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L'apport de la médecine factuelle dans la recherche de la preuve en médecine


d'expertise

Conference Paper · January 2011

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1 author:

Jean-Pol R.A.G. Beauthier


Université Libre de Bruxelles
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L’apport de la médecine factuelle dans la recherche de la preuve
en médecine dʹexpertise.

Jean‐Pol Beauthier MD PhD


Professeur de l’Université
Faculté de Médecine
Laboratoire d’Anatomie, Biomécanique et Organogenèse
Unité de médecine légale et anthropologie médico‐légale
Université libre de Bruxelles

“The whole of science is nothing more


than a refinement of everyday thinking”.

Albert Einstein 1

This chapter is published in :

Beauthier J-P (2011) L'apport de la médecine factuelle dans la recherche de la preuve en


médecine d'expertise. In J-P Beauthier, D Flore, A Masset, P Traest and G
Vemeulen (eds.): Bewijs in strafzaken - la preuve en droit pénal. Bruxelles: La
Charte, pp. 37-57.

Please do not forget to cite all use of this publication.

1
Né à Ulm le 14 mars 1879 et décédé à Princeton le 18 avril 1955.

1
INTRODUCTION & DÉFINITIONS

I. Un peu d’histoire 2

Archibald Cochrane est le père de l’« evidence‐based medicine » ou médecine


factuelle.

Il naît en 1909 en Écosse et débute ses études de médecine à Cambridge. Il émigre


ensuite en Allemagne où il se consacre à la psychanalyse. Il séjourne ensuite en
Espagne où il soigne les blessés de la guerre civile et obtient finalement son diplôme
de médecine en 1939.

Il est fait prisonnier de guerre au cours de la seconde guerre mondiale et est – de par
sa connaissance de l’allemand – chargé de la supervision médicale des prisonniers. Il
observe les pathologies concentrationnaires et parvient à soigner en cachette ses
compagnons d’infortune.

Il se retrouve par la suite au Royaume‐Uni et poursuit ses techniques d’observation


en lançant une enquête sur les maladies pulmonaires dans deux bassins houillers du
sud du Pays de Galles.

Par le suivi et le dépistage de masse, de même que par son engagement et son
implication dans la santé de dizaine de milliers de travailleurs, il peut être considéré
comme le père de l’épidémiologie dans sa forme moderne.

Il occupe de 1960 à 1969, le poste de « David Davies Professor of Tuberculosis and


Chest Diseases » et devient le directeur de la « Medical Research Council’s
Epidemiology Unit » de Cardiff, où l’épidémiologie reçoit pour la première fois une
véritable reconnaissance sur le plan scientifique et sur le plan social.

Selon lui, les moyens qui peuvent être mis à la disposition de la santé publique
doivent être affectés sur la base de différents types d’expériences épidémiologiques
validées et non sur la base de l’autorité, de l’émotion, de la politique, de la mode
voire de la fantaisie.

Les diverses activités d’Archibald Cochrane (son grand rêve étant que les notions
scientifiquement étayées soient le fondement de la pratique médicale quotidienne de
tous les médecins) ont progressivement abouti à la création de la « Cochrane
Collaboration », réseau international de médecins, d’épidémiologistes et de

2
Cette section est inspirée de : G. VERHULST, « De l’authority-based à l’evidence-based medicine », Le Journal
du médecin, 2011, 2169, p. 14.

2
statisticiens mettant à la disposition de la communauté médicale mondiale, un
nombre croissant de revues systématiques, dans l’optique d’agir dans le sens de ce
qui est le meilleur pour le patient.

Selon lui, la pratique de l’ « evidence‐based medicine » consiste donc à allier le


savoir‐faire clinique individuel avec le meilleur raisonnement clinique externe
disponible basé sur des revues systématiques et avec les valeurs et attentes du
patient.

La médecine factuelle telle que nous la pratiquons aujourd’hui, a été introduite au


Canada vers 1980 (Université McMaster à Hamilton) 3 .

II. Définition

Il est difficile de cerner l’« evidence‐based medicine » ou médecine factuelle et plus


encore de l’imaginer dans l’exercice de l’expertise et pourtant, cette notion n’est pas
récente 4 .

La médecine factuelle est la médecine basée sur les faits, sur l’ « evidence », si l’on
reprend le terme anglo‐saxon.

L’ « evidence », c’est le fait, la preuve scientifique issue des recherches cliniques


systématiques (et donc de la statistique basée sur les essais cliniques et les méta‐
analyses 5 ).

C’est donc la validation des attitudes cliniques par l’épidémiologie clinique qui est
considérée par la médecine factuelle.

La vision de la preuve scientifique telle que décrite plus haut pourrait paraître – de
prime abord – assez réductrice. Telle voie d’abord chirurgicale est‐elle la seule
valable car ainsi démontrée dans la littérature ? Que penser des autres voies d’abord
dans des mains qui en ont l’habitude ? Faut‐il les rejeter et n’en garder qu’une ?
Certainement pas.

De plus, le patient n’a‐t‐il pas droit à porter son propre regard sur le traitement
suggéré ? Bien évidemment. Si l’on sait que le traitement chirurgical de telle
pathologie est le meilleur à long terme, le patient a le droit d’hésiter et de postposer
l’intervention, au profit d’un traitement conservateur peut‐être moins valable.

3
Lien : http://hsl.mcmaster.ca/resources/topic/eb/.
4
Avec l’amical concours de Jean-Luc Fagnart, Damien Vandermeersch, Jean-Paul Sculier, Michel
Vanhaeverbeek et Alain Van Meerhaeghe.
5
J. DANESH et C. J. M. WHITTY, Statistiques, épidémiologie, essais cliniques et méta-analyses. In: J. D. FIRTH,
ed. J.-P. BEAUTHIER, F. BEAUTHIER, S. ROLIN, trad. Bases scientifiques pour l'étudiant en médecine. Bruxelles,
De Boeck, 2011, p. 479-524.

3
Outre les aspects édictés par la médecine factuelle, ce critère de l’acceptabilité ne
peut donc être négligé, ni celui de l’éthique ou celui du coût du traitement. Ces
divers piliers de la profession médicale ne peuvent être isolés mais doivent au
contraire garantir la pratique de l’art de guérir au sens large.

C’est à propos de cette liberté du patient que G. GENICOT écrit 6 :

« C’est que notre époque est marquée par l’essor du consumérisme, qui
s’illustre par un souci constant et accru de rééquilibrer des relations en
apparence inégales, ce qui tend à expliquer que l’autonomie du malade
soit de plus en plus mise en évidence comme constituant la pierre
angulaire de la relation médicale ».

Et c’est donc là toute la difficulté de la dualité entre le patient et son thérapeute au


sens large. Cette problématique se rencontre dans cette notion du consentement
éclairé, pour autant cependant que le patient soit capable de comprendre les
explications fournies par le praticien.

Le traitement proposé a prouvé son efficacité face à telle pathologie, mais il


n’empêche que tout traitement peut entraîner des complications plus ou moins
sévères.

C’est donc la qualité, la compétence et pourquoi pas l’empathie du médecin qui


permettra de faire comprendre au patient atteint d’une maladie cancéreuse, qu’il est
fondamental qu’il suive une cure de chimiothérapie afin de juguler la maladie et ce,
malgré les effets secondaires qu’il va immanquablement subir.

La balance bénéfice / effets secondaires doit être correctement explicitée si l’on veut
aboutir au résultat escompté.

C’est tout l’art de la pratique médicale, alliant la bonne pratique et la conviction,


dans des limites raisonnables.

C’est là aussi la nécessité de s’appuyer sur des vérités scientifiquement démontrées,


quittant ainsi non seulement l’empirisme mais également les « effets de mode » si
souvent rencontrés.

Que n’a‐t‐on encensé l’efficacité d’une substance pharmacologique pour la détruire


totalement par la suite ?

6
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.

4
C’est donc là qu’interviennent les études cliniques bien menées, à grande échelle,
multicentriques et clairement accessibles au monde entier.

Ces recherches d’informations pertinentes à partir de bases de données


incontestables et leurs applications et intégrations dans la situation particulière du
patient constituent donc sans contestation une vision progressiste de notre médecine
actuelle.

La médecine d’expertise – et plus particulièrement celle se référant aux missions


touchant à la bonne pratique de l’art de guérir – ne peut échapper à ces règles et doit
impérativement quitter toute forme d’empirisme.

La première manière de quitter cet empirisme fut de promouvoir dans le domaine


médical, un enseignement théorique et pratique de l’expertise au sein de nos
universités et ce, depuis les années ’70. 7

La deuxième manière est de considérer l’importance de la pratique clinique au sein


même des travaux d’expertise.

L’expert ne peut être un théoricien de la médecine, critiquant « dans sa tour


d’ivoire » le malheureux praticien thérapeute 8 .

Le vécu de l’art de guérir est primordial. Comment oser critiquer telle voie d’abord
chirurgicale si l’on n’a jamais (ou très peu, ou il y a trop longtemps) fréquenté la salle
d’opération ou si l’on a oublié l’anatomie et les difficultés de la région ainsi
disséquée ?

Si bien sûr l’expert ne peut tout connaître, il a l’obligation de s’informer et de


s’entourer des compétences utiles. C’est l’aspect constructif du collège d’expertise
(qui a parfois le défaut de ralentir les travaux, mais c’est loin d’être une constatation
générale) ou des consultants spécialisés 9 .

7
Le premier enseignement en ce domaine débuta à l’Université Libre de Bruxelles en 1976. L’Université de
Liège et l’Université Catholique de Louvain ont suivi ce modèle assez rapidement.
8
À ce sujet, les travaux de F. Erdman et G. deLeval faisaient déjà en 2004, référence à ces aspects pratiques,
reprenant les suggestions du Conseil Supérieur de la Justice qui relevait que l’expert doit satisfaire à certaines
exigences de formation technique, juridique et pratique. Il doit être formé dans sa discipline et le droit de
l’expertise, il doit avoir une expérience actualisée dans sa discipline (ajoutant même le danger représenté par les
experts full time) ; il doit bénéficier d’une formation permanente pluridisciplinaire et interprofessionnelle, et il
doit être disponible. Lire : F. ERDMAN et G. DE LEVAL, Les dialogues Justice, Bruxelles, Service Public Fédéral
Justice, 2004.
9
Appelés « sapiteurs » alors que ce terme a des applications variées. Un sapiteur en droit maritime, est un expert
chargé d’estimer la valeur des marchandises, en cas d’avarie de navire. Par contre, si on se réfère à l'origine
latine du mot, « sapiteur » doit être utilisé pour désigner un « sachant » (soit une personne qui sait). C’est ainsi
que Serge Braudo, dans son dictionnaire du droit privé précise que de fait, ce terme est souvent employé d'une
manière extensive pour désigner un technicien ou un expert. Lire à ce propos : http://www.dictionnaire-

5
APPLICATIONS À L’EXPERTISE MÉDICALE

Tentons d’appliquer les principes de la médecine factuelle à l’expertise médicale,


qu’elle soit pénale ou civile, dès lors que le raisonnement de l’expert dans ces deux
domaines nous paraît devoir rester identique sur le plan purement médico‐légal.

L’expert est là pour rendre un avis technique au magistrat requérant, dans le respect
et les limites de sa mission ainsi que des règles imposées par le législateur dans le
domaine concerné.

La part de la médecine factuelle dans ce cadre particulier consistera à exploiter les


données de la littérature (classées par niveau de preuve) pour les appliquer à un cas
déterminé.

III. Les exemples

A. Infectiologie

1. Escherichia Coli

La médecine factuelle – et l’exigence d’une rigueur dans le raisonnement scientifique


– est partout, même dans le domaine de l’économie, si nous nous basons
(quoiqu’éloigné de l’expertise de prime abord) sur un exemple tout récent, ayant
fortement perturbé cette dernière si l’on se penche sur les importantes conséquences
financières européennes qu’a pu avoir la soi‐disant contamination des concombres
espagnols par la forme entéro‐hémorragique de la bactérie Escherichia Coli 10 (ou plus
vulgairement E Coli), alors qu’une étude plus scientifique et plus épidémiologique
révéla quelques jours plus tard la véritable source de la propagation de cette
infection redoutable 11 .

juridique.com/definition/sapiteur.php. Selon le dictionnaire Littré : sapiteur est un ancien terme de droit se


rapportant à une personne qui connaît les localités et que les experts sont autorisés à consulter. Selon le
dictionnaire Larousse, le sapiteur (Lat. sapere) est une personne qualifiée dans un domaine précis et à laquelle un
expert peut avoir recours pour concourir à la mission qu’il a reçue du juge. Ce dictionnaire rappelle également la
définition du sapiteur en droit maritime et reprise plus haut.
10
Escherichia fait référence à Theodor Escherich, né en 1857 à Ansbach et décédé en 1911. Ce pédiatre et
bactériologiste allemand, apprenant la culture des bactéries fécales au contact de Robert Koch, dénombra 19
souches bactériennes intestinales, utilisa les colorations mises au point par Christian Gram et décrivit en détails
la bactérie intestinale la plus commune qui porte son nom. Lire à ce propos « Le Généraliste, juillet 2011, N°
1018.
11
À savoir une entreprise allemande de culture de germes de soja.

6
2. Les infections nosocomiales et l’obligation de moyens quant aux soins donnés

Que dire de l’infection et de ses sources, notamment dans le cadre des infections
nosocomiales 12 ?

Il y a dans la pratique médicale, une obligation de moyens quant aux soins donnés et
l’exigence d’absence de tout défaut des produits, médicaments, dispositifs médicaux,
mesures d’asepsie et de prophylaxie, afin que le patient ne subisse pas de maux
supplémentaires sans rapport avec son état ou son comportement. C’est ainsi que
l’hôpital a une obligation de sécurité de résultat quant aux infections nosocomiales
exogènes et ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère. 13

Parmi les premières décisions à propos des infections nosocomiales, le tribunal de


première instance de Liège a défini ce type d’infection comme étant « acquise à
l’hôpital et donc absente à l’admission, en tenant compte d’un délai d’incubation
généralement admis de 48 heures » 14 .

La question est donc double, s’adressant tout d’abord à l’expert et ensuite au juriste :

Pour l’expert, il s’agit tout d’abord d’identifier le dommage dont l’indemnisation est
réclamée comme procédant d’une infection nosocomiale « pure » et donc exogène,
indépendante de l’état du patient et de son évolution prévisible.

Si tel est le cas et donc si l’infection a été contractée plus de 48 heures après
l’admission et si aucune autre cause n’est établie, il conviendra ensuite de
s’interroger sur le raisonnement juridique à tenir et de déterminer la réponse que le
droit peut apporter à cette revendication légitime d’un patient injustement et
arbitrairement frappé par un mal totalement distinct des soins qu’il a reçus 15 .

3. La rate

La rate nous paraît un excellent exemple non seulement de l’impact de la médecine


factuelle dans notre raisonnement, mais également des problèmes pouvant surgir
spécifiquement dans le cadre des expertises dites « de qualification pénale ».

12
Une infection nosocomiale – ou infection hospitalière – peut être définie comme suit : (i) infection acquise à
l’hôpital par un patient admis pour une raison autre que cette infection ; (ii) infection survenant chez un patient à
l’hôpital ou dans un autre établissement de santé et chez qui cette infection n’était ni présente ni en incubation au
moment de l’admission. Cette définition inclut les infections contractées à l’hôpital mais qui se déclarent après la
sortie, et également les infections professionnelles parmi le personnel de l’établissement. Lire : G. Ducel, J.
Fabry et L. Nicolle, Prévention des infections nosocomiales, 2e ed. Organisation mondiale de la Santé, 2008.
13
Civ. Liège 17 janvier 2005 ; JLMB 2006, 1185. Civ. Liège 30 novembre 2009 ; RGAR 2010, 1482. Civ.
Bruxelles 7 janvier 2010 ; JLMB 2010, p. 75.
14
RGAR 2002 N° 13.573.
15
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.

7
Nous nous étions auparavant longuement interrogé sur les difficultés rencontrées
face à ce bel organe, dont les rôles fondamentaux n’ont pas encore tous été élucidés,
tant les progrès dans le domaine de l’immunologie sont incommensurables au
quotidien 16 .

La rate est notre plus volumineux organe lymphoïde. Lieu d’échange entre le sang
circulant et le tissu lymphoïde, elle est pourvue en abondance de lymphocytes T et B
ainsi qu’en macrophages. Elle facilite, en raison de la richesse de sa vascularisation, le
contact antigénique entre les lymphocytes et les cellules présentatrices d’antigène.

Son rôle dans la défense immunitaire est donc primordial, alors que ce bel organe
était quasi dénigré par les chirurgiens qui procédaient – un peu trop rapidement – à
son ablation jusqu’il y a quelques années.

En effet, les anglo‐saxons ont décrit un syndrome appelé « overwhelming post‐


splenectomy infection » (OPSI) 17 , caractérisé par une infection fulminante, sans foyer
infectieux bien localisé mais avec une bactériémie massive, un état de choc et un
syndrome de coagulation intravasculaire disséminée, aboutissant très rapidement au
décès et ce, chez des personnes – souvent des enfants – ayant subi une splénectomie 18
post‐traumatique 19 .

Négligé, cet organe a ainsi trouvé – à juste raison – ses lettres de noblesse et une place
de choix dans notre défense immunitaire, à un point tel qu’actuellement, les
chirurgiens tentent à tout prix, de préserver l’organe plutôt que de l’ôter.

Que dire du droit pénal face à de telles situations et que vaut une rate pour le droit
pénal ?

Rien, puisque la personne splénectomisée vit une vie strictement normale et que sa
capacité de travail personnel n’est pas du tout altérée.

Mais par contre, face à cette épée de Damoclès que représentent ces infections
fulminantes, ne nous trouvons‐nous pas en face devant une mutilation grave ?

16
J.-P. BEAUTHIER, « La rate, le mauvais sujet... Quelques réflexions à propos de l'expertise médico-légale en
matière pénale », Revue belge du dommage corporel, 1996, 23e année, p. 51-62.
17
M. ALTAMURA, L. CARADONNA, L. AMATI, N. M. PELLEGRINO, G. URGESI et S. MINIELLO, « Splenectomy and
sepsis: the role of the spleen in the immune-mediated bacterial clearance », Immunopharmacol Immunotoxicol,
2001, 23, p. 153-161, S. D. SCOTT, J. A. LOWES, F. P. MCGINN et S. J. KARRAN, « Overwhelming post-
splenectomy infection », Br J Clin Pract, 1990, 44, p. 110-111, D. J. WALDRON, B. HARDING et J. DUIGNAN, «
Overwhelming infection occurring in the immediate post-splenectomy period », Br J Clin Pract, 1989, 43, p.
421-422.
18
Ablation chirurgicale de la rate.
19
J. FURIOLI, « Séquelles et complications des traumatismes de la rate chez l'enfant », Rev Franc Dommage
Corp, 1993, p. 267-281.

8
Sur le plan civil, la situation est aisée puisque l’expert médecin émet des réserves
pour l’avenir.

Mais l’avenir n’est pas prévu par notre Code pénal. Une lacune face à la médecine ?
Nous le pensons volontiers.

B. L’examen post mortem au sens large et l’autopsie en particulier

1. Généralités

L’autopsie médico‐légale reste bien évidemment, l’une des applications majeures de


la recherche de la preuve.

Elle se doit d’être rigoureuse, complète, pratiquée dans les règles de l’art, par des
médecins légistes compétents.

Là également l’empirisme n’a plus sa place et pourtant…

S’il faut remonter à la nuit des temps pour trouver la trace de l’ouverture des corps, il
fallut attendre les premiers vrais anatomistes pour enfin atteindre des techniques
valables d’autopsie, et finalement le 19e siècle pour qu’apparaissent les fondements
réels de la médecine légale, attachée à l’époque à la médecine sociale, à
l’épidémiologie.

Elle s’est organisée pour finalement aboutir à une certaine forme de considération et
acquérir ses lettres de noblesse, bien qu’actuellement, la discipline s’enlise dans notre
pays 20 , alors qu’elle se redresse notablement en France par la réforme de janvier 2011.

L’autopsie médico‐légale est cependant bien cataloguée par le Comité des ministres
aux États membres de l’Union Européenne, et c’est heureux. Les recommandations
ainsi édictées devraient être mieux adaptées dans notre pays et ce serait une forme
notable de progrès 21 .

20
Malgré l’immense progrès acquis par la reconnaissance de la discipline au rang des spécialités médicales
depuis 2002.
21
J.-P. BEAUTHIER, Harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-légale. In: J. P. BEAUTHIER, éd.
Traité de médecine légale. Bruxelles, De Boeck Université, 2008, p. 683-692, CONSEIL DE L'EUROPE - COMITÉ
DES MINISTRES. Recommandation n° R (99) 3 du Comité des Ministres aux États Membres, relative à
l'harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-légale. Conseil de l'Europe. Accessible sur:
http://cm.coe.int/ta/rec/1999/f99r3.htm, G. QUATREHOMME et D. ROUGÉ, « La recommandation n° R(99) 3 du
Comité des Ministres aux États Membres, relative à l'harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-
légale. », J Méd Lég Droit Méd, 2003, 46, p. 249-260.

9
Combien de fois certains médecins légistes osent‐ils encore pratiquer l’autopsie en
solo ? Cette pratique devrait être bannie, car il n’y a dans de tels cas, aucun contrôle,
aucune contradiction ni aucune critique possible. C’est un écart majeur par rapport
aux normes de la médecine factuelle.

2. Autopsie, outil de preuve ?

Bien évidemment.

C’est l’exemple d’une mort subite et inexpliquée, dont l’autopsie complète, passant
par les régions laryngées, met en évidence des foyers hémorragiques et une fracture
des structures ostéo‐cartilagineuses du larynx, dans le cadre de phénomènes
compressifs strangulatoires. La mort subite devient un homicide, grâce à un acte
autopsique respectueux des normes en la matière 22 .

3. Niveaux de preuve

En matière de preuve et de la recherche de celle‐ci, la médecine légale thanatologique


23 et l’autopsie en particulier en sont des exemples – nous semble‐t‐il –
particulièrement éclairants, non seulement par les difficultés rencontrées mais aussi
et surtout par les implications et les conséquences des mises en évidence des
éléments de preuve.

L’activité médico‐légale thanatologique tente de répondre, de manière générale aux


interrogations suivantes face à la mort d’une personne 24 :

- Qui ?
- Quand ?
- Où ?
- Comment ?
- Pourquoi ?

Nous n’envisageons pas d’y répondre de manière complète mais d’aborder ci‐après
quelques aspects précis pouvant illustrer notre propos et l’application de la médecine
factuelle.

22
F. BEAUTHIER et J.-P. BEAUTHIER, Autopsie médico-légale. In: J. P. BEAUTHIER, ed. Traité de médecine
légale. Bruxelles, De Boeck Université, 2008, p. 97-118.
23
La thanatologie est l’étude de la mort tant sur le plan biologique que sur le plan sociologique.
24
J.-P. BEAUTHIER, « L'autopsie en tant que moyen de preuve - sa place dans la société actuelle », Bulletin et
Mémoires de l'Académie royale de Médecine de Belgique, 2009, 164, p. 315-326.

10
Car de manière évidente, si l’autopsie est un acte médical destiné à déterminer la
cause anatomique dʹun décès, il apparaît que cette définition est beaucoup trop
réductrice : s’il est vrai que l’acte autopsique met en évidence des altérations visibles
et donc des atteintes anatomiques, la mort ne se résume pas à un événement
anatomique mais bien physiologique ou physiopathologique et ne doit pas
nécessairement et exclusivement se traduire par des signes macroscopiques ou
microscopiques patents.

C’est bien évidemment la difficulté de l’autopsie médico‐légale.

L’exemple de la découverte d’une lésion anatomique considérée comme suffisante


pour expliquer le décès, ne doit pas nécessairement et trop rapidement orienter le
médecin légiste à lui en attribuer d’office lʹorigine.

C’est l’exemple simple de trois sujets décédés chez qui l’on découvre une
coronaropathie athéromateuse 25 à l’autopsie, le pathologiste retenant dans chaque
cas, un mécanisme létal sur « pathologie ischémique 26 coronarienne ayant pu induire un
épisode de fibrillation ventriculaire terminale 27 ».

Or, lors de la confrontation avec les éléments d’enquête, il s’est avéré que dans un
cas, il sʹagissait dʹun décès par électrocution ; dans le deuxième cas, il s’agissait d’un
acte suicidaire par noyade, comme une lettre du défunt retrouvée ultérieurement put
le confirmer ; dans le troisième cas, il s’agissait d’un décès d’origine
médicamenteuse.

L’autopsie peut ainsi apporter divers degrés dans le niveau de certitude 28 .

 La certitude absolue reste l’exception à la règle et peut ainsi laisser au


magistrat sa liberté d’interprétation. Nous pouvons citer à ce niveau le coup
de couteau sectionnant l’artère coronaire droite et perforant le ventricule droit,

25
La coronaropathie est l’atteinte des artères coronaires, premières branches de l’aorte, destinées à vasculariser
le muscle cardiaque. L’athéromatose est une pathologie artérielle due à des plaques d’athérome (dépôt par
accumulation de graisses, de calcaire, de sodium, de tissu fibreux, etc.) se développant au sein des parois
artérielles et formant ainsi de véritables « tumeurs » diminuant progressivement le diamètre vasculaire et
pouvant provoquer des phénomènes obstructifs aigus, notamment par embolisation de plaques. Cette pathologie
est l’une des principales causes de mortalité et de morbidité.
26
L’ischémie correspond à l’insuffisance (ou à l’arrêt) de la circulation sanguine dans un territoire donné,
privant ainsi les cellules de l’apport indispensable en oxygène et pouvant donc aboutir à la nécrose des cellules et
tissus atteints.
27
La fibrillation ventriculaire est un trouble du rythme générateur de la plupart des morts subites. Ceci génère un
véritable paradoxe : l’on meurt rarement d’arrêt cardiaque mais bien de cette fibrillation ventriculaire,
correspondant à un rythme cardiaque très élevé et donc inefficace car la pompe musculaire ne sait pas suivre ce
rythme. La circulation générale s’arrête par conséquent et l’individu passe en état syncopal.
28
C. VANKERKEM, L'examen autopsique, argument de preuve en législation du travail. In: P. LUCAS, M.
STEHMAN, eds. L'accident du travail en l'an 2000, Vol 7. Bruxelles, Juridoc, 2000.

11
générant non seulement une hypoxie 29 myocardique brutale et sévère, mais
également un hémopéricarde (éventuellement suivi d’une tamponnade
cardiaque) et un hémothorax 30 .

 Le mécanisme létal est structurellement démontrable et irréfutable. C’est


l’exemple d’une rupture d’un anévrysme aortique abdominal 31 .

 Le degré suivant est la découverte d’une pathologie à potentiel létal pouvant


expliquer le décès, les constatations macroscopiques nécessitant des examens
complémentaires (microscopiques par exemple).

 Nous pouvons ensuite citer les cas de pathologies ordinairement insuffisantes


que pour expliquer à elles seules la mort, mais suffisantes au regard du
contexte anamnestique, pour autant que toute autre cause étiopathogénique
létale ait été rejetée. C’est l’exemple du décès d’un homme sédentaire de 50
ans lors de la réalisation d’une épreuve d’effort. L’autopsie ne révèle pas
d’infarctus du myocarde mais bien une sténose coronarienne modérée. Les
examens toxicologiques et anatomopathologiques microscopiques excluent
une autre pathologie et donc, le mécanisme létal peut raisonnablement
s’orienter vers une arythmie ventriculaire terminale sur ischémie cardiaque
transitoire.

 Le niveau suivant est celui de lésions létales non démontrables, et dès lors un
diagnostic fondé essentiellement sur l’histoire médicale, après exclusion de
toutes les autres causes pathologiques lors de l’examen autopsique. Pensons
ainsi à la crise d’épilepsie mortelle.

 Le dernier niveau correspond au décès dont la cause reste indéterminée même


après une démarche médico‐légale bien conduite et complète, ne pouvant
établir la cause du décès mais pouvant en exclure beaucoup d’autres. C’est
l’exemple du diagnostic d’exclusion comme celui de la mort subite du
nourrisson.

Les deux dernières catégories, ne permettant de retenir qu’un diagnostic d’exclusion,


laissent au décideur une libre interprétation quant à la conclusion finale.

29
Carence en oxygène.
30
L’hémopéricarde correspond à l’extravasation de sang dans la cavité péricardique, enveloppant le cœur. Un
hémopéricarde sous tension comprime le cœur au point de l’empêcher d’assumer sa fonction de pompe. C’est la
tamponnade. L’hémothorax correspond à l’extravasation de sang dans la cavité pleurale, espace situé entre la
paroi thoracique et le poumon.
31
Les anévrysmes de l’aorte abdominale sont des dilatations (aboutissant à la rupture) dont le point de départ
correspond à ce niveau à une dissection de la paroi vasculaire sur pathologie athéromateuse (voir ci-avant).

12
Il est bon de noter que le degré de certitude recherché sera d’autant plus facilement
atteint que plusieurs conditions régissant l’acte autopsique seront réunies :

 compétence du médecin légiste requis ;


 possibilité donnée par le juge d’effectuer tous examens utiles
complémentaires lui permettant une démarche médico‐légale complète ;
 analyse, après enquête médicale, de tout élément anamnestique concernant les
circonstances du décès et lʹétat médical antérieur du défunt ;
 délai le plus court possible entre le décès et lʹexamen autopsique (interférence
des processus putréfactifs).

C’est ainsi que lʹautopsie moderne nécessite une approche globale multidisciplinaire
en appelant à des compétences thanatologiques mais parfois aussi immunologiques,
sérologiques, toxicologiques ou autres 32 .

4. Et que dire de la mort elle‐même ?

Si auparavant elle était définie comme l’arrêt de la fonction cardiaque, ce qui nous
rappelle le signe de la buée sur le miroir afin d’évaluer l’arrêt de la fonction
respiratoire voire le signe du croque‐mort, les temps ont bien changé et c’est fort
heureux, encore faut‐il définir et étudier le plus complètement possible les critères
actuels à savoir la perte de toute fonction cérébrale et l’arrêt de la circulation
artérielle encéphalique.

Dans le même ordre d’idées, les examens microscopiques comparatifs de cheveux et


poils réalisés avant l’avènement des empreintes génétiques en criminalistique ne
pouvaient arriver statistiquement à égaler les éléments d’identification par l’ADN
que nous obtenons actuellement.

5. Et le moment de la mort ?

Si nous utilisons l’exemple du moment de la mort, nous nous trouvons face à des
paramètres thanatologiques qui, empiriques il y a quelques dizaines d’années,
tentent de se perfectionner par une approche la plus scientifique possible.

Citons ainsi la décroissance thermique post mortem, l’électrostimulation des muscles


de la mimique, la biochimie post mortem.

32
J.-P. BEAUTHIER, L'autopsie, élément de preuve. In: J. P. BEAUTHIER, éd. Justice et dommage corporel.
Symbiose ou controverse ? Bruxelles, Larcier, 2008, p. 21-37.

13
Tous ces domaines – et donc ces niveaux de preuve pourtant si utiles à l’enquête
judiciaire – restent fort difficiles et toujours sujets à de nombreuses expérimentations.

6. L’identification d’une personne

En prenant l’exemple de l’identification de la personne, il est flagrant que celle‐ci ne


peut se limiter à reconnaître un visage, un vêtement, un bijou par exemple.

Combien d’erreurs ont été commises face à de telles tentatives de reconnaissance ?

Nous pouvons citer dans notre expérience personnelle, de difficiles situations telles
que catastrophe de train 33 , catastrophe naturelle 34 , exécutions de masse 35 .

L’identification moderne se base sur les degrés de preuve, telles que détaillés dans le
Tableau 1.

Celle‐ci tient compte non seulement de l’expérience de l’équipe d’identification mais


surtout des critères tirés de la littérature médico‐légale et anthropologique.

Il apparaît incontestable que les empreintes digitales, l’examen dentaire et l’étude


ADN représentent les méthodes de choix, chacune étant d’une redoutable fiabilité,
pour autant que la comparaison soit possible.

De la même manière, découvrir lors de l’autopsie une séquelle osseuse pouvant être
comparée de manière incontournable à l’examen radiographique ante mortem extrait
du dossier médical à toute sa valeur.

Certaines structures anatomiques comme les sinus frontaux sont également uniques
et les comparer radiographiquement peut aboutir par cette méthodologie très simple
à une identification formelle 36 .

33
Opération DVI (Disaster Victim Identification) à Pécrot.
34
Opération DVI lors du Tsunami de décembre 2004. Lire : J.-P. BEAUTHIER et P. LEFÈVRE, « Rôle des
médecins légistes, anthropologues et odontologues lors d'activités au sein du team belge d'identification des
victimes (Belgian DVI team). Revue de l'organisation et de la gestion de ces situations dans le but d'une
identification optimale des victimes », Biom Hum Anthropol, 2008, 26, p. 45-56. Lire aussi : J.-P. BEAUTHIER, P.
LEFÈVRE, E. DE VALCK et J. DE WINNE, « Mass Disaster Victim Identification: the Tsunami Experience
(December 26, 2004) », The Open Forensic Science Journal, 2009, 2, p. 54-62. Lire aussi : J.-P. BEAUTHIER et P.
LEFÈVRE, « Gestion de l'identification des victimes lors de catastrophes majeures. L'expérience du tsunami du 26
décembre 2004 », Rev Med Brux, 2007, 28, p. 512-522. Lire aussi : J.-P. BEAUTHIER, P. LEFEVRE et E. DE
VALCK, Autopsy and Identification Techniques. In: N.-A. MÖRNER, ed. The Tsunami Threat - Research and
TechnologyINTECH, Available from: http://www.intechopen.com/articles/show/title/autopsy-and-identification-
techniques, 2011, p. 691-714.
35
Opérations DVI au Kosovo en 1999 et 2000. Lire J.-P. BEAUTHIER, P. BOXHO, J. M. CRÈVECOEUR, M.
LECLERCQ, P. LEFÈVRE et L. VOGELS, « Mission du team belge au Kosovo, science et justice à la rencontre du
drame humain - premiers résultats », Biom Hum Anthropol, 2000, 18, p. 43-48.

14
Les progrès scientifiques et technologiques – basés sur des méthodes de niveaux
divers de complexité (Tableau 2) permettent donc de s’acquitter valablement de ces
difficiles missions identificatoires, de rendre les corps des disparus aux familles, qui
peuvent ainsi entamer leur processus de deuil 37 .

Tableau 1. Les quatre possibilités rencontrées dans l’identification médico-légale 38 .

Qualité de l’identification Exemples

Comparaisons radiologiques
Comparaisons odontologiques
Identité formelle (*)
Empreintes digitales
Empreintes génétiques
Papiers d’identité
Identité probable Tatouages (**)
Formule dentaire compatible
Cicatrices (**)
Identité possible
Antécédents pathologiques
Formule dentaire incompatible
Identité exclue
Antécédent de fracture incompatible

(*) Avec certaines nuances sur le plan scientifique dans des cas particuliers.

(**) À noter qu’une identification formelle peut être dans certains cas obtenue face à certains
tatouages ou certaines cicatrices que l’on pourrait qualifier de « uniques ».

Tableau 2. Les méthodes d’identification médico-légale 39 .

Méthodes : Identification par :

 Reconnaissance visuelle
Simples
 Vêtements, objets personnels, bijoux
 Empreintes digitales

36
G. QUATREHOMME, P. FRONTY, M. SAPANET, G. GRÉVIN, P. BAILET et A. OLLIER, « Identification by frontal
sinus pattern in forensic anthropology », Forensic Sci Int, 1996, 83, p. 147-153.
37
I. DE LA SERNA, M. DEBRACKELEER et O. DELMARCHE, « L'identification de la personne en droit belge », Biom
Hum Anthropol, 2005, 23, p. 143-148.
38
G. QUATREHOMME, S. COTIN, V. ALUNNI-PERRET, Y. GARIDEL, G. GRÉVIN, P. BAILET, A. OLLIER et A. N., «
La superposition, la restauration et la reconstruction faciales: une aide à l'identification médico-légale », J Méd
Lég Droit Méd, 1998, 42, p. 11-22. Voir aussi : J.-P. BEAUTHIER, P. LEFÈVRE, R. ORBAN, C. POLET, G. GRÉVIN
et G. QUATREHOMME, L'anthropologie et la personne décédée. In: J.-P. BEAUTHIER, éd. Traité de médecine
légale. Bruxelles, De Boeck, 2011.
39
J.-P. BEAUTHIER et P. LEFÈVRE, « Gestion de l'identification des victimes lors de catastrophes majeures.
L'expérience du tsunami du 26 décembre 2004 », Rev Med Brux, 2007, 28, p. 512-522.

15
 Imagerie médicale (radiographies)

 Autopsie médico-légale
 Particularités anatomiques
De complexité intermédiaire  Particularités séquellaires
 Anthropologie
 Odontologie

 ADN
 Techniques anthropologiques spécialisées
De complexité importante
comme la restauration faciale ou la
reconstruction faciale

C. Un exemple caricatural

L’affaire est complexe et les diverses interventions médicales et médico‐légales


successives n’ont fait que compliquer le diagnostic (ou plutôt son absence).

Les faits : un pompier développe dans les heures qui suivent une intervention
nocturne, un état de coma duquel il ne sortira pas vivant.

Le problème de l’imputabilité est soulevé : existe‐t‐il un lien entre le décès et la


notion d’accident du travail ?

Basée sur l’étude du dossier médical, l’expertise conclut en une thrombose bilatérale
des deux artères vertébrales, pouvant être en relation avec une hyperextension
prolongée de la colonne cervicale de ce travailleur, tentant en vain de circonscrire le
très important incendie.

Et tout part de ces deux éléments : la thrombose bilatérale et l’hyperextension


prolongée de la nuque.

Après plusieurs années de procédure, de discussions, de changement d’experts, l’on


s’est (enfin) penché sur les circonstances mêmes de l’accident : le pompier n’était pas
en hyperextension mais bien en simple flexion de nuque, dans une nacelle toute
neuve et confortable, surplombant les lieux du sinistre à bonne hauteur.

Pis ! La bonne connaissance de l’anatomie, science fondamentale de la médecine,


nous est venue en aide. Une thrombose bilatérale des deux artères vertébrales au
niveau de leurs ostia (l’un à droite et l’autre à gauche) au départ de leur artère

16
subclavière respective, serait bien un hasard extraordinaire pour ne pas dire
impossible.

Mais non, la solution était beaucoup plus simple : un problème de « plomberie » ou


pour être plus scientifique, de dynamique des fluides : si l’on obstrue complètement
l’artère basilaire 40 , vaisseau intracrânien formé par la réunion des deux artères
vertébrales précitées, il est évident qu’à l’artériographie vertébrale, plus rien ne passe
et ce, depuis la naissance de chacun de ces vaisseaux.

Et l’artère basilaire peut‐elle être coincée par une tête en flexion ? L’anatomie
élémentaire nous en apprend l’impossibilité, puisque ce tronc artériel est en rapport
ventralement avec une solide structure osseuse crânienne 41 non influencée par un
quelconque mouvement 42 .

Ce sont donc des notions simples, basiques (ainsi que l’étude objective des éléments
initiaux), qui ont renversé inéluctablement cette imputabilité, démontrant la mort
naturelle, l’événement purement endogène et donc formellement indépendant d’une
quelconque relation avec un supposé événement lié aux conditions de l’activité
professionnelle de ce travailleur.

DISCUSSION

Ces divers exemples pris au hasard de l’exercice de l’expertise et plus


particulièrement de la médecine légale, ne peuvent nous empêcher de rappeler –
comme le souligne G. Genicot – « […] que l’expert ne peut être chargé que de donner
un avis ou de procéder à des constatations d’ordre technique, sans pouvoir se
prononcer sur le bien‐fondé de la demande elle‐même ; son rapport n’a dès lors, pour
le juge, qu’une valeur d’avis, qu’il n’est pas obligé de suivre » 43 .

C’est évidemment toute la difficulté de l’expertise en matière médicale, la médecine


étant par définition une science complexe aux résultats comportant une part d’aléa et
de risque, de sorte que l’échec d’une intervention ou d’un traitement n’est pas
toujours imputable à une faute du médecin.

Un médecin a une obligation de moyen et non de résultat. Par son écoute du patient,
par ses connaissances de la médecine, par son expérience, par sa compétence et par

40
Anc. tronc basilaire.
41
La lame basilaire de l’os occipital.
42
De la même manière, les traumatismes intracrâniens de l’artère vertébrale sont très rares. Lire à ce propos : C.
KAISER, A. SCHNABEL, J. BERKEFELD et H. BRATZKE, « Traumatic rupture of the intracranial vertebral artery due
to rotational acceleration », Forensic Sci Int, 2008, 182, p. e15-e17.
43
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.

17
son esprit d’initiative qui doit l’amener, le cas échéant, à recourir à la prescription
d’examens, à recommander son patient auprès d’un confrère spécialiste ou à prendre
la décision de l’hospitaliser, il a l’obligation de tout mettre en œuvre pour guérir son
patient, pour améliorer son état de santé ou, dans l’hypothèse d’une maladie
incurable, pour soulager ses douleurs 44 .

« Si l’on excepte la négligence ou l’imprudence que tout homme peut commettre, le


médecin ne répond des suites fâcheuses de ses soins que si, eu égard à l’état de la
science et aux règles consacrées de la pratique médicale, l’imprudence, l’inattention
ou la négligence qui lui sont imputées révèlent une méconnaissance certaine de ces
devoirs » 45 .

L’acte posé, la décision prise, doivent être comparés à ceux d’une personne
normalement prudente et diligente, de la même catégorie (profession, niveau
d’éducation, etc.) et placée dans les mêmes circonstances objectives de temps et de
lieu.

En règle, le recours à la norme de diligence exclut en revanche la prise en compte


d’éléments purement subjectifs tels que l’état de fatigue du médecin lors d’une
intervention, son expérience (pour être plus sévère) ou son inexpérience (pour l’être
moins), ceci en raison de ce que la norme de diligence se rapporte à un acte litigieux
et non à une personne.

Le patient doit pouvoir escompter du titulaire d’un diplôme la compétence et


l’expérience requises pour pratiquer la spécialité sanctionnée par ce diplôme ; en
d’autres termes, le médecin normalement prudent est donc normalement
expérimenté 46 .

La Cour d’appel de Mons complète en soulignant : […] cette appréciation doit tenir
compte de la nature de l’intervention médicale et des règles qui la concernent,
notamment sur la liberté de diagnostic et de thérapie, sans s’aventurer dans des
considérations d’ordre scientifique ou technique qui pourraient faire l’objet de
controverses dans le milieu médical 47 .

Le médecin de référence doit être un médecin de la spécialité requise par l’acte


médical pratiqué, disposant des mêmes connaissances approfondies et de la même
pratique régulière.

44
Cour d’appel de Bruxelles, 16 juin 2009.
45
H. ANRYS, La responsabilité civile médicale, Bruxelles, Larcier, 1974.
46
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.
47
Mons, 29 septembre 1986, R.G.A.R., 1987, N° 11.282 in Ibid.

18
Le médecin normalement prudent et diligent exerce son art en se fondant sur le
dernier état de la science […] au moment où l’acte a été accompli […]. On exige ainsi
une certaine unanimité scientifique sur la valeur de la méthode en cause 48 49 .

CONCLUSION

C’est tant une démonstration qu’un plaidoyer pour une bonne pratique de la
médecine légale, une promotion de la discipline, un regain de celle‐ci, de son
enseignement et de sa reconnaissance dans notre pays, où elle a tendance à être
négligée, alors qu’elle représente – pour la médecine et pour la justice – un outil
essentiel dans la recherche de la preuve, dans le respect des critères scientifiques et
de bonne pratique médicale ou médico‐légale.

Cette recherche s’inscrit dans le raisonnement très général qui domine l’expertise, à
savoir l’appréciation de la lésion, du dommage et de la relation d’imputabilité entre
ceux‐ci.

L’expert, bien qu’il n’émette qu’un avis, doit s’entourer de toutes les notions et toutes
les techniques actualisées. C’est donc là qu’apparaît la nécessité de baser le
raisonnement sur les références scientifiques.

Le sujet est vaste, dépassant la médecine légale stricto sensu, pour s’orienter
également vers toutes les techniques de laboratoire utiles (et notamment la
toxicologie, l’anatomie pathologique, la criminalistique, etc.). Les critères et normes
de qualité, la validation des techniques utilisées et une bonne exploitation des
données de la littérature basée sur les principes directeurs de la médecine factuelle
permettront d’approcher au mieux l’excellence dans ces domaines. Ce sont des
exigences actuelles de l’expertise, si l’on veut qu’elle puisse être utilisable par la
justice.

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H. ANRYS, La responsabilité civile médicale, Bruxelles, Larcier, 1974.

48
Bien que soit également apportée la nuance d’une possible école médicale dissidente, pouvant se voir accorder
un certain crédit.
49
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.

19
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