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Acratie

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Acracia, Barcelone, 1886.
Acratia, journal de la Fédération ibérique des jeunesses libertaires du Nord (22 mai 1937).

L'acratie (ou acratisme ou acrate) est un concept de philosophie politique, inspiré de l'espagnol acracia, qui définit un état d'absence d'autorité, de domination, de pouvoir[1].

Le terme est d’un usage fréquent dans la tradition libertaire hispanophone[2] où il est utilisé notamment comme titre pour de nombreuses publications[3],[4].

Certains anarchistes useront du terme « acratie » (du grec « kratos », le pouvoir), donc littéralement « absence de pouvoir », plutôt que du terme « anarchie » qui leur semble devenu ambigu ou péjoratif. De même, certains anarchistes auront plutôt tendance à utiliser le terme de « libertaires »[5].

Définitions

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Étymologiquement, le terme vient du grec ἀ-κρατία, « absence de » « pouvoir ».

En 1914, La Revue politique internationale précise : « L'A-cratie n'est pas l'A-narchie. L'Acratie est l'idéal d'une société ignorant toute exploitation économique, l'anarchie est l'idéal d'une société dépourvue de toute autorité et de tout pouvoir juridique coercitif : ce sont donc, tout d'abord au point de vue abstrait, deux concepts totalement opposés. »[6]

Cette définition est renforcée, en 1936, par les Archives pour la science et la réforme sociales qui lui donne le « sens du manque de toute espèce d'exploitation, non […] celui d'absence complète de l'autorité »[7].

Pour l'Encyclopédie anarchiste, « le mot a-crate […] signifie l’absence de tout pouvoir » et « pour que l’anarchisme ne se mue pas en outil de conservation sociale ou morale, […] il est nécessaire qu’en son sein se concurrencent toutes les éthiques antiautoritaires, toutes les façons acratiques […] de vivre la vie »[8].

La Gran Enciclopèdia Catalana y consacre deux articles, où sont définies une « Doctrine qui nie la nécessité de l'existence du pouvoir politique et de l'autorité, et dont l'objectif est de les supprimer. »[9] et avec un lien vers anarchisme, une « situation sociale où il n'y a pas de pouvoir, avec peu ou pas d'autorité »[10].

Pour Les Études bergsoniennes en 1970, « l'acratie [est] la liberté de désobéissance à la force politique […] par l'acratie est rendue possible l'anarchie qui constitue le règne de la morale des fins. »[11]

Pour le politologue Jacques Viard, « La République proudhonienne est une « acratie, une anarchie positive qui se passe de souverain parce qu'elle fait confiance à la liberté. […] Ainsi la république gouvernement de la démocratie identifiée à l'acratie - abolition de toute autorité arbitraire - est-elle bien une an-archie, c'est-à-dire « une absence de souverain », de souveraineté, même populaire. »[12]

Historiologie

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Rafael Farga i Pellicer.

La paternité du néologisme Acracia est parfois attribuée à Rafael Farga i Pellicer[13] (1844-1890), militant syndicaliste catalan. En 1886-1888, Pellicer utilise l'expression dans des articles publiés dans Acracia, journal qu'il a fondé à Barcelone avec Anselmo Lorenzo[14]. Entre janvier et , il y publie une série de textes titrés « Acratismo societario »[15].

En 1887, au congrès de la Fédération régionale espagnole de l'Association internationale des travailleurs, un Manifeste est adopté et publié dans le journal El Productor : « Nous proclamons l'acratie et nous aspirons à un régime économico-social dans lequel, par l'accord des intérêts et la réciprocité des droits et des devoirs tous seront libres, tous contribueront à la production et jouiront du plus grand bonheur possible, qui consiste en ce que les produits consommés soient le fruit du travail de chacun, sans exploitation, et par conséquent sans les malédictions d'aucun exploité. »[16],[17]

Dans une lettre du , le célèbre photographe Nadar écrit : « J’en suis venu à l’acratie pure et simple qui m’apparaît comme l’unique vérité de demain »[18].

En 1897, s'interrogeant sur les positions de Francesco Merlino, A. D. Bancel écrit dans L'Humanité nouvelle : « Notre auteur essaie de démontrer […] que la démocratie - gouvernement de tous en général - équivaut à l'anarchie, à l'acratie, à la suppression de tout gouvernement. »[19] Et, dans la même livraison, A. Hamon affirme « qu'existent ou que peuvent exister des socialismes anarchiques ou acratiques, des socialismes autocratiques, des socialismes théocratiques, des socialismes monarchiques, des socialismes parlementaires, etc. »[20]

En 1901 sort au Chili, le journal El Ácrata dont le titre « résume un point fondamental de la doctrine » libertaire[21] et « stipule un point fondamental et bien connu de la pensée révolutionnaire »[22].

À Buenos-Aires, le , Antonio Pellicer Paraire fonde le journal La Protesta humana, où il utilise la synonymie entre acratísmo et no autoritarismo.

En 1901, l'espagnol Francisco Ferrer, « s'étant intéressé au républicanisme puis à l'acratie »[23] fonde à Barcelone la première École Moderne dont, selon William Archer, « le programme […] était indiscutablement acrate. Sa finalité était conceptuellement libertaire : antipatriotique, antimilitariste, rationaliste, antiétatique. »[24]

En 1901, dans son étude Le militarisme et l'attitude des anarchistes et socialistes révolutionnaires devant la guerre, le Néerlandais Ferdinand Domela Nieuwenhuis interpelle :

« C'est le célèbre philosophe Kant qui, dans son projet de paix perpétuelle, dit que toutes les craties, que ce soit l'autocratie, l'aristocratie ou la démocratie (gouvernement d'un seul, des meilleurs ou du peuple), sont funestes et despotiques. À bas donc les craties ; mais qu'est-ce donc autre que l'anarchie ou l’acratie[25] ? »

En 1904, le jeune socialiste libertaire Charles Péguy[26] consacre trois conférences à l'École des Hautes Études Sociales au thème de l'acratie[27].

« Il avait défini deux formes de l'autorité, la forme cratie et la forme archie ; celle-ci noble, celle-là dégradée. La cratie, disait-il, est l'autorité sans passé, sans principe et qui s'impose par la peur. L'archie est fondée sur des supériorités réelles, sur de longues expériences, sur des croyances, des nuances de consentement intime, des adhésions loyales […] Il se déclarait lui-même acratiste, mais archiste[28]. » « Péguy n'a rien — il en a même fait la théorie — contre l'autorité de compétence. Mais il s'insurge contre l'autorité de commandement, surtout lors qu'elle se manifeste dans le domaine de la raison. Cet “acratisme” dont il se targue s'en prend bien sûr à l'aspect le plus grossier de l'appétit de pouvoir[29]. »

Pierre Kropotkine ou Martin Buber utilisent le terme comme synonyme d'anarchie.

En 1916, E. Armand fonde le journal Par-delà la mêlée sous-titré « acrate, individualiste, éclectique, inactuel »[30].

En 2018, l'économiste et chercheur en philosophie Frédéric Lordon précise : « Le courant politique que l’on appelle "anarchisme", comme visée d’un monde sans pouvoir ni domination, devrait en fait s’appeler "acratie" »[31].

Bibliographie

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  • Ariane Desporte, « Dictionnaire et énonciation »[32], Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, volume 7, 1988
  • D. Kessous, Vive l’Acratie[33], La Grande Relève, no 970, .
  • (es) Vladimiro Muñoz, Antología acrata español, Barcelone, Grijalbo, 1974[34].

Documentaires

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Notes et références

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  1. (es) « Doctrina que propugna la supresión de toda autoridad », Diccionario de la lengua española, 2005, lire en ligne.
  2. « un socialisme pratique, qui ne se réclame pas encore, du moins en Espagne, du marxisme ou de l'acratie », Juan-Bautista Vilar. Carthagène et son district minier aux origenes du mouvement ouvrier espagnol (1856 - 1870), Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 22, 1986. page 355, DOI 10.3406/casa.1986.2472.
  3. (es) « Nombre de varias publicaciones periódicas de conlenido libertario », Miguel Iñiguez, Esbozo de una Enciclopedia histórica del anarquismo español, Fundación de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, Madrid, 2001, page 15.
  4. Jaime Massardo, Alberto Suarez-Rojas, Civilisation latino-américaine : notes de cours, Ellipses, 2000, page 75.
  5. Guillaume Thuillet, Le Système Idéal, Books on Demand, 2011, (ISBN 978-2810612284), page 19.
  6. Félix Vályi, La Revue politique internationale, Lausanne, 1914, page 35.
  7. Archives pour la science et la réforme sociales, volume 13, 1936, page 237.
  8. E. Armand, La morale et l'individualiste anarchiste, Encyclopédie anarchiste, 1925-1934, lire en ligne.
  9. (ca) « acràcia », Gran Enciclopèdia Catalana, sur enciclopedia.cat, Barcelone, Edicions 62..
  10. (ca) « acràcia », Gran Enciclopèdia Catalana, sur enciclopedia.cat, Barcelone, Edicions 62..
  11. Les Études bergsoniennes, volume 9, 1970, lire en ligne.
  12. Jacques Viard (dir), L'Esprit républicain : colloque d'Orléans, 4 et 5 septembre 1970, Université d'Orléans, 1972, lire en ligne.
  13. (es) Vladimiro Muñoz, El origen de la palabra Acracia, Espoir, Toulouse, 26 juillet 1970, in Reconstruir, Revista libertaria, no 76, 1972, page 43.
  14. (ca) « Rafael Farga i Pellicer », Gran Enciclopèdia Catalana, sur enciclopedia.cat, Barcelone, Edicions 62..
  15. (es) Gonzalo Zaragoza, Anarquismo argentino, 1876-1902, Ediciones de la Torre, 1996, page 294.
  16. Gaston Leval, Espagne libertaire 36-39, La Tête de feuilles, 1971, réédité en 1983 par les Éditions du Monde Libertaire et en 2002 par les éditions TOPS-H. Trinquier (ISBN 2-912339-21-9), lire en ligne.
  17. Louis Comby, Histoire du mouvement anarchiste, SEDIP éditeur, 1972, page 84.
  18. Itinéraire : une vie, une pensée, Élisée Reclus, no 14/15, 1998, page 99.
  19. A. D. Bancel, Trade unionisme, mutualisme, néo-coopératisme, L'Humanité nouvelle, revue internationale : sciences, lettres et arts, Librairie de l'art social (Paris), Librairie Spineux (Bruxelles), 1897, page 711.
  20. A. Hamon, De la définition du socialisme et de ses variétés, L'Humanité nouvelle, revue internationale : sciences, lettres et arts, Librairie de l'art social (Paris), Librairie Spineux (Bruxelles), 1897, page 724.
  21. Caravelle, no 46-54, Université de Toulouse-Le Mirail, 1988, page 82.
  22. Maurice Fraysse, Culture et révolution dans la presse anarchiste (Chili, fin du XIXe siècle), in Claude Dumas, Jacqueline Covo (dir), Minorités et marginalités en Espagne et en Amérique latine au XIXe siècle, Presses Universitaires du Septentrion, 1995, page 187.
  23. Marie-Catherine Talvikki Chanfreau, Contre la violence du dénigrement : éloges artistico-littéraires des rationalistes italiens, belges et espagnols à la mémoire de Francesc Ferrer i Guàrdia, Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain, 9|2013, DOI 10.4000/mimmoc.1076, lire en ligne.
  24. Jean Houssaye (dir), Quinze pédagogues : leur influence aujourd'hui, Armand Colin, coll. Enseigner, Bordas, 1994, lire en ligne.
  25. Ferdinand Domela Nieuwenhuis, « Le militarisme et l'attitude des anarchistes et socialistes révolutionnaires devant la guerre », Paris, Les Temps nouveaux, 1901 [lire en ligne].
  26. Charles Péguy, Encyclopædia Universalis, en ligne.
  27. L'Amitié Charles Péguy, volume 26, L'Amitié, 2003, page 104.
  28. Sébastien Laurent, Daniel Halévy et le mouvement ouvrier. Libéralisme, christianisme social et socialisme, Mil neuf cent, n°17, 1999, page 18.
  29. Jean Bastaire, Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, « Péguy et le parti intellectuel », Mil neuf cent, n° 15, 1997, page 52, DOI 10.3406/mcm.1997.1169.
  30. Par delà la mêlée : acrate, individualiste, éclectique, inactuel ["puis" acrate, individualiste, éclectique], Orléans, 1916-1918 (OCLC 472495090).
  31. Rédaction, Entretien-fleuve avec Frédéric Lordon : “La société ne tient que suspendue à elle-même”, Les Inrockuptibles, 6 octobre 2018, lire en ligne.
  32. Voir sur persee.fr, p. 249-260, DOI 10.3406/cehm.1988.2128.
  33. Lire en ligne sur economiedistributive.fr.
  34. George Richard Esenwein, Anarchist Ideology and the Working-class Movement in Spain, 1868-1898, University of California Press, 1989, page 252.
  35. Présentation en ligne sur tarn.demosphere.eu.

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Articles connexes

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Liens externes

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