Lettres à Lucilius/Lettre 112
Lettre CXII.
Je souhaiterais de toute mon âme que ton ami se réformât et devînt tel que tu le désires. Mais c’est le prendre bien endurci ou même, chose plus fâcheuse, trop amolli et trop usé par une longue habitude du vice. Je veux te faire une comparaison tirée de mon métier d’agriculteur. Toute vigne n’est pas susceptible d’être greffée : si le sujet est vieux ou ruiné, s’il est faible ou grêle, il n’adoptera pas la greffe ou ne pourra pas la nourrir ; il ne fera point corps avec elle, et ne s’assimilera point à sa vertu ni à sa nature. Aussi a-t-on coutume de couper la vigne hors de terre, afin que si l’épreuve manque, on puisse tenter de nouveau la chance et recommencer sous terre l’incision. L’homme dont parle ta lettre n’a plus aucune force : pour avoir trop donné aux vices, il a perdu sa sève et sa flexibilité : enter la raison sur cette âme est impossible ; elle n’y profiterait pas. « Mais il le désire, lui. » N’en sois pas dupe ! Je ne dis pas qu’il te mente : il croit le désirer. Il a pris en dégoût la mollesse… oui, mais renouera vite avec elle. « La vie qu’il mène fait son tourment, » dit-il. Je ne le nie point : eh ! qui n’éprouve ce même tourment ? Quel homme n’aime et ne déteste à la fois sa façon de vivre ? Ne donnons gain de cause à celui-ci que sur la preuve qu’il aura rompu sans retour avec la mollesse. Jusqu’ici ce n’est qu’une bouderie.