Tfc Mgr Berthold
Tfc Mgr Berthold
Tfc Mgr Berthold
ii
INTRODUCTION GENERALE
LAfrique est un continent qui est encore à la recherche des repères. Que
ce soit sur le plan économique, culturel, social ou politique, il est encore
question de recherche dun ordre nouveau, capable de mettre irréversiblement
ce continent sur le chemin du développement. La décolonisation a donné une
lueur despoir aux africains de sêtre enfin débarrassés du joug occidental.
Mais, leur rêve na été que de courte durée, puisque les systèmes politiques de
lAfrique post-indépendante, loin de se démarquer du despotisme colonial,
lont plutôt revêtue dune apparence de démocratie sous la houlette du parti
unique. En un mot, cest le règne du totalitarisme 1 qui met lembargo sur les
droits et libertés des citoyens. En 1989, cest la chute du mur de Berlin et
partant, la fin du communisme2. Un regain despoir renaît chez les africains,
car cest lavènement de ce quon a appelé le « vent dEst » cest-à-dire le
courant de la démocratie. Chaque Africain espère une fois de plus vivre enfin
dans un Etat de droit3 garantissant certaines valeurs fondamentales de lhomme
telles que la vie, la justice, le droit, la liberté. Cependant, cétait sans compter
avec la duplicité des régimes politiques africains qui ne sont démocratiques que
sur le papier, et de tendance despotique dans les faits, car la non séparation,
voire la concentration abusive des pouvoirs entre les mains dune seule
institution (lexécutif) semble être la règle.
Un tel constat pose le problème de la liberté et de la séparation effective
des pouvoirs en Afrique. Comment concilier les systèmes politiques africains
avec la théorie politique de Montesquieu qui est essentiellement fondée sur la
séparation des pouvoirs ? Quel intérêt lAfrique peut-elle avoir à se frotter au
système politique de Montesquieu ? Comment sa pensée politique peut-elle
favoriser dans le contexte actuel un développement politique en Afrique ?
1
Système de gouvernement qui nadmet aucune opposition.
2
Système politique et social fondé sur la suppression de la propriété individuelle au profit de la mise en
commun.
3
Etat dans lequel le pouvoir politique est limité par le droit et la séparation des pouvoirs assurée.
1
Il sagira pour nous ici de montrer, ce que le libéralisme politique de
Montesquieu peut apporter de positif au processus de démocratisation de
lAfrique.
Lon est certainement en droit de se demander pourquoi avoir choisit
Montesquieu, et à travers lui, le XVIII e siècle pour élucider le principal
problème africain. Lintérêt porté sur le XVIII e siècle vient du parallélisme que
lon peut établir entre les systèmes politiques de ce siècle et ceux de
lAfrique, puisquen ce moment là, le mode du gouvernement le plus répandu
en Europe, cest encore le despotisme.
Montesquieu, lauteur de De LEsprit des Lois estime que, pour mener
une lutte acharnée et objective contre le despotisme, il serait judicieux que les
pouvoirs de lEtat soient partagés en trois organes ; le législatif, lexécutif, et
le judiciaire, au point où chaque organe ait une fonction spécifique et bien
déterminée. Cependant, lexpérience ayant montré que « tout homme qui a du
pouvoir est porté à en abuser la modération de ces pouvoirs est nécessaire, car
même la vertu a besoin des limites. »4 Ainsi, de peur que lon ne puisse pas
abuser du pouvoir précise-t-il, il faut que, le « pouvoir arrête le pouvoir »5. En
plus de la séparation des pouvoirs, leur limitation simpose pour que naisse le
« sentiment de sécurité » gage intrinsèque et caractéristique fondamentale de
lEtat de droit.
Cette nouvelle visée politique de Montesquieu ayant la liberté pour objet
fondamental, est aux antipodes du despotisme qui semble être plus perceptible
dans nos Etats. La théorie de la séparation des pouvoirs paraît dynamique et
efficace. Elle est en effet lun des moyens pouvant contribuer à lessor du
continent africain, lui permettant ainsi dincarner des valeurs modernes : la
liberté, la justice, les droits de lhomme ; qui sont des valeurs encore
contemporaines. Il semble être indiqué, et peut apporter un souffle nouveau, un
4
MONTESQUIEU., De lEsprit des Lois, t.1, Paris, Garnier /Flammarion, 1979, p. 293.
5
Ibid., p. 293.
2
air frais, une bouffée doxygène à nos Etats. Dans le but de rendre ceci
intelligible, nous diviserons notre travail en trois parties.
Dans la première partie, il sera question de répondre à la question
suivante : quest ce que le libéralisme de Montesquieu ? Autrement dit, quel
est son fondement, sa nature, ses différentes articulations ? Ceci nous amènera à
examiner dune part son contexte démergence, et dautre part ses grandes
lignes. Dans la seconde partie, nous porterons un regard critique sur la situation
politique actuelle de lAfrique dans le but de ressortir les obstacles qui freinent
lévolution du continent et la réalisation dune véritable démocratie. Comme
aucune uvre humaine nest parfaite, elle reste donc passible de critiques.
Cest ainsi que nous présenterons dabord les insuffisances du libéralisme
politique de Montesquieu, ensuite son apport pour la redynamisation de la
démocratie en Afrique.
3
CHAPITRE I : LE LIBERALISME POLITIQUE DE MONTESQUIEU
6
Siècle de grand essor scientifique et dépanouissement de la raison critique en Europe.
4
Le contexte démergence du libéralisme
5
nécessité du « Léviathan » supérieur et extérieur à ses sujets par le trait de son
irresponsabilité. Il naura aucune obligation morale, ni politique vis-à-vis de
ses sujets, puisque nayant pas pris part au contrat social, il est extérieur à ce
pacte et par conséquent, ne saurait être lié à ses ordonnances. De même, ce
contrat passé entre les membres du peuple, est un pacte de soumission absolue
au prince, et non une convention, encore moins une convention limitée. De ce
fait, le peuple doit être entièrement soumis au monarque qui est le maître
absolu. Pour Hobbes, cette soumission à un pouvoir autoritaire « est peu de
chose en comparaison des misères et des calamités horribles qui sont le lot
dune guerre civile, ou de la condition dissolue qui est celle des humains sans
maître, sans la sujétion des lois, sans puissance coercitive pour enchaîner leurs
mains capables de rapine (vol, pillage) et de vengeance. »8 Ainsi, selon Hobbes,
le pouvoir autoritaire est un moindre mal par rapport à linsécurité ambiante et
permanente de létat de nature.
Par ailleurs, un autre signe de lomnipotence monarchique se révèle au
niveau de lindividualisation du pouvoir. Le pouvoir est détenu par un seul
homme, à savoir le monarque. Il sillustre comme le détenteur exclusif du
pouvoir suprême. Cette concentration de tous les pouvoirs entre les mains du
seul monarque sexplique par lidée que le pouvoir samoindrit lorsquil est
partagé. Doù limportance de cette précision quapporte Richelieu : « un
seul pilote au timon de lEtat. Rien nest plus dangereux que diverses
autorités égales en ladministration des affaires. »9
En outre Louis XIV renchérit en précisant dans ses Mémoires que même
les points de vue des conseillers du prince sont subsidiaires, car seule la volonté
du monarque a une valeur. Ainsi, pense-t-il le roi peut avoir des conseillers,
toutefois il ne reçoit deux que des avis et même lorsquils sont bons, le
8
HOBBES T., Léviathan, Paris, Folio essais, 2000, p. 303.
9
RICHELIEU., Testament Politique, cité par PRELOT et LESCUYER in Histoire des idées politiques, Dalloz,
1980, p. 302.
6
mérite revient au roi puisquil a su les suivre 10. Cette individualité du roi
concourt naturellement au renforcement du pouvoir royal.
La suprématie royale découle naturellement du renforcement exagéré du
pouvoir princier. Son pouvoir, illimité sexplique par le fait quil est extérieur
aux lois quil a lui-même établies. Cela dit, le monarque nest pas tenu de
respecter ses propres lois qui ne sont faites que pour ses seuls sujets. Il nest
soumis à aucune obligation, à aucun devoir. Le prince nobéit quà ses
propres caprices. Ce qui lui confère le droit de vie ou de mort sur ses sujets. De
ce fait, lunique règle constante ici, cest la crainte du monarque.
De même, le prince vise non pas la protection de ses sujets comme a
voulu nous faire croire Hobbes, mais plutôt le renforcement de lEtat, la
protection et laffermissement de sa propre puissance. Par ailleurs, la
concentration des pouvoirs est inéluctable du moment où le monarque règne
sans contrôle. Dès lors, le tyran a la main mise sur tous les pouvoirs, à savoir :
lexécutif, le judiciaire et le législatif. Elle dénote la phobie pouvoiriste du
monarchique. Il est le détenteur unique de la souveraineté qui sexprime, dans
le pouvoir législatif, par sa faculté de « donner et de casser la loi »11. La
concentration des pouvoirs dans la monarchie traduit lidée quelle se fait du
gouvernement de corps. LAncien régime considère le gouvernement de corps
comme un péril, car il pourrait connaître une insuffisance de coordination et de
ce fait un déficit de contrôle du pouvoir par le monarque. Par conséquent, toute
collégialité, toute multiplicité des gouvernants ou des conseillers, est à
proscrire.
Lomnipotence du monarque nest de nature quà nuire au libre
épanouissement des citoyens, quà les effacer en face dun monarque qui est
seul digne de respect. Les tribulations du peuple dans labsolutisme
monarchique se manifestent à plusieurs niveaux : sa dépendance absolue vis-à-
vis du roi, son absence de propriété.
10
LOUIS XIV., Suppléments de Mémoires de 1666, cité par PRELOT et LESCUYER, op. cit., p. 310.
11
BODIN J., République, cité par PRELOT et LESCUYER, op. cit., p. 284.
7
Lun des traits principaux de lavilissement du peuple sillustre par sa
dépendance absolue vis-à-vis du monarque. Le citoyen se voit ici réduit au rang
de simple sujet qui ne possède que des devoirs. Dailleurs, le terme sujet est
très révélateur. Il désigne un être dépendant, soumis, inférieur et obligé. Cest
pour cela quil na que des devoirs et que lunique droit dont il dispose se
réduit à lobéissance au monarque. Cest dans loptique de justifier la
soumission du peuple au roi que le théoricien de labsolutisme théocratique,
Bossuet, fait lapologie du régime principal, régime qui tient le peuple soumis
à un roi à linstar dune famille à un père, chef de cette famille 12.
Un autre trait manifeste de lavilissement du peuple par labsolutisme
monarchique cest la confiscation des libertés. Le peuple est dénué de la liberté
dexpression. Il y a volonté manifeste de bâillonnement qui se sanctionne des
incarcérations, parfois par des exécutions sommaires. Les victimes sont
accusées de crime de lèse-majesté, cest-à-dire dun attentat contre la
personne du souverain, contre son pouvoir. Dans ce contexte, toute critique
contre lEtat, cest-à-dire le roi, est interdite et sévèrement réprimandée. Cette
punition peut alors aller jusquà la peine capitale. En outre, le problème de la
liberté ne se limite pas au bâillonnement, il sétend à la prohibition des
réunions et des manifestations. Louis XIV dans ses Mémoires lexprime en ces
termes : « le peuple est insatiable dans ses réclamations, plus vous le caresser
plus il vous méprise. »13
Au regard de ce qui précède, labsolutisme royal constitue le bourreau
des libertés humaines puisque larbitraire est la règle, les hommes sont réduits
en sujets primitifs, cest-à-dire en des individus soumis, subordonnés, voire en
des valets. Dans ce contexte, lhomme est réduit au rang danimal parce
quil nest pas maître de lui-même, il dépend absolument de la volonté de sa
majesté, le roi. Cest dans ce contexte socio-politique que poindra le
12
CALVET J., op. cit., p. 297.
13
LOUIS XIV., Suppléments de Mémoires de 1666, cité par PRELOT et LESCUYER, op. cit., p. 310.
8
libéralisme et plus particulièrement le libéralisme de Montesquieu, symbole de
la modernité politique.
En résumé, le contexte socio-politique dans lequel émerge le libéralisme
est foncièrement liberticide à cause du despotisme14 qui était encore en vogue au
XVIIIe siècle. Cest donc en réaction contre cet environnement néfaste (pour
libertés individuelles) des régimes monarchiques que le concept de liberté
deviendra son leitmotiv. Ainsi, tout pouvoir quel quil soit, doit être limité par
les libertés individuelles des citoyens. Cest dans cette optique quil faut
comprendre le libéralisme de Montesquieu et son combat acharné contre un tel
régime.
A la question de savoir comment lutter contre un tel régime monstrueux
et liberticide, et léviter à lavenir, Montesquieu entreprend dabord
délucider les formes des gouvernements afin de déterminer celles qui ont la
liberté pour objet.
14
Pouvoir totalitaire et arbitraire.
9
La nature du gouvernement sera à la source des lois politiques, cest-à-
dire celles qui règlent lorganisation gouvernementale ; son principe quant à
lui, sera à lorigine des lois civiles et sociales. En outre, la nature du
gouvernement ne peut pas entrer en contradiction avec son principe parce
quils sont deux concepts bien hiérarchisés. Par ailleurs, il vise à travers la
classification des types de gouvernement, à découvrir la forme de gouvernement
la plus capable déviter le pouvoir absolu et de garantir les libertés. Il distingue
ainsi :
1. Le régime républicain
La république étymologiquement parlant, vient du latin « res publica »
qui signifie la chose publique, cest-à-dire lEtat.15 Ce concept, depuis
lantiquité, se trouvait déjà chez Platon et constituait dailleurs le titre de son
ouvrage principal de philosophie politique. La république est le premier régime
étudié par Montesquieu. Il apporte une touche particulière dans la définition de
ce concept, car il réunit sur léchiquier république, démocratie et aristocratie.
Ainsi, la république se définit comme étant un type de gouvernement « où le
peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine
puissance »16. A partir de là, ce qui distingue ces deux formes de gouvernement,
cest leur nature, cest-à-dire le nombre des gouvernants. Dans les
républiques démocratiques, le peuple entier a la souveraine puissance tandis que
dans celles aristocratiques, une petite partie du peuple détient le timon de
lEtat.
Ainsi, de par la nature du gouvernement républicain, le peuple est à
certains égards monarque, cest-à-dire quil élit et juge ses magistrats, et à
dautres, il est sujet, cest-à-dire que ses magistrats décident. Dans cette
logique, Montesquieu jette son dévolu sur le système de gouvernement
représentatif, aux dépends de sa forme originelle pratiquée par les Grecs. Il le
précise en ces termes : « Le peuple qui a la souveraine puissance doit faire par
15
DUROZOI G. et ROUSSEL A., Dictionnaire de Philosophie, Paris, Nathan, 1997, p. 332.
16
MONTESQUIEU., op. cit., p. 131.
10
lui-même tout ce quil peut bien faire ; et ce quil ne peut pas bien faire, il
faut quil le fasse par ses ministres »17.
Ainsi, le peuple aura pour tâche le choix de ses représentants qui ont
nécessairement une bonne intelligence des affaires comparativement au peuple
dont lessence est la passion, linstinct, etc.
De par leur principe, il existe également une distinction entre la
république démocratique et celle aristocratique. Ainsi, si le principe de la
république démocratique cest la vertu, cest-à-dire lamour des lois, de
légalité et de la patrie. Dans la république aristocratique, cest toujours la
vertu mais au sens de modération, surtout dans lusage de linégalité entre la
noblesse et le peuple. Au demeurant, si la vertu arrivait à disparaître dans la
république démocratique, « lintérêt des particuliers prendra le dessus sur
lintérêt général »18. Par conséquent, il y a nécessité des lois républicaines qui
doivent maintenir légalité et préserver la pureté des murs. Doù la place
importante que Montesquieu, tout comme Rousseau, accorde à léducation
dans léconomie de ce régime, puisque cest grâce à elle quune conversion
de « lhomme privé » en « homme public » est possible. Puisque dans la
république démocratique, toute chose est un bien public, car ce nest que
lintérêt général qui est pris en considération. Le problème de la démocratie,
surtout dans sa forme originelle ou Grecque, cest quelle nest applicable
quà de petits Etats. Rousseau, lun des fervents défenseurs de ce régime,
affirme quil est le « gouvernement des dieux », en raison de son
inapplicabilité dans les Etats modernes plus spacieux et davantage populeux.
2. Le régime monarchique
Cest un régime dans lequel un seul, le roi, gouverne par des lois fixes et
établies (nature) et que conditionne lhonneur (principe), non au sens moral,
mais au sens que Thomas Hobbes donne dans le Léviathan, cest-à-dire la
reconnaissance de la supériorité du monarque.
17
Ibid., p. 132.
18
Ibid., p. 133.
11
Par nature, un seul gouverne : le roi contrairement au régime républicain
où le pouvoir est détenu par plusieurs individus. En outre, il ny a quun pas
entre la monarchie et le despotisme : lexistence des lois dans la monarchie.
Doù limportance des corps intermédiaires à qui revient la modération des
lois. Au demeurant, la noblesse détient la palme dor parmi eux, puisquelle
est le pouvoir intermédiaire le plus naturel ; mais le plus convenable, cest le
clergé ; et le troisième corps est celui des magistrats. Cest particulièrement la
noblesse qui constitue lange gardien de la monarchie, car si elle est évincée,
on aura « bientôt un Etat populaire, ou bien un Etat despotique. »19
Le principe de la monarchie, cest lhonneur. Car cest « lhonneur,
selon Montesquieu, qui fait mouvoir toutes les parties du corps politique ; il les
lie par son action même ; et il se trouve que chacun va au bien commun,
croyant aller à ses intérêts particuliers. »20 En un mot, il peut conduire au but
du gouvernement monarchique comme fait la vertu dans la démocratie.
3. Le régime despotique
Le despotisme est le type de gouvernement que Montesquieu déteste le
plus.
Par nature, le despotisme est le régime politique dans lequel, un seul, à
savoir le monarque, gouverne par sa seule volonté et ses caprices, cest-à-dire
sans des lois fixes. Paresseux et ignorant, le despote peut, dans certains cas,
confier le gouvernement à un ministre, qui, en tout état de cause, fait sa volonté.
Le principe du despotisme est la crainte, contrairement à celui de la
monarchie qui est lhonneur. Ce qui fait la différence entre les deux régimes,
cest quici, le monarque ou le despote gouverne sans lois, tandis que dans la
monarchie, le despote gouverne selon des lois fixement établies. La crainte y est
permanente, parce que le tyran est tenu de sévir en toutes circonstances, en
raison de linexistence des lois fixes. Toutefois, le despotisme reste un
19
Ibid., p. 145.
20
Ibid., p. 149.
12
véritable danger pour la monarchie, « puisquil suffit que le souverain évince la
noblesse sous la pression du peuple pour quon y arrive »21.
En somme, le meilleur gouvernement, cest le gouvernement modéré qui
peut être républicain ou monarchique, cest-à-dire tout gouvernement qui a
pour fin la liberté et dans lequel lon nabuse pas du pouvoir. Par contre, le
pire gouvernement, cest le gouvernement despotique dans la mesure où il
nest gouverné que par la volonté dun seul individu. Toutefois Montesquieu
prévient que, même les gouvernements modérés peuvent devenir despotiques si
leurs principes sont corrompus.
Après avoir étudié la nature et le principe de chaque régime, Montesquieu
entreprend ensuite délucider celui de la loi et de la liberté.
13
fait, il affirme que tous les êtres ont leurs lois : Dieu a ses lois, le monde
physique a les siennes, le monde intelligent aussi. Ainsi, Montesquieu se
démarque de la conception ancienne des lois. Auparavant, toutes les lois étaient
tirées de la religion ou plus précisément de Dieu. Dans ce sens, lauteur entend
laïciser les lois civiles. Par ailleurs, il distingue, chez lhomme, les lois
primitives et les lois positives. A ce niveau, lauteur fait recours à létat de
nature pour sattaquer particulièrement à la philosophie de Hobbes.
Pour Montesquieu, létat de nature nest pas un état de guerre de « tous
contre chacun » comme la estimé Hobbes. Pour lui, létat de guerre
napparaît quavec la société politique du moment où en société, dit-il, les
hommes « perdent le sentiment de leur faiblesse ; légalité qui était entre eux
cesse »23. Cest ce qui justifie la nécessité des lois civiles. Ceci nous permet de
clarifier la loi positive qui est une loi régissant les relations entre les hommes
dans la société ; dans ce cas on parlera de droit civil. Elle peut aussi être les
relations entre les citoyens et lEtat ; ici, on parlera de droit politique. Elle peut
régenter également les relations entre les Etats ; on parlera de droit de gens. Au
demeurant, « la loi, en général est la raison humaine en tant quelle gouverne
tous les peuples de la terre »24. Cest dire que, dans un Etat démocratique,
cest la loi qui gouverne en réalité et non les hommes. Cest dans ce sens que
Touchard déclare : « liberté à la loi et sujétion à la loi, tel est le principe
cardinal en dehors il ne peut y avoir de démocratie »25. Ainsi, cest le respect
de la loi qui permet déviter larbitraire.
La loi en général est définie chez Montesquieu comme « les rapports
nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et dans ce sens, tous les êtres
ont leurs lois, y comprit la divinité. »26 De cette définition de la loi, ressort
sournoisement deux types de lois bien distincts que Montesquieu reconnaît lui-
23
Ibid., p. 127.
24
Ibid., p. 128.
25
TOUCHARD J., Histoire des idées politiques, t.1, Paris, PUF, 1959, p. 31.
26
MONTESQUIEU., op. cit., p. 129.
14
même. Il sagit : de la loi de nature et de la loi positive. Mais quen est-il
exactement de chacune delle ?
15
en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; légalité qui était entre
eux cesse, et létat de guerre commence. »29
Cet état de guerre ou dexercice du « jus naturalis » ne pouvait perdurer
sans porter préjudice à cette même société qui lexerce. Doù limportance
de réglementer la vie et trouver des lois positives. Pourquoi le terme loi
positive ? Comment se trouve-t-elle définie chez Montesquieu ?
16
qui régissent le sort de chaque Etat, quil soit républicain, monarchique ou
despotique, la loi positive se trouve définie en sa nature et en son principe. La
nature est ce qui le fait tel, et lautre ce qui le fait agir. Lune est sa structure
particulière, et lautre les passions humaines qui le font mouvoir. Dans sa
conception, la loi positive devient chez lhomme, une règle voulue, instituée
pour assurer la sécurité et la liberté. « Elle est alors une spécialisation de la loi
dans sa signification la plus étendue »33 précisera Jacqueline Russ.
Cette spécification de la loi positive portera la réflexion à considérer
cette dernière comme la condition de possibilité et de validité de toute liberté
politique. Cest ce que Montesquieu sévertue à montrer dans son chef
duvre De lEsprit des Lois.
En somme, la loi, loin dêtre un instrument de domination, devient un
cadre dans lequel chaque individu manifeste sa liberté. Cest dire que, liberté
et loi sont intimement liées et que sans la loi, on ne peut parler de liberté, mais
plutôt de droit. Cest dans ce sens que Rousseau estime que « lobéissance à
la loi quon sest prescrite » 34 est liberté. Doù la nécessité de savoir ce
quest la liberté chez Montesquieu.
17
affirmation de lhistorien romain Alu-Gelle selon laquelle tout le monde en
parle, personne ne sait en quoi elle consiste. La difficulté de définir ce concept
de liberté est également mise en exergue par Spinoza. Pour celui-ci, la question
de la liberté est comme un labyrinthe où notre raison ségare bien souvent.
Montesquieu à son tour va sengager à éclaircir ce terme rocailleux dans son
acception philosophique et politique, tout en les distinguant minutieusement.
36
DESCARTES R., cité par HUISMAN D. et VERGEZ A., op. cit., p. 298.
18
termes : « Un homme libre, cest un homme qui vit sous le seul commandement
de la raison ( ) désire ce qui est bon directement, cest-à-dire, désire agir,
vivre, conserver son être suivant le principe de la recherche de lutile
propre. »37
Montesquieu pense également, comme ces philosophes, que la liberté au
sens philosophique, met en relief lindétermination de la volonté. Cest ainsi
quil la définit en ces termes : « La liberté philosophique consiste dans
lexercice de sa volonté ( ) ou du moins dans lopinion où lon est que lon
exerce sa volonté »38. Toutefois, le baron de la Brède sinsurge contre cette
conception philosophique de la liberté qui, daprès lui, fait abstraction des lois.
La liberté nest pas labsence des lois précise-t-il. Cest ainsi quil précise
que la liberté dont il est question dans son uvre, nest pas philosophique,
mais politique.
37
SPINOZA B., Ethique, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 285.
38
MONTESQUIEU., op. cit., p. 328.
39
Ibid., P. 292.
19
politique est soumission à la loi, elle est différente de lindépendance, qui
consiste à agir en faisant fi de la loi cest-à-dire, faire anarchiquement ce que
lon veut comme ce qui semble être le cas dans les démocraties. Selon
Montesquieu, « la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent »40.
En un mot, lhomme est politiquement libre lorsquil peut exercer sa volonté
dans le champ circonscrit par la loi. Cest dans cette même optique que le
philosophe anglais Locke, bien avant Montesquieu, avait jeté les bases de la
liberté déterminée par la loi. Voltaire, après lui, très connu pour ses idées
libérales, très admiratif des idées politiques de Locke, lui emboîte le pas, en
liant la liberté et la loi. Pour lui, « la liberté consiste pour lhomme à ne
dépendre que des lois »41. E. Kant ne perd pas de vue cette logique car pour lui,
« la liberté serait la propriété quaurait cette causalité de pouvoir agir
indépendamment de causes étrangères qui la déterminent. ( ) la volonté est
libre quand elle obéit à ses propres lois. »42 Cest dans cette même optique que
sinscrit M. Kamto lorsquil déclare : « La nécessité de sauvegarder la
société commande que la jouissance de la liberté se fasse dans le respect de la
loi établit par les citoyens »43.
En somme, la liberté semble avoir une relation intrinsèque avec la loi
quon sest prescrite. Dès lors, étant la proie du despotisme, Montesquieu
estime nécessaire de la protéger.
40
Ibid., p. 292.
41
VOLTAIRE., Traité sur la tolérance, Paris, Gallimard, 1975, p. 102.
42
KANT E., Fondements de la métaphysique des murs, Paris, Bordas, 1988, p. 85.
43
KAMTO M., Lurgence de la pensée. Réflexion sur une précondition du développement en Afrique,
Yaoundé, Mandara, 1993, p. 40.
20
1. La théorie de la séparation des pouvoirs
Après avoir recensé les obstacles capables de nuire à la liberté politique,
il sagit maintenant de la protéger contre les dérives despotiques et
tyranniques. Pour la garantir, Montesquieu met sur pied des institutions
politiques qui auront cette liberté pour objet. Toutefois, la liberté politique
nest possible quà condition quil y ait distribution des forces, cest-à-dire
quil y ait déconcentration des pouvoirs, et quil y ait existence de corps
intermédiaires subordonnés, destinés à diffuser les lois dans tout le corps social.
Ici, Montesquieu se sert de la théorie de Locke pour fonder la sienne. Il se
démarque de la théorie du philosophe anglais en y introduisant le pouvoir
exécutif, ce qui peut sexpliquer par son statut de magistrat. Il distingue
également trois pouvoirs quil appelle puissance. En effet, il octroie à chacun
de ces pouvoirs une attribution précise :
La puissance législatrice
Elle a comme tâche principale lélaboration des lois ;
La puissance exécutrice
Elle a pour fonction lexécution des lois construites par le législatif ;
21
liberté est également en voie de disparition, dans la mesure où le même
monarque pourrait « fabriquer des lois tyranniques pour les exécuter
tyranniquement. »45 En effet, la modération des pouvoirs, à travers leur
distribution, est une condition nécessaire mais non-suffisante pour la garantie
des libertés. Des corps intermédiaires sont aussi indispensables pour renforcer
cette protection.
45
Ibid., p. 295.
46
Ibid., p. 301.
22
contre eux. La part quils ont à la législation doit être proportionnée aux
autres avantages quils ont dans lEtat. »47
Ainsi, la force de lEtat doit être distribuée dans lharmonie et la
modération, dans la collaboration dynamique et non dans la séparation
impuissante. Cest dans cette optique que Montesquieu affirme que : « Ces
trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme on
parle de mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes daller de
concert. »48
En somme, la liberté politique nest possible que si et seulement si les
pouvoirs sont modérés à la fois sur le plan vertical, par la séparation des
pouvoirs au sens distinctif, et sur le plan horizontal, par lexistence des corps
intermédiaires chargés de modérer et de faire diffuser les lois dans tout le corps
social. Cest dire que la modération des régimes politiques ne doit pas se
limiter à la séparation des pouvoirs, mais doit sétendre à la présence des corps
intermédiaires qui joue un rôle majeur dans lhumanisation des lois.
47
Ibid., p. 298.
48
Ibid., p. 302.
23
tyranniquement. Cest dire que lancien régime fut le « tombeau des libertés »
individuelles et politiques, selon ces termes de Bakounine. Ainsi, il ny avait
point de libertés fondamentales telles que le droit à la vie le droit à la santé,
puisque le prince disposait du droit de vie et de mort sur tous ses sujets. Le seul
droit que possédaient ces derniers, cétait le droit dobéir, cest-à-dire le
devoir de soumission absolue au monarque. Cest dans ce contexte marqué par
une crise de la liberté, que naîtra le libéralisme. Cest dans cette optique que
Montesquieu à la suite de Locke, sinsurge contre lautoritarisme du pouvoir
étatique et fait de la liberté, son cheval de bataille, dans son ouvrage principal :
De lEsprit des Lois. Pour quil y ait liberté politique, il faut modérer les
pouvoirs. Car dit-il, « cest une expérience éternelle, que tout homme qui a
du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusquà ce quil trouve des limites. »49
Partant de ce préalable, il décide de la nécessité de limiter les pouvoirs en
les séparant. Donc, la séparation des pouvoirs constitue une arme redoutable
contre le despotisme. Le baron de Brède poussera la réflexion plus loin en
mettant sur pied une théorie des régimes politiques ayant pour principale finalité
la définition des gouvernements qui ont la liberté pour objet. Pour ce faire, il
disqualifie la république, car estime-t-il, elle vise plutôt légalité que la liberté.
Ensuite, il réfute le despotisme en tant que régime des excès et des passions. En
revanche, il pense que la monarchie est le moins mauvais des régimes en ce
sens quil recèle les éléments essentiels dun gouvernement libre, à savoir les
distinctions, les séparations.
49
Ibid., p. 293.
24
Dans le souci déviter un travail partiel en limitant notre étude à un pays
précis ou à une région donnée du continent, au risque de négliger certaines
défaillances politiques qui minent lAfrique et nentrent pas en droite ligne
avec la démocratie, nous essayerons de porter ici un regard panoramique non
moins profond sur lenvironnement politique actuel de lAfrique en général.
Parler dexamen de lenvironnement politique de lAfrique voudrait
dire que son contexte actuel nest pas du tout rassurant, que son atmosphère est
sombre voire liberticide. Le malaise de lAfrique est grand et indissimulable.
Le problème de la liberté des citoyens et de la gestion des pouvoirs mieux de la
gouvernance se posent avec acuité. Non seulement ils freinent
lépanouissement de lhomme mais aussi nentre pas en droite ligne dans le
processus de la démocratie et entraînent de nombreux désastres à linstar des
guerres civiles, des coups dEtat
Notre conviction de base est que lAfrique peut connaître une véritable
démocratie. Mais comment peut-elle la consolider à travers le libéralisme de
Montesquieu ? Avant de parvenir à cette fin, la tâche qui nous incombe ici sera
de jeter un regard critique sur le plan politique, dans loptique de dépister les
obstacles qui freinent lévolution du continent et la réalisation dune
démocratie digne de ce nom.
25
1. La fragilisation des contre-pouvoirs
La nouvelle donne politique actuelle, notamment le libéralisme, fait de
lindividu le vecteur principal du progrès, raison pour laquelle il doit jouir
dune grande autonomie. De ce fait, les droits et les libertés des individus
doivent être protégés et défendus contre les emportements de lexécutif par un
double contre-pouvoir, à savoir : le législatif et le judiciaire. Toutefois, en
Afrique, et certainement dans dautres pays de la planète, ces organes sont
dépouillés de leurs véritables armes défensives.
Le parlement
Dans toutes les constitutions de type libéral et démocratique, le parlement
jouit dune puissance indéniable, car « il constitue le principal contre-poids à
légard du pouvoir exécutif. »50 En effet, cest lui qui « assure les libertés
individuelles des citoyens par la limitation de la souveraineté étatique »51.
Cest dans cette logique quen plus de sa fonction essentielle de légiférer, « le
parlement a également pour mission de contrôler lexécutif toujours enclin à
labus des lois »52. Cette mission de contrôle de laction gouvernementale par
le parlement est synonyme de dynamisme démocratique, puisque son
« efficience est signe de liberté tant individuelle que politique »53, cest dire
que la puissance de linstitution parlementaire est un gage pour léclosion et
le respect des valeurs fondamentales de lhomme telles que, la vie, les libertés
individuelles, la justice, en un mot les droits de lhomme.
Paradoxalement, en Afrique, « les parlements nont pas les mains libres
pour remplir ces nobles fonctions du fait de la tutelle sans cesse pesante de
lexécutif »54. Ainsi, ce dernier exerce une hégémonie rebutante sur le
parlement grâce à plusieurs mécanismes qui contribuent à les transformer en de
« simples chambres denregistrement »55.
50
PALAZZOLI C., Les régions italiennes, contribution à létude de la décentralisation politique, Paris, LGDJ,
1966, p. 147.
51
Ibid., p. 148.
52
Ibid., p. 148.
53
MOMO B., « le parlement camerounais », chronique juridique, n°023-024, Yaoundé, Lex. Lala, 1996, p. 25.
54
MOMO B., Droit constitutionnel et institutions politiques, Yaoundé, cours de Licence 1ere année, 1991, p.208.
55
MOMO B., « le parlement camerounais », chronique juridique, op. cit., p. 26.
26
Ces techniques de tétanisation des parlements en Afrique sont nombreuses,
mais nous nen mettrons en exergue que quelques unes.
Lune de ces techniques, cest le partage de la fonction législative.
En réalité dans la plupart de nos Etats indépendants, linitiative des lois
appartient à la fois au parlement et au président de la république, chef de
lEtat. Tel est le cas dans les pays au régime présidentiel ou semi-présidentiel
comme le Cameroun, qui stipule à larticle 25 de sa loi fondamentale que :
« linitiative des lois appartient concurremment au président de la république
et aux membres du parlement. »56
Par contre dans certaines démocraties de type libérale comme en
Angleterre, linitiative des lois est le domaine réservé du parlement, dans la
mesure où le principe de la séparation des pouvoirs est assuré.
A ce sujet, Montesquieu pense que lon court droit à la tyrannie lorsque
lexécutif et le législatif travaillent de mèche, car estime-t-il, « il ny a point
de liberté, parce quon peut craindre que le même monarque ou le même sénat
ne fasse les lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »57 Si lauteur
parle des lois tyranniques ici pour signifier le caractère injuste, autoritaire et
arbitraires de ces lois, cest parce quelles dérivent dune même volonté.
Ainsi, la participation de lexécutif à lélaboration des lois conduit aux
privations des libertés. De même, le partage de la fonction législative se fait
dans une sorte de concurrence où lexécutif domine sur le législatif et conduit à
sa neutralisation. De telles habitudes sont propres à conduire aux abus de
pouvoir, car seuls les intérêts de la minorité gouvernante pourraient compter, et
ceux de lensemble de la nation sont lésés. Dans ce cas de figure, Montesquieu
pense que : « (...) cest une expérience éternelle, que tout homme qui a du
pouvoir est porté à en abuser ; il va jusquà ce quil trouve des limites. »58
Cest dire que la liberté politique ne peut se trouver que dans des
gouvernements où lon nabuse pas du pouvoir. Doù la nécessité dinvestir
56
Article 25 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
57
MONTESQUIEU., op. cit., p. 294.
58
Ibid., p. 293.
27
à nouveau le parlement en Afrique, de ses fonctions originelles : celles
dédicter les lois et de les garantir contre toute incursion de lexécutif et le
contrôle de laction gouvernementale.
Un autre moyen daffaiblissement du parlement mis en uvre par
lexécutif, cest le gouvernement par ordonnance. Selon OWONA J., « Les
ordonnances sont des textes pris par le Président de la République lorsque le
parlement se dessaisit de ses compétences dans le domaine de la loi pour
laisser le président y légiférer. »59
Lordonnance consiste donc pour le chef de lexécutif à demander et à
obtenir des législateurs lhabilitation dexercer, pendant un temps déterminé
et sur des objets précisés davance, la fonction législative, « Dans cette
situation, les députés transfèrent momentanément leur compétence dédiction
des lois à lexécutif et particulièrement au Président de la République. Cest
surtout dans des circonstances exceptionnelles, à linstar de laprès coup
dEtat, de la guerre civile, que cette pratique sétend dans la durée et devient
la règle »60.
Lexécutif remplace le législatif et légifère à sa place ; le plus souvent, le
législatif est dissolu dans lexécutif. Ainsi, en circonstance exceptionnelle,
lexécutif sattribue à la fois la fonction exécutrice et la fonction législative.
Ce qui donne libre cours à lexécutif de durcir davantage le pouvoir et
dempiéter sur les droits et les libertés des citoyens. Dans le cas despèce
Kamdem J.-C. précise que : « le sort des libertés est laissé entre ses mains (le
Président de la République). Si un tel système ne peut être qualifié de
dictatorial, il en comporte quelques virtualités. »61
Ainsi, sil faut imaginer combien la plupart des régimes politiques en
Afrique ont pour souci principal, la conservation du pouvoir par tous les
moyens y compris la violence, lon ne peut que légitimement sinquiéter pour
59
OWONA J., Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Paris, Berger-Levrault, 1985, p. 43.
60
Ibid., p. 44.
61
KAMDEM J.-C., « Mise en uvre des mécanismes constitutionnels de protection des droits de lhomme en
Afrique : le cas du Cameroun », Droits de lhomme en Afrique centrale, op. cit., p. 142.
28
lavenir des droits et des libertés des citoyens, qui sont, à coup sûr, des armes
redoutables quil sagit de confisquer, de monopoliser, de réprimer même
avec la dernière énergie. Par ailleurs, un autre organe censé protéger les
citoyens contre les emportements du pouvoir, cest lorgane juridictionnel.
Lorgane juridictionnel
Dans les régimes de séparation de pouvoir, la justice est une entité à part,
cest-à-dire autonome, indépendante. Pourtant, « les constitutions des pays
africains en ont fait delle une simple autorité sans aucune garantie »62. Cest
ainsi que, tout comme dans le domaine législatif, « lexécutif sintroduit
insidieusement dans le domaine juridictionnel, dans lintention de le fragiliser,
afin dagir en toute impunité dans ses nombreuses violations des droits et des
libertés des citoyens il sagit pour lexécutif, ainsi que son administration, de
se sécuriser contre déventuelles poursuites des citoyens faces à leurs
nombreuses violations de la loi. De la sorte, ils bénéficient dune impunité
sacrée »63.
Pour affaiblir lorgane juridictionnel, le pouvoir use de deux astuces.
La plus répandue de ces astuces, cest la « dépendance hiérarchique » du
pouvoir judiciaire. Les pays africains ont adopté des constitutions de type
libéral. Toutefois, ils ont pris le soin de vider celles-ci de leur essence dans
loption dy introduire la volonté de domination du chef de lEtat. Cest
ainsi que dans certaines constitutions en Afrique notamment au Cameroun, on
ne parle pas de pouvoir juridictionnel, mais plutôt de lautorité juridictionnelle.
Ce jeu de mot, loin dêtre fortuit, a une grande signification. Daprès
Kamdem J.-C., « ceci a pour effet denlever à lorgane chargé de dire le
droit, lessentiel de son autorité et de le secondariser en le rattachant le plus
souvent au pouvoir exécutif. »64 et à Akika de renchérir : « la quelle autorité
nest nullement garantie de manière impersonnelle dans les faits puisquelle
62
Ibid., p. 143.
63
Ibid., p. 143.
64
KAMDEM J.-C., op. cit, p. 143.
29
nest rien dautre en réalité quune haute administration placée sous le
pouvoir direct du chef de lexécutif, Président de la République et président du
conseil supérieur de la magistrature. »65
Cela témoigne du souci de lexécutif de tout contrôler et de ne rien laisser
lui échapper. De même, cest la résultante de la crainte qui assaille le pouvoir
de voir se faire réprimander par la justice, devant ses violations de la loi.
Pourtant, le pouvoir judiciaire est très important pour accomplir la lourde tâche
de la défense de léquilibre, dassurer la permanence de lEtat de droit, de
restaurer une justice égalitaire fondée sur des valeurs telles la liberté, le respect
des droits fondamentaux de lhomme.
En outre, « le pouvoir judiciaire est soumis à lautorité du Président de la
République, qui est constitutionnellement reconnu comme le garant de
lindépendance de la magistrature »66. Cette soumission est un fait dans la
mesure où cest le président de la république qui nomme les magistrats et les
démet de leur fonction. Dans cette logique la constitution du Cameroun du 18
janvier 1996 précise en son article 37 que : « Le Président de la République est
le garant de lindépendance du pouvoir judiciaire. Il nomme les magistrats. Il
est assisté dans cette mission par le conseil supérieur de la magistrature qui lui
donne son avis sur les propositions de nomination et sur les sanctions
disciplinaires concernant les magistrats du siège. »67
Par ailleurs, la main mise sur le judiciaire pourtant institution idoine pour
la défense et la protection des citoyens contre les emportements du pouvoir,
traduit clairement lhégémonie de lexécutif qui agit délibérément en dehors
de tout contrôle, car tout porte à croire quun laissé faire est délivré au
souverain qui logiquement agit en toute impunité. Car du moment où les
magistrats nont pas de moyen de limiter les pouvoirs de lexécutif,
linamovibilité68 des magistrats nest ni instituée ni assurée. De même,
65
AKIKA E., Changer le cameroun. Pourquoi pas ?, Paris, ESF, 1990, p. 15.
66
Ibid., p. 16.
67
Article 37, alinéa 3 de la constitution du 18 janvier 1996 de la République du Cameroun.
68
La prérogative en vertu de laquelle les magistrats ne peuvent être privés ou suspendus de leurs fonctions, sans
la mise en uvre de procédures protectrices exorbitantes de droit commun disciplinaire.
30
limmunité des juges nest que purement formelle, ce qui les rend vulnérables
face aux pressions de lélite gouvernante. Puisque tout juge soucieux
davancer dans sa carrière ne peut que se soumettre aux injonctions du
gouvernement, car sa nomination, son avancement, sa révocation dépendent du
pouvoir exécutif. Cest ce que décrit Holo en ces termes : « Le juge non-
professionnel désireux de se faire reconduire dans sa tâche, naura-t-il pas
tendance à se montrer compréhensif sinon très attentif aux intérêts et opinions
de ladministration ? »69 Kamdem ajoute après ce dernier que : « Le contenu
des sanctions ou des peines ne dépend plus de lappréciation souveraine,
compte tenu des faits objectivement constatés ou de sa profonde conviction,
mais de la volonté du chef de lEtat. Lissue de tout procès devient
incertaine »70 De ce fait, la justice dépend de la volonté de lexécutif, et
manque dobjectivité et dimpartialité. La conséquence logique de cette
dépendance, cest la croissance excessive de lautorité du chef de lEtat qui
devient juge et partie.
En Afrique la séparation des pouvoirs nest visible que sur le papier car,
dans les faits, lexécutif exerce une suprématie manifeste sur le législatif et le
judiciaire et, de ce fait, agit sans contrôle des autres pouvoirs.
69
HOLO T., « Contribution à létude des chambres administratives : cas du Bénin », Les cours suprêmes en
Afrique. La jurisprudence administrative, Paris, Economica, 1988, p. 13.
70
KAMDEM J.C., op. cit., p. 144.
31
Le règne de larbitraire
Les organes de contrôle du pouvoir exécutif étant substantiellement
phagocytés, anéantis, le gouvernement a dorénavant les mains libres pour
exercer son pouvoir à labri de toute impunité, du moment où sa seule volonté
devient la règle. Pourtant, dans la tradition du libéralisme démocratique, il ne
saurait exister de constitution qui ne reconnaisse la séparation effective des
pouvoirs. Cest dans cette logique que chacun des Etats africains reconnaît
dans sa constitution, le régime de séparation des pouvoirs. Mais, ce qui fait
problème en Afrique, cest que la majorité des Etats a pris soin de le vider de
sa substance originelle. Pourtant, ce qui inquiète, cest la duplicité de ces Etats
qui, bien que reconnaissant lexistence des contre-pouvoirs sur le papier,
lignorent dans la réalité. Cest cette duplicité de ces Etats que nous
essayerons de mettre en exergue.
Ce que nous essayons de faire comprendre ici, cest que les régimes
politiques africains constituent des cas atypiques dorganisation politique, dans
la mesure où, bien que constitués des constitutions démocratiques censées
mieux régir la vie publique, définir la forme de gouvernement, sont
transcendées par des lois particulières issues dun seul homme, à savoir le chef
de lEtat, Président de la République. En effet, dans ces régimes a priori
démocratiques, il y a prééminence des décrets, des ordonnances issues du
pouvoir personnel du chef de lEtat, sur les lois constitutionnelles. Cela est de
nature à réduire massivement les libertés individuelles qui sont dans ce cas de
figure à la merci dun homme. Akika lexprime en ces termes : « Cest ainsi
que les expressions dans le respect de lintérêt supérieur de lEtat,
pour cause dutilité publique, sous réserve des prescriptions
légales relatives à lordre public, dans les conditions fixées par la
loi ( ) jalonnent et ponctuent presque toutes les concessions faites à la
liberté individuelle. »71
71
AKIKA E., op. cit., P. 31.
32
Lauteur critique le fait que les libertés individuelles garanties par la
constitution soient altérées, violées par la volonté dun individu, fut-il chef de
lEtat. En effet, il existe un gouffre infranchissable entre ce que prévoit la
constitution et ce qui se fait dans la réalité. De ce fait, les textes constitutionnels
proclament toujours les libertés humaines avant que le pouvoir étatique ne
dresse « autour de ce principe toutes sortes de barrages pratiquement
infranchissables, et une garde si rapprochée que le mouvement devient
impossible »72
Dans le cas despèce, larbitraire du pouvoir frise la tyrannie, la dictature
du moment où le peuple nest plus le maître, voire lauteur des lois auxquelles
il se soumet.
72
Ibid., p. 31.
73
Les députés.
74
KAMTO M., op. cit., p. 59.
33
norme politique par excellence. On en veut pour preuve, la palme dor de
longévité détenue par les chefs dEtats de certains pays comme le Togo, le
Gabon, lAngola, le Zimbabwe, lEgypte, le Cameroun, la Guinée Equatoriale
pour ne citer que ceux-ci, qui varient entre 22 et 40 ans. Pour perdurer au
pouvoir, ces chefs dEtats ont affûté des stratégies efficaces comme la
modification constitutionnelle le manque délection (la République
Démocratique du Congo depuis 22 ans), et les manipulations électorales qui
sont de nature à accroître leur pouvoir au détriment de lautonomie du peuple.
Toutefois, lexpérience montre que les constitutions africaines sont
manipulées par les gouvernants qui sévertuent à les tailler sur mesure dans
loptique de garantir leurs propres intérêts aux dépens de lintérêt général.
Cest dans ce sens que les constitutions sont sans cesse amendées pour
permettre au chef de lexécutif de séterniser au pouvoir. Cest dans cette
optique que Mveng voit dans les systèmes politiques africains, des instruments
de domination dont leur objet est la privatisation des instruments de la
souveraineté et du développement. Il le dit en ces termes : « LEtat africain,
dès sa naissance est un instrument de domination, doppression du peuple,
(…) cet instrument est dautant plus efficace quil est un appareil de
paupérisation dont les mécanismes reposent sur deux principes : la
privatisation des instruments de la souveraineté et le tissage dun système de
subsistance fondé sur la dépendance absolue. »75
Par ailleurs, dans loptique dillusionner le peuple quil est le véritable
détenteur de la souveraineté, des mascarades délections sont organisées.
Les élections sont considérées, dans les systèmes démocratiques, comme
« un moyen approprié non seulement pour légitimer le pouvoir, mais également
pour permettre au peuple de participer à la gestion des affaires publiques »76.
Raison pour laquelle toutes les dispositions sont souvent mises en uvre pour
garantir leur transparence et leur crédibilité. En revanche, dans les pays du Sud,
75
MVENG E., « Paupérisation et développement », Revue africaine des sciences sociales, n°001, Paris, Terroirs
1992, p. 119.
76
MBOME F., Régimes politiques politiques africains, Yaoundé, éd. Bala, 1990, p. 29.
34
particulièrement dans les pays africains, les choses sont différentes. Les moyens
sont plutôt mis en uvre par les gouvernants pour détourner les suffrages du
peuple souverain mettant ainsi en branle le principal principe de la démocratie,
selon lequel cest le peuple qui est le véritable détenteur de la souveraineté.
Cette manipulation des élections sexplique en partie du fait que la quasi-
totalité des parlements a lallure dun second pouvoir dont la vocation
exclusive est de soutenir le pouvoir exécutif au lieu de léquilibrer. Résultat,
des lois électorales sont taillées sur mesure par lexécutif dans loptique de se
ménager un très long avenir à la tête du pouvoir, car comme le dit ladage,
« qui paie les violons choisit la musique ».
Ainsi, le terme dalternance politique devient un piètre mot, bref un terme
qui nexiste pas dans le jargon des dirigeants africains. Parlant de
lalternance, Tedga donne en ces termes quelques-unes de ses vertus à propos
de lAfrique : « En changeant de mauvais chefs, il ne sagira pas uniquement
de respecter les règles de fonctionnement des Etats africains qui disent tous être
de droit, mais ce sera aussi la façon de conscientiser et de redynamiser
un continent alangui par la corruption, la concussion, les assassinats de toutes
sortes, la confiscation de pouvoir, bref : lincapacité et lincurie de ses
dirigeants »77.
Au dire de ce dernier, lalternance politique permettra de nettoyer le
continent des chefs dEtats inaptes à conduire la destinée des pays africains,
mais qui saccrochent désespérément au pouvoir.
Au regard de ce qui précède, sur le plan constitutionnel, lEtat en Afrique
a tendance à se réduire à la minorité gouvernante, puisquelle administre
généralement en marge de lopinion publique, car elle na presque plus besoin
du consentement du peuple pour perdurer au pouvoir parce quayant des
techniques efficaces de confiscation du pouvoir telles que la manipulation de la
constitution et du suffrage universel.
77
TEDGA P.J., Ouverture démocratique en Afrique Noire ? Paris, Harmattan, 1991, p. 11.
35
II . Sur le plan socio-politique
78
ALBERTINIE P., Le droit de dissolution et les systèmes constitutionnels français, Paris, PUF, 1977, p. 266.
79
POPPER K., La société ouverte et ses ennemis. L’ascendant de Platon, Paris, Seuil, 1979, p. 189.
80
AKIKA E., op. cit., P. 44.
36
La participation aux affaires publiques
Dans les démocraties de type libéral, le peuple occupe une place
importante, car il est le détenteur légitime de la souveraineté quil exerce dans
le choix de ses représentants, qui sont le Président de la République et les
députés. En Afrique le problème majeur se situe au niveau de la liberté de
participation. Les gouvernés nont pas la possibilité de participer librement à la
gestion des affaires publiques à cause du contrôle strict de la sphère politique
par les dirigeants étatiques réfractaires aux contradictions.
Bien que les textes constitutionnels reconnaissent la participation des
gouvernés dans la gestion des affaires publiques, lexpérience est tout autre,
car le vote étant le moyen classique de cette participation, il nest pas si égal et
secret comme le stipule les différentes constitutions des pays africains.
La censure de la presse
La liberté de la presse, quelle soit écrite ou parlée, est la plus traquée
dans nos différents pays. De lAfrique du Nord (Algérie, Egypte, Libye,
Maroc, Tunisie) jusquen Afrique subsaharienne, des garde-fous ont été mis
sur pied pour empêcher la presse de jouer parfaitement son rôle dans la société.
Cela sexplique par la loi du silence pour aboutir à une société unanimiste
quimposent les régimes politiques africains, en proie au totalitarisme, et de ce
fait réfractaire à toute idée de liberté. Dans cet ordre didée la presse réputée
être le quatrième pouvoir, le meilleur garant des libertés publiques et déveil
des consciences sur la gestion de la cité, nest que la cible adéquate à abattre.
Mais on ne saurait souligner son importance quen rappelant ces propos de
Sauvy : « Être libre aujourdhui, cest être informé. Sans information, pas de
participation, encore moins dadhésion authentique aux objectifs nationaux
pas de mobilisation et pas de représentation efficace. »81 Et Tudesq de
renchérir, « lamélioration de la société ne peut plus seffectuer sans la
liberté même incomplète des médias qui permettent seuls dexprimer les
81
SAUVY A., Bien être et population, Monaco, Paul bory, 1968, p. 124.
37
plaintes, des besoins, les aspirations des populations, leurs espérances et leurs
illusions, et ce qui apparaît illusion aujourdhui peut devenir réalité
demain »82.
Elle est traquée et muselée par lEtat dans des sociétés
constitutionnellement démocratiques, qui la considère comme un véritable
obstacle, voire un danger dans lexercice de ses fonctions de gouvernance.
Cest pour sinsurger contre un tel climat des libertés, que Mono Ndjana
déclare : « Le démocratisme de lheure est un leurre. »83 Ainsi lEtat
développe des techniques ayant pour finalité dempêcher la presse de lui
contrôler. Parmi ces techniques destinées à ruiner la liberté de la presse les
censures sont prépondérantes. Elles ont pour finalité, la réduction des médias
au silence et se caractérisent par linterdiction de paraître, des tracasseries
policières, les menaces de procès en diffamation, et autres harcèlements. Akika
éclaircit la situation de la presse en Afrique en général et particulièrement au
Cameroun, la liberté de la presse se résume au « cite-moi ou tais-toi ! »84
Daprès ce qui précède, les Etats africains sont marquée par
lenclenchement dun processus étatique de tarissement des libertés
individuelles consécutif à la privation des instruments classiques de la
souveraineté. Par voie de conséquence, lon assiste à une résurgence des
moyens anticonstitutionnels de la conquête du pouvoir politique.
38
elle passe du peuple à lEtat. Lon peut qualifier de totalitaire un tel régime
qui, saccapare les libertés du peuple. Dès lors, le blocage de la sphère
politique et des libertés individuelles conduit à la multiplicité des moyens
illégaux de conquête du pouvoir, à linstar des coups dEtats, des guerres
civiles, des désobéissances civiles
39
manque le moins. Elles sont liées aux luttes idéologiques de la guerre froide, à
la démocratisation improvisée, à laffaiblissement du pouvoir étatique, le parti
pris de larmée, et la confiscation du pouvoir politique et des libertés des
citoyens par un seul individu.
Toutefois, bien quétant un problème réel, dans la mesure où le meilleur
allié du progrès cest plutôt la démocratie, les coups dEtat sont soutenus en
Afrique. Cest ainsi quil est estimé quétant donné limpossibilité de
changer démocratiquement le pouvoir politique, il nexiste pas dautres
moyens que la force pour débarrasser un peuple meurtri dun régime
liberticide. De ce fait, les coups dEtat sont vernis dintentions
philanthropiques. Cest dans ce sillage quAyissi A., pense que bannir les
coups dEtat en Afrique est une illusion, parce quils sont inévitables au vu du
mode de gouvernement en vigueur dans la plupart des pays du continent 88. De
ce fait, il estime que cest la déliquescence des Etats qui doit être combattue,
puisquil est évident que sous certaines conditions, et étant donné certaines
circonstances, que lon pourrait qualifier dexceptionnelles, luvre de coup
dEtat peut très bien représenter la vertu et le courage politique suprêmes. Pour
sen convaincre, ce dernier estime que, lhistoire en général, et celle de
lAfrique en particulier, montre quil existe dans la vie de certaines sociétés,
des moments tragiques de rupture douloureuse de lordre établi que lon
pourrait bien qualifier de coup dEtat salutaire. Cest dire quil existe des
coups dEtat salvateurs. Ce sont ceux que Kouassi Yao appelle des « coups
dEtat pro-démocratique ». Dans cette logique, des exemples peuvent êtres
tirés de lhistoire de lAfrique : cest le cas du coup dEtat malien orchestré
par le général Toumani Touré au Mali en 1991. Cette argumentation sur la
défense des « coups dEtat pro-démocratique » vise à favoriser ce que
Mbembe A. appelle des « formes civilisées de gouvernement »89 et ces questions
de Popper portant sur le principe et les formalités de fonctionnement de lEtat :
88
AYISSI A., « lavènement des coups dEtat en Afrique », Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 369.
89
MBEMBE A., « Une économie de prédation », Foi et développement, n°241, Paris, Cahier, 1996, p. 154.
40
« Y a-t-il des formes de gouvernement qui, pour des raisons morales, sont
répréhensibles ? ( ) y a-t-il des formes de gouvernement qui nous permettent
de nous défaire (sans violence) dun gouvernement mauvais, ou seulement
incompétent, qui cause du tort au pays ? »90 Il ressort de cette interrogation de
Popper que, pour des raisons déthique, certains changements institutionnels,
même par des moyens anticonstitutionnels, sont tolérables.
En tout état de cause, quelque soit le degré de vertu dun coup dEtat,
quelle que soit son intention de libérer le peuple des griffes des dictateurs, il est
lui-même un outil de répression et de violation des droits et des libertés si lon
en juge par lampleur deffusion de sang, des massacres des populations
civiles innocentes, des pillages, des viols, des exécutions sommaires, etc. Lon
est ainsi en face dun cercle vicieux qui nous installe au cur dune violence
sans fin.
41
instigateurs des guerres civiles. Souare constate également comme cause du
foisonnement des guerres civiles sur le continent, la prise en otage des
ressources économiques nationales par des « cercles politico- mafieux proche
du pouvoir »92, et la faillite sécuritaire due à lappropriation des forces de
lordre, censées assurer la sécurité de tous les citoyens et de leurs biens, au
service des seuls dirigeants en vue dassumer leur longévité au pouvoir. En
outre, il note la boulimie du pouvoir de certains individus, accompagnée de
leurs ambitions personnelles démesurées. Par conséquent, cest fort de toutes
ces raisons, et particulièrement, de lautoritarisme politique quil y a floraison
des foyers de guerre civile, en République démocratique du Congo, en Côte
dIvoire, en Erythrée, en Somalie, au Tchad, en Sierra Leone, au Liberia, au
Burundi…
Cependant, bien quéthiquement compréhensible dans ses intentions de
restaurer la démocratie, la guerre civile a son revers de la médaille, car elle
contribue aussi à lhécatombe des droits et des libertés humaines. Elles
favorisent la prolifération des réfugiés vivant dans des conditions quasi-
inhumaines et victimes de toutes sortes dexcès de la part des guerriers. Cest
ce quexprime Ngue Toriaria en ces termes : « Le maquis est lui-même un outil
de répression et de violation si lon en juge par les traitements infligés
régulièrement aux populations taxées de collaboration avec lennemi : pillage,
impôts parallèles, prises dotages, viols, exécutions, etc. Ainsi se dessinent et
se redessinent des scénarios qui alimentent des tendances à la violation des
droits. »93
A partir de là, peut-on encore justifier légitimement les guerres civiles qui
ne profitent généralement quà ses meneurs ?
92
SOUARE I., Guerres civiles et coups dEtat en Afrique de lOuest : comprendre les causes et identifier des
solutions possibles, Paris, Harmattan, 2007, p. 55.
93
NGUE TORIARIA R., « Paradoxes des droits de lhomme », Droit de lhomme en Afrique centrale, op. cit.,
p. 72.
42
En fin de compte, au vue de ce qui précède, un constat amer se dégage.
Une telle atmosphère est en parfait déphasage avec la démocratie où le peuple
est le maître légitime de la souveraineté et participe librement à la gestion des
affaires publiques. Autoritarisme, confiscation du pouvoir, instabilité politique,
contestation du pouvoir par des minorités armées, tentative des coups dEtat
caractérisent la vie des Etats africains. Les Etats africains sont en mal de
démocratie, à cause de lextrême puissance du pouvoir étatique qui écrase tous
les mécanismes de protection des libertés individuelles et publiques. Ainsi,
constitutionnellement, léquilibre des pouvoirs caractéristique des Etats
démocratiques nest quun trompe-il, dans la mesure où les pouvoirs
juridictionnels et parlementaires sont subjugués par lexécutif. Lexécutif,
grâce à de nombreuses techniques, arrache les véritables pouvoirs au parlement
en édictant les lois par voie de décret, dordonnance, etc. Le judiciaire est
placé sous la suprême direction du chef de lexécutif.
Dans le cas despèce, la constitution se dessaisit de la gestion des droits
et des libertés quelle proclame au profit de lois particulières et même le plus
souvent au profit dun seul homme, qui fut-il président de la république,
devrait être aussi soumis à la constitution. Ainsi, cet arbitraire, cette hégémonie
dun seul crée des frustrations ; doù la génération de la violence, consécutive
aux coups dEtats et des guerres civiles, considérée comme une solution
exclusive à lalternance politique et aux quêtes des droits et des libertés.
Face à ces pratiques peu élogieuses, Montesquieu sinscrit en faux et
semble nous proposer une solution adéquation grâce à sa séparation
systématique des pouvoirs. Mais quapporte-t-il réellement de nouveau pour
une redynamisation de la démocratie en Afrique ? Sa théorie ne trouve-t-elle
pas aussi des limites ?
43
CHAPITRE III : LIMITES ET APPORTS DU LIBERALISME DE
MONTESQUIEU
94
EISENMANN., Lesprit des lois et la séparation des pouvoirs, Paris, Mélanges carré de Malberg, 1993, p.9
44
Lillusion de lindépendance des pouvoirs
La majeure partie des penseurs politiques ne voit dans la pensée politique
de Montesquieu quune théorie comprenant trois pouvoirs, nettement distincte,
dont lindépendance réciproque sera assortie de la modération, gage de la
sécurité, de la liberté. Ce constat fait par Althusser a comme finalité de proscrire
lidée de la séparation des pouvoirs de Montesquieu. Pour Althusser, il ny a
pas de séparation des pouvoirs dans De lEsprit des Lois ; des penseurs
politiques se sont longtemps laissés tromper par cette idée de séparation des
pouvoirs qui, au fait, daprès lui, nexiste que dans la tête de ceux qui le
croient. Cest ainsi quil affirme : « La thèse de Eisenmann est que la théorie
de Montesquieu, et tout particulièrement le célèbre chapitre sur la constitution
dAngleterre, a engendré un véritable mythe : le mythe de la séparation des
pouvoirs »95 Pour ce dernier, la séparation des pouvoirs est « une illusion »96
puisquil ny a pas dindépendance des pouvoirs chez Montesquieu, mais
une combinaison des pouvoirs. Par conséquent, cest une vue de lesprit de
voir dans la théorie politique de Montesquieu « un régime dans lequel serait
assurée cette séparation des pouvoirs. »97 Cela dit, la séparation des pouvoirs
est le fruit des idées reçues, de limagination.
45
manière dont sont appliquées les lois quil a votées : « elle (la puissance
législative) a le droit, et doit avoir la faculté dexaminer de quelle manière les
lois quelle a faites ont été exécutées »99.
En outre, il dit également que le législatif simmisce dans le judiciaire
puisque, en maintes occasions, le législatif sérige en tribunal : « les nobles en
cas de crime doivent être jugés par leurs pairs, cest-à-dire par la chambre
haute. »100
En plus, en cas damnistie cest également la chambre haute qui doit
modérer les lois. De même, cest elle qui doit statuer en matière des procès
politiques. Doù cette conclusion de Louis Althusser : « on voit mal comment
concilier pareilles et si importantes interférences des pouvoirs avec la
prétendue pureté de leur séparation. »101
Ainsi, la modération nest pas une indépendance des pouvoirs, ni une
division stricte des pouvoirs, mais une combinaison de pouvoirs. Par ailleurs,
Montesquieu est aussi critiqué au sujet de la souveraineté.
La souveraineté
La souveraineté peut sentendre comme le pouvoir des pouvoirs, cest-
à-dire le pouvoir politique suprême ; un pouvoir politique autonome,
« absolument indépendant »102. Cette notion de souveraineté a fait lobjet de
maintes polémiques dans lhistoire de la pensée politique. Pour daucuns, à
linstar de Montesquieu, la souveraineté peut et doit être divisée. Cette thèse de
partage de la souveraineté a fait lobjet de critique de la part de Bodin et de
Rousseau.
Labsoluité de la souveraineté
Bodin est lun des premiers théoriciens politiques à avoir mené une
étude systématique sur la souveraineté. Dans la république, il considère la
souveraineté comme étant le pouvoir politique suprême, cest-à-dire un
99
MONTESQUIEU., op. cit., p. 300.
100
Ibid., p. 295.
101
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 102.
102
DUROZOI & ROUSSEL., op. cit., p. 361.
46
pouvoir au-dessus duquel il ny a plus dautres pouvoirs. Cest également
daprès lui, « la puissance de donner et de caser les lois. »103
Dans le même sillage, Bodin tout comme Rousseau, inscrit la souveraineté
dans le pouvoir législatif. Mais, la différence fondamentale qui existe entre les
deux auteurs se situe au niveau du détenteur de cette souveraineté. Chez Bodin,
cest le roi, tandis que chez Rousseau cest le peuple en corps. Ainsi, on a la
souveraineté monarchique chez le premier, la souveraineté démocratique chez
le second. Les deux auteurs sont unanimes : la souveraineté est absolue. Ils
sinsurgent ainsi contre la division de la souveraineté par Montesquieu. Bodin
pense que le partage de la souveraineté est impossible puisquelle est
indivisible ; sinon elle salternera entre les puissances qui partagent la force
étatique, cest-à-dire quelle passera dune puissance à lautre, chacune des
puissances la détiendra à son tour. Il estime également que ce partage sera
assorti de conflits entre les puissances de combats permanents dont la destinée
sera la victoire dune des puissances. Par ailleurs, il pense que de même que la
souveraineté ne peut être divisée, elle ne peut également être représentée, sinon
sera affaibli et manquera dautorité.
Pour Bodin, le souverain peut donc se saisir de toutes les affaires
politiques intéressant le destin de la République, et ne peut donc pas, à ce sujet
se voir imposer contre son gré la compétence dautres collectivités et
Républiques. En réalité, dans toute République, soutient Ngoyard-Fabre,
« lindivisibilité de la souveraineté est le trait fondamental. »104 Sur ce point,
Bodin semble catégorique. Il affirme à cet effet : « Celui qui aura puissance de
donner loi à tous, cest-à-dire commander ou défendre ce quil voudra, sans
quon puisse appeler, ni même sopposer à ses mandements, il défendra aux
autres de faire ni paix, ni guerre, ni leurs tailles. »105
Le peuple ne peut que lui obéir et rien quà lui.
103
BODIN. J., Les six livres de la République, Paris, Fayard, 1986, p. 128.
104
GOYARD-FABRE S., Philosophie politique XVIe XXe siècle, Paris, PUF, 1987, p. 85.
105
BODIN J., op. cit., p. 109.
47
La puissance absolue de la République réside en limpossibilité de son
partage ou de tout découpage. Léventualité de toute division de la
souveraineté est écartée par Jean Bodin. Comme pour renchérir la thèse de
Bodin, Olivier Beau relevait dans une formule incisive : « LEtat ne pourrait
renoncer à ses moyens de puissance publique sans autodestruction, de même à
fortiori, lEtat ne peut pas renoncer à ses trois fonctions juridiques
fondamentales que sont la législation, lexécution des lois et la juridiction. »106
Toutefois, aussi pertinents que soient les arguments de Bodin contre la
séparation des pouvoirs, ils ne battent pas pour autant en brèche lidée de
séparation de pouvoirs de Montesquieu. Si lidée dindivisibilité de la
souveraineté de Bodin est compréhensible dans la mesure où elle en allait de la
survie de lEtat au XVIè siècle, elle ne peut plus être soutenue dès lors que la
toute puissance de lEtat consécutive à lunité de la souveraineté, constitue
lacte de décès des libertés des citoyens. La séparation des pouvoirs prônée par
Montesquieu vise la lutte contre la monarchie absolue soutenue par Bodin.
Lintention monarchique de Bodin est si bien dévisagée par Prelot lorsquil
estime quen voulant la « souveraineté une et indivisible », Bodin la élaborée
de prime abord monarchique ; en la voulant sans délégation, il la conçue sans
élection, donc héréditaire ; en la voulant suprême il la conçue sans contrôle
donc arbitraire.107
Lindivisibilité de la souveraineté
Rousseau est un théoricien politique ; sa renommée relève de son
engagement accru en faveur de la libération de lhomme des affres du
despotisme. Cet engagement de Rousseau pour la liberté influencera
fondamentalement sa conception de la souveraineté. A partir de là, il définit la
souveraineté comme « linstance qui dans une société, détient en droit le
106
BEAU O., La puissance de lEtat, Paris, PUF, 1994, p. 150.
107
PRELOT & LESCUYER, op. cit., p. 292.
48
pouvoir politique, quil sagisse dun homme, ou, le plus souvent dune
assemblée représentative de la communauté »108.
Cette instance, selon Rousseau, cest la volonté générale qui « seule
dirige les forces de lEtat ». De ce fait, il estime que la souveraineté est
absolue. Il le dit en ces termes : « par la même raison que la souveraineté est
inaliénable, elle est indivisible ; car la volonté est générale, ou elle ne lest
pas. »109
Dans ce contexte, la crise entre Rousseau et Montesquieu est ouverte car,
ce dernier estime que la souveraineté doit être partagée entre le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif. Rousseau soppose à lidée selon laquelle la
souveraineté peut se diviser dans son principe. Daprès lui, cest la prise de
conscience de ce phénomène qui a poussé les tenants de la séparation des
pouvoirs à la diviser plutôt dans son objet. Cest en ces termes quil critique
la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu : « ( ) nos politiques
doivent diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet : ils
la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance
exécutive ; (…) tantôt ils confondent toutes ses parties, et tantôt ils les séparent.
Ils font du souverain un être fantasmatique et formé de pièces rapportées. »110
Il découle de ces propos de Rousseau que la souveraineté ne peut être
divisée et que la séparation des pouvoirs établie par Montesquieu émane dune
ignorance du principe de la souveraineté qui stipule que : « la volonté générale
peut seule diriger la force de lEtat »111.
Dès lors labsoluité de la souveraineté défendue avec véhémence par
Rousseau témoigne du souci de ce dernier de confier la totalité du pouvoir au
peuple, pour le mettre à labri de tout despotisme. Pourtant, dans le cas
despèce, le peuple lui-même est despote dans la mesure où il agit en dehors de
tout contrôle, à cause de labsoluité du pouvoir. Or, justement, cest dans
108
ROUSSEAU. J.-J., op. cit., p. 81.
109
Ibid., p. 84.
110
Ibid., p. 85.
111
Ibid., p. 86.
49
cette optique que Montesquieu veut éviter le despotisme par la séparation des
pouvoirs et leur modération, puisque « trop de liberté tue la liberté. »
Au-delà de ce débat autour de la souveraineté, Montesquieu est critiqué
sur un autre plan, celui de légalité des pouvoirs que nous avons nommée,
lethnocentrisme.
112
LALANDE. A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Quadrige/PUF, 1997, p. 257.
113
MONTESQUIEU., op. cit., p. 3 01.
50
En réalité, lEtat de droit, cest-à-dire lEtat des libertés, ne saurait se
concevoir sans une institution juridique autonome, ayant pour objet la
protection de la défense des citoyens contre déventuels abus non seulement de
lEtat, mais également des particuliers. Bien quil transfère lessentiel des
forces de lautorité judiciaire au législatif, cest loin dêtre rassurant, car il a
précisé lui-même que dans le cas despèce, « le juge pourrait avoir la force
dun oppresseur »114. Dans ce contexte, il existe un léger paradoxe dans le
principe politique de Montesquieu dans la mesure où il admet une chose et son
contraire.
La raison fondamentale de linfériorité du judiciaire par rapport aux
pouvoirs politiques, cest que le judiciaire, en aucun endroit dans De lEsprit
de les Lois, nempiète sur ces derniers. Mais quen est-il exactement de la
primauté de ceux-ci ?
114
Ibid., p. 294.
115
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 108.
116
Ibid., p. 102.
51
certains cas, trop rigoureuse cest la partie du corps législatif, que nous
venons de dire être, dans une autre occasion un tribunal nécessaire, quil est
encore dans celle-ci ; cest à son autorité suprême à modérer la loi en faveur
de la loi même »117
Cest donc la noblesse qui a le privilège des lois. En outre, en matière de
procès politique, cest encore le tribunal de la chambre haute qui doit juger les
crimes commis par la classe du peuple, car : « ira-t-elle sabaisser devant les
tribunaux de la loi qui lui sont inférieurs »118 ainsi, linégalité entre les
pouvoirs politiques et le pouvoir judiciaire est indéniable.
En effet, il existe aussi une inégalité entre les pouvoirs politiques eux-
mêmes dans la mesure où, si le pouvoir législatif a le droit dempiéter sur le
pouvoir judiciaire, tel nest pas le cas pour le pouvoir exécutif.
En somme, il existe une inégalité non seulement entre les pouvoirs
politiques et le pouvoir judiciaire, mais également entre les pouvoirs politiques
eux-mêmes. Cette inégalité est davantage manifeste entre les puissances qui
composent ces pouvoirs à savoir : le roi, les nobles, et le peuple. Ceci
nengendre t-il pas une lutte acharnée de classes ?
Lillusion de la représentation
Parler de lillusion de la représentation cest mettre en exergue les
arrière-pensées de Montesquieu qui sont, en effet, de faire du peuple un faire-
valoir et de transposer au premier plan la noblesse qui détient les véritables
pouvoirs politiques.
Lusurpation du peuple
Usurper vient du terme latin « usurpare » qui signifie sapproprier sans
droit, par la violence ou la fraude (un pouvoir, une dignité, un bien) 119. Le terme
usurper prendra ici le sens dempiètement. Donc il sera question de dévoiler
les empiètements de Montesquieu sur le peuple.
117
MONTESQUIEU., op. cit., p. 301.
118
Ibid., p. 301.
119
ROBERT.P., Dictionnaire le Robert, Paris, Flammarion, 1992, p. 2055.
52
Lempiètement le plus important se manifeste par la déception que
Montesquieu a du régime démocratique et à travers ce régime, le peuple.
Lauteur de De lesprit des Lois distingue deux classes dans le peuple à
savoir : le « bas-peuple » et le « vrai peuple », cest-à-dire les représentants du
peuple. Il déclare que le bas-peuple est incapable de mener les affaires parce
quil nest que passion ; ce quil sait faire mieux, cest le choix de ses
représentants. Cest ainsi quil dit : « le peuple est admirable pour choisir
ceux à qui il doit confier son autorité »120 ainsi, Montesquieu jette son dévolu
sur le système représentatif paradoxalement à Rousseau qui privilégie la
démocratie directe. Dans le cas de la démocratie, lauteur pense quune
démocratie sans représentants, est un despotisme populaire imminent, pourtant,
au sujet de la représentation populaire, Rousseau est catégorique. Pour lui, toute
démocratie qui se donne des représentants tire vers sa fin. Car la souveraineté,
cheville ouvrière de la démocratie, ne saurait se représenter. Cest dans ce sens
quil déclare : « je dis donc que la souveraineté, nétant que lexercice de la
volonté générale, ne peut saliéner, et que le souverain, qui nest quun être
collectif ne peut être représenté que par lui-même »121. Car, dit-il, une volonté
est la même ou une autre ; il ny a point de milieu.
Les propos de Rousseau contre la représentation suit son cours. Pour lui, la
représentation est une prison pour le peuple. Il le dit si bien en ces termes : « à
linstant quil ny a plus de souverain, et dès lors le corps politique est
détruit. »122 De même Rousseau sinscrit en faux contre la représentation au
point quil réplique en ces termes : « Le peuple anglais pense être libre, il se
trompe fort, il ne lest que durant lélection des membres du parlement ; sitôt
quils sont élus, il est esclave, il nest rien. »123 Ainsi la liberté se traduit
comme la participation directe à la souveraineté, la représentation étant
synonyme daliénation, desclavage.
120
MONTESQUIEU., op. cit., p. 132.
121
ROUSSEAU. J.-J., op. cit., p. 83.
122
Ibid., p. 84.
123
Ibid., p. 166.
53
Dès lors, il est à noter que le choix du régime représentatif par Montesquieu
tient du fait quil a une vue péjorative du peuple. Daprès lui, le peuple est
incapable de penser, de prévoir, de juger. De même, cette négation du peuple
nest pas anodine. Elle vise sa dévalorisation, son indignité en vue de
lexaltation des nobles. Cest ainsi que Montesquieu qui réunit sur
léchiquier république, démocratie et aristocratie, nhésite pas à avoir un
penchant pour laristocratie. Cest dans ce sens quil déclare : « on peut
dire que laristocratie est dans le sénat, la démocratie dans le corps des
nobles, et le peuple nest rien. »124 Ainsi, lauteur usurpe le pouvoir du peuple
et le transfère à laristocratie. Cest dans cette optique que Louis Althusser
appelle la république de Montesquieu, une « république des notables »125. Cette
politique nobiliaire de Montesquieu sillustre davantage lorsquil estime
qu « en cas de crime, le noble ne peut être jugé que par ses pairs »126. En
outre, le pouvoir judiciaire ne peut juger les crimes politiques puisquil est
constitué du peuple. Ces nombreuses usurpations du pouvoir populaire, nous
conduisent inéluctablement au parti pris de Montesquieu.
124
MONTESQUIEU., op. cit., p. 136.
125
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 68.
126
MONTESQUIEU., op. cit., p. 295.
54
judiciaire. Si cet empiètement advient, tout serait perdu : la monarchie
sombrerait dans le despotisme. Comme le dit si bien lauteur, si le roi jugeait
lui-même, « (...) la constitution serait détruite ; les pouvoirs intermédiaires
dépendants, anéantis ; ( ) la crainte semparerait de tous les esprits ; on
verrait la pâleur sur tous les visages ; plus de confiance, plus dhonneur, plus
damour, plus de sûreté, plus de monarchie. »127
Ce qui paraît plus important ici, ce ne sont pas ces empiètements en soi, mais
leur finalité. A qui profiteraient-ils ? Cest là le véritable problème. Ces
empiètements profitent indubitablement à la noblesse. Il est clair que, si le
monarque prononce des jugements, cest le pouvoir et les avantages des nobles
qui sont menacés. Louis Althusser, dans le cas despèce, estime également que
lidée formulée par Montesquieu interdisant à lexécutif dempiéter sur le
judiciaire, vise à favoriser le corps des nobles. Cest en ces mots quil
lexprime : « Cette clause particulière qui prive le roi du pouvoir de juger
importe avant tout à la protection des nobles contre larbitraire politique et
juridique du prince. »128 Cest encore Althusser dajouter : « le despotisme,
dont Montesquieu nous menace, désigne une politique très précisément dirigée
dabord contre la noblesse. »129
En outre, Althusser estime que Montesquieu a élaboré son système
politique à un moment où la classe des nobles était en déliquescence dans la
société française. Donc, il était question pour lauteur de redorer le blason de
sa classe sociale. Cest ainsi quil dit : « pour lui il ne voulait que rétablir
dans ces droits dépassés une noblesse menacée. »130 Cest la raison pour
laquelle Montesquieu a érigé la noblesse en une force politique reconnue dans
la chambre haute pour garantir ses privilèges, sa position sociale contre les
empiètements du roi et du peuple. De ce fait, Althusser voit chez lauteur de
De lesprit des Lois, le prisonnier dun parti pris féodal qui voit dans les corps
127
Ibid., p. 205.
128
ALTHUSSER. L., op. cit., p. 105.
129
Ibid., p. 122.
130
DUROZOI & ROUSSEL., op. cit., p. 332.
55
intermédiaires la seule possibilité de résister à la monarchie centralisatrice qui
se constituait depuis le XVIIè siècle.
Même si la pensée politique de Montesquieu est assortie de quelques
défaillances, il nen demeure pas moins vrai quelle trouve encore une place
de choix dans la société contemporaine, doù sa nécessité pour la
redynamisation de la démocratie en Afrique.
56
il a fait de la lutte contre lautoritarisme, la clef de voûte de son système
politique.
Le mérite de Montesquieu est davoir mis lhomme au centre de sa
philosophie politique en montrant que « lhumanité qui réside en sa personne
(homme) est lobjet dun respect quil peut exiger de tout homme »131. Pour
que les valeurs humaines soient préservées, il est conscient de la nécessité de
limiter le pouvoir du moment où tout pouvoir laissé entre les mains dun seul,
cest-à-dire non contrôlé, conduit inéluctablement à la tragédie.
LAfrique doit faire sien, ou du moins sinspirer du libéralisme de
Montesquieu, du moment où il est temps de bouter hors des frontières du
continent lautoritarisme, ce système politique dans lequel la force prédomine
généralement sur le droit, pour laisser place à la démocratie en tant quelle est
le système de gouvernement qui favorise le mieux lengendrement des libertés
individuelles du moment où la politique qui se désintéresse à lhomme est
inutile pour paraphraser Njoh Mouelle. Ou bien pour parler comme Locke,
« lhomme étant à la source des relations sociales, il serait contradictoire que
ses droits et ses biens soient spoliés par une autorité civile dont la souveraineté
est absolue, car tout pouvoir absolu est illégitime »132.
En effet, le libéralisme de Montesquieu au travers de sa théorie de la
séparation des pouvoirs peut favoriser lessor de la démocratie terre nourricière
des valeurs comme légalité et la justice sociale, les droits de lhomme, la
liberté des citoyens. Mais quapporte-t-il réellement pour une démocratie en
Afrique ?
131
KANT E., Fondement de la métaphysique des murs, Paris, Vrin, 1988, P. 109.
132
LOCKE J., Traité de gouvernement civil, Paris, J. Vrin, 1985, p. 189.
57
de la démocratie »133. Cest ainsi quil a inspiré de nombreuses constitutions
dans le monde entier.
La première constitution à sen être servi, cest la constitution des
Etats-Unis dAmérique. Les constituants américains de Philadelphie se sont
servis du principe de la séparation des pouvoirs pour élaborer la charte
fondamentale des Etats-Unis dAmérique en 1787134. Cest ainsi que cette
constitution de 1787 légitime lexistence de trois pouvoirs, à savoir : le
législatif détenu par le congrès, lexécutif détenu par le Président de la
République et le judiciaire détenu par la Cour Suprême. Ces pouvoirs étant
indépendants et ayant chacun des fonctions particulières. Ce qui est
remarquable dans la constitution des Etats-Unis dAmérique, cest le respect
de lesprit du principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, et surtout
lexistence de lorgane judiciaire. Cest ce quéclaircit Chantebout
lorsquil affirme que : « laffirmation de Montesquieu selon laquelle il
existait en Angleterre un pouvoir judiciaire indépendant influença certainement
les pères fondateurs dans leurs décision de faire de la Cour Suprême le
troisième pilier de la constitution. »135
Par ailleurs, le choix de létude de linfluence de la séparation des
pouvoirs de Montesquieu sur la constitution américaine, nest quun exemple
parmi tant dautres, car le principe de séparation des pouvoirs a influencé
toutes les constitutions contemporaines. Il a influencé les constitutions
françaises au cours de lhistoire. Chantebout en dénombre trois : « trois
constitutions françaises devaient sinspirer des idées de Montesquieu : ce sont
les constitutions de 1791, la constitution de lan III, et beaucoup plus tard,
celle de 1848. »136
En outre le principe de la séparation des pouvoirs est devenu, depuis
longtemps, le pré-requis de tout Etat de droit. Cest dans ce sens que larticle
133
DUROZOI & ROUSSEL., op. cit., p. 100.
134
Ibid., p. 104.
135
CHANTEBOUT B., op. cit., p. 114.
136
Ibid., p. 129.
58
16 de la déclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 août 1789
stipule que : « toute société dans laquelle la garantie des droits nest pas
assurée ni la séparation des pouvoirs, na point de constitution. »137
La séparation des pouvoirs devient ainsi lune des conditions nécessaires
pour tout gouvernement démocratique, respectueux et promoteur des droits de
lhomme puisque étant un sérieux obstacle au despotisme né de la détention
personnelle de toutes les forces de lEtat.
Au regard de ce qui précède, le principe de la séparation des pouvoirs de
Montesquieu sest universalisé du moment où toutes les constitutions sen
sont inspirées. Dès lors il est devenu le principe de base de toute démocratie et
de la modernité politique. Par ailleurs, son libéralisme a produit de nombreuses
valeurs en Afrique.
59
proclamée par les Nations-Unies en 1748, « la Charte Africaine des Droits de
lHomme ». Ces droits sont par exemple le droit à la vie, à la santé, à
léducation, à la communication ou à lexpression, le droit syndical, etc. Il
note également un réel progrès dans le processus de la constitutionnalisation des
valeurs humaines. Lauteur cite dexemple, la croissance par les constitutions
africaines des droits civils et politiques de la première génération, les droits
économiques et sociaux de la deuxième génération ainsi que ceux relatifs à la
paix et à un environnement sain140.
Ces quelques indicateurs, sans être exhaustifs montrent que lAfrique
semble simprégner de la notion de ¨vertu politique¨. Mais une chose est
délaborer des théories et des doctrines, une autre est de les mettre en pratique.
Une redynamisation de la politique nest-elle toujours pas envisageable en
Afrique ?
140
Ibid., P. 97.
141
MONTESQUIEU., op. cit., p. 293.
142
Le législatif, le judiciaire et lexécutif.
60
Le pouvoir exécutif
Le pouvoir exécutif est lun des trois pouvoirs reconnus par les
constitutions libérales. Dans le cas despèce il sera question de présenter son
importance à la lumière des idées de lauteur de De lEsprit des Lois.
Montesquieu préconise que le pouvoir exécutif dont il est question ici,
doit être séparé des autres pouvoirs et avoir des attributions spécifiques. Ainsi le
pouvoir exécutif doit avoir pour mission dexécuter les résolutions publiques,
de veiller à la stricte application des lois. Dans son énoncé théorique de la non-
confusion des pouvoirs, la puissance exécutrice a pour spécificité de veiller au
respect et à lapplication des lois. Lexécutif en Afrique en ne tenant pas
compte de ses prérogatives, contribue à la déchéance des Etats. Elle doit veiller
à léradication de limpunité, promouvoir la liberté dexpression, car le
muselage des organes dexpression telles les presses, les radios privées comme
cela se vit aujourdhui forme des freins au processus de démocratisation. Il faut
que lexécutif soit « serviteur » et non « maître ». Cest dans ce sillage que
Tumi déclare : « que ceux qui gouvernent nexploitent pas, quils se voient
comme serviteurs et non comme maîtres »143. Etre serviteur, cest mettre avant
tout le bien commun, cest faire preuve de ¨vertu politique¨ dont prône
Montesquieu ; cest rechercher la justice légalité et la paix, gages dune
véritable liberté et dun véritable principe démocratique.
Pour être plus clair, lexécutif aura pour tâche dassurer la sécurité tant
à lintérieur quà lextérieur du territoire et, de ce fait, le chef de lexécutif
doit être le chef des armées, il doit a priori se limiter aux missions régaliennes
dun Etat moderne, à savoir la protection du territoire, des personnes des biens,
et des relations extérieurs144 etc. Ce nest quà cette condition que la liberté
des citoyens sera possible.
Toutefois, le pouvoir exécutif peut intervenir indirectement dans le
domaine de la loi. Il peut participer à la législation par sa seule faculté
143
TUMI C., cité par SOFACK N., lAffaire cardinal Tumi doctobre 2000 : un débat revisité. Pour
comprendre le rôle politique de lEglise dans un Etat laïc, 2002, p. 21.
144
La diplomatie
61
dempêcher et non pas par ses droits dinitiative. Lexécutif ne doit plus
élaborer les lois en Afrique, mais il peut du moins empêcher leur promulgation ;
cest une tâche spécialement destinée au parlement ; bien quil puisse fixer
lordre du jour du parlement et déterminer la période des sessions. Par ailleurs,
dans son rapport judiciaire, lauteur est catégorique : lexécutif ne doit pas
empiéter sur le judiciaire sous peine de ruiner les libertés individuelles des
citoyens. Il ny aurait plus de liberté parce que le pouvoir basculerait sûrement
dans la tyrannie.
Le pouvoir judiciaire
Cest également lun des pouvoirs reconnus par les constitutions
modernes. Il est très important dans le monde contemporain dans la mesure où
cest lui qui est habilité à arbitrer les rapports non seulement entre les
particuliers, mais aussi entre les particuliers et lEtat.
Le libéralisme attribue au pouvoir judiciaire la tâche essentielle de
145
« juger les crimes ou les différents des particuliers » pour assurer
sérieusement ses fonctions, lauteur estime que la puissance judiciaire doit être
indépendante. Cest lune des conditions essentielles du gouvernement
modéré. Cest dans ce sillage quil affirme : « Dans la plupart des royaumes
de lEurope, le gouvernement est modéré ; parce que le prince qui a les deux
premiers pouvoirs (exécutif et législatif) laisse à ses sujets lexercice du
troisième (judiciaire) »146
En outre, si le pouvoir exécutif empiète sur le pouvoir judiciaire, comme
dans les systèmes politiques africains, lauteur estime que les décisions du juge
auront la force dun oppresseur, cest-à-dire dun despote qui agit à labri
des lois, dans une injustice totale : « les jugements rendus par le prince seraient
une source intarissable dinjustice et dabus. »147 Cest encore à
Montesquieu dajouter : « la constitution serait détruite »148, si lexécutif
145
MONTESQUIEU., op. cit., p. 295.
146
Ibid., P. 295.
147
Ibid., P. 206.
148
Ibid., P. 205.
62
empiète sur le judiciaire. En effet, Montesquieu estime que le pouvoir judiciaire
doit être disjoint des autres pouvoirs surtout de lexécutif ; autrement, cest
larbitraire et le despotisme qui sinstalle dans lEtat.
Pour le Baron de Brède, « la liberté politique, dans un citoyens, est cette
tranquillité desprit qui provient de lopinion que chacun a de sa sûreté ; et
pour quon ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, quun citoyen
ne puisse pas craindre un autre citoyen »149. Lopinion que « chacun a de sa
sûreté » et le fait quil ne « puisse pas craindre un autre citoyen » signifie
quil existe une puissance compétente pour intervenir en cas de différend. La
vie sociale nest possible quà travers un appareil juridique fiable et
indépendant. Il est dès lors important que la puissance judiciaire soit dépouillée
de toute corruption et de tout partie pris. Cest à cette condition que la justice
peut être rendue au peuple car chacun se sachant soumis à la loi. La loi nétant
pas respectée, larbitraire sinstaure. Lorsque larbitraire sinstaure, lorsque
le citoyen ne se sent plus en « sûreté », lorsquil ne peut rien attendre de la
justice, nous avouons avec Hobbes que cest la « mort de lEtat ».
Dès lors, une question lancinante se pose : comment sortir de cette
impasse ? Ceci nest possible que par : lapplication des lois que lon sest
soi-même prescrite, leur adaptation, leur adéquation par rapport à la société et
enfin par une non-confusion des pouvoirs. Tant que nos lois seront bafouées,
tant que la séparation des pouvoirs tels que prônés par Montesquieu ne restera
pour nous quune théorie, lon ne pourra parler dune véritable démocratie et
la fin de la misère nest pas pour demain.
Le pouvoir législatif
Dans la démocratie libérale, le pouvoir législatif est fondamental et
occupe une place importante dans la mesure où cest par lui que le peuple
exprime son avis et participe à la gestion de la nation par le choix de ses
représentants.
149
Ibid., p. 294.
63
La centralité de la loi dans le système politique de Montesquieu se justifie
par le rôle déterminant quelle joue dans la protection des libertés et la lutte
contre le despotisme, par la modération des pouvoirs. Cest la raison pour
laquelle, il accorde une place importante au pouvoir législatif quil considère
comme linstance modératrice des lois et de ce fait, constitue un véritable
contre-pouvoir de lexécutif. Les systèmes politiques africains, dans leurs
constitutions ont repris certains points du libéralisme de Montesquieu,
notamment sa structuration du parlement en deux chambres, sa fixation de la
période de la tenue et de la durée des assemblées par lexécutif. Cest
également la chambre basse qui vote le budget de lEtat. De même, lexécutif
détient le droit de veto, cest-à-dire la « faculté dempêcher »150. En effet,
cette reprise de Montesquieu ne touche que des aspects inessentiels de son
libéralisme, puisque la séparation des pouvoirs, pilier fondamental de sa
philosophie politique, nest pas assurée.
Dans ce sillage lexécutif interfère sérieusement dans la fonction
législative. Sil est reconnu que cest le parlement qui vote les lois, le droit est
également accordé à lexécutif de déclasser le législatif dans sa fonction
régalienne qui est de faire les lois. Cest ainsi que lexécutif détient, comme
nous lavons dit ci-dessus, le pouvoir dinitiative des lois, le principe
dordonnance, le pouvoir des décrets. Or, en matière législative, Montesquieu
pense que lexécutif ne doit pas interférer dans sa fonction législative, sinon
par sa seule « faculté dempêcher », autrement, tout serait perdu. Cest ce
quil dit en ces termes : « si le monarque prenait part à la législation par sa
faculté de statuer, il ny aura plus de liberté. »151 Même en matière budgétaire,
la sentence est la même : lexécutif ne doit pas participer à sa législation.
Montesquieu lexprime ainsi : « Si la puissance exécutrice statue sur la levée
des deniers publics, il ny aura pas de liberté ; parce quelle deviendra
législative, dans le point le plus important de la législation. »152
150
Ibid., p. 299.
151
Ibid., p. 302.
152
Ibid., p. 302.
64
Ainsi, lexécutif est un danger permanent pour la liberté. Cest la
raison pour la quelle Montesquieu lui impose des limites : il ne doit pas
participer directement à la législation.
Toutefois, tout pouvoir étant par essence despotique, le Baron de Brède
estime nécessaire de limiter également le pouvoir législatif. Cest ainsi quil
pense que le pouvoir exécutif peut refuser certaines lois votées par le
parlement. Cest la raison pour laquelle il affirme : « Si la puissance
exécutrice na pas le droit dempêcher les entreprises du corps législatif,
celui-ci sera despotique ; car comme il pourra se donner tout le pouvoir quil
pourra imaginer, il anéantira toutes les autres puissances. »153
En plus, la puissance législative doit savoir restée indépendante,
autonome et ne pas se laisser influencer par lexécutif. Cette force gagnerait à
être une chambre au service de la population en prenant des lois favorables pour
lépanouissement du peuple. Des lois relatives au physique du pays ; au climat,
à la qualité du terrain, et surtout au genre de vie des peuples. De ce fait on
arriverait à une démocratie fondée sur la base dune conception correcte de la
personne humaine. Le cardinal Tumi déclare à cet effet : « ce qui manque le
plus chez nous, ce sont des lois bien faites pour donner la chance à tout le
monde »154. Le législatif doit simposer comme force objective et indépendante
doù la nécessité de la transparence. Il est souhaitable que les vux du chef de
lEtat en ce qui concerne la nation toute entière passe également au crible de la
critique et du vote, pour éviter limpartialité des lois ; dans le cas contraire,
lon nest plus en démocratie mais dans la dictature ce qui explique le fait que
les lois soient toujours impopulaires. La conséquence immédiate de cette
pratique est la peur, la corruption, cest « la mort de lEtat » car le mal est
incurable puisquil est dans le remède.
Lavenir dun pays demande une meilleure éducation de la vertu
politique155 comme le dit si bien Montesquieu. La conduite à tenir est que la
153
Ibid., p. 300.
154
TUMI C., op. cit., p. 16.
155
MONTESQUIEU., op. cit., p. 299.
65
puissance législative ait la faculté dexaminer de quelle manière les lois
quelle a faites ont été exécutées, que lexécutif veille à la manière dont ces
lois sont faites et que le judiciaire réponde à la validité de celles-ci. Le tout ne
serait pas de séparer les pouvoirs, mais de rendre cette séparation effective et
objective.
En fin de compte, il était question ici de mettre en exergue les Profits que
les systèmes politiques africains peuvent tirer du libéralisme de Montesquieu. Il
propose comme solution au problème du rigorisme politique, la séparation des
pouvoirs. Toutefois, ladite séparation ne doit pas être absolue au risque de
paralyser les pouvoirs. Dès lors il est absolument nécessaire que chaque
pouvoir ait des limites. Cest dans cette logique que lexécutif doit empiéter
sur le législatif grâce à sa faculté dempêcher et non de statuer.
Réciproquement, le législatif doit pouvoir contrôler lapplication des lois
quelle a votées. Mais, le judiciaire doit être indépendant vis-à-vis de
lexécutif, sinon la liberté serait impossible. Cest la modernité politique de
Montesquieu, cest-à-dire une politique qui met en branle le despotisme au
profit des libertés individuelles, et souvre dès lors à une démocratie
nécessaire pour le continent africain.
Par ailleurs, même si la théorie de la séparation des pouvoirs présente
quelques défaillances et a fait lobjet de désapprobation à la fois de Bodin, de
Rousseau, Althusser, Eisenmann, en tout état de cause, Montesquieu sen est
sorti revigoré puisque la séparation des pouvoirs et le système représentatif sont
devenus de nos jours, les piliers de la démocratie. Par conséquent, le système
politique de lauteur de De Lesprit des Lois, paraît être le régime politique de
lavenir.
CONCLUSION GENERALE
66
Il était question dans ce travail de voir comment le libéralisme de
Montesquieu peut efficacement contribuer à la redynamisation de la démocratie
des pays africains. Ce questionnement traduit le malaise orchestré par les
régimes politiques en Afrique notamment le despotisme, inhérent à la
concentration abusive des pouvoirs, cause du sous développement et de
nombreux conflits armés sur le continent.
Pour apporter un essai de solution à notre préoccupation, nous avons
reparti notre travail en trois chapitres. Le premier avait pour objectif de
connaître la nature du libéralisme politique de Montesquieu. Pour y parvenir,
nous avons dune part examiné son contexte démergence et dautre part
présenté ses grandes articulations. Il en ressort que son libéralisme sinsurge
contre le despotisme. De ce fait, pour léviter il faut faire prévaloir la loi et la
liberté des citoyens par la division, la limitation et le contrôle des pouvoirs
étatiques.
Le deuxième moment de notre réflexion quant à lui avait pour objectif de
porter un regard critique sur la situation politique actuelle de lAfrique. Sous
un double aspect (constitutionnel et socio-politique), nous avons présenté les
obstacles inhérents à la réalisation dune véritable démocratie en Afrique.
Nous avons constaté avec Okassie, quen Afrique, lexécutif est le seul
pouvoir actif, qui par ricochet, monopolise la gestion de la vie publique. Cest
ainsi quil affirme : « le chef de lexécutif cumule tous les pouvoirs, il règle la
vie politique de tout un pays. Il y a subordination objective du législatif et du
judiciaire à lexécutif. »156 En plus, grâce à des techniques comme linitiative
des lois, la pratique des ordonnances, la corruption des législateurs, lexécutif
supplante le législatif dans sa fonction de légiférer. Ce qui peut justifier
davantage une telle implication de lexécutif dans le judiciaire, cest sa
fébrilité. Cest la raison pour laquelle Rousseau pense que « la corruption du
157
législateur ne peut conduire quà la dégénérescence de la nation » ,
156
OKASSIE A., op. cit., p. 113.
157
ROUSSEAU J.-J., op. cit., p. 189.
67
puisquil est le cur de la société entière. Lhégémonie de lexécutif a pour
corollaire, la fondation dune force publique qui règne à labri de tout
contrôle et de toute règle extérieure. Dans le cas despèce le chemin de la
monarchisation de la République est ouvert en Afrique, fondement de la
restriction abusive des libertés.
Au troisième chapitre, après avoir critiqué la théorie de la séparation des
pouvoirs qui semblait être illusoire, il nous a paru judicieux de montrer sa
pertinence pour une lutte contre tout abus de pouvoir.
Dans le souci de trouver une théorie qui préconise le maximum de
libertés, Montesquieu oppose pouvoir et liberté. Selon lui, la liberté est
insignifiante lorsque tous les pouvoirs constitutifs de lEtat sont liés. Par
conséquent, pour éviter le despotisme et, de ce fait, faire assurer le plus de
liberté, il faut que les pouvoirs étatiques soient divisés et que chacun deux soit
limité, puis contrôlé par une force qui lui fasse équilibre. Ainsi, pour que le
gouvernement soit modéré, il est nécessaire que les forces publiques soient
indépendantes ; cependant, elles doivent se contrôler mutuellement au point de
parvenir à une inaction, car tout pouvoir est fondamentalement despotique,
cest-à-dire arbitraire et absolu.
Ainsi, pour que la démocratisation en Afrique soit effective, il faut non
seulement que les lois soit prééminentes, mais également que la force publique
soit partagée entre les différents pouvoirs de lEtat, à savoir le législatif
lexécutif et le judiciaire ; puis, que ces pouvoirs se contrôle mutuellement afin
quaucun pouvoir ne devienne arbitraire. Cest daprès Montesquieu le
réquisit essentiel de la liberté politique et civile.158
Toutefois, ce qui inquiète dans ce cas de figure, cest lexclusion de la
société civile de la tâche de contrôle de laction étatique, car pour
Montesquieu, la force qui soppose au despotisme dun pouvoir étatique doit
lui être immanente. Pourtant, il y a également nécessité de contrôle dune force
extérieure à lEtat, parce quil y a risque déventuelle complicité entre les
158
MONTESQUIEU, op.cit., p. 322.
68
principaux pouvoirs de lEtat. Doù la nécessité de la société civile que
Fukuyama considère dailleurs comme le principal acteur du développement et
de la gestion des sociétés159.
Au regard de ce qui précède, il ne serait certainement pas prétentieux de
dire quavec le libéralisme de Montesquieu, lAfrique serait bénéficiaire si
elle pouvait rendre effective une telle théorie. Telle est aujourdhui à nos yeux
la solution adéquate pour une redynamisation de nos sociétés. Solution que nous
propose le Baron de Brède dans son uvre De lesprit des lois.
BIBLIOGRAPHIE
159
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69
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70
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72
TABLE DES MATIERES
DEDICACE...........................................................................................................i
REMERCIEMENTS............................................................................................ii
INTRODUCTION GENERALE..........................................................................1
CHAPITRE I : LE LIBERALISME POLITIQUE DE MONTESQUIEU...........4
Le contexte démergence du libéralisme............................................................5
I. Les formes de gouvernements.......................................................................9
1. Le régime républicain..............................................................................10
2. Le régime monarchique...........................................................................11
3. Le régime despotique...............................................................................12
II. Loi et liberté comme fondement du libéralisme politique de Montesquieu
.........................................................................................................................13
1. La conception de la loi chez Montesquieu...............................................13
Le concept de loi de nature chez Montesquieu........................................15
Le concept de loi positive chez Montesquieu...........................................16
2. La conception de la liberté chez Montesquieu........................................17
Le concept de liberté au sens philosophique............................................18
Le concept de liberté au sens politique....................................................19
III. Moyens de protection des libertés.............................................................21
1. La théorie de la séparation des pouvoirs...............................................21
La puissance législatrice..........................................................................21
La puissance exécutrice...........................................................................21
La puissance fédérative ou judiciaire......................................................21
2. Limportance des corps intermédiaires dans lEtat.............................22
CHAPITRE II : UN REGARD CRITIQUE SUR LA SITUATION POLITIQUE
ACTUELLE DE LAFRIQUE.........................................................................25
I . Sur le plan constitutionnel..........................................................................25
1. La fragilisation des contre-pouvoirs.......................................................26
Le parlement.............................................................................................26
73
Lorgane juridictionnel..........................................................................29
2. La véritable nature des Etats africains....................................................31
Le règne de larbitraire..........................................................................32
La confiscation des pouvoirs....................................................................33
II . Sur le plan socio-politique.........................................................................36
1. Les obstacles aux libertés publiques.......................................................36
La participation aux affaires publiques...................................................37
La censure de la presse............................................................................37
2. La multiplication des moyens anticonstitutionnels de conquête du
pouvoir.........................................................................................................38
Les coups dEtats....................................................................................39
Les guerres civiles....................................................................................41
CHAPITRE III : LIMITES ET APPORTS DU LIBERALISME DE
MONTESQUIEU...............................................................................................44
I. Limites du libéralisme politique de Montesquieu.......................................44
1. La séparation des pouvoirs : mythe ou réalité ?.....................................44
Lillusion de lindépendance des pouvoirs...........................................45
La combinaison des pouvoirs...................................................................45
La souveraineté........................................................................................46
2. linégalité des pouvoirs..........................................................................50
Le discrédit du pouvoir judiciaire............................................................50
La prépondérance des pouvoirs politiques..............................................51
Lillusion de la représentation...............................................................52
II. Apports du libéralisme politique de Montesquieu.....................................56
1. Les effets de la théorie de la séparation des pouvoirs.............................56
La valeur anthropologique du libéralisme de Montesquieu....................56
Les influences de la séparation des pouvoirs...........................................57
La prise en compte des valeurs humaines en Afrique..............................59
74
2. le changement politique en Afrique à la lumière du libéralisme de
Montesquieu.................................................................................................60
Le pouvoir exécutif...................................................................................61
Le pouvoir judiciaire................................................................................62
Le pouvoir législatif.................................................................................63
CONCLUSION GENERALE............................................................................67
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................70
TABLE DES MATIERES..................................................................................73
75