L'Œuvre (journal)
L'Œuvre | |
Une du 24 septembre 1915, avec le slogan : « Les imbéciles ne lisent pas L'Œuvre ». | |
Pays | France |
---|---|
Langue | Français |
Fondateur | Gustave Téry |
Date de fondation | 1904 |
Date du dernier numéro | [1] |
Ville d’édition | Paris |
modifier |
L'Œuvre est un périodique français de la première moitié du XXe siècle. Engagé à l'origene à gauche, le journal passe à la collaboration pendant l'Occupation, ce qui mène à sa fin.
Débuts du journal
[modifier | modifier le code]L'Œuvre fut lancé « sans un sou de capital » et sans publicité[réf. nécessaire] le par Gustave Téry, ancien rédacteur du Journal et du Matin : d'abord mensuel, ce périodique devint hebdomadaire (1910), puis quotidien (1915). Il a alors pour principal collaborateur le pamphlétaire Urbain Gohier. Gustave Téry et Urbain Gohier ont fait montre d'un antisémitisme virulent ; par exemple, le , L’Œuvre, que l'on peut définir à ce moment-là comme un « hebdomadaire nationaliste de tendance républicaine et vaguement socialisante » et « qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas », publie un dossier, « Les Juifs au Théâtre »[2].
L'Œuvre (gérant F. Potignat - directeur François Nardot) affiche à l'origene des idées au carrefour des sensibilités des radicaux-socialistes, des républicains socialistes rescapés de l'unification socialiste de 1905 et des pacifistes.
Pendant la Première Guerre mondiale et malgré la censure, y paraît Le Feu d'Henri Barbusse, publié en feuilleton sous le titre « Journal d'une escouade », rectifiant ainsi l'image de la guerre dans les tranchées. Lors de la conférence de paix, avec d'autres journaux de gauche (Le Rappel, La République française) il soutient les Quatorze points de Wilson contre Clemenceau.
Entre-deux-guerres
[modifier | modifier le code]Son slogan (« Les imbéciles ne lisent pas L'Œuvre »)[3], ses manchettes accrocheuses et la forte personnalité de ses journalistes font son succès pendant l'entre-deux-guerres. L'Œuvre voit augmenter ses tirages de 55 000 exemplaires en 1915 à 210 000 exemplaires environ en 1936 puis près de 275 000 exemplaires en 1939[4].
Dans l’entre-deux-guerres, le quotidien est l’un des rares journaux de gauche indépendants des partis. Il bénéficie d'un fort lectorat intellectuel parisien autant que provincial, attiré par sa rédaction composée de personnalités de gauche et du centre gauche : Gustave Téry, qui meurt en , Robert de Jouvenel, rédacteur en chef jusqu'en 1924, Jean Piot, qui lui succède, Georges de La Fouchardière, Georges Pioch, François Albert, bref ministre du Cartel des gauches, Albert Bayet, Pierre Cot, Geneviève Tabouis[6]. Hélène Gosset, qui collabore régulièrement au journal, met l'accent sur la question féminine. À partir du second semestre 1933, elle crée la rubrique « Femmes d’ailleurs » et la page « L’Œuvre des femmes » qui devient ensuite « L’Œuvre féministe ». Elle y publie par exemple un article sur la députée Margarita Nelken, un autre sur « L’œuvre des femmes françaises au Maroc » ou une rubrique sur « Les femmes au travail »[7].
L'Œuvre est favorable au Cartel des gauches (1924) puis au Front populaire (1936), sous l'impulsion de son rédacteur en chef depuis 1924, Jean Piot, député radical de 1932 à 1936[4].
Les principaux commanditaires du journal sont dans les années 1930 Henry Raud, administrateur-délégué et directeur du journal depuis la fin de l'année 1931[8], Pierre Guimier, de l'agence Havas, des banquiers et Jean Hennessy, député de Menton hostile au Front populaire, actionnaire depuis qu'il a racheté en 1931 les parts de Paul Lederlin. Hennessy devient le principal actionnaire de la société de presse détenant le journal, dont le conseil d'administration est présidé par le député Fernand Bouisson, un proche de Pierre Laval. Il tente de prendre le contrôle politique du journal en 1938 à un moment où ses dirigeants et sa rédaction sont divisés sur la question du pacifisme. Geneviève Tabouis et Albert Bayet représentent le camp antimunichois et anti-nazi, jugé « belliciste » par ses adversaires, tandis que le camp pacifiste est représenté par Marcel Déat, soutenu par Henry Raud et Jean Piot. Hennessy est alors proche des conceptions de Déat. Mais sa tentative de prise de contrôle se heurte à la résistance de Bouisson et à celle des journalistes, attachés à leur indépendance[4].
Déat, l'un des éditorialistes du journal, publie le « Mourir pour Dantzig ? », article devenu un slogan[9] non-interventionniste dans lequel il écrit : « Il ne s'agit pas du tout de fléchir devant les fantaisies conquérantes de M. Hitler, mais je vous le dis tout net : flanquer la guerre en Europe à cause de Dantzig, c'est y aller un peu fort, et les paysans français n'ont aucune envie de « mourir pour les Poldèves. »[10],[11]. Le quotidien publie cependant les articles hostiles à l'Allemagne nazie de Geneviève Tabouis.
Collaboration
[modifier | modifier le code]Le , L’Œuvre quitte Paris (9, rue Louis-le-Grand, dans le 2e arrondissement[12]) pour Saint-Étienne, puis Clermont-Ferrand. Il réapparaît à Paris le . À partir du à la demande de Fernand Bouisson, président du conseil d'administration du journal, Marcel Déat en devient l'éditorialiste[13] et directeur politique[14] et l’engage dans la voie de la collaboration et de l’antisémitisme. Alors que Geneviève Tabouis s'est exilée à Londres, Jean Piot, rédacteur en chef du journal depuis 1924, est obligé, en novembre 1940, sur la pression des Allemands[14] de laisser son poste à Robert Bobin, auquel succèdera André Guérin, ancien socialiste antimunichois devenu partisan de la collaboration. Marcel Déat est soutenu par Fernand Bouisson et Vincent Delpuech, nouveau membre du conseil d'administration tandis que Jean Hennessy est hors-jeu, disqualifié par son vote du 10 juillet 1940 opposé au maréchal Pétain[4]. Georges Albertini y tient la chronique syndicale sous le pseudonyme de Pierre Thomas[15]. Georges de La Fouchardière intègre le journal[16], ainsi que Georges Pioch[17], Germaine Decaris[18], René Gérin[18] et René Château qui quittera le journal avec Robert Bobin pour entrer à La France socialiste[19].
Sa ligne éditoriale sous le régime de Vichy fut celle d'un collaborationnisme pro-nazi défendant les thèses du Rassemblement national populaire[20] (RNP), parti de Déat, tout en manifestant un certain « antipétinisme »[9], trouvant le pouvoir établi à Vichy pas assez engagé dans la « collaboration européenne » et trop « réactionnaire »[20].
Son tirage est de 131 000 exemplaires en [21].
Fin du journal
[modifier | modifier le code]À la suite de la loi no 46-994 du portant transfert et dévolution de biens et d'éléments actifs de presse et d'information, L'Œuvre fut placé sous séquestre judiciaire.
Archives
[modifier | modifier le code]Des archives du journal L'Œuvre sont conservés aux Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine, sous la cote 3AR : Inventaire du fonds.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- L’Œuvre, no 10340, , sur Gallica.
- Laurent Joly, « Les débuts de l’Action française (1899-1914) ou l’élaboration d’un nationalisme antisémite », Revue historique, 2006/3, no 639, Presses universitaires de France (ISBN 978-2-13-055606-0), p. 695-718 [lire en ligne sur Cairn.info].
- Les ennemis du journal avaient l’habitude de dire : « Les imbéciles ne lisent pas L’Œuvre… ils la rédigent », par exemple dans « Échos », L’Étudiant français, organe des étudiants d’Action française], no 4, -, p. 1.
- François Dubasque, « Les derniers combats d’un homme politique dépassé ? », dans Jean Hennessy (1874-1944) : Argent et réseaux au service d'une nouvelle république, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (lire en ligne), chapitre 11.
- L’Œuvre, no 2650, , sur Gallica.
- Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Seuil, 2004
- « GOSSET Hélène », sur maitron.fr (consulté le )
- Comoedia, 1er janvier 1932
- Eberhard Jäckel, Frankreich in Hitlers Europa – Die deutsche Frankreichpolitik im Zweiten Weltkrieg, Deutsche Verlag-Anstalg GmbH, Stuttgart, 1966 ; traduction : La France dans l'Europe de Hitler (préface de Alfred Grosser, traduction de Denise Meunier), éd. Fayard, coll. « Les grandes études contemporaines », 1968, 554 p., p. 263.
- André Brissaud (préf. Robert Aron), La Dernière année de Vichy (1943-1944), Paris, Librairie Académique Perrin, , 587 p. (ASIN B0014YAW8Q), p. 93-95.
- Pierre Miquel, La Seconde Guerre mondiale, éd. Fayard, 1986, Paris (ISBN 2-7242-3370-0) ; rééd. Club France Loisirs, Paris, 1987, p. 58 : « […] L'Œuvre, journal « sous la direction occulte de Ferdinand Bouisson, ami et homme de paille de Pierre Laval », qui publiait « les articles ultra-pacifistes de Marcel Déat. »
- L’Œuvre, no 9017, , sur Gallica.
- L'Histoire n°90, juin 1986, p.17, "Georges Albertini, l'éminence grise de l'anticommunisme", article de Pierre Assouline :"Albertini voit Déat quasi quotidiennement, soit pour régler les affaires du Rassemblement, soit pour discuter du contenu de L'Oeuvre dont Déat est l'éditorialiste"
- Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p. 565
- L'Histoire n°90, juin 1986, p.17, "Georges Albertini, l'éminence grise de l'anticommunisme", article de Pierre Assouline :"Albertini voit Déat quasi quotidiennement, soit pour régler les affaires du Rassemblement, soit pour discuter du contenu de L'Oeuvre dont Déat est l'éditorialiste, Albertini assurant la chronique syndicale sous le pseudonyme de Pierre Thomas"
- Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p. 566 : "Nous récupérions d'emblée La Fouchardière, le père du "Bouif", l'inépuisable inventeur des "hors-d'œuvre" quotidiens. Il devait avoir quelques petits accrochages avec une censure, où quelques subalternes plus ou moins instruits, intelligents, ou écrasés par leurs responsabilités, suaient parfois à grosses gouttes pour comprendre ses acrobaties intellectuelles. Mais enfin La Fouch' devait tenir pendant toute la guerre."
- Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p. 566 : "Nous retrouvions pareillement Georges Pioch, mieux disant que jamais, sonore et encore bedonnant, malgré une légère déflation, et qui allait continuer son culte à la musique. Je ne sais pas combien de fois, avant sa retraite, il fallut le défendre auprès des Allemands, sans cesse alertés par les propos énormes que le bon Pioch tonitruait à travers Paris. Il ne se passait pas de semaine, à partir de 1941, où il ne fût dénoncé comme juif ou franc-maçon. Et toujours par d'excellents confrères, bien entendu. Il est rentré dans l'ombre à temps, j'espère, pour prendre sans dommage le tournant historique."
- Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p.566
- Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, pp.566-567
- Brissaud 1965, p. 95-101.
- D’après les Archives de la Préfecture de police, citées par Pascal Ory, Les Collaborateurs 1940-1945, Seuil, coll. « Points Histoire », 1976, p. 283.
Liens externes
[modifier | modifier le code]