Tfc Mgr Berthold

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i

ii
INTRODUCTION GENERALE

L’Afrique est un continent qui est encore à la recherche des repères. Que
ce soit sur le plan économique, culturel, social ou politique, il est encore
question de recherche d’un ordre nouveau, capable de mettre irréversiblement
ce continent sur le chemin du développement. La décolonisation a donné une
lueur d’espoir aux africains de s’être enfin débarrassés du joug occidental.
Mais, leur rêve n’a été que de courte durée, puisque les systèmes politiques de
l’Afrique post-indépendante, loin de se démarquer du despotisme colonial,
l’ont plutôt revêtue d’une apparence de démocratie sous la houlette du parti
unique. En un mot, c’est le règne du totalitarisme 1 qui met l’embargo sur les
droits et libertés des citoyens. En 1989, c’est la chute du mur de Berlin et
partant, la fin du communisme2. Un regain d’espoir renaît chez les africains,
car c’est l’avènement de ce qu’on a appelé le « vent d’Est » c’est-à-dire le
courant de la démocratie. Chaque Africain espère une fois de plus vivre enfin
dans un Etat de droit3 garantissant certaines valeurs fondamentales de l’homme
telles que la vie, la justice, le droit, la liberté. Cependant, c’était sans compter
avec la duplicité des régimes politiques africains qui ne sont démocratiques que
sur le papier, et de tendance despotique dans les faits, car la non séparation,
voire la concentration abusive des pouvoirs entre les mains d’une seule
institution (l’exécutif) semble être la règle.
Un tel constat pose le problème de la liberté et de la séparation effective
des pouvoirs en Afrique. Comment concilier les systèmes politiques africains
avec la théorie politique de Montesquieu qui est essentiellement fondée sur la
séparation des pouvoirs ? Quel intérêt l’Afrique peut-elle avoir à se frotter au
système politique de Montesquieu ? Comment sa pensée politique peut-elle
favoriser dans le contexte actuel un développement politique en Afrique ?

1
Système de gouvernement qui n’admet aucune opposition.
2
Système politique et social fondé sur la suppression de la propriété individuelle au profit de la mise en
commun.
3
Etat dans lequel le pouvoir politique est limité par le droit et la séparation des pouvoirs assurée.

1
Il s’agira pour nous ici de montrer, ce que le libéralisme politique de
Montesquieu peut apporter de positif au processus de démocratisation de
l’Afrique.
L’on est certainement en droit de se demander pourquoi avoir choisit
Montesquieu, et à travers lui, le XVIII e siècle pour élucider le principal
problème africain. L’intérêt porté sur le XVIII e siècle vient du parallélisme que
l’on peut établir entre les systèmes politiques de ce siècle et ceux de
l’Afrique, puisqu’en ce moment là, le mode du gouvernement le plus répandu
en Europe, c’est encore le despotisme.
Montesquieu, l’auteur de De L’Esprit des Lois estime que, pour mener
une lutte acharnée et objective contre le despotisme, il serait judicieux que les
pouvoirs de l’Etat soient partagés en trois organes ; le législatif, l’exécutif, et
le judiciaire, au point où chaque organe ait une fonction spécifique et bien
déterminée. Cependant, l’expérience ayant montré que « tout homme qui a du
pouvoir est porté à en abuser la modération de ces pouvoirs est nécessaire, car
même la vertu a besoin des limites. »4 Ainsi, de peur que l’on ne puisse pas
abuser du pouvoir précise-t-il, il faut que, le « pouvoir arrête le pouvoir »5. En
plus de la séparation des pouvoirs, leur limitation s’impose pour que naisse le
« sentiment de sécurité » gage intrinsèque et caractéristique fondamentale de
l’Etat de droit.
Cette nouvelle visée politique de Montesquieu ayant la liberté pour objet
fondamental, est aux antipodes du despotisme qui semble être plus perceptible
dans nos Etats. La théorie de la séparation des pouvoirs paraît dynamique et
efficace. Elle est en effet l’un des moyens pouvant contribuer à l’essor du
continent africain, lui permettant ainsi d’incarner des valeurs modernes : la
liberté, la justice, les droits de l’homme ; qui sont des valeurs encore
contemporaines. Il semble être indiqué, et peut apporter un souffle nouveau, un

4
MONTESQUIEU., De l’Esprit des Lois, t.1, Paris, Garnier /Flammarion, 1979, p. 293.
5
Ibid., p. 293.

2
air frais, une bouffée d’oxygène à nos Etats. Dans le but de rendre ceci
intelligible, nous diviserons notre travail en trois parties.
Dans la première partie, il sera question de répondre à la question
suivante : qu’est ce que le libéralisme de Montesquieu ? Autrement dit, quel
est son fondement, sa nature, ses différentes articulations ? Ceci nous amènera à
examiner d’une part son contexte d’émergence, et d’autre part ses grandes
lignes. Dans la seconde partie, nous porterons un regard critique sur la situation
politique actuelle de l’Afrique dans le but de ressortir les obstacles qui freinent
l’évolution du continent et la réalisation d’une véritable démocratie. Comme
aucune œuvre humaine n’est parfaite, elle reste donc passible de critiques.
C’est ainsi que nous présenterons d’abord les insuffisances du libéralisme
politique de Montesquieu, ensuite son apport pour la redynamisation de la
démocratie en Afrique.

3
CHAPITRE I : LE LIBERALISME POLITIQUE DE MONTESQUIEU

Le libéralisme apparaît en Europe dans un contexte difficile marqué par


le règne de l’absolutisme monarchique. Encore appelé « Ancien régime »,
l’absolutisme monarchique est un type de gouvernement dans lequel l’autorité
est détenue par le roi. C’est la monarchie qui domine l’organisation politique
et sociale des Etats de l’Europe occidentale et centrale aux XVII e et XVIIIe
siècles. Ici le monarque monopolise les trois pouvoirs constitutifs de l’Etat, à
savoir : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Il est animé par une profonde
soif d’absolutiser son pouvoir et de le diviniser. Ainsi, il s’autoproclame le
représentant de Dieu sur terre, il est le roi de droit divin. C’est donc dans un tel
contexte que survient le libéralisme, entendu comme un mouvement de
revendication des droits et des libertés des citoyens contre la tyrannie de la
monarchie. Dès lors, le libéralisme se pose en s’opposant à la monarchie,
tombeau des libertés humaines.
Hérité du siècle des Lumières6, ses pionniers, notamment Locke,
Descartes, Diderot, Voltaire ont principalement marqué la pensée libérale à
travers des principes généraux tels : les droits naturels, l’égalité entre les
hommes, la nécessité d’améliorer la société C’est dire combien le souci des
penseurs des Lumières a eu une sérieuse incidence sur le libéralisme en général
et celui de Montesquieu en particulier. Mais en quoi consiste le libéralisme de
Montesquieu ? Quelles sont ses grandes articulations ?
Dans ce chapitre, il sera question de présenter d’une part le contexte
d’émergence du libéralisme et d’autre part d’examiner le libéralisme de
Montesquieu. Ce faisant, nous partirons d’abord d’une étude systématique des
formes de gouvernements afin de déterminer celles qui ont la liberté pour objet.
Ensuite nous présenterons la loi et la liberté comme fondement du libéralisme,
enfin nous aboutirons sur les moyens de protection des libertés.

6
Siècle de grand essor scientifique et d’épanouissement de la raison critique en Europe.

4
Le contexte d’émergence du libéralisme

Le XVIIIe siècle est un siècle encore dominé par l’absolutisme royal de


l’ « Ancien régime ». Ce dernier est une organisation politique dont le but est
la consolidation du pouvoir aux dépens des libertés des citoyens. C’est dans ce
contexte qu’apparaît un courant de pensée ayant pour objectif la défense des
libertés des individus contre les abus d’autorité : le libéralisme. Il prend
naissance dans un contexte trouble caractérisé par l’hégémonie du monarque.
Jusqu’au XVIIIe siècle, la monarchie royale était encore le mode
d’organisation politique dominant en Europe notamment ; elle a comme trait
saillant, l’absolutisme qui se comprend comme l’affirmation d’une
souveraineté monarchique absolue, sans limite et sans contrôle, ne
reconnaissant aux sujets que le seul droit d’obéir. De ce fait, elle constitue une
menace permanente pour le plein épanouissement des citoyens. Cette forme
d’organisation politique présente comme spécificité, l’omnipotence du
monarque et l’illimitation du pouvoir royal.
Dans le cas d’espèce, l’omnipotence s’entend, comme une puissance
absolue, suprême et sans limitation. Dans ce sillage, le pouvoir du monarque
n’a de limite que sa seule volonté. C’est ce à quoi ressemblait la monarchie
absolue jusqu’au XVIIIe siècle. Cette monarchie absolue que les philosophes
des Lumières appelleront plus tard « Ancien régime », est personnifiée en
France par le roi, chef du royaume et monarque absolu de droit divin 7. Dans ce
régime, le souverain est tout et l’individu rien. Le philosophe Hobbes dans son
œuvre intitulé Léviathan, faisant l’apologie de l’Ancien Etat, symbole de la
tyrannie monarchique, justifie l’austérité du pouvoir du monarque par la
nécessité de paix et de sécurité. Il pense que la nature humaine est
instinctivement belliqueuse, car elle entretient trois causes principales de
conflits, à savoir la compétition, la défiance et la gloire. Ainsi, pour mettre fin à
la guerre de « tous contre chacun » qui régnait à l’état de nature, il estime la
7
CALVET J., Manuel illustré d’histoire de la littérature française 15e éd., Paris, J. De Gigord, 1946, p. 489.

5
nécessité du « Léviathan » supérieur et extérieur à ses sujets par le trait de son
irresponsabilité. Il n’aura aucune obligation morale, ni politique vis-à-vis de
ses sujets, puisque n’ayant pas pris part au contrat social, il est extérieur à ce
pacte et par conséquent, ne saurait être lié à ses ordonnances. De même, ce
contrat passé entre les membres du peuple, est un pacte de soumission absolue
au prince, et non une convention, encore moins une convention limitée. De ce
fait, le peuple doit être entièrement soumis au monarque qui est le maître
absolu. Pour Hobbes, cette soumission à un pouvoir autoritaire « est peu de
chose en comparaison des misères et des calamités horribles qui sont le lot
d’une guerre civile, ou de la condition dissolue qui est celle des humains sans
maître, sans la sujétion des lois, sans puissance coercitive pour enchaîner leurs
mains capables de rapine (vol, pillage) et de vengeance. »8 Ainsi, selon Hobbes,
le pouvoir autoritaire est un moindre mal par rapport à l’insécurité ambiante et
permanente de l’état de nature.
Par ailleurs, un autre signe de l’omnipotence monarchique se révèle au
niveau de l’individualisation du pouvoir. Le pouvoir est détenu par un seul
homme, à savoir le monarque. Il s’illustre comme le détenteur exclusif du
pouvoir suprême. Cette concentration de tous les pouvoirs entre les mains du
seul monarque s’explique par l’idée que le pouvoir s’amoindrit lorsqu’il est
partagé. D’où l’importance de cette précision qu’apporte Richelieu : « un
seul pilote au timon de l’Etat. Rien n’est plus dangereux que diverses
autorités égales en l’administration des affaires. »9
En outre Louis XIV renchérit en précisant dans ses Mémoires que même
les points de vue des conseillers du prince sont subsidiaires, car seule la volonté
du monarque a une valeur. Ainsi, pense-t-il le roi peut avoir des conseillers,
toutefois il ne reçoit d’eux que des avis et même lorsqu’ils sont bons, le

8
HOBBES T., Léviathan, Paris, Folio essais, 2000, p. 303.
9
RICHELIEU., Testament Politique, cité par PRELOT et LESCUYER in Histoire des idées politiques, Dalloz,
1980, p. 302.

6
mérite revient au roi puisqu’il a su les suivre 10. Cette individualité du roi
concourt naturellement au renforcement du pouvoir royal.
La suprématie royale découle naturellement du renforcement exagéré du
pouvoir princier. Son pouvoir, illimité s’explique par le fait qu’il est extérieur
aux lois qu’il a lui-même établies. Cela dit, le monarque n’est pas tenu de
respecter ses propres lois qui ne sont faites que pour ses seuls sujets. Il n’est
soumis à aucune obligation, à aucun devoir. Le prince n’obéit qu’à ses
propres caprices. Ce qui lui confère le droit de vie ou de mort sur ses sujets. De
ce fait, l’unique règle constante ici, c’est la crainte du monarque.
De même, le prince vise non pas la protection de ses sujets comme a
voulu nous faire croire Hobbes, mais plutôt le renforcement de l’Etat, la
protection et l’affermissement de sa propre puissance. Par ailleurs, la
concentration des pouvoirs est inéluctable du moment où le monarque règne
sans contrôle. Dès lors, le tyran a la main mise sur tous les pouvoirs, à savoir :
l’exécutif, le judiciaire et le législatif. Elle dénote la phobie pouvoiriste du
monarchique. Il est le détenteur unique de la souveraineté qui s’exprime, dans
le pouvoir législatif, par sa faculté de « donner et de casser la loi »11. La
concentration des pouvoirs dans la monarchie traduit l’idée qu’elle se fait du
gouvernement de corps. L’Ancien régime considère le gouvernement de corps
comme un péril, car il pourrait connaître une insuffisance de coordination et de
ce fait un déficit de contrôle du pouvoir par le monarque. Par conséquent, toute
collégialité, toute multiplicité des gouvernants ou des conseillers, est à
proscrire.
L’omnipotence du monarque n’est de nature qu’à nuire au libre
épanouissement des citoyens, qu’à les effacer en face d’un monarque qui est
seul digne de respect. Les tribulations du peuple dans l’absolutisme
monarchique se manifestent à plusieurs niveaux : sa dépendance absolue vis-à-
vis du roi, son absence de propriété.

10
LOUIS XIV., Suppléments de Mémoires de 1666, cité par PRELOT et LESCUYER, op. cit., p. 310.
11
BODIN J., République, cité par PRELOT et LESCUYER, op. cit., p. 284.

7
L’un des traits principaux de l’avilissement du peuple s’illustre par sa
dépendance absolue vis-à-vis du monarque. Le citoyen se voit ici réduit au rang
de simple sujet qui ne possède que des devoirs. D’ailleurs, le terme sujet est
très révélateur. Il désigne un être dépendant, soumis, inférieur et obligé. C’est
pour cela qu’il n’a que des devoirs et que l’unique droit dont il dispose se
réduit à l’obéissance au monarque. C’est dans l’optique de justifier la
soumission du peuple au roi que le théoricien de l’absolutisme théocratique,
Bossuet, fait l’apologie du régime principal, régime qui tient le peuple soumis
à un roi à l’instar d’une famille à un père, chef de cette famille 12.
Un autre trait manifeste de l’avilissement du peuple par l’absolutisme
monarchique c’est la confiscation des libertés. Le peuple est dénué de la liberté
d’expression. Il y a volonté manifeste de bâillonnement qui se sanctionne des
incarcérations, parfois par des exécutions sommaires. Les victimes sont
accusées de crime de lèse-majesté, c’est-à-dire d’un attentat contre la
personne du souverain, contre son pouvoir. Dans ce contexte, toute critique
contre l’Etat, c’est-à-dire le roi, est interdite et sévèrement réprimandée. Cette
punition peut alors aller jusqu’à la peine capitale. En outre, le problème de la
liberté ne se limite pas au bâillonnement, il s’étend à la prohibition des
réunions et des manifestations. Louis XIV dans ses Mémoires l’exprime en ces
termes : « le peuple est insatiable dans ses réclamations, plus vous le caresser
plus il vous méprise. »13
Au regard de ce qui précède, l’absolutisme royal constitue le bourreau
des libertés humaines puisque l’arbitraire est la règle, les hommes sont réduits
en sujets primitifs, c’est-à-dire en des individus soumis, subordonnés, voire en
des valets. Dans ce contexte, l’homme est réduit au rang d’animal parce
qu’il n’est pas maître de lui-même, il dépend absolument de la volonté de sa
majesté, le roi. C’est dans ce contexte socio-politique que poindra le

12
CALVET J., op. cit., p. 297.
13
LOUIS XIV., Suppléments de Mémoires de 1666, cité par PRELOT et LESCUYER, op. cit., p. 310.

8
libéralisme et plus particulièrement le libéralisme de Montesquieu, symbole de
la modernité politique.
En résumé, le contexte socio-politique dans lequel émerge le libéralisme
est foncièrement liberticide à cause du despotisme14 qui était encore en vogue au
XVIIIe siècle. C’est donc en réaction contre cet environnement néfaste (pour
libertés individuelles) des régimes monarchiques que le concept de liberté
deviendra son leitmotiv. Ainsi, tout pouvoir quel qu’il soit, doit être limité par
les libertés individuelles des citoyens. C’est dans cette optique qu’il faut
comprendre le libéralisme de Montesquieu et son combat acharné contre un tel
régime.
A la question de savoir comment lutter contre un tel régime monstrueux
et liberticide, et l’éviter à l’avenir, Montesquieu entreprend d’abord
d’élucider les formes des gouvernements afin de déterminer celles qui ont la
liberté pour objet.

I. Les formes de gouvernements

Montesquieu dans le cadre du processus de modernisation de la politique,


c’est-à-dire de la recherche d’un ordre nouveau, recherche le moyen d’éviter
le despotisme. Ainsi, l’auteur de De l’Esprit des Lois envisage d’établir la
normalisation du politique en passant par la recherche du meilleur
gouvernement. Pour ce faire, il introduit deux concepts nouveaux, notamment la
nature et le principe du gouvernement qu’il prend la peine de distinguer
nettement.
La nature du gouvernement, c’est ce qui fait qu’un gouvernement soit
ce qu’il est, c’est la structure particulière qui définit le mode de détention et
d’exercice du pouvoir.
Le principe du gouvernement quant à lui, c’est ce qui fait agir le
gouvernement.

14
Pouvoir totalitaire et arbitraire.

9
La nature du gouvernement sera à la source des lois politiques, c’est-à-
dire celles qui règlent l’organisation gouvernementale ; son principe quant à
lui, sera à l’origine des lois civiles et sociales. En outre, la nature du
gouvernement ne peut pas entrer en contradiction avec son principe parce
qu’ils sont deux concepts bien hiérarchisés. Par ailleurs, il vise à travers la
classification des types de gouvernement, à découvrir la forme de gouvernement
la plus capable d’éviter le pouvoir absolu et de garantir les libertés. Il distingue
ainsi :

1. Le régime républicain
La république étymologiquement parlant, vient du latin « res publica »
qui signifie la chose publique, c’est-à-dire l’Etat.15 Ce concept, depuis
l’antiquité, se trouvait déjà chez Platon et constituait d’ailleurs le titre de son
ouvrage principal de philosophie politique. La république est le premier régime
étudié par Montesquieu. Il apporte une touche particulière dans la définition de
ce concept, car il réunit sur l’échiquier république, démocratie et aristocratie.
Ainsi, la république se définit comme étant un type de gouvernement « où le
peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine
puissance »16. A partir de là, ce qui distingue ces deux formes de gouvernement,
c’est leur nature, c’est-à-dire le nombre des gouvernants. Dans les
républiques démocratiques, le peuple entier a la souveraine puissance tandis que
dans celles aristocratiques, une petite partie du peuple détient le timon de
l’Etat.
Ainsi, de par la nature du gouvernement républicain, le peuple est à
certains égards monarque, c’est-à-dire qu’il élit et juge ses magistrats, et à
d’autres, il est sujet, c’est-à-dire que ses magistrats décident. Dans cette
logique, Montesquieu jette son dévolu sur le système de gouvernement
représentatif, aux dépends de sa forme originelle pratiquée par les Grecs. Il le
précise en ces termes : « Le peuple qui a la souveraine puissance doit faire par
15
DUROZOI G. et ROUSSEL A., Dictionnaire de Philosophie, Paris, Nathan, 1997, p. 332.
16
MONTESQUIEU., op. cit., p. 131.

10
lui-même tout ce qu’il peut bien faire ; et ce qu’il ne peut pas bien faire, il
faut qu’il le fasse par ses ministres »17.
Ainsi, le peuple aura pour tâche le choix de ses représentants qui ont
nécessairement une bonne intelligence des affaires comparativement au peuple
dont l’essence est la passion, l’instinct, etc.
De par leur principe, il existe également une distinction entre la
république démocratique et celle aristocratique. Ainsi, si le principe de la
république démocratique c’est la vertu, c’est-à-dire l’amour des lois, de
l’égalité et de la patrie. Dans la république aristocratique, c’est toujours la
vertu mais au sens de modération, surtout dans l’usage de l’inégalité entre la
noblesse et le peuple. Au demeurant, si la vertu arrivait à disparaître dans la
république démocratique, « l’intérêt des particuliers prendra le dessus sur
l’intérêt général »18. Par conséquent, il y a nécessité des lois républicaines qui
doivent maintenir l’égalité et préserver la pureté des mœurs. D’où la place
importante que Montesquieu, tout comme Rousseau, accorde à l’éducation
dans l’économie de ce régime, puisque c’est grâce à elle qu’une conversion
de « l’homme privé » en « homme public » est possible. Puisque dans la
république démocratique, toute chose est un bien public, car ce n’est que
l’intérêt général qui est pris en considération. Le problème de la démocratie,
surtout dans sa forme originelle ou Grecque, c’est qu’elle n’est applicable
qu’à de petits Etats. Rousseau, l’un des fervents défenseurs de ce régime,
affirme qu’il est le « gouvernement des dieux », en raison de son
inapplicabilité dans les Etats modernes plus spacieux et davantage populeux.

2. Le régime monarchique
C’est un régime dans lequel un seul, le roi, gouverne par des lois fixes et
établies (nature) et que conditionne l’honneur (principe), non au sens moral,
mais au sens que Thomas Hobbes donne dans le Léviathan, c’est-à-dire la
reconnaissance de la supériorité du monarque.
17
Ibid., p. 132.
18
Ibid., p. 133.

11
Par nature, un seul gouverne : le roi contrairement au régime républicain
où le pouvoir est détenu par plusieurs individus. En outre, il n’y a qu’un pas
entre la monarchie et le despotisme : l’existence des lois dans la monarchie.
D’où l’importance des corps intermédiaires à qui revient la modération des
lois. Au demeurant, la noblesse détient la palme d’or parmi eux, puisqu’elle
est le pouvoir intermédiaire le plus naturel ; mais le plus convenable, c’est le
clergé ; et le troisième corps est celui des magistrats. C’est particulièrement la
noblesse qui constitue l’ange gardien de la monarchie, car si elle est évincée,
on aura « bientôt un Etat populaire, ou bien un Etat despotique. »19
Le principe de la monarchie, c’est l’honneur. Car c’est « l’honneur,
selon Montesquieu, qui fait mouvoir toutes les parties du corps politique ; il les
lie par son action même ; et il se trouve que chacun va au bien commun,
croyant aller à ses intérêts particuliers. »20 En un mot, il peut conduire au but
du gouvernement monarchique comme fait la vertu dans la démocratie.

3. Le régime despotique
Le despotisme est le type de gouvernement que Montesquieu déteste le
plus.
Par nature, le despotisme est le régime politique dans lequel, un seul, à
savoir le monarque, gouverne par sa seule volonté et ses caprices, c’est-à-dire
sans des lois fixes. Paresseux et ignorant, le despote peut, dans certains cas,
confier le gouvernement à un ministre, qui, en tout état de cause, fait sa volonté.
Le principe du despotisme est la crainte, contrairement à celui de la
monarchie qui est l’honneur. Ce qui fait la différence entre les deux régimes,
c’est qu’ici, le monarque ou le despote gouverne sans lois, tandis que dans la
monarchie, le despote gouverne selon des lois fixement établies. La crainte y est
permanente, parce que le tyran est tenu de sévir en toutes circonstances, en
raison de l’inexistence des lois fixes. Toutefois, le despotisme reste un

19
Ibid., p. 145.
20
Ibid., p. 149.

12
véritable danger pour la monarchie, « puisqu’il suffit que le souverain évince la
noblesse sous la pression du peuple pour qu’on y arrive »21.
En somme, le meilleur gouvernement, c’est le gouvernement modéré qui
peut être républicain ou monarchique, c’est-à-dire tout gouvernement qui a
pour fin la liberté et dans lequel l’on n’abuse pas du pouvoir. Par contre, le
pire gouvernement, c’est le gouvernement despotique dans la mesure où il
n’est gouverné que par la volonté d’un seul individu. Toutefois Montesquieu
prévient que, même les gouvernements modérés peuvent devenir despotiques si
leurs principes sont corrompus.
Après avoir étudié la nature et le principe de chaque régime, Montesquieu
entreprend ensuite d’élucider celui de la loi et de la liberté.

II. Loi et liberté comme fondement du libéralisme politique de


Montesquieu

L’intérêt de l’homme pour la liberté justifie l’importance de plus en


plus grandissante que ce dernier accorde à ce concept. L’homme étant toujours
en captivité dans les murailles du pouvoir, a fait de la lutte pour sa libération,
son cheval de bataille. C’est dans ce sens que Montesquieu, comme bien
d’autres auteurs libéraux et humanistes, fait de ce concept l’un des points
essentiels de son ouvrage. Il sera d’abord question de déterminer la nature de
la loi et de la liberté, et ensuite d’indiquer les institutions censées les protéger.

1. La conception de la loi chez Montesquieu


Le libéralisme a toujours fait des concepts de liberté et de loi, les
principes de bases de l’Etat de droit, d’un Etat démocratique et de
l’épanouissement de l’individu.
La notion de loi est l’un des termes majeurs du libéralisme de
Montesquieu. L’auteur lui a donné un sens assez original. Pour lui, « les lois
sont les rapports nécessaires qui découlent de la nature des choses »22. De ce
21
Ibid., p. 149.
22
Ibid., p. 149.

13
fait, il affirme que tous les êtres ont leurs lois : Dieu a ses lois, le monde
physique a les siennes, le monde intelligent aussi. Ainsi, Montesquieu se
démarque de la conception ancienne des lois. Auparavant, toutes les lois étaient
tirées de la religion ou plus précisément de Dieu. Dans ce sens, l’auteur entend
laïciser les lois civiles. Par ailleurs, il distingue, chez l’homme, les lois
primitives et les lois positives. A ce niveau, l’auteur fait recours à l’état de
nature pour s’attaquer particulièrement à la philosophie de Hobbes.
Pour Montesquieu, l’état de nature n’est pas un état de guerre de « tous
contre chacun » comme l’a estimé Hobbes. Pour lui, l’état de guerre
n’apparaît qu’avec la société politique du moment où en société, dit-il, les
hommes « perdent le sentiment de leur faiblesse ; l’égalité qui était entre eux
cesse »23. C’est ce qui justifie la nécessité des lois civiles. Ceci nous permet de
clarifier la loi positive qui est une loi régissant les relations entre les hommes
dans la société ; dans ce cas on parlera de droit civil. Elle peut aussi être les
relations entre les citoyens et l’Etat ; ici, on parlera de droit politique. Elle peut
régenter également les relations entre les Etats ; on parlera de droit de gens. Au
demeurant, « la loi, en général est la raison humaine en tant qu’elle gouverne
tous les peuples de la terre »24. C’est dire que, dans un Etat démocratique,
c’est la loi qui gouverne en réalité et non les hommes. C’est dans ce sens que
Touchard déclare : « liberté à la loi et sujétion à la loi, tel est le principe
cardinal en dehors il ne peut y avoir de démocratie »25. Ainsi, c’est le respect
de la loi qui permet d’éviter l’arbitraire.
La loi en général est définie chez Montesquieu comme « les rapports
nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et dans ce sens, tous les êtres
ont leurs lois, y comprit la divinité. »26 De cette définition de la loi, ressort
sournoisement deux types de lois bien distincts que Montesquieu reconnaît lui-

23
Ibid., p. 127.
24
Ibid., p. 128.
25
TOUCHARD J., Histoire des idées politiques, t.1, Paris, PUF, 1959, p. 31.
26
MONTESQUIEU., op. cit., p. 129.

14
même. Il s’agit : de la loi de nature et de la loi positive. Mais qu’en est-il
exactement de chacune d’elle ?

Le concept de loi de nature chez Montesquieu


Essentiellement régie et établie par Dieu, elle couvre tous les êtres.
C’est pourquoi Montesquieu dit que « tous les êtres ont leurs lois » et en ce
sens ceux qui pensent que le monde serait « soumis à une fatalité » se trompent
royalement, car il existe une raison primitive. C’est cette raison primitive qui
fait que les animaux par l’attrait du plaisir et par le sentiment conservent leur
être particulier et leur espèce. Si la loi naturelle se caractérise chez les animaux
par l’attrait du plaisir et par le sentiment, c’est-à-dire l’instinct de
reproduction et de reconnaissance de leur espèce, chez l’homme, elle se
caractérise non par la connaissance, mais par « la faculté de connaître ». Cette
faculté de connaissance exprimée en lui le pousse vers son créateur. N’ayant
pas de connaissance, il peut vraiment raisonner au sens intellectuel du terme et
« il est clair que ses premières idées ne seraient point d’idées spéculatives : il
songerait à la conservation de son être, avant de chercher l’origine de son
être. Un homme pareil ne sentirait d’abord que sa faiblesse, sa timidité serait
extrême ; tout les fait trembler, tout les fait fuir »27 .
Dans cette condition de vie, l’homme n’a pas encore atteint sa maturité
et mène une vie « sauvage ». Son état s’apparente à l’état théologique
comtien. Contrairement à Hobbes, cet état au lieu de l’entraîner vers la
bataille, vers la guerre l’entraînerait plutôt à la recherche de la paix, et
Montesquieu affirme : « la paix serait la première loi naturelle ».28
Sentant sa faiblesse, l’homme chercherait d’abord la paix ; à celle-ci, il
joindra le besoin de se nourrir (deuxième loi naturelle), de se marier (troisième
loi naturelle). La quatrième loi vient du désir par l’homme à vivre en société
et qui consiste en l’élaboration des lois positives, puisque la guerre naît avec
la société. C’est la raison pour laquelle il affirme : « Sitôt que les hommes sont
27
Ibid., p. 126.
28
Ibid., p. 126.

15
en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; l’égalité qui était entre
eux cesse, et l’état de guerre commence. »29
Cet état de guerre ou d’exercice du « jus naturalis » ne pouvait perdurer
sans porter préjudice à cette même société qui l’exerce. D’où l’importance
de réglementer la vie et trouver des lois positives. Pourquoi le terme loi
positive ? Comment se trouve-t-elle définie chez Montesquieu ?

Le concept de loi positive chez Montesquieu


La loi positive tire son origine dans la loi cosmique d’où elle prend son
essence. Cette loi cosmique ou loi de nature dont participe tous les êtres
confère à l’homme une certaine connaissance, sans toutefois faire de lui un
sujet connaissant ; (puisqu’il est à ce niveau en état de sauvage) de ce fait la
loi à laquelle il obéit ne lui permet pas de concevoir une vie sociale, car il est
réduit uniquement à la satisfaction de ses trois besoins fondamentaux que sont :
La recherche de la paix, « dans cet état, chacun se sent inférieur, on ne
cherche donc point à s’attaquer et la paix serait la première loi naturelle. »30
Le besoin de se nourrir « ainsi une autre loi naturelle serait celle qui lui
inspirerait de chercher à se nourrir »31 et enfin le besoin sexuel. Ces besoins
vont engendrer un problème vital, car pour qu’ils ne créent pas une sorte de
jungle, il faut donc se discipliner en créant des lois qui puissent permettre à tout
un chacun de mieux satisfaire ses besoins, non en fonction d’un droit naturel,
mais selon la raison : cette démarche aboutit au besoin de la société ou de vivre
en société, selon des normes bien définies par la raison. C’est pourquoi
définissant les lois positives, Montesquieu l’énonce comme « la raison
humaine en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre »32.
Le concept de la loi positive ne s’aurait s’apparenter à une « volonté
générale » comme chez Rousseau, qui est une déclaration de la volonté
collective qui anime « le moi commun » mais s’entend comme les principes
29
Ibid., p. 126.
30
Ibid., P. 126.
31
Ibid., p. 126.
32
Ibid., p. 126.

16
qui régissent le sort de chaque Etat, qu’il soit républicain, monarchique ou
despotique, la loi positive se trouve définie en sa nature et en son principe. La
nature est ce qui le fait tel, et l’autre ce qui le fait agir. L’une est sa structure
particulière, et l’autre les passions humaines qui le font mouvoir. Dans sa
conception, la loi positive devient chez l’homme, une règle voulue, instituée
pour assurer la sécurité et la liberté. « Elle est alors une spécialisation de la loi
dans sa signification la plus étendue »33 précisera Jacqueline Russ.
Cette spécification de la loi positive portera la réflexion à considérer
cette dernière comme la condition de possibilité et de validité de toute liberté
politique. C’est ce que Montesquieu s’évertue à montrer dans son chef
d’œuvre De l’Esprit des Lois.
En somme, la loi, loin d’être un instrument de domination, devient un
cadre dans lequel chaque individu manifeste sa liberté. C’est dire que, liberté
et loi sont intimement liées et que sans la loi, on ne peut parler de liberté, mais
plutôt de droit. C’est dans ce sens que Rousseau estime que « l’obéissance à
la loi qu’on s’est prescrite » 34 est liberté. D’où la nécessité de savoir ce
qu’est la liberté chez Montesquieu.

2. La conception de la liberté chez Montesquieu


La place centrale qu’occupe la liberté dans la vie de tout être
raisonnable, en tant que « certificat d’humanité » d’après Rousseau, constitue
l’un des besoins essentiels pour un véritable épanouissement, voire pour un
éventuel bonheur de l’homme et fait de ce dernier l’un des sujets les plus
captivants dans l’histoire de l’humanité. « Homme, tu possèdes par nature
une volonté qui ne connaît ni obstacles ni contraintes ( ) »35. C’est en ces
termes que Epictète (50-130) rend explicite la dimension naturelle de la liberté
humaine. Thème de réflexion de la philosophie, de la religion, la liberté est sans
aucun doute, un concept polysémique et nébuleux. C’est ce qui explique cette
33
RUSS. J., Philosophie : les auteurs les œuvres, la vie et la pensée des grands philosophes. L’analyse
détaillée des œuvres majeurs, Paris, Bordas, 1996, p. 187.
34
ROUSSEAU J.-J., Du contrat social, Paris, PUF, 1995, p. 181.
35
ÉPICTÈTE., « Entretiens », les stoïciens, Paris, Gallimard, 1962, p. 849.

17
affirmation de l’historien romain Alu-Gelle selon laquelle tout le monde en
parle, personne ne sait en quoi elle consiste. La difficulté de définir ce concept
de liberté est également mise en exergue par Spinoza. Pour celui-ci, la question
de la liberté est comme un labyrinthe où notre raison s’égare bien souvent.
Montesquieu à son tour va s’engager à éclaircir ce terme rocailleux dans son
acception philosophique et politique, tout en les distinguant minutieusement.

Le concept de liberté au sens philosophique


Au sens philosophique du terme, la liberté tend à se définir comme libre-
arbitre, indétermination de la volonté humaine. C’est ainsi que Descartes, dans
Les Méditations, définit la liberté comme la possibilité d’agir sans qu’aucune
force extérieure nous y contraigne. Cela dit, Descartes conçoit la liberté comme
indépendance du sujet agissant. Il ramène cette question de liberté dans un
rapport à la connaissance et à la volonté.
Penser librement à cet effet n’est pas penser sans règles ni motifs, mais
d’après ses propres lumières, sa propre raison sans toutefois subir des
contraintes extérieures. Descartes affirme dans cette optique que : « Si je
connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serai
jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrai faire : et
ainsi je serai entièrement libre sans jamais être indifférent. »36
Pour Descartes, la liberté consiste seulement en ce que, pour affirmer ou
nier, pour suivre ou fuir les choses que l’entendement propose, nous agissons
de telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y
contraigne (cf. Méditation IV). Ainsi l’acte libre c’est l’acte le plus réfléchi,
le plus profondément motivé, celui dont nous avons posé tous les motifs, en
somme le contraire de l’acte indifférent.
De même, Spinoza, l’auteur de l’Ethique, aborde cette question dans la
même optique que Descartes. Pour lui, l’idée de liberté s’exprime comme un
acte de volonté sans contrainte. C’est la raison pour laquelle il affirme en ces

36
DESCARTES R., cité par HUISMAN D. et VERGEZ A., op. cit., p. 298.

18
termes : « Un homme libre, c’est un homme qui vit sous le seul commandement
de la raison ( ) désire ce qui est bon directement, c’est-à-dire, désire agir,
vivre, conserver son être suivant le principe de la recherche de l’utile
propre. »37
Montesquieu pense également, comme ces philosophes, que la liberté au
sens philosophique, met en relief l’indétermination de la volonté. C’est ainsi
qu’il la définit en ces termes : « La liberté philosophique consiste dans
l’exercice de sa volonté ( ) ou du moins dans l’opinion où l’on est que l’on
exerce sa volonté »38. Toutefois, le baron de la Brède s’insurge contre cette
conception philosophique de la liberté qui, d’après lui, fait abstraction des lois.
La liberté n’est pas l’absence des lois précise-t-il. C’est ainsi qu’il précise
que la liberté dont il est question dans son œuvre, n’est pas philosophique,
mais politique.

Le concept de liberté au sens politique


Tout en évitant une fuite en avant philosophique, Montesquieu cherche à
définir la liberté dans son rapport avec la loi. C’est ce qu’il appelle liberté
politique. Ici, le problème n’est pas d’être libre contre les lois, mais sous les
lois. En effet, pour que cette liberté ne soit pas partielle, il va la définir dans son
rapport avec la constitution, et dans son rapport avec le citoyen. C’est ce qui
justifie cette déclaration de l’auteur : « je distingue les lois qui forment la
liberté politique dans son rapport avec la constitution, d’avec celles qui
forment dans son rapport avec le citoyen. »39 Donc pour l’auteur, on ne peut
discourir sur la liberté politique qu’en considérant les droits politiques et civils
car, il ne sert à rien d’être protégé contre l’Etat et être à la merci des injustices
de ses concitoyens. Pour se sentir en sécurité, le citoyen doit à la fois être
protégé contre l’arbitraire de l’Etat et des particuliers. D’où cette double
définition de la liberté politique. Dans son rapport avec la constitution, la liberté

37
SPINOZA B., Ethique, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 285.
38
MONTESQUIEU., op. cit., p. 328.
39
Ibid., P. 292.

19
politique est soumission à la loi, elle est différente de l’indépendance, qui
consiste à agir en faisant fi de la loi c’est-à-dire, faire anarchiquement ce que
l’on veut comme ce qui semble être le cas dans les démocraties. Selon
Montesquieu, « la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent »40.
En un mot, l’homme est politiquement libre lorsqu’il peut exercer sa volonté
dans le champ circonscrit par la loi. C’est dans cette même optique que le
philosophe anglais Locke, bien avant Montesquieu, avait jeté les bases de la
liberté déterminée par la loi. Voltaire, après lui, très connu pour ses idées
libérales, très admiratif des idées politiques de Locke, lui emboîte le pas, en
liant la liberté et la loi. Pour lui, « la liberté consiste pour l’homme à ne
dépendre que des lois »41. E. Kant ne perd pas de vue cette logique car pour lui,
« la liberté serait la propriété qu’aurait cette causalité de pouvoir agir
indépendamment de causes étrangères qui la déterminent. ( ) la volonté est
libre quand elle obéit à ses propres lois. »42 C’est dans cette même optique que
s’inscrit M. Kamto lorsqu’il déclare : « La nécessité de sauvegarder la
société commande que la jouissance de la liberté se fasse dans le respect de la
loi établit par les citoyens »43.
En somme, la liberté semble avoir une relation intrinsèque avec la loi
qu’on s’est prescrite. Dès lors, étant la proie du despotisme, Montesquieu
estime nécessaire de la protéger.

III. Moyens de protection des libertés

Montesquieu pense que pour que l’homme soit à l’abri de l’arbitraire


du despotisme, il faut prévoir des mécanismes de protection de ses droits et
libertés. C’est ainsi qu’il procède par la théorie de la séparation des pouvoirs.

40
Ibid., p. 292.
41
VOLTAIRE., Traité sur la tolérance, Paris, Gallimard, 1975, p. 102.
42
KANT E., Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Bordas, 1988, p. 85.
43
KAMTO M., L’urgence de la pensée. Réflexion sur une précondition du développement en Afrique,
Yaoundé, Mandara, 1993, p. 40.

20
1. La théorie de la séparation des pouvoirs
Après avoir recensé les obstacles capables de nuire à la liberté politique,
il s’agit maintenant de la protéger contre les dérives despotiques et
tyranniques. Pour la garantir, Montesquieu met sur pied des institutions
politiques qui auront cette liberté pour objet. Toutefois, la liberté politique
n’est possible qu’à condition qu’il y ait distribution des forces, c’est-à-dire
qu’il y ait déconcentration des pouvoirs, et qu’il y ait existence de corps
intermédiaires subordonnés, destinés à diffuser les lois dans tout le corps social.
Ici, Montesquieu se sert de la théorie de Locke pour fonder la sienne. Il se
démarque de la théorie du philosophe anglais en y introduisant le pouvoir
exécutif, ce qui peut s’expliquer par son statut de magistrat. Il distingue
également trois pouvoirs qu’il appelle puissance. En effet, il octroie à chacun
de ces pouvoirs une attribution précise :

La puissance législatrice
Elle a comme tâche principale l’élaboration des lois ;

La puissance exécutrice
Elle a pour fonction l’exécution des lois construites par le législatif ;

La puissance fédérative ou judiciaire


Elle a la mission d’exécuter les résolutions publiques.
La réunion de ces pouvoirs entre les mêmes mains d’un seul individu,
constitue une menace pour la liberté politique. Montesquieu précise cela en ces
termes : « Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des
principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de
faire des lois, celui d’exercer les résolutions publiques, et celui de juger les
crimes ou les différends des particuliers. »44
Ainsi, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire, pour
la simple raison que le juge serait législateur, précise Montesquieu. De même en
cas de concentration du pouvoir exécutif et judiciaire dans le même corps, la
44
Ibid., p. 295.

21
liberté est également en voie de disparition, dans la mesure où le même
monarque pourrait « fabriquer des lois tyranniques pour les exécuter
tyranniquement. »45 En effet, la modération des pouvoirs, à travers leur
distribution, est une condition nécessaire mais non-suffisante pour la garantie
des libertés. Des corps intermédiaires sont aussi indispensables pour renforcer
cette protection.

2. L’importance des corps intermédiaires dans l’Etat


Nous nous rappelons que Montesquieu estime que la liberté politique ne
peut exister que dans un gouvernement modéré. Et un gouvernement modéré est
celui qui comprend tous les corps sociaux et qui est régi par des lois. Ainsi, un
peuple libre, ce n’est pas celui qui a un type de gouvernement particulier,
puisque tout pouvoir, par essence, tend à l’abus, mais celui qui comme nous
l’avons dit, jouit de la forme de gouvernement établie par la loi. Toutefois,
l’auteur pense que le type de gouvernement le plus propice à la liberté, c’est
la monarchie parce qu’elle est le régime des distinctions, des séparations et des
équilibres.
En revanche, la monarchie modérée est celle dans laquelle les pouvoirs
seront partagés entre le monarque, la noblesse et le peuple. Il est nécessaire de
rappeler que Montesquieu annule le pouvoir judiciaire, car il estime qu’ayant
pour rôle, l’application pure et simple du droit, il est nul. Le juge étant « la
bouche qui prononce les pouvoirs »46. C’est dire qu’il ne reste plus que deux
puissances à partager. Toutefois, le partage sera conditionné par des critères ; le
peuple étant inapte à discerner des affaires, il est d’office exclu du législatif.
En outre, une nette distinction doit exister entre le peuple et les nobles, sans
quoi, « la liberté commune serait leur esclave (des nobles), et ils n’auraient
aucun intérêt à la défendre ; parce que la plupart des résolutions seraient

45
Ibid., p. 295.
46
Ibid., p. 301.

22
contre eux. La part qu’ils ont à la législation doit être proportionnée aux
autres avantages qu’ils ont dans l’Etat. »47
Ainsi, la force de l’Etat doit être distribuée dans l’harmonie et la
modération, dans la collaboration dynamique et non dans la séparation
impuissante. C’est dans cette optique que Montesquieu affirme que : « Ces
trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme on
parle de mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d’aller de
concert. »48
En somme, la liberté politique n’est possible que si et seulement si les
pouvoirs sont modérés à la fois sur le plan vertical, par la séparation des
pouvoirs au sens distinctif, et sur le plan horizontal, par l’existence des corps
intermédiaires chargés de modérer et de faire diffuser les lois dans tout le corps
social. C’est dire que la modération des régimes politiques ne doit pas se
limiter à la séparation des pouvoirs, mais doit s’étendre à la présence des corps
intermédiaires qui joue un rôle majeur dans l’humanisation des lois.

Le libéralisme politique est né dans une période dominée par la


monarchie absolue. Dans ce régime tous les pouvoirs sont concentrés chez une
seule personne. Ce qui a longtemps constitué une entrave majeure à la liberté
humaine puisque, le monarque pouvait faire des lois tyranniques et les exécuter

47
Ibid., p. 298.
48
Ibid., p. 302.

23
tyranniquement. C’est dire que l’ancien régime fut le « tombeau des libertés »
individuelles et politiques, selon ces termes de Bakounine. Ainsi, il n’y avait
point de libertés fondamentales telles que le droit à la vie le droit à la santé,
puisque le prince disposait du droit de vie et de mort sur tous ses sujets. Le seul
droit que possédaient ces derniers, c’était le droit d’obéir, c’est-à-dire le
devoir de soumission absolue au monarque. C’est dans ce contexte marqué par
une crise de la liberté, que naîtra le libéralisme. C’est dans cette optique que
Montesquieu à la suite de Locke, s’insurge contre l’autoritarisme du pouvoir
étatique et fait de la liberté, son cheval de bataille, dans son ouvrage principal :
De l’Esprit des Lois. Pour qu’il y ait liberté politique, il faut modérer les
pouvoirs. Car dit-il, « c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a
du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. »49
Partant de ce préalable, il décide de la nécessité de limiter les pouvoirs en
les séparant. Donc, la séparation des pouvoirs constitue une arme redoutable
contre le despotisme. Le baron de Brède poussera la réflexion plus loin en
mettant sur pied une théorie des régimes politiques ayant pour principale finalité
la définition des gouvernements qui ont la liberté pour objet. Pour ce faire, il
disqualifie la république, car estime-t-il, elle vise plutôt l’égalité que la liberté.
Ensuite, il réfute le despotisme en tant que régime des excès et des passions. En
revanche, il pense que la monarchie est le moins mauvais des régimes en ce
sens qu’il recèle les éléments essentiels d’un gouvernement libre, à savoir les
distinctions, les séparations.

CHAPITRE II : UN REGARD CRITIQUE SUR LA SITUATION


POLITIQUE ACTUELLE DE L’AFRIQUE

49
Ibid., p. 293.

24
Dans le souci d’éviter un travail partiel en limitant notre étude à un pays
précis ou à une région donnée du continent, au risque de négliger certaines
défaillances politiques qui minent l’Afrique et n’entrent pas en droite ligne
avec la démocratie, nous essayerons de porter ici un regard panoramique non
moins profond sur l’environnement politique actuel de l’Afrique en général.
Parler d’examen de l’environnement politique de l’Afrique voudrait
dire que son contexte actuel n’est pas du tout rassurant, que son atmosphère est
sombre voire liberticide. Le malaise de l’Afrique est grand et indissimulable.
Le problème de la liberté des citoyens et de la gestion des pouvoirs mieux de la
gouvernance se posent avec acuité. Non seulement ils freinent
l’épanouissement de l’homme mais aussi n’entre pas en droite ligne dans le
processus de la démocratie et entraînent de nombreux désastres à l’instar des
guerres civiles, des coups d’Etat
Notre conviction de base est que l’Afrique peut connaître une véritable
démocratie. Mais comment peut-elle la consolider à travers le libéralisme de
Montesquieu ? Avant de parvenir à cette fin, la tâche qui nous incombe ici sera
de jeter un regard critique sur le plan politique, dans l’optique de dépister les
obstacles qui freinent l’évolution du continent et la réalisation d’une
démocratie digne de ce nom.

I . Sur le plan constitutionnel

Pour nous, deux raisons majeures expliquent le retard qu’accuse le


continent africain sur le plan politique : la fragilisation des mécanismes
traditionnels de défense et de protection des droits et des libertés fondamentales
des citoyens, et la dictature en vigueur. D’où cette double interrogation,
comment sont faites nos constitutions et par qui ? Comment s’exerce le
pouvoir en Afrique ?

25
1. La fragilisation des contre-pouvoirs
La nouvelle donne politique actuelle, notamment le libéralisme, fait de
l’individu le vecteur principal du progrès, raison pour laquelle il doit jouir
d’une grande autonomie. De ce fait, les droits et les libertés des individus
doivent être protégés et défendus contre les emportements de l’exécutif par un
double contre-pouvoir, à savoir : le législatif et le judiciaire. Toutefois, en
Afrique, et certainement dans d’autres pays de la planète, ces organes sont
dépouillés de leurs véritables armes défensives.

Le parlement
Dans toutes les constitutions de type libéral et démocratique, le parlement
jouit d’une puissance indéniable, car « il constitue le principal contre-poids à
l’égard du pouvoir exécutif. »50 En effet, c’est lui qui « assure les libertés
individuelles des citoyens par la limitation de la souveraineté étatique »51.
C’est dans cette logique qu’en plus de sa fonction essentielle de légiférer, « le
parlement a également pour mission de contrôler l’exécutif toujours enclin à
l’abus des lois »52. Cette mission de contrôle de l’action gouvernementale par
le parlement est synonyme de dynamisme démocratique, puisque son
« efficience est signe de liberté tant individuelle que politique »53, c’est dire
que la puissance de l’institution parlementaire est un gage pour l’éclosion et
le respect des valeurs fondamentales de l’homme telles que, la vie, les libertés
individuelles, la justice, en un mot les droits de l’homme.
Paradoxalement, en Afrique, « les parlements n’ont pas les mains libres
pour remplir ces nobles fonctions du fait de la tutelle sans cesse pesante de
l’exécutif »54. Ainsi, ce dernier exerce une hégémonie rebutante sur le
parlement grâce à plusieurs mécanismes qui contribuent à les transformer en de
« simples chambres d’enregistrement »55.
50
PALAZZOLI C., Les régions italiennes, contribution à l’étude de la décentralisation politique, Paris, LGDJ,
1966, p. 147.
51
Ibid., p. 148.
52
Ibid., p. 148.
53
MOMO B., « le parlement camerounais », chronique juridique, n°023-024, Yaoundé, Lex. Lala, 1996, p. 25.
54
MOMO B., Droit constitutionnel et institutions politiques, Yaoundé, cours de Licence 1ere année, 1991, p.208.
55
MOMO B., « le parlement camerounais », chronique juridique, op. cit., p. 26.

26
Ces techniques de tétanisation des parlements en Afrique sont nombreuses,
mais nous n’en mettrons en exergue que quelques unes.
L’une de ces techniques, c’est le partage de la fonction législative.
En réalité dans la plupart de nos Etats indépendants, l’initiative des lois
appartient à la fois au parlement et au président de la république, chef de
l’Etat. Tel est le cas dans les pays au régime présidentiel ou semi-présidentiel
comme le Cameroun, qui stipule à l’article 25 de sa loi fondamentale que :
« l’initiative des lois appartient concurremment au président de la république
et aux membres du parlement. »56
Par contre dans certaines démocraties de type libérale comme en
Angleterre, l’initiative des lois est le domaine réservé du parlement, dans la
mesure où le principe de la séparation des pouvoirs est assuré.
A ce sujet, Montesquieu pense que l’on court droit à la tyrannie lorsque
l’exécutif et le législatif travaillent de mèche, car estime-t-il, « il n’y a point
de liberté, parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat
ne fasse les lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »57 Si l’auteur
parle des lois tyranniques ici pour signifier le caractère injuste, autoritaire et
arbitraires de ces lois, c’est parce qu’elles dérivent d’une même volonté.
Ainsi, la participation de l’exécutif à l’élaboration des lois conduit aux
privations des libertés. De même, le partage de la fonction législative se fait
dans une sorte de concurrence où l’exécutif domine sur le législatif et conduit à
sa neutralisation. De telles habitudes sont propres à conduire aux abus de
pouvoir, car seuls les intérêts de la minorité gouvernante pourraient compter, et
ceux de l’ensemble de la nation sont lésés. Dans ce cas de figure, Montesquieu
pense que : « (...) c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du
pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. »58
C’est dire que la liberté politique ne peut se trouver que dans des
gouvernements où l’on n’abuse pas du pouvoir. D’où la nécessité d’investir
56
Article 25 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
57
MONTESQUIEU., op. cit., p. 294.
58
Ibid., p. 293.

27
à nouveau le parlement en Afrique, de ses fonctions originelles : celles
d’édicter les lois et de les garantir contre toute incursion de l’exécutif et le
contrôle de l’action gouvernementale.
Un autre moyen d’affaiblissement du parlement mis en œuvre par
l’exécutif, c’est le gouvernement par ordonnance. Selon OWONA J., « Les
ordonnances sont des textes pris par le Président de la République lorsque le
parlement se dessaisit de ses compétences dans le domaine de la loi pour
laisser le président y légiférer. »59
L’ordonnance consiste donc pour le chef de l’exécutif à demander et à
obtenir des législateurs l’habilitation d’exercer, pendant un temps déterminé
et sur des objets précisés d’avance, la fonction législative, « Dans cette
situation, les députés transfèrent momentanément leur compétence d’édiction
des lois à l’exécutif et particulièrement au Président de la République. C’est
surtout dans des circonstances exceptionnelles, à l’instar de l’après coup
d’Etat, de la guerre civile, que cette pratique s’étend dans la durée et devient
la règle »60.
L’exécutif remplace le législatif et légifère à sa place ; le plus souvent, le
législatif est dissolu dans l’exécutif. Ainsi, en circonstance exceptionnelle,
l’exécutif s’attribue à la fois la fonction exécutrice et la fonction législative.
Ce qui donne libre cours à l’exécutif de durcir davantage le pouvoir et
d’empiéter sur les droits et les libertés des citoyens. Dans le cas d’espèce
Kamdem J.-C. précise que : « le sort des libertés est laissé entre ses mains (le
Président de la République). Si un tel système ne peut être qualifié de
dictatorial, il en comporte quelques virtualités. »61
Ainsi, s’il faut imaginer combien la plupart des régimes politiques en
Afrique ont pour souci principal, la conservation du pouvoir par tous les
moyens y compris la violence, l’on ne peut que légitimement s’inquiéter pour

59
OWONA J., Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Paris, Berger-Levrault, 1985, p. 43.
60
Ibid., p. 44.
61
KAMDEM J.-C., « Mise en œuvre des mécanismes constitutionnels de protection des droits de l’homme en
Afrique : le cas du Cameroun », Droits de l’homme en Afrique centrale, op. cit., p. 142.

28
l’avenir des droits et des libertés des citoyens, qui sont, à coup sûr, des armes
redoutables qu’il s’agit de confisquer, de monopoliser, de réprimer même
avec la dernière énergie. Par ailleurs, un autre organe censé protéger les
citoyens contre les emportements du pouvoir, c’est l’organe juridictionnel.

L’organe juridictionnel
Dans les régimes de séparation de pouvoir, la justice est une entité à part,
c’est-à-dire autonome, indépendante. Pourtant, « les constitutions des pays
africains en ont fait d’elle une simple autorité sans aucune garantie »62. C’est
ainsi que, tout comme dans le domaine législatif, « l’exécutif s’introduit
insidieusement dans le domaine juridictionnel, dans l’intention de le fragiliser,
afin d’agir en toute impunité dans ses nombreuses violations des droits et des
libertés des citoyens il s’agit pour l’exécutif, ainsi que son administration, de
se sécuriser contre d’éventuelles poursuites des citoyens faces à leurs
nombreuses violations de la loi. De la sorte, ils bénéficient d’une impunité
sacrée »63.
Pour affaiblir l’organe juridictionnel, le pouvoir use de deux astuces.
La plus répandue de ces astuces, c’est la « dépendance hiérarchique » du
pouvoir judiciaire. Les pays africains ont adopté des constitutions de type
libéral. Toutefois, ils ont pris le soin de vider celles-ci de leur essence dans
l’option d’y introduire la volonté de domination du chef de l’Etat. C’est
ainsi que dans certaines constitutions en Afrique notamment au Cameroun, on
ne parle pas de pouvoir juridictionnel, mais plutôt de l’autorité juridictionnelle.
Ce jeu de mot, loin d’être fortuit, a une grande signification. D’après
Kamdem J.-C., « ceci a pour effet d’enlever à l’organe chargé de dire le
droit, l’essentiel de son autorité et de le secondariser en le rattachant le plus
souvent au pouvoir exécutif. »64 et à Akika de renchérir : « la quelle autorité
n’est nullement garantie de manière impersonnelle dans les faits puisqu’elle

62
Ibid., p. 143.
63
Ibid., p. 143.
64
KAMDEM J.-C., op. cit, p. 143.

29
n’est rien d’autre en réalité qu’une haute administration placée sous le
pouvoir direct du chef de l’exécutif, Président de la République et président du
conseil supérieur de la magistrature. »65
Cela témoigne du souci de l’exécutif de tout contrôler et de ne rien laisser
lui échapper. De même, c’est la résultante de la crainte qui assaille le pouvoir
de voir se faire réprimander par la justice, devant ses violations de la loi.
Pourtant, le pouvoir judiciaire est très important pour accomplir la lourde tâche
de la défense de l’équilibre, d’assurer la permanence de l’Etat de droit, de
restaurer une justice égalitaire fondée sur des valeurs telles la liberté, le respect
des droits fondamentaux de l’homme.
En outre, « le pouvoir judiciaire est soumis à l’autorité du Président de la
République, qui est constitutionnellement reconnu comme le garant de
l’indépendance de la magistrature »66. Cette soumission est un fait dans la
mesure où c’est le président de la république qui nomme les magistrats et les
démet de leur fonction. Dans cette logique la constitution du Cameroun du 18
janvier 1996 précise en son article 37 que : « Le Président de la République est
le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il nomme les magistrats. Il
est assisté dans cette mission par le conseil supérieur de la magistrature qui lui
donne son avis sur les propositions de nomination et sur les sanctions
disciplinaires concernant les magistrats du siège. »67
Par ailleurs, la main mise sur le judiciaire pourtant institution idoine pour
la défense et la protection des citoyens contre les emportements du pouvoir,
traduit clairement l’hégémonie de l’exécutif qui agit délibérément en dehors
de tout contrôle, car tout porte à croire qu’un laissé faire est délivré au
souverain qui logiquement agit en toute impunité. Car du moment où les
magistrats n’ont pas de moyen de limiter les pouvoirs de l’exécutif,
l’inamovibilité68 des magistrats n’est ni instituée ni assurée. De même,
65
AKIKA E., Changer le cameroun. Pourquoi pas ?, Paris, ESF, 1990, p. 15.
66
Ibid., p. 16.
67
Article 37, alinéa 3 de la constitution du 18 janvier 1996 de la République du Cameroun.
68
La prérogative en vertu de laquelle les magistrats ne peuvent être privés ou suspendus de leurs fonctions, sans
la mise en œuvre de procédures protectrices exorbitantes de droit commun disciplinaire.

30
l’immunité des juges n’est que purement formelle, ce qui les rend vulnérables
face aux pressions de l’élite gouvernante. Puisque tout juge soucieux
d’avancer dans sa carrière ne peut que se soumettre aux injonctions du
gouvernement, car sa nomination, son avancement, sa révocation dépendent du
pouvoir exécutif. C’est ce que décrit Holo en ces termes : « Le juge non-
professionnel désireux de se faire reconduire dans sa tâche, n’aura-t-il pas
tendance à se montrer compréhensif sinon très attentif aux intérêts et opinions
de l’administration ? »69 Kamdem ajoute après ce dernier que : « Le contenu
des sanctions ou des peines ne dépend plus de l’appréciation souveraine,
compte tenu des faits objectivement constatés ou de sa profonde conviction,
mais de la volonté du chef de l’Etat. L’issue de tout procès devient
incertaine »70 De ce fait, la justice dépend de la volonté de l’exécutif, et
manque d’objectivité et d’impartialité. La conséquence logique de cette
dépendance, c’est la croissance excessive de l’autorité du chef de l’Etat qui
devient juge et partie.
En Afrique la séparation des pouvoirs n’est visible que sur le papier car,
dans les faits, l’exécutif exerce une suprématie manifeste sur le législatif et le
judiciaire et, de ce fait, agit sans contrôle des autres pouvoirs.

2. La véritable nature des Etats africains


Le discours politique, dans tous les pays africains, met en exergue le souci
des décideurs de réaliser des nations démocratiques, c’est-à-dire des nations
dans lesquelles le peuple détient la souveraineté ; des Etats de droit, c’est-à-
dire des Etats respectueux des droits et des libertés des citoyens. Ce discours,
plein de bonnes intentions, ferait, à coup sûr, sortir l’Afrique de l’ornière dans
laquelle elle niche. Toutefois, la question que l’on peut se poser est de savoir si
cette intention se traduit effectivement dans les faits. Sinon quel est le vrai
visage des Etats du continent africain ?

69
HOLO T., « Contribution à l’étude des chambres administratives : cas du Bénin », Les cours suprêmes en
Afrique. La jurisprudence administrative, Paris, Economica, 1988, p. 13.
70
KAMDEM J.C., op. cit., p. 144.

31
Le règne de l’arbitraire
Les organes de contrôle du pouvoir exécutif étant substantiellement
phagocytés, anéantis, le gouvernement a dorénavant les mains libres pour
exercer son pouvoir à l’abri de toute impunité, du moment où sa seule volonté
devient la règle. Pourtant, dans la tradition du libéralisme démocratique, il ne
saurait exister de constitution qui ne reconnaisse la séparation effective des
pouvoirs. C’est dans cette logique que chacun des Etats africains reconnaît
dans sa constitution, le régime de séparation des pouvoirs. Mais, ce qui fait
problème en Afrique, c’est que la majorité des Etats a pris soin de le vider de
sa substance originelle. Pourtant, ce qui inquiète, c’est la duplicité de ces Etats
qui, bien que reconnaissant l’existence des contre-pouvoirs sur le papier,
l’ignorent dans la réalité. C’est cette duplicité de ces Etats que nous
essayerons de mettre en exergue.
Ce que nous essayons de faire comprendre ici, c’est que les régimes
politiques africains constituent des cas atypiques d’organisation politique, dans
la mesure où, bien que constitués des constitutions démocratiques censées
mieux régir la vie publique, définir la forme de gouvernement, sont
transcendées par des lois particulières issues d’un seul homme, à savoir le chef
de l’Etat, Président de la République. En effet, dans ces régimes a priori
démocratiques, il y a prééminence des décrets, des ordonnances issues du
pouvoir personnel du chef de l’Etat, sur les lois constitutionnelles. Cela est de
nature à réduire massivement les libertés individuelles qui sont dans ce cas de
figure à la merci d’un homme. Akika l’exprime en ces termes : « C’est ainsi
que les expressions ‘’ dans le respect de l’intérêt supérieur de l’Etat’’,
‘’pour cause d’utilité publique’’, ‘’ sous réserve des prescriptions
légales relatives à l’ordre public’’, ‘’dans les conditions fixées par la
loi’’ ( ) jalonnent et ponctuent presque toutes les concessions faites à la
liberté individuelle. »71

71
AKIKA E., op. cit., P. 31.

32
L’auteur critique le fait que les libertés individuelles garanties par la
constitution soient altérées, violées par la volonté d’un individu, fut-il chef de
l’Etat. En effet, il existe un gouffre infranchissable entre ce que prévoit la
constitution et ce qui se fait dans la réalité. De ce fait, les textes constitutionnels
proclament toujours les libertés humaines avant que le pouvoir étatique ne
dresse « autour de ce principe toutes sortes de barrages pratiquement
infranchissables, et une garde si rapprochée que le mouvement devient
impossible »72
Dans le cas d’espèce, l’arbitraire du pouvoir frise la tyrannie, la dictature
du moment où le peuple n’est plus le maître, voire l’auteur des lois auxquelles
il se soumet.

La confiscation des pouvoirs


Parmi de nombreux freins politiques en Afrique, la confiscation des
pouvoirs occupe une place de choix. Elle découle également de la concentration
abusive du pouvoir entre les mains du chef de l’exécutif qui règne en
monarque, car c’est lui qui fait les lois par le truchement de ses suiveurs 73 et les
applique en même temps. Il peut tripoter autant que possible la constitution et
les élections dans l’optique de s’éterniser au pouvoir. Par voie de
conséquence, dans la majorité des pays du continent, à l’exception de
quelques-uns comme l’Afrique du Sud, le Mali, le Sénégal, le Bénin qui ont
effectué depuis peu de temps une avancée démocratique incontestable, c’est la
leçon de Machiavel dans son ouvrage Le Prince qui est respectée, à savoir la
« conservation du pouvoir » par le prince par tous les moyens, y compris la
violence. C’est dans ce sens que Kamto affirme : « les dirigeants africains
veulent s’éterniser au pouvoir quelque soit les moyens et les conditions »74.
Ainsi, l’alternance politique n’est pas commune en Afrique, c’est plutôt
la conservation, la monopolisation du pouvoir par un seul individu qui est la

72
Ibid., p. 31.
73
Les députés.
74
KAMTO M., op. cit., p. 59.

33
norme politique par excellence. On en veut pour preuve, la palme d’or de
longévité détenue par les chefs d’Etats de certains pays comme le Togo, le
Gabon, l’Angola, le Zimbabwe, l’Egypte, le Cameroun, la Guinée Equatoriale
pour ne citer que ceux-ci, qui varient entre 22 et 40 ans. Pour perdurer au
pouvoir, ces chefs d’Etats ont affûté des stratégies efficaces comme la
modification constitutionnelle le manque d’élection (la République
Démocratique du Congo depuis 22 ans), et les manipulations électorales qui
sont de nature à accroître leur pouvoir au détriment de l’autonomie du peuple.
Toutefois, l’expérience montre que les constitutions africaines sont
manipulées par les gouvernants qui s’évertuent à les tailler sur mesure dans
l’optique de garantir leurs propres intérêts aux dépens de l’intérêt général.
C’est dans ce sens que les constitutions sont sans cesse amendées pour
permettre au chef de l’exécutif de s’éterniser au pouvoir. C’est dans cette
optique que Mveng voit dans les systèmes politiques africains, des instruments
de domination dont leur objet est la privatisation des instruments de la
souveraineté et du développement. Il le dit en ces termes : « L’Etat africain,
dès sa naissance est un instrument de domination, d’oppression du peuple,
(…) cet instrument est d’autant plus efficace qu’il est un appareil de
paupérisation dont les mécanismes reposent sur deux principes : la
privatisation des instruments de la souveraineté et le tissage d’un système de
subsistance fondé sur la dépendance absolue. »75
Par ailleurs, dans l’optique d’illusionner le peuple qu’il est le véritable
détenteur de la souveraineté, des mascarades d’élections sont organisées.
Les élections sont considérées, dans les systèmes démocratiques, comme
« un moyen approprié non seulement pour légitimer le pouvoir, mais également
pour permettre au peuple de participer à la gestion des affaires publiques »76.
Raison pour laquelle toutes les dispositions sont souvent mises en œuvre pour
garantir leur transparence et leur crédibilité. En revanche, dans les pays du Sud,
75
MVENG E., « Paupérisation et développement », Revue africaine des sciences sociales, n°001, Paris, Terroirs
1992, p. 119.
76
MBOME F., Régimes politiques politiques africains, Yaoundé, éd. Bala, 1990, p. 29.

34
particulièrement dans les pays africains, les choses sont différentes. Les moyens
sont plutôt mis en œuvre par les gouvernants pour détourner les suffrages du
peuple souverain mettant ainsi en branle le principal principe de la démocratie,
selon lequel c’est le peuple qui est le véritable détenteur de la souveraineté.
Cette manipulation des élections s’explique en partie du fait que la quasi-
totalité des parlements a l’allure d’un second pouvoir dont la vocation
exclusive est de soutenir le pouvoir exécutif au lieu de l’équilibrer. Résultat,
des lois électorales sont taillées sur mesure par l’exécutif dans l’optique de se
ménager un très long avenir à la tête du pouvoir, car comme le dit l’adage,
« qui paie les violons choisit la musique ».
Ainsi, le terme d’alternance politique devient un piètre mot, bref un terme
qui n’existe pas dans le jargon des dirigeants africains. Parlant de
l’alternance, Tedga donne en ces termes quelques-unes de ses vertus à propos
de l’Afrique : « En changeant de mauvais chefs, il ne s’agira pas uniquement
de respecter les règles de fonctionnement des Etats africains qui disent tous être
‘’de droit’’, mais ce sera aussi la façon de conscientiser et de redynamiser
un continent alangui par la corruption, la concussion, les assassinats de toutes
sortes, la confiscation de pouvoir, bref : l’incapacité et l’incurie de ses
dirigeants »77.
Au dire de ce dernier, l’alternance politique permettra de nettoyer le
continent des chefs d’Etats inaptes à conduire la destinée des pays africains,
mais qui s’accrochent désespérément au pouvoir.
Au regard de ce qui précède, sur le plan constitutionnel, l’Etat en Afrique
a tendance à se réduire à la minorité gouvernante, puisqu’elle administre
généralement en marge de l’opinion publique, car elle n’a presque plus besoin
du consentement du peuple pour perdurer au pouvoir parce qu’ayant des
techniques efficaces de confiscation du pouvoir telles que la manipulation de la
constitution et du suffrage universel.

77
TEDGA P.J., Ouverture démocratique en Afrique Noire ? Paris, Harmattan, 1991, p. 11.

35
II . Sur le plan socio-politique

Sur ce plan, le peuple souffre d’une corrosion de ses droits et libertés


consécutives à la radicalisation du pouvoir politique. L’austérité de l’Etat fait
obstacle aux droits et libertés des citoyens. Cette austérité crée de nombreuses
frustrations qui aboutissent à la recherche de toutes les voies et moyens, en vue
de reconquérir leurs droits et libertés par le truchement de la conquête du
pouvoir. Il sera question ici de mettre en exergue les freins socio-politiques aux
libertés publiques consécutifs aux modes peu orthodoxe d’exercice du pouvoir
par nos dirigeants, ainsi que la multiplication des voies anticonstitutionnelles de
conquête du pouvoir.

1. Les obstacles aux libertés publiques


« La liberté est un droit naturel de l’homme qui constitue le pilier
principal du libéralisme. »78 Dans toute société, elle doit être la base de toute
relation humaine. Popper montre que le reniement des principes du libéralisme
dans une société humaine conduit tout droit vers la catastrophe 79. De ce fait, elle
ne doit pas être octroyée, mais reconnue et respectée, autant que le droit à la
vie.80Pourtant, la liberté reste encore un idéal dans les sociétés africaines, où
l’individu est à la merci de l’Etat du fait de l’étiolement des organes de
protection et de contrôle des libertés. Bien que la constitution reconnaisse des
« droits inaliénables et sacrés », calqués sur le modèle de la Déclaration
Universelle des Droit de l’Homme, et la charte des Nations-unies, les citoyens
africains rêvent tout simplement de la liberté. Dans le contexte africain, la
société est confrontée aux problèmes de la participation à la gestion des affaires
publiques et de la liberté d’expression.

78
ALBERTINIE P., Le droit de dissolution et les systèmes constitutionnels français, Paris, PUF, 1977, p. 266.
79
POPPER K., La société ouverte et ses ennemis. L’ascendant de Platon, Paris, Seuil, 1979, p. 189.
80
AKIKA E., op. cit., P. 44.

36
La participation aux affaires publiques
Dans les démocraties de type libéral, le peuple occupe une place
importante, car il est le détenteur légitime de la souveraineté qu’il exerce dans
le choix de ses représentants, qui sont le Président de la République et les
députés. En Afrique le problème majeur se situe au niveau de la liberté de
participation. Les gouvernés n’ont pas la possibilité de participer librement à la
gestion des affaires publiques à cause du contrôle strict de la sphère politique
par les dirigeants étatiques réfractaires aux contradictions.
Bien que les textes constitutionnels reconnaissent la participation des
gouvernés dans la gestion des affaires publiques, l’expérience est tout autre,
car le vote étant le moyen classique de cette participation, il n’est pas si égal et
secret comme le stipule les différentes constitutions des pays africains.

La censure de la presse
La liberté de la presse, qu’elle soit écrite ou parlée, est la plus traquée
dans nos différents pays. De l’Afrique du Nord (Algérie, Egypte, Libye,
Maroc, Tunisie) jusqu’en Afrique subsaharienne, des garde-fous ont été mis
sur pied pour empêcher la presse de jouer parfaitement son rôle dans la société.
Cela s’explique par la loi du silence pour aboutir à une société unanimiste
qu’imposent les régimes politiques africains, en proie au totalitarisme, et de ce
fait réfractaire à toute idée de liberté. Dans cet ordre d’idée la presse réputée
être le quatrième pouvoir, le meilleur garant des libertés publiques et d’éveil
des consciences sur la gestion de la cité, n’est que la cible adéquate à abattre.
Mais on ne saurait souligner son importance qu’en rappelant ces propos de
Sauvy : « Être libre aujourd’hui, c’est être informé. Sans information, pas de
participation, encore moins d’adhésion authentique aux objectifs nationaux
pas de mobilisation et pas de représentation efficace. »81 Et Tudesq de
renchérir, « l’amélioration de la société ne peut plus s’effectuer sans la
liberté même incomplète des médias qui permettent seuls d’exprimer les

81
SAUVY A., Bien être et population, Monaco, Paul bory, 1968, p. 124.

37
plaintes, des besoins, les aspirations des populations, leurs espérances et leurs
illusions, et ce qui apparaît illusion aujourd’hui peut devenir réalité
demain »82.
Elle est traquée et muselée par l’Etat dans des sociétés
constitutionnellement démocratiques, qui la considère comme un véritable
obstacle, voire un danger dans l’exercice de ses fonctions de gouvernance.
C’est pour s’insurger contre un tel climat des libertés, que Mono Ndjana
déclare : « Le démocratisme de l’heure est un leurre. »83 Ainsi l’Etat
développe des techniques ayant pour finalité d’empêcher la presse de lui
contrôler. Parmi ces techniques destinées à ruiner la liberté de la presse les
censures sont prépondérantes. Elles ont pour finalité, la réduction des médias
au silence et se caractérisent par l’interdiction de paraître, des tracasseries
policières, les menaces de procès en diffamation, et autres harcèlements. Akika
éclaircit la situation de la presse en Afrique en général et particulièrement au
Cameroun, la liberté de la presse se résume au « cite-moi ou tais-toi ! »84
D’après ce qui précède, les Etats africains sont marquée par
l’enclenchement d’un processus étatique de tarissement des libertés
individuelles consécutif à la privation des instruments classiques de la
souveraineté. Par voie de conséquence, l’on assiste à une résurgence des
moyens anticonstitutionnels de la conquête du pouvoir politique.

2. La multiplication des moyens anticonstitutionnels de conquête du


pouvoir
Le quadrillage de la sphère politique par un seul individu, la
concentration entre ses mains de toute la légitimité constitutionnelle et des
forces institutionnelles, mettent ce dernier à l’abri de toute peur de sanction
populaire, car il peut user des pressions pour obtenir l’approbation spontanée
de tout le corps électoral. En conséquence, la souveraineté change de main, car
82
TUDESQ A.-J., « Les médias en Afrique subsaharienne : l’espoir et l’illusion », Etude des médias, Paris,
Economica, 1997, p. 188.
83
MONO NDJANA H., « Le démocratisme de l’heure est un leurre », génération, n° 23, Paris, Economica,
1995.
84
AKIKA E., op. cit., P. 48.

38
elle passe du peuple à l’Etat. L’on peut qualifier de totalitaire un tel régime
qui, s’accapare les libertés du peuple. Dès lors, le blocage de la sphère
politique et des libertés individuelles conduit à la multiplicité des moyens
illégaux de conquête du pouvoir, à l’instar des coups d’Etats, des guerres
civiles, des désobéissances civiles

Les coups d’Etats


On parle de coup d’Etat lorsqu’on conquiert le pouvoir non pas de
manière démocratique, mais par des moyens anticonstitutionnels. Ce
mécanisme de conquête anticonstitutionnelle du pouvoir, source d’instabilités
sociales et institutionnelles, s’est enraciné sur le sol du continent. Pour
LEROY, « le coup d’Etat s’analyse en un changement de gouvernement
opéré, hors des procédures constitutionnelles en vigueur, par une action
entreprise au sein même de l’Etat au niveau de ses dirigeants ou de ses
agents. Cette action ( ) est soudaine et sollicite généralement la force »85.
Pour PABANEL, « c’est une pratique volontaire et consciente de l’armée ou
d’une partie de celle-ci pour s’emparer des institutions étatiques et occuper
le pouvoir d’Etat »86
Généralement les coups d’Etat sont utilisés par les militaires pour
conquérir le pouvoir. Ils sont devenus pourrait-on dire le principal mode
d’alternative politique en Afrique. Ainsi, « depuis 1952, année du premier
coup d’Etat perpétré en Egypte par Nasser contre le roi Farouk, jusqu’en
1990 le continent africain a connu au moins 267 coups d’Etat ou tentatives de
coups d’Etat. »87 C’est dire qu’en Afrique, les coups d’Etat son
généralement considérés comme une alternative presque unique au problème
d’alternance politique, de monopole systématique de la scène politique par le
gouvernement et de privation des libertés. De ce fait, ses causes sont ce qui
85
LEROY P., « Le coup d’Etat », Dictionnaire constitutionnel, dir. DUHAMEL O. et MENY Y., Paris, PUF,
1992, p. 240.
86
PABANEL J.-P., Les coups d’Etat militaires en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1984, p. 5.
87
WANG T.Y., « Arms Transfers and Coup d’Etat : A study on Sub-Saharian Africa », Journal of Peace
Research, n° 6, vol. 35, 1998, p. 669.

39
manque le moins. Elles sont liées aux luttes idéologiques de la guerre froide, à
la démocratisation improvisée, à l’affaiblissement du pouvoir étatique, le parti
pris de l’armée, et la confiscation du pouvoir politique et des libertés des
citoyens par un seul individu.
Toutefois, bien qu’étant un problème réel, dans la mesure où le meilleur
allié du progrès c’est plutôt la démocratie, les coups d’Etat sont soutenus en
Afrique. C’est ainsi qu’il est estimé qu’étant donné l’impossibilité de
changer démocratiquement le pouvoir politique, il n’existe pas d’autres
moyens que la force pour débarrasser un peuple meurtri d’un régime
liberticide. De ce fait, les coups d’Etat sont vernis d’intentions
philanthropiques. C’est dans ce sillage qu’Ayissi A., pense que bannir les
coups d’Etat en Afrique est une illusion, parce qu’ils sont inévitables au vu du
mode de gouvernement en vigueur dans la plupart des pays du continent 88. De
ce fait, il estime que c’est la déliquescence des Etats qui doit être combattue,
puisqu’il est évident que sous certaines conditions, et étant donné certaines
circonstances, que l’on pourrait qualifier d’exceptionnelles, l’œuvre de coup
d’Etat peut très bien représenter la vertu et le courage politique suprêmes. Pour
s’en convaincre, ce dernier estime que, l’histoire en général, et celle de
l’Afrique en particulier, montre qu’il existe dans la vie de certaines sociétés,
des moments tragiques de rupture douloureuse de l’ordre établi que l’on
pourrait bien qualifier de coup d’Etat salutaire. C’est dire qu’il existe des
coups d’Etat salvateurs. Ce sont ceux que Kouassi Yao appelle des « coups
d’Etat pro-démocratique ». Dans cette logique, des exemples peuvent êtres
tirés de l’histoire de l’Afrique : c’est le cas du coup d’Etat malien orchestré
par le général Toumani Touré au Mali en 1991. Cette argumentation sur la
défense des « coups d’Etat pro-démocratique » vise à favoriser ce que
Mbembe A. appelle des « formes civilisées de gouvernement »89 et ces questions
de Popper portant sur le principe et les formalités de fonctionnement de l’Etat :

88
AYISSI A., « l’avènement des coups d’Etat en Afrique », Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 369.
89
MBEMBE A., « Une économie de prédation », Foi et développement, n°241, Paris, Cahier, 1996, p. 154.

40
« Y a-t-il des formes de gouvernement qui, pour des raisons morales, sont
répréhensibles ? ( ) y a-t-il des formes de gouvernement qui nous permettent
de nous défaire (sans violence) d’un gouvernement mauvais, ou seulement
incompétent, qui cause du tort au pays ? »90 Il ressort de cette interrogation de
Popper que, pour des raisons d’éthique, certains changements institutionnels,
même par des moyens anticonstitutionnels, sont tolérables.
En tout état de cause, quelque soit le degré de vertu d’un coup d’Etat,
quelle que soit son intention de libérer le peuple des griffes des dictateurs, il est
lui-même un outil de répression et de violation des droits et des libertés si l’on
en juge par l’ampleur d’effusion de sang, des massacres des populations
civiles innocentes, des pillages, des viols, des exécutions sommaires, etc. L’on
est ainsi en face d’un cercle vicieux qui nous installe au cœur d’une violence
sans fin.

Les guerres civiles


« La guerre civile peut s’entendre comme un conflit opposant entre eux
les citoyens d’un même pays ou généralement le gouvernement et une partie
des gouvernés »91. Ce procédé, à l’instar des coups d’Etat, est généralement
considéré par ses inspirateurs comme la solution appropriée à la mauvaise
gouvernance de leur pays, génératrice des privations des libertés individuelles,
de la spoliation des citoyens par l’Etat. Dans cette optique, les guerres civiles
se justifient par le désir de restaurer la démocratie, c’est-à-dire de rendre le
pouvoir politique suprême à son détenteur légitime, à savoir le peuple, de créer
des conditions de vie favorables à son bonheur qui passe par l’assurance des
libertés individuelles et un minimum de biens matériels ou tout simplement de
la réalisation de ce que RAWLS nomme dans sa theory of justice, « la justice
distributive ». Ainsi, la lutte contre l’autoritarisme des gouvernements
africains, la mauvaise santé des économies et l’absence de démocratie, causes
des conditions humaines déplorables et constituent des alibis certains aux
90
POPPER K., La leçon du siècle, Paris, Seuil, 1992, p. 105.
91
PABANEL J.-P., op. cit., p. 18.

41
instigateurs des guerres civiles. Souare constate également comme cause du
foisonnement des guerres civiles sur le continent, la prise en otage des
ressources économiques nationales par des « cercles politico- mafieux proche
du pouvoir »92, et la faillite sécuritaire due à l’appropriation des forces de
l’ordre, censées assurer la sécurité de tous les citoyens et de leurs biens, au
service des seuls dirigeants en vue d’assumer leur longévité au pouvoir. En
outre, il note la boulimie du pouvoir de certains individus, accompagnée de
leurs ambitions personnelles démesurées. Par conséquent, c’est fort de toutes
ces raisons, et particulièrement, de l’autoritarisme politique qu’il y a floraison
des foyers de guerre civile, en République démocratique du Congo, en Côte
d’Ivoire, en Erythrée, en Somalie, au Tchad, en Sierra Leone, au Liberia, au
Burundi…
Cependant, bien qu’éthiquement compréhensible dans ses intentions de
restaurer la démocratie, la guerre civile a son revers de la médaille, car elle
contribue aussi à l’hécatombe des droits et des libertés humaines. Elles
favorisent la prolifération des réfugiés vivant dans des conditions quasi-
inhumaines et victimes de toutes sortes d’excès de la part des guerriers. C’est
ce qu’exprime Ngue Toriaria en ces termes : « Le maquis est lui-même un outil
de répression et de violation si l’on en juge par les traitements infligés
régulièrement aux populations taxées de collaboration avec l’ennemi : pillage,
impôts parallèles, prises d’otages, viols, exécutions, etc. Ainsi se dessinent et
se redessinent des scénarios qui alimentent des tendances à la violation des
droits. »93
A partir de là, peut-on encore justifier légitimement les guerres civiles qui
ne profitent généralement qu’à ses meneurs ?

92
SOUARE I., Guerres civiles et coups d’Etat en Afrique de l’Ouest : comprendre les causes et identifier des
solutions possibles, Paris, Harmattan, 2007, p. 55.
93
NGUE TORIARIA R., « Paradoxes des droits de l’homme », Droit de l’homme en Afrique centrale, op. cit.,
p. 72.

42
En fin de compte, au vue de ce qui précède, un constat amer se dégage.
Une telle atmosphère est en parfait déphasage avec la démocratie où le peuple
est le maître légitime de la souveraineté et participe librement à la gestion des
affaires publiques. Autoritarisme, confiscation du pouvoir, instabilité politique,
contestation du pouvoir par des minorités armées, tentative des coups d’Etat
caractérisent la vie des Etats africains. Les Etats africains sont en mal de
démocratie, à cause de l’extrême puissance du pouvoir étatique qui écrase tous
les mécanismes de protection des libertés individuelles et publiques. Ainsi,
constitutionnellement, l’équilibre des pouvoirs caractéristique des Etats
démocratiques n’est qu’un trompe-œil, dans la mesure où les pouvoirs
juridictionnels et parlementaires sont subjugués par l’exécutif. L’exécutif,
grâce à de nombreuses techniques, arrache les véritables pouvoirs au parlement
en édictant les lois par voie de décret, d’ordonnance, etc. Le judiciaire est
placé sous la suprême direction du chef de l’exécutif.
Dans le cas d’espèce, la constitution se dessaisit de la gestion des droits
et des libertés qu’elle proclame au profit de lois particulières et même le plus
souvent au profit d’un seul homme, qui fut-il président de la république,
devrait être aussi soumis à la constitution. Ainsi, cet arbitraire, cette hégémonie
d’un seul crée des frustrations ; d’où la génération de la violence, consécutive
aux coups d’Etats et des guerres civiles, considérée comme une solution
exclusive à l’alternance politique et aux quêtes des droits et des libertés.
Face à ces pratiques peu élogieuses, Montesquieu s’inscrit en faux et
semble nous proposer une solution adéquation grâce à sa séparation
systématique des pouvoirs. Mais qu’apporte-t-il réellement de nouveau pour
une redynamisation de la démocratie en Afrique ? Sa théorie ne trouve-t-elle
pas aussi des limites ?

43
CHAPITRE III : LIMITES ET APPORTS DU LIBERALISME DE
MONTESQUIEU

La théorie politique de Montesquieu, bien qu’ayant contribué à l’avancée


politique depuis le XVIIIème siècle, n’a pas fait l’unanimité parmi les
politologues. S’il est vrai que le libéralisme politique de Montesquieu
constitue un apport non négligeable pour la redynamisation de la démocratie, il
reste pour autant marqué de quelques limites certaines. Notre effort critique
portera essentiellement sur deux points : la séparation des pouvoirs et leur
inégalité. Aussi, nous ne manquerons pas de ressortir l’intérêt d’une telle
conception politique tant dans le contexte occidental que dans le contexte
africain.

I. Limites du libéralisme politique de Montesquieu

Il sera question ici de présenter les limites de la conception politique du


libéralisme de Montesquieu. Ces limites porteront sur deux points. La théorie
politique de Montesquieu étant fortement marquée par la séparation des
pouvoirs, nous nous interrogerons non seulement sur ses conditions de
faisabilité, mais aussi sur l’inégalité qui existe entre eux.

1. La séparation des pouvoirs : mythe ou réalité ?

La théorie de la séparation des pouvoirs est « une théorie de combinaison


des pouvoirs »94. Nous voulons défendre ici la thèse selon laquelle cette théorie
est un mythe, une fiction. Pour y parvenir, trois éléments constitueront les
points d’ancrage.

94
EISENMANN., L’esprit des lois et la séparation des pouvoirs, Paris, Mélanges carré de Malberg, 1993, p.9

44
L’illusion de l’indépendance des pouvoirs
La majeure partie des penseurs politiques ne voit dans la pensée politique
de Montesquieu qu’une théorie comprenant trois pouvoirs, nettement distincte,
dont l’indépendance réciproque sera assortie de la modération, gage de la
sécurité, de la liberté. Ce constat fait par Althusser a comme finalité de proscrire
l’idée de la séparation des pouvoirs de Montesquieu. Pour Althusser, il n’y a
pas de séparation des pouvoirs dans De l’Esprit des Lois ; des penseurs
politiques se sont longtemps laissés tromper par cette idée de séparation des
pouvoirs qui, au fait, d’après lui, n’existe que dans la tête de ceux qui le
croient. C’est ainsi qu’il affirme : « La thèse de Eisenmann est que la théorie
de Montesquieu, et tout particulièrement le célèbre chapitre sur la constitution
d’Angleterre, a engendré un véritable mythe : le mythe de la séparation des
pouvoirs »95 Pour ce dernier, la séparation des pouvoirs est « une illusion »96
puisqu’il n’y a pas d’indépendance des pouvoirs chez Montesquieu, mais
une combinaison des pouvoirs. Par conséquent, c’est une vue de l’esprit de
voir dans la théorie politique de Montesquieu « un régime dans lequel serait
assurée cette séparation des pouvoirs. »97 Cela dit, la séparation des pouvoirs
est le fruit des idées reçues, de l’imagination.

La combinaison des pouvoirs


Althusser, à l’instar d’Eisenmann, observe dans le système politique de
l’auteur de De l’Esprit des Lois, contrairement aux héritiers98 de
Montesquieu, une combinaison des pouvoirs. Pour s’en convaincre, il
démontre qu’il existe, en fait chez Montesquieu une série d’empiètements
entre les pouvoirs. Dans cette logique, il montre que l’exécutif empiète sur le
législatif dans la mesure où le prince intervient dans le domaine de la loi grâce à
sa « faculté d’empêcher », ce qu’on appellerait aujourd’hui, le droit de veto.
Il relève que, réciproquement le législatif peut avoir un droit de regard sur la
95
ALTHUSSER., Montesquieu, la Politique et l’Histoire, Paris, PUF, 1985, p. 100.
96
Ibid., p. 100.
97
Ibid., p. 100.
98
Les héritiers de Montesquieu observent une séparation des pouvoirs.

45
manière dont sont appliquées les lois qu’il a votées : « elle (la puissance
législative) a le droit, et doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les
lois qu’elle a faites ont été exécutées »99.
En outre, il dit également que le législatif s’immisce dans le judiciaire
puisque, en maintes occasions, le législatif s’érige en tribunal : « les nobles en
cas de crime doivent être jugés par leurs pairs, c’est-à-dire par la chambre
haute. »100
En plus, en cas d’amnistie c’est également la chambre haute qui doit
modérer les lois. De même, c’est elle qui doit statuer en matière des procès
politiques. D’où cette conclusion de Louis Althusser : « on voit mal comment
concilier pareilles et si importantes interférences des pouvoirs avec la
prétendue pureté de leur séparation. »101
Ainsi, la modération n’est pas une indépendance des pouvoirs, ni une
division stricte des pouvoirs, mais une combinaison de pouvoirs. Par ailleurs,
Montesquieu est aussi critiqué au sujet de la souveraineté.

La souveraineté
La souveraineté peut s’entendre comme le pouvoir des pouvoirs, c’est-
à-dire le pouvoir politique suprême ; un pouvoir politique autonome,
« absolument indépendant »102. Cette notion de souveraineté a fait l’objet de
maintes polémiques dans l’histoire de la pensée politique. Pour d’aucuns, à
l’instar de Montesquieu, la souveraineté peut et doit être divisée. Cette thèse de
partage de la souveraineté a fait l’objet de critique de la part de Bodin et de
Rousseau.

L’absoluité de la souveraineté
Bodin est l’un des premiers théoriciens politiques à avoir mené une
étude systématique sur la souveraineté. Dans la république, il considère la
souveraineté comme étant le pouvoir politique suprême, c’est-à-dire un
99
MONTESQUIEU., op. cit., p. 300.
100
Ibid., p. 295.
101
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 102.
102
DUROZOI & ROUSSEL., op. cit., p. 361.

46
pouvoir au-dessus duquel il n’y a plus d’autres pouvoirs. C’est également
d’après lui, « la puissance de donner et de caser les lois. »103
Dans le même sillage, Bodin tout comme Rousseau, inscrit la souveraineté
dans le pouvoir législatif. Mais, la différence fondamentale qui existe entre les
deux auteurs se situe au niveau du détenteur de cette souveraineté. Chez Bodin,
c’est le roi, tandis que chez Rousseau c’est le peuple en corps. Ainsi, on a la
souveraineté monarchique chez le premier, la souveraineté démocratique chez
le second. Les deux auteurs sont unanimes : la souveraineté est absolue. Ils
s’insurgent ainsi contre la division de la souveraineté par Montesquieu. Bodin
pense que le partage de la souveraineté est impossible puisqu’elle est
indivisible ; sinon elle s’alternera entre les puissances qui partagent la force
étatique, c’est-à-dire qu’elle passera d’une puissance à l’autre, chacune des
puissances la détiendra à son tour. Il estime également que ce partage sera
assorti de conflits entre les puissances de combats permanents dont la destinée
sera la victoire d’une des puissances. Par ailleurs, il pense que de même que la
souveraineté ne peut être divisée, elle ne peut également être représentée, sinon
sera affaibli et manquera d’autorité.
Pour Bodin, le souverain peut donc se saisir de toutes les affaires
politiques intéressant le destin de la République, et ne peut donc pas, à ce sujet
se voir imposer contre son gré la compétence d’autres collectivités et
Républiques. En réalité, dans toute République, soutient Ngoyard-Fabre,
« l’indivisibilité de la souveraineté est le trait fondamental. »104 Sur ce point,
Bodin semble catégorique. Il affirme à cet effet : « Celui qui aura puissance de
donner loi à tous, c’est-à-dire commander ou défendre ce qu’il voudra, sans
qu’on puisse appeler, ni même s’opposer à ses mandements, il défendra aux
autres de faire ni paix, ni guerre, ni leurs tailles. »105
Le peuple ne peut que lui obéir et rien qu’à lui.

103
BODIN. J., Les six livres de la République, Paris, Fayard, 1986, p. 128.
104
GOYARD-FABRE S., Philosophie politique XVIe – XXe siècle, Paris, PUF, 1987, p. 85.
105
BODIN J., op. cit., p. 109.

47
La puissance absolue de la République réside en l’impossibilité de son
partage ou de tout découpage. L’éventualité de toute division de la
souveraineté est écartée par Jean Bodin. Comme pour renchérir la thèse de
Bodin, Olivier Beau relevait dans une formule incisive : « L’Etat ne pourrait
renoncer à ses moyens de puissance publique sans autodestruction, de même à
fortiori, l’Etat ne peut pas renoncer à ses trois fonctions juridiques
fondamentales que sont la législation, l’exécution des lois et la juridiction. »106
Toutefois, aussi pertinents que soient les arguments de Bodin contre la
séparation des pouvoirs, ils ne battent pas pour autant en brèche l’idée de
séparation de pouvoirs de Montesquieu. Si l’idée d’indivisibilité de la
souveraineté de Bodin est compréhensible dans la mesure où elle en allait de la
survie de l’Etat au XVIè siècle, elle ne peut plus être soutenue dès lors que la
toute puissance de l’Etat consécutive à l’unité de la souveraineté, constitue
l’acte de décès des libertés des citoyens. La séparation des pouvoirs prônée par
Montesquieu vise la lutte contre la monarchie absolue soutenue par Bodin.
L’intention monarchique de Bodin est si bien dévisagée par Prelot lorsqu’il
estime qu’en voulant la « souveraineté une et indivisible », Bodin l’a élaborée
de prime abord monarchique ; en la voulant sans délégation, il l’a conçue sans
élection, donc héréditaire ; en l’a voulant suprême il l’a conçue sans contrôle
donc arbitraire.107

L’indivisibilité de la souveraineté
Rousseau est un théoricien politique ; sa renommée relève de son
engagement accru en faveur de la libération de l’homme des affres du
despotisme. Cet engagement de Rousseau pour la liberté influencera
fondamentalement sa conception de la souveraineté. A partir de là, il définit la
souveraineté comme « l’instance qui dans une société, détient en droit le

106
BEAU O., La puissance de l’Etat, Paris, PUF, 1994, p. 150.
107
PRELOT & LESCUYER, op. cit., p. 292.

48
pouvoir politique, qu’il s’agisse d’un homme, ou, le plus souvent d’une
assemblée représentative de la communauté »108.
Cette instance, selon Rousseau, c’est la volonté générale qui « seule
dirige les forces de l’Etat ». De ce fait, il estime que la souveraineté est
absolue. Il le dit en ces termes : « par la même raison que la souveraineté est
inaliénable, elle est indivisible ; car la volonté est générale, ou elle ne l’est
pas. »109
Dans ce contexte, la crise entre Rousseau et Montesquieu est ouverte car,
ce dernier estime que la souveraineté doit être partagée entre le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif. Rousseau s’oppose à l’idée selon laquelle la
souveraineté peut se diviser dans son principe. D’après lui, c’est la prise de
conscience de ce phénomène qui a poussé les tenants de la séparation des
pouvoirs à la diviser plutôt dans son objet. C’est en ces termes qu’il critique
la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu : « ( ) nos politiques
doivent diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet : ils
la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance
exécutive ; (…) tantôt ils confondent toutes ses parties, et tantôt ils les séparent.
Ils font du souverain un être fantasmatique et formé de pièces rapportées. »110
Il découle de ces propos de Rousseau que la souveraineté ne peut être
divisée et que la séparation des pouvoirs établie par Montesquieu émane d’une
ignorance du principe de la souveraineté qui stipule que : « la volonté générale
peut seule diriger la force de l’Etat »111.
Dès lors l’absoluité de la souveraineté défendue avec véhémence par
Rousseau témoigne du souci de ce dernier de confier la totalité du pouvoir au
peuple, pour le mettre à l’abri de tout despotisme. Pourtant, dans le cas
d’espèce, le peuple lui-même est despote dans la mesure où il agit en dehors de
tout contrôle, à cause de l’absoluité du pouvoir. Or, justement, c’est dans

108
ROUSSEAU. J.-J., op. cit., p. 81.
109
Ibid., p. 84.
110
Ibid., p. 85.
111
Ibid., p. 86.

49
cette optique que Montesquieu veut éviter le despotisme par la séparation des
pouvoirs et leur modération, puisque « trop de liberté tue la liberté. »
Au-delà de ce débat autour de la souveraineté, Montesquieu est critiqué
sur un autre plan, celui de l’égalité des pouvoirs que nous avons nommée,
l’ethnocentrisme.

2. l’inégalité des pouvoirs


L’inégalité des pouvoirs est caractérisée ici par une sorte
d’ethnocentrisme qui se définit comme « le fait de privilégier le groupe social
auquel on appartient au détriment des autres. »112 Il sera question ici de mettre
en lumière l’inégalité des pouvoirs et l’illusion de la représentation chez
Montesquieu.
Montesquieu dans le but de modérer les institutions étatiques, envisage
l’équilibre des pouvoirs. Pourtant il défavorise certains pouvoirs au détriment
des autres.

Le discrédit du pouvoir judiciaire


Montesquieu dans son ouvrage, distingue trois pouvoirs. Mais, pour des
raisons inavouées, il accorde moins d’intérêt au pouvoir judiciaire dans la
mesure où les juges ne disent que les lois élaborées par le parlement : « Les
juges de la nation ne sont ( ) que la bouche qui prononce les paroles de la loi ;
des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force, ni la rigueur. »113
Ainsi l’auteur de De l’Esprit des Lois déconsidère le pouvoir judiciaire
parce qu’il estime qu’il n’est lié à aucune fonction et partant, qu’il est
invisible et nul. Ces raisons avancées par Montesquieu semblent fallacieuses,
car elles ont pour finalité de favoriser les pouvoirs politiques, les pouvoirs qui
interviennent directement dans l’élaboration des lois, lois au détriment du
pouvoir judiciaire. Dès lors, comment peut-on aliéner le pouvoir judiciaire,
principal garant des libertés, tant politiques que civiles ?

112
LALANDE. A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Quadrige/PUF, 1997, p. 257.
113
MONTESQUIEU., op. cit., p. 3 01.

50
En réalité, l’Etat de droit, c’est-à-dire l’Etat des libertés, ne saurait se
concevoir sans une institution juridique autonome, ayant pour objet la
protection de la défense des citoyens contre d’éventuels abus non seulement de
l’Etat, mais également des particuliers. Bien qu’il transfère l’essentiel des
forces de l’autorité judiciaire au législatif, c’est loin d’être rassurant, car il a
précisé lui-même que dans le cas d’espèce, « le juge pourrait avoir la force
d’un oppresseur »114. Dans ce contexte, il existe un léger paradoxe dans le
principe politique de Montesquieu dans la mesure où il admet une chose et son
contraire.
La raison fondamentale de l’infériorité du judiciaire par rapport aux
pouvoirs politiques, c’est que le judiciaire, en aucun endroit dans De l’Esprit
de les Lois, n’empiète sur ces derniers. Mais qu’en est-il exactement de la
primauté de ceux-ci ?

La prépondérance des pouvoirs politiques


L’inégalité instaurée par Montesquieu entre les différents pouvoirs de
l’Etat, indique la supériorité des pouvoirs politiques, notamment le législatif et
l’exécutif, sur le judiciaire. Cette supériorité transparaît à travers plusieurs
empiètements. C’est dans cette optique que Althusser affirme que
Montesquieu a fondé son choix politique sur la « pureté et l’abstraction
juridiques des analyses politiques »115, et à ce dernier d’ajouter :
« Montesquieu a pris soin d’édicter des garanties non plus juridiques, mais
politiques »116 cela s’illustre dans De l’Esprit des Lois, car, comme nous
l’avons déjà dit, dans trois circonstances précises, le parlement s’érige en
tribunal, empiétant indubitablement sur les prérogatives du judiciaire. En cas
de crime par un noble, c’est la chambre haute qui le juge, sans avantages liés à
sa classe sociale ; en plus, c’est toujours la chambre haute du parlement qui
détient le pouvoir d’administrer : « il pourrait arriver que la loi , serait, en de

114
Ibid., p. 294.
115
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 108.
116
Ibid., p. 102.

51
certains cas, trop rigoureuse c’est la partie du corps législatif, que nous
venons de dire être, dans une autre occasion un tribunal nécessaire, qu’il est
encore dans celle-ci ; c’est à son autorité suprême à modérer la loi en faveur
de la loi même »117
C’est donc la noblesse qui a le privilège des lois. En outre, en matière de
procès politique, c’est encore le tribunal de la chambre haute qui doit juger les
crimes commis par la classe du peuple, car : « ira-t-elle s’abaisser devant les
tribunaux de la loi qui lui sont inférieurs »118 ainsi, l’inégalité entre les
pouvoirs politiques et le pouvoir judiciaire est indéniable.
En effet, il existe aussi une inégalité entre les pouvoirs politiques eux-
mêmes dans la mesure où, si le pouvoir législatif a le droit d’empiéter sur le
pouvoir judiciaire, tel n’est pas le cas pour le pouvoir exécutif.
En somme, il existe une inégalité non seulement entre les pouvoirs
politiques et le pouvoir judiciaire, mais également entre les pouvoirs politiques
eux-mêmes. Cette inégalité est davantage manifeste entre les puissances qui
composent ces pouvoirs à savoir : le roi, les nobles, et le peuple. Ceci
n’engendre t-il pas une lutte acharnée de classes ?

L’illusion de la représentation
Parler de l’illusion de la représentation c’est mettre en exergue les
arrière-pensées de Montesquieu qui sont, en effet, de faire du peuple un faire-
valoir et de transposer au premier plan la noblesse qui détient les véritables
pouvoirs politiques.

L’usurpation du peuple
Usurper vient du terme latin « usurpare » qui signifie s’approprier sans
droit, par la violence ou la fraude (un pouvoir, une dignité, un bien) 119. Le terme
usurper prendra ici le sens d’empiètement. Donc il sera question de dévoiler
les empiètements de Montesquieu sur le peuple.
117
MONTESQUIEU., op. cit., p. 301.
118
Ibid., p. 301.
119
ROBERT.P., Dictionnaire le Robert, Paris, Flammarion, 1992, p. 2055.

52
L’empiètement le plus important se manifeste par la déception que
Montesquieu a du régime démocratique et à travers ce régime, le peuple.
L’auteur de De l’esprit des Lois distingue deux classes dans le peuple à
savoir : le « bas-peuple » et le « vrai peuple », c’est-à-dire les représentants du
peuple. Il déclare que le bas-peuple est incapable de mener les affaires parce
qu’il n’est que passion ; ce qu’il sait faire mieux, c’est le choix de ses
représentants. C’est ainsi qu’il dit : « le peuple est admirable pour choisir
ceux à qui il doit confier son autorité »120 ainsi, Montesquieu jette son dévolu
sur le système représentatif paradoxalement à Rousseau qui privilégie la
démocratie directe. Dans le cas de la démocratie, l’auteur pense qu’une
démocratie sans représentants, est un despotisme populaire imminent, pourtant,
au sujet de la représentation populaire, Rousseau est catégorique. Pour lui, toute
démocratie qui se donne des représentants tire vers sa fin. Car la souveraineté,
cheville ouvrière de la démocratie, ne saurait se représenter. C’est dans ce sens
qu’il déclare : « je dis donc que la souveraineté, n’étant que l’exercice de la
volonté générale, ne peut s’aliéner, et que le souverain, qui n’est qu’un être
collectif ne peut être représenté que par lui-même »121. Car, dit-il, une volonté
est la même ou une autre ; il n’y a point de milieu.
Les propos de Rousseau contre la représentation suit son cours. Pour lui, la
représentation est une prison pour le peuple. Il le dit si bien en ces termes : « à
l’instant qu’il n’y a plus de souverain, et dès lors le corps politique est
détruit. »122 De même Rousseau s’inscrit en faux contre la représentation au
point qu’il réplique en ces termes : « Le peuple anglais pense être libre, il se
trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt
qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »123 Ainsi la liberté se traduit
comme la participation directe à la souveraineté, la représentation étant
synonyme d’aliénation, d’esclavage.

120
MONTESQUIEU., op. cit., p. 132.
121
ROUSSEAU. J.-J., op. cit., p. 83.
122
Ibid., p. 84.
123
Ibid., p. 166.

53
Dès lors, il est à noter que le choix du régime représentatif par Montesquieu
tient du fait qu’il a une vue péjorative du peuple. D’après lui, le peuple est
incapable de penser, de prévoir, de juger. De même, cette négation du peuple
n’est pas anodine. Elle vise sa dévalorisation, son indignité en vue de
l’exaltation des nobles. C’est ainsi que Montesquieu qui réunit sur
l’échiquier république, démocratie et aristocratie, n’hésite pas à avoir un
penchant pour l’aristocratie. C’est dans ce sens qu’il déclare : « on peut
dire que l’aristocratie est dans le sénat, la démocratie dans le corps des
nobles, et le peuple n’est rien. »124 Ainsi, l’auteur usurpe le pouvoir du peuple
et le transfère à l’aristocratie. C’est dans cette optique que Louis Althusser
appelle la république de Montesquieu, une « république des notables »125. Cette
politique nobiliaire de Montesquieu s’illustre davantage lorsqu’il estime
qu’ « en cas de crime, le noble ne peut être jugé que par ses pairs »126. En
outre, le pouvoir judiciaire ne peut juger les crimes politiques puisqu’il est
constitué du peuple. Ces nombreuses usurpations du pouvoir populaire, nous
conduisent inéluctablement au parti pris de Montesquieu.

Le parti pris de Montesquieu : la représentation


Il a été démontré jusqu’ici que la théorie de la séparation des pouvoirs
entreprise par Montesquieu n’est pas absolue, il s’agit en réalité d’une
séparation souple des pouvoirs, compte tenu de nombreux empiètements qui
existe entre eux. Dès lors, la question essentielle reste en suspens : à qui
profitent ces empiètements ?
Comme nous l’avons dit, Montesquieu, dans sa théorie de la séparation des
pouvoirs envisage des empiètements absolument à proscrire. Par exemple, le
législatif ne doit pas empiéter sur le pouvoir exécutif, au risque d’une fin
brutale de la monarchie suivie d’un despotisme populaire. Le second
empiètement à éviter à tout prix, c’est la main mise de l’exécutif sur le

124
MONTESQUIEU., op. cit., p. 136.
125
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 68.
126
MONTESQUIEU., op. cit., p. 295.

54
judiciaire. Si cet empiètement advient, tout serait perdu : la monarchie
sombrerait dans le despotisme. Comme le dit si bien l’auteur, si le roi jugeait
lui-même, « (...) la constitution serait détruite ; les pouvoirs intermédiaires
dépendants, anéantis ; ( ) la crainte s’emparerait de tous les esprits ; on
verrait la pâleur sur tous les visages ; plus de confiance, plus d’honneur, plus
d’amour, plus de sûreté, plus de monarchie. »127
Ce qui paraît plus important ici, ce ne sont pas ces empiètements en soi, mais
leur finalité. A qui profiteraient-ils ? C’est là le véritable problème. Ces
empiètements profitent indubitablement à la noblesse. Il est clair que, si le
monarque prononce des jugements, c’est le pouvoir et les avantages des nobles
qui sont menacés. Louis Althusser, dans le cas d’espèce, estime également que
l’idée formulée par Montesquieu interdisant à l’exécutif d’empiéter sur le
judiciaire, vise à favoriser le corps des nobles. C’est en ces mots qu’il
l’exprime : « Cette clause particulière qui prive le roi du pouvoir de juger
importe avant tout à la protection des nobles contre l’arbitraire politique et
juridique du prince. »128 C’est encore Althusser d’ajouter : « le despotisme,
dont Montesquieu nous menace, désigne une politique très précisément dirigée
d’abord contre la noblesse. »129
En outre, Althusser estime que Montesquieu a élaboré son système
politique à un moment où la classe des nobles était en déliquescence dans la
société française. Donc, il était question pour l’auteur de redorer le blason de
sa classe sociale. C’est ainsi qu’il dit : « pour lui il ne voulait que rétablir
dans ces droits dépassés une noblesse menacée. »130 C’est la raison pour
laquelle Montesquieu a érigé la noblesse en une force politique reconnue dans
la chambre haute pour garantir ses privilèges, sa position sociale contre les
empiètements du roi et du peuple. De ce fait, Althusser voit chez l’auteur de
De l’esprit des Lois, le prisonnier d’un parti pris féodal qui voit dans les corps

127
Ibid., p. 205.
128
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 105.
129
Ibid., p. 122.
130
DUROZOI & ROUSSEL., op. cit., p. 332.

55
intermédiaires la seule possibilité de résister à la monarchie centralisatrice qui
se constituait depuis le XVIIè siècle.
Même si la pensée politique de Montesquieu est assortie de quelques
défaillances, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle trouve encore une place
de choix dans la société contemporaine, d’où sa nécessité pour la
redynamisation de la démocratie en Afrique.

II. Apports du libéralisme politique de Montesquieu

L’élément marquant du système politique de Montesquieu, élément qui


fait d’ailleurs sa notoriété, c’est sa théorie de la séparation des pouvoirs.
Théorie qui, pendant plus de deux siècles et demi, a survécu au temps, et exerce
encore une influence considérable sur les contemporains. En quoi peut-on
affirmer sa contemporanéité ?

1. Les effets de la théorie de la séparation des pouvoirs


La théorie politique de Montesquieu, plus précisément sa séparation des
pouvoirs, a sonné le glas du despotisme en tant que mode de gouvernement
encore en vogue au début du XVIIIe siècle en Occident et a ouvert l’horizon
d’un monde nouveau dont l’esprit est la modération des pouvoirs en vue de
l’épanouissement des libertés individuelles. Ainsi, quel peut être le poids de
l’héritage de cette théorie sur le monde contemporain en général et l’Afrique
en particulier ?

La valeur anthropologique du libéralisme de Montesquieu


En faisant de la lutte contre le despotisme son cheval de bataille, le
libéralisme de Montesquieu a fait de l’être humain non plus un simple objet, ni
une chose comme au temps de l’Ancien régime, mais un être de valeur, le seul
à avoir une dignité qu’il est nécessaire de préserver contre toute forme
d’excès d’autorité. Pour Montesquieu, l’homme étant un être pour le
bonheur, et ce bonheur n’étant possible que par la préservation de ses libertés,

56
il a fait de la lutte contre l’autoritarisme, la clef de voûte de son système
politique.
Le mérite de Montesquieu est d’avoir mis l’homme au centre de sa
philosophie politique en montrant que « l’humanité qui réside en sa personne
(homme) est l’objet d’un respect qu’il peut exiger de tout homme »131. Pour
que les valeurs humaines soient préservées, il est conscient de la nécessité de
limiter le pouvoir du moment où tout pouvoir laissé entre les mains d’un seul,
c’est-à-dire non contrôlé, conduit inéluctablement à la tragédie.
L’Afrique doit faire sien, ou du moins s’inspirer du libéralisme de
Montesquieu, du moment où il est temps de bouter hors des frontières du
continent l’autoritarisme, ce système politique dans lequel la force prédomine
généralement sur le droit, pour laisser place à la démocratie en tant qu’elle est
le système de gouvernement qui favorise le mieux l’engendrement des libertés
individuelles du moment où la politique qui se désintéresse à l’homme est
inutile pour paraphraser Njoh Mouelle. Ou bien pour parler comme Locke,
« l’homme étant à la source des relations sociales, il serait contradictoire que
ses droits et ses biens soient spoliés par une autorité civile dont la souveraineté
est absolue, car tout pouvoir absolu est illégitime »132.
En effet, le libéralisme de Montesquieu au travers de sa théorie de la
séparation des pouvoirs peut favoriser l’essor de la démocratie terre nourricière
des valeurs comme l’égalité et la justice sociale, les droits de l’homme, la
liberté des citoyens. Mais qu’apporte-t-il réellement pour une démocratie en
Afrique ?

Les influences de la séparation des pouvoirs


Le principe de la séparation des pouvoirs a longuement fait écho dans
l’histoire de l’humanité. « Ce principe est devenu l’un des piliers
inconditionnels non seulement du libéralisme, mais aussi de l’Etat de droit et

131
KANT E., Fondement de la métaphysique des mœurs, Paris, Vrin, 1988, P. 109.
132
LOCKE J., Traité de gouvernement civil, Paris, J. Vrin, 1985, p. 189.

57
de la démocratie »133. C’est ainsi qu’il a inspiré de nombreuses constitutions
dans le monde entier.
La première constitution à s’en être servi, c’est la constitution des
Etats-Unis d’Amérique. Les constituants américains de Philadelphie se sont
servis du principe de la séparation des pouvoirs pour élaborer la charte
fondamentale des Etats-Unis d’Amérique en 1787134. C’est ainsi que cette
constitution de 1787 légitime l’existence de trois pouvoirs, à savoir : le
législatif détenu par le congrès, l’exécutif détenu par le Président de la
République et le judiciaire détenu par la Cour Suprême. Ces pouvoirs étant
indépendants et ayant chacun des fonctions particulières. Ce qui est
remarquable dans la constitution des Etats-Unis d’Amérique, c’est le respect
de l’esprit du principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, et surtout
l’existence de l’organe judiciaire. C’est ce qu’éclaircit Chantebout
lorsqu’il affirme que : « l’affirmation de Montesquieu selon laquelle il
existait en Angleterre un pouvoir judiciaire indépendant influença certainement
les pères fondateurs dans leurs décision de faire de la Cour Suprême le
troisième pilier de la constitution. »135
Par ailleurs, le choix de l’étude de l’influence de la séparation des
pouvoirs de Montesquieu sur la constitution américaine, n’est qu’un exemple
parmi tant d’autres, car le principe de séparation des pouvoirs a influencé
toutes les constitutions contemporaines. Il a influencé les constitutions
françaises au cours de l’histoire. Chantebout en dénombre trois : « trois
constitutions françaises devaient s’inspirer des idées de Montesquieu : ce sont
les constitutions de 1791, la constitution de l’an III, et beaucoup plus tard,
celle de 1848. »136
En outre le principe de la séparation des pouvoirs est devenu, depuis
longtemps, le pré-requis de tout Etat de droit. C’est dans ce sens que l’article

133
DUROZOI & ROUSSEL., op. cit., p. 100.
134
Ibid., p. 104.
135
CHANTEBOUT B., op. cit., p. 114.
136
Ibid., p. 129.

58
16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
stipule que : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas
assurée ni la séparation des pouvoirs, n’a point de constitution. »137
La séparation des pouvoirs devient ainsi l’une des conditions nécessaires
pour tout gouvernement démocratique, respectueux et promoteur des droits de
l’homme puisque étant un sérieux obstacle au despotisme né de la détention
personnelle de toutes les forces de l’Etat.
Au regard de ce qui précède, le principe de la séparation des pouvoirs de
Montesquieu s’est universalisé du moment où toutes les constitutions s’en
sont inspirées. Dès lors il est devenu le principe de base de toute démocratie et
de la modernité politique. Par ailleurs, son libéralisme a produit de nombreuses
valeurs en Afrique.

La prise en compte des valeurs humaines en Afrique


La démocratie prend de plus en plus corps dans les systèmes politiques
africains. Avec, la limitation constitutionnelle du mandat présidentiel,
l’organisation des conférences nationales souveraines ou non, la libéralisation
des médias, l’instauration du multipartisme, les observatoires des élections, le
suffrage universel, la croissance quantitative et qualitative d’associations et
autres formes d’organisations (ONG138, comités, réseaux ), l’année 1990
marque le tournant manifeste dans la vie politique des pays du continent. C’est
dans cette optique que Louis Favoreu note l’intégration du droit constitutionnel
des libertés ou le « droit constitutionnel substantiel » non plus dans le
préambule des constitutions, mais dans le corps constitutionnel. Ainsi Luc
Sindjoun affirme : « les pays africains indépendants ont intégré et
reconnaissent dans leur constitution respective tous les accords internationaux
allant dans le sens de la protection de la dignité humaine »139. C’est dans ce
sens qu’ils ont adopté la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme »
137
Article 16 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.
138
Organisation non gouvernementale.
139
SINDJOUN L., « de la société traditionnelle à l’émergence d’une société politique de droit en Afrique »
Droit de l’homme en Afrique centrale, dir. MAUGENEST et POUGOUE, Ucac-Karthala, 1995, p. 96.

59
proclamée par les Nations-Unies en 1748, « la Charte Africaine des Droits de
l’Homme ». Ces droits sont par exemple le droit à la vie, à la santé, à
l’éducation, à la communication ou à l’expression, le droit syndical, etc. Il
note également un réel progrès dans le processus de la constitutionnalisation des
valeurs humaines. L’auteur cite d’exemple, la croissance par les constitutions
africaines des droits civils et politiques de la première génération, les droits
économiques et sociaux de la deuxième génération ainsi que ceux relatifs à la
paix et à un environnement sain140.
Ces quelques indicateurs, sans être exhaustifs montrent que l’Afrique
semble s’imprégner de la notion de ¨vertu politique¨. Mais une chose est
d’élaborer des théories et des doctrines, une autre est de les mettre en pratique.
Une redynamisation de la politique n’est-elle toujours pas envisageable en
Afrique ?

2. le changement politique en Afrique à la lumière du libéralisme de


Montesquieu
C’est contre tout pouvoir sans contrôle, c’est-à-dire despotique que
s’insurge l’auteur de De l’Esprit des Lois. Il l’a si bien vu : « tout pouvoir
doit avoir des limites, car même la vertu qui est une valeur morale par
excellence, a besoin des limites »141. De ce fait, il pense qu’un gouvernement
modéré doit être l’action conjuguée de quelques grandes forces 142 qui exercent
des contrôles mutuels sur elles-mêmes. Pour parvenir à la limitation des
pouvoirs, Montesquieu propose leur séparation, tant au niveau de l’organe que
de la fonction. C’est dans ce cas de figure que le libéralisme de l’auteur tient
toute son importance et peut être précieux pour les Etats africains imbus au
despotisme, c’est-à-dire à la concentration des pouvoirs en un seul organe ou
en un seul individu.

140
Ibid., P. 97.
141
MONTESQUIEU., op. cit., p. 293.
142
Le législatif, le judiciaire et l’exécutif.

60
Le pouvoir exécutif
Le pouvoir exécutif est l’un des trois pouvoirs reconnus par les
constitutions libérales. Dans le cas d’espèce il sera question de présenter son
importance à la lumière des idées de l’auteur de De l’Esprit des Lois.
Montesquieu préconise que le pouvoir exécutif dont il est question ici,
doit être séparé des autres pouvoirs et avoir des attributions spécifiques. Ainsi le
pouvoir exécutif doit avoir pour mission d’exécuter les résolutions publiques,
de veiller à la stricte application des lois. Dans son énoncé théorique de la non-
confusion des pouvoirs, la puissance exécutrice a pour spécificité de veiller au
respect et à l’application des lois. L’exécutif en Afrique en ne tenant pas
compte de ses prérogatives, contribue à la déchéance des Etats. Elle doit veiller
à l’éradication de l’impunité, promouvoir la liberté d’expression, car le
muselage des organes d’expression telles les presses, les radios privées comme
cela se vit aujourd’hui forme des freins au processus de démocratisation. Il faut
que l’exécutif soit « serviteur » et non « maître ». C’est dans ce sillage que
Tumi déclare : « que ceux qui gouvernent n’exploitent pas, qu’ils se voient
comme serviteurs et non comme maîtres »143. Etre serviteur, c’est mettre avant
tout le bien commun, c’est faire preuve de ¨vertu politique¨ dont prône
Montesquieu ; c’est rechercher la justice l’égalité et la paix, gages d’une
véritable liberté et d’un véritable principe démocratique.
Pour être plus clair, l’exécutif aura pour tâche d’assurer la sécurité tant
à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire et, de ce fait, le chef de l’exécutif
doit être le chef des armées, il doit a priori se limiter aux missions régaliennes
d’un Etat moderne, à savoir la protection du territoire, des personnes des biens,
et des relations extérieurs144 etc. Ce n’est qu’à cette condition que la liberté
des citoyens sera possible.
Toutefois, le pouvoir exécutif peut intervenir indirectement dans le
domaine de la loi. Il peut participer à la législation par sa seule faculté
143
TUMI C., cité par SOFACK N., l’Affaire cardinal Tumi d’octobre 2000 : un débat revisité. Pour
comprendre le rôle politique de l’Eglise dans un Etat laïc, 2002, p. 21.
144
La diplomatie

61
d’empêcher et non pas par ses droits d’initiative. L’exécutif ne doit plus
élaborer les lois en Afrique, mais il peut du moins empêcher leur promulgation ;
c’est une tâche spécialement destinée au parlement ; bien qu’il puisse fixer
l’ordre du jour du parlement et déterminer la période des sessions. Par ailleurs,
dans son rapport judiciaire, l’auteur est catégorique : l’exécutif ne doit pas
empiéter sur le judiciaire sous peine de ruiner les libertés individuelles des
citoyens. Il n’y aurait plus de liberté parce que le pouvoir basculerait sûrement
dans la tyrannie.

Le pouvoir judiciaire
C’est également l’un des pouvoirs reconnus par les constitutions
modernes. Il est très important dans le monde contemporain dans la mesure où
c’est lui qui est habilité à arbitrer les rapports non seulement entre les
particuliers, mais aussi entre les particuliers et l’Etat.
Le libéralisme attribue au pouvoir judiciaire la tâche essentielle de
145
« juger les crimes ou les différents des particuliers » pour assurer
sérieusement ses fonctions, l’auteur estime que la puissance judiciaire doit être
indépendante. C’est l’une des conditions essentielles du gouvernement
modéré. C’est dans ce sillage qu’il affirme : « Dans la plupart des royaumes
de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince qui a les deux
premiers pouvoirs (exécutif et législatif) laisse à ses sujets l’exercice du
troisième (judiciaire) »146
En outre, si le pouvoir exécutif empiète sur le pouvoir judiciaire, comme
dans les systèmes politiques africains, l’auteur estime que les décisions du juge
auront la force d’un oppresseur, c’est-à-dire d’un despote qui agit à l’abri
des lois, dans une injustice totale : « les jugements rendus par le prince seraient
une source intarissable d’injustice et d’abus. »147 C’est encore à
Montesquieu d’ajouter : « la constitution serait détruite »148, si l’exécutif
145
MONTESQUIEU., op. cit., p. 295.
146
Ibid., P. 295.
147
Ibid., P. 206.
148
Ibid., P. 205.

62
empiète sur le judiciaire. En effet, Montesquieu estime que le pouvoir judiciaire
doit être disjoint des autres pouvoirs surtout de l’exécutif ; autrement, c’est
l’arbitraire et le despotisme qui s’installe dans l’Etat.
Pour le Baron de Brède, « la liberté politique, dans un citoyens, est cette
tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et
pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen
ne puisse pas craindre un autre citoyen »149. L’opinion que « chacun a de sa
sûreté » et le fait qu’il ne « puisse pas craindre un autre citoyen » signifie
qu’il existe une puissance compétente pour intervenir en cas de différend. La
vie sociale n’est possible qu’à travers un appareil juridique fiable et
indépendant. Il est dès lors important que la puissance judiciaire soit dépouillée
de toute corruption et de tout partie pris. C’est à cette condition que la justice
peut être rendue au peuple car chacun se sachant soumis à la loi. La loi n’étant
pas respectée, l’arbitraire s’instaure. Lorsque l’arbitraire s’instaure, lorsque
le citoyen ne se sent plus en « sûreté », lorsqu’il ne peut rien attendre de la
justice, nous avouons avec Hobbes que c’est la « mort de l’Etat ».
Dès lors, une question lancinante se pose : comment sortir de cette
impasse ? Ceci n’est possible que par : l’application des lois que l’on s’est
soi-même prescrite, leur adaptation, leur adéquation par rapport à la société et
enfin par une non-confusion des pouvoirs. Tant que nos lois seront bafouées,
tant que la séparation des pouvoirs tels que prônés par Montesquieu ne restera
pour nous qu’une théorie, l’on ne pourra parler d’une véritable démocratie et
la fin de la misère n’est pas pour demain.

Le pouvoir législatif
Dans la démocratie libérale, le pouvoir législatif est fondamental et
occupe une place importante dans la mesure où c’est par lui que le peuple
exprime son avis et participe à la gestion de la nation par le choix de ses
représentants.

149
Ibid., p. 294.

63
La centralité de la loi dans le système politique de Montesquieu se justifie
par le rôle déterminant qu’elle joue dans la protection des libertés et la lutte
contre le despotisme, par la modération des pouvoirs. C’est la raison pour
laquelle, il accorde une place importante au pouvoir législatif qu’il considère
comme l’instance modératrice des lois et de ce fait, constitue un véritable
contre-pouvoir de l’exécutif. Les systèmes politiques africains, dans leurs
constitutions ont repris certains points du libéralisme de Montesquieu,
notamment sa structuration du parlement en deux chambres, sa fixation de la
période de la tenue et de la durée des assemblées par l’exécutif. C’est
également la chambre basse qui vote le budget de l’Etat. De même, l’exécutif
détient le droit de veto, c’est-à-dire la « faculté d’empêcher »150. En effet,
cette reprise de Montesquieu ne touche que des aspects inessentiels de son
libéralisme, puisque la séparation des pouvoirs, pilier fondamental de sa
philosophie politique, n’est pas assurée.
Dans ce sillage l’exécutif interfère sérieusement dans la fonction
législative. S’il est reconnu que c’est le parlement qui vote les lois, le droit est
également accordé à l’exécutif de déclasser le législatif dans sa fonction
régalienne qui est de faire les lois. C’est ainsi que l’exécutif détient, comme
nous l’avons dit ci-dessus, le pouvoir d’initiative des lois, le principe
d’ordonnance, le pouvoir des décrets. Or, en matière législative, Montesquieu
pense que l’exécutif ne doit pas interférer dans sa fonction législative, sinon
par sa seule « faculté d’empêcher », autrement, tout serait perdu. C’est ce
qu’il dit en ces termes : « si le monarque prenait part à la législation par sa
faculté de statuer, il n’y aura plus de liberté. »151 Même en matière budgétaire,
la sentence est la même : l’exécutif ne doit pas participer à sa législation.
Montesquieu l’exprime ainsi : « Si la puissance exécutrice statue sur la levée
des deniers publics, il n’y aura pas de liberté ; parce qu’elle deviendra
législative, dans le point le plus important de la législation. »152
150
Ibid., p. 299.
151
Ibid., p. 302.
152
Ibid., p. 302.

64
Ainsi, l’exécutif est un danger permanent pour la liberté. C’est la
raison pour la quelle Montesquieu lui impose des limites : il ne doit pas
participer directement à la législation.
Toutefois, tout pouvoir étant par essence despotique, le Baron de Brède
estime nécessaire de limiter également le pouvoir législatif. C’est ainsi qu’il
pense que le pouvoir exécutif peut refuser certaines lois votées par le
parlement. C’est la raison pour laquelle il affirme : « Si la puissance
exécutrice n’a pas le droit d’empêcher les entreprises du corps législatif,
celui-ci sera despotique ; car comme il pourra se donner tout le pouvoir qu’il
pourra imaginer, il anéantira toutes les autres puissances. »153
En plus, la puissance législative doit savoir restée indépendante,
autonome et ne pas se laisser influencer par l’exécutif. Cette force gagnerait à
être une chambre au service de la population en prenant des lois favorables pour
l’épanouissement du peuple. Des lois relatives au physique du pays ; au climat,
à la qualité du terrain, et surtout au genre de vie des peuples. De ce fait on
arriverait à une démocratie fondée sur la base d’une conception correcte de la
personne humaine. Le cardinal Tumi déclare à cet effet : « ce qui manque le
plus chez nous, ce sont des lois bien faites pour donner la chance à tout le
monde »154. Le législatif doit s’imposer comme force objective et indépendante
d’où la nécessité de la transparence. Il est souhaitable que les vœux du chef de
l’Etat en ce qui concerne la nation toute entière passe également au crible de la
critique et du vote, pour éviter l’impartialité des lois ; dans le cas contraire,
l’on n’est plus en démocratie mais dans la dictature ce qui explique le fait que
les lois soient toujours impopulaires. La conséquence immédiate de cette
pratique est la peur, la corruption, c’est « la mort de l’Etat » car le mal est
incurable puisqu’il est dans le remède.
L’avenir d’un pays demande une meilleure éducation de la vertu
politique155 comme le dit si bien Montesquieu. La conduite à tenir est que la
153
Ibid., p. 300.
154
TUMI C., op. cit., p. 16.
155
MONTESQUIEU., op. cit., p. 299.

65
puissance législative ait la faculté d’examiner de quelle manière les lois
qu’elle a faites ont été exécutées, que l’exécutif veille à la manière dont ces
lois sont faites et que le judiciaire réponde à la validité de celles-ci. Le tout ne
serait pas de séparer les pouvoirs, mais de rendre cette séparation effective et
objective.

En fin de compte, il était question ici de mettre en exergue les Profits que
les systèmes politiques africains peuvent tirer du libéralisme de Montesquieu. Il
propose comme solution au problème du rigorisme politique, la séparation des
pouvoirs. Toutefois, ladite séparation ne doit pas être absolue au risque de
paralyser les pouvoirs. Dès lors il est absolument nécessaire que chaque
pouvoir ait des limites. C’est dans cette logique que l’exécutif doit empiéter
sur le législatif grâce à sa faculté d’empêcher et non de statuer.
Réciproquement, le législatif doit pouvoir contrôler l’application des lois
qu’elle a votées. Mais, le judiciaire doit être indépendant vis-à-vis de
l’exécutif, sinon la liberté serait impossible. C’est la modernité politique de
Montesquieu, c’est-à-dire une politique qui met en branle le despotisme au
profit des libertés individuelles, et s’ouvre dès lors à une démocratie
nécessaire pour le continent africain.
Par ailleurs, même si la théorie de la séparation des pouvoirs présente
quelques défaillances et a fait l’objet de désapprobation à la fois de Bodin, de
Rousseau, Althusser, Eisenmann, en tout état de cause, Montesquieu s’en est
sorti revigoré puisque la séparation des pouvoirs et le système représentatif sont
devenus de nos jours, les piliers de la démocratie. Par conséquent, le système
politique de l’auteur de De L’esprit des Lois, paraît être le régime politique de
l’avenir.

CONCLUSION GENERALE

66
Il était question dans ce travail de voir comment le libéralisme de
Montesquieu peut efficacement contribuer à la redynamisation de la démocratie
des pays africains. Ce questionnement traduit le malaise orchestré par les
régimes politiques en Afrique notamment le despotisme, inhérent à la
concentration abusive des pouvoirs, cause du sous développement et de
nombreux conflits armés sur le continent.
Pour apporter un essai de solution à notre préoccupation, nous avons
reparti notre travail en trois chapitres. Le premier avait pour objectif de
connaître la nature du libéralisme politique de Montesquieu. Pour y parvenir,
nous avons d’une part examiné son contexte d’émergence et d’autre part
présenté ses grandes articulations. Il en ressort que son libéralisme s’insurge
contre le despotisme. De ce fait, pour l’éviter il faut faire prévaloir la loi et la
liberté des citoyens par la division, la limitation et le contrôle des pouvoirs
étatiques.
Le deuxième moment de notre réflexion quant à lui avait pour objectif de
porter un regard critique sur la situation politique actuelle de l’Afrique. Sous
un double aspect (constitutionnel et socio-politique), nous avons présenté les
obstacles inhérents à la réalisation d’une véritable démocratie en Afrique.
Nous avons constaté avec Okassie, qu’en Afrique, l’exécutif est le seul
pouvoir actif, qui par ricochet, monopolise la gestion de la vie publique. C’est
ainsi qu’il affirme : « le chef de l’exécutif cumule tous les pouvoirs, il règle la
vie politique de tout un pays. Il y a subordination objective du législatif et du
judiciaire à l’exécutif. »156 En plus, grâce à des techniques comme l’initiative
des lois, la pratique des ordonnances, la corruption des législateurs, l’exécutif
supplante le législatif dans sa fonction de légiférer. Ce qui peut justifier
d’avantage une telle implication de l’exécutif dans le judiciaire, c’est sa
fébrilité. C’est la raison pour laquelle Rousseau pense que « la corruption du
157
législateur ne peut conduire qu’à la dégénérescence de la nation » ,

156
OKASSIE A., op. cit., p. 113.
157
ROUSSEAU J.-J., op. cit., p. 189.

67
puisqu’il est le cœur de la société entière. L’hégémonie de l’exécutif a pour
corollaire, la fondation d’une force publique qui règne à l’abri de tout
contrôle et de toute règle extérieure. Dans le cas d’espèce le chemin de la
monarchisation de la République est ouvert en Afrique, fondement de la
restriction abusive des libertés.
Au troisième chapitre, après avoir critiqué la théorie de la séparation des
pouvoirs qui semblait être illusoire, il nous a paru judicieux de montrer sa
pertinence pour une lutte contre tout abus de pouvoir.
Dans le souci de trouver une théorie qui préconise le maximum de
libertés, Montesquieu oppose pouvoir et liberté. Selon lui, la liberté est
insignifiante lorsque tous les pouvoirs constitutifs de l’Etat sont liés. Par
conséquent, pour éviter le despotisme et, de ce fait, faire assurer le plus de
liberté, il faut que les pouvoirs étatiques soient divisés et que chacun d’eux soit
limité, puis contrôlé par une force qui lui fasse équilibre. Ainsi, pour que le
gouvernement soit modéré, il est nécessaire que les forces publiques soient
indépendantes ; cependant, elles doivent se contrôler mutuellement au point de
parvenir à une inaction, car tout pouvoir est fondamentalement despotique,
c’est-à-dire arbitraire et absolu.
Ainsi, pour que la démocratisation en Afrique soit effective, il faut non
seulement que les lois soit prééminentes, mais également que la force publique
soit partagée entre les différents pouvoirs de l’Etat, à savoir le législatif
l’exécutif et le judiciaire ; puis, que ces pouvoirs se contrôle mutuellement afin
qu’aucun pouvoir ne devienne arbitraire. C’est d’après Montesquieu le
réquisit essentiel de la liberté politique et civile.158
Toutefois, ce qui inquiète dans ce cas de figure, c’est l’exclusion de la
société civile de la tâche de contrôle de l’action étatique, car pour
Montesquieu, la force qui s’oppose au despotisme d’un pouvoir étatique doit
lui être immanente. Pourtant, il y a également nécessité de contrôle d’une force
extérieure à l’Etat, parce qu’il y a risque d’éventuelle complicité entre les
158
MONTESQUIEU, op.cit., p. 322.

68
principaux pouvoirs de l’Etat. D’où la nécessité de la société civile que
Fukuyama considère d’ailleurs comme le principal acteur du développement et
de la gestion des sociétés159.
Au regard de ce qui précède, il ne serait certainement pas prétentieux de
dire qu’avec le libéralisme de Montesquieu, l’Afrique serait bénéficiaire si
elle pouvait rendre effective une telle théorie. Telle est aujourd’hui à nos yeux
la solution adéquate pour une redynamisation de nos sociétés. Solution que nous
propose le Baron de Brède dans son œuvre De l’esprit des lois.

BIBLIOGRAPHIE

159
FUKUYAMA., La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992, p. 98.

69
Œuvres de Montesquieu
MONTESQUIEU., De l’Esprit des Lois, t.1, Paris, Garnier Flammarion, 1979.
De l’Esprit des Lois, t.2, Paris, Garnier Flammarion, 1979.

Œuvres sur Montesquieu


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Autres ouvrages consultés


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70
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72
TABLE DES MATIERES
DEDICACE...........................................................................................................i
REMERCIEMENTS............................................................................................ii
INTRODUCTION GENERALE..........................................................................1
CHAPITRE I : LE LIBERALISME POLITIQUE DE MONTESQUIEU...........4
Le contexte d’émergence du libéralisme............................................................5
I. Les formes de gouvernements.......................................................................9
1. Le régime républicain..............................................................................10
2. Le régime monarchique...........................................................................11
3. Le régime despotique...............................................................................12
II. Loi et liberté comme fondement du libéralisme politique de Montesquieu
.........................................................................................................................13
1. La conception de la loi chez Montesquieu...............................................13
Le concept de loi de nature chez Montesquieu........................................15
Le concept de loi positive chez Montesquieu...........................................16
2. La conception de la liberté chez Montesquieu........................................17
Le concept de liberté au sens philosophique............................................18
Le concept de liberté au sens politique....................................................19
III. Moyens de protection des libertés.............................................................21
1. La théorie de la séparation des pouvoirs...............................................21
La puissance législatrice..........................................................................21
La puissance exécutrice...........................................................................21
La puissance fédérative ou judiciaire......................................................21
2. L’importance des corps intermédiaires dans l’Etat.............................22
CHAPITRE II : UN REGARD CRITIQUE SUR LA SITUATION POLITIQUE
ACTUELLE DE L’AFRIQUE.........................................................................25
I . Sur le plan constitutionnel..........................................................................25
1. La fragilisation des contre-pouvoirs.......................................................26
Le parlement.............................................................................................26

73
L’organe juridictionnel..........................................................................29
2. La véritable nature des Etats africains....................................................31
Le règne de l’arbitraire..........................................................................32
La confiscation des pouvoirs....................................................................33
II . Sur le plan socio-politique.........................................................................36
1. Les obstacles aux libertés publiques.......................................................36
La participation aux affaires publiques...................................................37
La censure de la presse............................................................................37
2. La multiplication des moyens anticonstitutionnels de conquête du
pouvoir.........................................................................................................38
Les coups d’Etats....................................................................................39
Les guerres civiles....................................................................................41
CHAPITRE III : LIMITES ET APPORTS DU LIBERALISME DE
MONTESQUIEU...............................................................................................44
I. Limites du libéralisme politique de Montesquieu.......................................44
1. La séparation des pouvoirs : mythe ou réalité ?.....................................44
L’illusion de l’indépendance des pouvoirs...........................................45
La combinaison des pouvoirs...................................................................45
La souveraineté........................................................................................46
2. l’inégalité des pouvoirs..........................................................................50
Le discrédit du pouvoir judiciaire............................................................50
La prépondérance des pouvoirs politiques..............................................51
L’illusion de la représentation...............................................................52
II. Apports du libéralisme politique de Montesquieu.....................................56
1. Les effets de la théorie de la séparation des pouvoirs.............................56
La valeur anthropologique du libéralisme de Montesquieu....................56
Les influences de la séparation des pouvoirs...........................................57
La prise en compte des valeurs humaines en Afrique..............................59

74
2. le changement politique en Afrique à la lumière du libéralisme de
Montesquieu.................................................................................................60
Le pouvoir exécutif...................................................................................61
Le pouvoir judiciaire................................................................................62
Le pouvoir législatif.................................................................................63
CONCLUSION GENERALE............................................................................67
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................70
TABLE DES MATIERES..................................................................................73

75

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