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Rapport à la culture et formation du sujet lecteur

Falardeau, É., Simard, D., Gagné, J.-C., Carrier, L.-P., Côté, H., Émery-Bruneau, J. (2009). Rapport à la culture et formation du sujet lecteur. Dans Daunay, Delcambre & Reuter (dir.) Didactique du français: le socioculturel en question. Lille : Presses universitaires du Septentrion. 111-122.

RAPPORT À LA CULTURE ET FORMATION DU SUJET LECTEUR Érick FALARDEAU, CRIFPE, Université Laval, Québec, Canada Denis SIMARD, CRIFPE, Université Laval, Québec, Canada Julie-Christine GAGNÉ, CRIFPE, Université Laval, Québec, Canada Louis-Philippe CARRIER, CRIFPE, Université Laval, Québec, Canada Héloïse CÔTÉ, CRIFPE, Université Laval, Québec, Canada Judith ÉMERY-BRUNEAU, CRIFPE, Université Laval, Québec, Canada INTRODUCTION Cette contribution au symposium La part du socioculturel dans la formation du sujet lecteur s’inscrit dans les travaux de recherche menés depuis quelques années par le GREC (Groupe de recherche sur l’enseignement et la culture) de l’Université Laval. Elle vise à décrire, analyser et comprendre la part du socioculturel – représentations, stéréotypes, connaissances, valeurs, influences sociales et institutionnelles, etc. – dans l’activité de lecture de l’enseignant et la prise en compte par ce dernier du socioculturel dans la formation du sujet lecteur. Le cadre théorique du rapport à la culture nous aidera à mieux comprendre cette double activité du sujet lecteur (enseignants et élèves), en s’intéressant moins aux différences socioculturelles entre les individus qu’à la part des influences sociales et culturelles dans l’activité du sujet lecteur. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’analyse d’un corpus de 18 entretiens semi-dirigés menés auprès d’enseignants du français du secondaire au Québec. CADRE THÉORIQUE ET CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES Cette préoccupation pour le sujet lecteur s’inscrit dans un projet de recherche plus large du GREC portant sur le rapport à la culture des enseignants et son influence sur la formation de l’élève comme sujet de culture, en classe de français. Le rapport à la culture peut être défini comme un ensemble organisé de relations dynamiques d’un sujet situé avec des acteurs, des savoirs, des pratiques et des objets culturels (Falardeau, Simard, 2007). Il implique un sujet réel, en relation plus ou moins soutenue, de façon plus ou moins réflexive, avec la culture. Ce rapport à la culture peut être appréhendé à travers les dimensions subjective, épistémique et sociale. La dimension épistémique désigne principalement le statut des savoirs dans les pratiques culturelles, leur histoire, leur évolution, leurs représentations sociales. C’est cette dimension épistémique qui amène le sujet à considérer la culture comme un médiateur plus ou moins important dans ses projets personnels, à adopter un rapport réflexif aux savoirs culturels et aux différentes postures épistémologiques qu’ils impliquent, de façon explicite ou implicite. La dimension subjective désigne l’individu, son histoire comme sujet de culture, son activité réflexive à l’égard des objets qu’il s’approprie et des pratiques auxquelles il se livre, ainsi que ses représentations de la culture. La dimension subjective recoupe aussi les projets qui amènent le sujet à s’engager dans des pratiques culturelles. Les aspects axiologiques désignent la valeur ou le sens que l’individu attribue à la culture. Enfin, les aspects psychoaffectifs du rapport à la culture considèrent les sentiments et les désirs qui animent le sujet dans sa relation avec des objets ou des pratiques culturels. La dimension sociale place le sujet et son objet au cœur des relations qu’ils tissent avec les hommes, les objets et les diverses interprétations du monde. Les relations d’un individu avec ses camarades, ses pairs, sa famille, ses professeurs, ses élèves, etc. jouent un rôle prédominant dans son rapport à la culture, dans la mesure où ces relations constituent des influences qui rapprochent ou éloignent le sujet de la culture. De la même façon, les différentes interprétations du monde auxquelles est confronté un individu dans toutes ses relations sociales participent à la définition de son rapport à la culture. Pour comprendre l’activité enseignante dans ce cadre théorique, nous avons découpé deux plans distincts : individuel, désignant le rapport à la culture de l’individu, et pédagogique, compris comme la prise en compte par l’enseignant de l’élève comme sujet de culture. Ce cadre théorique nous permet de mieux comprendre la façon dont le sujet lecteur (enseignants et élèves) intègre une multitude de références sociales et culturelles dans son activité lectorale et la manière dont l’enseignant se montre sensible au rapport complexe de l’élève à la lecture littéraire – en d’autres termes à l’élève comme sujet lecteur. Il s’agira donc d’étudier le socioculturel dans sa diversité auprès des enseignants lecteurs pour analyser la relation entre les plans individuel et pédagogique. Pour ce faire, nous avons mené 18 entretiens auprès d’enseignants de français du secondaire au Québec, en portant notre attention sur les questions liées à la formation du sujet lecteur. Les données obtenues ont été soumises à une analyse de contenu à catégories mixtes (préétablies et émergentes). Cette analyse nous a permis d’une part de mettre en lumière la part du socioculturel dans l’activité de lecture de l’enseignant (plan individuel) et, d’autre part, d’étudier la façon dont les enseignants prennent en compte le socioculturel dans la formation des sujets lecteurs (plan pédagogique). L’examen de ces deux plans rend possible une clarification de la relation entre l’activité de l’enseignant comme sujet lecteur et son intervention dans la formation d’élèves lecteurs. LA CONSTRUCTION DE L’ENSEIGNANT COMME SUJET LECTEUR PAR LE SOCIOCULTUREL La construction de l’enseignant comme sujet lecteur s’inscrit dans une histoire individuelle mais aussi dans un réseau complexe d’influences sociales. Ces influences sur l’individu se répercutent, à des degrés variables, sur ses pratiques d’enseignement de la lecture littéraire et la formation de l’élève comme sujet lecteur. C’est cette relation entre le plan individuel et le plan pédagogique du rapport à la culture que nous présenterons dans les lignes qui suivent en mettant d’abord l’accent sur le plan individuel. Regard de l’autre et regard sur l’autre en lecture littéraire Plusieurs des enseignants interrogés ont expliqué à quel point le regard que les autres portaient sur eux a été déterminant dans la construction de leur identité comme sujet lecteur. Le cas de P-151 est exemplaire à cet égard : elle se décrit comme une enfant solitaire qui a du mal à entrer en relation ; le livre, c’est le refuge, l’imaginaire. Adolescente, son amour des livres combiné à sa passion des mots la marginalisent : Quand je suis arrivée au secondaire, parce que mes parents m’avaient fait prendre des cours de diction puis j’adorais ça, puis j’ai toujours adoré les mots nouveaux, mais ça été mal vu. […] Moi je pensais pas que je dépassais, mais je dépassais. Pas parce que j’étais plus qu’eux, c’est parce que j’étais pas comme eux, un peu différente. […] Les mots que j’utilisais étaient pas les mêmes que les leurs, mon accent était pas le même. […] Puis tout d’un coup, j’avais l’étiquette snob. […] Ç’a été tellement pénible que 20 ans après, quand ç’a été le temps de retourner au pensionnat pour rencontrer, je m’étais inscrite puis j’ai fini par pas y aller. (p. 3 : 35-44 ; p. 4 :8-122) Elle-même victime d’intolérance, de railleries, en raison de son amour de la langue et des livres qui la différenciait des autres, non seulement combat-elle les préjugés en classe, mais encore oriente-t-elle son enseignement de la littérature pour que ses élèves apprennent à comprendre les autres à travers les œuvres, sans juger : C’est quelque chose [Le Choix de Sophie de William Styron] d’extrêmement fort qui m’a dérangée beaucoup quand elle doit choisir entre ses deux enfants. Quand j’ai lu ça, j’avais un petit bébé, puis ma petite fille de trois ans. J’ai tellement pleuré, puis je suis pas la seule à avoir pleuré. La pire des abominations. Choisir entre ses deux enfants lequel va survivre. Bien ça, mes élèves, ils le sentent. C’est eux qui sont en guerre. Qu’on 1. La lettre « P » suivie d’un numéro indique le code donné à chacun des enseignants de notre échantillon. 2. Ces références renvoient aux transcriptions des entretiens. arrête de penser que c’est toujours les autres qui sont en guerre, puis que c’est toujours les autres qui vivent des affaires terribles. C’est nous. (p. 6 : 21-28) Cette citation illustre clairement la façon dont son expérience individuelle de la culture et de la littérature oriente sa prise en compte de la subjectivité des élèves. Leurs émotions comme leurs prises de conscience ont une place dans la classe. Plus loin, parlant du Livre de Saphir de Sinoué, elle explique à quel point « il faut travailler pour être moins intolérant, [éprouver] plus de compassion » (p. 6 : 45). Dans ses cours de littérature, elle cherche à former des personnes qui partagent ses valeurs de respect, de tolérance et de compréhension. La littérature dans la transformation du rapport au monde Les univers culturels représentés dans les textes littéraires et le regard que ces derniers jettent sur le monde transforment souvent notre compréhension des rapports humains, des réalités sociopolitiques et culturelles, des questionnements éthiques et philosophiques. Pour P26, un enseignant d’origine libanaise arrivé au Québec à l’âge de douze ans, la littérature a joué un rôle capital dans sa quête identitaire et sa compréhension de lui-même. Toutefois, cette prise de conscience est venue tardivement, parce qu’à l’école secondaire, les enseignants de français qui voulaient nous faire lire de quoi, c’était des livres que je trouvais fades, puis on nous assénait des examens. […] C’était des questions pourquoi a-t-elle fait, il ne fallait pas justifier, c’était juste une petite réponse et ça, ça me dégoutait de la lecture, ça me dégoutait de tout cet univers-là et tout ce qui vient avec. (p. 3 : 22-26) C’est grâce à un professeur significatif au secondaire, « qui rendait la littérature présente et vivante » (p. 2 : 25), qu’il se met à lire sur ses origines, pour comprendre qui il est, en lisant Amin Maalouf notamment. Cette construction de la référence identitaire teinte fortement son regard sur le monde, notamment la culture québécoise : J’essaie de voir, étant donné que je suis imprégné de culture orientale arabe, j’essaie de voir un peu les différences entre les cultures quand je lis. À chaque œuvre que je lis, je pense un peu à moi-même, à mon bagage culturel, celui de mes parents, de ma famille et je le confronte à ça. C’est peut-être ça, quand je vous disais que j’essaie de mettre des éléments, des visages, j’essaie de trouver des points communs entre les deux, entre ces deux univers-là et j’essaie de trouver des points différents, ce qui va diverger un peu entre les deux. (p. 6 : 1-7) Cette quête identitaire amène P-26 à privilégier dans l’enseignement littéraire le questionnement sur soi et sur l’autre, la quête identitaire où la littérature devient un lieu de dialogues, d’échanges, de confrontations d’univers socioculturels. S’agissant de sa lecture des Identités meurtrières d’Amin Maalouf avec ses élèves, il aborde cette thématique de l’identité : Quand je parle avec mes élèves, je parle de cette question-là, en général, globalement et parce que c’est vrai qu’à travers mes lectures, c’est la question de l’identité que j’essaie de retrouver un peu partout. Pourquoi j’en parle à des élèves québécois d’origine, parce que je trouve que le phénomène de l’immigration se fait à deux sens. Il y a l’immigrant qui arrive ici, il doit adopter une attitude envers la société qui l’accueille et il y a aussi les gens qui sont là, donc ceux natifs du Québec. (p. 7 : 2-7) Ce qui frappe dans la dernière citation, c’est que la réflexion de P-26 témoigne d’une prise de conscience du rôle de ses propres questionnements culturels dans les orientations qu’il donne à son enseignement de la littérature. C’est là une illustration forte de l’interrelation que nous postulons théoriquement entre les plans individuel et pédagogique du rapport à la culture, à travers la formation du sujet lecteur. Les savoirs littéraires dans la formation de soi Dans un long soliloque sur le sens des savoirs dans sa propre formation académique et dans son travail d’enseignant, P-18 développe une conception du savoir qui s’oppose à un enseignement littéraire centré sur la transmission de dates et de faits, au détriment de la formation du sujet. Autant pour lui que pour ses élèves, il revient sans cesse sur cette « quête de sens » qui trouve ses points d’ancrage dans son enfance, chez certains maitres érudits et rigoureux, enfin, dans la littérature : Quand j’ai lu La part de l’autre d’Éric-Emmanuel Schmitt, c’est exactement ce sentiment que j’ai pu ressentir au plus profond de moi-même et de ma pensée. De voir que tout ce qu’il explique, tout ce que le regard de l’autre, on pourrait dire tout ce que la pensée de l’autre, tout ce que l’écriture de l’autre que l’on s’approprie peut nous faire découvrir de nous-mêmes. Éric-Emmanuel Schmitt va même encore plus loin en disant que ce que nous découvrons d’essentiel sur nous-mêmes, c’est l’autre qui nous le fait découvrir, et c’est ça, la part de l’autre. (p. 4 : 37-43) P-18 ira jusqu’à dire que la lecture du roman de Schmitt aura été pour lui une véritable révélation, parce que les mots du romancier lui font prendre conscience que sa « quête de sens » ne peut avancer sans l’apport de l’autre, sans le regard distancié qu’il nous permet de jeter sur nous. Et « l’autre à l’école, il s’appelle d’abord le savoir. Le savoir. C’est la raison d’être de l’école » (p. 5 : 12). La quête de sens reste toujours au cœur de son enseignement, mais elle est médiatisée par les savoirs institutionnels qui permettent de mettre en forme l’expérience en lui donnant des significations plus explicites : L’école, pendant l’enfance, à l’adolescence, au collégial, à l’université, c’est la même chose, à des degrés divers, c’est ce qui permet d’aller chercher partout autour de nous, en nous et de greffer les choses pour que ça se tienne. Pour qu’il y ait de la cohérence dans notre vie. […] Si l’école se sert pas du savoir pour réunir toutes ces choses, qu’est-ce qu’on fait à l’école ? On est aussi bien de rester dans la rue. Parce qu’on va avoir de l’expérience de vie, au moins ! (p. 5 : 3-6 ; 29-31) Si le savoir est central dans le plan individuel du rapport à la culture de P-18, il structure fortement la façon dont il pense la formation du sujet lecteur dans ses dimensions tant cognitives, affectives que sociales. LES CONTRAINTES INSTITUTIONNELLES La relation entre le plan individuel et le plan pédagogique du rapport des enseignants à la culture est médiatisée par des facteurs institutionnels qui pèsent souvent de façon importante dans la formation du sujet lecteur. C’est le cas par exemple de P-7 qui enseigne dans un milieu rural, dans une école dite « orientante » : Le roman qu’ils lisent actuellement, c’est un roman policier en secondaire 4. L’objectif, c’est une approche orientante. […] Ça vise, si possible, à faire des liens avec le monde du travail dans nos cours. Quel est le lien que je fais ? Bon ils lisent un roman policier, […] en 3 paragraphes, tu dis « moi j’aimerais ou je n’aimerais pas faire un métier qui est dans le roman que j’ai rencontré : médecin légiste, coroner, avocat et ci et ça ». Ils rencontrent plein de métiers au travers de ces romans-là. « Tu t’exprimes là-dessus ». (p. 10 : 39-47) Et dans le choix des œuvres et dans ses choix didactiques, P-7 ne peut penser la formation du lecteur dans le sens d’une découverte et d’une appropriation des univers représentés ; la raison d’être de la lecture est extérieure au lecteur, instrumentalisée et dictée par une fin qui ne relève en rien du lecteur sensible et réflexif. Pour P-32 également, plusieurs facteurs institutionnels entravent la formation du sujet lecteur, notamment les règles budgétaires émises par le ministère de l’Éducation qui interdisent l’achat de livres par les élèves : « on veut les sensibiliser aussi à prendre un vingt dollars puis à s’acheter un livre au lieu de s’acheter une petite camisole au Garage. […] avant, je le faisais acheter par les élèves, ils pouvaient écrire dedans s’ils voulaient, mais maintenant, ils ont coupé ça. » (p. 2 : 26-32) Ces règles institutionnelles ont un impact négatif sur la formation culturelle de l’élève et celle du sujet lecteur : en effet, P-32 organise tout son enseignement littéraire autour des œuvres intégrales (15 par année) ; elle souhaite amener ses élèves à s’approprier des œuvres en les annotant, en pliant des pages, bref, à faire en sorte que le livre devienne le leur. Elle mentionne également les risques encourus par une école qui s’oriente résolument vers les programmes à vocation particulière, favorisant les élèves les plus forts : « C’est ça qui s’en vient. Dans les écoles, une épuration épouvantable. Ça fait que le régulier, c’est plus le régulier, il y a plus de leader positif pour drainer. Avant, on avait 7-8 forts, des moyens, 7-8. C’était correct, c’était un beau mélange. Maintenant, il y a deux forts, deux moyens forts. […]. [De la littérature] ils en font pas beaucoup en secondaire 4. Ils lisent deux romans, moi j’en lis 15 » (p. 7 : 17-23). P-32 voit bien que, dans un tel contexte, il devient pratiquement impossible de former des sujets lecteurs au régulier, parce que ces classes n’ont plus de pratiques de lecture fréquentes, de dynamique d’échange autour du livre. Un des effets pervers de cette « épuration », c’est que les enseignants de français faibles lecteurs, peu intéressés par la littérature, se retrouvent au régulier, ce qui prive les élèves de modèles, selon P-21 : « Je trouve qu’on veut niveler un petit peu vers le bas, puis je dis que je veux pas dénigrer mes collègues, mais c’est un peu ça. Mais le choix des livres qu’ils font des fois… » (p. 4 : 28-29). Elle déplore après ce commentaire le fait qu’une charge d’enseignement en français ait été attribuée à un enseignant d’éducation physique pour des raisons d’ordre purement syndical : « Je trouve ça un peu particulier, en français. C’est notre langue, c’est ce qui nous sert dans toutes les autres matières, puis on trouve pas ça assez important pour trouver des profs compétents en français. » (p. 4 : 32-35) P-9 renchérit, critiquant ses collègues faibles lecteurs : « Et pis, plus triste que ça, j’ai des collègues qui enseignent le français, mais qui ne pratiquent pas le français dans leur vie. Ils pourraient enseigner, je sais pas moi, la diététique, pis ça serait probablement pareil. » (p. 6 : 24-26) Les enseignants soucieux de la formation culturelle des élèves, on le voit, sont consternés devant ces cohortes ne recevant pas à l’école une formation en littérature qui donnerait un élan et un sens à leur appropriation des œuvres. LA MISE EN RAPPORT DE L’ENSEIGNANT SUJET LECTEUR ET DE SES ÉLÈVES DANS LA CLASSE Réfléchissant au fil des ans à la pertinence des activités proposées aux élèves autour des œuvres lues, P-32 en est venue à transformer ses pratiques d’enseignement et d’évaluation. Parce qu’elle vit la littérature à travers toute sa subjectivité et qu’elle se montre sensible au sens que les élèves donnent aux activités sur les livres, à leur affectivité, elle rejette le modèle traditionnel des questions anecdotiques sur les œuvres : [Les élèves] savent qu’ils travaillent pas dans le vide, ils savent que comparativement à une compréhension de texte, un petit texte niaiseux puis quatre, cinq questions, ils savent que ça, ça vaut rien. Moi, je dénigre pas, je dis pas que ça vaut rien, parce qu’ils ont des amis au régulier, mais je leur dis que pour moi, c’est pas un investissement à long terme de répondre à des questions sur un petit texte. […] Puis là, un texte, moi, c’est ça qui me choquait de ces examens-là, que voulait dire le personnage en disant telle affaire, ils te donnent 5, 6 possibilités de réponses, mais le flo [l’adolescent], il a compris d’autres choses, lui. Puis là, je fais quoi ? Si je dis oui à lui, il faut que je dise oui à l’autre. Là, les autres profs viennent te voir et disent : « Tu as accepté ça ? » « Bien oui, c’est pas bête… » (p. 8 : 33-46) Devant cette impasse, elle définit une approche qui permet l’expression d’une subjectivité en classe de littérature. Elle se trouve alors confrontée à ses propres interprétations qui ne correspondent pas toujours avec ce que ses élèves lui proposent, souvent de façon très articulée : Je fais lire Le Parfum à tous mes élèves et je leur demande : « Est-ce que Jean-Baptiste Grenouille a sa place dans une société ? » Je les laisse aller avec ça en 500 mots. 98 % des élèves vont me dire : « Non, c’est sûr, il massacre tout le monde. » […] Le premier qui m’a dit oui, j’ai dit : « Oh non ! Il coule, c’est sûr ! » Ma première réflexion. Et après ça, quand j’ai lu son analyse, son hypothèse, puis de la façon dont il la développait, il a eu 98 %. […] Et c’était développé par un petit gars dont je ne m’attendais vraiment pas à ça. […] Je pense que c’était sa façon de le voir. […] Puis je dis toujours à mes élèves : « Arrêtez d’essayer de me dire ce que vous pensez que je veux entendre. Dites-moi ce à quoi vous croyez, puis si vous êtes capables de bien l’analyser, de bien le développer, de bien l’expliquer, vous allez avoir vos points. […] Moi, ce que je regarde, c’est ce que vous en avez retiré, puis c’est très différent d’un élève à l’autre. » (p. 4 : 27-47) La dimension subjective dans ses aspects psychoaffectifs, réflexifs et axiologiques est le moteur d’une rencontre, d’un dialogue entre l’élève-lecteur et l’univers de l’œuvre, et ce, au prix d’un choc qui force l’enseignant à transformer son rapport à la culture de l’élève. En d’autres termes, l’élève comme sujet lecteur prend pleinement sa place dans une telle approche de l’enseignement littéraire : P-32 reproduit avec ses élèves ce qu’elle cherche ellemême comme lectrice, des rencontres fortes et significatives. CONCLUSION Ce que nous avons essayé de montrer à travers les trois points d’analyse esquissés ici rapidement, c’est qu’il existerait une relation significative entre les plans individuel et pédagogique du rapport à la culture, dans l’enseignement de la littérature. Autrement dit, la double nature du rapport à la culture qui soutient notre analyse dans ce texte nous semble un point d’appui relativement solide pour amener les étudiants en formation à l’enseignement et les enseignants à assumer de façon réflexive leur propre subjectivité de lecteur dans leur relation à la formation d’élèves sujets lecteurs. RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE FALARDEAU Érick, SIMARD Denis (2007) « Le rapport à la culture des enseignants de français et son rôle dans l’articulation de la culture avec les contenus disciplinaires », dans É. FALARDEAU et al. éd., La didactique du français. Les voies actuelles de la recherche, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 147-164.
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