IPC brochure
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L’île-Planète
reportage audiovisuel de
Dany MARIQUE
Enfant, elle représentait pour moi une île mystérieuse, complètement dé-
sertée et inaccessible au milieu de nulle part, une île défendue par d’énormes
géants de pierre au regard vide, des têtes dépassant à peine les herbes hautes...
Après la fameuse conférence de Francis Mazière vers 1965 par là, l’île de Pâ-
ques s’est brusquement peuplée.., mais elle restait toujours mystérieuse ! Fran-
cis a eu ce grand mérite d’attirer mon attention sur un peuple - qui fabriqua jadis
ces statues - et qui survivait tant bien que mal dans un Chili dominateur.
Au cours des voyages, les statues ont perdu un peu de leur mystère. Par
contre mon inquiétude s’éveillait sur la fragilité de ce bout de terre fiché en
plein océan. Et surtout d’ailleurs pour les autochtones, ces Rapanui qui - malgré
un passé fabuleusement productif - ne parviennent pas à se configurer dans le
monde actuel (mais le faut-il ?) J’ai voulu leur donner la parole.
Pour ce reportage, ma démarche s’est centrée sur une double idée : d’une
part une civilisation ancienne disparaît parce qu’elle utilise mal son lieu de vie,
et d’autre part, un peuple - qui vient de naître à la “civilisation” - risque aussi de
disparaître, entraîné dans le tsunami de la mondialisation. C’est vrai que c’est ce
qui se passe un peu partout. Pourquoi le dire alors ? Parce qu’ici, c’est le lieu
habité le plus isolé de notre planète, et dans cette singulière insularité, la cons-
cience du problème n’en est que plus évidente. Parce que ce peuple devient le
symbole même de notre humanité, et l’île est une métaphore pour la planète.
Elle nous apprend qu’en ignorant notre environnement naturel et humain, c’est
notre propre futur que nous feignons d’ignorer.
Dany Marique
Il ne sert à rien à l’homme de gagner la lune s’il vient à perdre la terre.
(François Mauriac)
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Il est au milieu du grand océan...
Île de Pâques ou Rapa Nui. Une situation stratégique enviable dans le Sud-est
de l’océan Pacifique, et à la limite Est de l’Océanie. Pour être tout à fait précis :
27°09’ S - 109°27’ W. Elle fait géographiquement partie de la Polynésie, à 3.700
km des côtes du Chili et 4.000 km de Tahiti. Elle possède une superficie de 162,5
km² (de la forme en gros d’un triangle.) Elle porte ou a porté divers noms. En
espagnol - langue imposée par le Chili auquel elle appartient : isla de Pascua. En
rapanui (langue autochtone non officielle) : Rapa Nui (grande île). Mais aussi
Mata Ki Te Rangi (des yeux regardent le ciel) ou Te Pito te Henua (le nombril du
monde). Sans oublier d’anciens noms comme Île de Davis (premier européen à
l’apercevoir), Paasch Eyland (à sa découverte par les Hollandais), San Carlos
(lors de son annexion virtuelle à l’Espagne) et Waïhou (nom rapporté par Dumont
d’Urville, explorateur français.) Sa capitale est Hanga Roa, avec environ 4.400
habitants, c’est aussi le seul village ! L’île de Pâques – ou mieux Rapa Nui - est
enfin le lieu habité le plus isolé de la planète, connu du monde entier pour ses
monumentales statues ou Moaï.
Premier peuplement. Dès le 2ème millénaire av. JC, le Pacifique est colonisé
par les Polynésiens. L’île de Pâques sera le dernier point atteint : une arrivée de
20 à 50 migrants dans des canots pouvant transporter chacun quelques 8.000 kg.
A ce moment, elle est couverte d’une forêt subtropicale depuis au moins 35.000
ans. Dates et origine précises des premiers migrants restent controversées. La tra-
dition des Rapanui attribue le premier peuplement au roi Hotu Matua, venu avec
son clan d’une île de Polynésie appelée Hiva. C’était assez commun en Polyné-
sie : pour échapper aux querelles de clans ou aux catastrophes naturelles, ou par-
fois lorsqu’elles étaient bannies d’une île, des familles entières s’expatriaient sur
des bateaux à balancier (simple pour des allers-retours, double pour ne plus reve-
nir). Les Polynésiens sont des peuples de la mer et des îles.
Dans les années 1950, la date du premier peuplement est estimée - par des mesu-
res au radiocarbone - aux alentours de 400 ap. JC. Mais en 2006, de nouvelles
mesures suggèrent des dates beaucoup plus récentes, vers 1000 ap. JC (Terry
Hunt propose même 1200.) Lorsqu’on pense à l’Australie - peuplée par les Abori-
gènes depuis 60.000 ans au moins, l’île de Pâques apparaît alors comme le der-
nier territoire du globe atteint par l’homme…
1864 : Premier occidental à vivre et mourir sur l’île, le français Eugène Eyraud,
frère capucin, s’emploie à convertir les canaques - comme on les appelle alors. Il
recense 1.800 âmes. Mais les rares survivants ramenés du Pérou introduisent la
variole, et l’épidémie décime plus de 1.000 individus. En 1872 : 400 habitants.
2007 : En juillet, Michèle Bachelet, présidente du Chili, fait entériner par le Par-
lement le projet de “territoire spécial”. Même s’il ne correspond pas aux souhaits
de tous les Rapanui, ce statut permettra une autonomie sur beaucoup de matières.
Lorsqu’il sera d’application, ce sera le quatrième changement de statut. L’île
de Pâques sera alors dotée d'un gouvernement insulaire (Gobernación Insular)
avec des compétences en matière de sécurité, d'accueil des étrangers, des doua-
nes, des transports et télécommunications, des biens nationaux et ouvrages pu-
blics y compris ports et aéroports. Issu de la tradition locale, l'importance histori-
que du Conseil des Anciens est reconnue. Il conservera des compétences en ce
qui concerne la tradition, la langue et la culture. La Municipalité administrera les
domaines liés aux services publics, tourisme, développement urbain, environne-
ment, éducation, santé et hygiène, assistance sociale, sports et loisirs, transports.
Bref, les trois instances déjà existantes se retrouvent dans le projet futur ! Mais
les trois ne représentent pas l’ethnie rapanui de la même manière. Il sera pourtant
urgent de s’accorder, car d’une part les Rapanui deviennent une minorité sur leurs
propres terres, et d’autre part de nombreux groupes d’investisseurs tentent de
convertir l'île au tourisme de masse pour y construire de luxueux hôtels, un golf,
un casino… Comme la terre n’appartient qu’à l’état ou aux Rapanui, et qu’elle ne
peut être vendue, ces entrepreneurs cherchent à former des consortiums avec
les autochtones. La bataille pour la terre a commencé… 11
Us et usages, anthropologie sociale…
Aéroport. Dans les années 1970 la NASA a agrandi la piste de l’aéroport Mata-
veri, créant ainsi un terrain d'atterrissage d'urgence pour les navettes spatiales. On
imagine le “loyer” payé à l’état chilien pour cette base au milieu du Pacifique.
C’est l’aéroport le plus isolé du monde, une escale quasiment obligée entre l’A-
mérique du Sud et la Polynésie. Seule la compagnie LAN Chile, maintenant pri-
vatisée, a le droit d’y atterrir. Ce monopole porte préjudice d’abord aux Rapanui
qui y voient une limitation évidente de leurs libertés. Il assure aussi un contrôle
(ou un moyen de pression ?) sur l’approvisionnement en denrées, en biens de
consommation, et en tourisme. Il procure enfin un avantage aux agences de voya-
ges de l’extérieur au détriment de la capacité de travail des agences locales. A
remarquer : il n’y a pas de port pour transatlantiques à l’île de Pâques. Les croi-
sières doivent débarquer leurs passagers par navettes (si la météo le permet...)
Eau, électricité. Depuis peu, un réseau de distribution est disponible, avec plu-
sieurs stations de pompage dans les nappes phréatiques. Actuellement, le pro-
blème n’est pas tant la disponibilité de l’eau que sa potabilité, et surtout le recy-
clage des eaux usées. Le tout-à-l’égout renvoie les eaux vers les nappes. Mais la
couche de terrain ainsi que la proximité immédiate de l’océan ne peuvent assurer
une filtration naturelle. On propose de placer des stations de recyclage individua-
lisées, d’abord aux installations hôtelières, ensuite aux particuliers. Pour l’élec-
tricité, le réseau de distribution fonctionne grâce aux générateurs diesels. Des
chutes de tension et des coupures de courant sont fréquemment observées en
haute saison touristique, particulièrement lors des festivités du Tapati (la fête
annuelle de Rapa Nui.) Pour protéger leurs installations (frigos, eau chaude...),
certains hôtels se sont équipés d’un générateur d’appoint, quelques uns se tour-
nent aussi vers les panneaux solaires. Dans les chambres, les clients trouveront
souvent des allumettes et une bougie..!
Ecosystème. Rapa Nui est un tout petit système fermé par des limites bien mar-
quées, la mer et le ciel à l’infini. Tout est y mesurable, tout ce qui entre et tout ce
qui sort. Les changements sont délimités et reconnaissables. L’impact de tout est
quantifiable - y compris la pénétration d’idées de l’extérieur - et cela d’autant
plus facilement que ce système est fragilisé par sa taille réduite et son extrême
isolement et, on l’oublie souvent, par l’ouverture très récente au monde mo-
14 derne. La période charnière se situe au cours des années 1960. Polynésiens
orgueilleux de leurs traditions, les Rapanui
ont subi l’arrivée massive des “Conti”.
L’immigration apporte des modifications
des valeurs économiques et socioculturel-
les. Mais le métissage qui en découle dilue
en plus le patrimoine génétique, altère éga-
lement sa manière de vivre, sa langue et sa
culture. Au travers des outils de l’anthro-
pologie sociale comme la mortalité, la na-
talité, l’immigration ou le mariage, il est
possible d’avoir une compréhension plus
claire des interférences, et partant des bon-
nes questions à se poser.
Infrastructures en général. Une église catholique bien située (et plusieurs autres
cultes disséminés, genre secte parfois), une poste, un centre téléphonique et des
cabines, des banques (et un distributeur ATM), une nouvelle pharmacie, des tas de
magasins (épicerie, mode, quincaillerie, souvenirs...), un grand supermarché +
deux ou trois petits, deux marchés couverts autochtones (artisanal, fruits – légu-
mes - poissons), des snacks, cafés, restaurants, des services informatiques, des
accès à internet, des agences de voyages et de location de véhicules, des hôtels de
toute catégorie (avec ou sans piscine, air conditionné, etc.), des maisons d’hôtes,
un camping, deux discothèques... Le touriste ne sera pas dépaysé : les rues princi-
pales ne sont que boutiques et commerces. Plusieurs compagnies de radio-taxis,
mais il n’y a toujours qu’une seule pompe à essence !
Langue. La politique linguistique appliquée à l'île de Pâques est celle d’un pays
dominant de langue espagnole. Au mieux, c’est une politique indigéniste dont
l'essentiel réside dans l’éducation bilingue. Les programmes d’études du Chili ne
répondent pas aux besoins de ces polynésiens, ils n’intègrent aucun élément de la
culture rapanui. Sur l’île, les enfants rapanui sont obligés de connaître l'espagnol,
alors que les enfants d'origine chilienne n'ont pas à apprendre le rapanui. Les au-
tochtones sont dans l'obligation de développer le bilinguisme, alors que les
“Conti” (ceux du continent) s’en tiennent à la seule langue espagnole. Et on s’é-
tonne alors que les Rapanui ne se sentent que modérément chiliens !
Santé. Dans l’ensemble, les services de santé sont meilleurs que dans les régions
isolées du Chili. L’hôpital dispose d’une ambulance, d’un médecin et d’un den-
tiste ainsi que d’une sage-femme. Et on annonce un nouvel hôpital, plus grand,
plus moderne. Mais il y a un grand problème de confiance et de relation avec le
praticien : les médecins sont des stagiaires chiliens à peine sortis de l’université,
peu expérimentés et en rotation fréquente... Pour les petits problèmes, les Rapa-
nui préfèrent ne pas consulter - ce qui se traduit dans les statistiques par une
bonne santé de la population ! Cela explique aussi le fait suivant : bien que rési-
dant sur l’île, les futures mères préfèrent accoucher à Santiago, éventuellement à
Tahiti. Les bébés rapanui ne naissent pas sur l’île !
Voirie. Un vrai casse-tête ! L’augmentation rapide du tourisme n’y est pas pour
rien (un touriste consomme et pollue davantage qu’un autochtone.) Il existe des
camions poubelles et un ramassage régulier des ordures. Cependant, rien n’est
fait directement sur les sites archéologiques (sauf par Piru Hucke Atan- voir re-
portage.) On compte sur la bonne volonté des touristes ! Il existe aussi une usine
de retraitement - ou plutôt de compactage - des emballages plastiques et métalli-
ques, mais se pose le problème de l’enfouissement : pas beaucoup de place ! Tous
les autres détritus sont mis à la décharge, parfois recouvert de terre, au risque
d’empoisonner les nappes phréatiques et le sol pour une petite éternité... En mai
2007, pourrissaient là encore des éléments de décor du film de Kevin Costner
(1993) ! Puisque le Chili n’accepte pas de reprendre les déchets qu’il a contribué
à amener, certains préconisent de jeter tout ça à l’océan pour repousser l’é-
chéance de la pollution définitive de l’île...
Voyager à Rapa Nui. Il est très facile de préparer son voyage en quelques clics
de souris : réservation d’avion et logement. En fait – sauf au moment des fêtes du
Tapati (en gros les 15 premiers jours de février), l’avion seul suffit car les Rapa-
nui attendent les touristes dès l’aéroport. Le transfert à l’hôtel ou la pension est
toujours inclus. Prévoir cependant de passer une nuit à l’aller et/ou au retour à
Santiago en fonction des horaires aériens. Une fois débarqué à Hanga Roa, tout
se trouvent aisément : tour organisé avec guide en français ou location de voiture,
jeep, moto en tout genre dont les quads, vélo ou cheval, au choix ! Tous les servi-
ces utiles au touriste s’y trouvent, banque, pharmacie, poste, souvenirs, tout ! Les
routes du village sont asphaltées. De même, la route directe qui rejoint la plage
d’Anakena (seule véritable plage avec palmiers genre Tahiti) et celle qui longe la
côte Sud des ahu côtiers. Tous les sites importants sont accessibles en voiture
ordinaire (et un peu de marche), mais ne pas crever un pneu sur une piste caillou-
teuse n’est pas garanti !
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Thème principal abordé.
Pâques est l’île habitée la plus isolée au monde. Elle est aussi l’un des sites ar-
chéologiques les plus bouleversants de l’Humanité, un vieux rêve pétrifié à ja-
mais. C’est encore une des toutes grandes énigmes de l’univers, mais avec com-
bien de bêtises et de faux mystères..! Et c’est enfin l’histoire d’une ethnie proje-
tée de l’âge de la pierre à la mondialisation. Une ethnie qui s’interroge sur son
passé, sur son identité, et sur ses capacités à gérer l’avenir. Parce qu'ils sont sur
une île - milieu fermé et autarcique jusqu'à il y peu - les Rapanui ont développé
une acuité à percevoir le risque d’extinction de leur race. Pâques, c’est l’in-
croyable histoire d’une île à priori insignifiante et isolée qui devient l’histoire
de toute notre planète, avec sa colonisation humaine, ses prodigieuses réalisa-
tions, la destruction de son environnement, et cette volonté tenace des hommes
à renaître encore et toujours, et croire en leur futur.
Remerciements.
Delphine & Keva ATAN - Nicolas CAUWE - Ricardo CRISOSTOMO - Fran-
çois DEDEREN - Julie & Jacques DIEU - Patrick FERRYN - Nikko, Vicky &
Sonia HAOA - Edgar HEREVERI - Victor “Luis” HEY - Alberto HOTUS -
Piru & Agterama HUCKE ATAN - Priscilla MOUBARAK - Catherine OR-
LIAC - Alfonso RAPU - Enrique PAKARATI - Carmen PAOA - Claudia
PATE IKA - Elsa PONT - Carlos SALINAS “chocotuf” - Angela & Jony TU-
KI HAGER - Mario TUKI… et tous ceux qui, par leur aide ou leur sympathie,
ont contribué à la réalité de ce reportage.
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Adresses et sites Internet
(recommandez-vous de Géodyssée ou montrez cette brochure sur place - merci).