BEAUTHIERPREUVEPENALEMEDECINEFACTUELLE (1)
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Albert Einstein 1
1
Né à Ulm le 14 mars 1879 et décédé à Princeton le 18 avril 1955.
1
INTRODUCTION & DÉFINITIONS
I. Un peu d’histoire 2
Il est fait prisonnier de guerre au cours de la seconde guerre mondiale et est – de par
sa connaissance de l’allemand – chargé de la supervision médicale des prisonniers. Il
observe les pathologies concentrationnaires et parvient à soigner en cachette ses
compagnons d’infortune.
Par le suivi et le dépistage de masse, de même que par son engagement et son
implication dans la santé de dizaine de milliers de travailleurs, il peut être considéré
comme le père de l’épidémiologie dans sa forme moderne.
Selon lui, les moyens qui peuvent être mis à la disposition de la santé publique
doivent être affectés sur la base de différents types d’expériences épidémiologiques
validées et non sur la base de l’autorité, de l’émotion, de la politique, de la mode
voire de la fantaisie.
Les diverses activités d’Archibald Cochrane (son grand rêve étant que les notions
scientifiquement étayées soient le fondement de la pratique médicale quotidienne de
tous les médecins) ont progressivement abouti à la création de la « Cochrane
Collaboration », réseau international de médecins, d’épidémiologistes et de
2
Cette section est inspirée de : G. VERHULST, « De l’authority-based à l’evidence-based medicine », Le Journal
du médecin, 2011, 2169, p. 14.
2
statisticiens mettant à la disposition de la communauté médicale mondiale, un
nombre croissant de revues systématiques, dans l’optique d’agir dans le sens de ce
qui est le meilleur pour le patient.
II. Définition
La médecine factuelle est la médecine basée sur les faits, sur l’ « evidence », si l’on
reprend le terme anglo‐saxon.
C’est donc la validation des attitudes cliniques par l’épidémiologie clinique qui est
considérée par la médecine factuelle.
La vision de la preuve scientifique telle que décrite plus haut pourrait paraître – de
prime abord – assez réductrice. Telle voie d’abord chirurgicale est‐elle la seule
valable car ainsi démontrée dans la littérature ? Que penser des autres voies d’abord
dans des mains qui en ont l’habitude ? Faut‐il les rejeter et n’en garder qu’une ?
Certainement pas.
De plus, le patient n’a‐t‐il pas droit à porter son propre regard sur le traitement
suggéré ? Bien évidemment. Si l’on sait que le traitement chirurgical de telle
pathologie est le meilleur à long terme, le patient a le droit d’hésiter et de postposer
l’intervention, au profit d’un traitement conservateur peut‐être moins valable.
3
Lien : http://hsl.mcmaster.ca/resources/topic/eb/.
4
Avec l’amical concours de Jean-Luc Fagnart, Damien Vandermeersch, Jean-Paul Sculier, Michel
Vanhaeverbeek et Alain Van Meerhaeghe.
5
J. DANESH et C. J. M. WHITTY, Statistiques, épidémiologie, essais cliniques et méta-analyses. In: J. D. FIRTH,
ed. J.-P. BEAUTHIER, F. BEAUTHIER, S. ROLIN, trad. Bases scientifiques pour l'étudiant en médecine. Bruxelles,
De Boeck, 2011, p. 479-524.
3
Outre les aspects édictés par la médecine factuelle, ce critère de l’acceptabilité ne
peut donc être négligé, ni celui de l’éthique ou celui du coût du traitement. Ces
divers piliers de la profession médicale ne peuvent être isolés mais doivent au
contraire garantir la pratique de l’art de guérir au sens large.
« C’est que notre époque est marquée par l’essor du consumérisme, qui
s’illustre par un souci constant et accru de rééquilibrer des relations en
apparence inégales, ce qui tend à expliquer que l’autonomie du malade
soit de plus en plus mise en évidence comme constituant la pierre
angulaire de la relation médicale ».
La balance bénéfice / effets secondaires doit être correctement explicitée si l’on veut
aboutir au résultat escompté.
6
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.
4
C’est donc là qu’interviennent les études cliniques bien menées, à grande échelle,
multicentriques et clairement accessibles au monde entier.
Le vécu de l’art de guérir est primordial. Comment oser critiquer telle voie d’abord
chirurgicale si l’on n’a jamais (ou très peu, ou il y a trop longtemps) fréquenté la salle
d’opération ou si l’on a oublié l’anatomie et les difficultés de la région ainsi
disséquée ?
7
Le premier enseignement en ce domaine débuta à l’Université Libre de Bruxelles en 1976. L’Université de
Liège et l’Université Catholique de Louvain ont suivi ce modèle assez rapidement.
8
À ce sujet, les travaux de F. Erdman et G. deLeval faisaient déjà en 2004, référence à ces aspects pratiques,
reprenant les suggestions du Conseil Supérieur de la Justice qui relevait que l’expert doit satisfaire à certaines
exigences de formation technique, juridique et pratique. Il doit être formé dans sa discipline et le droit de
l’expertise, il doit avoir une expérience actualisée dans sa discipline (ajoutant même le danger représenté par les
experts full time) ; il doit bénéficier d’une formation permanente pluridisciplinaire et interprofessionnelle, et il
doit être disponible. Lire : F. ERDMAN et G. DE LEVAL, Les dialogues Justice, Bruxelles, Service Public Fédéral
Justice, 2004.
9
Appelés « sapiteurs » alors que ce terme a des applications variées. Un sapiteur en droit maritime, est un expert
chargé d’estimer la valeur des marchandises, en cas d’avarie de navire. Par contre, si on se réfère à l'origine
latine du mot, « sapiteur » doit être utilisé pour désigner un « sachant » (soit une personne qui sait). C’est ainsi
que Serge Braudo, dans son dictionnaire du droit privé précise que de fait, ce terme est souvent employé d'une
manière extensive pour désigner un technicien ou un expert. Lire à ce propos : http://www.dictionnaire-
5
APPLICATIONS À L’EXPERTISE MÉDICALE
L’expert est là pour rendre un avis technique au magistrat requérant, dans le respect
et les limites de sa mission ainsi que des règles imposées par le législateur dans le
domaine concerné.
A. Infectiologie
1. Escherichia Coli
6
2. Les infections nosocomiales et l’obligation de moyens quant aux soins donnés
Que dire de l’infection et de ses sources, notamment dans le cadre des infections
nosocomiales 12 ?
Il y a dans la pratique médicale, une obligation de moyens quant aux soins donnés et
l’exigence d’absence de tout défaut des produits, médicaments, dispositifs médicaux,
mesures d’asepsie et de prophylaxie, afin que le patient ne subisse pas de maux
supplémentaires sans rapport avec son état ou son comportement. C’est ainsi que
l’hôpital a une obligation de sécurité de résultat quant aux infections nosocomiales
exogènes et ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère. 13
La question est donc double, s’adressant tout d’abord à l’expert et ensuite au juriste :
Pour l’expert, il s’agit tout d’abord d’identifier le dommage dont l’indemnisation est
réclamée comme procédant d’une infection nosocomiale « pure » et donc exogène,
indépendante de l’état du patient et de son évolution prévisible.
Si tel est le cas et donc si l’infection a été contractée plus de 48 heures après
l’admission et si aucune autre cause n’est établie, il conviendra ensuite de
s’interroger sur le raisonnement juridique à tenir et de déterminer la réponse que le
droit peut apporter à cette revendication légitime d’un patient injustement et
arbitrairement frappé par un mal totalement distinct des soins qu’il a reçus 15 .
3. La rate
12
Une infection nosocomiale – ou infection hospitalière – peut être définie comme suit : (i) infection acquise à
l’hôpital par un patient admis pour une raison autre que cette infection ; (ii) infection survenant chez un patient à
l’hôpital ou dans un autre établissement de santé et chez qui cette infection n’était ni présente ni en incubation au
moment de l’admission. Cette définition inclut les infections contractées à l’hôpital mais qui se déclarent après la
sortie, et également les infections professionnelles parmi le personnel de l’établissement. Lire : G. Ducel, J.
Fabry et L. Nicolle, Prévention des infections nosocomiales, 2e ed. Organisation mondiale de la Santé, 2008.
13
Civ. Liège 17 janvier 2005 ; JLMB 2006, 1185. Civ. Liège 30 novembre 2009 ; RGAR 2010, 1482. Civ.
Bruxelles 7 janvier 2010 ; JLMB 2010, p. 75.
14
RGAR 2002 N° 13.573.
15
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.
7
Nous nous étions auparavant longuement interrogé sur les difficultés rencontrées
face à ce bel organe, dont les rôles fondamentaux n’ont pas encore tous été élucidés,
tant les progrès dans le domaine de l’immunologie sont incommensurables au
quotidien 16 .
La rate est notre plus volumineux organe lymphoïde. Lieu d’échange entre le sang
circulant et le tissu lymphoïde, elle est pourvue en abondance de lymphocytes T et B
ainsi qu’en macrophages. Elle facilite, en raison de la richesse de sa vascularisation, le
contact antigénique entre les lymphocytes et les cellules présentatrices d’antigène.
Son rôle dans la défense immunitaire est donc primordial, alors que ce bel organe
était quasi dénigré par les chirurgiens qui procédaient – un peu trop rapidement – à
son ablation jusqu’il y a quelques années.
Négligé, cet organe a ainsi trouvé – à juste raison – ses lettres de noblesse et une place
de choix dans notre défense immunitaire, à un point tel qu’actuellement, les
chirurgiens tentent à tout prix, de préserver l’organe plutôt que de l’ôter.
Que dire du droit pénal face à de telles situations et que vaut une rate pour le droit
pénal ?
Rien, puisque la personne splénectomisée vit une vie strictement normale et que sa
capacité de travail personnel n’est pas du tout altérée.
Mais par contre, face à cette épée de Damoclès que représentent ces infections
fulminantes, ne nous trouvons‐nous pas en face devant une mutilation grave ?
16
J.-P. BEAUTHIER, « La rate, le mauvais sujet... Quelques réflexions à propos de l'expertise médico-légale en
matière pénale », Revue belge du dommage corporel, 1996, 23e année, p. 51-62.
17
M. ALTAMURA, L. CARADONNA, L. AMATI, N. M. PELLEGRINO, G. URGESI et S. MINIELLO, « Splenectomy and
sepsis: the role of the spleen in the immune-mediated bacterial clearance », Immunopharmacol Immunotoxicol,
2001, 23, p. 153-161, S. D. SCOTT, J. A. LOWES, F. P. MCGINN et S. J. KARRAN, « Overwhelming post-
splenectomy infection », Br J Clin Pract, 1990, 44, p. 110-111, D. J. WALDRON, B. HARDING et J. DUIGNAN, «
Overwhelming infection occurring in the immediate post-splenectomy period », Br J Clin Pract, 1989, 43, p.
421-422.
18
Ablation chirurgicale de la rate.
19
J. FURIOLI, « Séquelles et complications des traumatismes de la rate chez l'enfant », Rev Franc Dommage
Corp, 1993, p. 267-281.
8
Sur le plan civil, la situation est aisée puisque l’expert médecin émet des réserves
pour l’avenir.
Mais l’avenir n’est pas prévu par notre Code pénal. Une lacune face à la médecine ?
Nous le pensons volontiers.
1. Généralités
Elle se doit d’être rigoureuse, complète, pratiquée dans les règles de l’art, par des
médecins légistes compétents.
S’il faut remonter à la nuit des temps pour trouver la trace de l’ouverture des corps, il
fallut attendre les premiers vrais anatomistes pour enfin atteindre des techniques
valables d’autopsie, et finalement le 19e siècle pour qu’apparaissent les fondements
réels de la médecine légale, attachée à l’époque à la médecine sociale, à
l’épidémiologie.
Elle s’est organisée pour finalement aboutir à une certaine forme de considération et
acquérir ses lettres de noblesse, bien qu’actuellement, la discipline s’enlise dans notre
pays 20 , alors qu’elle se redresse notablement en France par la réforme de janvier 2011.
L’autopsie médico‐légale est cependant bien cataloguée par le Comité des ministres
aux États membres de l’Union Européenne, et c’est heureux. Les recommandations
ainsi édictées devraient être mieux adaptées dans notre pays et ce serait une forme
notable de progrès 21 .
20
Malgré l’immense progrès acquis par la reconnaissance de la discipline au rang des spécialités médicales
depuis 2002.
21
J.-P. BEAUTHIER, Harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-légale. In: J. P. BEAUTHIER, éd.
Traité de médecine légale. Bruxelles, De Boeck Université, 2008, p. 683-692, CONSEIL DE L'EUROPE - COMITÉ
DES MINISTRES. Recommandation n° R (99) 3 du Comité des Ministres aux États Membres, relative à
l'harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-légale. Conseil de l'Europe. Accessible sur:
http://cm.coe.int/ta/rec/1999/f99r3.htm, G. QUATREHOMME et D. ROUGÉ, « La recommandation n° R(99) 3 du
Comité des Ministres aux États Membres, relative à l'harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-
légale. », J Méd Lég Droit Méd, 2003, 46, p. 249-260.
9
Combien de fois certains médecins légistes osent‐ils encore pratiquer l’autopsie en
solo ? Cette pratique devrait être bannie, car il n’y a dans de tels cas, aucun contrôle,
aucune contradiction ni aucune critique possible. C’est un écart majeur par rapport
aux normes de la médecine factuelle.
Bien évidemment.
C’est l’exemple d’une mort subite et inexpliquée, dont l’autopsie complète, passant
par les régions laryngées, met en évidence des foyers hémorragiques et une fracture
des structures ostéo‐cartilagineuses du larynx, dans le cadre de phénomènes
compressifs strangulatoires. La mort subite devient un homicide, grâce à un acte
autopsique respectueux des normes en la matière 22 .
3. Niveaux de preuve
- Qui ?
- Quand ?
- Où ?
- Comment ?
- Pourquoi ?
Nous n’envisageons pas d’y répondre de manière complète mais d’aborder ci‐après
quelques aspects précis pouvant illustrer notre propos et l’application de la médecine
factuelle.
22
F. BEAUTHIER et J.-P. BEAUTHIER, Autopsie médico-légale. In: J. P. BEAUTHIER, ed. Traité de médecine
légale. Bruxelles, De Boeck Université, 2008, p. 97-118.
23
La thanatologie est l’étude de la mort tant sur le plan biologique que sur le plan sociologique.
24
J.-P. BEAUTHIER, « L'autopsie en tant que moyen de preuve - sa place dans la société actuelle », Bulletin et
Mémoires de l'Académie royale de Médecine de Belgique, 2009, 164, p. 315-326.
10
Car de manière évidente, si l’autopsie est un acte médical destiné à déterminer la
cause anatomique dʹun décès, il apparaît que cette définition est beaucoup trop
réductrice : s’il est vrai que l’acte autopsique met en évidence des altérations visibles
et donc des atteintes anatomiques, la mort ne se résume pas à un événement
anatomique mais bien physiologique ou physiopathologique et ne doit pas
nécessairement et exclusivement se traduire par des signes macroscopiques ou
microscopiques patents.
C’est l’exemple simple de trois sujets décédés chez qui l’on découvre une
coronaropathie athéromateuse 25 à l’autopsie, le pathologiste retenant dans chaque
cas, un mécanisme létal sur « pathologie ischémique 26 coronarienne ayant pu induire un
épisode de fibrillation ventriculaire terminale 27 ».
Or, lors de la confrontation avec les éléments d’enquête, il s’est avéré que dans un
cas, il sʹagissait dʹun décès par électrocution ; dans le deuxième cas, il s’agissait d’un
acte suicidaire par noyade, comme une lettre du défunt retrouvée ultérieurement put
le confirmer ; dans le troisième cas, il s’agissait d’un décès d’origine
médicamenteuse.
25
La coronaropathie est l’atteinte des artères coronaires, premières branches de l’aorte, destinées à vasculariser
le muscle cardiaque. L’athéromatose est une pathologie artérielle due à des plaques d’athérome (dépôt par
accumulation de graisses, de calcaire, de sodium, de tissu fibreux, etc.) se développant au sein des parois
artérielles et formant ainsi de véritables « tumeurs » diminuant progressivement le diamètre vasculaire et
pouvant provoquer des phénomènes obstructifs aigus, notamment par embolisation de plaques. Cette pathologie
est l’une des principales causes de mortalité et de morbidité.
26
L’ischémie correspond à l’insuffisance (ou à l’arrêt) de la circulation sanguine dans un territoire donné,
privant ainsi les cellules de l’apport indispensable en oxygène et pouvant donc aboutir à la nécrose des cellules et
tissus atteints.
27
La fibrillation ventriculaire est un trouble du rythme générateur de la plupart des morts subites. Ceci génère un
véritable paradoxe : l’on meurt rarement d’arrêt cardiaque mais bien de cette fibrillation ventriculaire,
correspondant à un rythme cardiaque très élevé et donc inefficace car la pompe musculaire ne sait pas suivre ce
rythme. La circulation générale s’arrête par conséquent et l’individu passe en état syncopal.
28
C. VANKERKEM, L'examen autopsique, argument de preuve en législation du travail. In: P. LUCAS, M.
STEHMAN, eds. L'accident du travail en l'an 2000, Vol 7. Bruxelles, Juridoc, 2000.
11
générant non seulement une hypoxie 29 myocardique brutale et sévère, mais
également un hémopéricarde (éventuellement suivi d’une tamponnade
cardiaque) et un hémothorax 30 .
Le niveau suivant est celui de lésions létales non démontrables, et dès lors un
diagnostic fondé essentiellement sur l’histoire médicale, après exclusion de
toutes les autres causes pathologiques lors de l’examen autopsique. Pensons
ainsi à la crise d’épilepsie mortelle.
29
Carence en oxygène.
30
L’hémopéricarde correspond à l’extravasation de sang dans la cavité péricardique, enveloppant le cœur. Un
hémopéricarde sous tension comprime le cœur au point de l’empêcher d’assumer sa fonction de pompe. C’est la
tamponnade. L’hémothorax correspond à l’extravasation de sang dans la cavité pleurale, espace situé entre la
paroi thoracique et le poumon.
31
Les anévrysmes de l’aorte abdominale sont des dilatations (aboutissant à la rupture) dont le point de départ
correspond à ce niveau à une dissection de la paroi vasculaire sur pathologie athéromateuse (voir ci-avant).
12
Il est bon de noter que le degré de certitude recherché sera d’autant plus facilement
atteint que plusieurs conditions régissant l’acte autopsique seront réunies :
C’est ainsi que lʹautopsie moderne nécessite une approche globale multidisciplinaire
en appelant à des compétences thanatologiques mais parfois aussi immunologiques,
sérologiques, toxicologiques ou autres 32 .
Si auparavant elle était définie comme l’arrêt de la fonction cardiaque, ce qui nous
rappelle le signe de la buée sur le miroir afin d’évaluer l’arrêt de la fonction
respiratoire voire le signe du croque‐mort, les temps ont bien changé et c’est fort
heureux, encore faut‐il définir et étudier le plus complètement possible les critères
actuels à savoir la perte de toute fonction cérébrale et l’arrêt de la circulation
artérielle encéphalique.
5. Et le moment de la mort ?
Si nous utilisons l’exemple du moment de la mort, nous nous trouvons face à des
paramètres thanatologiques qui, empiriques il y a quelques dizaines d’années,
tentent de se perfectionner par une approche la plus scientifique possible.
32
J.-P. BEAUTHIER, L'autopsie, élément de preuve. In: J. P. BEAUTHIER, éd. Justice et dommage corporel.
Symbiose ou controverse ? Bruxelles, Larcier, 2008, p. 21-37.
13
Tous ces domaines – et donc ces niveaux de preuve pourtant si utiles à l’enquête
judiciaire – restent fort difficiles et toujours sujets à de nombreuses expérimentations.
Nous pouvons citer dans notre expérience personnelle, de difficiles situations telles
que catastrophe de train 33 , catastrophe naturelle 34 , exécutions de masse 35 .
L’identification moderne se base sur les degrés de preuve, telles que détaillés dans le
Tableau 1.
De la même manière, découvrir lors de l’autopsie une séquelle osseuse pouvant être
comparée de manière incontournable à l’examen radiographique ante mortem extrait
du dossier médical à toute sa valeur.
Certaines structures anatomiques comme les sinus frontaux sont également uniques
et les comparer radiographiquement peut aboutir par cette méthodologie très simple
à une identification formelle 36 .
33
Opération DVI (Disaster Victim Identification) à Pécrot.
34
Opération DVI lors du Tsunami de décembre 2004. Lire : J.-P. BEAUTHIER et P. LEFÈVRE, « Rôle des
médecins légistes, anthropologues et odontologues lors d'activités au sein du team belge d'identification des
victimes (Belgian DVI team). Revue de l'organisation et de la gestion de ces situations dans le but d'une
identification optimale des victimes », Biom Hum Anthropol, 2008, 26, p. 45-56. Lire aussi : J.-P. BEAUTHIER, P.
LEFÈVRE, E. DE VALCK et J. DE WINNE, « Mass Disaster Victim Identification: the Tsunami Experience
(December 26, 2004) », The Open Forensic Science Journal, 2009, 2, p. 54-62. Lire aussi : J.-P. BEAUTHIER et P.
LEFÈVRE, « Gestion de l'identification des victimes lors de catastrophes majeures. L'expérience du tsunami du 26
décembre 2004 », Rev Med Brux, 2007, 28, p. 512-522. Lire aussi : J.-P. BEAUTHIER, P. LEFEVRE et E. DE
VALCK, Autopsy and Identification Techniques. In: N.-A. MÖRNER, ed. The Tsunami Threat - Research and
TechnologyINTECH, Available from: http://www.intechopen.com/articles/show/title/autopsy-and-identification-
techniques, 2011, p. 691-714.
35
Opérations DVI au Kosovo en 1999 et 2000. Lire J.-P. BEAUTHIER, P. BOXHO, J. M. CRÈVECOEUR, M.
LECLERCQ, P. LEFÈVRE et L. VOGELS, « Mission du team belge au Kosovo, science et justice à la rencontre du
drame humain - premiers résultats », Biom Hum Anthropol, 2000, 18, p. 43-48.
14
Les progrès scientifiques et technologiques – basés sur des méthodes de niveaux
divers de complexité (Tableau 2) permettent donc de s’acquitter valablement de ces
difficiles missions identificatoires, de rendre les corps des disparus aux familles, qui
peuvent ainsi entamer leur processus de deuil 37 .
Comparaisons radiologiques
Comparaisons odontologiques
Identité formelle (*)
Empreintes digitales
Empreintes génétiques
Papiers d’identité
Identité probable Tatouages (**)
Formule dentaire compatible
Cicatrices (**)
Identité possible
Antécédents pathologiques
Formule dentaire incompatible
Identité exclue
Antécédent de fracture incompatible
(*) Avec certaines nuances sur le plan scientifique dans des cas particuliers.
(**) À noter qu’une identification formelle peut être dans certains cas obtenue face à certains
tatouages ou certaines cicatrices que l’on pourrait qualifier de « uniques ».
Reconnaissance visuelle
Simples
Vêtements, objets personnels, bijoux
Empreintes digitales
36
G. QUATREHOMME, P. FRONTY, M. SAPANET, G. GRÉVIN, P. BAILET et A. OLLIER, « Identification by frontal
sinus pattern in forensic anthropology », Forensic Sci Int, 1996, 83, p. 147-153.
37
I. DE LA SERNA, M. DEBRACKELEER et O. DELMARCHE, « L'identification de la personne en droit belge », Biom
Hum Anthropol, 2005, 23, p. 143-148.
38
G. QUATREHOMME, S. COTIN, V. ALUNNI-PERRET, Y. GARIDEL, G. GRÉVIN, P. BAILET, A. OLLIER et A. N., «
La superposition, la restauration et la reconstruction faciales: une aide à l'identification médico-légale », J Méd
Lég Droit Méd, 1998, 42, p. 11-22. Voir aussi : J.-P. BEAUTHIER, P. LEFÈVRE, R. ORBAN, C. POLET, G. GRÉVIN
et G. QUATREHOMME, L'anthropologie et la personne décédée. In: J.-P. BEAUTHIER, éd. Traité de médecine
légale. Bruxelles, De Boeck, 2011.
39
J.-P. BEAUTHIER et P. LEFÈVRE, « Gestion de l'identification des victimes lors de catastrophes majeures.
L'expérience du tsunami du 26 décembre 2004 », Rev Med Brux, 2007, 28, p. 512-522.
15
Imagerie médicale (radiographies)
Autopsie médico-légale
Particularités anatomiques
De complexité intermédiaire Particularités séquellaires
Anthropologie
Odontologie
ADN
Techniques anthropologiques spécialisées
De complexité importante
comme la restauration faciale ou la
reconstruction faciale
C. Un exemple caricatural
Les faits : un pompier développe dans les heures qui suivent une intervention
nocturne, un état de coma duquel il ne sortira pas vivant.
Basée sur l’étude du dossier médical, l’expertise conclut en une thrombose bilatérale
des deux artères vertébrales, pouvant être en relation avec une hyperextension
prolongée de la colonne cervicale de ce travailleur, tentant en vain de circonscrire le
très important incendie.
16
subclavière respective, serait bien un hasard extraordinaire pour ne pas dire
impossible.
Et l’artère basilaire peut‐elle être coincée par une tête en flexion ? L’anatomie
élémentaire nous en apprend l’impossibilité, puisque ce tronc artériel est en rapport
ventralement avec une solide structure osseuse crânienne 41 non influencée par un
quelconque mouvement 42 .
Ce sont donc des notions simples, basiques (ainsi que l’étude objective des éléments
initiaux), qui ont renversé inéluctablement cette imputabilité, démontrant la mort
naturelle, l’événement purement endogène et donc formellement indépendant d’une
quelconque relation avec un supposé événement lié aux conditions de l’activité
professionnelle de ce travailleur.
DISCUSSION
Un médecin a une obligation de moyen et non de résultat. Par son écoute du patient,
par ses connaissances de la médecine, par son expérience, par sa compétence et par
40
Anc. tronc basilaire.
41
La lame basilaire de l’os occipital.
42
De la même manière, les traumatismes intracrâniens de l’artère vertébrale sont très rares. Lire à ce propos : C.
KAISER, A. SCHNABEL, J. BERKEFELD et H. BRATZKE, « Traumatic rupture of the intracranial vertebral artery due
to rotational acceleration », Forensic Sci Int, 2008, 182, p. e15-e17.
43
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.
17
son esprit d’initiative qui doit l’amener, le cas échéant, à recourir à la prescription
d’examens, à recommander son patient auprès d’un confrère spécialiste ou à prendre
la décision de l’hospitaliser, il a l’obligation de tout mettre en œuvre pour guérir son
patient, pour améliorer son état de santé ou, dans l’hypothèse d’une maladie
incurable, pour soulager ses douleurs 44 .
L’acte posé, la décision prise, doivent être comparés à ceux d’une personne
normalement prudente et diligente, de la même catégorie (profession, niveau
d’éducation, etc.) et placée dans les mêmes circonstances objectives de temps et de
lieu.
La Cour d’appel de Mons complète en soulignant : […] cette appréciation doit tenir
compte de la nature de l’intervention médicale et des règles qui la concernent,
notamment sur la liberté de diagnostic et de thérapie, sans s’aventurer dans des
considérations d’ordre scientifique ou technique qui pourraient faire l’objet de
controverses dans le milieu médical 47 .
44
Cour d’appel de Bruxelles, 16 juin 2009.
45
H. ANRYS, La responsabilité civile médicale, Bruxelles, Larcier, 1974.
46
G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010.
47
Mons, 29 septembre 1986, R.G.A.R., 1987, N° 11.282 in Ibid.
18
Le médecin normalement prudent et diligent exerce son art en se fondant sur le
dernier état de la science […] au moment où l’acte a été accompli […]. On exige ainsi
une certaine unanimité scientifique sur la valeur de la méthode en cause 48 49 .
CONCLUSION
C’est tant une démonstration qu’un plaidoyer pour une bonne pratique de la
médecine légale, une promotion de la discipline, un regain de celle‐ci, de son
enseignement et de sa reconnaissance dans notre pays, où elle a tendance à être
négligée, alors qu’elle représente – pour la médecine et pour la justice – un outil
essentiel dans la recherche de la preuve, dans le respect des critères scientifiques et
de bonne pratique médicale ou médico‐légale.
Cette recherche s’inscrit dans le raisonnement très général qui domine l’expertise, à
savoir l’appréciation de la lésion, du dommage et de la relation d’imputabilité entre
ceux‐ci.
L’expert, bien qu’il n’émette qu’un avis, doit s’entourer de toutes les notions et toutes
les techniques actualisées. C’est donc là qu’apparaît la nécessité de baser le
raisonnement sur les références scientifiques.
Le sujet est vaste, dépassant la médecine légale stricto sensu, pour s’orienter
également vers toutes les techniques de laboratoire utiles (et notamment la
toxicologie, l’anatomie pathologique, la criminalistique, etc.). Les critères et normes
de qualité, la validation des techniques utilisées et une bonne exploitation des
données de la littérature basée sur les principes directeurs de la médecine factuelle
permettront d’approcher au mieux l’excellence dans ces domaines. Ce sont des
exigences actuelles de l’expertise, si l’on veut qu’elle puisse être utilisable par la
justice.
BIBLIOGRAPHIE
48
Bien que soit également apportée la nuance d’une possible école médicale dissidente, pouvant se voir accorder
un certain crédit.
49
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21