DS2 Resumé Tavoillot 700
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D’où vient alors le goût du clash dans le monde pourtant pacifié de la démocratie publique ? Il
me semble qu’il vient combler quatre manques profonds de nos sociétés contemporaines : on s’y
sent perdu, on s’y sent seul, on s’y sent impuissant, on s’y retrouve sans but … Quel remède
apporte la polémique à ces quatre maux ?
Si on se sent perdu, c’est que l’accroissement des connaissances et des informations rend le
monde illisible. D’où le recours à deux formes de dopage intellectuel en guise de clés : le complot
ou la guerre. Le scénario du complot nous permet de tout expliquer sans avoir besoin de rien
démontrer. Le monde redevient alors simple et lisible : c’était déjà le cas avec la lutte des classes
et la lutte des races ; et cela continue avec la guerre des sexes, le conflit des générations ou le
clash des civilisations. Grâce au clivage, le monde redevient enfin clair.
Si on se sent seul, c’est que l’individualisme détruit beaucoup de sociabilités traditionnelles et
peine à en reconstruire de nouvelles, qui, même réédifiées, demeurent fragiles. A l’âge
démocratique, la personne est certes sacralisée, mais sans personne autour d’elle. Et là, miracle !
Par la grâce d’une belle polémique chacun va pouvoir retrouver des frères d’armes ou des âmes
sœurs ; chacun pourra intégrer une communauté d’indignation, qui mettra un terme à son
isolement ! Le désert affectif pourra se compenser (un peu) par l’activisme combattif. Les réseaux
sociaux favorisent cette reconstruction d’une bulle spéculative homogène, d’autant plus rassurante
que la majorité de nos « amis » est, par définition, d’accord avec nous ! D’où cette conviction que,
quoique nous pensions, nous sommes majoritaires, donc dans le vrai.
Si on se sent impuissant, c’est que la démocratie nous a tant promis ! Elle nous a promis que le
peuple serait maître de son destin, que les individus seraient égaux en dignité. Nous sommes
déçus, car nous constatons tous les jours exactement le contraire : dépossession et mépris. Or,
l’indignation nous redonne le sentiment de la maîtrise : « je tweete, je like, je partage; donc je suis
et je fais ».
Si on se retrouve sans but, sans perspective, sans horizon, c’est que, après le
désenchantement du monde et la fin des idéologies, l’avenir est devenu à la fois muet et opaque.
D’où la séduction paradoxale du scénario de la fin du monde. On devrait être surpris de son
étonnant retour en grâce à l’âge laïque ; mais, de fait, il faut tout sauver : l’école, la recherche, la
retraite, l’hôpital, et last not least la planète. Tout cela exprime pourtant une et même seule cause :
il faut sauver le salut !
Car cette voracité conflictuelle n’est pas une fatalité. Et l’on peut répondre aux quatre défis de
notre temps, sans sombrer dans la guerre totale. Il nous « suffit » de retrouver le goût du
désaccord, la saveur de la complexité et le plaisir des petits pas. Plus facile à dire qu’à faire?
Dans la Sorbonne médiévale, pour les examens, on pratiquait la disputatio, une joute oratoire,
où chaque candidat devait défendre une thèse imposée. Cet exercice forçait à trouver de bonnes
raisons de plaider à rebours de ses idées. Cela n’obligeait pas d’en changer, mais permettait de
« penser à la place d’autrui », et, de pouvoir ensuite mieux le convaincre (puisqu’on l’avait
compris).
C’est tout le paradoxe de notre époque : réputée pluraliste et ouverte, elle semble haïr le
désaccord. La moindre contradiction est perçue, non comme une contrariété, mais comme une
offense, voire un préjudice grave, qui exige réparation : censure, procès, coups ou campagne de
délation sur les réseaux sociaux.
Réhabilitons donc la disputatio. Et, par la même occasion, la culture générale contre
l’expertise. Car c’est elle qui nous révèle les saveurs de la complexité. Grâce à elle, on met les
savoirs en culture, on établit des ponts entre les faits, on trace des routes entre les signes. La
théorie du complot fait pareil, dira-t-on. Certes, mais, elle, ne doute jamais ; pas même de son
doute ! A l’inverse, la culture générale s’atteste dès qu’on mesure l’ampleur de sa propre
ignorance. […]
Cette gratitude modeste permet d’éviter le délire tout-puissant de tout changer et de convertir
le monde entier. […] Kant définissait le sens commun par ces trois maximes : « penser par soi-
même » (ou pensée éclairée) ; « penser en se mettant à la place d’autrui » (ou pensée élargie) ;
« penser en accord avec soi-même » (ou pensée conséquente). Si on les oublie, il n’y a plus ni
sens ni commun. Si on les cultive, le débat est sauvé.
CONSIGNES
Résumé
Vous résumerez le texte ci-dessus en 120 mots, plus ou moins 10%.
Vous placerez dans votre résumé une barre tous les 20 mots et vous indiquerez le nombre
total de mots en fin d’exercice.