Critique des sources

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Critique des sources

 Introduction

A. Aspects pratiques et modalités d’évaluation (19/09/19)

 Structure du cours

 2 heures par semaine, année complète – soit 48 heures ;

 Cours réparti sur les deux quadrimestres:


2 blocs de 12 heures au Q1, 2 blocs de 12 heures au Q2

 Évaluation
Examen écrit débouchant sur une note unique, composé de deux épreuves :
• la première en janvier - parties 1 et 2,
• la seconde en juin – parties 3 et 4,
• donnant lieu à l’obtention d’une seule note.
- Un questionnaire par partie du cours, chaque partie représentant 25 % de la
note finale. La réussite globale impose d’avoir présenté les 4 parties.
- Les notes égales ou supérieures à 10/20 de chaque partie pourront être
reportées pour la deuxième session. La réussite globale en deuxième session
impose d’avoir représenté toutes les parties non réussies.
2

B. Pourquoi un cours de critique des sources?

 Esprit critique dans la société de l’information

- Développer l’esprit critique sous-tendant les disciplines universitaires


(Philosophie, Histoire, histoire de l’art et archéologie, Langues et
Littératures, Information et communication…)
- Mais aussi de manière générale, comme acteur dans la « société de
l’information » qui est la nôtre.
*

 La société de l’information

La société de l’information est une société qui fait un usage intensif des
réseaux d’information et de la technologie de l’information, produit de grandes
qualités de biens et de services d’information et de communication et possède
une industrie de contenus diversifiée qui sont difficiles à appréhender.
Le développement de l’accès à l’information: instrument de dialogue et
d’ouverture (ex : les réseaux sociaux). …
… mais aussi radicale transformation des médias, multiplication des sources
d’information, qui posent la question de la réception et du traitement de
l’information.

 La surcharge informationnelle
La surcharge informationnelle (ou infobésité) désigne l'excès d'informations
qu’on ne peut traiter correctement, entrainant la fatigue informationnelle. Ce
phénomène prend de plus en plus d'ampleur, avec le développement d’Internet
(courriels et multiplicité des médias) C’est le premier effet négatif. L’excès
d’informations fait qu’on observe deux réactions bien différentes : devenir
addict ou tout fermer.
 Risque de désinformation lié à l’impossibilité de trier l’information en trop
grand nombre et de l’absence de recul analytique. C’est un phénomène
3

perceptible dans le monde du travail, mais aussi, de manière plus générale, dans
le contexte de l’usage massif des nouveaux médias.
La surcharge d’information peut être canalisée grâce aux programmes mis en
place par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux afin de mettre en
avant l’information « pertinente » pour l’internaute, mais ce procédé utile risque
paradoxalement de limiter le libre accès à l’information. Ainsi, les moteurs de
recherche nous permettent de nous libérer de cette surcharge et de devenir un
acteur. On devra cependant se demander la façon de poser la question et le type
de réponses qu’on recevra de ces moteurs de recherches et on devra les regarder
de manière critique.

 Bulle de filtre
Bulle de filtre : Ensemble des informations personnalisées qui sont présentées à
un internaute par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux à partir de
données collectées à son sujet, ne l'exposant ainsi qu'aux informations pour
lesquelles il a déjà démontré de l'intérêt, évacuant ainsi le reste.
On ne pourrait donc être que dans une bulle et juste écouter les infos qu’on veut
entendre et donc supposer qu’il n’y a que cela. On sera plus guidé par le moteur
de recherche et non plus par la question de recherche. Il faut en prendre
conscience. En outre, les moteurs de recherche pourra nous donner l’impression
que tout est sur internet, ce qui est faux !

 Les fake news


Les fake news ou infox : mot-valise créé à partir d'information (info) et
d'intoxication (intox). ... Le terme infox est un néologisme désignant une
information mensongère ou délibérément biaisée, visant par exemple à
défavoriser un adversaire politique, à entacher la réputation d’autrui, ou à
contrer une vérité scientifique établie.
 Il y a donc une volonté de diffuser une fausse information, l’objectif étant
de discréditer un adversaire, contrer une vérité scientifique établie, …
A côté de cela, on a les hoax, terme anglais qui signifie « canular ». En
informatique, il s'agit d'une information erronée ou invérifiable qui profite de la
puissance d’Internet pour se propager à grande échelle.
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L’information relayée est souvent sensationnelle et fait appel à l’émotion


(indignation, crainte, enthousiasme), au point que l’on est incité et conduit à la
propager dans son entourage.
L’émotion va faire filtre, voire barrage, à la rationalité de la réception de
l’information et les hoax vont jouer la dessus car on sera tenté de les diffuser par
le biais des émotions, sans réfléchir.
 Dans l’approche critique des sources, le caractère émotionnel est un enjeu
très important pour transmettre l’information. On doit donc avoir du recul.
La propagation de ce genre de nouvelles (infox ou houx) a pris une telle ampleur
que les spécialistes de la communication et autres ont mis au point un concept :
celui de post-vérité.

 La post-vérité
Post-vérité : Ce qui se rapporte aux circonstances dans lesquelles les faits
objectifs ont moins d'influence sur le public que ceux qui font appel à l'émotion
ou aux croyances personnelles. L'idée même de vérité est devenue indifférente et
caduque.
N.B. : La formule (post-truth) a été proclamée "mot de l'année" dans le
dictionnaire d'Oxford, en 2016, suite au Brexit et à l’élection présidentielle
américaine, deux événements au cours desquels les fake news ont été
nombreuses.
Exemple : Sur la base d’informations inexactes publiées dans le cadre d’un
climat émotionnel, des décisions ont été prises en ce qui concerne le Brexit,
l’émotion portant encore le débat actuellement.L’élection présidentielle
américaine ne faisait plus la distinction entre les intox et les vrais informations
au point que les spectateurs, s’ils n’ont pas le recul nécessaire, n’arrivent plus à
faire la distinction entre ces deux choses.

 Le vrai n’aurait-il plus de place ?


Aujourd’hui, l’expression fake news s’applique sans discernement tant aux
informations fausses qu’aux informations erronées : elle est même
fréquemment utilisée pour désigner toute information que l’on veut
contredire… On ne cherche même plus contester sa véracité ou non…
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La post-vérité est de se demander si le vrai a encore une place dans notre


société. Le terme « fake news » ne veut plus dire une vérité mensongère
actuellement mais bien un fait que je ne veux pas entendre puisqu’on l’utilise
comme argument qui permet de rétorquer et ainsi d’éviter le débat. On ne
cherche plus à contester la vérité ou non.
Mais l’effet négatif est d’induire une suspicion généralisée et l’impression d’une
augmentation des nouvelles trompeuses… (celles-ci existaient pourtant bien
avant l’apparition d’Internet, ce dernier étant juste l’outil qui a permis de les
diffuser de manière massive!). Ce climat de soupçon généralisé donnerait lieu à
un sentiment d’indifférence généralisée, de rejet.

Par ailleurs, Internet favorise la crédulité, soit une grande facilité à croire sans
vérification, à cause de la masse des informations, de la rapidité de circulation
des informations et de l’indifférenciation des sources de l’information.
 Les internautes sont à la fois acteurs et victimes de la propagation incontrôlée
des informations… et assez démunis face à ce phénomène…

 Pourquoi ce phénomène est très complexe ?

 Chacun peut produire l’information, sans être astreint à la déontologie


du métier de journalisme…

 Chacun est amené interpréter l’information, sans nécessairement


disposer des outils de l’analyse critique… Chacun devient un récepteur
de l’information.

 Le risque est grand d’être exposé et d’être sensible aux rumeurs,


amplifiées par la rapidité des nouveaux médias…

 Le danger est d’être plus réceptif aux émotions qu’aux faits objectifs,
dans un contexte où chacun peut se forger son opinion et affirmer son
avis. On nous dit tout le temps qu’on est dans une société
d’informations alors que le vecteur de propagation de l’info est
l’émotion, cela engendre un paradoxe.
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 Il est donc important de se donner les moyens de se forger un jugement,


fondé sur les faits.

Les autorités politiques sont de plus en plus interpellées par cette situation.
Exemples :
• Le 22 décembre 2018, le Président de la République française, Emmanuel
Macron, a promulgué la loi relative à la lutte contre la manipulation de
l'information...
• En janvier 2019, la Commission européenne exhortait Facebook, Google
et Twitter à intensifier leurs efforts contre la désinformation en ligne…

 Ce qui ressort de manière général est d’encourager à la formation de


l’auto-critique.

 Plaidoyer pour la raison

« Si on ne peut pas prouver que le monstre du Loch Ness n’existe pas, c’est
qu’il existe… », Pascal Engel, Libération, 19 février 2018.

 Il propose ici un raisonnement faux qui a l’air logique.

« Les «fake news» et leurs «faits alternatifs» sont la conséquence d’un abandon de la
rationalité. Il faut s’entraîner à l’autodéfense intellectuelle en apprenant à traquer les
sophismes et les erreurs de raisonnement …

… On a beaucoup parlé de l’ère de la post-vérité, mais personne n’a encore appelé notre
époque l’ère de la «post-raison». C’est étonnant car les violations de la raison sont au moins
aussi virales que les fake news, et les célébrations de la défaite de la raison quasiment aussi
fréquentes que les tweets des défenseurs des faits «alternatifs». Le recours à l’argument
d’autorité, l’appel à l’opinion, au peuple, le transfert d’expertise (X est expert sur Y, mais
s’autorise à se prononcer sur Z), les procès d’intention, le sophisme génétique (les idées de X
sont fausses parce qu’elles ont telle cause), le biais de confirmation (privilégier les données
qui confirment les hypothèses en accord avec nos idées) et quantité d’autres paralogismes, sont
endémiques ». […] « Penser logiquement, c’est penser par rapport à un but précis digne
d’intérêt, et tout humain sait faire cela. Au contraire, les fake news sont destinées à nous faire
penser sur n’importe quoi. Rétablissons les sujets dignes de pensée, celle-ci fonctionnera
mieux. Les gens ne sont pas totalement incapables de raisonner, ni de distinguer des
informations plausibles d’autres qui ne le sont pas. Nous trions bien les ordures. On peut
s’entraîner aux techniques d’autodéfense, ne peut-on s’entraîner à l’autodéfense intellectuelle
en apprenant à traquer les sophismes et les erreurs de raisonnement ? La raison a encore ses
chances. Swift disait que l’homme n’est pas rationnel mais capable de raison. Pas besoin de
plus pour reprendre la main ».
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Il trouve que l’émotion appris le pas sur la raison et que le seul moyen de revenir
dans une société d’information sans en être le jouet est d’utiliser la raison.
Les faits alternatifs = faits qu’on avance avant de les vérifier. L’argument
d’autorité = quand une personne a l’autorité de dire une chose sans le prouver.
On ne doit pas l’accepter sans qu’il soit étayer ! Les paralogismes sont des
informations erronées mais pas volontairement, sans intention malveillante, on
ne les vérifié pas tandis que le sophisme avance des raisonnements
volontairement fausses.

N.B. : La rapidité est à la fois un avantage et un inconvénient. Aujourd’hui, si


on ne répond pas à un mail dans la minute, on devient impoli. Il faut pouvoir
utiliser l’outil comme un outil et pas comme celui qui impose sa manière de
fonctionner. On a également l’impression d’avoir à faire à un outil très collectif
alors qu’on est tout seul devant notre écran.

 Objectif du cours de critique des sources

 Eviter le piège de l’argument d’autorité

 Pratiquer systématiquement la critique des sources :

o un impératif professionnel et moral : objectif d’un diplôme de


master : maîtriser des « savoirs hautement spécialisés, dont certains
sont à l’avant-garde […] dans un domaine […] comme base d’une
pensée originale et/ ou de la recherche » (Cf. cadre européen des
certifications)
o un des objectifs de l’ULB depuis sa création (application du
libre-examen)1

1
Article 1 des statuts de l’Université :
« L'Université Libre de Bruxelles fonde l'enseignement et la recherche sur le principe du libre examen.
Celui-ci postule, en toute matière, le rejet de l'argument d'autorité et l'indépendance de jugement. »
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Discours de Henri Poincaré (1854-1912) à l’ULB, 1909 :


« La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une
passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n'est aux
faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être. »

Poincaré fait partie de ceux qui ont milité pour réviser le procès Dreyfus parce
qu’il considérait que les raisons pour lesquelles on l’avait mis en prison et les
documents utilisés étaient des faux et méritaient d’être révisés. Il y avait donc
des esprits qui soulignaient le danger d’être trop crédule avant l’existence
d’Internet.

Partie 1 : Critique historique


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 Introduction à la critique historique


Quand on parle d’Histoire, on désigne les faits du passé mais aussi le récit des
faits du passé. Mais comment faire ce récit ? Et qu’est-ce que le passé ?
Comment peut-on le retrouver ?
L’histoire est la construction d’un savoir visant à établir des faits, et ensuite à
les expliquer dans un récit cohérent. Les sources retrouvées doivent être
critiquées pour vérifier si on peut les accepter comme étant des faits réels.
Après, on doit les mettre en œuvre, on doit construire un récit, une intrigue pour
que le lecteur puisse le comprendre.

« Cette importance accordée au travail de construction des faits s’explique par une
préoccupation centrale: comment donner au discours de l’historien un statut
scientifique? Comment s’assurer que l’histoire n’est pas une suite d’opinions
subjectives que chacun serait libre d’accepter ou de refuser, mais l’expression d’une
vérité objective qui s’impose à tous? ». « Comme procédé de connaissance, l’histoire
est une connaissance par traces… L’historien effectue un travail sur les traces pour
reconstituer les faits. Ce travail est constitutif de l’histoire; en conséquence, les règles
de la méthode critique qui le gouvernent, sont, au sens propre du mot, fondamentales »
Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, éditions du Seuil, 1996, 2010 (édition
augmentée), p.56.

Depuis très longtemps, le phénomène des fake news traverse les disciplines.
L’historien a tout à fait conscience qu’il procède à la construction d’un savoir,
avec le travail de recherche mais aussi en devant l’exposer.
Quand il dit que l’historien travaille sur des traces, il veut dire qu’il est sur des
traces laissées par le passé. On peut faire une analogie entre le travail d’enquête
historique et le travail d’enquête judiciaire car les juges sont aussi amenés à
devoir travailler sur des traces, des indices. L’historien est donc un enquêteur.
On a des lieux où on conserve les traces du passé mais on devra d’abord faire
une enquête pour trouver celles-ci. Prost dit qu’on devra reconstituer les faits, on
doit donc construire le savoir.
Les règles de la méthode critique qui gouvernent ce travail sont donc
fondamentales. On va voir comment on a construit la méthode critique pour
retrouver et analyser les traces du passé.

« … qu’entendons-nous en effet par documents, sinon une « trace », c’est-à-dire la


marque, perceptible aux sens, qu’a laissée un phénomène en lui-même impossible à
saisir? »
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 2002,
p. 71
10

Marc Bloch est une grande sommité en Histoire. Les historiens essayent de
saisir des phénomènes dont ils ne pourront avoir que les traces laissées.
N.B. : L’archéologie est la science qui étudie les traces matérielles du passé
alors que l’Histoire aura tendance à se centrer sur les traces écrites du passé,
même si cette discipline commence à devenir de plus en plus importante.
Une source est l’origine de l’information. En histoire, on s’attache à récolter les
sources de première main, qui contiennent des informations transmises par les
auteurs de ces documents historiques.
Quand on ouvre Wikipédia, on a une source d’information historique sur un fait,
produite par un historien. C’est donc un travail de seconde main, de collecte de
l’information. Les sources des historiens sont les témoignages produits par les
acteurs des sociétés passées. Il faut donc bien différencier les sources passées et
les travaux des historiens.

La critique historique est la méthode scientifique d’examen des sources


historiques visant à en distinguer le vrai du faux et à en interpréter le contenu.
Un document d’histoire n’existe pas sans une question à se poser :

«Les textes ou les documents archéologiques … ne parlent que lorsqu’on sait les
interroger. Avant Boucher de Perthes, les silex abondaient, comme de nos jours, dans les
alluvions de la Somme. Mais l’interrogateur manquait et il n’y avait pas de préhistoire. »
Marc Bloch, Op. cit., p. 77.

La Somme est une rivière française et Boucher de Perthes est la personne qui a
fondé la préhistoire car il a fait des fouilles dans le lit de cette rivière et il a
décelé, par ses observations, que certains des silex avaient été taillés par des
êtres humains dans un passé très lointain. Il a ainsi pu mettre au jour les traces
de l’activité humaine avant l’Histoire (pas de traces écrites).
11

En faisant ce travail, il a fondé une discipline qui n’existait pas avant :


l’archéologie préhistorique. Il faut poser des questions à tous ces silex car si on
ne le fait pas, on ne peut pas voir de différences entre les silex taillés et les silex
naturels.
Boucher de Perthes était un officier des douanes né en 1788. Il va faire cette
découverte en tant qu’amateur et à partir de 1828, il mettra au jour des traces de
l’activité humaine et devra se battre pour faire part de ses observations. Si on ne
pose pas de question à l’Histoire, on ne trouvera rien !

 La question de recherche est essentielle également. Au fur et à mesure des


questionnements successifs, les sources peuvent révéler de nouveaux pans
de la réalité passée. On n’a jamais fini d’écrire l’histoire…
 Chaque époque influence le choix des questions à poser au passé…

A chaque époque, la nature des questions va changer car les historiens sont des
gens de leur temps, ils ne sont pas des nostalgiques du passé. Ainsi, ils sont très
réceptifs aux enjeux présents. Leurs questions posées au passé sont donc liées à
leur époque. Ainsi, on n’a jamais fini d’écrire l’Histoire.

L’historien cherche à voir si la source qu’il a sous les yeux, qui provient du
passé et qu’il va utiliser pour reproduire ce passé, est une source fiable à tout
point de vue (est-ce un faux ? Me dit-il des choses vraies ?). On peut avoir un
document authentique, tout à fait vrai, qui nous livre une fausse information.

 La critique externe = on se pose des questions sur l’aspect extérieur du


document ;

 La critique interne = on se pose des questions sur le contenu du


document.
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 La démarche de l’historien

 Faire un choix parmi les documents suppose d’établir une


problématique :

- C’est-à-dire faire l’état de la question en établissant la bibliographie


(ce qui a déjà été écrit sur le sujet) et en établissant le questionnaire
pour sa propre recherche car il est fondamental pour pouvoir bien se
guider

 Il s’agit enfin d’en faire le récit en le structurant pour le rendre


intelligible, mes lecteurs devant le comprendre.

« Le mot histoire désigne aussi bien ce qui est arrivé que le récit de ce qui est
arrivé ; l’histoire est donc, soit une suite d’événements, soit le récit de cette suite
d’événements. Ceux-ci sont réellement : l’histoire est le récit d’événements vrais, par
opposition au roman, par exemple. Par cette norme de vérité, l’histoire comme
discipline, s’apparente à la science ; elle est une activité de connaissance »
P. VEYNE, « l’histoire », dans Encyclopedia Universalis, t. 11, Paris, 1994, p. 464

Il ne dit pas « l’Histoire est une science » mais que même si l’Histoire cherche à
établir une vérité, elle reste dépendante des traces et du fait qu’on doit en faire le
récit.

L’intervention de l’historien est perceptible à tous les niveaux:


– lors du choix de la documentation, qui est lié aux types de
questions posées
– lors de la reconstitution du passé
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 La question est alors la suivante : L’Histoire est-elle une discipline


scientifique dans la mesure où il y a une intervention humaine à
tous les niveaux ?

« L’histoire dit vrai; mais ses vérités ne sont pas absolues. Comment comprendre cette
contradiction constitutive de la discipline? » (A. Prost)

C’est le problème majeur. En tant qu’historien, nous voulons dire le vrai, nous
appuyez sur les faits, faire appel à la raison mais on intervient quand même à
tous les niveaux :
• Les objets de l’histoire sont pris dans des contextes précis
• Les objets de l’histoire sont construits à partir d’un point de vue lui-
même historique.
C’est pourquoi plutôt que de parler d’objectivité, qui suppose que l’observateur
ne soit pas impliqué dans sa recherche, il vaut mieux parler d’impartialité,
d’éthique, de la nécessité de prendre de la distance par rapport à ses propres
opinions, il s’agit d’essayer de comprendre, pas de faire la leçon ou la morale.
On doit tenir compte de ce que les sources nous apportent même si elles ne
tiennent pas compte de nos émotions, de nos sentiments, même si elles ne vont
pas dans le sens de notre hypothèse. On doit donc se mettre à distance, l’objectif
n’étant pas de produire un discours moral mais d’essayer de comprendre ce qui
s’est passé.
Exemple : L’évolution du climat. Les historiens peuvent actuellement poser
cette question au passé mais au 17ème, elle n’aurait jamais été posée car elle ne
traversait pas le questionnement contemporain.

La définition de l’histoire engendre la tâche de l’historien : « reconstituer, par son


récit, d’une façon intelligible et impartiale, le passé humain, à partir d’une étude
aussi scientifique que possible des sources susceptibles de nous éclairer sur ce
passé »
Ch. PERELMAN, « Objectivité et intelligibilité dans la connaissance historique », dans
Raisonnement et démarches de l’historien, Bruxelles, Travaux du Centre
national de Recherches de Logique, 1963, p. 142.
14

Le mot « impartial» a été mis en avant et non le terme « objectif ».

« Certes, les démarches pour démontrer la vérité sont liées au contexte, à l’état de la
documentation, de la réflexion. On peut dire que les mêmes documents peuvent être ou
ne pas être acceptés en tant que preuves en fonction du contexte.
Mais le souci de vérité est lié à l’histoire, en tant que projet intellectuel depuis
Hérodote. Et je pense que c’est une faute majeure de rejeter la notion de preuve en
tant qu’instrument pour approcher la vérité, la rendre visible et convaincante »
Entretien avec Carlo Ginzburg, dans Jean-Claude Ruano-Borbalan (dir), L’histoire
aujourd’hui. Nouveaux objets de recherche. Courants et débats. Le métier
d’historien, Auxerrre, Éditions Sciences humaines, 1999, p.255.

On retrouve dans cette citation la notion d’intervention de l’historien. Ginzburg


s’est attaché à étudié le cas d’un meunier italien de l’époque moderne dont nous
avons peu de traces. Les sources qu’il a utilisées sont les sources judiciaires,
les interrogatoires lorsqu’il a été soumis à l’Inquisition dans le cadre de la
répression des hérésies au 16ème. On est loin des grands personnages mais il a
voulu montrer qu’à côté de la culture du pouvoir, il y a aussi la culture
populaire.
Il va loin dans son raisonnement en se disant que certaines sources utilisées pour
tel sujet ne seront pas pertinentes pour d’autres sujets. Hérodote est le père de
l’Histoire, puisque c’est un historien grec du 5ème siècle ACN.
Dans les textes du discours scientifique, on va trouver des allusions faisant
référence à des faits supposés connus par tous. On doit donc toujours aller
rechercher. Ginzburg, en citant Hérodote, veut nous dire que la quête de vérité
est l’élément fondamental de la démarche de l’historien et ce depuis Hérodote et
donc depuis le moment où on a inventé l’Histoire.
C’est une erreur de rejeter la preuve, dit-il, car dans les discours intellectuels
récents, on a remis en cause le caractère scientifique de cette démarche. S’il y a
une intervention personnelle de l’historien, on dira que c’est une activité de
connaissance qui n’est pas réel. Le danger, en disant qu’on étudie que des
représentations qu’on se fait du passé, est qu’il n’y ait plus d’Histoire. Ginzburg
contre-argumente en disant que le souci de vérité est ce qui apparente cette
discipline à une autre science « plus dure ».
15

 L’appareil critique
L’appareil critique est une partie essentielle d’un travail d’histoire. Il présente
les preuves à l’appui de la démonstration et permet ainsi de vérifier cette
dernière.
L’appareil critique comprend les notes (en bas de page (« infrapaginales ») ou à
la fin du travail) et les références bibliographiques (en fin de travail).
Les historiens apprennent à pouvoir retrouver et critiquer leurs sources mais
aussi à toujours représenter ses preuves dans le récit historique. Ce souci de la
preuve donnera le caractère scientifique à la démarche historique.
16

1. Genèse de la critique historique (26/09/19)

1.1. Les historiens et l’usage des sources

 L’Antiquité grecque: la naissance de l’histoire

 Hérodote
Pour comprendre la genèse de la critique historique, il faut remonter au 5ème
siècle ACN, pour retrouver Hérodote (v. 485 – v. 430 av. J.- C.). Tout ceci se
passe dans la ville d’Athènes, cité-état ayant aussi inventé la notion de
démocratie. Des travaux d’histoire apparaissent car ils veulent retranscrire
l’histoire de la ville. Hérodote, père de l’Histoire (surnommé ainsi par Cicéron)
écrit le premier récit d’évènements réalisé à partir d’enquêtes, Les histoires ou
l’Enquête. Il a ainsi recueilli des témoignages oraux et écrits.
On peut voir la nature différente des sources dont on peut disposer quand on
mène une enquête historique : les travaux écrits du passé et les témoignages
oraux (enquête orale). Cette enquête doit suivre des règles strictes pour endiguer
les risques de rapporter un témoignage erroné ou travesti car on ne veut pas
donner la vérité.
Hérodote est un des premiers à faire l’Histoire du temps présent, c’est-à-dire
l’Histoire toute proche.

« Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête afin que les travaux des
hommes et les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent
dans l’oubli »
Cité par J.-M. Bizière et P. Vayssière, Histoire et historiens. Manuel d’historiographie, Paris,
2015 (2e édition), p. 9.

L’Histoire est pour lui une démarche fondée sur la recherche de l’information,
l’historien est le témoin, celui qui sait, qui peut arbitrer entre le vrai et le faux…
Son objectif est de ne pas couvrir les grands hommes mais tous les faits
accomplis par n’importe quel homme, par les Grecs mais aussi par les étrangers.
Il y a déjà donc une volonté d’avoir une vue large. Ce qui le distingue de ses
contemporains, ce qui fait de lui un historien, c’est qu’il collecte des
17

témoignages. La recherche des sources d’information, l’enquête, est cruciale


pour un historien et cela, Hérodote l’a bien compris.

 Thucydide
Un de ses contemporains, Thucydide (v. 460- v. 396 av. J.- C.), considère lui
aussi que le récit doit être véridique, et doit être écrit par un témoin des faits. Il
va plus loin que son prédécesseur dans l’exigence de la méthode et
l’organisation du récit, centré sur un objet : la guerre entre les Péloponnésiens et
les Athéniens

«J’ai évité de prendre mes informations du premier venu et de me fier à mes impressions
personnelles. Tant au sujet des faits dont j’ai moi-même été le témoin que pour ceux qui m’ont
été rapportés par autrui, j’ai procédé chaque fois à des vérifications aussi scrupuleuses que
possible. Ce ne fut pas un travail facile, car il se trouvait dans chaque cas que les témoins d’un
même événement en donnaient des relations discordantes variant selon leurs sympathies ou
selon leur mémoire »
Cité par J.-M. Bizière et P. Vayssière, Histoire et historiens. Manuel d’historiographie, Paris,
2015 (2e édition), p. 15.

Ce texte est extrêmement moderne car on voit dans ces quelques lignes tous les
enjeux de l’approche critique des sources. Il s’est informé de la qualité des
témoins : est-ce qu’ils étaient assez qualifiés, bien placés, pour rapporter
l’information ? En outre, il a pris de la distance par rapport aux faits rapportés,
le souci d’impartialité émerge chez cet historien.
Mais Thucydide sait que les évènements qui lui sont rapportés seront toujours à
travers des témoignages, il ne pourra jamais en être sûr. Il doit donc procéder à
des vérifications, au recoupement des sources. Il va essayer de voir si un même
événement peut être rapporté par plusieurs témoins. C’est difficile car il se rend
compte que les témoins d’un même événement donne des faits différents. Il sait
donc bien où il peut se faire piéger en collectant les informations.
On se rend compte que bien souvent, on n’a pas une relation exactement pareille
selon les témoins, soit parce qu’ils ne l’ont pas bien compris, soit parce qu’eux-
mêmes sont influencés par leur propre sympathie qui leur servira de filtre (Ex :
les manifestations et le positionnement des acteurs).
18

L’autre problème mis en avant par cet historien est que dès que le temps
s’écoule, la mémoire peut être défaillante et sélective. Quand on fait
aujourd’hui des remémorations collectives, on essaye de faire reculer ce
phénomène. La mémoire interpelle l’émotion de ceux qui doivent retenir
l’évènement, ce qui la différencie de l’Histoire. Les évènements dont on va faire
le rapport vont interpeller la raison mais aussi les sentiments de ceux qui s’en
souviennent. Ce n’est pas la même chose que la recherche de l’histoire de
l’évènement !
Dans l’Athènes du 5ème siècle ACN, des historiens ont voulu rapporter le mieux
possible une forme de vérité historique, sans encore avoir les méthodes mais en
s’en sortant quand même bien.

 L’époque romaine
Par la suite, et ce de manière globale, quand on se plonge dans la période
romaine, l’Histoire sera surtout écrite pour mettre en avant les faits importants,
les exploits des grands hommes, pour en faire une histoire exemplative.
Ainsi, Tite-Live (64-59 av. J.-C.) veut mettre en avant des exemples à suivre.
L’Histoire ne cherche plus tellement à établir une vérité concrète mais à montrer
des choses auxquelles se référer dans le temps présent. Il établit la synthèse des
œuvres précédentes, est préoccupé par la relation des mœurs des temps anciens
afin d’ y trouver les exemples à suivre ou ne pas suivre : une histoire à la
recherche des qualités morales du peuple romain, fondée sur les légendes plus
que sur le souci de vérité historique.
César (100-44) est un homme politique qui écrit l’Histoire des évènements du
temps présent. Ainsi, il écrit l’histoire des conquêtes qu’il a lui-même mené, la
distance et le souci d’impartialité ne sont donc pas présents dans un témoignage
donné par celui qui conduit la bataille. L’histoire écrite par les hommes
politiques sont donc emblématique d’une histoire au service de leur action.
Dans le contexte de l’Empire romain, les historiens ne sont pas libres d’écrire ce
qu’ils veulent puisqu’ils sont soumis à une forme de censure officielle, qui aura
un impact sur la manière d’écrire l’Histoire.
On passe donc de l’émergence des principes de l’Histoire à une Histoire voulue
comme exemple, l’évolution de la critique historique n’est donc pas du tout
linéaire.
De ces sociétés anciennes et jusqu’au 18ème, la plupart des gens ne savent pas
lire. Ainsi, la transmission de l’Histoire nous est parvenu grâce à des écrits mais
19

la majorité des gens la connaissent oralement. C’est donc important de se


demander pourquoi et pour qui on écrit.

 L’époque médiévale
En Europe occidentale, l’époque médiévale est très marquée par l’omniprésence
de l’Eglise. L’enseignement générale, dans cette société, est marqué par la
volonté de transmettre les savoirs liés à la foi. Ceux qui apprennent (limité) vont
recevoir une éducation sous l’empreinte de cette étude des Saintes Ecritures qui
portent la parole divine. Cette histoire n’est donc ni contestable ni critiquable et
l’interprétation des Saintes Écritures fait l’objet d’un contrôle strict de la part du
clergé. A partir du moment où on ne peut pas contester cette vérité, on se rend
compte qu’on n’est pas dans un contexte d’émergence d’un point de vue
critique. En outre, la censure est aussi fortement présente.
Cela signifie qu’on va plutôt s’intéresser à la succession des événements et non
pas à leur explication car elle est présentée par les historiens chrétiens comme
une illustration de l’exercice de la volonté de Dieu. Apparaissent ainsi des
chroniques et des annales racontant les événements sans démêler le vrai du
faux.
A partir du 12ème siècle, l’Histoire sera encouragée par les princes laïcs, qui
veulent avoir l’histoire de leur principauté et qui ont soutenu le travail de
chroniqueurs qui vont se mettre à leur service. Evidemment, un chroniqueur
engagé par un duc ou autre va être soumis à l’autorité de son maître et ne sera
donc pas tenté de mettre en avant les évènements pouvant nuire au prestige de
celui qui l’emploie. De plus, ces gens au service d’un duc ou autre auront une
certaine adhésion avec ce qu’il fait.
Pour le Moyen-Age, on dispose donc de nombreuses chroniques, soit écrites
dans le cadre des institutions ecclésiastiques (ex : les abbayes aiment avoir leurs
chroniques) soit écrites pour des nobles.

N.B. : Le problème de la critique historique, c’est de pouvoir utiliser des


sources dont on se méfie un peu. Le paradoxe est d’avoir la volonté d’une
certaine distance envers les sources et en même temps de faire preuve
d’empathie pour bien comprendre le contexte et la mentalité des témoins.
20

Exemple de chronique monastique Cantatorium de Saint-Hubert,


manuscrit sur parchemin, 13e siècle. Des moines s’attachent, dans
leur abbaye, à rédiger sa chronique. L’écriture est maîtrisée et le
support est en parchemin. Ce dernier est fait avec de la peau
d’animal tannée et préparée pour être utilisée. Ce matériau est
précieux et rare, on ne doit donc pas le gaspiller mais il peut traverser les âges.
On retrouve des marges, des lettrines qui amorcent les paragraphes et une mise
en page.
Exemple Jean Froissart (1337?-1410?), Les Croniques que fist sire
JEHAN FROISSART, 1401-1500 manuscrit en français. Jean
Froissart est un chroniqueur très connu, qui a notamment été au
service du roi d’Angleterre. Le recours aux enluminures donne
toute sa valeur à ce document. Les historiens utilisent aussi les
images, qu’il faut également lire avec beaucoup d’esprit critique. L’évènement
fondamental sera l’apparition de l’imprimerie (milieu du 15ème) car on aura à
disposition un moyen de diffuser le savoir plus massivement.

 La Renaissance et le tournant philologique


À partir du 14e siècle, en Italie, l’intérêt pour l’Antiquité classique – et surtout
ses œuvres littéraires et artistiques, considérées comme des modèles – connaît
un essor sans précédent.
La Renaissance (baptisé ainsi au 19ème), mouvement débutant en Italie, gagnera
rapidement une bonne partie de l’Europe Occidentale. En outre, la République
des Lettres va aider à diffuser une nouvelle conception de l’humanité :
l’humanisme.
C’est un tourant philologique car les savants devront étudier les sources antiques
dans leur langue d’origine (latine ou grecque) et il faudra donc les interpréter. La
première étape est de retrouver les textes. On va voir se développer de la part
des savants qui peuvent le faire une quête des textes anciens. On aura donc une
enquête portant sur ce qui a été produit dans l’Antiquité.
Poggio Bracciolini est un humaniste toscan passionné de littérature
latine et il va faire de grands voyages pour essayer de collecter ces
manuscrits anciens, recopiés dans des monastères. Après la
retrouvaille de ces sources, on devra essayer de les comprendre.
L’enquête de terrain va alors se transformer en une enquête sur des sources
anciennes. On est confronté à la nécessité de comprendre les textes anciens.
21

Comprendre les œuvres des auteurs grecs et latins suppose de :


 Les déchiffrer correctement, en repérant et en corrigeant les erreurs de
copie dont ils ont été victimes;

 Tenter d’en établir une édition de référence – du moins dès


l’invention de l’imprimerie qui permettra de diffuser et multiplier les
ouvrages.

Ces enjeux contribuent à la formation d’une discipline nouvelle, la philologie :


ancienne science historique ayant pour objet la connaissance des civilisations
passées grâce aux documents écrits qu'elles ont laissés, dans telle ou telle
langue. Dans la pratique, la philologie se centre sur l’interprétation textuelle des
documents. Le latin, même si c’est encore la langue des savants, a évolué. Il faut
donc interpréter les textes, et on pourra le faire grâce à la philologie justement.
On commence à prendre conscience qu’on doit se méfier des témoins mais aussi
être sûr de bien comprendre ce que ces témoignages veulent apporter. Il existe
donc un lien étroit entre la philologie et le contexte historique.
La naissance de la philologie marque un tournant fondamental dans l’histoire de
la critique historique, parce qu’elle ouvre la perspective d’une analyse
systématique et scientifique des textes – sources historiques privilégiées.
Quand on essaye de comprendre des textes anciens, on va voir que la langue
évolue et que pour comprendre un écrit en profondeur, il faut savoir que ce
qu’on lit est inscrit dans le contexte historique dans lequel il a été écrit. La
signification des mots peut donc avoir évoluer. Quand on a une bonne
connaissance de l’évolution de la langue, on va pouvoir débusquer des erreurs
ou des anachronismes et montrer que l’écrit est un faux ! On est donc d’abord
dans une critique textuelle.

 Exemple de la donation de Constantin


Lorenzo Valla (ca. 1406-1457) va étudier un texte emblématique pour montrer
l’apport de l’étude philologique des textes anciens : il s’agit de la Donation de
Constantin. On n’essaye plus seulement de décider quels textes on accepte mais
on essaye bien de débusquer les faux.
22

On est toujours dans le contexte de la Renaissance italienne. On considère que le


travail que Valla va fournir est un élément fondateur de cette discipline qui
consiste à comprendre le texte : l’herméneutique. Valla est considéré comme le
fondateur de l’analyse textuelle.
La Donation de Constantin est un texte en deux parties, datées respectivement
de 315 et 317, qui livre une liste de territoires et de privilèges que l’empereur
romain Constantin Ier (r. 306-337) aurait concédés au pape Sylvestre Ier.
Entre les 11e et 15e siècles, la Donation a été utilisée par les partisans du pape
dans diverses controverses pour justifier l’existence des États de l’Église et la
préséance du pouvoir pontifical sur celui des empereurs.
En procédant à une analyse des anachronismes linguistiques, Lorenzo Valla
démontre que la Donation de Constantin est une contrefaçon (La Donation est
aujourd’hui considérée comme un faux du 8e ou du 9e siècle, dont les origines
demeurent assez obscures)
Il faut avoir une très bonne connaissance des autres textes de l’époque pour
pouvoir déceler les anomalies textuelles. Bien comprendre les textes est un pas
important vers la mise au point de la critique historique.
En outre, des esprits savants prennent le risque de mettre en cause des sources
qu’on considérait alors comme historiques.

 La Réforme protestante
L’émergence de la Réforme protestante au début du 16ème est aussi importante.
Elle se développe d’abord en Allemagne sous l’influence de Luther, puis en
France sous l’influence de Clavin et en Suisse on retrouve Zwingli. Ces
théologiens n’acceptent plus le fonctionnement de l’Eglise catholique et la
remettent en cause. En outre, le roi d’Angleterre va aussi suivre ce mouvement
et naîtra alors l’anglicanisme.
Cette Réforme va remettre en cause les fondements de l’Eglise et de son autorité
en matière de foi, les protestants voulant un culte plus simple et plus proche des
croyants, ils veulent moins de richesses autour du clergé. En outre, le culte des
saints n’est pas acceptable pour eux, tout comme celui de Marie. Le mot-clé est
donc la simplification.
Ils vont jouer un rôle dans la mise en cause de l’Eglise mais aussi, puisqu’ils
veulent une foi plus proche des croyants, ils veulent traduire et diffuser la Bible
23

en langue vernaculaire. Ils sont donc également à l’origine de la diffusion des


savoirs.
L’Eglise catholique sera vite touchée par ce mouvement qui donnera lieu à des
conflits très importants en Allemagne, en France et dans les Pays-Bas : les
guerres de religion. C’est une rupture fondamentale dans les certitudes des
savants de l’époque. Le Concile de Trente voudra donner une réponse à cette
Réforme qui sera la Contre-Réforme. On va essayer de regagner le cœur des
croyants catholiques, par l’émergence du baroque mais aussi par une réflexion
sur les textes. Jusqu’ici, on les acceptait sans les critiquer mais face à la
Réforme, des esprits catholiques s’empareront des textes racontant la vie des
saints pour les analyser et pour produire des éditions critiques qui vont permettre
de prendre le recul nécessaire pour que les Ecritures catholiques ne soient pas
rejetées en bloc.

 La Réforme aura donc comme conséquence une évolution au sein de


l’Eglise catholique.

 Exemple : Jean Bolland


La Réforme suscite ainsi des évolutions au sein de l’Église catholique, dont le
Jésuite Jean Bolland (1596-1665), la Société des Bollandistes et la publication
des Acta Sanctorum (1643-) sont de bons exemples.
Ils constituent en effet un produit indirect de la Contre-Réforme (concile de
Trente, 1545-1563), en réagissant de manière critique aux attaques protestantes
(principalement contre le culte des saints et des reliques, considéré par les
protestants comme dépourvu de tout fondement biblique).
N.B. : Les Jésuites sont au service du pape et cet ordre apparaît après la
Réforme. Ils sont chargés de missions d’évangélisation, d’enseignement en
Europe (collèges jésuites) et ils sont souvent les confesseurs des princes
catholiques. Ils ont donc un rôle important dans la propagation de la Contre-
Réforme. Ce sont les mieux indiqués pour écrire une édition critique de la vie
des saints qui répondraient aux attaques des protestants.
Les Acta Santorum (les Actes des Saints), Frontispice du
premier volume des Acta sanctorum (mois de janvier), Anvers,
1643. L’idée n’est plus d’étudier des textes officiels mais bien
de se porter sur les vies de saints, qui est un des fondamentaux
24

de l’enseignement catholique. S’en suivra un long travail de recherche


historique pour démêler le vrai du faux.
On a un élargissement de la démarche critique en matière hagiographique (c’est-
à-dire pour des textes concernant la foi). Un travail d’édition critique sur
dossiers est toujours en cours (67 volumes parus).

 Les Temps Modernes


On va assister à un grand changement de l’approche des textes aux Temps
Modernes. Les outils apparaissent peu à peu : la philologie, … Tout doucement
se met en place la méthode critique qu’on utilise encore aujourd’hui. Cette mise
au point se fera dans le monde des savants attachés à l’Eglise catholique. Ainsi,
la Réforme et la Contre-Réforme vont également bouleverser l’horizon
idéologique des savants.
La conception et les connaissances du monde, vont être totalement bouleversées
par les découvertes et les grands voyages. Ils vont montrer que la connaissance
des savants va constamment évoluer, on va toujours découvrir plus.

On verra :
 La remise en cause des connaissances scientifiques ;
 L’émergence de sciences nouvelles (géographie, …)

Cette grande période de changement que marque le début des Temps Modernes
permettra l’émergence d’une réflexion plus libre qu’auparavant car les certitudes
seront modifiées.
L’imprimerie (redécouverte au 15ème car elle existait déjà en Chine) est la
capacité à pouvoir imprimer, à partir de l’alignement de lettres et en plusieurs
exemplaires, un même texte. C’est formidable car jusque-là, tout se faisait à la
main. Elle permettra de multiplier et diffuser les livres.
On ne remettait pas en cause le savoir admis par l’Eglise mais à partir du
moment où même au sein du monde chrétien émerge la Réforme et ses
contestations, à partir du moment où des savants peuvent regarder les textes sans
25

avoir ce poids de « Providence », on pourra voir émerger une critique


historique.
Les textes écrits constituent le terreau majeur des traces historiques, leur
compréhension est donc fondamentale. On veut faire émerger la vérité et donc
mettre au point une méthode critique, dans l’espoir de comprendre et de faire
comprendre le passé des sociétés humaines. Il ne s’agit plus de dicter le savoir
donné par Dieu mais bien de constituer soi-même un savoir.

 L’émergence de l’histoire méthodique au 17e siècle


Le Bénédictin Jean Mabillon (1632-1707) ; congrégation de Saint-Maur) établit
les fondations de l’histoire méthodique… Il veut fonder l’histoire de son
abbaye sur une méthode critique des documents. Il rédige l’histoire de son ordre
tout en rompant avec l’exigence que l’on fasse « belle œuvre » plutôt
qu’ « œuvre exacte ». Son objectif : parvenir à des certitudes. Mabillon fonde
dès lors son travail sur une critique serrée des documents relatifs à son sujet.

« Cette année là – 1681, l’année de la publication du De Re Diplomatica, une grande date en


vérité dans l’histoire de l’esprit humain – la critique des documents d’archives fut
définitivement fondée. »
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 2002, p. 88
(édition originale publiée par Lucien Febvre en 1949)

Le travail de Mabillon est actuellement considéré par tous comme


le fondement de la critique historique. 1681 est donc une date
fondamentale car dans son œuvre, Mabillon fondera le
diplomatique : c’est la science ayant pour objet les diplômes,
chartes et autres documents officiels, leur authenticité, leur
intégrité, leur âge et leurs variations au cours des temps.
Quand Mabillon a un document, il veut savoir s’il est authentique ou non pour
pouvoir l’accepter. Il faut donc se poser toute une série de questions (qu’on se
pose toujours aujourd’hui) :

 Date ;
 Provenance (copie ou pas) ;
 Nature ;
 Authenticité.
26

Pour faire cela, on devra lire en profondeur le document. On va donc aussi


étudier :

 L’écriture (paléographie = apprendre à lire les anciennes


écritures) ;

 Le support (pas de document ancien sur papier) ;

 Le style (il existe des règles de mise en page, d’écriture et


d’autres éléments formels qui doivent être respectés, comme
sur notre carte d’identité par exemple);

 Les sceaux éventuels.

La méthode de Mabillon va imposer de faire la distinction entre les sources


(travail d’enquête, discours historique) et les travaux des historiens (travail
personnel). Cela constitue l’acte de naissance de l’histoire méthodique.

 Richard Simon
Les historiens vont utiliser cette méthode critique et l’étape suivante
sera de publier des ouvrages montrant comment on a utilisé cette
27

méthode. Ainsi, Richard Simon va appliquer le questionnement philologique


aux textes bibliques et plus particulièrement à l’Ancien Testament. Il veut
comprendre comment ce texte a été écrit. Il va donc écrire Histoire critique du
Vieux Testament en 1678.
L’Histoire critique du Vieux Testament, bien que ne niant pas l’inspiration
divine des textes sacrés, est perçue par l’Église et la monarchie française comme
une remise en cause des fondements mêmes de la Bible et, par-là, de leur propre
autorité.
Par conséquent, son livre est saisi, détruit, et inscrit à l’Index en 1683 mais
aucune de ces mesures ne dissuadent d’autres intellectuels de poursuivre la
démarche de Simon.
Critiquer les textes, c’est critiquer les ouvrages qui font figure d’autorité  On
refuse l’argument d’autorité. La censure voudra réduire ce mouvement mais il
est lancé et les savants des siècles suivants n’accepteront plus des vérités sans
les vérifier.

 Le développement de l’archéologie
L’archéologie est l’étude des vestiges matériels du passé. Ils ont toujours
suscité l’intérêt depuis les premières sociétés humaines: cette curiosité pour les
monuments, les céramiques ou les ossements est attestée dans les milieux
cultivés de l’Antiquité, en Egypte, en Mésopotamie, en Grèce ou à Rome (mais
aussi en Chine et dans d’autres contrées du globe). Cependant, s’intéresser ne
veut pas dire les comprendre et les étudier scientifiquement néanmoins.
Le Moyen Âge, en Europe, sera marqué par la recherche des reliques sacrées,
destinées à légitimer le pouvoir et à entretenir la ferveur religieuse. La recherche
des reliques est bien, au fond, la recherche des traces matérielles de l’histoire
religieuse. On s’intéresse à l’objet qu’on peut montrer.
A partir de la Renaissance, qui revisite l’Antiquité, se développe le goût des
collections, que les savants s’emploient à étudier avec une méthode critique qui
s’affirme comme de plus en plus rigoureuse :

• Description des
vestiges
• Dessins
• Fouilles
• Publications
28

Ainsi, les savants visiteront les villes qui ont encore en leur sein des vestiges
archéologiques (Rome, …). On va dessiner ces vestiges et entreprendre des
fouilles, on essaye de retrouver et enfin, on fera des publications.
Ces découvertes de sources archéologiques vont stimuler la recherche et la
réflexion. Il y a plusieurs moment-clé :

 Découverte en 1653, à Tournai, de la tombe de Childéric (mort en


481), le père de Clovis. La tombe du fondateur de la dynastie des
Mérovingiens contenait des trésors, pièces de monnaie et objets
précieux.
(Le trésor, conservé à la Bibliothèque de France, a disparu après avoir
été volé en 1831; mais en 1984, de nouvelles fouilles à Tournai ont mis
au jour les restes des chevaux sacrifiés pour être enterrés auprès du
roi).

 Découverte de Pompéi : premières trouvailles lors de travaux effectués


entre 1592 et 1600 et premières fouilles à partir de 1748. On sera de
plus en plus intéressé par les collections (cabinets de curiosité) mais
aussi par une approche scientifique.

 Le comte de Caylus
On verra se mettre en place des publications car on se dit qu’on ne peut plus
simplement collectionner mais qu’il faut aussi comprendre. L’objectif du comte
de Caylus est d’élaborer un savoir global, encyclopédique et explicatif.
Le comte de Caylus (1692-1765) fait paraître à partir de 1752 son
Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines (7
vol. publiés entre 1752 et 1767). Ce collectionneur d’antiques,
membre de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres,
peintre et graveur, est considéré comme un des fondateurs de l’archéologie, par
l’attention qu’il porte aux objets dans leur contexte historique. Sa collection a
29

été léguée au cabinet des Médailles du Roi, actuel Département des médailles,
monnaies et antiques de la Bibliothèque nationale de France.
C’est aussi à ce moment-là que les musées et les bibliothèques, héritiers des
collections royales, apparaissent.

1.2. Comment écrire l’Histoire ? (03/10/19)

1.2.1. Les ambitions de Voltaire au 18ème siècle


Une fois admis que tout texte est désormais susceptible d’être critiqué, les
débats concernant la critique historique portent désormais sur ce que doit être
l’histoire que cette critique contribue à établir.
Dans ce cadre, Voltaire (1694-1778) joue un rôle important car il va avoir
l’intention d’écrire des ouvrages d’Histoire. Il veut être historiographe au
service du roi de France. Ainsi, il publiera en 1751 « Le siècle de Louis XIV »
qui est un ouvrage crucial car dès l’introduction, Voltaire exprime ce qu’il veut
faire.

« Ce n’est pas seulement la vie de Louis XIV qu’on prétend écrire ; on se propose un
plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d’un seul
homme, mais l’esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais. »

Voltaire nous dit qu’il va s’appesantir sur un des plus grands rois du monde, on
est donc dans la tradition d’écrire l’histoire d’un grand homme, mais il va
l’élargir car il veut aussi écrire l’histoire de tous ceux ayant vécu sous le règne
de Louis XIV. Cet écrivain veut dépasser les histoires axées sur une seule
personne, fusse un souverain comme Louis XIV.

Le Siècle de Louis XIV ambitionne donc…


 De dépasser la simple présentation d’un règne (perspective
traditionnelle) pour traiter des faits de civilisation (ce qui préfigure
l’histoire totale) ;
30

L’autre aspect important proposé par Voltaire est d’essayer d’atteindre la vérité
avec une méthode. Il veut essayer de dépasser cette histoire des règnes où on ne
met en avant que tout ce qui est magnifique, voire légendaire, pour atteindre une
certaine forme de vérité.
Pour se faire, il utilisera de nouvelles sources, des données qu’on peut
quantifier. A cette époque, on met au point les méthodes statistiques, les cartes
géographiques complètes, … Voltaire est imprégné, en écrivant son livre, de cet
esprit qui essaye de percevoir l’intégralité des faits.
Il y a pourtant chez cet auteur une forme d’admiration qui transparaît. Il ne se
met pas à distance en écrivant même si on retrouve chez lui cette quête du vrai
et cette volonté d’élargir l’objet. Cependant l’Histoire n’est pas un fil continu,
des auteurs écrivant encore à cette époque que sur de grands hommes.

Par son projet ambitieux, l’œuvre constitue un jalon-clef dans l’historiographie


(élargissement des perspectives) et annonce paradoxalement à la fois :
 L’histoire romantique (ampleur du sujet, patriotisme) – un art ;

 L’histoire méthodique (souci de véracité, de quantification) – une science

On peut dire qu’on est à la croisée des chemins, entre l’Histoire qui aspire au
vrai, à la vérité, et une Histoire qui s’apparente à une œuvre littéraire, écrite par
une personne qui a une belle prose.
 Voltaire pense qu’on peut faire les deux.
1.2.2. « Histoire romantique » VS « Histoire méthodique » ou « art » VS
« science » au 19ème
31

Les historiens ne sont pas détachés de la société dans laquelle ils vivent. Ainsi,
en Europe Occidentale au 19ème, on voit naître les Etats nations, c’est-à-dire que
la nation est mise en avant pour devenir une forme d’adhésion collective.
L’autre versant est la naissance d’une forme d’antagonisme entre les différentes
nations. Les historiens qui vont travailler dans ce contexte vont être imprégnés
de cette idée en écrivant l’histoire de France par exemple.
De plus, le 19ème est le siècle des sciences, c’est à cette époque qu’on voit
démarrer les sciences exactes. Elles sont perçues comme un vecteur de progrès
et on retrouve toute une série de réflexions scientifiques, ces dernières étant de
plus en plus apparentées à la raison.
On parlera donc de l’histoire romantique VS de l’histoire méthodique, une
histoire qui s’apparente plus à un art VS une histoire qui s’apparente plus à la
science. Tout cela est le fait de l’inscription des historiens dans la société où ils
vivent.

 L’histoire romantique

Jules Michelet (1798-1874, historien français) est un des tenants de


l’histoire romantique en France. Il a une ambition: procéder à « la
résurrection du passé intégral » grâce à son œuvre « l’Histoire de
France ». Ce livre se veut scientifique car il est fondé sur l’étude
critique d’un corpus de documents aussi vastes que possible. Mais il conserve
sciemment certains traits subjectifs propres à la démarche artistique :
 Un caractère littéraire affirmé : l’histoire reste un art et participe à la
quête du beau ;

 L’implication personnelle et directe de l’historien dans le traitement de


son sujet

« Cette œuvre laborieuse d’environ quarante ans fut conçue d’un moment, de
l’éclair de Juillet. Dans ces jours mémorables, une grande lumière se fit, et j’aperçus
la France.
Elle avait des annales, et non point une histoire. Des hommes éminents l’avaient
étudiée surtout au point de vue politique. Nul n’avait pénétré dans l’infini détail des
développements divers de son activité (religieuse, économique, artistique, etc.). Nul
32

On sent dans le style la démarche littéraire. En parlant de « l’éclair de Juillet »,


il parle évidemment de la révolution de 1830. Il cite aussi les annales, sources de
l’histoire de France. Il veut écrire l’histoire de toute la population française et
une histoire totale, c’est-à-dire religieuse, politique, économique, artistique, …
Il dit de son projet que c’est un grand corps, une personne et parle de l’espace et
de la durée qu’il va couvrir. Quand on produit une œuvre comme celle-là, on
rencontre des critiques positives et négatives mais elles disent toutes qu’il a
réussi à rendre vivant le passé de la France, ce qui était son but. Le style utilisé
doit donc rendre l’Histoire vivante.

« Ma vie fut en ce livre, elle a passé en lui. Il a été mon seul événement. Mais cette identité
du livre et de l’auteur n’a-t-elle pas un danger ? L’œuvre n’est-elle pas colorée des
sentiments, du temps, de celui qui l’a faite ? »
[…]
« Si c’est là un défaut, il nous faut avouer qu’il nous rend bien service. L’historien qui en est
dépourvu, qui entreprend de s’effacer en écrivant, de ne pas être, de suivre par derrière la
chronique contemporaine …, n’est point du tout historien ».
Extrait de la préface de 1869 de l’Histoire de France
Dans cet extrait, il avoue clairement qu’il est tellement habité par son projet que
c’est sa vie qui est passée dans son livre, et il se demande si ce n’est pas un
danger. Mais par la suite, il plaide pour l’empathie, qui est indispensable pour
33

revivre le passé. Il fait aussi allusion au débat qui a lieu à cette époque, cette
tension entre l’histoire romantique et l’histoire méthodique.

Pour les adeptes de « l’école romantique », l’histoire se doit de ranimer


(« rendre leur vie ») les événements et les hommes qui ont compté, il s’agit de
rendre à la vie le passé dans toute sa complexité, c’est-à-dire pas seulement les
grands hommes mais aussi survoler les régions, les populations, … .
Elle ne se contente donc pas de dépeindre ce qui est révolu avec détachement –
c’est un travail enthousiaste qui vise à faire revivre le passé et de susciter
plaisir et émotion auprès du lecteur.
Chez Michelet, l’objectivité et l’impartialité ne sont pas de véritables enjeux
– mais l’histoire n’en est pas pour autant assimilable au roman (c’est un art
aux traits scientifiques). Il fait un travail d’historien par l’enquête mais pour lui,
un historien ne doit pas se mettre à distance. Son œuvre n’est pas un roman, ce
n’est pas une fiction car il cherche à atteindre la vérité, mais c’est dans la
manière de l’écrire que son ouvrage se rapprochera de la littérature.
On admire cette histoire romantique pour son écriture mais elle a eu des
détracteurs qui disaient que l’historien était trop impliqué dans son récit. Ils
veulent mettre au point l’écriture d’une Histoire où on restituerait les faits sans
être influencé : c’est l’histoire méthodique.

 L’histoire méthodique
Léopold von Ranke (1795-1886) est un historien allemand qui va prôner
l’histoire méthodique. C’est à ce moment-là qu’on pense que la science « dure »
pourra améliorer les sciences humaines. Comme en sciences, l’ambition est de
dépasser l’implication de l’historien pour essayer de révéler les voies du monde
et pour se faire, on doit être le plus à distance possible de l’objet d’étude.
L’histoire méthodique prend son envol à l’aube du 19e siècle, à un moment où la
science, liée à la révolution industrielle naissante, est communément perçue
comme en mesure de révéler les lois du monde – en ce compris celles de ses
composantes sociales (scientisme, positivisme).
N.B. : On parlera de positivisme ou de scientisme pour évoquer l’impact des
sciences exactes sur les sciences humaines. C’est à cette époque qu’on met au
point ce système d’écriture d’un discours scientifique argumenté.
34

Léopold von Ranke veut fonder une histoire scientifique (fiches, bibliographie,
notes de bas de page), qui a pour objet de reconstituer le passé tel qu’il s’est
déroulé (« wie es eigentlich gewesen ist ») à partir des événements démontrés
comme vrais. Il veut aussi avoir une méthode infaillible qui permettrait de
produire un discours aussi scientifique qu’un discours de science exacte.
On ne cherche pas à obtenir l’adhésion du lecteur par une écriture flamboyante
mais on veut retranscrire le vrai des évènements en les prouvant, le but étant de
démontrer.

La démarche critique est donc fondée sur cinq postulats interdépendants :


 L’historien n’a pas à juger le passé mais simplement à le relater, il
doit garder ses distances avec lui. Ainsi, il ne doit pas y avoir de
modalités dans son discours ;

 Il n’existe aucun lien entre l’historien et le fait historique étudié :


l’historien peut (et doit) être impartial, il ne doit pas être habité par
son sujet. S’il lit quelque chose qui ne lui plaît pas, il ne peut pas le
passer sous silence ;

 L’Histoire existe en soi, et possède une structure propre qui peut être
connue grâce aux archives. Pour pouvoir comprendre le passé, on doit
retrouver les sources qui peuvent le démontrer. On doit reconstituer -et
non pas ranimer- le passé, la quête des sources est donc fondamentale,
on doit les faire parler objectivement ;

 L’historien enregistre le fait historique de manière passive, comme le


miroir reflète l’image d’un objet ;

 L’historien a pour tâche de rassembler un nombre suffisant de faits,


reposant sur des documents sûrs, ce qui permet au récit historique de
s’organiser. Il faut s’assurer de la validité du document, chaque source
étant soumise
Un des progrès à lava
est qu’on critique historique.
plus mettre l’accent sur l’enquête scientifique, la
recherche de la documentation et son analyse critique. En termes
d’enseignement, c’est lors de séminaires de recherche qu’on va apprendre à faire
l’Histoire. Ils existent encore aujourd’hui pour acquérir la méthode du discours
scientifique par la pratique.
35

Cette histoire méthodique doit être la plus simple possible, tous les historiens
devant utiliser un langage identique pour pouvoir se comprendre. La lecture ne
cherche pas à acquérir l’adhésion du lecteur. En revanche, les deux histoires
pratiqueront la critique historique et la critique des sources mais la grande
différence est l’application qu’ils leur donneront. La manière d’apporter les
preuves et de susciter l’adhésion du lecteur seront différentes.
La méthode de la critique historique est donc en train de s’imposer, la quête du
document primant. L’école allemande aura un impact très important et se
développera aussi en-dehors de l’Allemagne.

1.2.3. Généralisation de l’histoire méthodique


Sous l’impact du développement des sciences exactes, la méthode scientifique
en Histoire va donc s’affermir.

 Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études


historiques, Hachette, Paris, 1898.
L’ouvrage « Introduction aux études historiques » est encore d’actualité alors
qu’il est très ancien. Langlois et Seignobos étaient professeurs à la Sorbonne et
cette œuvre est la transcription de leur cours. Toute une méthode est exposée à
ceux qui veulent s’initier à la critique historique. L’enquête historique se fait
encore comme cela aujourd’hui.

Charles Victor Langlois et de Charles Seignobos :


« L’Histoire se fait avec des documents. Les documents sont les traces qu’ont laissées les
pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en
est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement
durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé
de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour
l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé… … Faute de documents, l’histoire
d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée
aux documents : pas de document, pas d’histoire. »
 L’histoire, conçue comme une reconstruction, se doit d’établir l’image
du passé la plus véridique possible.
Le problème, c’est que tout n’a pas laissé de traces, un accident pouvant effacer
une source. Ainsi, si les centres d’archives sont la proie des flammes ou des
eaux, on perdra une bonne part de la documentation. Pour eux, le passé n’existe
que si on retrouve des sources, pas question de boucher les trous avec
36

l’imagination. On perçoit l’importance des sources dans cet extrait, on est


clairement dans l’idée qu’on doit pouvoir prouver les évènements du passé.
Langlois et Seignobos s’appuient pour l’essentiel sur des sources écrites, qui ne
sont cependant pas les seules à pouvoir être utilisées pour essayer d’exhumer le
passé. A cette époque, la méthode systématique enseignée aux historiens est
l’analyse critique des sources écrites.

« Leur ouvrage peut être lu comme un immense effort visant à transposer dans le champ des
études historiques les manières de travailler et de raisonner qui ont fait leurs preuves dans le
domaine des sciences physiques. Le laboratoire de l’historien, ce sont ses sources. »
Gérard Noiriel, préface à la nouvelle édition en ligne.

On voit clairement explicité cette volonté de se rapprocher des méthodes des


sciences exactes. On peut retrouver les traces du passé et les soumettre à la
critique historique. Le scientifique dans son laboratoire n’invente pas mais
prouve, tout comme l’historien doit le faire. Cette histoire méthodique fera
pourtant l’objet de critiques importantes.

1.2.4. La critique de l’histoire méthodique : les Annales et la « Nouvelle


Histoire »
Après la première guerre mondiale, les progrès des sciences sociales qui
émergent au 19e siècle (sociologie, sciences économiques, sciences politiques),
dont les apports (fondés sur une problématisation), paraissent considérables en
regard de ceux de l’histoire, réduite à collectionner des faits.
37

 L’histoire méthodique est fortement critiquée

Langlois et Seignobos disaient que s’il n’y a pas de documents, on n’a pas
d’Histoire. L’historien qui pense agir de manière scientifique en faisant cela
devient tributaire du hasard de l’Histoire. Il ne se pose pas la question de savoir
pourquoi il a ces sources-là et pas d’autres. Les sources écrites qui nous sont
parvenues sont la plupart du temps celles écrites par le pouvoir (sources
judiciaires, …) et sont donc en faveur du parti en place.
On pratiquera certes la critique historique de manière très serrée pour lire ces
sources mais on oubliera un pan de l’Histoire se faisant et on négligera d’autres
histoires : littéraire, populaire, …

 Les Annales
Dans les sciences sociales, on aura une autre attitude : on posera une question
pour étudier un objet de recherche. L’école des Annales apportera un grand
changement : celui de poser des questions au passé.
Febvre. Le mouvement de redéfinition de l’histoire s’engage
principalement en France, sous l’impulsion de deux jeunes élèves de
Langlois et Seignobos, qui débutent en 1919 leur carrière
académique à l’Université de Strasbourg redevenue française : Marc Bloch
(1886-1944) et son collègue Lucien Febvre (1878-1956).
Bloch. Bloch et Febvre ne seront pas satisfaits avec la façon d’écrire
l’Histoire de leur temps et écriront donc une revue, Les Annales, qui
va profondément modifier la façon d’écrire l’Histoire. On aura une
Histoire sur la longue durée, économique, démographique, … en
utilisant les méthodes de Langlois et Seignobos mais en posant des
questions qui n’auraient pas été posées en respectant la méthode de leurs
professeurs.
En 1929, Marc Bloch et Lucien Febvre fondent une revue : les Annales
d’histoire économique et sociale (rebaptisée Les Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations en 1946) où est mise en œuvre leur conception de l’histoire.
Si le mouvement de l’École des Annales s’est concentré en France, un
historien étranger de renom a été associé à cette entreprise : l’historien
belge Henri Pirenne (1862-1935), auteur d’une monumentale « Histoire
de Belgique », publiée en sept volumes, entre 1900 et 1932.
38

Il est considéré par Bloch et Febvre comme leur modèle. La caractéristique de


ses ouvrages est d’avoir mis au premier plan la compréhension des phénomènes
économiques et sociaux plutôt que l’histoire des grands hommes ou des
batailles. On renouvelle donc la manière d’écrire l’Histoire. Il pose avant les
autres un problème, il veut comprendre les choses plutôt que de se laisser guider
par les seules sources politiques.

Lucien Febvre :
« L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se
faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que
l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des
fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de
champs et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises
de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. D’un mot,
avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme,
signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. …
… Toute une part, et la plus passionnante sans doute de notre travail d’historien, ne consiste-
t-elle pas dans un effort constant pour faire parler les choses muettes, leur faire dire ce
qu’elles ne disent pas d’elles-mêmes sur les hommes, sur les sociétés qui les ont produites –
et constituer finalement entre elles ce vaste réseau de solidarités et d’entraide qui supplée à
l’absence du document écrit. »
Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1952, p.428
(cité par Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, éditions du Seuil, 1996, 2010

Febvre répond à Langlois et Seignobos dans cet extrait. Il dit que la majorité des
traces utilisées par les historiens sont des documents écrits mais il innove en
disant que si on n’en a pas, on doit trouver d’autres sources pour pouvoir écrire
l’Histoire.
Il dit qu’il faut aussi utiliser les traces archéologiques et matérielles, qu’il faut
essayer d’utiliser les apports d’autres sciences, comme l’anthropologie ou la
géologie, … Il faut essayer de faire converger les indices pour comprendre au-
delà d’eux.
Ces historiens pensent qu’il n’est pas possible de se limiter aux documents
écrits, sinon on aura une histoire politique, et que si on veut une Histoire qui
s’ouvre à l’économie, à la population, aux mentalités et autres, il faut s’ouvrir
aux autres sciences et aux autres sources que les documents écrits. On ne doit
plus seulement se cantonner à l’analyse critique des sources écrites.
39

Au sortir de la seconde guerre mondiale, cette façon d’écrire l’Histoire va


s’imposer et on parlera donc de la Nouvelle Histoire. Mais même ceux qui font
de la nouvelle histoire utiliseront les méthodes de la critique historique.

Désormais, la « Nouvelle Histoire » :


 Se nourrit des autres sciences sociales ;

 Elargit le champ de ses investigations à une infinité de nouvelles


problématiques (structures mentales, anthropologie historique…) ;

 Fait feu de tout bois, en dilatant le corpus de sources étudiées à


l’ensemble des traces du passé.

 De nouveaux thèmes de recherche


On aura également de nouveaux thèmes de recherche. L’historien montrera que
l’Histoire va sortir des sources en fonction des questions qu’on leur pose. C’est
en posant les questions qu’on saura quelles boîtes il faut ouvrir.
Les premières critiques adressées à l’École des Annales portent essentiellement
sur les sujets qu’elle envisage, non sur sa définition de ce qu’est l’écriture de
l’histoire (qui, à de rares exceptions, s’impose partout).
Ce sont plutôt les sujets qui vont changer, et aussi la manière d’écrire, mais pas
la façon d’interroger les sources.

Des thèmes originaux vont émerger :


 Retour en grâce de la biographie (qui avait été négligée au profit de
l’histoire des grands groupes humains) ;

 Retour en grâce de l’histoire politique (mais subordonnée à l’histoire


économique et sociale) ;

 Intérêt pour des domaines jusqu’alors laissés en friche : les minorités,


l’histoire du genre, les pratiques alimentaires, l’histoire de
l’environnement, l’histoire des sensibilités…
40

 Les historiens s’impliquent dans leur travail car ils doivent choisir leur
question de recherche.

1.2.5. Le linguistic turn


Des historiens, surtout dans le monde anglo-saxon, ont pensé qu’en
s’interrogeant sur des documents, il fallait se dire que les sources elles-mêmes
étaient le produit d’un discours et qu’elles étaient le reflet de la représentation
de la réalité qu’on avait voulu traduire mais pas de la réalité. Ainsi, ils disent
qu’on n’atteindra jamais la réalité. Dans ce cas-là, cela devient impossible
d’écrire l’Histoire et on étudiera donc l’Histoire des représentations.

En 1980, des historiens anglo-saxons se proposent d’abandonner l’histoire


telle que définie par l’École des Annales. Ils en rejettent en effet…
 L’approche fondée sur l’étude des grandes structures sociales (qui
constitueraient des illusions) ;

 Le caractère total (qui serait fondé sur des généralisations abusives) ;

 L’approche statistique (qui serait non significative).


Ils se proposent dès lors de « refonder » l’histoire, discipline à considérer
désormais non comme une science, mais comme une matière littéraire…
puisqu’elle se fonde d’abord sur l’étude de textes. Par conséquent :

 Seuls les textes accèdent au statut de « source » ;

 L’histoire ne peut plus prétendre à l’objectivité, puisqu’elle n’étudie


que des représentations de la réalité, non la réalité elle-même ;

 La culture matérielle et les pratiques sociales sont exclues du champ


historique.
41

 Histoire et récit

Entretien avec Antoine Prost, dans dans Jean-Claude Ruano-Borbalan (dir), L’histoire
aujourd’hui. Nouveaux objets de recherche. Courants et débats. Le métier d’historien,
Auxerrre, Éditions Sciences humaines, 1999, pp.374-375.
« Pour décrire la production historique, on peut utiliser le terme « récit » dans deux sens très
différents. Vous pouvez dire, comme je le fais, que toute histoire est récit, car expliquer, c’est
raconter. Vous pouvez aussi affirmer, comme le fait Paul Veyne, que l’histoire est un roman,
mais un roman vrai. Mais il y a aussi un usage polémique du mot. Cela consiste à dire que
l’histoire n’est que récit, c’est-à-dire que c’est une fiction qui s’est emparée des oripeaux de la
vérité. Selon cette conception, l’histoire est toujours modelée par des préconceptions de
l’historien et il n’y a plus de vérité historique.

Cet extrait parle du lien étroit qui existe entre l’Histoire et le récit. Soit on dit
qu’écrire l’Histoire est un récit, car je la raconte, soit je vais plus loin en me
disant que je suis tributaire des sources et donc que je n’attendrai jamais la
réalité du coup j’écris un roman vrai, car j’essaye de m’approcher de la réalité,
soit je me dis que l’Histoire n’est qu’une fiction. Cet extrait montre les dérives
que peuvent atteindre les réflexions sur l’Histoire.

1.2.6. L’histoire n’est pas un roman


L’historienne A. Farge s’est beaucoup interrogé sur les sources écrites produites
par les gens qui ne savaient pas écrire : les sources judiciaires. On interroge
l’Histoire à partir de sources qui ne sont pas produites par leur auteur immédiat
mais bien par la transcription de leur parole.
On verra apparaître dans ces sources judiciaires la vie quotidienne des gens
interrogés, qui doivent poser le contexte pour se défendre.
42

A.FARGE, Le goût de l’archive, Paris,1989, pp. 94-96.

« L’archive contient des nuées d’histoires, d’anecdotes, et chacun aime qu’on les lui conte. Ici des
milliers de destins se croisent ou s’ignorent, mettant en relief des nuées de personnages à l’étoffe de
héros, au profil de Don Quichotte abandonnés. S’ils ne sont ni l’un ni l’autre, leurs aventures, toutefois,
ont une couleur d’exotisme. En tout cas, pour beaucoup, le roman est possible, tandis que pour certains
ils est le moyen idéal de se libérer de la contrainte de la discipline, en faisant vivre l’archive… […] On
peut en effet animer, avec talent ou non, des hommes et des femmes du XVIIIe siècle, en produisant
pour le lecteur de la connivence et un grand plaisir, mais il ne s’agit point de « faire de l’histoire ».

[…] En histoire, les vies ne sont pas des romans, et pour ceux qui ont choisi l’archive comme lieu d’où
peut s’écrire le passé, l’enjeu n’est pas dans la fiction. Comment expliquer, sans aucune forfanterie et
sans mépris pour le roman historique, que s’il est des comptes à rendre à tant de vies oubliées, laminées
par les systèmes politiques et judiciaires, c’est par l’écriture de l’histoire que cela passe. »

Elle dit que la tentation est grande de se libérer des contraintes du discours
scientifique et d’aller vers le roman historique, qui s’inspire de la réalité, qui
fait vivre l’archive mais qui ne cherche pas à être impartial. Elle veut faire un
discours scientifique à partir de ces sources qui donneraient envie d’écrire des
romans historiques.
Si on remonte au 19ème, pour toutes les périodes précédentes, la grande majorité
des gens ne savaient pas écrire et n’ont donc pas pu produire des sources.

2. Sources et critique historique

2.1. La critique historique : définition et objectifs


Il y a un principe de base : toute proposition avancée par l’historien doit pouvoir
être vérifiée. Le récit du passé doit se reposer sur des preuves. C’est pourquoi
les notes en bas de page sont très importantes, elles permettent d’étayer le
discours scientifique.
43

Les témoignages du passé doivent être soumis à une critique attentive. Il s’agit
de prouver, à partir d’un ensemble de règles à mettre en œuvre, la valeur des
matériaux utilisés, afin d’en déterminer la portée et la manière de les utiliser.
Il s’agit donc d’apprécier l’authenticité des sources, la valeur des textes et non
de juger de façon négative les témoignages du passé :

 Ne pas juger le passé ;

 Ne pas y imposer ses propres convictions ;

 Ne pas éviter les aspects dérangeants de la vérité ;

 Ne pas vouloir apposer nos propres critères de valeur aux sociétés


passées, éviter l’anachronisme (= erreur qui consiste à ne pas remettre
un événement dans le contexte de son époque)

La critique historique est une méthode portant sur les témoignages et les
sources du passé. La méthode de la critique historique a été mise au point à la
fin du 17ème. Elle est dès lors articulée autour de trois opérations fondamentales
appliquées à ces témoignages :

 Rechercher et classer les sources (en langage commun, c’est appelé le


dépouillement des archives) : l’heuristique ;

 Les vérifier et les comprendre : la critique stricto sensu ;

 Les interpréter : l’herméneutique


2.1.1. L’heuristique
L’heuristique est une partie de la science [historique] qui a pour objet la
recherche de documents. Son objectif est de réunir le corpus des sources (lato
sensu) permettant de traiter une question particulière.
Tant qu’on n’a pas cherché les sources pour les mettre en œuvre, c’est comme si
elles n’existaient pas. Le travail de l’historien consiste alors à les exhumer des
lieux de conservation pour pouvoir les traiter à partir d’une question particulière.
Une méthode doit guider la recherche des documents.
44

Il y a deux enjeux :
 Il faut faire la distinction entre les sources du passé et les travaux
écrits sur le sujet ;

 Il faut également prétendre à l’exhaustivité. Il faut essayer de mener


une enquête heuristique très large de façon à ce qu’on soit à peu près
certain d’avoir retrouvé toutes les sources

 Eviter la confusion sources/travaux

Parmi les textes, il est essentiel de distinguer :


 Les sources (= les documents qui constituent des témoignages du
passé)

 Des travaux (= les documents qui livrent les réflexions des historiens
sur les sources)

 Prétendre à l’exhaustivité
L’heuristique vise l’exhaustivité (= réunir toutes les sources disponibles) mais
les sources sont parfois trop rares, comme c’est le cas pour les sociétés
anciennes ( rechercher toute autre trace) ou alors trop abondantes, comme
pour l’Epoque Contemporaine ( sélectionner des échantillons, on doit mettre
en place le principe de l’échantillonnage).

Pour rappel:

« Il n’y a pas […] de document sans question. C’est la question de l’historien qui érige les traces laissées
par le passé en sources et en documents. "

Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, éditions du Seuil, 1996, 2010 (édition augmentée), p.81.

L’Histoire est une construction, un discours scientifique mené par un historien


et il n’y a pas de documents sans question. Cette dernière permettra aussi de
guider l’enquête heuristique. Une même source pourrait donner des réponses
différentes en fonction des questions posées.
45

La définition d’une question de recherche est donc fondamentale, c’est ce qu’on


appelle la problématisation. L’historien devra se composer son corpus de
recherche suite à sa question et c’est cela qui constituera sa base de travail. Il
devra également essayer de trouver toutes les pistes possibles pour alimenter sa
question et laisser de côté les sources qui ne sont pas opportunes.
En d’autres mots, la définition d’une question de recherche oriente la recherche
des sources : le corpus de sources recouvre le travail de documentation opéré à
la suite d’une question de recherche.

2.2. La typologie des sources


Ce sont plutôt les caractéristiques externes des sources qui sont utilisées pour
les distinguer.

 Sources écrites
La plupart des sources utilisées par les historiens sont des sources écrites.
D’ailleurs, l’Histoire commence avec l’apparition de l’écriture, la période
d’avant étant nommée la « préhistoire », la méthodologie étant différente.
1) Les sources d’archives sont les plus importantes. Ce sont des documents
émis par une autorité reconnue, comme les chartes médiévales, les décrets
royaux ou lois, les actes notariaux, les registres paroissiaux de baptêmes, de
mariages, de décès, les documents judiciaires, documents émanant de sociétés,
d’administrations, … ). Ces documents ont été écrits pour attester un fait, une
décision, et sont destinés à être conservés.
Parce qu’elles ont une force légale, les archivistes actuels sont obligés de les
garder. Par exemple, les actes notariaux sont les preuves des limites du bien, de
sa possession, … Cette même force légale les rend fiables si elles sont
authentiques.
On a dû trouver des lieux de conservation. Les dépôts d’archive
actuels sont une création qui date du 19ème siècle. Souvent, on va y
retrouver des archives des autorités gouvernementales des périodes
antérieures, ces archives étant conservées dans un lieu proche du siège du
pouvoir. Le rôle de ceux qui conservent les archives, c’est de conserver celles
qui sont déjà en dépôt et de faire entrer celles qu’on produit encore aujourd’hui.
46

La photo représente un magasin dans un dépôt d’archive. La difficulté est que


les archives vivantes, qu’on utilise au quotidien dans les administrations, ne sont
pas maintenues aussi soigneusement.

2) Les sources narratives. On s’est longtemps cantonné à n’utiliser que ces


sources d’archive. Mais petit à petit, on s’intéressera également aux sources
narratives, qui sont les récits historiques, les chroniques, les mémoires
autobiographiques, les correspondances…

3) Les sources d’information immédiate (presse, propagande, publicité…)


posent quant à elles un problème : elles doivent répondre à la pression du temps
et donc donner l’information trop vite, sans avoir eu le temps de la vérifier. Par
exemple, comment étudier les statuts des femmes aujourd’hui sans utiliser la
publicité ? Ces sources ne sont pas probantes mais on doit les utiliser pour
comprendre ce statut. La typologie des sources va donc induire un travail de
critique assez important.

4) Les statistiques et les sondages (dénombrements, recensements, …) sont


aussi intéressants à étudier. Cependant, le recensement au 19ème se faisait au
porte à porte, leur fiabilité n’est donc pas très certaine.

5) On retrouve également les inscriptions (épigraphie). Ce sont des textes


gravés, nombreux à l’Antiquité, qui émanent des autorités ou de personnes
privées, tels les actes juridiques, les pierres tombales…
Avant le papier, on utilisait du papyrus (papyrologie). Ce sont des manuscrits
documentaires, littéraires des mondes égyptien, grec et latin. C’est un support
qui permet de développer l’usage de l’écrit et qui va se répandre dans le monde
grec et romain également. Ce matériau très fragile a disparu dans tous les pays
où l’humidité était trop présente. Le travail des historiens est aussi de publier des
sources, de les rendre plus accessibles à la recherche.

 Quand on fait la typologie des sources, on est tributaire de leur support et


de l’intention de l’auteur.

 Sources matérielles
47

Les sources matérielles sont surtout utilisées par l’archéologie. On a les traces
matérielles des puissants mais aussi celles de la vie quotidienne, qui en disent
long sur une société. En fait, c’est toute trace matérielle de l’activité humaine
(ex. objets découverts lors de fouilles archéologiques, monnaies (numismatique)

Exemple : Fouilles archéologiques sur le site de l’ancien parking
58. Elles ont permis de mettre à jour le port de Bruxelles au
Moyen-Age. L’archéologie est donc une science en constant
renouvellement et en constant progrès.

 Sources figurées
Les sources figurées contiennent les peintures, les gravures, les
affiches, les dessins, les enluminures, les cartes géographiques,
les plans d’architecte, les photographies… L’analyse critique de
ces sources est assez complète car on doit se demander pourquoi
on les a produites et ce qu’elles nous apportent comme information. Ces sources
sont peut-être les plus anciennes que l’on peut retrouver. On doit les remettre
en contexte pour retrouver le message qu’elles veulent faire passer.
Des peintures rupestres de la grotte d’El Castillo en Espagne, plus
de 40 000 ans aux peintures rupestres récemment découvertes en
Australie, dans la région de Kimberley, peut-être les plus anciennes connues à ce
jour.
Actuellement, on a des sources qu’on utilise tout le temps mais qui
sont très récente (début du 19ème) : les photographies. La première
photo montre ce qu’un gars voyait par sa fenêtre. Il a fallu des
heures d’exposition pour qu’elle se développe.
Vue de la fenêtre du domaine du Gras, à Saint-Loup-de-
Varennes, 1826 ou 1827,première photographie, prise par
Nicéphore Niépce (1765-1833). En 1838, on a la photo du
boulevard du Temple à Paris par Louis Daguerre. En fait, on ne
voit pas du tout ce que le photographe a pris en photo, on ne voit pas tout ce qui
bouge car le temps d’exposition est trop long. C’est la première fois qu’on a une
photo d’un être humain, probablement parce que le gars se fait cirer ses
chaussures mais on ne voit pas la foule à côté de lui.
48

La grande difficulté des sources figurées, c’est qu’elles sont tellement parlantes
qu’on a l’impression d’avoir la réalité devant soi mais c’est faux ! On ne voit
donc pas la société en mouvement.

 Sources orales
Les sources orales sont une méthode qui s’est imposée en histoire
contemporaine, plus précisément en histoire du temps présent : matériaux
recueillis par enregistrement lors d’entretiens avec des témoins, qui apportent les
informations à travers leurs souvenirs, récit d’une histoire particulière et source
pour l’histoire.

Cela pose la question :


 Du statut des témoins. Il faut se demander s’ils nous disent la réalité ;

 De la place de la mémoire. Les témoins seront influencés par leurs


souvenirs, qui varient selon les personnes ;

 Des modalités de construction de ces entretiens. Ceux qui posent les


questions dirigent le récit car le témoin ne voudra peut-être pas vouloir
répondre, ou ne répondra qu’aux questions alors qu’il sait autre chose,

Actuellement, en histoire contemporaine, l’enjeu d’utilisation de ces sources est


considérable. Exemple : On a interrogé, lors d’une commémoration, des soldats
qui avaient fait la seconde guerre mondiale. On s’est dit qu’il fallait absolument
les interroger car ils allaient bientôt mourir et qu’on ne pourrait donc plus écrire
l’histoire de cette guerre OR les témoignages oraux ne sont pas l’Histoire mais
bien un type de sources, ce n’est pas la source unique qu’on pourra utiliser pour
comprendre les faits !
Exemple de sources orales :

Mai 68 et les intellectuels : questions à l’histoire orale

Sous la direction d'Agnès Callu

http://el.enc.sorbonne.fr/mai68/

« L'enquête cible un groupe dit "intellectuel", susceptible de rapporter, grâce à un entretien semi-directif,
un témoignage qui, sur le mode biographique, éclaire les attendus, les enjeux et les héritages de Mai 68,
revisités au singulier dans la compréhension des mécanismes de constitution identitaire et des phases
d'appropriation ou rejet du phénomène. »

«Chaque entretien fait l'objet d'un enregistrement sonore numérique. »


49

/!\ Les témoignages oraux ne sont pas l’histoire, mais des sources pour faire
l’histoire. À soumettre à la critique historique comme les autres sources /!\

 Sources sonores
Les sources sonores sont les enregistrements de toute nature (depuis la fin du
19ème siècle) : discours, entretiens oraux, interviews, enregistrements
radiophoniques, chansons… Les sources orales peuvent se retrouver dans les
source sonores.
C’est aussi un type de documents récents, la radio datant de la fin du 19 ème/début
20ème. N’oublions pas que la diffusion de l’invention technique prend
énormément de temps.

Exemple d’un des premiers enregistrements (sources sonores) :

La voix du chancelier Bismarck, enregistrée en 1888 par Theo Wangemann, un collaborateur de Thomas
Edison, qui voulait faire connaître son phonographe, inventé en 1877. L’enregistrement a été retrouvé en
2012, et peut être écouté sur le site du Thomas Edison National Historical Park (New Jersey):

https://www.nps.gov/edis/learn/photosmultimedia/audio-wangemann-1889-1890-european-
recordings.htm

Ces sources sont très fragiles, introuvables mais avec la numérisation et les
techniques d’aujourd’hui, on peut les rendre disponibles au grand public.

 Sources audiovisuelles
Les sources audiovisuelles (films, émissions de télévision, …) datent
principalement du 20ème siècle, elles sont donc très récentes même si ce sont les
sources auxquelles nous sommes actuellement le plus confrontées. Il faut
absolument mettre au point des systèmes de conservation !

Exemple : L’invention du cinéma : les première sources audiovisuelles :

Les 10 premiers films des frères Lumière, inventeurs du cinématographe en 1892, présentés à la première
séance payante de cinéma en 1895, sont visibles sur le site de l’Institut Lumière à Lyon:

http://www.institut-lumiere.org/musee/les-freres-lumiere-et-leurs-inventions/premiere-seance.html
50

Si on remonte au-delà du 19ème, on peut se dire qu’on n’a rien en termes de


sources orales, sonores et audiovisuelles. On est donc confronté à des sources
écrites dans une société où quasiment 80% des gens ne savaient pas écrire. Cela
veut dire qu’on aura un regard un peu biaisé sur les sociétés du quotidien.
Comment pourrait-on essayer de reconstituer le paysage sonore avant
l’invention de l’enregistrement ? Les historiens et historiennes ont tenté de
reconstituer le monde sonore en recourant aux archives disponibles.

Exemple: Jean-Pierre Gutton, Bruits et sons dans notre histoire, Paris, Puf, 2000

« Nos ancêtres du Moyen Age ou des Temps modernes vivaient dans un environnement souvent
bruyant et dans lequel les formes de communication orale avaient, pour le plus grand nombre, une autre
importance que celles de l'écrit. Les cloches rythmaient bien des activités ; les pouvoirs faisaient
connaître leurs décisions par des " crieurs " ; charivaris, rumeurs, invectives publiques étaient les
vecteurs d'une justice populaire redoutée. L'effort d'acculturation que la monarchie et les Églises
conduisent pour " policer " sujets et fidèles tend à maîtriser bruits et sons. Le paysage sonore résulte
donc de considérations autant spirituelles et sociales que matérielles. » (Quatrième de couverture)

Sources utilisées:
 Livres de raison (livre de comptabilité domestique), mémoires,
journaux, correspondances ;

 Littérature, arts ;

 Textes normatifs émanant des différents niveaux de pouvoir, visant à


réguler les bruits ;

 Archives judiciaires sur la répression des infractions à ces normes (qui


sont au fond des témoignages oraux) ;
51

 On va essayer de reconstituer ce qu’on aurait pu entendre à partir de


sources écrites.

2.3. La disponibilité des sources


La disponibilité des sources est tributaire des aléas de leur conservation, car au
cours du temps, elles ont parfois souffert de destructions accidentelles ou
volontaires (ex. humidité, incendies, bombardements).
Mais la conservation des sources repose aussi sur une procédure de tri et de
classement, ce qui suppose nécessairement destruction (non accidentelle).
Certains documents servant de preuve de droits ou de titre de propriété ont été
soigneusement conservés (ex. les chartes médiévales) tandis que d’autres ont été
très mal conservés (ex. les correspondances).
En d’autres termes, aujourd’hui, quand une administration travaille, elle produit
une masse d’archives tellement important qu’elle devra faire un tri. Ainsi, le
travail des archivistes est de choisir les sources qu’on va garder.
La sélection et les conditions de conservation sont un filtre entre les sources et
l’historien.ne : Ce sont des objets produits et archivés, il faut donc se demander
non seulement qu’est-ce qu’on a conservé? mais aussi pourquoi a-t-on
conservé ceci ?

 Les supports des sources écrites et leur conservation


52

De manière générale, c’est l’usage qui a déterminé le choix des supports.


Quand on ne voulait pas conserver des sources car elles étaient des objets du
quotidien, on utilisait des supports plus fragiles. Les codes anciens ont été
inscrits dans la pierre, alors qu’on utilisait les tablettes de bois, d’argile ou de
cire pour les écrits moins pérennes, destinés à l’apprentissage ou à des usages
plus utilitaires…
Exemple : La pierre de Rosette, fragment de stèle dont l’inscription
est un décret, écrit en égyptien (hiéroglyphes et écriture démotique)
et en grec, 196 av. J.-C (British Museum). C’est un document
normatif, qui a force de loi car il est écrit en trois langues
différentes. L’usage de ces diverses langues a permis de déchiffrer les
hiéroglyphes.

Exemple : Tablette contenant des textes administratifs, Uruk


(Mésopotamie) (3100–2900 av. J.-C.) (détail)

Les supports ont évolué pour permettre la multiplication et la


diffusion des textes. Le « Volumen » est un livre en rouleaux, à
base de feuilles de papyrus collées les unes aux autres , que l’on enroulait autour
d’un ou de deux axes de bois.
Le « codex », cahier de pages manuscrites, reliées en forme de livre,
inventé dans la Rome antique (2e s. av. J.-C.), remplaça
progressivement le rouleau, car il était plus maniable et permettait
d’écrire sur les deux faces (d’abord assemblage de planchettes de bois, puis
papyrus, puis enfin parchemin). Au Moyen Âge, ces codex furent écrits sur
parchemin, qui supporte le pliage (peau animale traitée : mouton, veau, chèvre).
Le parchemin est une chose rare, on l’utilise donc avec parcimonie. On écrira
parfois sur un support qui avait déjà été utilisé (palimpseste). Des supports
d’exception étaient réservés aux exemplaires les plus précieux

Evangéliaire de Charlemagne, 8e siècle, parchemin pourpré,


encre dorée Exposition virtuelle sur les Trésors carolingiens sur
la BNF.
53

Feuillet du Coran bleu de Kairouan (Tunisie), Seconde moitié du 4e


siècle de l’Hégire (10e siècle), vélin teint à l’indigo, encre dorée et
argentée.

La Bible de Gutenberg, 1455, premier livre imprimé en Europe


(à Mayence) avec des caractères d’imprimerie. Le codex sera le
support idéal pour le développement de l’imprimerie. On la
redécouverte en Europe mais on la connaissait déjà en Chine au
9ème siècle. Il ne semble pas qu’il y ait eu un transfert mais bien
des recherches allant dans le même sens.
La diffusion de l’imprimerie sera facilitée par l’utilisation d’un nouveau
support : le papier, matériau plus simple à fabriquer et plus économique, à partir
de chiffons de chanvre ou de lin.
Ce matériau inventé en Chine, transmis par les Arabes, parvient en Europe au
11e siècle, mais ne se répand véritablement qu’à partir de la fin du 15e siècle
(papier imprimé, mais aussi papier utilisé dans les chancelleries, où sont
conservées les archives manuscrites). Il y a un transfert cette fois-ci.
L’imprimerie reste encore un travail très complexe, et est donc limitée aux livres
qu’on veut diffuser. On écrit ainsi encore à la main jusqu’au 18ème.
A partir du 19e siècle, l’usage du papier à base de cellulose de bois
et la mécanisation de l’imprimerie ont contribué à augmenter la
production et la diffusion des imprimés (journaux, livres, affiches,
etc. )… Avec la mécanisation, on pourra produire du papier en plus
grande quantité.
Mais ce support s’avère très fragile: ce papier est acide et porte en lui le
facteur de son autodestruction. Aujourd’hui, on constate les dégâts,
particulièrement pour les documents imprimés, car la composition des
encres métalliques accroissent le phénomène : les bibliothèques sont
confrontées au défi majeur de conserver ces documents qui se détériorent
inexorablement.
Ainsi, à partir du milieu du 19ème, de nombreux supports écrits sur papier sont en
voie d’autodestruction. L’enjeu, assez paradoxal, est que nous sommes à une
époque de grande diffusion mais qu’on a dû mal à conserver les documents
anciens autrement que numériquement.
54

Depuis la seconde moitié du 20e siècle, les supports de données informatiques


ont permis de stocker de manière de plus en plus performante d’importantes
quantités de données…
Mais ces supports s’avèrent encore plus vulnérables que les précédents… Ils ont
une durée de vie très limitée, aggravée par l’évolution de la technologie qui rend
leur lecture de plus en plus complexe au gré des renouvellements des logiciels.
Seule une sauvegarde régulière leur permet de traverser le temps…

 L’enjeu est donc encore plus complexe que pour les sources anciennes.
Un PDF qu’on reçoit aujourd’hui a une durée de vie de 7 à 8 ans.

 Sources nativement numériques, sources numérisées : l’accès aux


sources à l’heure d’Internet
Aujourd’hui, les archivistes sont concernés par ce qu’on appelle les sources
nées numériques et les sources numérisées. L’enjeu actuel est de pouvoir
conserver les sources nativement numériques car la plupart des administrations
préservent leurs archives numériquement.
Exemple : Les œuvres littéraires.

Pierre-Marc de Biasi, « Trous de mémoire », Médium , 2012/3 N° 32 – 33 , pages 81 à 102.

Pour ce spécialiste de la génétique des œuvres littéraires, le passage au numérique signifie que seule la
version finale sera conservée, oubliant toutes les étapes de la constitution de l’œuvre littéraire. Les traces
Pour cetelles
spécialiste de la génétique des œuvres littéraires, le passage au
que nous les connaissons (carnets, plans, notes, brouillons copies, épreuves corrigées), vont
numérique
disparaîtresignifie quenumérique.
avec l’écriture seule la Les
version
auteurs finale sera
des siècles conservée,
précédents prenaientoubliant toutescesles
soin de conserver
étapes de la constitution de l’œuvre littéraire. Les traces telles que nous les
connaissons (carnets, plans, notes, brouillons copies, épreuves corrigées), vont
disparaître avec l’écriture numérique. Les auteurs des siècles précédents
prenaient soin de conserver ces autographes de travail. Qu’en sera-t-il à
l’avenir?
On est en train de basculer vers un tout numérique. La question est donc de
savoir ce qui va se passer quand on aura plus que des sources nées numériques.
55

En réalité, seule une infime partie de ce qui a été écrit nous est parvenu. C’est à
l’époque moderne que se pose la question de la sauvegarde des textes, facilitée
par l’imprimerie, et du coup aussi des traces de l’écriture elle-même.

Paradoxalement, c’est grâce à l’ordinateur que la génétique des textes2 a pu voir


le jour, permettant d’envisager :

 De traiter les énormes masses documentaires (archives littéraires des


d
trois derniers siècles) ;

 D’en favoriser l’édition en ligne ;

 D’étendre ce processus textes non littéraires: sources musicales,


archives des architectes, esquisses des artistes, dossiers de genèse
photographique ou filmiques.

 Mais qu’en est-il de la production dématérialisée actuelle?


Les créateurs d’aujourd’hui utilisent l’ordinateur immédiatement, sans plus
conserver de brouillons, d’esquisses, de traces de leur travail de création. Il n’y a
donc plus de correspondance papier pour les échanges, plus d’archives
matérielles de cette étape du travail…
Pourtant, les traces existent, et même de façon exhaustive: le disque dur
enregistre toutes les interventions! Des logiciels expérimentaux ont été mis au
point pour restituer ce processus de la constitution du texte. L’ère numérique
livre donc un champ inédit à l’étude de la génétique littéraire et permet d’espérer
de développer une véritable science du texte.
Mais qui garde son ordinateur plus de quelques années? Et d’ailleurs, ces
ordinateurs personnels n’ont pas été configurés pour faciliter ce travail. Les
auteurs ne disposent pas d’outils leur permettant de conserver leurs historiques.

2
En littérature, on s’intéresse aussi beaucoup à la construction de l’œuvre et on essaye de retrouver les étapes
précédant l’œuvre finale.
56

De toutes manières se pose aussi la durée de vie des sources numériques et de


leurs supports. Cette question se pose pour toutes les sources nées numériques!
Or, aujourd’hui on assiste à un large processus de dématérialisation des
archives : naissance d’un nouveau type de source pour les historiens...
 Comment les conserver et comment les analyser?
De même, les sites Internet se multiplient, les sources sont en mouvement …
 Comment en conserver la trace?
Les sources numérisées, de plus en plus nombreuses, facilitent grandement leur
accès et leur étude ! La numérisation permet aussi une meilleure préservation
des documents originaux. Mais :

 La numérisation permet de traiter les données, de modifier leur aspect


(ex. améliorer le son, retoucher les images), au point qu’il devient
parfois difficile de vérifier si ces données correspondent aux
originaux ;

 La numérisation, qui est un processus largement automatisé, ne


reproduit pas toujours certaines parties des documents (ex. cartes ou
illustrations repliées dans un livre) ;

 Enfin, en termes de conservation, il faut noter que numérisation


sollicite un volume de stockage important.

3. Les étapes de la critique historique

3.1. La critique externe


La critique externe regroupe les opérations portant sur les caractères matériels
d’un document en vue de tirer un maximum d’informations permettant de
replacer ce document dans son contexte (et, par conséquent, de déterminer s’il
s’agit d’un document authentique ou d’un faux):
57

 Support
 Encre
 Procédé de gravure/codage
 Style d’écriture/de gravure ou langage de codage sceaux éventuels
 …

 La critique de provenance
La première étape est la critique de provenance, qui vise à répondre à quatre
questions concernant le document :

 Qui l’a écrit ?


 Quand a-t-il été écrit ?
 Où a-t-il été écrit ?
 Quels statuts avait-il ou a-t-il ?

 Qui ou la question de l’auteur


Le cas du manuscrit autographe, dont on connaît l’auteur, reste, surtout pour les
époques les plus anciennes, une exception. Souvent, il faut l’identifier – ce qui
ne va pas sans poser de réels problèmes
Un texte peut porter une signature, sans pour autant avoir été composé par son
signataire, qui en endosse pourtant la responsabilité. C’est important car c’est
par ce biais de genre de signature qu’on peut essayer de déterminer si le
58

document est un vrai ou un faux, ls faussaires ne sachant pas toujours qui aurait
dû signer.
La question de l’auteur se révèle particulièrement complexe dans le cas de
sources non textuelles. Ainsi, dans le cas d’un film adapté depuis un roman,
l’œuvre est le résultat d’un travail collectif (auteur du roman, scénariste et
réalisateur). La présence d’une signature n’implique donc pas toujours qu’il y ait
qu’un seul auteur.
Dans de nombreux cas, les sources ne portent aucune mention d’auteur. Ce peut
être le résultat :

 D’une détérioration
 D’un choix délibéré
 Ou d’une pratique habituelle.

On peut ne pas signer car on a une volonté d’anonymat. Ainsi, auparavant, on


avait l’habitude de quémander des requêtes au gouvernement et ces dernières
n’étaient pas toujours signées.

Parfois, les sources portent une mention d’auteur claire – mais fausse. Ce peut
être :

 Une erreur matérielle


 Le résultat d’une volonté délibérée de tromper
 Ou un artifice visant à éviter que l’auteur soit reconnu : le
pseudonyme.

Exemple de pseudonyme : Romain Gary (1914-1980), auteur renommé,


ne se sentant plus libre d’écrire comme il le désirerait, choisit de publier
certains de ses livres sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Cette
mystification ne sera révélée qu’après sa mort, et lui aura valu un second prix
Goncourt3 pour La vie devant soi (1975), après Les racines du ciel (1956) publié
sous son nom d’usage.

3
C’est normalement interdit par le règlement puisqu’on ne peut y participer qu’une seule fois mais il a publié un
de ses livres gagnant sous un pseudonyme sans que cela ne se sache par le comité.
59

Exemple d’une documentation dont les auteurs sont multiples : Des


documents vont servir à l’historien même si on n’en connait pas
vraiment les auteurs. Cette documentation est une collection de
photographies du patrimoine belge prises par les Allemands durant la
Première guerre mondiale.
L’objectif4 était de se constituer un patrimoine dans les pays conquis et
de montrer que la Belgique était ancrée dans le monde germanique car
elle était plus proche du gothique que de l’art français.
On peut discerner le reflet du photographe et de son assistant dans la
vitre du magasin « L’Éléphant » à Hal. À la faveur de la
numérisation, ce détail a pu être optimalisé. Il s’agit d’une
photographe (Paula Deetjen (1879-1949), env. 1918), dont le rôle
actif est ainsi révélé…

 Ainsi, même des témoignages anonymes ont un auteur.

 Quand ?: la question de la datation


Une source ne peut être correctement interprétée que si elle est replacée dans
son contexte – ce qui impose qu’on la date le plus précisément possible. Soit la
source porte une date, soit elle en est dépourvue.
1. Si la source porte une date : Il convient de s’assurer de la validité de
cette date. Il faut vérifier si :

 Elle correspond à la date de la composition de la source ;

 Elle n’est pas le résultat d’une manipulation et/ou d’une erreur (cf.
critique interne) ;

 On doit se demander si la date doit être convertie dans notre calendrier. La


chronologie est une science rattachée à l’Histoire, qui a pour but la
connaissance et l'ordonnance des dates des événements dans le
déroulement de l'histoire de l'humanité.

C’est grâce à elle qu’on peut établir des lignes du temps. Quand on veut
étudier les sources à distance, on devra les replacer clairement dans leur
4
On n’est plus dans la critique externe mais on se demande quel est le message des Allemands.
60

contexte, à la date exacte dans laquelle elle a été produite. L’Histoire n’est
cependant pas une succession de dates mais bien une discipline qui veut
comprendre les sociétés du passé.

2. Si la source ne porte pas de date : Au-delà de ce que révèlera


éventuellement la critique interne, l’historien pourra avoir recours, pour
dater une source, à des sciences auxiliaires. Celles-ci relèvent :

 Soit des méthodes de datation relative, qui permettent l’intégration de la


source au sein d’une série chronologique. Avec elles, on n’aura jamais le
jour exact.

Exemple : Une requête non datée, pour des raisons de politesse (type de
document fréquent dans les archives des chancelleries d’Ancien Régime) :
on tentera de dater le document en le replaçant dans son contexte. La
requête non datée, mais retrouvée dans un dossier, est souvent
accompagnée d’autres documents traitant de cette affaire, ce qui permet
de dater approximativement la demande.

 Soit des méthodes de datation absolue, qui fournissent un résultat


chiffré, exprimé en années. (NB : progrès des méthodes de datation,
comme :

o La dendrochronologie est une méthode inventée dans les années 50,


basée sur l'étude et la lecture des cernes de croissance des arbres pour
pouvoir les dater de manière très précise.

Exemple : La barque carolingienne de Noyen-Sur-


Seine. Découverte en 1992, elle a été datée grâce à la
dendrochronologie : cette barque avait été taillée dans
le tronc d’un chêne de 158 ans, abattu pendant l’hiver 834-835 de notre
ère.
o Les analyses physico-thermiques :

- L’utilisation du carbone 14 est une méthode de datation radiométrique


des matières organiques, mise au point dans les années 1950, qui
mesure la radioactivité résiduelle et décroissante après la mort du
carbone 14 accumulé au cours de la vie des organismes (animaux et
61

végétaux). Cette méthode permet de dater des objets jusqu'à 35 000


ans (Paléolithique supérieur).

Exemple : La mâchoire de Moulin-Quignon.


A l’époque, on émettait des doutes quand aux
restes humains préhistoriques retrouvés près
des silex de Boucher de Pers. Actuellement, grâce à la datation au
carbone 14, on sait que c’est un faux.

- La thermoluminescence : un cristal exposé à des rayonnements


emmagasine de l'énergie provenant de la radioactivité ambiante, qu'il
émet ensuite sous la forme de lumière quand on le chauffe. Grâce à ce
phénomène, on peut dater des céramiques en terre cuite.

Exemple : L’authentification des porcelaines chinoises, grâce à


l’analyse physique et chimique de leurs constituants.

 La datation est donc une manière de procéder à la vérification de


l’authenticité d’une source.

 Où ?
Une source ne peut être correctement interprétée que si elle est replacée dans
son contexte – ce qui impose qu’on précise le plus finement possible son milieu
d’origine, mais aussi ses pérégrinations et sa destination : c’est la tradition
du document. On doit aussi comprendre d’où il vient.

 Quels statuts ?
C’est la question du vrai et du faux, ce qui suppose de bien connaître la
typologie des sources. C’est là qu’intervient la diplomatique, qui est une
science ayant pour objet les diplômes, chartes et autres documents officiels, leur
authenticité, leur intégrité, leur âge et leurs variations au cours des temps. Elle
s’applique essentiellement aux documents officiels qui suivent des règles
précises pour qu’on puisse les reconnaître comme étant des vrais.
62

Exemple : On reconnaît au premier coup d’œil la carte d’identité car elle suit un
modèle connu. L’origine de cette volonté d’encarter les personnes était qu’on
voulait retrouver les malfaiteurs, voir qui était étranger, … mais on voulait
surtout éviter les fausses déclarations.
Actuellement, nous avons toute sorte de documents que nous reconnaissons car
nous pratiquons inconsciemment la diplomatique.

 La critique de restitution
La critique de restitution a pour objectif de reconstituer un texte qui se
rapproche au mieux de l’original perdu.
Les documents peuvent nous être parvenus sous forme de copie qui peuvent
contenir des erreurs accidentelles (oubli d’une lettre, le moine copiste étant
fatigué à force) ou volontaires (ajout des passages, ou « correction » erronée à la
suite d’une erreur de jugement car parfois, les moines qui recopiaient
corrigeaient le texte ancien qu’ils lisaient car ils avaient vu une erreur).
Ou alors, il s’agit de documents originaux, mais dont certains passages sont
abîmés, ou ont disparu. On va donc procéder à leur restitution (« critique de
nettoyage et de raccommodage »).
Exemple : Tradition du document et restitution (mais que l’on ne peut pas
dissocier de la critique interne (sincérité) : La charte de franchises, donnée
par Théoduin, évêque de Liège (1048-1075) en faveur des bourgeois de Huy, le
26 août 1066.
Une charte de franchises est un acte juridique par lequel un seigneur concède
un ensemble de libertés (ou franchises) aux personnes à l’égard desquelles il
exerce son autorité.
Cette charte est un acte d’une importance capitale, c’est la première fois qu’une
telle charte est accordée par un évêque à une ville de l’Empire. La charte de
1066 est une des premières chartes accordant des libertés à des bourgeois
(« burgenses ») dans l’Occident médiéval.
Le problème de la critique historique est que la charte n’existe plus, et on ne la
connaissait que partiellement à partir de deux chroniques, celle de Gilles d’Orval
(13e s.) et celle de Jean de Brusthem (16e s.).
63

Et le problème posé par les chroniques, qui étaient nombreuses au Moyen Âge,
est que ces dernières étaient un récit narratif, chronologique, dont les auteurs
était souvent témoin des faits récents, qu’ils rendaient parfois assez précisément.
En revanche, ils réinterprétaient les faits du passé, enjolivaient ou masquaient ou
modifiaient les faits plus anciens.
Il faut donc se poser la question des mobiles de l’auteur, ce qui pose la question
de la critique de sincérité (On ne peut pas séparer réellement la critique externe
de la critique interne du document). D’autant que dans ce cas-ci, les chroniques
ne citaient qu’une partie de la charte de 1066.
L’archiviste Émile Fairon a effectué, en 1935, un travail d’heuristique poussé et
a retrouvé dans les archives départementales de Lille un inventaire de la collecte
des chartes confisquées dans la principauté de Liège par les Bourguignons et les
Hennuyers, suite à la bataille d’Othée en 1408. Ces chartes ont été détruites en
guise de répression.

On dispose désormais de l’inventaire et dans celui-ci, du résumé de la charte de


1066, qui permet d’en connaître la teneur complète.

 Critique de restitution, basée sur l’enquête visant reconstituer la


tradition du document, qui relève de la critique de provenance (le
cheminement du document)

La charte, alors connue que partiellement et indirectement est désormais mieux


connue, quasiment reconstituée même si ce n’est que par le biais d’un résumé en
français, datant de 1408. Connaissance indirecte, mais la comparaison des
différentes sources permet désormais d’assurer que les résumés partiels donnés
par les chroniques sont fiables.
Le résumé de 1408 décrit en outre les sceaux qui validaient cette charte. En
2000, deux sceaux de l’évêque ont été retrouvés dans les réserves du Musée
communal de Huy. On connaît donc également le sceau qui validait la charte
disparue.
Sceau de l’évêque Théoduin, conservé au Musée communal de Huy,
reproduit dans Philippe George, « De constructione, de
consecratione ecclesiae Hoyensis (1066) », Hortus Artieum
Medievalium, t. 20-2, 2013, pp. 520-531 (p. 523).
64

 Vrai ou faux ?
L’objectif de la critique externe est de se demander si on a à faire à un document
historique ou à un faux. Ainsi, au terme de la critique externe, et dans l’attente
de ce que révèlera éventuellement la critique interne, l’historien se prononce sur
le statut « véridique » ou « faux » de la source soumise à son attention.
Pour ce faire, il recourt à des sciences, que la critique méthodique a qualifiées
« d’auxiliaires » :
1) La sigillographie est une science auxiliaire de l'histoire, ayant pour
objet l'étude, la description et l'interprétation des sceaux historiques. Le
sceau sur l’image est affecté à la seule personne de Marie-Thérèse, qui
régnait sur la Belgique au 18ème. A chaque règne, on change donc de sceau.
La sigillographie est une science qui valide la véracité des sceaux mais
qui étudie aussi la teneur des sceaux et le contexte de leur production.
La matrice permet de fabriquer le sceau et on la détruit à chaque
changement de souverain pour éviter la production de faux.
On ne retrouve donc pas les matrices mais celle-ci n’a pas disparu « grâce » aux
bouleversements politiques. Les sources qui nous proviennent sont donc déjà
filtrées par les contemporains.

2) La paléographie est la science qui traite des écritures anciennes, de leurs


origines et de leurs modifications au cours des temps et plus particulièrement de
leur déchiffrement.

Charte du roi d’Angleterre, Henri II Plantagenêt [1165-1172],


Facsimilé interactif commenté sur le site Theleme (École nationale
des chartes)

C’est important car quand on est un faussaire et qu’on veut produire un texte
ancien, il faudra en plus bien reproduire les écritures anciennes, ce qui n’est pas
facile du tout.
65

 Pourquoi tant de faux documents ?


La forgerie, qui est l’action de fabriquer, de montrer de toutes pièces une chose
imaginaire ou trompeuse, implique :

 Une volonté de falsifier et de tromper, dictée par l’intérêt ;


ou
 Une mystification aux dépens de la crédulité de celui ou celle qui
l’accepte.

Dans tous les cas, la source donne une information erronée, éloignée de la vérité.
À ne pas confondre avec les œuvres de fiction, où on peut s’inspirer de la réalité,
mais en faisant aussi appel à l’imagination, sans volonté de mystification.
Certains documents peuvent aussi être des pastiches, fabriqués dans le style des
documents authentiques et qui cherchent, par imitation, à utiliser l’ironie et
l’humour. C’est faux ne sont donc pas copiés pour tromper.

Exemple : Le faux de Denis Vrain-Lucas, faussaire rendu célèbre par le


nombre de faux à son actif. Il fut condamné en 1870 et quand on
observe ce qu’il a produit, on peut se rendre compte assez vite que le
document est un faux car c’est une lettre de l’Antiquité écrite en ancien
français !

Exemple de contrefaçon artistique : Le musée Étienne Terrus


(1857-1922), à Elne dans le sud de la France, a découvert que la
moitié des tableaux de sa collection sont en réalité des faux.
L’annonce en a été faite après expertise des collections, en avril
2018.
C’est en étudiant les aspects formels des œuvres (signatures, palette des
couleurs) mais aussi les contenus, comme les paysages et monuments reproduits
66

sur certains tableaux que les contrefaçons ont été décelées : par ex. Le château
royal, présent sur un paysage représentant Collioure, attribué à l’artiste, mais
dans sa forme modifiée en 1958, alors que l’artiste est décédé en 1922…
(anachronisme)

Exemple de pastiche : Le faux Soir fut publié le 9 novembre 1943


par le Front de l’Indépendance, un mouvement de la Résistance, pour
célébrer le 25ème anniversaire de l’armistice de 1918. Il s’agit d’un
pastiche du Journal le Soir afin de le tourner en dérision car ce
dernier était surnommé « Le Soir volé » puisqu’il était publié sous
l’Occupation. Le but n’est pas de tromper mais bien d’imiter le modèle
authentique pour pouvoir se moquer.

Exemple : les contrefaçons dans le monde de l’édition. Le Musée royal


de Mariemont possède une collection de plusieurs milliers de
contrefaçons publiées en Belgique, mais aussi à l’étranger, au 19e
siècle.
La contrefaçon était une pratique parfaitement licite, qui permettait
qu’un texte publié dans un pays puisse être reproduit dans les autres car le droit
d’auteur n’y était pas protégé. La contrefaçon d’ouvrages français s’est
fortement développée en Belgique durant la première moitié du 19e siècle, en les
adaptant et en produisant des éditions qui sont devenues rares.

Autre exemple : Le diplôme de Lothaire II en faveur de l’abbaye de


Stavelot-Malmedy datant du 13 avril 862. Les diplômes étaient des
actes impériaux adressés aux institutions ecclésiastiques dans le but de
garantir leurs biens fonciers et d’en régler l’affectation. Un chartrier
est une collection de chartes.
Le diplôme original, authentique, a fait l’objet de plusieurs faux par la suite, qui
peuvent être analysés et comparés avec l’original. L’exemple analysé ici est un
second acte également daté du 13 avril 862, attribué aux moines de l’abbaye,
et conservé dans le premier cartulaire de l’abbaye, rédigé au début du 13e siècle.
Cet acte est reconnu comme un faux, car il présente des divergences par rapport
à l’acte original.
Un cartulaire est un registre où sont recopiées des chartes reprenant les titres de
propriétés et droits, afin d’en favoriser la conservation et en faciliter la
67

consultation. De nombreux cartulaires ont été établis par les institutions


religieuses.
Mais pourquoi établir un faux acte ?
Dans ce cas-ci, le faux, qui est plus détaillé que l’acte sur lequel il s’appuie,
aurait pu servir à gonfler le nombre de biens attribués à l’abbaye.
L’analyse précise montre que cette forgerie date de quelques années plus tard
que 862, dans le contexte d’une situation politique instable, lors de laquelle les
moines ont voulu « compléter » le diplôme original :
Les moines ont produit un (faux) second acte daté de 862, plus précis,
complétant le premier, sur base de documents de gestion de l’abbaye, et ce pour
préserver leurs intérêts, car ils craignaient de voir leurs biens réattribués à
l’occasion de la transmission du pouvoir lors de la succession de Lothaire II en
faveur de Louis le Germanique (870)  Ils n’annulaient pas l’acte authentique
qu’ils ont continué à utiliser…

3.2. La critique interne


La critique interne regroupe les opérations portant sur le contenu du document,
en vue de comprendre ce qu’a voulu dire son auteur (critique d’interprétation),
de vérifier si le contenu est vraisemblable, crédible (critique de compétence) et
si son auteur n’a pas volontairement travesti la réalité et de déterminer quel
degré de confiance on peut lui accorder (critique de sincérité).

 La critique d’interprétation
La critique d’interprétation : il s’agit de bien comprendre le sens du témoigne,
ce qui suppose de comprendre la langue et la culture dans lesquelles le témoin
évoluait.
La langue évolue, les mots changeant de sens. Plus on remonte dans le temps,
plus la langue sera différente de la nôtre. En outre, le latin de l’Antiquité n’est
pas le même que le latin de la Renaissance. Dans un texte, on n’a parfois des
68

allusions qu’on n’explicite pas et qu’on devra comprendre grâce à la culture de


l’époque. Les évidences sont parfois les choses les plus difficiles à comprendre.
Pour pouvoir bien lire les textes anciens, il faut faire :

 Une lecture exempte de préjugés ;

 Une lecture approfondie, car le sens des mots changent au cours du


temps, il faut également connaître le contexte du témoignage analysé ;

 Il faut comprendre les termes techniques spécifiques

Exemple : L’établissement des statistiques au 19ème et leur compréhension


actuellement, Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. De la guerre
de Cent Ans à nos jours, Marseille, 2018.
L’historien met en avant (pp. 336 et suiv.) l’incertitude des résultats issus des
statistiques élaborées au 19e siècle, lorsque les enquêteurs ne pouvaient identifier
avec précision les métiers exercés dans l’industrie. Les données devaient être
centralisées et unifiées pour pouvoir être utilisées.
Dès lors les historiens n’ont pas bien compris non plus ces données. En effet, la
pluriactivité occupait une place énorme dans les campagnes françaises, mais
cette réalité a longtemps été ignorée à cause de la construction biaisée des
statistiques.
En d’autres termes, on a voulu établir des statistiques de l’activité économique,
et plus précisément sur la question du lieu de travail des paysans. Il y a des
problèmes de compréhension car on énumère des métiers aujourd’hui disparus.
En outre, ceux qui ont fait les statistiques ne comprenaient pas nécessairement la
réalité de ce qu’ils étudiaient car ils établissaient des catégories et induisaient
déjà ainsi une certaine vision de la réalité.
 Ainsi, quand on procède à l’interprétation des sources, il faut se méfier
des évolutions de la langue mais aussi bien comprendre le contexte de
leur production.

Exemple : Quand on voit le FISC, on pense aux impôts actuellement or au


18èmesiècle, il désignait l’Etat. Le sens du mot a donc changé au cours du temps.
69

 La critique de compétence
La critique de compétence vise à s’assurer du degré de compétence du témoin
(Ex : rendre compte d’un évènement alors qu’on ne dispose pas des capacités ou
de la formation nécessaire (préjugés, mémoire défaillante, poste d’observation
inadéquat, pas de compétences intellectuelles, …).
Exemple : Lors d’un accident de voiture, on a autant de témoignages différents
que de témoins. Ce n’est pas une volonté de tromper, qui relève de la sincérité,
mais bien de savoir si le témoin est compétent pour rendre compte des
évènements.

Exemple : Les cartes marines au fil des grandes découvertes (15/16ème) :


Ces cartes servaient à naviguer dans les eaux internationales. Ces documents
étaient établis par des savants dans les ateliers en Europe, ils n’ont donc pas été
sur place ! Ils se font sur les témoignages des navigateurs.
Avant, on avait une représentation du monde fondée sur les connaissances
antiques, les récits de voyage, et progressivement, elle sera fondée sur les
observations effectuées sur le terrain par les navigateurs au fil des découvertes.
Mappemonde de Henricus Martellus Germanus
(1489) (202X122cm) (conservée à l’Université de
Yale). Ce document n’était pas porté sur un bateau car
il ne serait alors pas dans cet état-là. En 1489, les
Portugais sont en train de faire le tour de l’Afrique et
Colomb n’est pas encore parti. On peut voir sur cette mappemonde la
représentation du monde par les Européens.

Planisphère de Cantino (1502) (218X102cm)


(conservée à la Biblioteca Estense de Modène). C’est
la première carte représentant le monde connu par les
Portugais, qui sont arrivés en Inde en 1498. Cette
carte maintient néanmoins les codes antiques des
cartes maritimes.
70

 La critique de sincérité
La critique de sincérité consiste à se demander si l’auteur d’un document ou
d’un témoignage ment ou s’il est sincère. Il s’agit vraiment de voir si l’auteur à
la volonté de ne pas rendre les choses telles qu’elles se sont passées.
Les raisons de commettre un témoignage mensonger ou tendancieux sont :

 L’intérêt personnel ;

 La propagande ;

 La censure. Dans les temps passés, il y avait une censure, surtout


quand l’imprimerie a été inventée ;

 La recherche de l’audimat

Exemple d’application de la critique de sincérité : Estimer la confiance que l’on


peut témoigner aux Commentari de bello Gallico de César. A partir des années
50, on confronte ce texte aux faits et aux autres sources de cette période pour
voir dans quelle mesure César avait travesti les faits à son avantage.
Il s’agit de s’interroger sur l’esprit qui a présidé à la rédaction des
Commentaires sur la guerre des Gaules: un mythe historique, à la gloire de son
auteur, une construction tendancieuse qui met en valeur les aspects positifs et
qui gomme les revers militaires. Mais aussi : « une histoire collective… qui doit
tout à un seul homme, à la fois son auteur/narrateur et son acteur principal » : la
métaphore de son projet politique. Il incarne l’État romain.
On sait que dans cette manière de présenter les guerres qu’il a menées, César n’a
pas menti sur toute la ligne. Jules est un des auteurs que l’on retient parmi ceux
qui ont écrit l’histoire de l’Antiquité romaine, qui est sa propre époque. Il est
donc témoin des évènements qu’il raconte.
Il se présente toujours à la troisième personne, peut-être parce que c’est une
manière de se mettre sur le même pied que les autres acteurs ou alors c’est de la
vanité  Critique d’interprétation.
Le fait de se mettre systématiquement en scène à son avantage (quand il y a des
victoires, JC en est le responsable mais quand les choses tournent moins bien,
71

son nom apparaît moins souvent) est un des indices qui montre que César sert
son intérêt personnel avec son livre.
César a donc une volonté de se mettre en scène à son avantage, il émerge
comme acteur principal des combats menés durant la guerre des Gaules. Sa
façon de mettre en avant le caractère plus civilisé des Gaulois par rapport aux
Germains peut être perçu comme une façon d’arrêter la guerre à un lieu précis,
les Gaulois pouvant être civilisés mais pas les Germains.
César est en train de faire son projet politique. Il incarne l’Etat car c’est lui qui a
conduit la guerre et les armées romaines. De ce fait, c’est lui qui doit écrire cette
histoire, qui est le pivot de sa carrière.
Paradoxalement, en ce qui concerne les faits évoqués, on se rend compte qu’il y
a beaucoup de vraisemblance, car il y a beaucoup de témoins, mais il va se
mettre en scène dans ses explications.
 Cette source est donc biaisée par l’intérêt personnel et la propagande.

3.3. Le contrôle et la comparaison des témoignages


Le contrôle et la comparaison des témoignages est une étape que tous les
historiens doivent faire. A l’issue de ces opérations, il est nécessaire de
recouper les informations. La valeur d’un témoignage peut enfin être établie
par confrontation avec d’autres témoignages concernant le même sujet. Il faut
d’ailleurs procéder à ce contrôle, ce qui suppose que l’heuristique ait été menée
correctement.
Attention : Confronter de deux témoignages n’a ni pour objectif d’établir un
consensus, ni de disqualifier l’un au profit de l’autre.
Quand on a plusieurs témoignages sur un même fait, le but n’est pas de décider
si l’un ou l’autre est le meilleur s’il y a des divergences mais il faut bien
comprendre pourquoi il y a ces différences.

Malgré toutes les recherches, on pourrait être confronté à une source unique, à
laquelle nous sommes tout à fait dépendants. On peut être dans ce cas si on
remonte très tôt dans le temps par exemple. On ne peut ni lui accorder foi trop
facilement ni le rejeter à priori (attitude hypercritique5). Il faut donc se méfier

5
L’hypercritique consisterait à rejeter les sources suspectes mais si l’on fait cela, on devrait faire table rase de
grandes périodes du passé
72

des sources uniques. Pour se prononcer sur sa pertinence, il convient plutôt de


mettre en évidence sa logique interne.

Exemple d’analyse d’une source unique : On a longtemps pensé que la


Révolution brabançonne (1789-1790) marqua un retour au protectionnisme
économique, dans les anciens Pays-Bas, car on possède un octroi non daté, mais
estimé de 1790, qui confère à un industriel bruxellois le monopole de trente ans
pour l’habillement des troupes. Or cette politique protectionniste avait été
abandonnée durant les décennies précédentes.
L’analyse critique de cette source, conservée aux Archives générales du
Royaume, révèle l’erreur de datation du document, grâce aux indices qu’il
contient et qui permettent de le dater de près de 40 ans plus tôt, ce qui rend
caduc le raisonnement basé sur cette source unique.
Ainsi, en analysant ce document, on se rend compte qu’il ne peut pas avoir été
écrit en 1790 car les personnes qui y sont mentionnées sont décédées. On s’est
en fait rendu compte que cet extrait a été sorti d’un portefeuille de documents
qui lui datait de 1750.

On doit également se méfier des silences des sources, c’est-à-dire de ce qu’elles


ne disent pas ou de ce qu’on ne sait pas car on n’a pas de témoignages. Les
historiens manquent parfois de témoignages pour documenter ce dont ils
soupçonnent pourtant l’existence.
Il leur faut éviter la voie de la facilité, qui consisterait à suppléer ces manques
par la conjecture. Il faut :

 Expliquer le pourquoi de ces silences ;

 Tenter d’élargir l’heuristique ;

 Reconsidérer sans cesse les sources disponibles.

 Plaidoyer pour une histoire symétrique


73

« L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre, Orient-


Occident (XVIème-XVIIème siècle) » de Romain Bertrand, Paris,
Seuil, 2011.

La rencontre, vers 1600, des marins de la première expédition maritime


néerlandaise avec les habitants des « Indes » javanaises. Les sources ont été
recherchées dans les bibliothèques de Jakarta, de La Haye, de Londres, de
Lisbonne, …

L’itinéraire de la Première Navigation de Cornelis de


Houtman

Le monde insulindien en 1600

En 1595, lorsque Cornelis de Houtman affrète les quatre navires de la Première


Navigation, les Portugais ont le monopole du commerce en Asie, et les
Hollandais, en guerre contre Philippe II, roi d’Espagne et du Portugal, cherchent
à le concurrencer sur les mers orientales pour l’affaiblir politiquement et
commercialement : l’enjeu est le prometteur commerce des épices (poivre noir,
noix de muscade, clous de girofle).
On connaît les faits grâce aux récits de voyage de cette expédition qui dura deux
ans et quatre mois, et coûta la vie aux deux-tiers de l’équipage : cet événement a
été présenté comme un évènement majeur de l’histoire des Provinces-Unies, qui
74

inaugure l’implantation des Hollandais en Indonésie. Ceux-ci y développeront


leurs comptoirs commerciaux, sous l’impulsion de la Compagnie des Indes
orientales (V.O.C.).
Pourtant, on découvre à la lecture des sources indigènes, que cet événement n’a
laissé aucune trace. Loin de signifier l’incapacité des populations locales de
relater les faits réels, le silence des sources peut s’expliquer :
 Les chroniques locales se concentrent sur les querelles politiques du
moment et ne mentionnent pas cette arrivée des Européens ;

 Le port de Banten, où les Hollandais


ont accosté, est le lieu où parvenaient
de nombreux navires marchands du
monde asiatique. Chinois, Malais,
Indiens, Arabes, Portugais venaient y
prélever les précieuses épices. Dans ce
contexte, l’arrivée des quatre navires
hollandais est passée inaperçue.

Les Hollandais ont été reçus comme d’autres commerçants, non comme les
aristocrates représentant leur lointain pays, tels qu’ils ont voulu se représenter.
Les contacts se sont assez rapidement dégradés, à la faveur de
l’incompréhension des usages locaux de la part des Hollandais, mais aussi de
leur opposition aux Portugais déjà présents dans ces contrées.
La situation a alors dégénéré, les autorités de Banten, inquiètes de ces
dissensions, ont procédé à des arrestations, tandis que les Hollandais, méfiants et
menaçants, ont répondu par la violence et de multiples exactions : « Le voyage
fut gâché par l’arrogance et la vilenie dont nous fîmes alors preuve » (citation
de l’un des officiers de l’expédition.

Hendrik Cornelisz Vroom, Le retour à Amsterdam de la


Deuxième Expédition aux Indes orientales, 1599
(Amsterdam, Rijksmuseum). À leur retour, les armateurs
hollandais n’avaient pas intérêt à expliquer les réelles
conditions de leur rencontre en Indonésie, car il s’agissait
d’encourager d’autres expéditions. Dès lors, c’est une version officielle de
l’exploit qui s’est imposée.
75

Dans son récit, l’historien peut choisir de se focaliser sur la rencontre à deux,
dans ce cas-ci l’audience entre Houtman et le régent de Banten. Mais les
documentations montrent que ce serait réduire la focale au point d’oublier le
contexte plus large de cette rencontre.

L’arrière-fond des mondes autochtones pour les Européens est en réalité le


quotidien des peuples rencontrés. Parce que traitée en arrière-fond, cette
dimension a complètement échappé aux historiens européens, dépendant de
leurs sources occidentales. Si les sources locales ne mentionnent pas l’arrivée
des Hollandais, c’est parce que ce fut un non-événement. D’ailleurs, les
descriptions des Européens dans les sources malaises et javanaises les présentent
le plus souvent comme des gens grossiers, sujets à la moquerie ou à
l’indifférence.

« Tel est le secret bien gardé de la rencontre impériale entre Hollandais et Javanais : elle n’a pas eu
lieu… »

« Ce qui «fit événement» pour les hommes de la Première Navigation – leur arrivée à Java – ne suscita
pas le moindre mouvement narratif chez les poètes de cour et les chroniqueurs de Banten ou de
Madaram. La rencontre, en ses commencements, n’a donc pas été un « lieu commun » : d’une part du
fait qu’elle a consisté en une coexistence (et non en une fusion) des scènes historiographiques, de l’autre
parce qu’elle n’a jamais renvoyé aux mêmes évidences » (p. 445)

« Le pari de l’histoire « symétrique » (est de) ne tenir par avance pour évidente ou universelle aucune
catégorie spontanée de l’analyse. Il n’est rien de ce qui nous paraît familier qui ne doive nous devenir
 On ne» Car
étranger. connaît pas facilement
« Le tournant du XVIIe sièclel’univers de des
est une contrée pensée ni des» (p.21).
plus étranges Malais et
Javanais, ni des Hollandais et Portugais, et il faut traiter les sources de la
même manière, pour tenter de les approcher.

Cette nouvelle façon d’écrire l’histoire globale, loin de l’européocentrisme,


montre que la description des chocs entre des mondes différents et homogènes,
provoqués par les voyages de découvertes, longtemps véhiculée par
l’historiographie occidentale, n’est pas exacte.
Ce sont au contraire de multiples rencontres qu’il faut décrypter, ce qui justifie
de faire de la « micro-histoire » pour contribuer à la compréhension de
« l’ histoire globale ». Cela implique d’étudier de manière équilibrée toutes les
parties en présence et ne pas se focaliser seulement sur l’événement de la
rencontre entre ces mondes pour les comprendre. Cette approche s’inscrit dans
le courant des « histoires connectées ».
76

Il n’y a pas un monde hollandais ni un monde javanais, c’est beaucoup plus


complexe que cela. Bertrand plaide pour la micro-histoire, c’est-à-dire se centrer
sur un seul évènement dans un temps et dans un lieu limités. Il veut faire de
l’histoire globale en utilisant des focales très aigues.

4. Sources, critique, histoire, mémoire : enjeux actuels

 Exercices sur trois articles

Les intox sur Internet, exemple d'application de la critique historique URL :


Les journalistes l’ont détectés comme étant un faux car il y avait des fautes
d’orthographe, … On a mis en œuvre la critique de provenance. Ce genre de
faux marche car il circule vite dans un moment où l’émotion va l’emporter sur la
raison.

Informations contradictoires sur un même fait, exemple d'application de la


critique historique URL :
77

Une étude est rapportée dans divers médias avec des informations différentes.
Dans certains, les profs gagneraient plus alors que dans d’autres, l’inverse est
dit. On doit se demander pourquoi il y a ces divergences. Les médias ont eu la
même source d’information, on se demandera donc s’ils ont un intérêt à donner
des informations erronées  Critique de sincérité. Ou alors les médias ont peut
être mal compris  Question de l’incompétence.
Il faut retourner à la source originale pour voir ce qu’il s’est passé. On va lire
cette source et faire de la critique d’interprétation.
Si les journalistes avaient menti, nous serions dans de la critique de sincérité
mais ils se sont juste trompés, on est donc dans le manque de compétence, qui
va tellement loin que l’information est erronée.

La petite phrase réinterprétée, exemple d'application de la critique historique


URL :
La PMA est la procréation médicalement assistée. Il faut de nouveau retourner à
la source. Une phrase de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a été caricaturée.
Les journalistes vont donc remettre sa phrase dans son contexte  Critique
d’interprétation.
Il y a eu réinterprétation, reformulation, transformation de la phrase car elle est
sorite du contexte, ce qui est très problématique, et ce n’est pas ça qu’elle a dit.
Ils manipulent donc la phrase.
Il y a une progression chronologique suivie par le journal qui fait de la critique
historique. Éric Zemmour déforme totalement ces propos en utilisant l’ironie
pour faire passer son message  Critique de sincérité.
Quand on remet les propos de Buzyn dans son contexte, on se rend compte que
c’est le contraire qui a été dit. Les journalistes ont donc fait de la critique
d’interprétation. Mais le détournement de la phrase relève quant à lui de la
critique de sincérité. On retrouve aussi de la critique de provenance, de la
source.
78

Partie 2 : l’approche critique des sources audiovisuelles :


Photographie, Cinéma, Télévision, Multimédia
On va essentiellement parler d’images reproductibles : on parlera des
productions qu’on peut reproduire de manière mécanique comme la
photographie, …

 Pourquoi un cours de critique des sources ? (7/11/19)


L’Histoire est une démarche critique (donc émancipatrice), qui ne saurait
décréter ce qu’il convient de penser ou pas. Ainsi, cette démarche critique n’est
pas là pour juger ou pour déterminer ce qui est source ou pas. On va analyser
des sources qui ne sont pas considérées comme « scientifiques » par les
universitaires : des films, des photos, …
La critique est une « méthode d’examen mettant en jeu des critères variables
selon les domaines, d’après lesquels il est possible de discerner les parts
79

respectives des mérites et des défauts d’une entreprise, d’une œuvre, d’un
système de pensée » (TLF).
 Il faut donc distinguer le vrai du faux, interpréter le contenu, ce qu’a
voulu dire l’auteur.e
Il faut à chaque fois avoir une méthodologie générale et puis appliquer une
série de principes spécifiques aux images et aux sources qu’on va traiter. On
utilise une image comme une source, on l’analyse comme telle, et elle peut être
le point de départ d’une recherche et d’une réflexion par rapport à un sujet.
Un auteur, en cinéma, c’est très compliqué à définir. Une convention dit qu’on
attribue un film à un réalisateur mais ce n’est pas tout à fait exact car il y a des
dizaines de gens qui vont travailler sur ce film : scénaristes, producteurs,
acteurs, …
Mais l’idée est aussi d’aller plus loin que cette réflexion sur la production, la
datation et autre, de la source en se demandant quel est le contexte et quelle est
la finalité de ces sources.
Actuellement, beaucoup de film ont un seul but : commercial, de
divertissement. Bien sûr, certains ont l’ambition de faire changer les choses et
les esprits : c’est ce qu’on appelle la donnée formative, comme les
documentaires.
Dans un second temps, il y a aussi l’impact que ces films laissent du point de
vue de la critique, des mentalités, du comportement de certaines personnes, …
On ne voit parfois pas venir cet impact-là.

 Rappels et perspectives
Objet du cours : Montrer comment s’attaquer à la critique là où on ne pouvait
apparemment pas aller (pas de domaines tabous).
But du cours : Donner des outils méthodologiques spécifiques, et ce quel que
soit les supports utilisés, en vue de poser un regard critique vis-à-vis de toutes
les formes de sources.
On va voir comment dater un film, une image numérique, … Cela va être un peu
plus technique que les examens qu’on doit faire pour des sources papiers. On
verra également la description du contenu, la question de l’auteur, … Ainsi, on
va parcourir les mêmes postulats que dans le cas des autres sortes de documents
(datation, description du contenu, etc.).
80

 Principes fondateurs de la critique interne

 Analyser sa source dans sa totalité

 Analyser la source dans sa langue originale. Il y a une dénaturalisation


de la source originelle quand on change sa langue d’origine.

 Analyser la source en la replaçant dans son contexte. Actuellement,


l’image est dématérialisée. Auparavant, on avait des cassettes mais
maintenant, on a internet. On a donc des différences technologiques
importantes dans un court laps de temps.

 Analyser la source en conservant toujours un regard critique (mais


sans jugement de valeur)

L’image enregistrée est la captation de la réalité. Mais en fait il existe


différents degrés d’objectivité/de subjectivité et de construction de la réalité
(dépasser le contenu et être conscient de la forme/de l’esthétique/du support) +
en vue d’un effet recherché (question du destinataire et de son contexte) et d’une
finalité.
On va essayer de dépasser le stade du sujet de l’image en s’intéressant à la
construction de l’image, à comment elle est pensée pour créer un impact sur
nous, sur ceux qui vont voir l’image. On va faire une déconstruction des
images.
Le contenu et la forme sont indissociables, ce sont donc des terminologies à
assimiler et utiliser pour comprendre les enjeux de la création de ces sources
(cadre, champ, position de la caméra, mouvements de caméra, montage, etc.).
On comprend un contenu car il y a la forme, ces deux aspects seront donc
systématiquement analysés.
Il existe donc une gradation, où on va partir d’une vision objective de la réalité
pour aller vers une vision subjective (car on va choisir quel morceau du monde
on va montrer) : on commence d’abord avec les documentaires, puis les
81

reconstitutions, ensuite la mise en scène, pour finir avec les faux documentaires
et évidemment la fiction.
Avec le documentaire, on essaye de rester objectif mais on construit un récit
pour expliquer les évènements. Avec les reconstitutions, on va engager des
acteurs pour reconstituer les faits. La mise en scène se rapproche le plus de la
fiction. La question du faux documentaire est celle de voir comment on veut
faire semblant que les images que l’on montre sont des images réelles alors que
tout y est construit.
Par exemple, les films d’horreur vont nous montrer que tout ce qu’on voit sur
l’écran est réel au travers d’image de surveillance, … On essaye de nous faire
oublier la fiction et de nous donner une essence de l’image la plus réaliste
possible alors que tout est construit. La mise en scène essaye juste de nous faire
croire que ce qu’on voit est réel. On va devoir croiser et recouper les
informations pour savoir où on se situe dans ce type de gradation de la réalité.

 Plan du cours

1) Déterminer une grille de lecture (Marc Ferro) inspirée des critiques


historiques externes et internes

2) Déterminer les outils spécifiques pour les images reproductibles


(terminologie)

3) Examiner l’application de la grille de lecture et des outils spécifiques


au travers d’une série d’exemples précis, extrêmement médiatisés: de
l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 Novembre 1963 à Dallas
(Texas) aux attentats du World Trade Center à New York le 11
Septembre 2001

4) Analyser les différents types de supports et leurs spécificités


(photographie, home movie, image télévisée, documentaire, fiction) –
ligne du temps des technologies

5) Constater le degré de construction des images proposées en fonction


d’une grille de lecture qui tient compte du contenu, de la forme et de la
finalité du document.
82

 Cinéma de fiction: création du “willing suspension of disbelief”


(accepter ce que l’on va voir comme une convention d’un monde
représenté) mais beaucoup de films débutent par “Ceci est inspiré d’une
histoire vraie” ou utilisent du “found footage” d’images réelles dans des
films de fiction

En 1963, on est dans un boum cinématographique. Un homme va ainsi


pouvoir filmer l’assassinat du président John Kennedy. Ce film-là est différent
d’aujourd’hui dans son contexte, dans sa nécessité de développement6 et dans sa
restriction de diffusion. Actuellement, il y a une immédiateté dans la création du
film et dans sa diffusion. Le support technique et le contexte dans lesquels on se
situe sont donc très différents.
Produire une source cinématographique est une chose différente selon qu’on la
produit sur du 16 ou du 8mm. Même chose pour la photographie : parlons-nous
d’image argentique, de polaroïd, … Il faut donc examiner les différents types de
support pour voir comment les analyser dans leurs caractéristiques essentielles.
En outre, on devra restituer chaque technologie à travers une ligne du temps.
On devra constater le degré de construction des images pour voir à quelle
point certaines images sont construites pour nous atteindre, pour qu’on s’en
souvienne, pour qu’on y réagisse.
Le cinéma de fiction nous demande d’accepter les contraintes du monde qu’il
nous montre. Cela veut dire que quand on va au cinéma de fiction, on doit
accepter les règles du monde qu’on nous montre à l’écran (Ex : un film de
science-fiction a des règles irréalistes). On doit donc suspendre notre logique
première pour plonger dans un nouveau monde de croyance, de conventions.
Cependant, ce mouvement se fait assez naturellement.
Pourtant, énormément de ces productions audiovisuelles sont inspirées d’un fait
réel ou utilisent des images de documentaires, de faits qui se sont passés dans la
réalité. Ce n’est pas parce que le film mentionne qu’il est inspiré d’une histoire
vraie qu’on doit abandonner notre esprit critique.

6
On a besoin de temps pour développer la bobine alors qu’aujourd’hui, tout est instantané
83

 BlacKKKlansman (Spike Lee, 2018)

Synopsis : Au début des années 70, au plus fort de la lutte


pour les droits civiques, plusieurs émeutes raciales éclatent
dans les grandes villes des États-Unis. Ron Stallworth devient
le premier officier Noir américain du Colorado Springs Police
Department, mais son arrivée est accueillie avec scepticisme,
voire avec une franche hostilité, par les agents les moins
gradés du commissariat. Prenant son courage à deux mains,
Stallworth va tenter de faire bouger les lignes et, peut-être, de
laisser une trace dans l'histoire. Il se fixe alors une mission des
plus périlleuses : infiltrer le Ku Klux Klan pour en dénoncer les exactions.

En se faisant passer pour un extrémiste, Stallworth contacte le groupuscule : il


ne tarde pas à se voir convier d'en intégrer la garde rapprochée. Il entretient
même un rapport privilégié avec le "Grand Wizard" du Klan, David Duke,
enchanté par l'engagement de Ron en faveur d'une Amérique blanche. Tandis
que l'enquête progresse et devient de plus en plus complexe, Flip Zimmerman,
collègue de Stallworth, se fait passer pour Ron lors des rendez-vous avec les
membres du groupe suprémaciste et apprend ainsi qu'une opération meurtrière
se prépare. Ensemble, Stallworth et Zimmerman font équipe pour neutraliser le
Klan dont le véritable objectif est d'aseptiser son discours ultra-violent pour
séduire ainsi le plus grand nombre.
Ce film est inspiré d’une histoire vraie. Il comporte des images réelles, d’une
violence assez inouïe, le réalisateur voulant un commentaire contemporain de ce
racisme ordinaire. Ainsi, on peut voir une voiture d’un extrémiste foncer dans la
foule pendant une manifestation contre l’extrême-droite à Charlotte Ville.
On est dans une mise en scène des années 70, dans une
forme d’humour assez affirmée, et tout d’un coup, on
nous montre une image réelle. Notre perception du film
va donc changer, on va être rattrapé par la réalité car tout
le monde, à l’époque, a vu ces images de mort. C’est très
important car on est dans le ronron de la fiction et PAF, on se retrouve confronté
à une image réelle.

 22 July (Peter Greengrass, 2018)/ Utoya-July 22 (Erik Poppe, 2018)


84

Synopsis 22 july : La véritable histoire de l'attaque


terroriste la plus meurtrière jamais perpétrée en Norvège.
Le 22 juillet 2011, 77 personnes sont tuées lorsqu'un
ultranationaliste d'extrême droite fait exploser une bombe
artisanale placée dans une voiture à Oslo avant de
commettre une fusillade dans un camp d'été de jeunes. À travers le combat
physique et psychologique d'un jeune survivant, "Un 22 Juillet" décrit un pays
qui tente tant bien que mal de surmonter le drame et de panser ses plaies.
Synopsis Utoya-July 22 : Île d’Utøya, Norvège. Le 22 juillet
2011.
Dans un camp d‘été organisé par la Ligue des jeunes
travaillistes, un homme de 32 ans ouvre le feu.

Les attaques d’Anders Breivik, qui tuait des jeunes


sur une île, a servi de base à deux films qui s’en sont
servis de manière très différente. Un film suivait les
événements de manière chronologique, selon le point
de vue du tueur, tandis qu’un autre suivait le calvaire
des victimes, le tueur restant une sorte d’ombre. On
est donc dans la subjectivité des personnages qui ont vécu le drame, on n’est
absolument pas dans le récit objectif.
Le choix du point de vue sur les choses est donc crucial quand on fait un film
car cela aura une influence majeure sur l’effet qu’il produira sur le spectateur.
La réalité elle-même est un terreau de fiction tout à fait exceptionnel. La
transformation vers la fiction va aussi permettre d’ouvrir ces images et ces
sources à d’autres publics.
Ce qui est intéressant est qu’on peut voir ces choses-là de façon très positive (on
va faire connaitre au monde une série de récits qui seraient restés dans l’ombre
sinon) mais aussi négatif (il y a une crise d’invention des récits car on se tourne
essentiellement vers des récits réels).

 The Report (Scott Z. Burns, 2019)


Synopsis : Immédiatement après les attentats du 11 septembre, la
CIA se lance dans la guerre contre le terrorisme et dans des
pratiques extrêmes d'interrogatoire sur les détenus. Des pratiques
85

détaillées dans un rapport de plus de 500 pages commandé par le US Senate


Select Committee on Intelligence.
Un agent de la FBI, en écrivant un rapport, va dénoncer les tortures faites aux
terroristes par la CIA. C’est une histoire réelle en léger décalage avec la réalité
mais qui reflète des questionnements contemporains et actuels : à quoi servent
ces services qui font une série de choses qui ne sont pas connues du public.

 Toutes les semaines, on voit donc sortir de nouveaux films inspirés de la


réalité.

 Bohemian Rapsodie (Bryan Singer, 2018)/ Rocketman (Dexter Fletcher,


2019)
Synopsis Bohemina Rapsodie : Bohemian Rhapsody retrace
le destin extraordinaire du groupe Queen et de leur chanteur
emblématique Freddie Mercury, qui a défié les stéréotypes,
brisé les conventions et révolutionné la musique. Du succès
fulgurant de Freddie Mercury à ses excès, risquant la quasi-
implosion du groupe, jusqu’à son retour triomphal sur scène
lors du concert Live Aid, alors qu’il était frappé par la
maladie, découvrez la vie exceptionnelle d’un homme qui
continue d’inspirer les outsiders, les rêveurs et tous ceux qui aiment la musique.
Synopsis Rocketman : Rocketman nous raconte la vie hors
du commun d’Elton John, depuis ses premiers succès jusqu’à
sa consécration internationale. Le film retrace la
métamorphose de Reginald Dwight, un jeune pianiste prodige
timide, en une superstar mondiale. Il est aujourd’hui connu
sous le nom d’Elton John. Son histoire inspirante – sur fond
des plus belles chansons de la star – nous fait vivre
l’incroyable succès d’un enfant d’une petite ville de province
devenu icône de la pop culture mondiale.

Les biopics, c’est-à-dire les parcours biographiques, sont une manne d’argent
énormes, surtout les musicaux car on relance la machine économiquement en
vendant leurs albums. Ce sont des évènements en relation directe avec la réalité
mais le film sur Freddy Mercurie ne traite absolument pas de son homosexualité,
86

ce qui est hallucinant car il est mort du SIDA et il était militant. On sélectionne
donc une facette du parcours biographique.
La construction peut donc être au niveau des images elles-mêmes mais elle peut,
et elle va être aussi, au niveau de la scénarisation de ces récits. On ne peut pas
faire un film sur toute la vie d’un personnage, on doit sélectionner les
évènements, les aspects.
La figure historique qui a eu le plus de films est Jeanne d’Arc. Il y a eu des films
sur son procès, son enfance, ses combats, … Chacun a choisi un aspect et le plus
souvent, c’était sa mise au bûcher et son jugement, c’est-à-dire le moment où on
va la casser, où elle est vulnérable, et pas son moment glorieux.
 C’était la réalité qui influence la fiction.

 The Joker (Todd Philips, 2019)


Synopsis : Le film, qui relate une histoire originale inédite sur
grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi
juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme
sans concession méprisé par la société.

Ce visage se retrouve absolument dans tous les


mouvements de révolte et de révolution qui apparaissent
aujourd’hui partout dans le monde. La fiction influence
donc ici la réalité, on est dans un processus de transfert
d’un événement fictionnel vers la réalité.
Ces transferts doivent être questionnés dans leur
utilisation : pourquoi cette jeune fille utilise ce
masque ? Quelle signification lui donne-t-elle ? Ce
visage prend des tournures assez différentes en fonction
des pays et en fonction des combats. C’est bien sûr une
volonté de rébellion mais avec différentes
significations. Dans ce cas-ci, le masque incarne la tristesse du clown.

Par rapport à cette idée de rapport avec le réel, il faut


être extrêmement vigilant par rapport à l’analyse de ces
87

sources. Cette critique qu’on va essayer de construire vis-à-vis de ces images va


servir à canaliser tous ces mouvements de déplacement entre la réalité, la fiction,
les supports cinématographiques, télévisuels, … On va voir comment, à partir
des images, on va s’interroger sur leur signification.
On est dans un plan d’ensemble, dans un zoom, il y a la présence des
manifestants, d’une seule personne, des manifestants et des policiers, … On va
essayer de pouvoir prendre conscience de l’impact émotionnel créé par l’image
de la jeune fille, où on n’a pas de contexte, où on ne sait rien car c’est elle la
focalisation du moment. Dans d’autres, on a un contexte de rapport de force
entre les manifestants et les policiers.
L’étape supplémentaire est de se demander où sont parues ces images, dans
quels journaux, … La décontextualisation est toujours extrêmement dangereuse
car le contexte donne le sens à ces représentations et leur impact qu’elles
doivent avoir sur le public.
En d’autres termes : Cinéma de fiction: création du “willing suspension of
disbelief” (accepter ce que l’on va voir comme une convention du monde
représenté) … Mais beaucoup de films débutent par “Ceci est inspiré d’une
histoire vraie” ou utilisent du “found footage” d’images réelles dans des films de
fiction. Il faut donc avoir une vigilance encore plus grande et il y a une absolue
nécessité de pratiquer la critique.

 The good wife/ the good fight (CBS, 2010)


Synopsis the good wife : L'épouse d'un homme politique voit
sa vie bouleversée par l'incarcération de son mari à la suite
d'un scandale sexuel et une affaire de corruption largement
relayés par les médias. Dépassant la trahison et l'humiliation
publique, Alicia Florrick décide de reprendre sa carrière
d'avocate après une pause de 13 ans loin des tribunaux. Elle
rejoint un ami de longue date au sein d'un prestigieux cabinet
de Chicago. Très vite, Alicia réalise que la compétition va
être rude avec de jeunes recrues ambitieuses et déterminées. Mais au moins
pour une fois, elle est prête à prendre en main sa propre destinée et détruire son
image d'épouse modèle...
Synopsis the good fight : Après un scandale qui a ruiné la
réputation de la jeune avocate Maia Rindell et le compte en
banque de sa marraine, l'éminente Diane Lockhart, un cabinet de
88

Chicago majoritairement afro-américain les accueille. Diane y retrouve son


ancienne collègue Lucca Quinn...

C’est une série télévisée sur une femme d’homme politique qui a avoué avoir eu
une maîtresse (// Bill et Hilary Clinton, rapport à la réalité toujours présent). Le
spin-off, The good fight, va ouvrir la première saison de cette nouvelle série.
C’est étonnant car c’est une femme et que dans les séries américaines, peu de
femmes sont les actrices principales. En outre, elle a plus de 70 ans.
La façon dont les créateurs ont choisi de caractériser leur personnage dans une
première séquence est importante. On y découvre que l’avènement de Trump au
pouvoir n’est vraiment pas ce que le personnage principal attendait en tant que
féministe et selon ses valeurs politiques. Cela prend 30 secondes mais ça a eu un
impact. Les réalisateurs n’ont pas eu l’autorisation de montrer ces images de
l’investiture.
La scène caractérise tout de suite le personnage sans une parole de sa part, on
comprend que son monde s’écroule. C’est à ce moment qu’elle va décider de
prendre sa retraite et de ne plus travailler aux USA. En quelques secondes, on ne
part pas du personnage de fiction mais bien de la réalité avec des contraintes par
rapport aux droits aux images et on choisit donc cette pirouette en utilisant juste
le son.
Les créateurs ne veulent pas voir apparaître dans leur série le visage de Trump.
Cette contrainte les arrangent donc car ils ne veulent pas que le président soit un
personnage de leur série. Une chose réelle devient donc un déclencheur de
fiction, elle va permettre de créer la dynamique d’un personnage. Ce contexte
politique social n’est pas fictionnel mais c’est bien le contexte dans lequel se
situe les créateurs et les personnages de la fiction.

 Assassinat de John Fitzgerald Kennedy (Abraham Zapruder, 22 novembre


1963, Dallas)
L’assassinat de John Kennedy est, en termes d’impact
des images, d’une richesse incroyable. L’existence-
même de ces images a permis que le code de censure du
cinéma hollywoodien s’arrête. L’assassinat a lieu en 63
et la censure se finit en 1966. Il a donc fallu trois ans
pour que les chaînes de télévision puissent montrer le film dans son entièreté. A
l’époque, on est dans un régie de contrôle d’images systématique : on ne peut
89

pas montrer des meurtres, des scènes sexuelles, de blasphèmes, ... La liste de
choses à respecter est donc énorme.
Ces images circulent aujourd’hui tout à fait librement sur Internet, il n’y a plus
de droit intellectuel dessus. Abraham Zapruder, le filmeur, avait filmé une fête
familiale et puis, en une seconde, on passe au passage des Kennedy devant son
magasin.
Si ces images sortaient actuellement, on dirait que ce sont des images
construites, fabriquées, car on peut aujourd’hui donner ce cachet ancien au
travers de reconstitution numérique. Mais à l’époque, on ne peut pas, ce sont
donc des images de captation réelle.
Il y avait 42 personnes sur place qui avaient des appareils photo et des caméras
super 8. Beaucoup de gens ont donc filmé l’évènement mais personne ne l’a
filmé en continuité, sauf notre Abraham. Avec du 8mm7, il n’y a pas de son, on
ne peut donc pas entendre les cris, mais la réception sonore a été reconstituée
plus tard dans des films. Cette vidéo a tout le mouvement et elle est devenu une
des sources les plus essentielles de l’enquête policière et sera réutilisée de façon
médiatique et historique par la suite.
La figure de Kennedy va devenir un évènement médiatique tout au long de
l’après 1963. De nombreux récits vont en faire un fantasme fictionnel, on
s’interroge sur ce que le monde aurait été si cette image n’avait pas existé.

 Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994)


Depuis que l’image numérique existe, les manipulations
ont toujours existées. Ainsi, on peut voir Kennedy à côté
de Tom Hanks. Les créateurs ont pris des images
d’archive pour incruster le personnage de fiction à
l’intérieur de celles-ci. Cette manipulation de l’image
est extrêmement bien faite.

 C’est bien une réécriture de l’Histoire.

 X-Men: days of future past

7
18/19 images/sec, ce qui nous donne cette impression de ralentissement
90

La campagne publicitaire pour le lancement de ce film mêle allégrement des


faits réels, un personnage de fiction et une revisitation des faits. On a de
nouveau de l’incrustation dans une image. On incruste un personnage
supplémentaire dans la scène originelle de l’assassinat de Kennedy facilement
grâce à la numérisation des images.
Par toute une série d’images qu’on va créer (arrestation du
personnage fictionnel en 1964) et par la création d’un site
internet, on va alimenter son existence réelle. On est dans
une construction absolument folle car un tas de personnes
doivent travailler dessus avec des fonds importants. Tout
ceci existe pour faire la promotion d’un film de fiction.
On est donc dans une fine frontière pour distinguer ce qui est
réel de ce qui ne l’est pas. L’ensemble est tellement bien fait,
il y a tellement de possibilités au niveau de cette création
fictionnelle, qu’on y croit.

 Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993)


On s’est dit que les dinosaures pouvaient revenir car ils sont très vraisemblables
dans le film de Spielberg.

 Jusqu’au Deepfake (James Carrey/Jack Nicholson)


On est arrivé à une possibilité de mimétisme et
d’imitation incroyable. Le Deepfake est
d’abord une application de divertissement mais
elle peut vite tourner à une application
politique. Ainsi, le discours présidentiel peut
être détourné dans un but ludique mais aussi
politique.
91

 Il faut d’autant plus exercer son esprit critique dans ce genre de cas.

1. Spécificité des images reproductibles (14/11/19)

On examine des images faites par des machines (photo,...) donc on n’a plus
d’intervention de la main de l’Homme. Toutefois, on a besoin de l’action
humaine pour imprimer, enregistrer,...

Walter Benjamin développe cette idée dans « L’œuvre d’art à l’époque de sa


reproductibilité technique » en 1939. C’est l’époque où on se pose des questions
sur le support cinématographique : Quels sont leur rôle ? Sont-ils des œuvres
d’art ?

Auparavant, pour voir une œuvre d’art, on devait se déplacer. Grâce à la photo,
on peut reproduire ces œuvres et toucher les gens qui ne peuvent pas se
déplacer. Nous avons accès à ces œuvres  Spectacle de masse. Mais plusieurs
personnes sont partagées sur cette invention entre le fait que ça a permis la
démocratisation (toucher plus de personnes) mais qu’avec cela on a perdu
« l’aura », l’unicité de l’œuvre.

Le daguerréotype8 ne permet pas que l’image se fixe sur le support, il s’efface,


alors que la photographie si. On commence donc la reproduction avec la
photographie.

Cependant, actuellement, beaucoup d’artistes reviennent à des œuvres uniques et


non plus reproductibles (pour préserver l’aura de leur œuvre). Au départ, l’idée
du cinéma n’est pas de créer la fiction mais de capter le réel, de révéler la réalité
 Capturer la réalité telle qu’elle l’est.

André Bazin, dans « L’ Ontologie de l’image photographique », paru en 1958,


dit : « Pour la première fois, entre l’objet initial et sa représentation, rien ne
s’interpose qu’un autre objet ».

Pour l’époque, il y a une forme d’objectivité essentielle. L’appareil mécanique


qui prend la photo ou le film est objectif vu qu’il n’y a pas d'intervention
humaine. Or, c’est faux de penser comme cela. En effet, il y a une intervention
humaine car c’est nous qui choisissons l’emplacement, la position, le cadre,...
Donc on a une certaine subjectivité.
8
Le daguerréotype est un procédé photographique mis au point par Nicéphore Niépce et Louis Daguerre. Il
produit une image sans négatif sur une surface d'argent pur, polie comme un miroir, exposée directement à la
lumière.
92

Dès lors, on peut dire qu’il existe systématiquement un degré déterminé de


construction des images.

 Exemple d’une photo touristique de Paris (1900) :

On utilise les photos pour leur contenu et non leur forme, cette dernière nous
important peu. Pourtant, la forme et le fond sont indissociables. Il y a une
implication de la forme, qu’on en soit conscient ou pas.

C’est une photo d’ensemble de Paris pendant l’exposition universelle de 1900.


On peut se focaliser sur une autre échelle : se rapprocher ou s’éloigner. Sur
l’autre photo, la structure nous paraît plus grande car on est rapproché  La
présence de personnes nous donne l’échelle humaine.

On est dans un cadre horizontale. La photo a été prise depuis une montgolfière, le
photographe a dû se placer en hauteur. C’est un plan d’ensemble de la ville et on a une
composition remarquable avec la Tour Eiffel au centre. Il y a un équilibre entre le ciel et le
parterre. C’est une photo qui a été très travaillé. La première chose que l’on peut voir, c’est
la Tour Eiffel.

Sur l’autre photo, on ne voit pas la Tour Eiffel. On montre l’échelle entre ce qui est humain
et la tour  Mesure de la différence. On est dans un niveau humain. Le cadre se permet de
couper la tour, on n’a pas la totalité de la structure. On n’est plus rapproché mais on voit
quand même la grandeur de la structure.
93

 Photo de la construction en 1884 de la Tour Eiffel :

Le but est de créer le choc. A l’époque, on montre l’évolution du chantier. On ne


coupe pas de façon volontaire car cette partie n’existe pas encore. On s’imaginait
à quoi allait se ressembler la tour quand elle sera fini  Photo très descriptive.

 Photo de la Tour Eiffel de Germain Krull en 1927 :

On peut montrer la Tour Eiffel sans qu’on la reconnaisse. Germaine Krull


photographie des matériaux lourds. On a l’impression d'être face à un cadre
aléatoire, on ne voit pas la totalité de la structure  Gros plan sur du métal
(toujours pas d’humains). Lorsqu'on nous montre la photo, on ne reconnaît pas la
Tour Eiffel  Création de doute chez le spectateur (propose plus des questions
de que réponses).
94

 Ombres de la Tour Eiffel d’André Kertesz (1929) :


On change de points de vue sur la Tour
Eiffel, le centre n’est pas la tour en elle-
même mais son ombre. Recherche de
photographie d’un point de vue artistique
(dimension de l’objectivité essentielle).
L’auteur pose une interrogation plastique
de l’ombre et cela crée une forme
d’équilibre. Il déplace la focalisation
habituelle qu’on a du monument.

 Terminologie : vocabulaire cinématographique :

Le cadre : Espace plat et bidimensionnel qui délimite la surface matérielle de


l’image. Il définit l’organisation formelle de l’image et, ce faisant, en délimite
l’accès, car ce qu’il monte est indissociable de ce qu’il cache (hors-cadre) : il
détermine donc une lecture de l’image (focalise le regard).

Le cadre délimite l’image et implique un hors-cadre. Une photo n’est pas une
unité qui tient toute seule  Prendre en compte l’hors-cadre.

L’échelle des plans : Rend compte de la distance de la caméra par rapport au


sujet filmé. C’est un choix qui transforme l’enregistrement de la réalité en
matière artistique. Chaque image est conditionnée par sa perception + la clarté
nécessaire du récit :

 Nécessité d’une adéquation entre la taille du plan et son contenu


matériel (il faut pouvoir voir ce que l’on nous montre – fonction
descriptive)

 Adéquation entre la taille et son contenu dramatique (l’effet)


95

On une variété d’échelle des plans : distance entre la caméra et ce qui est filmé.
Il faut choisir entre différentes grosseurs des plans car celles-ci déterminent la
réceptions des informations. Si on a un petit plan, le spectateur doit chercher
l’information, tandis que si on un gros plan (zoom), le spectateur est tout de suite
confronté à l’information. Chaque image est définie par sa clarté.

On a une nécessité d’adéquation entre la taille d’un plan et son contenu matériel,
il faut pouvoir voir ce qu’on montre  Fonction descriptive.

 Vocabulaire sur les différents plans :

 Plan général ou d’ensemble : le plus large possible. C’est une sorte de


description du paysages, de la foule, ... On n’a pas la préoccupation de
l’humain, on montre juste la foule.

 Plan moyen ou plan pied : Plan de la tête jusqu’aux pieds.

 Plan américain : Plan de la tête jusqu’aux genoux (surtout utilisé dans


les films d’actions.

 Plan taille

 Plan rapproché (poitrine) : Présentateur de JT

 Gros plan : plan très rapproché pour apporter de l’empathie au


spectateur.

L’empathie : Art et action de choisir, disposer et coordonner les divers


éléments constitutifs d’une œuvre littéraire, artistique, architecturale, etc. Ou:
ordonnance équilibrée des parties constituant un tout; construction (Larousse).

Les éléments qui apparaissent doivent faire sens, créer un équilibre, cela doit être
compréhensible pour l’œil humain. La construction de l’image doit se demander
comment créer un équilibre.

Les angles de caméra : Position de la caméra par rapport au sujet représenté :


96

au-dessus du sujet, dirigé vers le bas (plongée), à l’horizontal, à la même


hauteur que le sujet (angle normal), dirigé vers le haut (contre plongée).

C’est la position de la caméra en termes d’angles  Création d’angles, de prises


de vues. On joue sur la compréhension du film, sur les effets, surtout dans les
films d’actions et les films d’horreur.

 La valeur informative et les effets :

On a une révélation de la réalité telle que notre œil ne pourrait pas la voir
(cinéma-œil) et une construction de la réalité dans le but de montrer, d’informer,
d’impressionner, de choquer, etc.

On fige l’image dans le temps (échelle du temps), ce que notre œil ne peut pas
faire. Nous n’avons pas la capacité de figer une image, on est toujours dans un
flux d’images (caméra = œil amélioré).

Mais quelle est la finalité de cette construction ? : La photographie révèle des


informations sur la réalité que notre œil ne peut pas permettre.

Ex : G. I. Joe (Stephen Sommers, 2009) :


On voit la Tour Eiffel tomber. Cette image
n’existe pas, elle a été créé de toute pièce.
Pourtant la ville existe bien et c’est pareil
pour la structure.

=> Question du vrai et du faux.

Ex : Godzilla (Gareth Edwards, 2014) : L’échelle


est claire. On donne une échelle au monstre qui
dépasse la Tour Eiffel  Symbolique.

 Exemple de la Statue de la Liberté :


97

Le cadre est déterminé en fonction du paysage, des bâtiments et de la statue. On


a une composition en L de l’image et on a du vide devant la statue. On a une
utilisation de couleur. La photo est horizontale et elle est coupée efficacement
car elle donne une impression d’ouverture, d’impulsion vers l’avant.

C’est un plan en plongée pour voir


l’étoile et l'île que d’habitude nous ne
voyons pas quand on va sur place et peu
de photos prennent cet angle de vue.

Sur cette photographie, on a une certaine


symbolique. En effet, la statue est au
premier plan de l’image et elle semble
écrasée tout le reste. Tout paraît
minuscule derrière elle et sans
importance comparé à elle. Elle domine
l’image.

On a découpé la photographie pour avoir juste dans le


cadre la statue de la Liberté. On n’a pas d’autres
éléments qui viennent parasiter l’image. On est dans
une sorte de classicisme de la photographie. Le
98

spectateur est confronté directement à l’information, il ne peut pas se perdre dans


l’image.

On est plus dans l’expressivité avec cette


photographie. L’angle de la caméra se
concentre sur le visage de la Statue de la
Liberté, on a fait un zoom dessus. On est
ici dans une image en contre-plongée,
on photographie ce qui a au-dessus de
nous (le photographe est plus bas que
l’objet photographié).

Cette photographie nous permet de nous


rendre compte de l’échelle de la statue
en nous montrant des humains au
sommet de la tête de la statue de la
Liberté. De plus, on a zoomé sur un
détail de la statue pour pouvoir voir ceci.
Sur une photo de plan d’ensemble, on ne
distinguerait pas ceci.

Ex: Escape from New York (John


Carpenter, 1981): C’est un film
apocalyptique. Dans ce genre de film, on
a un fantasme qui est de voir la Statue de
la Liberté se faire détruire et surtout que
la statue se coupe au niveau de la tête.
99

On peut avoir la statue incomplète ou que celle-ci disparaît à cause de


catastrophes, de conditions climatiques, d’attaques,... On retrouve ce concept
dans les films: Cloverfield (MaH Reeves, 2008), Planet of the Apes (Franklin
Schaffner, 1968) et The Day After Tomorrow (Roland Emmerich, 2004).

 Cinéma du temps et du mouvement :

La photographie est un élément fixe et le cadre est déterminé. Dans le cinéma,


on est dans un support de temps, de durée et de mouvement. Comment va-t-on
jouer avec ces notions ?

On peut avoir des images commerciales, amateur, documentaire,... On a


beaucoup de diversité mais ils ont tous des points communs, qui sont le temps et
l’espace.

La naissance du cinéma apparaît avec les Frères Lumières en 1895. Ils créent
un instrument qui permet d’enregistrer les mouvements. A leur époque, les films
ont un cadre fixe, tout ce qui est essentiel doit être dans le cadre (le monde tient
dans le cadre qu’ils ont créé). Les Frères Lumières se concentrent sur le fait que
le cinéma est un instrument scientifique pour enregistrer la réalité et non pas
créer de la fiction comme on retrouve actuellement.

Exemple du Cinématographe : La sortie des usines Lumière (1895), Invention de


la narration cinématographique : Le jardinier et le petit espiègle/L’arroseur
arrosé (1895). Leur premier court-métrage est L’arroseur arrosé, c’est une
blague qui a été filmé et qui a été fortement reprise par après.

 Fiche d’identification de L’arroseur arrosé :

 Titre: “L’arroseur arrosé/le jardinier et le petit espiègle”

 Date: 1895

 Réalisateurs: Auguste et Louis Lumière

 Pays d’origine: France


100

Toutefois, il est difficile de classer ce film car c’est le premier film au monde
donc il n’y avait pas de catégories de film comme aujourd’hui.

On a un seul plan, pas de recadrage. On est dans une logique d’un plan fixe et
unique. On délimite un cadre, on ne montre pas tout le jardin. On a juste le
jardinier, l’espiègle et le tuyau. On est dans une logique cinématographique : on
ramène l’espiègle devant la caméra pour faire la fessé (grandes profondeurs). On
n'a pas besoin d’un hors-cadre car tout est concentré à l'intérieur.

Pour l’échelle, on est dans un plain-pied. On garde une certaine distance, on n’a
pas de gros plan car ça ne se faisait pas à l’époque et on n’avait pas les capacités
pour le faire.

Dans la composition, on a un jardinier, l’espiègle, le tuyau au milieu et derrière


la jardin. On est dans l’horizontalité.

 Venezia 70 Future Reloaded


(Abbas Kiarostami, 2013) :
101

On remet en scène L’arroseur arrosé. Ce film a été créé dans le but de rendre
hommage aux Frères Lumières mais ici le réalisateur le fait à sa façon. Il le
refait en prenant compte de sa culture (Iran). Ici, le personnage principal est
l’enfant. On a du son, des couleurs, des plans en mouvements.

Kiarostami s’est beaucoup intéressé aux enfants car dans sa culture, on met en
scène des enfants pour transmettre des messages politiques car cela passe mieux
et ce n’est pas censuré.

C’est l’enfant qui filme la blague donc il est le réalisateur (“cut”) mais il est
aussi spectateur de la blague. On nous montrer l’envers de la caméra  Contre-
champ. Chez les Frères Lumières, on a une dimension de moralisation car on
punit l’espiègle alors qu’ici, on en rit. On voit aussi les changements
technologiques entre les deux films et l’évolution du cinéma à travers le temps et
ses tendances.

 L’arroseur arrosé (Tetsuo Lumière & Gabriela Chirife, 2014) :

Le sentiment de surprise ressort le plus


de ce court-métrage, qu’on retrouvait
aussi chez les Frères Lumières lorsque le
jardinier se prend de l’eau dans le visage.
Ici, on a la même blague mais tourné
différemment avec la tête qui se coupe à
cause du jet d’eau  Fiction
(représentation pop) => Effet comique

Dans ce cas, la punition de la petite fille est involontaire, c’est la tête qui atterrit
sur elle. On reste dans un cadre fixe, dans une horizontalité. On a juste rajouté
une musique calme qui contraste et crée la surprise avec la tête qui saute et qui
part sur la fille.

 Autre exemple amateur de L’arroseur arrosé :

On est toujours dans un cadre fixe. On a une musique plus active, plus de
mouvements et une source d’humour différent. C’est une version plus
dynamique : images accélérées (// esthétique du cinéma muet), utilisation de la
musique comme déclencheur  Effet de mimétisme.

De plus, il y a une implication du spectateur car l’arroseur arrosé c’est nous,


aussi lorsque le seau d’eau est envoyé sur la caméra donc sur nous.
102

 Conclusion
On peut donc bien voir les possibilités que donne toute une série d’éléments
cinématographiques grâce à tous ces exemples. Il existe des choses hors-cadre
ou hors-champ, des possibilités liées à la dimension sonore (musique, sons
d’ambiance, …) et à l’utilisation de la couleur. Toutes ces innovations
techniques vont permettre de rajouter quelque chose au niveau du sens,
d’étendre la signification de ces films, et de leur donner parfois plus d’impact.
La finalité émotionnelle ou de sens est évidemment ce qu’on essaye de
comprendre ici, comment une image et sa forme font passer leur contenu et
comment on perçoit les choses de façon différente en fonction de l’esthétique
des images.

 Proposition d’une méthodologie en regard de la critique historique


(21/11/19)

On a trois formes de critiques et donc trois parties à notre grille


méthodologique :

 La critique externe. Elle est composée de trois bases :

- La critique de provenance : qui produit la source, quand, où, selon


quels statuts ?.

- La critique de restitution, qui concerne principalement l’idée de


reconstituer un texte qui se rapproche au mieux de l’original perdu, on
est très peu concerné par cette partie au niveau des sources filmiques
car la reproductibilité de la source nous permet d’éviter de devoir
reconstituer un document de départ qui aurait disparu, on va donc la
laisser tomber.

- Vrai ou faux ? On reste dans la même nécessité d’établir si ce qu’on a


dans les mains comme source est bien un document authentique. Toute
une série de productions cinématographiques vont, sans détour,
103

s’affirmer comme étant des faux. On va jouer sur l’aspect de fausseté


de l’œuvre (cfr Cloverfield).

 La critique interne. Elle concerne le contenu même du document et


contient également trois parties :

- La critique d’interprétation, c’est-à-dire ce que l’auteur a voulu dire.


On va voir les intentions du réalisateur mais aussi ce qu’on perçoit nous-
mêmes vis-à-vis de la source. Ce sont bien deux choses différentes. On
doit donc distinguer la réalité du film et les intentions du cinéaste.

- La critique de compétence est assez compliqué à déterminer par rapport


à des sources reproductibles. Vérifier si le contenu est crédible devient un
problème quand on se retrouve devant un film de fiction, son but n’étant
pas d’être vraisemblable. On devra donc trouver d’autres axes, sauf pour
certains documents (documentaire, actualités, …).

- La critique de sincérité. Il s’agit de déterminer le degré de confiance à


accorder à l’auteur. Cela interviendra plutôt dans des pratiques qui sont
plus proches de la réalité car à partir du moment où on établit qu’on est
rentré dans la fiction, cette idée devient un peu secondaire.

 Ces deux possibilités d’analyse vont donc devoir être revisitée car quand
on est face à des documents reproductibles, les choses et le contexte
seront très différentes.

 Proposition d’une méthodologie d’analyse


La grille méthodologique qui nous sera proposée a été pensée par un historien,
Marc Ferro, qui était fasciné par le cinéma. Sa spécialisation était l’étude et
l’analyse de tous les moyens de propagande mis en place par le régime
soviétique à partir de la révolution de 1917. Il réalise qu’il est impossible de
parler de cette époque-là sans tenir compte de la production cinématographique
qui l’accompagne.
En effet, cette révolution a été accompagnée par un mouvement
cinématographique. Les gens qui la créent intègrent le cinéma dans leur mode de
104

pensée politique. Pour eux, le cinéma est une force d’influence et de frappe pour
pouvoir convaincre les gens du bien-fondé de leur révolution. Des cinéastes vont
consacrer leur art à l’idéologie politique à laquelle ils appartiennent.
Ferro se rend compte à quel point ses collègues ne font jamais référence à des
sources cinématographiques. Ils utilisent des documents papier mais pas des
films car en 1977, si on veut montrer un film à des étudiants, il faut les emmener
en dehors de l’école et faire tout un simagrée pour qu’ils puissent le voir, la K7
n’étant pas encore démocratisée. Il y a donc une forte réticence car il faut toute
une organisation pour que les élèves puissent visionner un film.
En outre, très peu y vont car ils estiment ne pas avoir les outils pour analyser les
films. Ceux et celles qui les montrent le font donc sans commentaire et sans
analyse sur la forme. Ils parlent du fond mais pas de l’esthétique, qui fait passer
un message ou non, …
 Ainsi, manque de matériel, problème financier et pas de formation pour
apprendre à utiliser cette matière.
C’est donc une période charnière car quand Ferro arrive avec son idée de
pédagogie autour du cinéma, il est très isolé dans sa pratique. Il va donc devoir
faire tout le travail. Marc Ferro commence avec le support qui va être le mieux
accepté par ses collègues : les actualités et les documentaires. La fiction
semble en effet être un autre continent car elle a des visées commerciales, c’est
du faux, …

 La grille proposée par Ferro

Ferro propose trois formes de critique :


 La critique d’identification (Cfr la critique externe et la critique de
provenance). C’est la recherche de l’origine de la source. On va mettre au
centre :

- Le titre de l’œuvre car le nom d’une œuvre permet aussi d’entrer dans
cette œuvre. Le titre conditionne ce qu’on voit des sources.

- L’identification de la date de production (cfr. les catalogues, les


fichiers, les fiches développées et conservées dans les photothèques,
les cinémathèques + types de pellicule : 8 mm, 16 mm, 35 mm, 70
mm, vidéo, Béta, Digitale, etc.). Il peut parfois y avoir quelques années
105

de décalage entre la date de production et la date de diffusion, on


choisira donc plutôt la date de production car c’est la seule qui ne varie
pas. On doit faire tout un travail si on ne sait pas quelle est la date de
production du film

- Le nom du ou de la cinéaste. Un film est le fruit d’un travail collectif.


Celui ou celle qui est l’élément central n’est pas le ou la cinéaste mais
bien le producteur car c’est lui qui va trouver le financement, qui va
mettre en présence les réalisateurs, les acteurs, le scénario, … Le
projet se fait donc autour de lui mais on est plus dans l’industriel que
dans le cinéma d’auteur. De ce fait, depuis le début des textes qui ont
été écrit sur le cinéma, la convention est que l’on cite le cinéaste, qui
devient alors garant du film.

- L’identification du pays d’origine (production) car il peut exister des


coproductions à 10 pays par exemple. Généralement, on indique ceux
qui ont mis le plus d’argent, ce qu’on appelle l’apport majoritaire. Ce
qui importe ici n’est pas l’origine du cinéaste mais bien l’origine
budgétaire du film.

- Le type de source. On doit voir dans quoi on se situe : est-ce un film


de fiction, amateur, de reportage, … Le type de production est donc
aussi extrêmement important pour l’identification.

- L’identification du personnage, des lieux et description de la


situation. En bref, qu’est-ce que cette source montre ? On doit parler
de tout ce qui nous permet de situer la source dans un contexte

 La critique analytique (Cfr critique externe et critique de provenance).


Elle va définir le contexte plus largement. L’identification nous parle
d’éléments ponctuels alors que la critique analytique va vraiment nous
apporter le contexte des événements :

- La source émettrice/auteur.e (avec tous les problèmes que cela cause


au niveau du cinéma, création collective). Pourquoi cette source existe-
t-elle ? Qu’a-t-elle à voir avec le reste de leur vie ? Est-ce un cinéaste
amateur ou professionnel ? … Par exemple, le cinéaste de « Jackie »
est un chilien. Il n’adhère donc pas à la « mythologie des Kennedy », il
106

peut prendre du recul, il a ainsi une conception des évènements


différente.

- Les conditions de production. Est-ce qu’il y a eu beaucoup d’argent ?


Est-ce que le film a pris du temps à se faire ? …

- Quelles fonctions a ce document ? Est-ce un film commercial, destiné


à faire de l’argent ou un travail de mémoire, destiné à la pédagogie ?
Quelle est sa finalité ?

- La fréquence (archive unique ou répétitive – film et photographie


comme œuvres reproductibles). Est-ce une source unique ou
reproductible ? Y-a-t-il deux copies ou 500 000 ?

- La réception (critique). Comment ce film a-t-il été reçu ? A-t-il suscité


des débats ? Un succès au box-office ? Par exemple, le film de
Zapruder a fini dans un musée avec pour but d’être un objet de
mémoire.

 La critique d’authentification. On va se demander si la source est vraie


ou fausse. Cependant, il y a une complexité de plus en plus grande pour
savoir si les choses sont vraies ou fausses, il devient très compliqué de
déceler la fausseté d’une source (Cfr deepface). Ces critères fonctionnent
uniquement sur des films en pellicule, les questions étant différentes
quand on passe sur du digital :

- Présence de plans-séquence ou au moins de plans très longs. Dans la


pratique documentaire, plus le plan est long et sans coupure, plus on
pense que le film est authentique. Le plan-séquence permet de voir le
temps évoluer de façon constante et sans cassure. Néanmoins, les gens
qui font de faux documentaires vont utiliser ce critère en filmant les
choses de manière très longue, il faut donc se méfier.

- L’angle de prise de vue (si plusieurs angles de vue, on penchera pour


la construction). L’angle de prise de vue naturel doit être frontal,
horizontal. Personne ne se met en-dessous de nous pour filmer
quelqu’un dans un reportage, on ne retrouve que l’horizontalité, qui est
aussi quelque part garante de l’authenticité. Il faut prendre ce critère
107

avec des pincettes parce que les conditions nous obligent parfois à
changer l’angle de prise de vue (dans une manifestation par exemple).

- La distance par rapport aux objets représentés est aussi importante, il


faut une certaine distance entre la caméra et la personne filmée.

- Le degré de lisibilité des images et d’éclairage (si trop parfaitement


cadré, éclairage uniforme, tient généralement de la mise en scène).
Quand on filme un évènement grave, personne ne va venir pépère
donner la lumière au caméraman.

- Le degré d’intensité de l’action. La plupart des films préfèrent des


temps continus alors que dans la vraie vie, il y a beaucoup de temps
morts. Il n’y a donc pas de rythme parfait. Le principe des films
d’action est qu’il y a toujours quelque chose qui se passe.

- Le grain de la pellicule (quand les contrastes sont nets et clairs, peu de


chance que ce soit authentique – vaut pour la photographie aussi et les
‘photo-montages’). Quand l’image est trop bien travaillée, c’est clair
qu’on n’est pas dans de l’authentique. Aujourd’hui, on peut faire une
très belle image sans la trafiquer. Ces critères sont donc en train de
changer.

 Ces trois critiques jouent déjà sur trois tableaux différents. Pour les deux
premières, on devra avoir des apports extérieurs, qu’on doit trouver dans
des articles, sur internet, … Il y a une nécessité de croisement des sources
pour analyser un film. En ce qui concerne la dernière critique, on ne peut
analyser que le fond.

 La prof rajouterait la critique d’esthétique. Ferro en parle surtout par


rapport à sa critique d’identification, surtout pour voir si une source est
vraie ou fausse. L’historien commence ses recherches et cette mise en
place de sa grille méthodologique en utilisant que des documents en
rapport direct avec la réalité, il exclut donc les films de fiction dans ses
recherches. Il faudra attendre les années 90 pour que Ferro dise qu’on doit
aussi les analyser car eux aussi ont quelque chose à nous dire par rapport
au réel.
108

Il va se permettre de travailler de temps en temps sur des films de fiction.


Or, nous, on ne va prendre que des films de fiction car ils sont censés
avoir un effet sur nous, qui peut parfois atténuer ce que l’on perçoit du
contenu du film.
- Analyse terminologique vis-à-vis du médium. Une photographie a ses
caractéristiques spécifiques, un film a aussi ses propres caractéristiques
esthétiques, … On va essayer de lister ces caractéristiques. Ainsi, une
photo est un instantané, un instant de la réalité figé. Cela conditionne
donc énormément de choses par rapport à ce qui peut passer à travers
cette photographie. Un film est composé d’images en mouvement mais
qui ont déjà été enregistrées alors que dans des émissions de télévision,
on est parfois en direct, en simultanéité.

- Evaluation du degré de construction. Le document est-il une simple


captation de la réalité ou est-ce qu’on a fait un montage ? Il explique
aussi parfois le degré de manipulation.

- Trois grands principes de base (Cfr critique interne- critique


d’interprétation, de compétence, de sincérité) :

1. Comment est organisée la composition des images (du cadre, du cadrage,


du montage, etc.) et pour quel effet ? On est dans la recherche
terminologique mais aussi dans la recherche de réception. Quel est
l’impact qu’on veut créer sur le spectateur ?

2. Comment est organisé le point du récit et de l’énonciation (comment est


raconté ce récit, qui raconte, qui regarde ?) + quelle compétence/degré
de sincérité?) en vue de comprendre le contenu que l’on veut faire
passer?

Qui regarde, qui raconte ? C’est très différent de qui filme ! Le point de
vue du film n’est pas celui du réalisateur, il peut être rattaché à un
personnages, à un groupe, à un animal, à rien du tout, … Il faut voir quel
est le degré de sincérité de ce personnage, voir s’il manipule ou s’il est
fiable.
109

3. Le récit/l’image fait-elle appel à un système de référence préalable


(références historiques, mythiques, artistiques, etc. ?) qui fourniraient un
niveau d’interprétation supplémentaire ? (concept d’intericonicité)..

On renvoie à des choses qui préexistent, on cite, on colle, on crée des


choses dont certains morceaux existent déjà par ailleurs. En romane, on
parle d’intertextualité mais ici, on parlera d’intericonicité. Si on n’a pas
la référence, on ne comprend pas la blague. On doit donc se demander si
l’œuvre peut exister par elle-même ou alors dépend-elle d’une
connaissance spécifique ?

 Outils et consignes de travail


1. Une source doit se lire dans sa totalité car si on n’a pas vu le film en entier, on
n’a pas vu l’œuvre.
2. Il faut recourir à la source dans son contexte et dans sa langue originale (cfr
critique externe – critique de provenance).
3. Le recoupement des divers documents est indispensable pour juger de la
valeur du document/de la source mais aussi pour témoigner d’un impact sur la
société. C’est très important de faire référence à l’histoire réelle, à d’autres
films, pour pouvoir placer notre source dans un continuum et ainsi de voir à quel
point elle est spécifique ou pas.

 Exemples
On va examiner des choses qui seront conditionnées par le contexte historique et
technologique.

 Film de Zapruder
La plupart des images iconiques de cet assassinat
ont été tiré du film de Zapruder. Ce ne sont donc
pas des photos instantanées mais bien des images du
film qui vont être découpées et remontrées d’abord
en tant que photographies et puis en tant que film,
110

ce dernier étant montré au public dans son intégralité qu’en 1965. On estimait
que les gens n’étaient pas prêts à recevoir ces images en mouvement. Cela
montre bien tout l’impact que ce film a eu.
En réalité, en 1963, on est toujours dans un système de censure extrêmement
radicale aux Etats-Unis. Montrer une tête qui explose à la télévision est donc
exclu ! Le code de censure Hays a été mis en place en 1932 et a couru jusqu’en
1966. Ces images vont être une sorte de déclencheur en disant que les images
que l’on peut montrer à l’écran sont trop timorées.

 Difficultés d’analyse : avertissement :


- Avertissement : ceci est une étude de la représentation médiatique de faits
historiques (images photographiques, télévisuelles, cinématographiques) sur
base des 4 catégories de critiques, pas un exercice de critique ou de jugement de
valeur (théories conspirationnistes, etc.).
On ne va pas juger de la qualité morale ou esthétique de ces images. On part de
la source pour ce qu’elle est et non pas pour tout ce qu’elle a déclenché comme
débats et comme commentaires.

- Ce sont des exemples parfaits de reproductibilité et d’avènement d’une


couverture médiatique car ce sera le premier fait historique couvert de cette
manière-là, l’ampleur médiatique n’ayant jamais été aussi grande. L’industrie
médiatique change aussi d’ailleurs, on est en train d’aller vers une forme
d’uniformisation de la presse qui s’explique ici par une difficulté de
communication et de diffusion des informations.

- Exemple difficile de l’assassinat de JFK souligné par Jean-Baptiste Thoret


dans son essai: « 26 secondes: l’Amérique éclaboussée – L’assassinat de JFK et
le cinéma américain » (Rouge Profond, 2003). Ce livre va nous montrer
comment on va devoir changer le système de censure, comment on va voir
apparaître dans les années 70 des films de plus en plus extrêmes, tant au niveau
de la pornographie que de la violence.

 Sources de la difficulté à analyser des images médiatiques


111

- La difficulté est de comprendre qu’on est face à une somme colossale de


sources. Zapruder a l’air d’être une source unique mais il y a en fait une
multitude, qui tournent autour de son film. On verra comment elles
s’additionnent ensemble mais aussi la complexité de ces images.

- Exercice analytique est toujours en dessous de la tragédie humaine


- On sera face à de la photographie ou à du film traumatique, cette idée que
les images montrent le trauma, mais on va devoir essayer de le laisser de côté.
Cette donnée doit être indépendante. “La photographie traumatique (incendies,
naufrages, catastrophes, morts violentes, saisis ‘sur le vif’) est celle dont il n’y a
rien à dire: la photo-choc est par structure insignifiante: aucune valeur, aucun
savoir” (Roland Barthes, Mythologies, Paris: Le Seuil, 1961).
Il explique que le choc est tellement grand qu’il y a une sorte de pétrification
face à lui et que l’impact est tellement grand qu’il est difficile de prendre une
attitude de critique et de regarder ces images d’une autre façon que par le biais
de la tragédie.

- L’évolution des modes technologiques entre l’événement de l’époque et ceux


vécus dans la période actuelle: les terroristes actuels qui organisent les attentats
utilisent les médias pour véhiculer une idéologie (choix des Twin Towers, deux
tours, impact répété en direct): ce sont des actes de communication, récupérés
par les médias, ce qui n’était pas le cas lors de l’assassinat de Kennedy (film
Zapruder)..
Le film de Zapruder n’existerait pas si sa secrétaire ne lui avait pas demandé de
filmer. Or, actuellement, avec les attentats, on a une mise en place médiatique.
On sait qu’à la seconde où l’avion va rentrer dans la tour, les images seront
filmées et diffusées. La mise en scène médiatique est donc totalement volontaire
aujourd’hui. C’est la grande différence : à l’époque, on est dans le hasard et la
coïncidence alors qu’actuellement, c’est voulu. On a donc un rapport aux choses
et à la médiatisation totalement différent.

a) Documents photographiques
Processus de globalisation et uniformisation mondiale. On retrouve un
paradoxe: l’événement le plus médiatisé/le et quelque part le moins diversifié
112

(reprise systématique des mêmes photographiques – archives privées seront


révélées bien plus tard, comme les films – 2013).
Quand Kennedy entre à la Maison blanche, il est
déjà le président des USA le plus médiatisé de
toute l’Histoire des Etats-Unis. Il a donc intégré
dans sa campagne l’idée que des caméras le
suivent de façon systématique. Tout ce qu’il fait
est examiné sous tous les angles, commenté par
la presse, … On a donc une représentation
surmédiatisée du président.
Tout ce qui précède l’assassinat est donc très instructif pour savoir à quel point il
voulait médiatisé ces images. En outre, il a créé un poste de photographe attesté
de la Maison Blanche, il veut que quelqu’un l’accompagne partout, il veut que
tout soit documenté mais qu’il ait aussi un droit de regard sur tout ce qui est
publié. On retrouve donc une espèce de maîtrise de l’image, qu’il verra voler en
éclats avec son assassinat.
Sa visite au Texas, à Dallas, est très médiatisée car elle est importante
politiquement. Il est en pleine projection de son élection future et dans cet Etat,
les démocrates se déchirent car ils ne sont pas tous d’accord avec cette idée et
Kennedy va y aller pour regagner un électorat. Il veut tout maîtriser et que cette
couverture médiatique convainc les gens de voter pour lui. C’est donc aussi un
moment historique pour lui dans sa progression politique.

 Assassinat de Kennedy- Chronologie


On est en train de faire le contexte et donc de la critique analytique, on a besoin
de situer l’extrait de Zapruder dans un continuum narratif.
 11H33 : couple Kennedy apparaît en haut de la passerelle de l’Air Force
One sur l’aérodrome de Dallas Love Field

 11H55 : cortège sort de l’aérodrome pour traverser la ville et amener le


Président au Trade Mart pour un déjeuner. Dans la voiture: les époux
Kennedy, John Connally, Sr (gouverneur du Texas) et son épouse Nellie
ainsi que 2 agents du Service Secret.
113

 La voiture quitte Main Street, tourne à droite sur Houston Street; prend un
virage à gauche sur Elm Street; passent devant le dépôt de
livres scolaires (« Texas School Book Depository »)

 12H30 : avant le pont de chemin de fer où passe Elm Street, 3 coups de feu sont
tirés (cfr dossier de la Commission Warren en 1964). La deuxième balle
(8 à 9 secondes plus tard) atteint Kennedy à la tête. Abraham Zapruder
(un tailleur juché sur une colline ou un muret) filme la scène.

 12H35 : arrivée du cortège au Parkland Memorial Hospital

 12H48 : attentat officiellement confirmé

 13H00 : les médecins prononcent la mort de Kennedy

 13H33 : mort de Kennedy officiellement annoncée par l’assistant du


porte-parole de la Maison-Blanche, Malcolm Kilduff

 13H40 : annonce de la mort du Président à la télévision par le


présentateur de CBS News Walter Cronkite

 14H00 : altercation entre les agents du Secret Service et la police de


Dallas; corps de Kennedy emporté dans un corbillard blanc, vers Love
Field et embarqué dans Air Force One

 14H00 : arrestation d’un suspect, Lee Harvey Oswald (pour meurtre d’un
agent de la police de Dallas entre 13H et 13H15)

 14H38 : Lyndon B. Johnson prête serment à bord de l’avion avant le


décollage devant Sarah T. Hugues, juge fédérale et amie des Johnson, et
Jackie Kennedy, le tailleur rose tâché de sang

 Durant les 3 jours suivant l’assassinat, les 3 réseaux de télévision


nationale annulèrent leurs programmes pour assurer une couverture
permanente des événements (mais pratiquement sans images sur
lesquelles travailler); un direct de 70 heures, uniquement ‘battu’ par celui
des attentats du 11 Septembre 2011 (72H).
114

 Arrivée à Dallas, Love Field, 22 Novembre 1963, 11H33 (Cecil


Stoughton)
Toutes les photos qui suivent sont prises par un seul homme, Cecil Stoughton,
qui est le photographe officiel de la Maison Blanche. Il sait parfaitement
comment mettre en valeur les deux protagonistes car il y a une entité, le couple
Kennedy, qu’il faut photographier. L’élément le plus important n’est pas John
Kennedy mais bien Jackie.

Dans cette photographie, l’œil est directement attiré


par le tailleur rose, Kennedy étant laissé un peu
derrière. Le président laisse passer sa femme devant
lui car elle va devenir le point central de toutes les
photos.

On peut lire America sur l’avion, cet élément patriotique est directement associé
au couple présidentiel. Le ciel bleu prend une partie de la photographie et
permet de travailler les couleurs entre le rose des vêtements, le blanc de l’avion
et le bleu du ciel. On est donc dans une composition chromatique extrêmement
naturelle. On est dans une dynamique de mouvement (les mouvements étant
naturels) mais on a quand même une mise en scène et des éléments symboliques
qui apparaissent pour confirmer le statut présidentiel et la hiérarchie des deux
personnages.
On est dans une photographie horizontale en termes de prise de vue,
extrêmement travaillée sur la composition. On laisse les quelques éléments
inattendus car ils font plus naturels (la tête du gars dans le champ, …). Il faut
donc laisser une petite marge pour montrer que ce sont « juste » des êtres
humains.

 Love Field, 22 Novembre 1963 (Cecil Stoughton)


115

Ces photographies sont parues dans


énormément de publications différentes et
parfois avec des versions légèrement
remaniées. On a ici un simple recadrage,
on ne change rien du tout. On change
juste le cadre en le resserrant sur Jackie et
sur le America, qui devient ici nettement
plus visible puisqu’il apparaît presque en
gros-plan. On enlève ce qui est superflu
pour se focaliser sur le fait que Jackie est l’incarnation des USA, on est
pratiquement dans une photographie de propagande.

 Love Field, 22 Novembre 1963 (Cecil Stoughton)

On voit encore une fois cet équilibre très subtil entre la spontanéité et la
composition. Il y a plein de choses qui se passent sur cette photo mais on
regarde ce qui est au centre, le couple, et plus spécifiquement Jackie et son
bouquet de roses. La centralité du personnage, tout comme sa couleur vive au
milieu de gens en noir, attire notre regard.
Stoughton va utiliser le réel de façon exemplaire. Ainsi, il crée une rime entre le
chapeau rouge de la dame et les roses tenues par Jackie. Cette photo est donc
prise sur le vif mais extrêmement composée. Il y a une construction du regard
dans cette photo, qui est pourtant très large. On met aussi en scène la
médiatisation du couple grâce aux deux photographes qu’on peut voir en fond.

 “The Kennedys arrive at Dallas 11-22-63 crop headshot” (Cecil


Stroughton)
116

On va de nouveau faire du recadrage sur Jackie. Le crop


headshot est cette idée de découper juste la tête du
personnage. Cette photo va apparaitre dans des
magazines de mode car la seule chose qui intéresse ce
genre de magazine n’est pas la politique mais bien de
savoir comment s’habille Jackie lors de sortie officielle.
Ce portrait fait donc abstraction de tout le côté politique.
Cette robe ressemble fort à une robe de Chanel mais cela
ne se peut pas car la Maison Blanche se refuse à acheter des vêtements chez des
couturiers qui ne sont pas américains. En fait, c’est un peu un faux puisque des
espionnes chez Chanel ont piqué son œuvre.
Ce tailleur est toujours aujourd’hui un fantasme car il porte les
traces de sang du président, il est devenu un objet iconique. On en
a d’ailleurs fait un roman, où on retrace sa conception et sa
conservation.

 Love Field, 22 Novembre 1963 (Cecil Stoughton)

Jackie est le centre de l’attention et Stoughton va souvent la prendre en gros-


plan. On retrouve le rose et les roses.

 Love Field, 22 Novembre 1963 (Cecil Stoughton)


117

Cette photographie du couple est emblématique. On a le


drapeau américain sur l’avion. Cette mise en scène du
couple est frontale, on a un plan +/- taille, un peu plus
large que cela même. On retrouve le fameux tailleur qui
est pétant grâce au ciel. Des éléments chromatiques vont
donc attirer le regard et articuler la lecture de cette
image. On est pratiquement dans une photographie à
l’arrêt, c’est-à-dire où on fait poser les modèles. Eux-
mêmes sont dans un positionnement évident et
systématique dans leurs photos.

 Love Field, 22 Novembre 1963 (Cecil Stoughton)

En noir et blanc, on se situe dans autre chose. On n’a plus de chromatisme ni de


symboles et on peut voir la différence d’expression des époux. On est après les
premières photographies officielles, on est en train de se diriger vers la voiture.
Ainsi, on est dans un instant de pause, on est plus en représentation. Le contexte
change. Cette photo est beaucoup plus spontanée que les autres et beaucoup
moins mise en scène. On passe donc à un autre régime d’image, une autre forme
d’interprétation, en changeant une composante de la photo.

Normalement (comme sur la photo d’à côté), on est dans


une représentation utopique du couple car on sait que cela
118

ne va pas très bien entre eux à ce moment-là. La photographie en noir et blanc


n’a jamais été diffusée, on l’a retrouvée dans les archives.

personnages/lieux, contenu) ⇒ Date identique, personnages aussi, tout


 Critique d’identification (date, cinéaste, origine, type +

comme les lieux (22 Novembre 1963, 11H33, Love Field Airport, John &
Jackie Kennedy)

fréquence, réception) ⇒ Même photographe officiel de la Maison


 Critique analytique (source, conditions de production, fonction,

Blanche (Cecil Sloughton); conditions de production identiques (aspect


publicitaire qui ‘vend’ le couple plus que la politique du Président (et plus
Jackie que JFK), à destination de la presse; réception étendue au vue de
l’assassinat

 Critique d’authenticité (degré de construction) & esthétique

références) ⇒ Captations très composées malgré la situation réelle +


(composition des images pour quel effet, point de vue, systèmes de

aménagement des photographies en fonction de leur utilisation (cadrage


ou angle, focalisation sur Jackie ou sur certains éléments – le tailleur/le
chapeau)

 Cecil Stoughton (1920-2008)


Cecil Sloughton est le photographe officiel des Kennedy.
Depuis lors, chaque président aura un photographe officiel, en
119

charge de la couverture officielle et privée. Les Kennedy sont les premiers à être
entraîner d’un point de vue médiatique aux USA pour répondre à la demande.

 LIFE Magazine, 29 novembre 1963


Ces images auraient dues être distribuées au travers des agences de presse à la
presse américaine principalement. A première vue, ce couple n’intéresse que les
Américains or Jackie intéresse tout le monde. Sa visibilité est donc grande. Les
photographies destinées à la presse dans une certaine finalité (montrer l’aura
médiatique de ce couple au monde entier) vont passer à la trappe devant la
nécessité de parler de l’assassinat.
On aura donc des contrastes saisissants
où on a d’un côté une photographie de
l’intérieur de la voiture où Kennedy a
été tué et de l’autre cette image de
bonheur du couple Kennedy 
Contraste entre la couleur et le noir et
blanc, le titre attire aussi beaucoup
l’attention, et le magazine met en avant
l’opposition entre ce qui devait être (bonheur du couple) et ce qui a été (mort).
On se rend compte que sur cette image, ce n’est pas la voiture du président qui
est représentée mais bien la voiture qui précède. Le bouquet nous laisserait
croire que c’est la voiture. Ainsi, même si les évènements ne sont pas réels, on
peut jouer sur les associations (titre, bouquet, photo d’avant la tragédie).

 14H38: Prestation de serment de Lyndon B. Johnson devant Sarah


Hughes (juge), entre Lady Bird Johnson et Jackie Kennedy (Cecil
Stoughton)
120

Entre l’assassinat et la prestation de serment de Johnson, il y a +/- 2 heures.


Cette prestation se fait dans Air force 1, l’avion qui a amené les Kennedy sur
place et qui va les ramener (Jackie vivante, John mort). On a donc une espèce de
boucle narrative due aux circonstances, aux coïncidences. Si on avait été dans un
film, ce serait tout à fait logique du point de vue du scénario, la boucle étant
bouclée.

 L’annonce à la télévision
Le format télévisuel est quand même assez différent du format
cinématographique et photographique. Dans cette narration, le moment de
l’annonce de la mort de Kennedy à la télévision nationale a fortement marqué
les esprits. La télé et la radio sont les deux seuls médias qui vont pouvoir
diffuser l’information de façon simultanée. Au moment où les choses se passent,
on peut commenter et montrer l’événement. Cependant, on ne montrera pas le
film au grand public (cfr censure).
Celui qui va annoncer la mort de Kennedy aux téléspectateurs est Walter
Cronkite, un des journalistes américains les plus doués. Ainsi, c’est à lui qu’on
fait appel quand on apprend que Kennedy a été touché. Il va devoir faire un
direct mais il faut beaucoup de temps pour avoir accès à d’autres informations.
De ce fait, Cronkite a dû meubler pour attendre de nouvelles infos. Pendant trois
jours, la chaîne de télévision ne va pas cesser d’émettre et ne fera aucune pause
publicitaire. C’est la première fois dans l’histoire de la TV.
Ce journaliste essayera de nous faire comprendre ce qu’il s’est passé sans
images, à l’aide de seulement quelques notes. Il va gérer l’information avec un
brouhaha hallucinant derrière lui mais un calme olympien. Cependant, il va
avoir un moment de pause tout à fait dramatique au moment où lui-même devra
annoncer aux Américains que leur président est décédé.
121

« De Dallas, au Texas, la nouvelle apparemment


officielle: le président Kennedy est mort à 13H, 14H
de la côte est, il y a approximativement 38 minutes
», Walter Cronkite, CBS News Bulletin

 Vidéo de l’annonce par Walter Cronkite


Il prend une pause lors de la confirmation de la mort de Kennedy car sans elle, il
aurait pleuré. Il était en train d’imaginer toutes les conséquences qui allaient
arriver dans les semaines suivantes par rapport à ce fait historique, l’impact que
cette tragédie aura sur la société américaine et internationale.
Ce qu’on a vu là intervient dans un flot
télévisuel habituel, des émissions étant en
cours. On assiste à l’émission « As the world
turn » et PAF l’émission se coupe en plein
milieu d’une phrase et un panneau qui va casser
le fil du programme apparait à l’écran assez
longtemps, le temps que l’on essaye de trouver la technologie pour pouvoir faire
le direct. A la radio, on a déjà pris l’information en route et on n’a pas besoin de
la technique visuelle comme c’est le cas à la télévision.

 Critique identification : Annonce de la mort officielle du Président


Kennedy par le journaliste Walter Cronkite (1916/2009) en direct sur CBS
News Bulletin le 22 Novembre 1963 (en direct avec Eddie Barker de
Dallas)

 Critique analytique :

- Contexte: plusieurs chaînes nationales (ABC, CBS, etc.) + chaînes


locales. La médiatisation de ce fait-là est un contexte de production
122

très grand car il y a une concurrence entre les différents médias pour
transmettre les informations le plus rapidement possible. Ce sera la
même chose pour le 11 novembre.

- Source: Equipe journalistique de CBS News dont Cronkite. Ils vont


tous intervenir par rapport à la construction de cette information.

- Fonction: informer (éduquer/divertir). On est dans l’urgence


informative, on est en direct, on ne peut donc pas construire
l’information comme on le fait d’habitude. On a d’abord des infos
« brinquebalantes » puis elles seront officielles.

- Fréquence: grande, chaîne nationale. On va mettre Walter Cronkite


plutôt que d’autres chaînes car il a une confiance du public américain
très grande et en plus, il apparaît sur une chaîne nationale. Ainsi,
l’audimat est très grand.

- Réception: Simultanéité entre événements retransmis et le regard du


spectateur + On retrouve un paradoxe : l’idée du témoin impuissant.
Le téléspectateur est puissant car on reçoit l’information en même
temps que le journaliste, au présent mais en même temps, on ne peut
rien faire à part pleurer. On a cette captation en direct et en continue.
Le fait qu’il n’y ait pas de coupures renforce l’impression qu’on est
dans un temps réel, dans le temps qui est en train de se dérouler. Cela
nous donne aussi la sensation d’authenticité.

 Critique d’authenticité : Grande authenticité:

- plan taille fixe, la caméra ne va presque pas bouger (on a qu’un seul
caméraman, il ne peut donc juste s’occuper que d’une caméra, il va
juste recadrer à certains moments).

- angle de vue frontal

- très longue durée du plan (« temps morts » car on répète les mêmes
informations puisqu’on n’en a pas de nouvelles)
123

- pas de coupes mais de légers recadrages et des zooms, on filme ce qui


est en train d’arriver

- Improvisation et ratés (discours en construction); attentes, arrivée des


informations en direct, digressions, chaos de la salle de rédaction
(agitation derrière Cronkite).

Ce que permet ce type d’images en direct est bien évidemment


l’improvisation, Cronkite pouvant dire ce qu’il a envie de dire. Il peut
donc y avoir des ratés, de petits moments de flottement. Il y a du chaos
dans la salle de rédaction. Le seul moment d’émotion va complètement
disparaître pendant le reste de l’émission car il doit être celui qui ne
craque pas devant cette info.

 Critique esthétique (télévision USA/1963) :

- Elle dépend du type de format et de médium devant lesquels on se


trouve. Cette chaîne de télévision a beaucoup de moyens mais on n’est
pas encore au point à cette époque sur un direct « d’urgence ». Il n’y a
donc pas de préparation et cela donne un sentiment de chaos.

- Image en mouvement, en noir et blanc

- Images en direct avec une chronologie temporelle qui est la même


pour celui ou celle qui suit les informations en direct à la télévision

- Enregistrement de la réalité en direct (interruption des programmes,


spontanéité et improvisation)

 On retrouve une caméra, un plan fixe et quelqu’un qui parle, on est donc
quasi devant une radio. On n’est pas prêt, on a été pris de cours donc on
est dans le « minimum » télévisuel.

 Assassinat de Lee Harvey Oswald par Jack Ruby (24/11/63) – Actualités


Universal
124

Le premier inculpé de cette affaire est Lee Harvey Oswald, qu’on va retrouver
dans le bâtiment en face du parcours de la voiture et qui a avec lui un fusil qui
correspond au calibre de celui qui a tué Kennedy. En outre, on va voir qu’il a eu
un entraînement militaire qui lui permettait d’être un sniper de ouf. On
l’interroge dans un commissariat au Texas et arrive une chose hallucinante
totalement imprévisible.
On va transférer Oswald du commissariat vers la
prison. La scène est filmée par des dizaines de
caméras qui vont assister en direct à l’assassinat
de Lee Harvey Oswald par Jack Ruby, fervent
défenseur de Kennedy. Il va surgir de la foule
pour tuer Oswald et cet acte sera filmé en direct.
Cet assassinat est une sorte de boucle : images en
direct de Zapruder, direct assuré par Cronkite et
puis assassinat en direct du suspect.
On a donc une histoire des faits mais aussi une histoire de la technologie, des
médiums. A chaque instant du déroulé narratif de ce fait historique, on a une
intervention photographique, télévisuel. La complexité médiatique de l’époque
va donc changer la donne.

 Film d’Abraham Zapruder


On n’a pas cherché à avoir parfaitement les images du 8 mm mais on a plutôt
voulu voir le plus d’images possibles. On a donc préféré avoir plus de champ
que de sacrifier une partie de l’image pour que celle-ci soit parfaitement cadrée.
La caractéristique principale du super 8 est qu’il n’y a pas de son.

 Critique d’identification :
On doit d’abord évidemment identifier cette source. C’est relativement simple
à faire aujourd’hui car on a décortiqué toutes les secondes de ce film, on l’a
même déconstruit en photographies car on n’a pas pu le montrer pendant
pratiquement 10 ans.
C’est un film muet en couleurs et amateur 8 mm. Son auteur est Abraham
Zapruder, qui l’a filmé le 22 novembre 1963 à Dallas sur Eim Street et ce film
montre l’assassinat de Kennedy. La première balle n’a pas l’air d’avoir
beaucoup d’impact, le président se recroquevillant juste sur lui-même. On
125

pourrait aussi décrire le mouvement de panique de Jackie, qui a voulu essayer de


récupérer la cervelle de son mari dans un mouvement traumatique.
Le support du film est du 8 mm. C’est de la pellicule, on doit en principe le
projeter à une certaine vitesse. A partir du cinéma parlant, la vitesse de
production d’un film est de 24,4 secondes mais le super 8 doit être projeté plus
lentement, à 18,3 secondes (= 18,3 images/seconde). C’est cela qui nous donne
cet effet de ralenti. Il y a 486 photogrammes qui montrent l’évènement dans son
entièreté et cela dure 26,6 secondes en entier.

 La critique analytique
Elle demande des éléments de contexte et d’aller s’interroger sur les
circonstances dans lesquelles on a pris ces images et qui les a prises.
Source émettrice : Abraham Zapruder, fils d’Israel Zapruder (émigré en 1920
aux USA, Brooklyn), né en 1905 à Kovel – aujourd’hui Ukraine - (mort d’un
cancer de l’estomac en 1970 à Dallas, Texas). Tailleur de vêtements pour
dames; arrivé à Dallas en 1941; ses bureaux sont en face du Texas School Book
Despository.

Production : Cette photo, prise quelques années après la prise


de vue de Zapruder, nous montre l’appareil, qui est aussi une
donnée analytique très importante. Cette caméra est minuscule,
très légère et très maniable et c’est la raison pour laquelle il peut
filmer ces images en tant qu’amateur. On essaye de miniaturiser
de plus en plus les caméras pour qu’on puisse les utiliser
n’importe où. Cet appareil va se vendre de façon assez
démentiel et deviendra vite assez démocratique.

Fréquence : Ce sont des images d’amateur en principe destinées uniquement au


cadre familial. On en fait un usage privé et on en a une copie unique à la base.
On aura cependant trois copies de ce film : une pour Zapruder, une pour la CIA
(Agent des services secrets, Forrest Sorrels, promet que le film ne sera utilisé
que pour l’enquête officielle; course contre le temps pour développer le film.
Impossible à la station WFAA qui n’a pas l’équipement adéquat, ils réussissent
à le faire développer à la Eastman Kodak de Dallas) et une qui sera vendue au
magazine Life sous certaines conditions :
126

- Ne pas diffuser le film en tant qu’images en mouvement, Zapruder


refusant que son film soit projeté. Life va donc découper le film en
photogrammes.

- Enlever certains photogrammes, dont celui où on voit la tête de


Kennedy explosée. Ces conditions reflètent des raisons de censure
de Zapruder lui-même après des discussions avec la CIA.

 Visibilité photographique et filmique progressive: LIFE (6 Décembre


1963)
C’est ainsi « Life Magazine » qui, le matin du 23 Novembre, parvient à acheter
le film pour 150.000 dollars (devant CBS). Sur les 486 photogrammes, 30 seront
publiées en noir et blanc dans un numéro de Life SANS le ‘frame 313’; d’autres
seront publiées le 6 Décembre 1963 (« John Kennedy Memorial Edition »).
Mais la quasi-totalité sera publiée dans une édition du 25 Novembre 1966.
La publication se fait au travers d’une progression. On va d’abord montrer ces
images en sélectionnant les photogrammes. Ils apparaissent d’abord en 1963
puis en 1964, cette publication-ci étant en couleurs, ce qui permet d’avoir une
sensation plus aigue de réalisme. En 1966, on va intégrer la plupart des
photogrammes sauf le fameux 313 (où la tête explose). Le film lui-même ne sera
montré qu’en 1975.

 Présentation à la télévision: 6 Mars 1975 (“Good Night America, ABC)


127

On montre les images en mouvement pour la première fois lors d’un talk-show.
C’est évidemment un choc pour les Américains.
Cela va aussi inspirer d’autres productions. Ainsi, en 2013,
on va récupérer tous les autres films et images qui ont été
prises pendant ces 26 secondes. On va en faire un
documentaire qu’on appellera « The lost JFK Tapes. The
assassination » (National Geographic, Tom Jennings, 2013).
Ces images sont anecdotiques, ce sont des compléments pour
se poser tout un tas de questions sur le positionnement des
personnes, …

Finalité : film amateur, devenu une preuve (utilisation du film comme preuve
devant la Warren Commission en 1964, film revendu à la famille Zapruder par
Life Magazine en 1975 pour 1 dollar; vente des droits notamment à Oliver Stone
pour son film JFK; revente du film en 1999 au Département de la Justice pour
16 millions de dollars; tous les droits légués au Sixth Floor Museum, Dealy
Plaza). Ainsi, les droits seront revendus à certaines personnes qui vont en faire
des usages divers. La condition est de ne pas montrer les 26 secondes en entier.

 Extensions contemporaines Dale Meyers – 3D Animation

Ces images vont aussi être utilisées par


la suite pour reconstituer l’évènement
3D.
128

 La critique d’authentification

Est-ce une source vraie ou fausse ?


 On va se poser les questions de lisibilité, de temps morts, …

- Pas de construction ou de montage;

- Durée réelle de l’action;

- Recadrage constant pour viser la voiture mais action souvent en


bordure du cadre; ‘grain’ visible et éclairage naturel (et donc peu
uniforme)

 Document à priori authentique (en fonction aussi de ce qui était


possible à l’époque en termes techniques)

Ainsi, il n’y a pas de montage si ce n’est un tout petit arrêt au début de la


bande. On est dans de la continuité dès les premières images. Zapruder est en
train de filmer, quelque chose fait que la caméra se bloque, et elle reprend quasi
immédiatement. On ignore complètement si c’est un acte volontaire ou alors un
incident technique mais on peut parier sur la seconde proposition, Zapruder
voulant vraiment voir le passage de la voiture devant son commerce.
C’est donc la durée réelle de l’action, il n’y a pas d’ellipse, de raccourcissement
ou de montage, un peu comme avec Cronkite. Il y a un recadrage qui tente de
mettre l’accent sur les moments forts qu’il est en train de filmer. Zapruder ne
recadre pas l’action au moment où la balle atteint Kennedy, les choses se passant
donc vraiment de façon très basse vis-à-vis du cadre. L’amateurisme est ici un
vecteur d’authenticité.
Le grain de l’image est parfaitement visible. Cela apporte de l’authenticité car
c’est cohérent avec les techniques de 1963. A l’époque, on n’a pas les
manipulations possibles pour créer ce type de documents avec cet aspect de
fausseté.
129

 La critique esthétique :
Les images sont peu fixes, ce qui relève de l’amateurisme, mais suivent toute
l’action, de l’apparition à la disparition de la voiture (source brute,
interprétations uniquement sur les faits). La seule chose qui peut nous faire
douter est qu’on a la scène de A jusque Z. Zapruder est le seul à l’avoir sur les
42 personnes qui filmaient. Que s’est-il donc passé pour qu’on ait ces images
relativement claires et relativement explicites ?
En outre, l’absence du son renforce la dramatique des gestes (choc de l’impact
de la balle). Plus tard, notamment dans les années 80/90, des ingénieurs du son
vont reconstituer une bande son de façon totalement artificielle en suivant ce qui
est montré à l’image.

 Extensions fictionnelles

 Kennedy (NBC, 1983)


On devra attendre très longtemps pour avoir des
films de fiction qui oseront s’attaquer à l’assassinat
de Kennedy et au mythe de ce couple présidentiel.
La première série sortira en 1983. Il faudra donc 10
ans après le visionnage des images à la télévision
pour imaginer des fictions à partir de cet
événement.

 JFK (Oliver Stone, 1991, USA, long-métrage de fiction)


Film montrant la réaction de Warren,
nouveau président.
Synopsis : Suite à l'assassinat du président
John F. Kennedy, le procureur de la
Nouvelle Orléans, Jim Garrison remet en
cause le rapport du commissaire Warren.
Ce dernier avait clôturé l'affaire en
trouvant le parfait coupable, Lee Harvey
Oswald. Pourtant avant d’être abattu par un tireur isolé, le suspect avait toujours
nié sa culpabilité. Pour Garrisson, il est impossible que l’homme ait agi seul.
Persuadé qu'un complot se trame, Garrison explore des pistes occultées et
comprend vite que la CIA, le FBI et le Pentagone ont joué un rôle déterminant
130

dans cette affaire. Prêt à tout pour faire éclater la vérité au grand jour, le
procureur devient très vite l'homme à abattre..
 Parkland (Peter Landesman, 2013, USA, long-métrage de fiction)
C’est un film sur tout ce qui est arrivé aux gens qui étaient sur place au moment
de l’assassinat et on suit les docteurs qui vont recevoir Kennedy et puis ceux qui
vont recevoir Oswald. On va s’interroger sur les policiers texans qui suivent
l’enquête, sur Zapruder, sur les policiers du FBI, … Ce film a tendance à donner
une image assez documentaire, très proche de la captation de la réalité.
Synopsis : 22 novembre 1963, 12 h 38. C’est un patient peu ordinaire qui arrive
en urgence au Parkland Memorial Hospital de Dallas. Il s’agit du président John
F. Kennedy, sur qui on vient de tirer alors qu’il traversait Dealey Plaza en
limousine décapotée, acclamé par la foule. Tandis que la nouvelle se répand
dans le monde, une page méconnue de l’histoire s’écrit dans cet hôpital qui
n’était absolument pas préparé à affronter cet événement. Autour du corps, les
questions et les émotions s’accumulent. La pression monte. Proches, anonymes,
officiels, tous vont être confrontés à une prise de conscience et à des décisions
qui changeront leur vie à jamais…

 Intericonicité - Coma White (Marilyn Manson, 1998)


C’est intéressant de voir à quel point ces images ont
influencé la culture de manière générale. Les
premiers à être influencés sont les cinéastes eux-
mêmes. Des films comme « Bonnie and Clyde »
vont remettre en scène des séquences imitant le film
de Zapruder.

Le retravail culturel est beaucoup moins axé sur les


circonstances. On ne fait aucune référence aux faits
historiques. On retrouve cette volonté de mettre en
scène des choses qui vont évoquer de façon très
claire, dans un processus d’intericonicité, les images
de Zapruder, dans des films mais aussi dans le clip
de Lana Del Rey par exemple.
131

 « I’m everywhere », Silin Liu, 2015

La photographe s’est incrusté dans la voiture des Kennedy avant l’assassinat.


C’est une réflexion sur le degré de visibilité de la manipulation. Si on ne
reconnaît pas les personnages historiques, on ne se rend parfois même pas
compte qu’elle s’est rajoutée à l’image.

 Réviser l’Histoire? 11/22/1963 (Stephen King, 2011), 11/22/1963 (JJ


Abrahms/James Franco, 2016)
Toutes ces réflexions vont parfois aller très loin et vont parfois retravailler le fait
historique lui-même. Ainsi, Stephen King a écrit en 2001 « 11/22/63 » où il
imagine la possibilité que Oswald rate son coup et que l’assassinat n’ait donc
pas lieu. Il réfléchit aux conséquences immédiates, internationales et sur la durée
de ce fait-là.
On en a fait un film et une minisérie en 2016. On renvoie un homme dans le
passé pour empêcher l’assassinat de Kennedy. Les Américains ont donc un
fantasme absolu de cet assassinat qui s’est presque fait sous leurs yeux. Que se
passerait-il si ce trauma n’était pas arrivé ?
132

I. Jackie (Pablo Larrain, 2016)


On est donc loin d’en avoir fini avec cette histoire. On se réapproprie les images
de Zapruder. On a d’abord essayer de représenter l’assassinat lui-même dans les
années 80/90/etc. On a ensuite passé beaucoup de temps sur Kennedy et puis à
un moment donné, on a commencé à s’intéresser à Jackie. Le point de
focalisation a donc bien bougé. Jackie est toujours en vie et sa vie a été une vraie
télénovela, c’est donc très compliqué de s’attaquer à cette affaire.
Pablo Larrain le fait car il n’est pas américain, il a donc beaucoup de recul. Ce
choix du titre est assez singulier car ce n’est pas Jackie Kennedy ni Jackie
Bouvier mais seulement Jackie.

 La critique d’identification

 Titre : Jackie

 Date: 2016

 Réalisateur: Pablo Larrain

 Identification: Interview de Jackie Kennedy avec un journaliste de Life


(Theodore White) après la mort de son mari à Hyannis Port
(Massachussetts) + flash-back sur ses souvenirs lié à sa fonction de
First Lady (dont la « Visit to the White House » et l’assassinat)

C’est un film de fiction en couleurs tourné en 2016 par Pablo Larrain et avec à
l’intérieur plusieurs lignes narratives, la principale étant une interview faite par
133

un journaliste du Life de Jackie Kennedy où elle va se remémorer toute une série


de choses (sa vie avant le meurtre avec JFK, l’assassinat et l’enterrement). Elle
reraconte les choses sans permettre que le journaliste ne les imprime, elle agit
donc avec son droit de censure.
La construction esthétique de ce film est extrêmement travaillée. Larrain va faire
un story board, un découpage de tous les plans, de façon très rigoureuse. Il ne
laisse donc aucune place à l’improvisation, il crée une construction absolue dans
laquelle il va créer la confusion car il va y rajouter des images réelles.
L’ouverture de ce film est donc assez sidérante.
 On va donc jouer sur la manipulation des archives.
A l’examen, dire ce qu’il se passe dans l’extrait, le situer dans le récit. Cette
critique restera la même pour tous les extraits présentés, comme la critique
analytique.

 La critique analytique

- Source émettrice: Pablo Larrain (réalisateur chilien)

- Production: Fox Searchlight Pictures, au départ projet de série (4


derniers jours de Kennedy), Darren Aronofski écarté (producteur),
Nathalie Portman en Jackie; filmé en 2015 à Paris (studio) et
Washington ; coût du film – 9 millions de dollars; co-production
USA/Chili/France

- Fonction du document: divertir, revisiter la mémoire historique


américaine (100ème anniversaire de la naissance de JFK) à travers
le point de vue personnel et subjectif de Jackie Kennedy.

- La fréquence: fiction (très grand taux de reproductibilité) utilisant


des archives réelles manipulées (Visit to the White House). La
fréquence sera très grande. On reprend des archives relativement
connues car elles étaient diffuser à très grande échelle et vues par
beaucoup de téléspectateurs. Tout le monde voulait voir le film sur
Jackie Kennedy.

- Réception (critiques): montré au Festival de Venise en Septembre


2016; sortie aux USA en Décembre 2016, critiques filmiques
positives (surtout sur Portman); box-office de plus de 25 millions de
dollars
134

On est pratiquement aux antipodes du film de Zapruder car le film Jackie est
totalement construit, tout est minutieusement calculé. Cela donne donc un
sentiment de non-naturel, qui est totalement voulu par le réalisateur. Toutes les
images montrant l’assassinat de Kennedy étaient prises sur le vif et Larrain
voulait avoir tout autre chose.

 Très grande maîtrise de la composition et très haute construction de


l’image
 Plans rapprochés (voire gros plans) => Restriction du cadre et sélection de
ce qui est montré en fonction de la subjectivité de Jackie
 Centralité et Frontalité du personnage qui fait (presque) face au spectateur
 Musique

 Analyse des extraits

 Séquence 1 : Love Field: composition & très grande construction visuelle


Larrain nous met dans la peau du personnage, la scène commençant déjà dans
l’avion. On a une progression qui est extrêmement importante. Il faut observer
les éléments mis en place (cadrage, angle de la caméra, son, utilisation de la
musique, …) et il faut essayer d’accumuler ces éléments de description pour
ensuite créer la critique d’identification (Vrai ou faux ?) et la critique
esthétique (travailler sur le médium du film lui-même).
La trame narrative principale, c’est la rencontre entre le journaliste
du Times et Jackie Kennedy, ce sera le fil rouge tout au long du
film. Systématiquement, elle va faire l’interview et se rappeler
différents moments qu’elle a vécu jusqu’à l’assassinat. On fait donc des
flashbacks. Nous sommes ainsi dans un récit encadré (interview de Jackie).
135

Systématiquement, on a la scène et un commentaire qui va avec. Jackie va


commenter toutes les étapes que l’on va voir mais il y a aussi un décalage car
elle commente déjà l’assassinat  Décalage temporel intéressant.
L’incroyable composition et maîtrise de tout ce qui est technique est très
importante également. On est dans des choses posées, des cadres généralement
fixes qui durent un certain temps. L’émotion vient quasi juste du récit et pas de
l’image qui est généralement froide, la composition étant assez clinique.
Au début, le fait qu’elle nous tourne le dos et qu’elle soit sur cadrée fait qu’on
est un peu à distance d’elle et puis on va rentrer dans sa subjectivité, la caméra
restant souvent près d’elle.
Plans rapprochés + contre-plongée. Quand elle se mêle
à la foule, on reste avec Jackie, avec son point de vue,
avec son désarroi (elle panique car il y a trop de monde,
elle déteste la foule et fait une remarque ironique sur ce
fait). On le voit sur son visage car on est très proche
d’elle. Ainsi, l’émotion doit passer par l’actrice et par son
jeu.

 Nous sommes dans une très grande composition et une très grande
construction visuelle

On a un plan d’archive. Dans la descente


de l’avion, il y un plan original de la
descente d’avion des Kennedy. Tout à coup,
Larrain décide d’introduire un plan réel
dans une construction totalement
fictionnelle.

 Critique d’authentification
La critique d’authentification est fausse, il n’y en a pas si ce n’est le plan réel
utilisé mais ce dernier ne remporte pas la réalité. On est donc dans une
construction extrêmement soignée, dans quelque chose de très travaillé au
niveau de l’image et du son. Le degré de lisibilité est parfait, tout comme
l’utilisation de l’éclairage. On est dans un temps mort car c’est le « temps réel »
pour sortir de cet avion. On est dans de la durée, cela apporte une sorte
136

d’élément d’authenticité sauf que le cadre est tellement construit qu’il y a un


hiatus entre les deux.
On est donc du côté de la construction de façon assez évidente. La bande-son et
la musique ne jouent pas un rôle particulièrement actif dans cette séquence. La
musique est petite et lie les deux parties de la séquence. Elle marque
l’artificialité car elle a été rajoutée en post-production. Ce faux est totalement
assumé, le film assumant être un film de fiction.

 La critique esthétique
Au niveau esthétique, on a des plans rapprochés la plupart du temps, on voit le
personnage en plan épaules ou en gros plan, on est donc fort proche d’elle.
L’émotion passe grâce à cela car on est dans une « intimité physique » avec le
personnage. De ce fait-là , on est dans la réduction du cadre.
La construction de cette séquence est très intéressante. Dans les premiers plans,
on est dans son intimité. Quand elle sort de l’avion, on est dans la représentation
publique, on s’éloigne donc, puis on revient dans sa subjectivité car elle a une
espèce de crise de panique.
Pour ressentir cette peur de la foule qu’elle a, la caméra n’est
plus horizontale avec le personnage mais légèrement en-dessous,
elle la prend en contre-plan. On est dans une sorte de
déséquilibre avec tout ce qui était bien cadré  Montre le
basculement du personnage.
La plupart du temps, Jackie est au centre de l’image, elle est frontale (sauf au
début où on est de dos, ce qui est assez étonnant pour un film hollywoodien 
Ironie par rapport à l’iconicité du personnage). On a une fixité avec l’interview
du journaliste et on se concentre sur le visage car c’est la seule chose qui bouge.
On attire le regard du spectateur par cette association entre les choses fixes et les
choses immobiles. Ce film se concentre donc sur la performance d’actrice de
Natalie Portman.
L’actrice reproduit les mimiques de la vraie Jackie et elle reprend sa façon de
parler également. La musique vient rajouter un élément d’artificialité et nous
permet en même temps de rentrer dans la subjectivité du personnage. On ne
reste donc pas complètement à distance.
137

On a un surcadrage : un cadre à l’intérieur d’un autre, lui-même à l’intérieur


d’un autre  Sorte de cage, Jackie étant coincé dans une situation, elle doit faire
le spectacle à côté de son mari. Elle répète comme une actrice qui va faire sa
performance. Il y a une construction très minutieuse. Le reflet montre qu’il y a
plusieurs Jackie. En outre, le tailleur rose deviendra le point de couleur et de
référence sur lesquels on va se cadrer à chaque fois.
L’image d’archive est une utilisation d’archive brute car Jackie est assez
éloignée pour qu’on ne doive pas la remplacer par Natalie Portman. Pourquoi
Larrain va chercher une image d’archive pour l’insérer de façon assez inattendue
dans cette construction ? Car cela crée un trouble. On était dans la construction
minutieuse des plans et PAF apparaît une image réelle. C’est censé déstabiliser
le spectateur par rapport à ce qu’il est en train de regarder.
Cela veut aussi dire que les images que l’on voit, censées être captées sur le vif,
sont en fait d’une très grande construction elles-mêmes. Le plan de l’arrivée des
Kennedy est censé être une captation de la réalité mais cela montre une certaine
mise en scène de la réalité qui est voulue par les Kennedy eux-mêmes.
Où est la part de fiction et où est la part de réalité dans ce film ? Tout ce qui se
passe dans l’avion peut être du fictionnel, inventé par Larrain, ou du vrai. Ce
mélange systématique entre fiction et réalité est extrêmement travaillé. On a
cette image d’un plan d’ensemble et puis d’un plan rapproché, où on revient à
Natalie Portman et à la fiction.
Dans le plan avec Portman, on filme en légère contre-plongée, on est en-
dessous de l’image. On retrouve aussi un effet de lumière. On est très proche car
on doit pouvoir ressentir l’émotion, la panique de Jackie. L’extrait lui-même très
long joue sur la performance de l’actrice. Chaque fois qu’elle est cadrée, Jackie
est enfermée (dans sa fonction, dans son identité  Cfr « barreaux » des
fenêtres). La mise en scène peut donc générer une émotion par rapport au
spectateur.

 Séquence 2 : Souvenir de l’assassinat: complexité du montage (3 niveaux


de réalité – assassinat, confession, enterrement)
Cette scène va articuler trois niveaux de récit, de narration. On retrouve :

1) Le niveau où Jackie raconte son récit à un prêtre

2) La narration du moment où elle enterre son mari

3) La narration de la mort de Kennedy


138

On va passer de l’une à l’autre temporalité. On aura un récit organisé par la voix


du personnage mais cet extrait sera très fragmentaire. Cela fait sens car elle est
en train d’expliquer qu’elle n’a pas du tout oublié ce qui s’est passé le jour de
l’assassinat de son mari alors que pendant longtemps, elle disait qu’elle ne se
souvenait plus de rien pour échapper aux interrogations.
Cet extrait est très signifiant. On est à trois niveaux de narration. Le premier
niveau chronologique est celui où on voit la tête de Kennedy explosée. C’est
une scène violente mais Larrain doit susciter le même effet que celui suscité par
le film de Zapruder quand on a vu la séquence en entier pour la première fois
(avec la tête qui explose donc). Il faut qu’il trouve le moyen d’être aussi
transgressif que Zapruder. On commence donc sur la tête de Jackie, on recadre,
et PAF la tête explose. Larrain peut ainsi recréer ce choc visuel.
Dans ce premier niveau, il n’y a pas de son direct, il y a de la musique et la voix
de Jackie qui commente mais on n’entend pas ce qui se passe sur place. La
musique et le commentaire sont donc des sons rajoutés.
Le deuxième niveau chronologique est le moment où Jackie raconte ses
souvenirs à un prêtre avant d’aller à l’enterrement de son mari. Et pour finir, le
troisième niveau chronologie montre les plans de l’enterrement. Voilà la
chronologie remise à l’endroit.
Mais dans le film, tout est mélangé, la seule continuité étant le son, le récit de
Jackie. Sinon, on a une espèce de diffraction visuelle et parfois sonore (on
entend les tambours de l’enterrement, …) mais normalement on n’entend quasi
rien des scènes qu’on est en train de nous montrer pour mettre la voix en avant.

Comme dans la scène précédemment montrée, on a de


vraies images d’archive de la scène d’enterrement. Ce
sont généralement tous les plans d’ensemble où on voit la
foule, … On repère l’image télévisuelle car elle est
différente, du point de vue esthétique, des plans pris par le
réalisateur car elles sont plus fragiles, moins travaillés, … Pourquoi Larrain
139

ressent-il le besoin d’intégrer des images d’archive dans ces séquences


extrêmement construites ? Il n’a jamais répondu. Peut-être qu’il n’a pas l’argent
nécessaire pour reconstituer la scène dans son ensemble avec la foule et autres.
Cette hypothèse fonctionne également pour la première séquence montrée car on
n’y voit pas l’avion.
La séquence est très composée car elle s’ouvre sur ce plan de
Jackie qui est très plastique. La composition, avec ce voile
qui flotte autour de sa tête, est très artificielle car la caméra
n’est pas à l’horizontale, elle la montre en contre-plongée car
à partir du début du film, quand on revient dans les flashbacks, Jackie est en
train de devenir une icone et ainsi, on la montre par en-dessous pour la montrer
comme plus grande qu’elle n’est. C’est elle le centre de l’attention dans cette
scène, elle prend toute la lumière et la focalisation.

 La critique d’identification

 Titre du film : « Jackie »

 Date du film : 2016

 Réalisateur : Pablo Larrain

 Lieux et événements : assassinat de John F. Kennedy, le 22 Novembre


1963, et enterrement, au travers du point de vue de Jackie Kennedy.
Raconté lors d’un récit encadré par elle lors d’une conversation avec un
prêtre.

Il y a ainsi trois niveaux de narration :


 Jackie est en tête du cortège funèbre pour l’enterrement de JFK

 Jackie qui explique au prêtre qu’elle se souvient parfaitement (récit


encadré situé le même jour que l’enterrement -en début et à la fin de
l’extrait)

 Flash-back : assassinat de JFK


140

 Critique d’authentification
L’extrait relève d’une construction fictionnelle :
- Longueur des plans : pas de présence de plans séquences mais plans
au contraire assez courts qui démontrent une grande construction et
non une captation de la réalité. Le montage est très articulé, très serré.
On passe d’un plan à l’autre de façon assez rapide, ce qui donne un
grand dynamisme et donc une grande construction de la narration.

- Angles de prise de vu : construction très artificielle (non-naturaliste)


notamment avec les angles de prise de vue : la contre-plongée sur
Jackie, seule, à la tête du cortège, la plongée sur le cortège funèbre arc
Jackie à sa tête, la plongée en mouvement sur la voiture qui s’éloigne
après l’assassinant, la tête de JFK sur les genoux de Jackie.

Ce jeu de plongée et de contre-plongée est très artificiel, les angles de


prises de vue ne sont pas du tout naturels. On est de nouveau dans une
très grande proximité en ce qui concerne l’échelle des plans. Le seul
moment où on met de la distance, c’est lors de la représentation
publique de l’enterrement pour la situer dans le contexte sauf que la
scène commence avec un plan rapproché pour la distinguer de la foule.

- Echelle des plans : très grande proximité vis-à-vis de ce qui est filmé.
Plans rapprochés (voire de gros plans) et donc restriction du cadre et
de ce qui est montré

- Degré de lisibilité des images et d’éclairage : très parfaitement cadré,


éclairage uniforme, donc tient de la mise en scène. Centralité et
frontalité du personnage (notamment dans le premier plan)

- Degré d’intensité de l’action : pas de temps morts, rythme parfait


grâce à une très grande sélectivité des plans (efficacité) ; très grande
utilisation du montage de 3 niveaux de récits. Le degré d’intensité de
l’action est presque à son maximum car on a ces trois actions
simultanées qui se mettent en place sur une séquence de trois minutes.

Bande-son :
141

- Voix in et off de Jackie qui décrit ses impressions et l’assassinat de


Kennedy

- Ajout d’une musique très (mélo)dramatique qui vient souligner le


caractère tragique de l’assassinant

- Pas de son direct sauf les bruits d’ambiance et le bruit (en gros plan
sonore) de la deuxième bale qui atteint Kennedy au crâne (on n’entend
pas le bruit de la première balle)

- Véracité et objectivité des documents : aucune, tout est


minutieusement construit (composition, montage, musique), sauf les
images d’archive télévisuelles authentiques sur l’enterrement qui sont
insérées dans le montage

 La critique esthétique
Organisation de la compositions des images (du cadre, du cadrage, du
montage, …) et du son ; pour quels effets ?
 Très grande dramatisation ou mise en scène, voire composition
artificielle :

- Tous les éléments de la critique d’authentification visent à créer


l’émotion ainsi que le choc de l’impact de la balle qui fait exploser la
tête de Kennedy. Très grande dramatisation, on essaye d’arracher des
larmes. Larrain veut que le spectateur vive avec Jackie le drame
qu’elle a vécu en jouant sur l’empathie. Toute la construction est
dirigée vers le spectateur pour qu’il soit en relation quasi directe avec
le personnage. Il va aussi utiliser le choc pour cela car il va nous
mettre dans la voiture avec Jackie quand la tête explose. On est sur
Jackie et puis tout d’un coup, le corps de Kennedy vient s’interposer
avec la tête qui explose. Kennedy est à côté de Jackie, c’est elle qui
compte. Ici, on veut nous faire ressentir le choc qu’elle a vécu lors de
l’assassinat de son mari.
142

Ce plan a une composition plastique, chromatique, le


réalisateur utilisant les couleurs : le rose du tailleur et les
roses rouges qui rappelle la tête éclatée de Kennedy.

Comment est organisé le point de vue du récit et de l’énonciation (comment


est raconté ce récit, qui raconte, qui regarde ?)
 Le point de vue restreint et subjectif d’une seule personne ; toute
l’articulation se fait autour de l’expérience de Jackie cadrée en gros plans
ou plan rapproché (en très gros plan lorsqu’elle fait son récit au prêtre), en
position quasi frontale. Ce point de vue est également porté par :

- La voix off du personnage

- La construction sonore impressioniste car on n’a que les impressions


de Jackie à travers son récit

- La structure en double flashback, qui suit on la réalité historique,


chronologique, mais le flux des souvenirs de Jackie

Le récit/l’image fait-elle appel à un système de référence préalable


(références historiques, mythiques, artisituqes, …) qui fourniraient un
niveau d’interprétation supplémentaire ? (Concept d’intericonicité)
Cet extrait renvoie à deux évènements historiques : l’assassinat de JFK le 22
novembre 1963 à Dallas ainsi que son enterrement Les éléments mis en place
dans l’extrait (faits avérés (dont les deux balles qui ont atteintes le président), les
attitudes (dont celle du garde du corps et de Jackie qui se précipite pour
rassembler les morceaux de cerveau ou qui tient la tête de JFK sur ses genoux),
mais aussi le tailleur rose et le chapeau tâché de sang) renvoie à la réalité des
faits mais aussi au film de Zapruder, captation réelle de ces faits par Abraham
Zapruder.
Autrement dit, quand on regarde ces images, elles nous renvoient au film de
Zapruder, il y a donc une grande intericonicité. Sauf que la construction de
Larrain s’oppose point par point à la prise de vue spontanée de Zapruder, le lien
d’intericonicité est donc presque utilisé comme un paradoxe. On a le même
événement mais il est vu de façon complètement différente esthétiquement.
143

 Troisième extrait : visite de la Maison Blanche

Larrain propose une sorte de fusion de la fiction et de la réalité à certains


endroits. Cette séquence est particulièrement troublante à ce niveau-là car
jusque-là, on arrivait à séparer les choses à l’intérieur des séquences mais ici, on
sera à la fois dans la construction mais aussi dans l’utilisation d’un élément réel.
Le film commence sur des images d’archive retravaillées car on y voit Natalie
Portman en Jackie Kennedy, qui a fait pour une émission télévisée, CBS, la
visite de la Maison Blanche en 1962.
Ce qui est étonnant, c’est ce passage par des images d’archive ou ce que l’on
pense être des images d’archive sauf que le personnage qu’on voit arriver est
Jackie Kennedy. On intègre donc un personnage fictif dans des images réelles.
Ce qui est réel dans cette séquence, c’est la voix de Kennedy, on a donc la
bande-son originale de l’émission télé et on a des images fictionnelles qui
reconstituent l’arrivée inopinée de Kennedy. On se rend donc compte que
Larrain, au fur et à mesure que son film avance, va jouer sur ce trouble entre la
fiction et la réalité. Au début, c’était juste un plan, puis on avait plusieurs
apparitions de plans réels dans la scène qu’on vient de voir avec l’enterrement et
ici, on est encore à un autre niveau car on a une coexistence d’éléments réels -la
bande-son- et des acteurs qui jouent des rôles.
La scène existe réellement car on peut aller voir cette émission sur Internet sauf
qu’ici, on est dans une reconstitution fictionnelle. Larrain va jouer avec notre
perception puisqu’il va filmer tout l’environnement d’un point de vue fictionnel,
en couleurs et avec ce rapport direct aux acteurs, et puis il enchaîne sur un plan
censé être un plan du documentaire sauf que c’est un plan reconstitué avec
l’esthétique de l’émission télé (noir et blanc) et le remplacement de Jackie par
Portman.
144

Ce plan est sûrement le plus faux de toute la séquence car on trafique des images
existantes pour remplacer un personnage par une actrice professionnelle, on est
dans de la manipulation d’images d’archive  Contraste. Ensuite, il revient à
quelque chose de vrai, à cette idée de faire parler Kennedy et de mettre la voix
du vrai président en arrière-fond. On entend Kennedy mais on ne le voit pas
parler, on a donc un décalage entre ce qui est montré et ce qui est entendu.
Cette séquence est frappante car le non-naturel est
absolu et assumé, on est dans de la pure construction,
alors qu’on joue avec les éléments de la réalité. On a
une progression dans la coexistence des images et du
son d’archive avec les images fictionnelles. En outre,
le présentateur télé n’est pas remplacé par l’acteur qui
le joue dans la fiction dans les images d’archive.
La scène nous permet de voir que c’est une construction, on montre la caméra
qui est en train d’enregistrer, on montre la mise en scène de l’arrivée
« spontanée » de Kennedy. Ce n’est pas une surprise, on nous montre qu’on
nous ment.

II. 9/11
On change de période. La prof a voulu nous montrer à quel point le contexte
technologique dans lequel on se situe est déterminant en ce qui concerne les
évènements d’une période et les films relatant ces faits. Pour le 11 septembre, la
planète entière suit en direct les évènements qui se passent mais elle ne verra
que les images qu’on veut bien lui montrer. En effet, les médias n’ont presque
utilisé que six photos. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on se situe dans une ère de
diffusion qu’on est dans la diversité des images.
Le système de censure existe encore avec les images du 11 septembre. C’est
assez étonnant mais on va se rendre compte qu’il y a quand même une sorte de
filtre qui s’est mis en place. On n’a jamais vu de corps, de blessés, d’images
sanguinolentes, sauf à de très rares exceptions. On a une espèce d’éthique de la
transmission des images qui s’est assez vite mise en place.
Jules et Gédéon Naudet sont un peu les Zapruder du 11/09. Il est là par hasard et
filmait à la base une fuite de gaz. On retrouve donc une grande spontanéité, et il
est le seul à avoir filmé une continuité d’action pendant plusieurs secondes.
Ces images sont très difficiles à analyser car :
145

 Il y a une somme colossale d’images existantes autour de ces attentats car


on est dans une ère de démocratisation des images et chaque témoin
pouvait filmer l’évènement. On va s’intéresser à la construction
médiatique qui s’est faite autour de cet incident et autour de son impact
dans la construction d’une narration. Ces images ne sont pas simplement
informatives car on les a aussi utilisées pour créer un récit.

 L’exercice analytique est toujours en-dessous de la tragédie humaine

 Les terroristes qui ont organisé les attentats ont utilisé les médias pour
véhiculer une idéologie (choix des Twin Towers, deux tours, impact
répété en direct): ce sont des actes de communication, récupérés par les
médias

 Minutage

 8H46: Crash Vol AA 11 dans la Tour Nord (1)


 9H03: Crash Vol 175 United Airlines dans la Tour Sud (2)
 9H37: Crash AA 77 à l’Ouest du Pentagone
 9H58: Effondrement de la Tour Sud
 10H03: Crash du vol United 93 au sud-est de Pittsburgh après rébellion
des passagers (destination de Washington DC)
 10H28: Effondrement de la Tour Nord.

 On a eu toutes les étapes en moins de deux heures. Le nuage qui s’écrase


sur Manhattan va faire fuir tous les gens. On est presque dans la durée et
dans le contenu d’un film.

1. Documents-photographiques
Les premiers documents sont des documents-photographiques. On se rend
compte qu’ils vont être extrêmement répétitifs et former une sorte
146

d’uniformisation et de globalisation mondiale de la communication en termes


d’images.
Partout sur la planète, on va utiliser les mêmes images, il n’y aura aucune
diversité en fonction des cultures même si la place de l’information sera
différente en fonction des pays (les Occidentaux s’intéresseront plus longtemps
à l’information). On est donc face à un paradoxe : l’événement le plus
médiatisé mais le moins diversifié.
Les unes de journaux ont deux intentions : informer mais aussi rendre compte du
spectaculaire de l’action, qui est digne d’un film catastrophe hollywoodien. On
peut retrouver 6 images ou 6 sujets qui seront repris dans toute la presse :
41 % : boule en feu produite par l’explosion des réservoirs
d’hydrocarbure du vol 175 au moment de percuter la Tour Sud

17%: nuage de fumée sur Manhattan après effondrement

14%: images du lendemain (ruines, fragments gravats).


L’échellede cette image est intéressante également car
l’homme a l’air minuscule par rapport à l’environnement
dans lequel il se situe.

13,5%: avion s’approchant des tours avant l’impact (la moitié


étant des captations télévisuelles)
147

6%: scènes de panique dans les rues du Lower Manhattan pour


échapper au ‘killer cloud’

3,5%: pompiers qui hissent le drapeau américain sur les


décombres. L’image des pompiers hissant le drapeau
américain renvoie à un drapeau hissé durant les années 40
lors de la victoire des Américains à Hiroshima au Japon.
C’est censé être une photographie spontanée mais à quel
point l’est-elle?

 On prend les images les plus spectaculaires. On est aussi dans le


spectaculaire en ce qui concerne les textes des journaux.

« The falling men » (Richard Drew, 2001) est une image prise
par un seul journal, le New York Times. Toutes les autres
images ne montrent pas les victimes. On s’est longtemps
demandé s’il fallait la publier et d’ailleurs, sa publication a
donné lieu à de nombreux débats.

2. Approche documentaire (12/12/19)


L’approche documentaire semble plus objective à première vue, on a
l’impression qu’on aura un lien avec le réel beaucoup plus fort mais la
construction y existe aussi et elle est parfois plus pernicieuse que dans les films
148

de fiction comme Jackie car on se dit justement qu’on va voir quelque chose de
réel.
On est +/- un an après les attentats. Cela veut dire que ce film est fait pour une
date anniversaire et donc il a été fait avec des intentions extrêmement claires, il
est là pour commémorer les évènements mais ce sont en même temps des
récits extrêmement personnels de ceux qui ont vécus les évènements qui nous
seront contés.

 Les principes du documentaire


Les principes du documentaires sont d’être dans ce rapport à la réalité9. L’idée
principale du documentaire, qui naît dans les années 20 au cinéma, le premier
établit par la critique datant de 1922, est donc d’expliquer quelque chose : une
situation, le parcours d’un homme, une œuvre d’art, … C’est donc cette idée
d’avoir un apport pédagogique sur quelque chose et donc d’informer le public.
Le documentaire est une des formes cinématographiques les plus pratiquées car
il ne coûte pas très cher mais c’est également une tradition qui veut avoir un
impact pédagogique sur les spectateurs.
En d’autres termes, l’idée principale du documentaire est d’informer, d’instruire,
d’expliquer un phénomène, un événement au travers d’une déconstruction des
situations, des gestes, etc.
Ce film existe car les frères Naudet sont aux USA pour faire un reportage sur un
jeune pompier américain. On retrouve donc le but informatif (qu’est-ce que c’est
d’être pompier à New York ?) mais à ce moment-là arrivent les évènements du
11 septembre. Ils sont avec les hommes du feu et Jules descend dans la tour avec
eux. Le sujet de départ était donc le portrait d’un jeune pompier faisant ses
débuts dans une caserne mais ce documentaire va avoir comme sujet le 11
septembre à travers le point de vue des deux frères français mais aussi à travers
celui d’un pompier, John Hanlon.

Ainsi :
 Sujet de départ: portrait d’un jeune pompier

 Sujet du documentaire: les attentats du 11 Septembre, à travers le


9 portrait
Réel = rapport duautravail
effectif monde etdes pompiers
aux choses de= New
et réalité point deYork
vue que l’on a sur le réel, sur quelque chose
qui existe, on n’est donc pas dans la captation, dans le rapport direct mais bien dans une construction de ce qui
va être représenté comme étant le réel
149

Les images de départ sont donc des captations de la réalité mais en fait, le
documentaire informatif sur les pompiers va se transformer en un documentaire
de commémoration ayant une dimension assez patriotique et assez héroïque par
rapport aux figures des pompiers. Ce n’est donc pas un reportage neutre. Ainsi,
il se veut proche de la captation de la réalité, mais le degré de construction au
travers du montage et du récit des voix est assez élevé.
Le maître mot de ce film est la dimension du montage. On est dans une
utilisation extrêmement importante du montage. On ne sera pas uniquement
dans la narration de cette journée-là mais il y aura également des rajouts
(archives, témoignages, …) qui vont alimenter les images de ce film.

Définition : le montage : A partir de la mise en place du montage, toute prise


de vue est sujette à réarrangement, à reconstruction et à bouleversement
chronologique permettant de déterminer un choix dans l’ordre des images qui
favorise l’élaboration d’une narration.

La dimension sonore va également être extrêmement importante. On va utiliser


une voix-off, des témoignages qui construisent la narration, et aussi une musique
qui veut nous arracher des larmes.
 Ce film est donc une véritable construction et non pas une représentation
du réel mais bien une représentation de la réalité, à travers le point de
vue de plusieurs personnes sur ce qu’il s’est passé au travers de
témoignages, des images prises, des documents d’archive, …

 C’est donc une véritable construction complexe qui nécessite la maîtrise


du montage et où tout est signifiant. Après cet encadrement, établissement
du récit chronologique, événement après événement.
 4 phases de critique :

1) La critique d’identification
Les cinéastes de ce film sont Jules et Gédéon Naudet. On
retrouve au centre John Hanlon. Leur film date de 2002 et
150

il est établi comme étant un documentaire, même s’il a été fait pour être montré
d’abord sur un circuit télévisé. Il est également sorti dans quelques salles, ce qui
lui donne le statut de film documentaire à proprement parlé et il est aussi sorti en
DVD.

2) La critique analytique
Le reportage a été diffusé pour la première fois par CBS, le 10 Mars 2002 (6
mois après le 9/11) et il y avait plus de 39 millions de spectateurs. Il a été
rediffusé internationalement dans le courant de l'année suivant les
événements. Première diffusion en France le 11 Septembre 2002 et nouvelle
version le 10 Septembre 2006 (CBS) + DVD
La fréquence est très élevée car il y a une visibilité et une reproductibilité
internationale. En outre, Jules Naudet est le seul à avoir filmé de façon assez
continue la première attaque d’une des tours au travers du premier avion qui
crée l’attentat, ce sont donc des images inédites. On est presque dans le même
ordre d’idée qu’avec le film de Zapruder. Ces images-là seront le moteur de la
justification et de la diffusion du film  Donc, images uniques de la première
tour
Les frères Naudet, qui avait un budget très limité pour filmer les pompiers au
départ, auront un budget quasi illimité fourni par CBS pour faire ce
documentaire. Dans ce dernier, ils sont à la fois cinéastes mais aussi témoins de
l’évènement car ils racontent ce qu’ils ont vécu. Cette double position fera naître
un sentiment assez étrange.

 Ces deux éléments restent valables pour tous les extraits qu’on va
analyser aujourd’hui

 Premier extrait : le premier avion (Jules Naudet)


Les frères Naudet et John Hanlon vont toujours surexpliquer
ce qu’on est en train de voir. Il y a donc une sorte de double
discours systématique : les images et le sonore. Cela clope
bien avec le but pédagogique du documentaire. Cela sert soit
151

à nous aider à bien comprendre soit à manipuler pour nous donner un certain
point de vue.

 Critique d’authenticité
Ce premier extrait est assez complexe car il contient des niveaux de points de
vue qui se mélangent, nous n’avons pas uniquement le point de vue de Jules
Naudet sur la situation  Question de la réalité. On n’a pas un plan fixe sur le
réel car à tout moment, on sent le corps de Jules qui réagit à la situation. Il ne
veut pas couper sa caméra mais bien montrer de plus près ce qui est en train
d’arriver, il fait donc un zoom. À tout moment, on a donc la vision de quelqu’un
qui doit gérer les événements, on est ainsi systématiquement dans la vision
subjective de quelqu’un.
 Les plans sont assez longs, il utilise le zoom pour ne pas avoir recours au
montage, pour recadrer : Jules essaye de ne pas fragmenter la réalité

 Les angles de prise de vue sont naturels, en mouvement, Jules pointant


sa caméra en fonction de la situation dans laquelle il se trouve
physiquement, en fonction de son emplacement (caméra à l’épaule, essais
de la caméra) Il n’y a donc pas de construction au niveau des angles de
prise de vue.

 Au niveau de l’échelle des plans, on retrouve une grande proximité vis-


à-vis de ce qui est filmé. C’est encore une fois au niveau de la situation
telle qu’elle se passe, on n’a aucune construction préalable proposée

 Le degré de lisibilité des images et d’éclairage : Pas uniforme, chahuté,


dépend de l’instant. On retrouve la lumière naturelle

 Son et dialogue directs, tout ce qu’il entend au moment où il filme est


enregistré par la caméra

 On est donc face à un document authentique en ce qui concerne les


images filmées en direct MAIS

 Voix off explicatives + témoignages des pompiers


152

 Grand rôle du montage visuel et sonore des différentes parties (prises de


vues directes, interviews, voix off)

 On a donc une grande authenticité des images mais ces dernières seront
prises dans une construction (montage en alternance avec les témoignages
sur fond noir)

En d’autres termes, ces images réelles nous sont données à voir avec une série
d’autres éléments qui eux relèvent de la construction. Il y a donc des voix-off
qui expliquent (Jules, différents pompiers, …) ce qui est en train de se passer et
le ressenti qu’ils ont eu à ce moment-là. Cela fait un peu exploser le point de vue
qui était au début uniquement celui de Naudet. On n’a plus un point de vue sur
la réalité mais bien plusieurs qui s’exprime en même temps.
Au niveau du son, on a une pluralité des témoignages. Il y a donc une
authenticité des images qui sont prises en construction avec les témoignages des
différents participants. On est donc dans un degré de construction et non plus
dans l’authenticité. Les dimensions didactique et pédagogique prennent le
dessus, les gens devant avoir ces témoignages en même temps pour qu’ils
puissent comprendre exactement ce qu’il s’est passé.

 Critique esthétique

 Quelle composition pour quels effets ? On va montrer les images mais


aussi faire passer l’effet de choc vécu par les différents protagonistes. On
veut rendre l’instant, le choc émotionnel de l’impact et la chronologie des
faits (montage, voix-off). On ne montre pas juste l’information mais on
veut montrer comment on a ressenti les évènements, le point de vue
informatif ne suffit pas et on veut donc jouer sur l’impact psychologique
et physique.

 Quel point de vue ? C’est celui de Jules Naudet qui tient la caméra et qui
témoigne en voix-off + ceux des témoins (pompiers)

 L’intericonicité/Références ? Elle ne se développe pas encore dans cet


extrait-là

 Deuxième extrait : Le deuxième avion (Gédéon Naudet)


153

On retrouve le point de vue de Gédéon qui était resté à la


caserne alors que Jules est parti avec les pompiers. On
aura donc aussi cette démultiplication des points de vue
car on n’a deux cinéastes professionnels qui vont créer
des images chacun de leur côté. Les deux frères ne
filment pas du tout la même chose, Gédéon filmant la
réaction des gens plutôt que les évènements qui sont en
train d’arriver. En outre, il aura un point de vue relativement fixe.
Les choses se complexifient de façon assez radicale car on n’est plus
uniquement dans un témoignage sur une partie de la réalité (le premier attentat)
mais on est avec les deux cinéastes et avec une multiplicité de témoignages.
Gédéon filme les choses de façon relativement professionnelle en filmant les
réactions des gens dans la rue et arrive ce deuxième attentat sur la deuxième
tour. Malgré son professionnalisme, Gédéon lâche la caméra, il se reprend mais
un peu tard. On a donc une version très fragmentaire de l’évènement, ce qui
contraste assez fort avec les prises de Jules sur la première tour.
On a le témoignage du point de vue de Gédéon et tout de suite après, on a celui
de Jules qui est avec les pompiers. On aura ces allers-retours sur ces différents
points de vue et on va rajouter une couche avec les images transmises par la
télévision qui sont filmées à une grande distance de l’immersion des images
filmées par les frères Naudet : on a donc trois niveaux télévisuels qui vont se
répondre et s’alterner pour montrer la complexité des choses qui sont en train
d’arriver.
En outre, on complexifie encore ce montage visuel par le montage sonore car
on aura le son direct de ce qui est en train d’arriver + le témoignage de Gédéon
+ celui des pompiers + les phrases des gens qui sont dans la rue et qui sont
filmés par Gédéon. Ces informations s’accumulent mais restent parfaitement
claires car la chronologie temporelle est respectée et chaque fois explicitée par
les témoignages en voix-off.
Au tout début, on ne laisse pas le spectateur tranquille dans l’observation car on
explique toujours ce qui est en train d’arriver (Gédéon dans un premier temps).
On veut être sûr que ces images ne soient pas réinterprétées différemment.
 Critique d’authenticité
En ce qui concerne les images filmées en direct :
 Plans longs sur les gens qui regardent les tours + Utilisation du zoom
pour recadrer sans couper mais coupures lors de l’impact (pas de
154

continuité, …). En outre, le mouvement est assez naturel car la caméra


tourne en même temps que Gédéon

 Les angles de prise de vue sont assez naturels, en mouvement et en


contre-plongée en fonction de l’emplacement de Gédéon (Caméra à
l’épaule)

 Échelle de plans : plans moyens (à distance humaine des autres


personnes/idem pour Jules). On voit les gens à moitié car on a une forme
de rapprochement du caméraman sans toutefois être invasif par rapport à
leur espace

 Le degré de lisibilité des images et d’éclairage : pas uniforme, chahuté,


dépend de l’instant

 Sons et dialogues directs

 Authenticité du document MAIS

 Voix-off explicative de Gédéon Naudet (plans rapprochés sur fond noir).


Dans les témoignages qui sont faits, la caméra est plus proche que dans
les plans précédents (plan épaule VS gros plan car on est dans un rapport
beaucoup plus émotionnel car au fur et à mesure que les choses arrivent,
l’impact émotionnel sera de plus en plus important)

 Témoignages de pompiers (Mixage sonore de commentaire des


cinéastes, des pompiers, des journalistes télévisuels)

 Montage parallèle ente l’extérieur et l’intérieur (Gédéon et Jules)

 Authenticité des images mais prises dans une construction (montage en


parallèle des témoignages + aussi des images d’archives de la télévision)
On a donc une authenticité des images mais elle est retravaillée par ce
montage où on a une multitude de témoignages qui va venir alimenter
l’information et où on va systématiquement rajouter des points de vue à ce qui
est en train d’arriver. La différence avec le précédent extrait est l’utilisation des
155

images télévisuelles, on est avec des images qui ont été retransmises partout en
direct, on rajoute donc encore un élément de construction.
On est donc dans un réalisme dans l’ensemble qui vient de la spontanéité des
images mais on a aussi une démultiplication des points de vue (dedans, dehors,
pompiers, images télévisuelles, etc.) qui engendre une construction minutieuse
de ces points de vue.

 Troisième extrait : l’effondrement de la première tour/nuage


La séquence importante chronologiquement est cet effondrement de la première
tour. On en a des images en direct car Jules Naudet est dans cette première tour
et au moment où il filme, la tour est en train de s’effondrer sur lui. A partir du
moment où il se retrouve enseveli, il n’y a plus d’images.
La voix qu’on entend est celle de John Hanlon. Il y a donc encore une voix au-
dessus de ceux qui commente et qui dépasse encore ces témoignages qui sont
dans la proximité de l’évènement et qui va commenter de l’extérieur ce qui est
en train d’arriver. Il fait donc des transitions que les acteurs du moment ne font
pas, il va créer du sens entre les différentes parties de la chronologie et rajoute
une couche de complexité à toute cette construction.
On a de nouveau une complexité des points de vue : celui de Jules Naudet, la
caméra continuant de filmer même si tout est noir + celui de Gédéon qui est à
l’extérieur et qui va filmer les mouvements de panique des gens + celui des
structures de commentaire que l’on aura en plus grâce aux images télévisées, qui
alimentent cette situation d’un point de vue plus extérieur.

 Critique d’authenticité
On est influencé par tout le système de référence que l’on connaît : des films de
fiction où on voit des mouvements de panique des foules où on ne voit presque
pas ce qu’on est en train de filmer. On n’est donc pas vraiment surpris par les
images chaotiques, on a l’habitude de voir cela aujourd’hui. On est dans
l’illustration du chaos général et dans cette espèce de spontanéité de
l’enregistrement du direct.
La caméra est dans le mouvement constant du direct. Il y a un très pauvre
degré de lisibilité, en tout cas pour ce qu’il se passe dans la tour mais à
l’extérieur, les images sont toujours relativement lisibles. On a des problèmes
156

d’éclairage une quasi abstraction dans le flou des images et le son est direct
(+ commentaires de Jules).
 Direct absolu, sans réelle maîtrise possible au début (enregistrement
mécanique de la réalité) mais toujours commentaires en voix-off

On retrouve un contraste quasi absolu entre les images du dedans et les images
extérieures, on est dans deux systèmes de représentation assez différents même
si on est dans la même sensation de direct. C’est à ce moment-là qu’on fait des
références aux films catastrophes. On a déjà vu cela au cinéma mais jamais en
vrai.

 Critique esthétique
On retrouve donc de l’intericonicité, c’est-à-dire que
l’image montrée au travers de ce documentaire va renvoyer
à des images préexistantes de films de fiction. On a ces
images extrêmement iconiques de l’évènement avec ce
nuage de fumée qui arrive sur les gens.

Cette question de l’intericonicité, avec la phrase « la scène semble toute droite


sorite d’un film catastrophe », le nuage de fumée et le mouvement de panique,
on peut l’illustrer avec un seul exemple de film de fiction : Godzilla (Roland
Emmerich, 1998).

 Premier extrait de Godzilla : l’apparition du monstre


Ces images datent de trois ans d’avant les attentats. On est dans de la fiction
pure mais on est dans le même système d’images. C’est donc une interrogation
très grande car ceux qui ont conçus ces attentats pensaient-ils à des images
comme celles-là, à l’impact qu’ils auraient sur les victimes ? Ces images
nourrissent un imaginaire et les gens dans la rue se disent qu’ils ont déjà vu ces
images qui faisaient parti d’une construction fictionnelle qui n’aurait donc pas
due arriver.
Dans « Godzilla », le monstre apparaît dans une atmosphère
de fin du monde alors que dans les attentats, on est dans une
157

journée où il y a plein soleil. Il y a donc cette mémoire des images qui revient
au moment où les tours s’effondrent. Dans le film de fiction, on intègre
systématiquement l’humour mais les images qui répondent à celles-ci, c’est-à-
dire celles du 11 septembre, sont des images d’une catastrophe absolue.

 Deuxième extrait : l’attaque des tours


On a de nouveau ce lien extrêmement trouble et extrêmement troublant entre le
réel et la fiction. Emmerich s’inspire d’un attentat qui a déjà eu lieu au World
Trade Center, le journaliste parlant de cette attentat. Il entre donc en résonnance
avec la réalité. On a ces allers-retours entre la fiction et le réel, la réalité étant
représentée par ces témoins.

 Quatrième extrait du film des frères Naudet : les pompiers après l’attentat
On retrouve l’émotion des pompiers qui vont aider dehors et qui vont constater
les dégâts portés sur l’environnement newyorkais mais aussi en termes de
victimes. Jusque-là, on avait évité le sentimentalisme explicite mais ici, on va
tomber en plein dedans.
C’est une séquence un peu à part dans le film car elle n’est plus du tout
informative ni pédagogique mais elle est uniquement basée sur un rapport
émotionnel au spectateur pour faire ressentir l’émotion des pompiers qui
reviennent sur place. On pourrait très bien se passer de cette séquence mais c’est
une sorte de parenthèses où on joue très fort sur le côté émotionnel.
Il n’y a aucun son direct, la musique étant le seul élément de la bande-son qui
est présente. Mélancolique, elle va travailler avec les plans pour générer cette
émotion, on tombe dans l’idée de sentiments voire de sensation.
Au niveau visuel, en ce qui concerne l’authenticité, on est toujours dans une
captation des évènements mais on est dans une échelle des plans assez
différente, on est très proche des pompiers et de leur visage. On a du gros plan
systématique voire même des très gros plans, on zoome sur les détails des
visages. On est donc dans une grande proximité avec les protagonistes.
On peut également retrouver un ralenti qui va intensifier et dramatiser le rapport
à la réalité. C’est un procédé technique et artificiel qui va encore augmenter le
rapport émotionnel.
 But émotionnel et pas informatif
158

Avec cette séquence, on va dans une direction basée sur l’empathie, le film
voulant également héroïsé ces personnages. Ce sont des héros mais ils sont
également écrasés par la situation. La construction est donc grande et arrive à
une question d’éthique documentaire : peut-on arriver à intégrer ce type de
séquence beaucoup trop travaillée esthétiquement ?

Eléments de conclusion
 On est dans une volonté d’enregistrer la réalité telle qu’elle est car on
n’est sur place. On est dans l’action et dans la spontanéité du mouvement

 Mais on a une réelle construction du témoignage par le montage visuel et


sonore et par l’organisation du récit, les commentaire et l’encadrement
(voix-off explicatives, apport extérieur avec les images de télévision, …)

 Fonction d’un film comme celui-là : informer mais aussi émouvoir et


susciter un sentiment nationaliste. Ce film est un vrai hommage aux
pompiers et à leur travail. La seule donnée constante de ce film est qu’on
suit les pompiers, du début jusqu’à la fin. C’est le point de vue des
hommes du feu qui est ici explicité. En outre, on aura à la fin du film les
images des pompiers décédés. Jules et Gédéon ont filmé la seule caserne
qui n’a pas eu de morts.

Dans la version de CBS, Robert de Niro vient nous présenter l’action et nous la
situer. Il fait un accompagnement télévisuel et pas filmique, on a donc encore
une nouvelle couche à la complexification et une surexplication.

III. Cloverfield (Matt Reeves, 2008)


Il y a de plus en plus de facilité à manipuler les images. Au
début de la photographie, les possibilités étaient
relativement visibles, on pouvait facilement les débusquer.
159

Ces pratiques naissent avec le début de la construction des images. Mais petit à
petit, elles vont se développer et s’améliorer et cela deviendra de plus en plus
dur de les différencier des vrais (Cfr Deepface).
On revient sur ce phénomène car il remet en perspective cette question du
trouble entre la captation de la réalité et la fiction. Jusqu’à présent on a vu, en
termes de long métrage, Jackie, film de fiction utilisant de temps en temps
quelques images d’archive sans vraiment l’assumer, car on peut très bien passer
à côté.
On a également dû visionner un documentaire de captation réelle. On y retrouve
l’idée que même si ce sont des captations de la réalité, il y a quand même une
grande construction du contenu. On est donc confronté à une forme de
manipulation car le document n’est pas brut mais bien retravaillé et parfois
même refictionnalisé (// pompiers qui reviennent sur les lieux).
 Film de fiction teinté de réel VS film réel teinté de fiction

En ce qui concerne Cloverfield, on est devant un film de fiction mais ce film


met en même temps en avant toutes les façons de faire du documentaire et
donc tous les trucs de la captation en direct. C’est très étonnant car on verra que
ce n’est pas le seul film dans cette catégorie, les films d’horreur regorgeant de
ces exemples depuis les années 2000, où on nous intègre dans des images de
plus en plus réalistes et donc de plus en plus effrayantes. En outre, dans
Cloverfield, le caméraman ne cesse de dire « I am documenting the evening ».
Les films d’horreur sont les plus intéressants car ils nous montrent les peurs
d’une société, ce n’est donc pas un sous-genre. Depuis l’existence du film
d’horreur, il révèle quelque chose sur ce qui est en train de se passer et c’est ce
genre de film qui rend le plus rapidement une série de faits réels traumatiques.

 Ce qu’il faut prendre en compte


1) On retrouve un problème car on est dans la confusion entre la captation de la
réalité (conditions du direct) et la construction fictionnelle. En effet, même si on
sait que les évènements ne se sont pas produits et que les monstres géants
160

n’existent pas, on a quand même l’impression d’être face à une captation de la


réalité.
Cette construction fictionnelle n’est pas l’histoire d’un monstre qui attaque
New-York mais bien l’histoire de deux jeunes gens qui ont ketté ensemble et qui
ont rompus (ce qu’il s’est passé n’est pas vraiment explicité). Si on regarde bien,
le film d’horreur est une sorte de décor à cette histoire d’amour. Ce qui
intéresse le réalisateur est d’éprouver cette histoire d’amour au travers de la
situation terrible.

2) Il faut distinguer la fiction de la réalité et chercher les marques du fictionnel


(existence d’un générique, sigle de la maison de production, …).

3) On est face à un système de références, l’intericonicité est très importante.


Ce film réutilise toute la mythologie créée par les images prises par les frères
Naudet. On n’est pas dans la citation simple des images de Jules et de Gédéon
car on réutilise leur contenu dans le film. Les réalisateurs ont voulu voir les
déclencheurs d’émotion et de terreur dans les images du documentaire.
Ce système d’intericonicité se situe à deux niveaux :
1) Au niveau du film catastrophe, du cinéma d’horreur. On veut
engendrer la peur, on met les choses dans l’obscurité, qui génère une
angoisse naturelle, et on crée un monstre qui fait référence à Godzilla, être
totalement terrifiant

2) Au niveau des références médiatiques aux attentats du 11 septembre


avec les images télévisuelles mais aussi avec celles des frères Naudet. Les
gens voient le monstre pour la première fois quand il regarde les médias à
la télévision.

 Critique d’identification
161

 Titre : Cloverfield

 Date : 2008

 Réalisateur : Matt Reeves.

 Récit : Une fête d’adieu est organisée pour Rob qui part travailler au
Japon. La soirée est filmée par Hub, son meilleur ami; pendant la soirée,
une attaque extraterrestre éclate à Manhattan

 Critique analytique
Il est important de comprendre dans quel contexte et dans quel état d’esprit le
film a été tourné.

 Sources émettrices : J.J. Abrams (producteur américain) et Matt Reeves


(réalisateur). Inspiré par le bloop (son ultra-basse fréquence) identifié
plusieurs fois en 1997. Il a imaginé que ces sons enregistrés pourraient
être la marque d’une autre présence. Il bâtit donc son scénario à partir
d’un monstre qui viendrait de la mer.

 Production: Paramount Pictures & Bad Robot Production (J.J. Abrams),


au départ d’une idée d’Abrams; coût de 25 millions de dollars.
Franchise/trilogie (10 Cloverfield Lane en 2016/The Cloverfield Paradox
en 2018). L’idée est de prendre des acteurs qui ne sont pas connus pour
augmenter ce sentiment de la réalité. Il y a toute une industrie du secret
qui se met en place dans la production : interdiction de parler du film
durant son tournage.

 Fonction du document : Divertir et faire peur. Faire peur, dans le cinéma


traditionnel d’horreur, cela veut dire exorciser quelque chose, faire une
162

catharsis. Ce film a pour but d’aider les gens qui ont vécus les attentats
du 11 septembre à exorciser leurs peurs, il est donc d’abord destiné aux
Américains et aux gens qui étaient sur place.

 La fréquence : Fiction (très grand taux de reproductibilité) + renvoyant à


des archives réelles largement diffusées (les images de Jules et de Gédéon
Naudet). Il y a énormément de copies de ce film qui circulent. Ce film est
fortement reproductible car il renvoie aux images des frères Naudet, qui
ont été vues énormément de fois.

 Réception (critiques) : Sortie aux USA en Décembre 2016, critiques


filmiques positives (renvoyant à l’aspect « cinéma-vérité »); box-office de
plus de 170,8 millions (sur 25 millions investis) de dollars de revenus de
façon internationale. La critique a fortement apprécié ce film car on ne
prend pas le spectateur pour un idiot. Le « cinéma-vérité » est une
construction mais aussi une captation de la réalité. Le box-office s’élève à
plus de 170,8 millions et ce chiffre ne comprend que les ventes en salle.

Ceci permet de faire une campagne publicitaire basée sur cet


effet de la réalité. Cette affiche est totalement énigmatique.
On se dit que quelque chose va se passer le 1er janvier 2008,
date de sortie du film. Mais ces chiffres et la photo ne disent
pas grand-chose de ce qui va nous être conté.
En outre, ils vont poster plusieurs vidéos, comme un film où une plateforme
pétrolière est attaquée et où tout le monde fuit. On a du mal distinguer le vrai du
faux car il y a des images de JT qui viennent du monde entier et qui nous parlent
de cet évènement mais en fait, on voit déjà le monstre. Ainsi, avant le film, il y a
déjà cette mise en place entre la fiction et la volonté de réalisme.
De plus, dans les salles de cinéma, on avait placé des affiches mettant en garde
sur les images.

 Contexte des films de genre en caméra subjective/’found footage’ : Blair


Witch Project (Eduardo Sanchez/Daniel Myrick, 1999) Rec (Jaume
Balaguero/Paco Plaza, 2008)
163

Le cinéma d’horreur existe depuis pratiquement la naissance du cinéma mais


c’est le genre qui vieillit le plus mal. Généralement, le public s’habitue à une
série de choses qui ne sont plus horrifiques, à un certain moment, on s’habitue à
ce type d’images.
Ainsi, dans les années 2000, on a cherché à renouveler les films d’horreur en se
demandant ce qui nous ferait le plus peur actuellement. On va faire des films
reprenant l’évolution des technologies (Blair Witch Project) et on va également
rendre les choses subjectives : on va nous mettre au milieu des évènements
d’horreur et on va les vivre avec les protagonistes. On va chercher à mettre en
place une implication du personnage et du spectateur.
Pour Blair Witch Project, on a fait toute une campagne de
« Avez-vous vu les trois personnages qui ont été tués ? ». Le
trouble va jusqu’au bout car il n’y a pas de générique de début
ni de générique de fin. On avait donc pas du tout cette
impression d’être face à un film fictionnel mais bien devant des
archives qu’on nous donnait à voir.

 « Found footage » : preuve de l’image réelle


On nous donne avant le début du film un processus d’archive qui renvoie à une
idée que ces images seraient réelles. On fait comme si la caméra avait été reprise
par l’armée.
Au tout début, on nous plante le décor. Rob prend la caméra avec lui et il se
ballade dans l’appartement. On présente les personnages centraux de manière
naturelle car Rob et Beth se filment tous les deux. Cette mise en place semble
réelle mais on est déjà dans la construction fictionnelle.
Soudain, la bande continue mais avec des images d’autres personnes. On fait
balader la caméra à des personnages secondaires qui vont la tester pour ne pas
rester dans la subjectivité d’un seul personnage.

 Premier extrait : introduction à la fête


La façon de filmer est vraiment chaotique. Le cadre
n’est pas très fixe car les gens ne savent pas filmer.
164

L’adresse à la caméra est très importante, les personnages peuvent donc


regarder vers la caméra car on n’est pas dans un système fictionnel où il y a un
quatrième mur, où on ne peut pas regarder la caméra et donc le spectateur.
Ainsi, on a un mouvement naturel qui se met en place en même temps qu’une
chronologie narrative.
On tient donc la caméra n’importe comment en prétendant qu’on n’a jamais
utilisé ce type de choses. On passe également de la réalité du direct à des images
qui ont été enregistrées avant car on va réenregistrer au-dessus de ces images.
Cela renforce la naturalité des choses. En même temps, tout est calculé pour
qu’on ait la présentation de tous les personnages et on donne des informations
au fur et à mesure où on voit les images. On explique les relations existantes, on
contextualise les évènements.

 Critique d’authentification
Longs plans/plans séquences : Assez courts, on retrouve cette idée de
dynamise du montage qui n’en est pas vraiment un. Ainsi, en apparence il n’y a
pas de montage mais bien que de courtes ellipses dues au mauvais maniement de
la caméra.
Angles de prise de vue : Construction naturaliste, les angles de prises de vues
dépendent des gestes de Jason + beaucoup de regards caméra (spontanéité). Les
regards caméra renforcent cette idée de spontanéité. On crée donc un contact
interdit d’habitude dans le cinéma classique.
Echelle des plans : plans totalement dépendants de l’action (dans cette
séquence assez serrés/plans épaule). On est dans une proximité vis-à-vis des
gens qui nous font face et qu’on veut filmer. On est donc dans un rapport
humain avec les autres.
Degré de lisibilité des images et d’éclairage : le degré de lisibilité est assez
faible car il y a très peu d’éclairage, la caméra est en mouvement constant, il y a
de multiples décadrages, des ellipses, …
Sons/dialogues : Pas de musique, que du son direct (dialogues, bruits, etc.)

 On pourrait donc se dire avec tout cela que ces images sont
authentiques
165

 Deuxième extrait : l’attaque


Quand il y aura l’attaque, Hud va être en train de documenter l’attaque. On
pense immédiatement aux frères Naudet car ils se sont aussi retrouvés dans la
situation de devoir documenter et archiver des évènements dans lesquels ils ont
été plongés de façon immédiate et inattendue.

 Critique d’authentification
La ressemblance avec les évènements du 11 septembre est assez sidérante sauf
qu’on est dans un espèce de synthèse. Là où les choses se sont déroulées sur des
heures pendant les attentats, tout est concentré ici. Tout ceci est donc en train de
réinitialiser des images qui ont été vues des milliers de fois SAUF que cela se
passe avec un monstre et dans l’obscurité.
Très longs plans/plans-séquence : En apparence, pas de montage, que de
courtes ellipses, zooms pour une action continue. On est au centre, on est dans
une immersion car on fait comme si on était celui qui tient la caméra. On
retrouve cette idée de filmer dans la continuité et dans le temps.
Angles de prises de vue : construction naturaliste, les angles de prises de vues
dépendent des gestes de Hud. Ils sont chahutés car il recule, il court. On a donc
un naturel de la captation.
Echelle des plans : Plans d’ensemble (mais aussi plans rapprochés, totalement
dépendants de l’action) + regards caméra (frontalité, subjectivité). Quand la tête
atterrie devant lui, il fait un zoom, comme Jules Naudet, pour ensuite dézoomer
pour montrer les gens qui sont autour. Il est donc en train d’apprendre à
maîtriser la technologie. Cette scène devrait lui faire tomber la caméra des mains
mais Hud assume quand même, il filme ce qui doit être filmé comme Jules
Naudet.
Degré de lisibilité des images et d’éclairage : Très peu d’éclairage, caméra en
mouvement constant, images chahutées, décadrages, courtes ellipses, etc.
Sons/dialogues : Pas de musique mais que du son direct (dialogues, cris, bruits,
…).

Tout est construit pour faire croire à une image en captation réelle… Mais
traces extérieures du faux: le/les monstres; la tête coupée de la Statue de la
Liberté (image numérique) : New York dévastée; l’utilisation des effets
spéciaux; + les indices externes – contexte de production (source analytique), de
166

diffusion, etc. On veut nous faire ressentir ce que les personnages pourraient
ressentir mais tout est construit. On a donc le sentiment du direct, de la réalité
mais tout ceci n’est qu’une construction.
+ Centralité et frontalité des personnages filmés (aucun hasard. Des indices
de fiction peuvent nous passer totalement sous le nez si on n’y fait pas attention,
comme quand la meuf retrouve le frère de Rob)
+ le récit romantique se construit peu à peu et est démultiplié dans plusieurs
couples mais aussi horrifique (les meurtres successifs) et la construction
scénaristique du récit

 Paradoxe entre le vrai et le faux

 Conditions du direct mais construction/mise en scène fictionnelle (Ex :


la caméra révèle les monstres sur le plafond qui sont en train d’arriver.
Ainsi, la caméra comme ‘révélateur’ … de monstres créés
numériquement). On n’est donc jamais dans une captation simple mais on
est toujours dans une construction

 Continuité des séquences pratiquement en temps direct, sans temps


morts (malgré quelques ellipses subtiles ou ‘coupures mécaniques’ de la
caméra)

 Caméra à l’épaule avec décadrages, images chahutées, zooms mais


personnages principaux presque toujours dans le cadre ou même au centre
du cadre

 Critique esthétique
Organisations et effets du film : Impression de captation réelle et spontanée,
de point de vue subjectif/immersif au cœur de l’action (monstres, obscurité,
inattendu) => Provoquer la peur. On a cette subjectivité et ce point de vue
d’immersion. La finalité du document et de tous ces éléments est de susciter
l’angoisse et la peur.
Points de vue : Variables en fonction de qui tient la caméra et qui filme (Rob,
Jason, Hud, Rob) au travers d’une caméra « personnifiée » => Cela permet de
ressentir l’effet physique. Ce film a des points de vue en fonction de qui prend la
caméra et il y a même parfois des points de vue sans personne derrière la
167

caméra. On a donc une variable, une démultiplication des points de vue en


fonction de qui tient la caméra et qui filme  Permet de ressentir l’effet
physique, la caméra est incarnée car on sent le corps tomber, courir, avoir peur
derrière la caméra
Ex : Scène où le plan est objectif car la caméra est posée à
terre mais il est également subjectif car Hud va reprendre
la caméra en main. Hud va se faire manger en direct par le
monstre. On a le point de vue de Hud = Nous avant de
se/nous faire engloutir.
Système de référence et d’intericonicité : renvoi explicite à des images
d’archives réelles (celles des frères Naudet), celles des attentats (attaques,
panique, escaliers, nuage, débris, etc.), mais certains trucages typiques des films
de SF/d’horreur (symbolique de la Statue de la Liberté à la tête coupée) et renvoi
à d’autres films de genre.
Ainsi, on a quelques références détournées (situation nocturne et pas diurne) aux
images des frères Naudet :
 La panique où les gens voient quelque chose mais on ne sait pas très bien
quoi

 Le nuage

 Le pont de Brooklyn, c’est-à-dire l’exode que cela a engendré

 Les retransmission médiatiques

 Dans les souterrains qui rappelé quand l’immeuble s’est effondré sur Jules
et puis qu’il a allumé la caméra

 Sous le nuage de débris. Gédéon et Jules Naudet reçoivent les débris sur
eux et ils se réfugient derrière des voitures

 Le son est très important car les frères Naudet ont dit qu’un bruit
apocalyptique leur parvenait quand les immeubles s’effondraient
 Troisième extrait : armée VS monstre
On revient à des choses connues et vues qui sont réutilisées à l’intérieur de ce
film de fiction. Le bruit dont le monstre est à l’origine et pas les tours elles-
mêmes. Le réalisateur fait quand même un plan sur des tours où se trouve
168

l’appartement de Beth. On se rend compte que les premières images du film ont
été filmées de ces bâtiments-là, on évoque donc les tours de façon anecdotique
 Intericonicité.

 Intericonicité
La tête coupée de la Statue de la Liberté apparaît dans de
nombreux films. Cette idée que la Liberté tombe
représente aussi une forme de terreur symbolique. En
outre, cela revient à évoquer toute une série d’autres
films (La Tour Infernal, intericonicité avec les images
des frères Naudet). Beaucoup de films mettent à mal cette Statue. On retrouve
également le nuage et la fuite des gens dans Batman VS Superman. Cloverfield
fait une référence explicite à Godzilla, monstre attaquant New-York.

 La fin
Tous les personnages sont des victimes successives de cette attaque du monstre
mais on continue à documenter et à avoir cet esprit d’archivage car le
personnage principal, Rob, dit à la fin qui il est et qu’il était là lors des
évènements. Le film ne se termine pas sur cela mais bien sur des images du
bonheur, sur l’escapade de Beth et Rob à Connie Island. Beth y dit « J’ai passé
une bonne journée » or c’est la pire journée de sa vie qu’elle a passée sur les
images principales de la bande. On a donc un espèce d’oxymore : mort de Beth
mais résurgence du bonheur qui est quand même possible.
Cependant, on clôture la fiction avec plein d’éléments : générique de fin, la
fameuse phrase « Les évènements et personnes vues ne sont pas réelles ». On
doit dire que c’est fictionnel et non-intentionnel si on y voit des références.
Cette dernière phrase est mise pour des droits d’auteur. Il y a donc cette volonté
de s’inspirer d’images réelles mais l’aspect commercial revient vers la fin du
film.

Conclusions
A l’examen, on devra analyser un extrait d’un des trois films vus selon les
quatre niveaux de critique : identification, analytique, authentification et
169

esthétique. On peut nous demander de définir ce que chacune de ces critiques


représentent en une ligne mais on nous demande surtout de l’application.
Pour la partie esthétique, il faudra répondre aux questions de la composition
(pour quel effet), du point de vue et des références/de l’intericonicité.
Il faut donc apprendre la terminologie (savoir ce qu’est l’échelle des plans, les
angles de caméra, le montage, …). On doit pouvoir faire la différence entre un
plan épaule et un plan taille.
Il faut déterminer le degré de construction de l’image, du plus objectif
(documentaire) au plus travaillé (fictionnel). On doit dire « ceci tient d’un film
de fiction avec quelques images réels » ou « images réelles renvoyant à des
films de fiction ». On doit donc renvoyer les images de l’extrait dans une échelle
de construction.
Il faut aussi revenir sur la fonction du document et toujours l’avoir en tête. Il
faut absolument prendre en compte le cadre. Cela va expliquer son degré de
construction.
L’analyse doit porter sur l’extrait lui-même, comme si on ne l’avait jamais vu.
On doit traiter ce qu’on voit dans l’extrait. Ainsi, on peut dire qu’un extrait est
authentique alors que le film ne l’est pas. Dans la critique d’identification, il faut
décrire ce qu’on voit dans l’extrait.
N.B. : Indice de fictionnel : les personnages se retrouvent pile devant la caméra

 Partir des 4 niveaux de la critique (identification, analytique, authentification,


esthétique)
 Pour la partie ‘esthétique’: composition (pour quel effet), point de vue,
références/intericonicité
 Apprentissage de la terminologie
 Détermination du degré de construction de l’image, du plus objectif
(documentaire) au plus travaillé (fiction)
 Fonction du document en ligne de mire (explique son degré de construction)

EXAMEN :
Extrait projeté qui fait maximum 3 minutes et qui est tiré d’un des trois films à
visionner. On va le voir deux fois. Sur le questionnaire, on aura une question :
170

« Analyser l’extrait en fonction des 4 critiques énoncées lors du cours ». On


devra savoir ce qu’on doit mettre dans les quatre formes de critiques,
l’analytique et celle d’identification étant quasi du par cœur.

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