
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Adam J.-M., 1999, Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes, Nathan.
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Editions sociales.
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Austin J.L., 1970 (1962), Quand dire c’est faire, Seuil
Benveniste E. 1966 et 1974, Problèmes de linguistique générale, 2 tomes, Gallimard.
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Bright W.(éd.), 1965, Sociolinguistics, Mouton.
Chmosky N., 1969 (1957), Structures syntaxiques, Seuil.
Culioli A. 1990-1999, Pour une linguistique de l’énonciation, 3 tomes, Ophrys.
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Ducrot O., 1984, Le dire et dit, Minuit.
Foucault M., 1969, L’Archéologie du savoir, Gallimard.
Foucault, M., 1994, Dits et écrits, I (1954-1969) et II (1970-1975), Gallimard.
Gadet F., 1996, Saussure, une science de la langue, PUF
Grice P., 1957, « Meaning », The philosophical Review, 66, Cornell University, 677-688.
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Guespin L., 1985, « Matériaux pour une glottopolitique », Cahiers de Linguistique Sociale
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Histoire de la linguistique
Labov W., 1972, « On the mechanism of linguistic Change », Gumperz John J. et Hymes
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English trial in Ann Arbor », Language in Society II, CUP, 165-201.
Maingueneau D., 1984, Genèse du discours, Bruxelles, Mardaga.
Maingueneau D. 1996, Les termes clés de l’analyse du discours, Seuil.
Maingueneau D. et Charaudeau P. (dir.), 2002, Dictionnaire d’analyse de discours, Seuil.
Marcellesi J.B., 1979, « Quelques problèmes de l'hégémonie culturelle en France: langue
nationale et langues régionales » Intl. J. Soc. Lang. n° 21, Mouton Publishers, 63-80.
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Histoire de la linguistique
Sujet d’entraînement
Vous expliquez et commentez le texte suivant en insistant sur la rupture scientifique amorcée
par Saussure par rapport à la linguistique du XIXe siècle.
« Dans une partie d’échecs, n’importe quelle position donnée a pour caractère singulier d’être
affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu’on y soit arrivé par une voie ou
par une autre ; celui qui a suivi toute la partie n’a pas le plus léger avantage sur le curieux qui
vient inspecter l’état du jeu à un moment critique ; pour décrire cette position, il est
parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant. Tout ceci
s’applique également à la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du
synchronique. La parole n’opère jamais que sur un état de langue, et les changements qui
interviennent entre les états n’y ont eux-mêmes aucune place. »
Attention
Vous enverrez vos devoirs à l’adresse électronique suivante : celine.amourette@univ-rouen.fr.
Le 10 mai est le dernier délai de réception de vos devoirs. Tout arrivera après cette date
ne sera pas corrigé.
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