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PÂQUES,

L’île-Planète

reportage audiovisuel de
Dany MARIQUE

Carte et biographie ..................2


Pâques, île-Planète .…….........3
Il est au milieu du grand océan... ….………..4
Us et usages, anthropologie sociale .................12
Remerciements ………….19
Adresses et sites internet …………..20
Dany Marique, né en 1949, belge. Biochimiste et envi-
ronnementaliste (ULB), journaliste et conférencier de
tourisme (FIJET, UBJET, ACFB). Président-fondateur
de l’asbl Géodyssée, de Odyssée des Peuples
(Reportages Audiovisuels) et de Géomédi@ (Centre
multimédia du Voyage Humain). Outre quelques arti-
cles et l’accompagnement de voyages de rencontre et de
témoignage, Dany propose des séminaires aux étudiants
sur des thèmes d'éthique et d'écologie du tourisme. De-
puis des années, le reportage audiovisuel est sa passion : des réalisations centrées
sur la rencontre des peuples et minorités ethniques du monde, présentées tant en
Belgique qu’en France et primées lors de festivals. A chaque fois, l'accent est mis
sur les populations, le respect de leurs coutumes et croyances, sur leurs problè-
mes d'environnement et sur la fragilité des écosystèmes. Vingt audiovisuels réali-
sés; parmi ceux-ci figurent : Yémen, Égypte, Pérou, Patagonie, Sibérie, Jordanie,
Andes Centrales, Chine du Sud, Pakistan, Déserts du Monde et Namibie. Actuel-
lement, en tournée avec Pâques, île-Planète, il prépare de nouvelles conférences
sur l’Australie des Aborigènes et sur les Peuples du Sahara, ainsi qu’un film en
collaboration avec Patrick Ferryn.

Contact : geodyssee.asbl@skynet.be - Tel. +32(0)4-343.36.57 (répondeur).

2 18ème année www.geodyssee.org


PÂQUES,
Île-Planète

Enfant, elle représentait pour moi une île mystérieuse, complètement dé-
sertée et inaccessible au milieu de nulle part, une île défendue par d’énormes
géants de pierre au regard vide, des têtes dépassant à peine les herbes hautes...
Après la fameuse conférence de Francis Mazière vers 1965 par là, l’île de Pâ-
ques s’est brusquement peuplée.., mais elle restait toujours mystérieuse ! Fran-
cis a eu ce grand mérite d’attirer mon attention sur un peuple - qui fabriqua jadis
ces statues - et qui survivait tant bien que mal dans un Chili dominateur.

J’ai commencé à voyager au Chili pendant l’hiver 76-77. Et par la suite,


j’ai eu la chance d’héberger chez moi l’ancien juge de Rapa Nui (vrai nom de
l’île de Pâques), un homme qui aimait cette île et me l’a racontée. Il a fortement
renforcé mon envie d’y aller. Pour tout grand voyageur, c’est une destination
mythique. Je n’ai réussi à réaliser ce rêve qu’en 1988, mais depuis je m’y suis
rendu à 7 reprises. Et je compte encore y retourner…

Au cours des voyages, les statues ont perdu un peu de leur mystère. Par
contre mon inquiétude s’éveillait sur la fragilité de ce bout de terre fiché en
plein océan. Et surtout d’ailleurs pour les autochtones, ces Rapanui qui - malgré
un passé fabuleusement productif - ne parviennent pas à se configurer dans le
monde actuel (mais le faut-il ?) J’ai voulu leur donner la parole.

Pour ce reportage, ma démarche s’est centrée sur une double idée : d’une
part une civilisation ancienne disparaît parce qu’elle utilise mal son lieu de vie,
et d’autre part, un peuple - qui vient de naître à la “civilisation” - risque aussi de
disparaître, entraîné dans le tsunami de la mondialisation. C’est vrai que c’est ce
qui se passe un peu partout. Pourquoi le dire alors ? Parce qu’ici, c’est le lieu
habité le plus isolé de notre planète, et dans cette singulière insularité, la cons-
cience du problème n’en est que plus évidente. Parce que ce peuple devient le
symbole même de notre humanité, et l’île est une métaphore pour la planète.
Elle nous apprend qu’en ignorant notre environnement naturel et humain, c’est
notre propre futur que nous feignons d’ignorer.
Dany Marique
Il ne sert à rien à l’homme de gagner la lune s’il vient à perdre la terre.
(François Mauriac)
3
Il est au milieu du grand océan...
Île de Pâques ou Rapa Nui. Une situation stratégique enviable dans le Sud-est
de l’océan Pacifique, et à la limite Est de l’Océanie. Pour être tout à fait précis :
27°09’ S - 109°27’ W. Elle fait géographiquement partie de la Polynésie, à 3.700
km des côtes du Chili et 4.000 km de Tahiti. Elle possède une superficie de 162,5
km² (de la forme en gros d’un triangle.) Elle porte ou a porté divers noms. En
espagnol - langue imposée par le Chili auquel elle appartient : isla de Pascua. En
rapanui (langue autochtone non officielle) : Rapa Nui (grande île). Mais aussi
Mata Ki Te Rangi (des yeux regardent le ciel) ou Te Pito te Henua (le nombril du
monde). Sans oublier d’anciens noms comme Île de Davis (premier européen à
l’apercevoir), Paasch Eyland (à sa découverte par les Hollandais), San Carlos
(lors de son annexion virtuelle à l’Espagne) et Waïhou (nom rapporté par Dumont
d’Urville, explorateur français.) Sa capitale est Hanga Roa, avec environ 4.400
habitants, c’est aussi le seul village ! L’île de Pâques – ou mieux Rapa Nui - est
enfin le lieu habité le plus isolé de la planète, connu du monde entier pour ses
monumentales statues ou Moaï.

Civilisation rapanui. Les énor-


mes statues, c’est évidemment
une image stéréotypée ! Il y a
beaucoup plus que cela sur cette
minuscule île. Elle est un musée
à ciel ouvert, un condensé de ves-
tiges mégalithiques, un des sites
archéologiques les plus boulever-
sants du monde -vieux rêve de
l’humanité pétrifié à jamais. La
civilisation rapanui elle-même
reste l’une des dernières énigmes
de l’Histoire, mais avec combien de bêtises et de faux mystères..! Les archéolo-
gues estiment à plus de 5.000 les sites dignes d’intérêt. En plus des 900 Moaï de
pierre, le patrimoine antique comprend 300 autels de pierre (ou ahu) sur lesquels
étaient disposés les statues; plus de 1.000 lieux d’habitations (hare paenga et ana
paenga); plus de 560 abris-poulaillers (hare moa); au moins 200 pétroglyphes et
figurines de pierre taillée; une centaine de grottes aménagées et de structures agri-
coles (terrasses, canalisations, retenues d’eau, champs de scories...); et 1.000 au-
tres constructions de l’homme dont on n’a pu déterminer la destination exacte.
Sans oublier aussi, répartis dans les musées du monde, une bonne vingtaine de
“tablettes parlantes” ou rongo-rongo (une écriture non déchiffrée à ce jour),
4
et des centaines de sculptures en bois, en pierre ou en tapa (écorce d’arbustes.) Le
plus étonnant n’est pas la quantité mais, d’une part les formes - rares pour ne pas
dire uniques, et d’autre part la densité de travail produit pour le temps et l’espace
considéré.

Premier peuplement. Dès le 2ème millénaire av. JC, le Pacifique est colonisé
par les Polynésiens. L’île de Pâques sera le dernier point atteint : une arrivée de
20 à 50 migrants dans des canots pouvant transporter chacun quelques 8.000 kg.
A ce moment, elle est couverte d’une forêt subtropicale depuis au moins 35.000
ans. Dates et origine précises des premiers migrants restent controversées. La tra-
dition des Rapanui attribue le premier peuplement au roi Hotu Matua, venu avec
son clan d’une île de Polynésie appelée Hiva. C’était assez commun en Polyné-
sie : pour échapper aux querelles de clans ou aux catastrophes naturelles, ou par-
fois lorsqu’elles étaient bannies d’une île, des familles entières s’expatriaient sur
des bateaux à balancier (simple pour des allers-retours, double pour ne plus reve-
nir). Les Polynésiens sont des peuples de la mer et des îles.

Dans les années 1950, la date du premier peuplement est estimée - par des mesu-
res au radiocarbone - aux alentours de 400 ap. JC. Mais en 2006, de nouvelles
mesures suggèrent des dates beaucoup plus récentes, vers 1000 ap. JC (Terry
Hunt propose même 1200.) Lorsqu’on pense à l’Australie - peuplée par les Abori-
gènes depuis 60.000 ans au moins, l’île de Pâques apparaît alors comme le der-
nier territoire du globe atteint par l’homme…

A la lumière des dernières données archéologiques, voici en gros ce qu’on


peut dire. D’abord on penche pour une seule origine polynésienne, une mi- 5
gration homogène en une seule vague. Cette première installation ne se situe pas -
semble-t-il - avant l’an 1000 ap. JC. Les premières traces d’anthropisation (action
de l’homme sur le paysage) datent de ce moment. De ce que l’on sait sur la
culture, la langue et les coutumes, ces premiers migrants semblent provenir de
l’axe Marquises - Gambier - Mangaréva. Ils savaient manifestement naviguer,
tailler la pierre et le bois, cultiver, élever des poulets.., mais ils ne connaissaient
ni le métal, ni la roue. On ne peut cependant qualifier tout cela de faible niveau de
technicité. La diète est constituée de dauphins, poissons et crustacés, rats et pou-
lets, des oiseaux et des tortues, des œufs... La déforestation de l’île commence
directement. Cette dégradation de l’environnement est attestée par l’étude des
pollens. Plus de 40 variétés d'arbres préexistaient, aujourd'hui toutes disparues.

Le temps des Moaï. On situe actuellement la période


dite “des Moaï” entre 1200 et 1600. La légende af-
firme que le tout premier Moaï érigé fut celui de Hotu
Matua himself ! Les quelques dates disponibles pour
les ahu (les plateformes pour les statues) ne remontent
pas avant. La population rapanui est répartie en plu-
sieurs clans sur l’île. La religion est basée sur le culte
aux Anciens, le Moaï représentant l’ancêtre protecteur
du clan ou de la famille. Mais les problèmes apparais-
sent : compétition entre les clans et déforestation trop
rapide. Vers 1400-1500, disparition complète des palmiers, surexploitation de la
faune terrestre et marine (rats, poulets, coquillages, langoustes...) Vers 1550, la
population atteindrait son maximum, estimée à 10.000 habitants.

La disparition des arbres entraînent une perte d’approvisionnement (plus de suc


de palme, de noix ou de fruits, d’oiseaux et leurs œufs.) Plus de bois non plus
pour les bateaux de pêche, pour déplacer les statues, pour les armatures des habi-
tations, ou pour faire la cuisine... Avec la déforestation vient également l’érosion
puis le lessivage des sols par les pluies. La survie ne dépendant plus que de l’agri-
culture, les pratiques agricoles s’adaptent : on cultive sur champs de scories et
dans les manavaï (grottes naturelles aménagées.) Une partie de la population est
détournée de la construction des statues au profit de la production vivrière. Cha-
que abandon d’ahu va de pair avec une exploitation agricole : on utilise la surface
libérée. Les ahu ont donc une durée de vie limitée et les Moaï peuvent même dé-
ménager ! La société perd de sa cohésion, c’est le collapse, un effondrement ou
une rupture dans la civilisation rapanui. Il y a abandon rapide de la carrière, ré-
bellion contre les chefs incapables de gérer la crise, modification progressive de
la religion. Les Moaï seront progressivement jetés par terre bien que les ahu ser-
viront sans doute encore de sépultures.
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Le temps de l’Homme-Oiseau. De
1500 à 1800, c’est une période
troublée de survie, de réadaptation
mais aussi des premiers contacts
avec l’occident. D’abord viennent
des guerres claniques, probable-
ment de l’anthropophagie quasi-
ment organisée. Rébellion vers
1650 : déclin de la population, lié à
la disparition des ressources avec
de grands bouleversements dans
l’organisation sociale, dans les pratiques religieuses et funéraires. Les Rapa nui
reviennent à d’anciens dieux polynésiens dont principalement le Make-Make,
dieu de la création et de la fécondité qui s’incarne dans l’hirondelle de mer
(sterne), un oiseau migrateur. Un nouvel ordre social et une nouvelle religion
s’installent, avec un culte unique pour fédérer les clans, pour remplacer les que-
relles et les razzias : une compétition qui célèbre le retour annuel du dieu. Le
Make-Make est supposé choisir le clan qui va posséder le pouvoir. Descendant du
haut de la falaise à Orongo (site cérémonial sur le volcan rano Kao), les concur-
rents affrontaient le ressac et les requins avant de rejoindre les îlots Motu, où ils
attendaient la ponte des sternes. Le champion était celui qui ramenait le
premier œuf de l’année. Il désignait ainsi son chef de clan comme
Homme-Oiseau, dépositaire pour un an du Mana, l’é-
nergie indispensable à la survie de
l’île ! Sur Orongo, d’innombrables
pétroglyphes attestent de cet
étrange rite, des œuvres anthropo-
morphes représentant l’Homme-
Oiseau et le Make-Make.

On n’a pas de précision sur quand débute réellement le culte de l’Homme-Oiseau,


mais il se termine en tout cas en 1864, à l’arrivée du premier missionnaire. Entre-
temps l’île a déjà été découverte par le “monde civilisé” ! Les Rapa Nui décou-
vrent qu’ils ne sont pas seuls dans l’univers, ils espèrent beaucoup de ces hom-
mes nouveaux : ils seront vite déçu.

Découverte occidentale. Le premier européen à apercevoir l’île fut le corsaire


Edward Davis à bord de son bateau Bachelor’s Delight, en 1687. Il cru en fait
avoir trouvé le légendaire continent du Sud, la Terra Australis Incognita que Mer-
cator imaginait déjà en 1541 comme un contrepoids planétaire aux masses conti-
nentales de l’hémisphère nord ! Mais - en quête d’une route entre les Galápagos
et le Cap Horn - Davis ne débarqua pas… 7
1722 : A la tête de trois navires, le hollan-
Quand les explorateurs hollandais
dais Jacob Roggeveen accoste le dimanche
accostèrent, ils trouvèrent de gi-
de Pâques de l’an 1722. Un des Moaï sur le
gantesques et troublantes statues
rano Raraku (le volcan-carrière des statues)
de pierre, un paysage désolé et des
présente sur le ventre une ébauche de grand
habitants confrontés à une raré-
navire à voile, on pense donc qu’un autre
faction de la nourriture et du bois.
bateau est passé là avant Roggeveen, mais
Depuis, Rapa Nui est considéré
il n’en reste aucune autre trace... Donc le
comme l'exemple type d'une
premier nom occidental sera hollandais :
culture florissante qui s'est
Paasch Eyland (île de Pâques), attribué
condamnée elle-même en détrui-
ainsi au lendemain du jour de la décou-
sant son fragile cadre de vie.
verte. Roggeveen estime le nombre d’habi-
tants à environ 5.000 répartis en 15 clans
familiaux. Mais ce premier contact ne se passe pas très bien, il préfigure la suite :
11 Rapanui sont tués par les fusils hollandais. Carl Friedrich Behrens participe à
cette expédition et publie le premier rapport sur l’île à Leipzig.

1770 : L’explorateur suivant, Felipe Gonzales, reçut l’ordre d’annexer l’île de


Roggeveen à la couronne d’Espagne. Il débarqua en novembre 1770 et donna à
l’île le nom de San Carlos. Dans les années suivantes, l’Espagne ne s’est toutefois
que très peu souciée de cette nouvelle possession. Certains chercheurs situent à ce
moment la création des rongo-rongo, affirmant que les Rapanui se seraient amu-
sés à copier ces étrangers dessinant de curieux signes sur leurs parchemins.

1774 : Au cours de sa deuxième expédition, James Cook visite l’île du 13 au 17


mars. A lire son livre de bord, il n’a pas été très enthousiaste : « Aucune nation ne
combattra jamais pour l’honneur d’avoir exploré l’île de Pâques, [...] il n’y a dans
la mer d’autre île qui offre moins de rafraîchissements et de commodités... » Ce-
pendant, son séjour aura apporté des informations importantes sur la géologie, la
flore, la population et les statues - dont la plupart étaient déjà par terre. Participant
de cette expédition, le naturaliste allemand Johann Reinhold Forster a ramené les
premiers croquis de statues.

1786 : Pendant sa circumnavigation


effectuée sur ordre de Louis XVI, Jean
François de Galaup comte de La Pé-
rouse débarque à l’île de Pâques. Il en
dessine les premières cartes précises.
L’île a maintenant un nom, un visage,
une adresse. Elle commence à faire
sensation dans les salons européens.
8
19ème siècle : Le rythme s’accélère et devient catastrophique pour les insulaires.
Les bateaux font escale, les emportant parfois en esclavage, apportant en tout cas
des maladies mortelles pour eux : grippe, syphilis, variole, tuberculose... Mais le
chapitre le plus odieux sera écrit par un péruvien marchand d’esclaves : il kidnap-
pera de décembre 1862 à mars 1863 entre 1.400 et 2.000 insulaires - dont les for-
ces vives, chefs, prêtres et savants. Ils seront utilisés comme main d’œuvre pour
les exploitations du guano sur les îles Chinchas au large du Pérou.

1864 : Premier occidental à vivre et mourir sur l’île, le français Eugène Eyraud,
frère capucin, s’emploie à convertir les canaques - comme on les appelle alors. Il
recense 1.800 âmes. Mais les rares survivants ramenés du Pérou introduisent la
variole, et l’épidémie décime plus de 1.000 individus. En 1872 : 400 habitants.

1868 : Deuxième occidental à y vivre et mourir, mais premier colon - également


français, Jean Dutrou Bornier s’installe et dirige en dictateur une exploitation d’o-
vins. En 1873, la majorité de la population émigre vers Tahiti avec les mission-
naires qui abandonnent l’île. Il ne reste alors que 111 personnes (dont 26 femmes)
et Dutrou Bornier. En 1876, ce dernier est assassiné - dit-on - par un mari jaloux !
Quelques familles rapanui se réclament encore de la descendance de Dutrou Bor-
nier. Au total, les maladies et les déportations ont réduit la population de 99 % !
Evangélisés et colonisés, les Rapanui ne sont plus maîtres chez eux, premier
changement de statut lourd de conséquence. Pour l’anecdote : les premières
photos de statues ont été prises par le médecin William Thomson en 1886 alors
qu’il visitait l’île à bord du navire américain Mohican.

1888 : Le 9 septembre, le capitaine Policarpo Toro officialise la souveraineté de


l’île à l’État chilien. Toro fait signer un papier à des gens qui ne savent ni lire ni
écrire. Par cet accord dit “Accord des volontés”, les insulaires déclarent céder
leur souveraineté mais pas leur droit de propriété. Mais rien ne se passera comme
l’avaient espéré les Rapanui. Cette année-là aussi, la lèpre est introduite sur l’île
en provenance de Tahiti. C’est le second changement de statut dans ce siècle :
l’île passe sous la tutelle de l’armée du Chili (la Marine). Les terres seront louées
à une firme privée britannique, une exploitation ovine de type esclavagiste. La
laine devient le moteur économique, la désertification de l’île s’accélère à cause
des moutons. Les Rapanui sont privés de liberté, astreints au travail forcé, fem-
mes et enfants inclus. Ils seront confinés - sauf les lépreux reclus à la léproserie
de la Colonia Agricola - dans le village de Hanga Roa entouré de barbelés, et n’en
sortiront que pour le travail obligatoire. L’île servira aussi de lieu de déportation
pour les prisonniers politiques, devenant de fait une prison à ciel ouvert. Il y aura
déjà quelques métissages. En 1901, un recensement évalue 231 habitants dont 12
chiliens. En 1929 : 384 habitants, plus ou moins métissés : 83 hommes, 98 fem-
mes, 106 garçons et 97 filles. 9
1934 - 1935 : Au mépris du droit du sol, le Chili inscrit l’île de Pâques en tant
que territoire national (mais les Rapanui ne l’apprendront qu’en 1966 !) L’espa-
gnol est imposé comme unique langue, les enfants - scolarisés en primaire - n’ont
pas le droit de parler rapanui entre eux. En janvier 1935, l’île entière est déclarée
Parc National par le Chili (avec en principe interdiction de sortir des objets ar-
chéologiques.) C’est aussi l’année durant laquelle le navire Mercator vient re-
chercher l’équipe archéologique franco-belge de Métraux-Lavachery, et emporte
un Moaï qu’on trouve au musée du Cinquantenaire à Bruxelles. L’Angleterre et la
France s’étaient déjà servi auparavant. Toujours en 1935 arrive le père allemand
Sébastien Englert. Pendant 35 ans, il sera à la fois prêtre, historien, linguiste et
ethnologue. Certains gardent de bons souvenirs de ce prêtre, d’autres pas du tout !
Entre 1944 et 1958, une quarantaine de Rapanui réussissent à s’évader sur de pe-
tites embarcations ou comme clandestins. Sans compter les tentatives ratées et les
échecs, cela représente tout de même plus d’un homme sur 10 ! Aux yeux du
monde, l’île de Pâques s’affiche comme un camp de concentration et le Chili
comme une nation tortionnaire. Le film de Francis Mazière (1964) contribuera
par la suite à dénoncer cette situation.

1966 : Après quasiment 80 ans de tutelle colonialiste de l’armée chilienne, l’île


est officiellement rattachée à la Région de Valparaiso. Du statut de colonie, Rapa
Nui devient unilatéralement terre chilienne, administrée souverainement par le
Chili (à plus de 3.700 km de là.) Cela provoque une immigration administrative
importante, un processus de “chilénisation” voulu par le gouvernement. Environ
500 Chiliens s’installent, en sus de la population qui est à ce moment de 1.400
âmes, une majorité d’autochtones faiblement métissée. Techniquement, les Rapa-
nui sont donc devenus Chiliens, avec les mêmes droits et devoirs. Le gouverneur
est Chilien, nommé par l’état, le maire de Hanga Roa est élu directement par les
Rapanui. En 1967, mise en service de l’aéroport de Mataveri, arrivée des pre-
miers avions. Auparavant, il y avait deux bateaux d’approvisionnement par an.
Cette période 66-67 peut être qualifiée d’ “ouverture sur le monde moderne”,
c’est le troisième changement de statut de l’île et de ses habitants. Tout béné-
fiques puissent-ils paraître, ces événements initient en réalité les problèmes de
dualité culturelle qui explosent aujourd’hui. L’arrivée des premiers avions fut d’a-
bord regardée comme un espoir face à l’extrême isolement. Mais cela servit sur-
tout - bien que cela soit devenu nécessaire à tous - au développement du tourisme
et à l’approvisionnement en biens de consommation venant du continent.

1976 : Première année où se dispense un enseignement secondaire. Le cycle ne


sera complet qu’à partir de 1989. Ceux qui veulent persévérer doivent aller étu-
dier sur le continent. Construction du premier hôpital. Création du Conseil des
Anciens constitué d’un représentant de chaque famille (les anciens clans) : les
10 Rapanui commencent à comprendre que le paternalisme chilien les prive de
décisions sur leur île, que c’est à eux de trouver les solutions à leurs problèmes et
de gérer leurs propres ressources. Ils souhaitent récupérer leur terre et réclament
leur autonomie. Mais il y a aussi augmentation rapide de population suite à l'im-
migration chilienne. Entre 1988 et 1992, 43 % de résidents en plus.

1995 : L’UNESCO place l’île de Pâques dans son catalogue


des Patrimoines de l’Humanité. En réalité, seule la partie
constituée du Parc archéologique National est classée ! Cette
protection du Patrimoine ne s’adresse pas aux habitants...

2002 : Recensement de 3.800 habitants. Environ 2.300 déclarent appartenir à


l’ethnie Rapanui. En réalité, beaucoup d’autochtones sont déjà métissés, mais ils
peuvent conserver le patronyme rapanui (qui autorise l’accès à la terre !) Ils ne
sont que quelques dizaines “authentiquement de souche”. On dénombrait aussi
2.269 Rapanui vivant à l'extérieur, généralement au Chili, mais aussi en Polynésie
française ou aux Etats-Unis. Pascuan désigne l’ensemble des résidents de l’île de
Pâques, Rapanui uniquement les autochtones ou population indigène. Plus de 40
% de la population est constituée surtout de Chiliens, plus quelques étrangers ma-
riés à des Rapanui. Au recensement de 2005, il y a environ 4.400 habitants – dont
45 % rien que de Chilien. Sans compter les touristes, de l’ordre de 45.000 par an
(chiffre déjà dépassé en 2006.) L’immigration est un problème majeur.

2007 : En juillet, Michèle Bachelet, présidente du Chili, fait entériner par le Par-
lement le projet de “territoire spécial”. Même s’il ne correspond pas aux souhaits
de tous les Rapanui, ce statut permettra une autonomie sur beaucoup de matières.
Lorsqu’il sera d’application, ce sera le quatrième changement de statut. L’île
de Pâques sera alors dotée d'un gouvernement insulaire (Gobernación Insular)
avec des compétences en matière de sécurité, d'accueil des étrangers, des doua-
nes, des transports et télécommunications, des biens nationaux et ouvrages pu-
blics y compris ports et aéroports. Issu de la tradition locale, l'importance histori-
que du Conseil des Anciens est reconnue. Il conservera des compétences en ce
qui concerne la tradition, la langue et la culture. La Municipalité administrera les
domaines liés aux services publics, tourisme, développement urbain, environne-
ment, éducation, santé et hygiène, assistance sociale, sports et loisirs, transports.
Bref, les trois instances déjà existantes se retrouvent dans le projet futur ! Mais
les trois ne représentent pas l’ethnie rapanui de la même manière. Il sera pourtant
urgent de s’accorder, car d’une part les Rapanui deviennent une minorité sur leurs
propres terres, et d’autre part de nombreux groupes d’investisseurs tentent de
convertir l'île au tourisme de masse pour y construire de luxueux hôtels, un golf,
un casino… Comme la terre n’appartient qu’à l’état ou aux Rapanui, et qu’elle ne
peut être vendue, ces entrepreneurs cherchent à former des consortiums avec
les autochtones. La bataille pour la terre a commencé… 11
Us et usages, anthropologie sociale…

Administration. Politiquement, l'île de Pâques appartient au Chili.


Elle dépend de la région de Valparaíso, mais le décret voté en juil-
let 2007 lui permettra à terme d’obtenir ce statut de “territoire spé-
cial” supposé lui assurer une certaine autonomie. Un gouverneur
accrédité par l’état administre l'île, ce gouverneur dépend donc du
résultat des élections au Chili. Depuis 1984 il s'agit toujours d'un
autochtone. Tous les 4 ans, les Pascuans (Rapanui + résidents Chi-
liens) élisent un conseil municipal de 6 personnes, parmi lesquelles
est choisi le maire de Hanga Roa. Le Conseil des Anciens n’est élu
que par les Rapanui. Le budget public est très largement subven-
tionné par le Chili. On prévoit bientôt une taxe touristique - envi-
ron 50 US$ - qui donnera une certaine indépendance à la municipa-
lité. Le peso chilien est la monnaie locale, mais le dollar US est
accepté partout et même préféré (en cash !) Le tourisme est au-
jourd’hui la première source de revenus. La paroisse catholique de
Rapa Nui dépend du diocèse chilien de Valparaíso.

Aéroport. Dans les années 1970 la NASA a agrandi la piste de l’aéroport Mata-
veri, créant ainsi un terrain d'atterrissage d'urgence pour les navettes spatiales. On
imagine le “loyer” payé à l’état chilien pour cette base au milieu du Pacifique.
C’est l’aéroport le plus isolé du monde, une escale quasiment obligée entre l’A-
mérique du Sud et la Polynésie. Seule la compagnie LAN Chile, maintenant pri-
vatisée, a le droit d’y atterrir. Ce monopole porte préjudice d’abord aux Rapanui
qui y voient une limitation évidente de leurs libertés. Il assure aussi un contrôle
(ou un moyen de pression ?) sur l’approvisionnement en denrées, en biens de
consommation, et en tourisme. Il procure enfin un avantage aux agences de voya-
ges de l’extérieur au détriment de la capacité de travail des agences locales. A
remarquer : il n’y a pas de port pour transatlantiques à l’île de Pâques. Les croi-
sières doivent débarquer leurs passagers par navettes (si la météo le permet...)

Anecdotique : le point antipodal se trouve près de Jaisalmer, au Rajasthan.

Archéologie. L’île de Pâques a impressionné les Occidentaux par ces fameux


mystères autour du transport et de l’élévation d’un nombre impressionnant de
Moaï. Ce peuple a réussi à construire, au départ de ressources et de moyens très
limités, une société technologiquement fort structurée, et cela par deux fois dans
son histoire. Ce que l’on sait moins c’est que les premiers découvreurs trouvèrent
des plaquettes de bois couvertes de signes - les rongo-rongo - restés indéchif-
12 frés. Ces plaquettes épaississent davantage le mystère car elles sont uniques
en Polynésie (la culture polynésienne n’utilise pas l’écriture). Pour en savoir da-
vantage sur les rongo-rongo, il faut lire l’excellent site internet de Lorena Betto-
chi : www.rongo-rongo.com

Bourses d’études. L’enseignement primaire et secondaire est complet, jusqu’à


l’obtention de la Prueba de Aptitud. Ensuite, les élèves le souhaitant doivent
continuer leurs études sur le continent. En primaire, des cours en immersion Ra-
panui sont proposés dans toutes les matières. Depuis l’ouverture du nouveau ly-
cée, des formations de type professionnel sont dispensées pour des activités utiles
à l’île, tourisme et artisanat. Cependant, les Rapanui sont convaincus que l’ensei-
gnement est de meilleure qualité au Chili. Envoyer un enfant au continent est très
coûteux, même avec une bourse (elle couvre environ 60 % des frais, et il y a 200
bourses accessibles par an.) Il n’est pas si rare qu’un autre des enfants travaille
pour payer les études de son frère, en espérant qu’au retour toute la famille en
bénéficiera. Les plus anciens disent que les jeunes reviennent “avec de sales
idées dans la tête et dans le cœur”, qu’ils perdent le respect pour leurs parents.
Etudier au continent provoque effectivement une fracture dans la continuité
culturelle rapanui. Pour maintenir une unité polynésienne, il faudrait des bourses
d’études pour Tahiti, ce que le Chili ne veut évidemment pas octroyer. Ce flux
migratoire de jeunes étudiants (un peu plus de garçons que de filles) a un autre
effet : il doit se mettre en balance avec l’immigration d’adultes chiliens qui cher-
chent du travail sur l’île. Et cela a aussi une influence sur le métissage.

Culture et Hollywood. En 1993, Kevin Costner vient tourner


son film Rapa-Nui en décor réel avec la joyeuse contribu-
tion de la majorité de la population. C’est d’abord un espoir,
un travail facile et très bien rémunéré (env. 500 US$ par
mois). Apprenant cependant le salaire nettement plus élevé
des techniciens de l’équipe, les Rapanui font grève et ob-
tiennent - la production ne voulant pas de problème - une
augmentation (parfois 1.300 US$ par mois, certains pas-
sent même à plus de 2.000 !) C’est énorme pour le ni-
veau de l’île, beaucoup d’argent circule. Du coup
les prix de la nourriture et des biens de
consommation augmentent - parfois de
manière abusive - car tous veulent leur
part du gâteau ! La fièvre du dollar a commencé. Sans pen-
ser que c’est temporaire, quelques mois, le temps pour
l’équipe de tournage de finir le film et repartir. Le style de
vie des Américains a eu de profondes répercutions sur les
jeunes Rapanui (marijuana, whisky, mœurs, argent,
consommation, rémunération.) Il y a maintenant 13
consommation d’alcool, sans discernement, alcool facilement disponible pour
ces nouveaux riches intermittents du spectacle ! L’alcoolisme est devenu un des
plus importants problèmes de l’île. L’équipe de tournage est partie... Les décors
en plastic sont restés. Selon certains, toutes les promesses n’ont pas été tenues
(un frigo promis pas reçu.., un reboisement annoncé pas fait...) Les retombées
globales du film - sur place - paraissent toutes négatives. On s’accorde à dire que
- même s’il y a une part accrue de tourisme - le film n’a pas apporté autre chose
que des idées fausses sur le peuple Rapanui (puisqu’aussi bien dans le film, les
“bons” s’enfuient de l’île..!)

Drapeau. Le drapeau rouge et blanc de


Rapa Nui représente un reimiro, pendentif
réservé à l'aristocratie. Ce pendentif est en
forme de lune avec deux trous de fixation
et aux extrémités, deux visages humains
qui s’observent. Le reimiro se veut un sym-
bole d’autorité, de parenté et de tradition.
Actuellement, ce drapeau est hissé à côté du drapeau national chilien, mais il y a
discussion entre Rapanui sur l’authenticité de sa représentation.

Eau, électricité. Depuis peu, un réseau de distribution est disponible, avec plu-
sieurs stations de pompage dans les nappes phréatiques. Actuellement, le pro-
blème n’est pas tant la disponibilité de l’eau que sa potabilité, et surtout le recy-
clage des eaux usées. Le tout-à-l’égout renvoie les eaux vers les nappes. Mais la
couche de terrain ainsi que la proximité immédiate de l’océan ne peuvent assurer
une filtration naturelle. On propose de placer des stations de recyclage individua-
lisées, d’abord aux installations hôtelières, ensuite aux particuliers. Pour l’élec-
tricité, le réseau de distribution fonctionne grâce aux générateurs diesels. Des
chutes de tension et des coupures de courant sont fréquemment observées en
haute saison touristique, particulièrement lors des festivités du Tapati (la fête
annuelle de Rapa Nui.) Pour protéger leurs installations (frigos, eau chaude...),
certains hôtels se sont équipés d’un générateur d’appoint, quelques uns se tour-
nent aussi vers les panneaux solaires. Dans les chambres, les clients trouveront
souvent des allumettes et une bougie..!

Ecosystème. Rapa Nui est un tout petit système fermé par des limites bien mar-
quées, la mer et le ciel à l’infini. Tout est y mesurable, tout ce qui entre et tout ce
qui sort. Les changements sont délimités et reconnaissables. L’impact de tout est
quantifiable - y compris la pénétration d’idées de l’extérieur - et cela d’autant
plus facilement que ce système est fragilisé par sa taille réduite et son extrême
isolement et, on l’oublie souvent, par l’ouverture très récente au monde mo-
14 derne. La période charnière se situe au cours des années 1960. Polynésiens
orgueilleux de leurs traditions, les Rapanui
ont subi l’arrivée massive des “Conti”.
L’immigration apporte des modifications
des valeurs économiques et socioculturel-
les. Mais le métissage qui en découle dilue
en plus le patrimoine génétique, altère éga-
lement sa manière de vivre, sa langue et sa
culture. Au travers des outils de l’anthro-
pologie sociale comme la mortalité, la na-
talité, l’immigration ou le mariage, il est
possible d’avoir une compréhension plus
claire des interférences, et partant des bon-
nes questions à se poser.

Famille et fécondité. Auparavant les Rapanui vivaient en familles élargies. Les


enfants étaient une sécurité contre la misère et la vieillesse. En avoir beaucoup,
c’était augmenter ses chances de survie, disposer de plus de bras pour protéger les
siens, pour chercher la nourriture. Actuellement, en terme économique, avoir plus
d’enfants coûte cher : éducation à pourvoir, soins divers, envoi au continent pour
études. Une haute fécondité est économiquement désastreuse. Trop d’enfants
n’est plus un avantage, ils empêchent de vivre mieux ! La reproduction dépend
maintenant de décisions économiques.

De manière plus générale, la natalité diminue lorsque la scolarité augmente, ou à


cause du travail des femmes hors du foyer, ou lorsque les conditions socio-
économiques - dans son acceptation occidentale - s’améliorent... Plus simplement,
la fécondité diminue lorsque la mortalité diminue, et donc la taille des familles
diminue également. Nous connaissons bien ce problème. Pour les Rapanui, mino-
rité quasi inexistante parmi les minorités ethniques du monde, c’est nouveau : ils
risquent l’extinction. La notion de famille s’est grandement modifiée dans la so-
ciété Rapanui : les grands foyers d’autrefois (entre 7 et 10 membres) deviennent
des familles nucléaires (1 à 4 membres). Mais il y a plus. Avant aussi, la résidence
et la descendance se définissaient par lignage patrilinéaire. Les membres d’une
même famille exploitaient les ressources agricoles d’un terrain collectif, avec son
propre centre cérémonial (ahu et Moaï) où ils enterraient leurs morts. Au premier
siècle de la colonisation, les missionnaires ont prêché que la famille chrétienne
était le bon modèle à suivre : monogamie, épouse au foyer, enfants nombreux.
Cela n’était pas très différent de la société rapanui, jusqu’à ce qu’ils se rendent
compte que dans ce modèle, l’économique primait largement sur le religieux ! La
pression économique a fait exploser le modèle aussi bien ancestral que chrétien.
Comme chez nous. Alors les parents actuels poussent leur enfants au métis-
sage, car un chilien dans la famille est une forme de garantie pour les petits- 15
enfants à venir, une solidarité de belle-famille escomptée, un deuxième foyer au
Chili pour les enfants, pour les études.

Infrastructures en général. Une église catholique bien située (et plusieurs autres
cultes disséminés, genre secte parfois), une poste, un centre téléphonique et des
cabines, des banques (et un distributeur ATM), une nouvelle pharmacie, des tas de
magasins (épicerie, mode, quincaillerie, souvenirs...), un grand supermarché +
deux ou trois petits, deux marchés couverts autochtones (artisanal, fruits – légu-
mes - poissons), des snacks, cafés, restaurants, des services informatiques, des
accès à internet, des agences de voyages et de location de véhicules, des hôtels de
toute catégorie (avec ou sans piscine, air conditionné, etc.), des maisons d’hôtes,
un camping, deux discothèques... Le touriste ne sera pas dépaysé : les rues princi-
pales ne sont que boutiques et commerces. Plusieurs compagnies de radio-taxis,
mais il n’y a toujours qu’une seule pompe à essence !

Langue. La politique linguistique appliquée à l'île de Pâques est celle d’un pays
dominant de langue espagnole. Au mieux, c’est une politique indigéniste dont
l'essentiel réside dans l’éducation bilingue. Les programmes d’études du Chili ne
répondent pas aux besoins de ces polynésiens, ils n’intègrent aucun élément de la
culture rapanui. Sur l’île, les enfants rapanui sont obligés de connaître l'espagnol,
alors que les enfants d'origine chilienne n'ont pas à apprendre le rapanui. Les au-
tochtones sont dans l'obligation de développer le bilinguisme, alors que les
“Conti” (ceux du continent) s’en tiennent à la seule langue espagnole. Et on s’é-
tonne alors que les Rapanui ne se sentent que modérément chiliens !

Lèpre et mortalité. Pendant la colonie chilienne, la principale cause de mortalité


des Rapanui était les maladies infectieuses et parasitaires, dont la lèpre pour un
tiers des cas. Au moindre signe extérieur de lèpre, parfois même sans raison, sim-
plement en guise de punition, les suspects étaient isolés, reclus à la Colonia Agri-
cola. Environ 7 % des Rapanui ont contracté la lèpre, les insulaires n’ayant pas
d’anticorps. Le premier défunt fut enregistré en 1916 - mais il n’y avait pas de
registre avant 1916 - et le dernier en 1965. La lèpre fut éradiquée dans les années
80, et Papiano, le dernier lépreux rencontré en mai 2007, vit toujours à la Colonia
Agricola. On y trouve également le cimetière des lépreux (enterrés par leurs pro-
pres compagnons, parfois en fosse commune) : des plaques de pierre avec noms
et dates des décès, au total 61 noms. Sur ce même terrain, malgré son caractère
“maudit”, a été construit le nouveau lycée, un enseignement professionnel orienté
vers les arts et le tourisme.

En termes de santé, l’isolement de Rapa Nui permet de se poser quelques ques-


tions : les nouvelles maladies (SIDA, grippe aviaire…) n’ont-elles pas davantage
16 de facilité à se développer - comme ce fut le cas pour la lèpre, la variole, la
tuberculose ? Ne faut-il pas prévoir dès lors un système de santé plus préventif ou
plus énergique que sur le continent ? On a l’exemple récent de la dengue : un
moustique débarque de l’avion (on vaporise avant l’atterrissage maintenant !), et
c’est toute l’île - touristes compris - qui risque l’infection... Sur cet écosystème qui
par le passé a déjà été sensible aux
agents infectieux, une épidémie est
toujours possible. Pour n’importe quel
épisode aigu de santé, ou un accident
assez grave, un transport d’urgence
relève de “Mission Impossible” : l’a-
vion touristique ne passe que tous les
trois ou quatre jours, et il faut 10 heu-
res depuis Santiago pour l’aller-retour
d’un avion sanitaire d’urgence.

Prix à la consommation. Exemple : la tomate ! Transportée depuis le continent


par avion, elle coûte 3 à 4 fois plus cher qu’à Santiago ! Pourtant, on peut en faire
pousser sur place. Le marché autochtone propose des productions locales (pêche et
agriculture), mais les supermarchés ne s’approvisionnent qu’à l’avion ! Y compris
pour les œufs, les poulets ou les légumes, qui peuvent tout à fait être produit loca-
lement. Rien à ajouter d’autre que : l’île de Pâques est chère. Pour les touristes,
deux fois plus que le Chili continental ! Remarque : les productions locales font
peu de déchets, et sont le plus souvent compostables. Alors que ce qui vient par
avion ou par bateau est emballé de plastic, de verre, de papier. Des déchets qui
s’accumulent sur l’île car le Chili n’en veut plus une fois expédiés (voir Voirie !)

Religion. Jadis lorsqu’un Rapanui sentait sa dernière heure venir, il se réfugiait


dans sa grotte familiale en attente de passer à l’autre vie. Actuellement, on le prend
en otage à l’hôpital et on le met dans une boite au cimetière municipal. Mais le
concept de la mort en Polynésie n’est pas celui du Chili (ou du catholicisme) : la
mort est considérée comme un transfert entre le monde social et le monde spiri-
tuel, et non comme l’abandon du corps pour aller au paradis ou en enfer selon ses
mérites. Malgré un catholicisme affiché, les Rapanui pensent devenir un esprit en
mourant, un esprit qui n’abonne pas l’île. Même émigré depuis très longtemps, le
Rapanui veut terminer le cycle de sa vie sur l’île, parmi les siens. Même après sa
mort, il souhaite revenir. Comment pourrait-il devenir un bon esprit autrement ? Et
plus pratiquement, que se passera-t-il lorsque le cimetière moderne sera plein ? Va-
t-on devoir faire des niches empilées comme sur le continent, changer encore le
mode d’enterrement des Rapanui ?
Pour la messe dominicale, chantée en rapanui, c’est un peu la même chose :
ce n’est pas le culte ou la foi qui sont importants, mais le fait de se réunir, de ren-
contrer sa parenté, ses amis, d’échanger des informations, de passer un mo- 17
ment agréable ensemble !

Santé. Dans l’ensemble, les services de santé sont meilleurs que dans les régions
isolées du Chili. L’hôpital dispose d’une ambulance, d’un médecin et d’un den-
tiste ainsi que d’une sage-femme. Et on annonce un nouvel hôpital, plus grand,
plus moderne. Mais il y a un grand problème de confiance et de relation avec le
praticien : les médecins sont des stagiaires chiliens à peine sortis de l’université,
peu expérimentés et en rotation fréquente... Pour les petits problèmes, les Rapa-
nui préfèrent ne pas consulter - ce qui se traduit dans les statistiques par une
bonne santé de la population ! Cela explique aussi le fait suivant : bien que rési-
dant sur l’île, les futures mères préfèrent accoucher à Santiago, éventuellement à
Tahiti. Les bébés rapanui ne naissent pas sur l’île !

Voirie. Un vrai casse-tête ! L’augmentation rapide du tourisme n’y est pas pour
rien (un touriste consomme et pollue davantage qu’un autochtone.) Il existe des
camions poubelles et un ramassage régulier des ordures. Cependant, rien n’est
fait directement sur les sites archéologiques (sauf par Piru Hucke Atan- voir re-
portage.) On compte sur la bonne volonté des touristes ! Il existe aussi une usine
de retraitement - ou plutôt de compactage - des emballages plastiques et métalli-
ques, mais se pose le problème de l’enfouissement : pas beaucoup de place ! Tous
les autres détritus sont mis à la décharge, parfois recouvert de terre, au risque
d’empoisonner les nappes phréatiques et le sol pour une petite éternité... En mai
2007, pourrissaient là encore des éléments de décor du film de Kevin Costner
(1993) ! Puisque le Chili n’accepte pas de reprendre les déchets qu’il a contribué
à amener, certains préconisent de jeter tout ça à l’océan pour repousser l’é-
chéance de la pollution définitive de l’île...

Voyager à Rapa Nui. Il est très facile de préparer son voyage en quelques clics
de souris : réservation d’avion et logement. En fait – sauf au moment des fêtes du
Tapati (en gros les 15 premiers jours de février), l’avion seul suffit car les Rapa-
nui attendent les touristes dès l’aéroport. Le transfert à l’hôtel ou la pension est
toujours inclus. Prévoir cependant de passer une nuit à l’aller et/ou au retour à
Santiago en fonction des horaires aériens. Une fois débarqué à Hanga Roa, tout
se trouvent aisément : tour organisé avec guide en français ou location de voiture,
jeep, moto en tout genre dont les quads, vélo ou cheval, au choix ! Tous les servi-
ces utiles au touriste s’y trouvent, banque, pharmacie, poste, souvenirs, tout ! Les
routes du village sont asphaltées. De même, la route directe qui rejoint la plage
d’Anakena (seule véritable plage avec palmiers genre Tahiti) et celle qui longe la
côte Sud des ahu côtiers. Tous les sites importants sont accessibles en voiture
ordinaire (et un peu de marche), mais ne pas crever un pneu sur une piste caillou-
teuse n’est pas garanti !
18
Thème principal abordé.
Pâques est l’île habitée la plus isolée au monde. Elle est aussi l’un des sites ar-
chéologiques les plus bouleversants de l’Humanité, un vieux rêve pétrifié à ja-
mais. C’est encore une des toutes grandes énigmes de l’univers, mais avec com-
bien de bêtises et de faux mystères..! Et c’est enfin l’histoire d’une ethnie proje-
tée de l’âge de la pierre à la mondialisation. Une ethnie qui s’interroge sur son
passé, sur son identité, et sur ses capacités à gérer l’avenir. Parce qu'ils sont sur
une île - milieu fermé et autarcique jusqu'à il y peu - les Rapanui ont développé
une acuité à percevoir le risque d’extinction de leur race. Pâques, c’est l’in-
croyable histoire d’une île à priori insignifiante et isolée qui devient l’histoire
de toute notre planète, avec sa colonisation humaine, ses prodigieuses réalisa-
tions, la destruction de son environnement, et cette volonté tenace des hommes
à renaître encore et toujours, et croire en leur futur.

Remerciements.
Delphine & Keva ATAN - Nicolas CAUWE - Ricardo CRISOSTOMO - Fran-
çois DEDEREN - Julie & Jacques DIEU - Patrick FERRYN - Nikko, Vicky &
Sonia HAOA - Edgar HEREVERI - Victor “Luis” HEY - Alberto HOTUS -
Piru & Agterama HUCKE ATAN - Priscilla MOUBARAK - Catherine OR-
LIAC - Alfonso RAPU - Enrique PAKARATI - Carmen PAOA - Claudia
PATE IKA - Elsa PONT - Carlos SALINAS “chocotuf” - Angela & Jony TU-
KI HAGER - Mario TUKI… et tous ceux qui, par leur aide ou leur sympathie,
ont contribué à la réalité de ce reportage.
19
Adresses et sites Internet
(recommandez-vous de Géodyssée ou montrez cette brochure sur place - merci).

ARCHEOLOGIE & HISTOIRE


Easter island foundation : www.islandheritage.org/ Archéologie - les plus
grands pros - et des aspects pratiques, des adresses, des idées... En anglais.
Easter Island Home Page : www.netaxs.com/~trance/linklist.html Regroupe
tous les liens possibles sur Rapa Nui, au départ en anglais.
Musée Englert : www.museorapanui.cl/ Seul musée sur l’île (en espagnol).
Rongo-rongo : www.rongorongo-ile-de-paques.com/ www.rongo-
rongo.com/ www.ile-de-paques.com/ Sites en français de Lorena Bettochi.
Passionnant ! Non seulement tout et plus sur les rongo-rongo mais à travers
eux l’histoire des Rapanui et de leur île.

HÔTELS & RESTAURANTS


Hotel España : www.hotelespania.com/ Au centre de Santiago de Chile, très
bon hôtel pour attendre la correspondance aérienne vers/venant de Rapa Nui.
Hôtel OTAI : www.hotelotai.com/ de Nikko Haoa, très bien situé, piscine,
face à la poste. Propose location de jeep ou tours guidés.
Cabañas VAÏ MOANA : www.vai-moana.cl/ Hôtel écologique de Edgar He-
reveri, responsable de la Chambre de Tourisme Rapanui. Pas loin du musée.
Location de jeep ou tours guidés.
Restaurant de l’hôtel ORONGO : www.hotelorongo.com/ Hôtel plus sim-
ple, mais excellent restaurant de Raul Teave, propriétaire-cuisinier rapanui.
Restaurant AU BOUT DU MONDE : tenu par Delphine et Keva ATAN,
couple belgo-rapanui, cuisine recherchée. Face à la mer vers le cimetière.
Restaurant ALOHA : tenu par Carlos Ika, diner-spectacle-musique et bonne
cuisine, jamais déçu. En haut de la rue Atemu Tekena.
DIVERS : Centre de plongée ORCA : www.seemorca.cl/ dirigé par Michel
Garcia, collaborateur régulier de Ushuaïa Nature.
Groupe Matato’a : www.matatoa.com/ (accessible en français) Le plus fa-
meux groupe musical, 5 CD de « World Music » en fusion rapanui-moderne.
Artisanat traditionnel : www.rapanuicrafts.8m.com Site de Luis Hey, excel-
lent sculpteur, copie de pièces de musée. Magasin sur la rue Atemu Tekena.
Artisanat créatif : www.matamuarapanui.com/ Site de Kahui Hucke Atan
issu d’une des familles authentiquement rapanui.
Blog sur l’île de Pâques : http://berphi.skyrock.com Très documenté, avec
des articles de François Dederen, un des meilleurs documentalistes sur l’île de
Pâques si pas le meilleur.

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