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1– ARBITRAGE – CLAUSE COMPROMISSOIRE

Arbitrage et transport
Par Cécile Legros,
Professeur à l’Université de Rouen,
Directrice scientifique de l’IDIT

Les origines
Le règlement des litiges issus de relations de transport par la voie de l’arbitrage est ancien. Dès le
XVIe siècle, l’ordonnance de Moulins de 1566 sur la réforme de la justice autorisait le recours à
l’arbitrage. Mais c’est l’Ordonnance de la Marine de 1681 qui a érigé l'arbitrage en mode naturel de
règlement des litiges en matière maritime. Depuis, ce mode de règlement des différends n’a cessé de
se développer. Dans le domaine maritime, les institutions d’arbitrage spécialisées sont nombreuses 1.
Mais ce type de litiges peut aussi être traité dans le cadre d’autres chambres d’arbitrage non
spécialisées, telle la CAIP, à partir du moment où l’affaire implique un différend relatif à un transport
de marchandises. Ainsi, toutes les chambres d’arbitrage qui traitent de négoce international peuvent
être amenées à examiner des questions de droit des transports notamment dans le cadre de litiges
opposant des parties à un contrat de vente impliquant un déplacement de marchandises. Le plus
souvent, ces questions surgissent à l’occasion d’un contentieux entre vendeur et acheteur, à propos
des obligations respectives des parties dans l’organisation du transport de la marchandise vendue,
obligations découlant fréquemment du choix d’un des Incoterms2.

L’arbitrage maritime
A l’heure actuelle, c’est cependant encore dans le domaine du transport maritime que l’arbitrage est le
plus répandu3. L’essentiel du recours à l’arbitrage reposant sur la conclusion de clauses d’arbitrage,
plutôt que de compromis, cette réalité s’explique par le fait que l’usage des clauses compromissoires
dans ce domaine est fréquent. Ce sont plus précisément les chartes-partie (ou contrat d’affrètement)
qui contiennent ce type de clauses. Ces contrats-type, sont en général élaborés par les armateurs ou
des syndicats professionnels, selon des modèles standardisés. L’essentiel du contentieux concerne
ainsi les relations entre fréteur et affréteur de navire. Mais les litiges issus des contrats de transport
sont aussi parfois traités par voie d’arbitrage, en particulier lorsque le titre de transport maritime est un
connaissement4 dit « de charte ». Ces connaissements, renvoient ainsi aux conditions de la charte-

1
A Londres : London Maritime Arbitrators Association - LMAA ; à Tokyo, The Tokyo Maritime Arbitration
Commission of The Japan Shipping Exchange – TOMAC ; à New York : Society of Maritime Arbitrators –
SMA ; à Rotterdam Tran and Maritime Arbitration Rotterdam‐Amsterdam –TAMARA ; à Hambourg : German
Maritime Arbitration Association – GMAA ; ou encore à Paris, la Chambre Arbitrale Maritime de Paris –
CAMP…etc.
2
Voir notamment :
- sentence CAIP n°3174 - vente maritime CAF / Formule INCOGRAIN N°12 –– défaut de navigabilité du navire
affrété par le vendeur – responsabilité du vendeur (oui) – partage de responsabilité avec l’acheteur qui n’a pas pris
toutes les mesures pour protéger la marchandise et minimiser le dommage. International Yearbook Commercial
Arbitration 2013.
- Sentence CAIP n°3203 - vente maritime C&F / Formule INCOGRAIN N°12 – responsabilité de l’acheteur –
saisie du navire – refus de négocier une garantie avec le propriétaire du navire – retard du navire – surestaries à la
charge de l’acheteur. International Yearbook Commercial Arbitration 2015.
- Sentence CAIP n°3181 - vente maritime CAF – responsabilité du vendeur – état de navigabilité du navire –
navire de première cote – procédure abusive (non). Extraits sur le site de la CAIP.
3
Voir les extraits de sentences publiées annuellement par la revue de droit maritime français (DMF).
4
Le connaissement est un type de contrat de transport maritime ayant des propriétés particulières (notamment la
négociabilité permettant de transférer la propriété de la marchandise en cours de transport)

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partie5, d’où une applicabilité de la clause d’arbitrage figurant dans la charte. Cette extension de la
force obligatoire de la clause d’arbitrage aux contentieux nés du contrat de transport constitue l’une
des difficultés des rapports entre arbitrage et transport. En effet, le recours à l’arbitrage suppose en
principe un consentement préalable des parties en litige. Or, dans ce type de situation, les parties au
contrat de transport se voient imposer le recours à l’arbitrage, alors même qu’elles n’y ont pas
expressément consenti. Cette question de l’opposabilité des conventions d'arbitrage aux parties au
contrat de transport, et plus particulièrement au destinataire de la marchandise ou au tiers porteur du
connaissement, alimente jurisprudence et doctrine en débats nourris depuis des années. Elle
constitue l’un des points de friction les plus vifs du recours à l’arbitrage dans le domaine des
transports. La jurisprudence considère en effet que le litige entre un transporteur et un destinataire de
la marchandises doit être porté devant le tribunal arbitral dès lors qu'il n'existe pas de cause de nullité
ou d'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire 6. Ainsi, la clause n’est pas inopposable par
principe au destinataire bien qu’il n’y ait en général pas personnellement consenti. Cette question
pourrait d’ailleurs se rencontrer dans tous les modes de transport dans la mesure où tous les contrats
de transport de biens se caractérisent par leur nature tripartite (expéditeur, transporteur, destinataire),
les clauses dérogatoires de compétence étant le plus souvent insérées dans le contrat de transport
par le transporteur sans réelle négociation entre les parties.

La spécificité de l’arbitrage dans le domaine du transport


Il n’en reste pas moins que si cette question continue d’alimenter le débat sur l’opportunité du recours
à l’arbitrage dans ce domaine, ce mode de règlement des litiges s’avère approprié à bien des égards.
Les questions contentieuses dans le domaine du transport sont en effet complexes. Elles requièrent
l’intervention de spécialistes. Et même si au sein des juridictions consulaires on trouve des juges de
plus en plus spécialisés, le niveau de technicité requis n’est en général pas à la hauteur de la
spécificité de ce contentieux7. Or, l’arbitrage permet au contraire précisément de choisir une
composition de tribunal arbitral « sur mesure », en fonction de la nature du litige. La
professionnalisation des arbitres dans ce domaine est indispensable. Par ailleurs, au plan du fond du
droit, le droit des transports se caractérise par une pluralité de sources, légales internes ou
internationales, mais aussi par une place importante des usages du commerce international. Là
encore, la connaissance de ces usages par les arbitres est essentielle. Dans ce domaine, les
connaissances juridiques ne sont pas suffisantes, la présence de praticiens du transport dans les
arbitrages est nécessaire. Lorsqu’il est question de surestaries, ou encore de navigabilité des navires,
des professionnels du commerce maritime sont mieux à même de régler ces litiges. D’ailleurs,
certains centres d’arbitrage maritime8 n’admettent parmi les arbitres que des praticiens, par opposition
aux juristes.

Les perspectives
Le contentieux maritime reste indubitablement le terrain de prédilection de l’arbitrage. Néanmoins, il
convient de se demander si ce mode de règlement des litiges n’a pas vocation à se développer dans
d’autres sphères du transport. Dans les autres modes de transport, à l’exception du droit ferroviaire 9,
le recours à l’arbitrage international est en général licite 10. Il n’est cependant pas très répandu 11,

5
C’est le cas notamment des connaissements de la BIMCO. Une clause compromissoire CAMP est également
stipulée dans la charte-partie SYNACOMEX concernant le transport de grains.
6
Arrêt navire Pella, Cass. com. 21 février 2006, Clunet, Journal du droit international, n°2/2006, p.283, note C.
Legros.
7
Gazette de la CAMP, « L'arbitrage professionnel dans le domaine maritime », Compte-rendu de la réunion-
débat du 5 novembre 2013, Philippe Delebecque, Jean-Jacques Scordia et Olivier Jambu-Merlin :
www.arbitrage-maritime.org.
8
C’est le cas notamment de la LMAA.
9
Les Règles uniformes concernant le Contrat de transport international ferroviaire des marchandises (CIM) -
Appendice B à la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) du 9 juin 1999 –
n’autorisent pas les clauses d’arbitrage.
10
En matière de transport international de marchandises, il existe une convention applicable à chaque mode de
transport.
Certaines conventions internationales prévoient expressément le recours à l’arbitrage : Convention relative au
contrat de transport international de marchandises par route (CMR) du 19 mai 1956 : art. 33 ; Convention de
Varsovie du 12 octobre 1929 (Convention internationale pour l'unification de certaines règles relatives au
transport aérien international) : art. 32 ; Convention de Montréal du 28 mai 1999 (Convention pour l'unification
de certaines règles relatives au transport aérien international) : art. 34 ; Convention de Hambourg (Convention

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notamment dans le domaine des transports routiers où les clauses d’arbitrage sont rares. Pour ce qui
est du transport routier, cette désaffection apparente peut s’expliquer par le fait que nombre de litiges
se règlent à l’amiable ou sont couverts par les assurances, mais aussi par le montant
comparativement faible des enjeux financiers. Or, l’arbitrage reste réputé être une « justice de
riches ». Pourtant, nombre de centres d’arbitrage ont des barèmes de frais et d’honoraires d’arbitres
tout à fait raisonnables et qui pourraient convenir à ce type de litiges lorsqu’une phase contentieuse
est envisagée. A cet égard, la sensibilisation des fédérations professionnelles de transporteurs est
sans doute nécessaire.

Un autre type d’activité connexe au transport mérite également d’être évoqué, celui de la logistique.
En effet, de plus en plus, les transports et prestations annexes sont assurés par de véritables
industriels multi-services que sont les logisticiens. Or dans les contrats de prestations logistiques, en
particulier lorsqu’il s’agit de 3PL à 5PL 12, le prestataire se voit confier un ensemble de prestations
variées et variables, allant de la gestion de stock, au transport, en passant par l’emballage,
l’entreposage, le traçage des marchandises…etc. Ces contrats complexes, souvent d’assez longue
durée, génèrent des contentieux spécifiques qui mériteraient d’être traités par des spécialistes du
domaine. D’ailleurs, d’importants prestataires logistiques tels que DHL ou encore GEFCO incluent
déjà dans leurs contrats des clauses d'arbitrage.

Enfin, le développement de l'arbitrage dans l’ensemble du domaine du transport présenterait un réel


intérêt en matière d’harmonisation de la jurisprudence. L’arbitrage maritime est parvenu à dégager
des principes généraux qui gouvernent la matière au plan international. Ainsi, la même affaire sera en
principe jugée de manière très comparable quel que soit le centre d’arbitrage organisateur. La
jurisprudence arbitrale circule en effet et l’harmonisation de celle-ci procède en quelque sorte par
contagion.
C’est moins vrai pour les autres modes de transport, où faute de véritable juridiction internationale les
décisions rendues par les juridictions étatiques restent nationales, alors même que dans ce domaine
le droit applicable est le plus souvent une convention internationale. Or les arbitres, à la différence des
juges étatiques, n’ont pas de for. Ils sont ainsi plus enclins à interpréter un contrat international ou une
convention internationale dans une véritable perspective globale, en s’affranchissant des concepts et
pratiques nationaux, favorisant ainsi l’uniformité de l’application des textes internationaux.

Le domaine du transport offre donc de belles opportunités pour le développement de l’arbitrage. Le


Comité français de l'arbitrage13 a récemment mis en place un groupe de travail consacré précisément
aux relations entre arbitrage et transport14. Dans ce cadre, sont abordées les questions juridiques
sensibles, mais aussi les perspectives de développement de ce mode de règlement des litiges dans le
domaine du transport.

des Nations Unies du 31 mars 1978 sur le transport de marchandises par mer), appelée aussi « Règles de
Hambourg », non en vigueur en France : art. 22.
Pour d’autres, en l’absence de règle, le recours à l’arbitrage se fonde sur le droit commun : Convention de
Bruxelles du 25 août 1924 (Convention internationale relative à l'unification de certaines règles concernant les
connaissements) ; Convention de Budapest relative au contrat de transport de marchandises en navigation
intérieure (CMNI) du 22 juin 2001.
Voir : C. Legros, Compétence juridictionnelle : les conflits de normes en matière de contrats de transport
internationaux, Journal du droit international, n°3/2007, p.799 et n°4/2007, p.1081
11
En matière aérienne, les clauses d’arbitrage sont également fréquentes, en particulier dans les contrats
d’affrètement d’aéronefs, ou encore de leasing. Voir not. : Sentence CAIP n° 9676 – contrat de leasing d’un
aéronef - absence de paiement des factures par le preneur. Extraits sur le site de la CAIP.
12
Le « THIRD PARTY LOGISTICS PROVIDER (3PL), désigne une entreprise externe qui assure à titre principal
des opérations de logistique physique pour le compte d’une entreprise cliente – généralement le transport et/ou
un entreposage dynamique. Le « FOURTH PARTY LOGISTICS PROVIDER » (4PL) est un intégrateur qui
réunit ses propres ressources, capacités et technologies avec celles d’autres prestataires pour concevoir et
piloter des supply chain complexes. Le « FIFTH PARTY LOGISTICS PROVIDER » (5PL), d'emploi plus rare,
sert à désigner un prestataire externe qui coordonne les activités des entreprises sous-traitantes et qui conçoit de
nouvelles solutions logistiques en s'appuyant sur des systèmes d'information et des technologies adaptées. Voir :
J. Kembeu, Les contrats de prestations logistiques : contrats complexes ou contrats sui generis ?, Thèse
Université de Rouen 2014 (Dir. C. Legros).
13
Le Comité français de l'arbitrage est une société savante dont l’objet est le développement et le
perfectionnement de l'arbitrage.
14
http://www.cfa-arbitrage.com/index.php?option=com_content&view=article&id=100:arbitrage-et-
transports&catid=38:groupe-de-travail&Itemid=130.

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