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Aulos (Gk), pl. auloi (Latin: tibia, tibiae). A Greek reed instrument. It was the most
important Ancient Greek wind instrument; the name is often mistranlated « flute » by modern
scholars.
1. SOURCES: La place de l’aulos dans la civilisation grecque a été considérable. C’est ce qui
explique qu’on dispose de sources à la fois nombreuses et diversifiées qui nous le font
connaître aussi bien en tant qu’objet manufacturé qu’en tant qu’instrument de musique destiné
à jouer un répertoire dans des circonstances données, dont l’histoire peut être retracée à travers
une dizaine de siècles. Quantitativement importantes et chronologiquement réparties sur une
dizaine de siècles, nos sources sont de trois types:
1° Textes et témoignages: outre les innombrables mentions dans l’ensemble des textes
littéraires, en prose ou en vers, nous disposons de quelques ouvrages (ou de sections
d’ouvrages) riches en renseignements plus techniques (livres IV et XIV desDeipnosophistes
d’Athénée, De Musica attribué à Plutarque, fragments de traités de théoriciens qui consacrent
quelques mots à la perce des auloi, notices de lexicographes et scholies aux auteurs tragiques,
auteurs comiques, poètes lyriques), et surtout d’écrits musicographiques. La littérature
spécialisée est malheureusement presque entièrement perdue; seuls les titres et le nom de
quelques auteurs ont survécu: on sait que des traités Sur les auloi ont été rédigés par
Aristoxène de Tarente ou par le pythagoricien Euphranor. A ce corpus, il faut rajouter pour
ce qui concerne surtout la vie musicale les inscriptions et quelques papyrus documentaires
(contrats de musiciens), qui recèlent un certain nombre de termes techniques désignant des
auloi.
2° Sources iconographiques: elles s’étendent sans interruption depuis les temps les plus
reculés (époque cycladique et minoenne) jusqu’au IV ou Vè s. de notre ère. Les documents
sont à la fois très nombreux et diversifiés: céramique attique à FR (bichrome), mais aussi et
surtout mosaïques, reliefs, peintures murales. A partir du Ier s. av. J.-C. et surtout à l’époque
romaine, les techniques du relief et la qualité du rendu donnent une vision « réaliste » des
instruments, en particulier de leurs mécanismes, que la céramique attique ne figure jamais.
3° Sources archéologiques: ce sont les vestiges d’instruments, qui constituent autant de
témoignages directs, irremplaçables, et souvent bien datés de ce qu’étaient les auloi à une
époque donnée dans un lieu donné. Leur nombre peut être estimé à plusieurs centaines de
fragments ou d’instruments à peu près complets, peut-être même atteint-il le millier: nombre
de ces précieux vestiges restent à identifier dans les réserves de Musées. Chronologiquement,
leur date se situe du VIè s. av. J.-C. jusqu’à l’Antiquité tardive, sur une aire géographique
considérable: Grèce, Italie, France, Pays-Bas, Égypte, Soudan, Israël, Turquie, et jusqu’au
Tadjikistan etc., - bref, à travers l’ensemble du monde antique dans sa plus grande extension.
Mal connus, peu publiés, ou mal publiés Il y a beaucoup à attendre de l’étude systématique de
ces fragments, actuellement en cours pour l’époque romaine (travaux de Valérie Péché sur les
tibiae dans le monde romain).
2. DESCRIPTION. Même lorsqu’il est employé au singulier, le terme grec aulos désigne
généralement un instrument à vent comportant deux tuyaux et doté de deux anches doubles.
Cependant, comme le mot s’applique également à tout tuyau creux et allongé, aulos peut
également concerner tout instrument à vent à un seul tuyau, avec ou sans anche, y compris
(mais cela reste une exception), la trompette. Complété par polycalamos, l’aulos est alors un
instrument à plusieurs tuyaux de longueur inégale autrement appelé syrinx , équivalent antique
de notre « flûte de Pan ».Les tuyaux des auloi grecs étaient toujours cylindriques, c’est-à-dire
de perce rigoureusement constante. D’importantes différences distinguent les instruments des
2
musiciens amateurs, enfants ou bergers, de ceux qui, exclusivement fabriqués par des luthiers
(aulopoïoï), étaient joués par des professionnels (cf. Aulete). La perce conique n’apparaît que
chez les Etrusques puis dans le monde romain. L’adjonction d’un pavillon très modérément
évasé à l’extrémité des tuyaux ne s’observe que sur des exemplaires de la fin de l’époque
hellénistique ou d’époque impériale. Pour jouer l’aulos double, les instrumentistes
embouchent les deux anches doubles, les joues enserrées éventuellement d’une phorbéia (cf.
Phorbeia), percée de deux trous en oeil-de-chat pour laisser passer les anches; les tuyaux sont
tenus rapprochés ou écartés. Sur nombre de vases attiques, on observe que le petit doigt passe
sous le tuyau, probablement pour en assurer une meilleure tenue, lorsque l’instrument était
fabriqué en matériaux très pesants (ivoire, métal).
3. ORIGINES. Curieusement, les Grecs ne se sont jamais considérés comme les inventeurs de
l’aulos: pour eux, c’était un instrument d’origene étrangère (rangé par Aristoxène de Tarente
dans la catégorie des ekphyla organa). Pour les uns, il était venu de Libye, et, pour la majeure
partie des auteurs, de Phrygie. A en croire les lexicographes, certaines de ses dénominations
indigènes seraient passées en grec (photinx, elymos). Comme toujours en pareil cas, les textes
associent l’invention à un inventeur précis dont on cherche à donner le nom, conformément à
l’habitude bien grecque de désigner un prôtos heurètès, un « premier inventeur »: on cite entre
autres le Libyen «du peuple des Numides » Seiritès (Athénée XIV 38, citant l’historien Douris
de Samos1, repris par Pollux, Onomasticum IV 174), ou les aulètes semi-légendaires Olympos
ou Hyagnis, voire le Satyre phrygien Marsyas. Mais dès la première moitié du V è s. av. J.-C. ,
on s’efforce d’ «helléniser » les origenes de l’aulos, tendance qui triomphera surtout à la fin du
IVè s. av. J.-C. On en attribue en effet l’invention non plus à tel ou tel personnage barbare,
mais à une divinité grecque, que ce soit à Apollon lui-même (Antikleides et Istros cités par
Plutarque, De Mus., § 14) ou à Athéna, laquelle d’ailleurs rejette aussitôt l’instrument
(Pindare, Pyth. XII, v. 7 sqq.; Epicharme cité par Athénée IV 184 e; de nombreux textes
latins reprennent cette tradition). Actuellement, la question des origenes réelles de l’aulos
reste entière, même si un certain nombre de documents iconographiques mésopotamiens
chypriotes, égyptiens ou anatoliens attestent l’existence de l’aulos double autour du bassin
méditerranéen à des époques très reculées ainsi que dans la civilisation cycladique (statuettes
minoennes en marbre, datables de ca. 2200 av. J.-C.). Néanmoins, l’aulos hellénique à deux
tuyaux égaux et rectilignes est toujours resté un instrument bien distinct de l’aulos phrygien,
son ancêtre supposé, dont l’un des tuyaux se termine par une pièce en corne ou recourbée,
d’où son nom grec puis latin de kéras (« corne »).
4. CLASSIFICATIONS. Le terme générique d’aulos recouvre en fait une très grande
multiplicité d’instruments. Les auteurs grecs ont tenté de mettre au point des classifications
raisonnées, qui sont déjà attestées dans le courant du IVè s. av. J.-C. La classification la plus
claire et la plus efficace est présente dans le De Audibilibus aristotélicien (804 a) et dans le
Traité d’harmonique d’Aristoxène (Meib. 21), dans le dernier quart du IVè s. avant notre ère.
Athénée, s’appuyant sur une source qu’il ne nomme pas, en énumère quatre composantes.
Elle est donnée dans son intégralité par l’Onomasticum de Pollux (IV 81): voilà qui indique
que c’était la classification de référence . Elle a pour critère la tessiture des instruments, en
parallèle avec les voix humaines et témoigne de la préférence accordée aux registres les plus
graves. Quatre catégories sont distinguées, qui couvrent « plus de trois octaves », dit
Aristoxène, depuis les auloi les plus aigus jusqu’aux plus graves: ce sont successivement les
1
Sans doute élève de Théophraste, on le situe son activité entre la fin du IV è s. et le début du III è s. av. J.-C.; la
citation d’Athénée provient du livre II de son ouvrage Sur Agathoklès.
3
parthéniens (« de jeunes filles »), les « enfantins » (païdikoï), les «parfaits » (téléïoï) et enfin
les « plus-que-parfaits » (hypertéléïoï), les deux derniers étant par ailleurs regroupés sour le
terme de « masculins » (andréïoï). Cette classification par hauteur ne préjuge en rien ni de
l’usage ni de la matière, ni de l’origene, ni de la forme de l’instrument. Au demeurant, ses
dénominations font doublons avec certains autres termes connus par ailleurs, liés à l’usage:
aulos pythique, propre à jouer le nome du même nom et qualifié de « viril », ce qui le range
parmi les auloi téléioï; auloi kitharistériens, c’est-à-dire qui se jouent avec la cithare ou
encore de même registre que la cithare; aulos magadis, sur lequel les érudits grecs
s’interrogeaient sans pouvoir s’accorder sur sa nature; d’après les meilleures études modernes,
il est probable que cet aulos avait les mêmes possibilités que la magadis, sorte de harpe
capable d’octavier2. Aussi existait-il concurremment, sinon plusieurs classifications
cohérentes, du moins tout un arsenal terminologique dont on trouve la trace aussi bien chez
les auteurs non spécialisés que chez les musicographes grecs puis latins. Mais ces pseudoclassifications échouent à distinguer de vraies catégories ou d’authentiques classes
d’instruments; peut-être d’ailleurs n’était-ce là que des désignations, dépourvues de
prétentions taxinomiques. Les principales dénominations par métonymie de la matière sont:
lotos (en bois de micocoulier), buxus, terme latin qui finit par désigner la tibia en buis;
kalamos et donax, pour les instruments champêtres en roseau; citons enfin le latin ebur,
« ivoire ». Il existait aussi quelques dénominations qui finirent par être typologiques, mais qui
à l’origene, distinguaient les instruments par leurs provenances géographiques, parfois par le
nom local qui leur était donné: hellenikos aulos, « aulos grec », englobe tous les auloi à
tuyau(x) rectiligne(s), pour les distinguer de l’elymos, nom considéré comme indigène de
l’aulos phrygien ou phrygiaulos; gingras, petit instrument très aigu, d’origene phénicienne;
photinx, pour un aulos égyptien peut-être dépourvu d’anche et à un seul tuyau. Enfin, on
mentionnera le terme isolé de plagiaulos, qui signifie littéralement « aulos oblique », pour la
flûte traversière, dépourvue d’anche. Malgré la richesse des sources écrites qui nous ont
transmis toutes ces appellations, il est certain que nous n’en connaissons toujours pas la
totalité: sans doute les auteurs d’ouvrages Sur les auloi dont presque rien ne nous est parvenu
avaient-ils cherché à y mettre un peu d’ordre. Un papyrus portant contrat d’apprentissage d’un
jeune aulète3 nous montre en tout cas que la terminologie des érudits et de la langue commune
n’était pas celle des gens de métier: les instrumentistes, les professeurs d’aulos et sans doute
aussi les luthiers avaient apparemment une sorte de jargon à eux.
5. MATIERE DE L’AULOS. Si les musiciens amateurs, particulièrement les bergers, savaient
se fabriquer pour leur usage personnel des auloi en roseau dont les trous étaient forés au feu,
les musiciens professionnels eux, se sont de tout temps adressé à des artisans spécialisés, les
aulopoioï, pour se procurer des instruments à la fois plus durables, plus beaux et surtout plus
perfectionnés. On utilisait pour ce faire des matériaux moins périssables et plus propres à être
travaillés: ivoire, os, bois, métaux, comme en témoignent les sources écrites ainsi que les
vestiges d’instruments mis au jour dans les fouilles archéologiques. Pour les instruments en
os, on recourait à des animaux à os longs, capables de fournir une fois travaillés des sections
d’une quinzaine de centimètres. C’était le cas des antérieurs d’âne et des jambes de cerf, tous
deux fort appréciés, tant des fabricants grecs que romains. A en croire Plutarque, ce sont les
2
Interprétation de Andrew BARKER, « Che cos’era la magadis? », La musica in Grecia, Editori Laterza, Bari
1988, pp. 96-107.
3
Papyrus BGU IV n° 1125; voir A. BELIS et D. DELATTRE, « A propos d’un contrat d’apprentissage d’aulète
(Alexandrie; an 17 d’Auguste = 13 a.) », dans Papiri Documentari Greci, Congedo Editore, Lecce, 1993, pp.
105-164.
4
artisans thébains qui les premiers eurent l’idée de se servir des jambes de cerfs, de biches ou
de faons, qui fournissaient des instruments « plus sonores » (Banquet des Sept Sages, § 5, 150
F); étaient toutefois réputés impropres à cet usage les os des animaux qui s’étaient piqués à
certain cactus, l’akantha (Antigonos de Caryste, Histoires admirables, § 8). Cette importante
modification serait intervenue dans le courant du VIè s. av. J.-C., mais, ainsi qu’en attestent
nombre d’auteurs grecs et latins, on continua à se servir des os d’âne comme des jambes de
cerf tout au long de l’Antiquité (Callimaque, Hymne à Artémis; Pline l’Ancien, Hist. nat.
XVI, 172; Antipater de Sidon, Anth. Pl., 305 etc.). Confirmation en a été donnée par les
fragments d’auloi mis au jour dans les fouilles. Certains sont néanmoins en os de mouton ou
de bœuf, que ne mentionnent pas les auteurs antiques. En ce qui concerne les bois, les luthiers
recherchaient des essences à fibre dense, peu sensibles à l’humidité, et à rameaux rectilignes
d’assez fort calibre et assez longs. Aussi prenait-on volontiers le buis, le lotos de Libye (que
l’on identifie comme notre actuel jujubier), le micocoulier, - bois, précise Pline (XVI, 212)
qui ne se crevassent ni ne se fendent, et qui ne souffrent ni de la carie, ni du temps. Un texte
isolé (Pollux, Onomasticum, IV 71) mentionne en outre le laurier « dont on a évidé la
moëlle ». Hormis quelques instruments complets provenant d’Égypte ptolémaïque conservés
au Louvre et les fameux « Elgin Pipes » du British Museum, qui sont apparemment en bois de
sycomore, aucun aulos en bois ne nous est parvenu. En revanche, nous possédons bon nombre
de sections d’instruments ou d’instruments à peu près intacts en os, en ivoire (Alexandrie,
Tarente, Délos). Le métal ne paraît pas avoir servi à former le corps des auloi, mais plutôt à
entourer un cylindre en os ou en ivoire. Les expressions d’auloi en bronze, en orichalque ou
en argent doivent être prises comme des raccourcis ou des licences poétiques. Au demeurant,
on observe sur les exemplaires mis au jour dans les fouilles que ce sont des gaines ou des
bagues qui étaient faites dans ces métaux coûteux ou précieux : l’archéologie vient ainsi
compléter et rectifier les indications données par les sources écrites.
6. PERCE INTERIEURE DU TUYAU; ASSEMBLAGE DES SECTIONS. Toutes nos
sources, écrites, figurées et archéologiques, attestent que la perce de l’aulos grec était
rigoureusement cylindrique, c’est-à-dire de diamètre constant: c’est la caractéristique de ce
que les Grecs appelaient « l’aulos hellénique » (Élien cité par Porphyre, Commentaires aux
Harmoniques de Ptolémée, 217 = Düring 34). Ce n’est que chez les Étrusques puis à Rome
qu’on pratiqua la perce conique4. Tous les vestiges d’instruments obéissent à cette règle, y
compris les sections supérieures, aux parois fortement renflées, dans lesquelles s’insérait
l’anche (auloi de Délos, de l’Agora d’Athènes, de Corinthe; de même, les « Elgin Pipes » du
British Museum et l’aulos double du Louvre, qui sont taillés dans une seule pièce de bois et
qui comportent un bulbe, sont de perce intérieure constante). Les calibres varient d’un
exemplaire à l’autre. Pour la trentaine de sections découvertes dans l’île de Délos, les
diamètres intérieurs vont de 7,7 mm à 15 mm; cinq fragments ont une perce de 10,5 mm, et
trois, de 12 mm. La moyenne (on ne saurait parler de « norme ») est d’un diamètre intérieur
d’environ 1 cm, ce qui peut nous sembler fort étroit; c’est en tout cas un calibre nettement
inférieur à celui de nos clarinettes et de nos hautbois. On observe cependant des disparités
importantes (les calibres sont pratiquement du simple au double), qui doivent correspondre
aux différentes classes, depuis les petits auloi paidikoi, très étroits, qui sonnent très aigu, aux
auloi hypertéléioi, de perce large, pour sonner très grave. L’épaisseur des parois est
généralement de 1,5 mm, que l’instrument soit en bois, en os ou en métal, ce qui donne un
diamètre extérieur d’une quinzaine de millimètres. A en juger par les instruments complets,
chaque tuyau pouvait comporter 5 à 6 sections d’une quinzaine de centimètres, emboîtées les
4
Jean René JANNOT, « L’aulos étrusque », AntCl 43(1974), pp. 118-142
5
unes dans les autres par le système tenon/mortaise, le tenon étant toujours à l’extrémité
inférieure. Dans sa totalité, le tuyau pouvait donc atteindre 60 à 70 cm: il est clair que l’écart
maximum des doigts ne dépassant pas la vingtaine de centimètres, les trous disposés tout au
long de ces tuyaux très longs ne pouvaient être obturés qu’à l’aide de dispositifs mécaniques.
7. FORME ET DISPOSITION DES TROUS. Sur la céramique attique et apulienne, les trous
(trypèmata, trèmata) ne sont, en règle générale, jamais dessinés, même lorsqu’un peintre plein
de talent s’attachait au moindre détail (fig. 1). C’était là apparemment une sorte de convention
picturale, une manière de stylisation. Seuls quelques vases où sont figurés des aulètes tenant
leurs tuyaux à la main font exception à cette généralité (fragment de coupe attique à figures
rouges de style sévère (ca. 490 av. J.-C.), Bruxelles, Musée du Cinquantenaire, inv. A 1331;
fond de coupe dite « Marsyas Cup », courant du IV è s. av. J.-C., Musée de Berkeley, inv.
8.935) .
Quant aux textes, ils ne s’intéressent guère aux aspects concrets de la facture instrumentale:
tout au plus y apprend-on que les trous étaient forés à l’aide d’une tarière. Les considérations
sur le nombre et la disposition des trous qui émaillent les ouvrages d’inspiration
pythagoricienne sont moins des témoignages sur la perce réelle des auloi que des propos de
théoriciens soucieux de donner des preuves de la validité de leurs calculs d’intervalles. Aussi
est-ce aux seuls vestiges d’instruments que l’on doit de connaître cet aspect si important de la
facture des auloi et des tibiae.
Il est fort probable qu’à l’époque archaïque comme pour les instruments rustiques en roseau,
on ne forait que quelques trous, quatre ou cinq par tuyau, obturables par les seuls doigts: un
commentateur à Horace cite un passage du De lingua latina où Varron affirme que les tibiae
d’autrefois ne comportaient que quatre trous; Varron dit avoir vu dans un temple de Marsyas
des instruments de ce type. En revanche, l’aulos des aulètes professionnels semble très tôt,
sans doute dès le début du V è s. av. J.-C., avoir mérité d’être qualifié de polytrètos (« aux
multiples trous ») et de polyphthongos (« aux multiples sons »), au grand dam d’un Platon,
adversaire déclaré de la virtuosité et défenseur de la cause perdue du dépouillement et de la
simplicité en musique. Dans le dernier quart du IV è s. av. J.-C., Aristote fait allusion (sans les
nommer précisément) à « ceux qui établissent une analogie » entre les vingt-quatre lettres de
l’alphabet grec et les vingt-quatre notes [à moins qu’il ne s’agisse de diésis] qui séparent le
bombyx, note de bourdon de l’aulos, de sa note la plus aiguë (Métaphysique, 1039 a 29 - b 4).
Les trous étaient disposés sur le dessus du tuyau pour la plupart, mais il y avait également des
trous sur le dessous, obturés par le pouce, comme on le voit sur nombre de sections en os, en
bois et en ivoire.
Ordinairement, le trou de pouce se place entre les deux trous situés sur la face opposée, ce qui
impose un doigté fréquemment figuré par les peintres de la céramique attique à figures rouges:
le pouce est entre l’index et le majeur de l’aulète, comme sur l’amphore de Kléophradès (fig.
1). Sans doute était-ce une disposition qui évitait de forer du même côté du tuyau trois trous
qui auraient été dangereusement rapprochés, surtout sur les sections les plus hautes de
l’instrument. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les trous sont loin d’être toujours
ronds. C’est certes le cas pour la majorité: des trous parfaitement circulaires, aux bords
impeccablement taillés, sans retouches ni erreurs. Leur diamètre est ordinairement de 6 à 7
millimètres, ce qui en permet l’obturation par le bout des doigts. Mais il existe également des
trous d’un bel ovale, sans doute destinés à des obturations partielles pour produire des
intervalles inférieurs au demi-ton; d’autres affectent la forme d’un oeil de chat, à la suite
d’une correction d’accord (?) (tibiae de Pompéi).
Enfin, et cela n’a été observé que récemment, sur des sections découvertes à Délos, à Athènes
et près de Dushambé au Tadjikistan, on ménageait dans le sens du tuyau, des trous
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rectangulaires, qui, à l’évidence, étaient trop longs pour pouvoir être bouchés manuellement;
selon moi, ils correspondaient à deux mécanismes distincts: ou bien une « corne » permettant
de provoquer le pivotement latéral d’une bague elle aussi percée d’un trou de mêmes
dimensions, qu’on pouvait ainsi ouvrir ou fermer, ou bien encore, une coulisse, glissant de
haut en bas ou de bas en haut. Si généralement, les trous sont strictement alignés sur l’axe du
tuyau, il arrive aussi que le trou le plus bas d’une section soit légèrement décalé sur le côté, de
manière à être facilement obturé par le petit doigt, plus court que les autres. Quant aux trous
placés sur toutes les faces du tuyau, comme ils le sont sur les grandes tibiae pompéiénnes, il
est évident que leur ouverture était commandée par des mécanismes: les doigts de
l’instrumentiste ne pouvaient pas y suffire ou ne pouvaient atteindre les plus éloignés. Il n’y a
cependant pas lieu de croire que certains trous placés de côtés étaient fermés par le petit doigt,
souvent passé au-dessous du tuyau par les peintres de vases: c’était sans doute une manière de
mieux maintenir l’instrument, surtout lorsqu’il était alourdi par des gaines ou des bagues de
bronze ou d’argent.
8. ANCHES (gr.: glotta, glottis; lat.: ligula et quelquefois lingula). Sans doute parce qu’elle
était considérée comme l’organe phonatoire des auloi et des tibiae, l’anche était appelée
« langue » en grec et était désignée en latin par le diminutif « languette ». Pour les instruments
rustiques, on utilisait des pailles incisées. En revanche, comme l’attestent massivement nos
sources, c’est un roseau particulier, dit « roseau à anches » (zeugitès) qui a été utilisé pour la
plupart des auloi et des tibiae à travers toute l’Antiquité. Les plus recherchés provenaient des
îles flottantes du lac Copaïs, en Béotie, au Nord-Ouest de Thèbes (Théophraste, Recherches
sur les Plantes, IV, 11, 1-9 et Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XVI, 168-172), où
prospérèrent les meilleurs ateliers spécialisés dans la fabrication des anches doubles. Les
marécages de la région de Célènes, en Phrygie, fournissaient eux aussi des roseaux à anche de
bonne qualité (Strabon, XII, 8, 15).
Les fabricants mettaient un soin particulier à la récolte comme à la fabrication de leurs anches,
comme le montrent les textes grecs et latins sur la question (cf. Bélis et Péché, 1996).
Le roseau devait avoir poussé pendant au moins deux ans; on choisissait de préférence les
sujets dits « eunuques », dépourvus de plumet. Jusqu’au milieu du IVè s. av. J.-C., la coupe
s’effectuait à la mi-septembre, date avancée de 3 mois, « un peu avant le solstice ou au
solstice » après les grandes crues du lac en 338 av. J.-C. Une fois mises en bottes, les cannes
sèchent pendant plusieurs années. Elles passent le premier hiver en plein air, dans leur
enveloppe. Le printemps venu, on les nettoie et on les sectionne aux entre-nœuds: on ne garde
alors que la partie médiane du roseau, d’une longueur qui ne doit pas être inférieure à 2
palmes (14,8 cm). Après un ultime séchage commence enfin la fabrication de l’anche
proprement dite.
La section est fendue en deux sur toute sa hauteur, de manière à fournir deux éléments
symétriques qui formeront les anches doubles qu’on adaptera à chacun des deux tuyaux d’un
même instrument, dans l’espoir qu’elles seront ainsi parfaitement « accordées ». Après
préparation, on ligature le haut des deux lamelles par un fil plusieurs fois enroulé, laissant
libre leur extrémité inférieure, alors appelée « bouche » (stoma). La fabrication ne se fait pas
sans accidents: selon Théophraste, malgré le soin des artisans, il y avait beaucoup de ratés.
Théophraste insiste sur un point capital: « jusqu’à Antigénidas », aulète virtuose, actif entre
392 et 354 av. J.-C., on aimait les anches un peu dures. Mais, lorsqu’il mit à l’honneur le style
« orné », on fabriqua des anches plus souples. Avant de les mettre en service, les fabricants
leur faisaient subir une préparation; de leur côté, les instrumentistes humectaient leurs anches
de salive ou même de graisse avant de jouer. Lorsque les aulètes n’utilisaient pas leur
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instrument, ils remisaient les anches dans une ptit boîte en ivoire munie d’un couvercle,
appelée glottokomeion, lui-même rattaché par un lien à l’étui dans lequel ils plaçaient leurs
tuyaux.
Les anches s’inséraient dans l’embouchure de l’aulos de manière à ce que la partie libre des
languettes se situe à la hauteur du renflement, en forme d’olive, des bulbes (holmos), en
s’encastrant dans la partie supérieure de la pièce, appelée hypholmion.
9. MECANISMES. Tout comme les trous et pour des raisons semblables de convention,
jamais les mécanismes ne sont figurés sur la céramique attique et italiote; certains documents
polychromes (plaquette votive de Pitsa) montrent des sections de couleurs différentes, sans
doute pour marquer la différence entre de l’os et du bronze: c’est ce qu’atteste un vers de
Pindare. Ce n’est que sur les représentations figurées et sur des vestiges d’instruments
d’époque romaine qu’apparaissent véritablement des dispositifs en saillie. Il s’agit le plus
souvent de tubulures latérales, en forme de petits entonnoirs coniques. Pour autant qu’on
puisse le déterminer, leur fonction était d’augmenter la longueur de la colonne d’air pour
obtenir des chromatismes. On les voit le plus souvent sur des auloi phrygiens postérieurs au
IIè s. ap. J.-C. On ne connaît pas le nom de ce dispositif; en revanche, il semble que kerata
désignait les espèces de grandes virgules qui permettaient de fermer le trou ou d’y adapter par
rotation ces tubulures. Leur fonction était d’augmenter la longueur de la colonne d’air, peutêtre pour obtenir des degrés chromatiques.
Dès le Vè s. av. J.-C., les sources écrites mentionnent des progrès dans la facture des auloi :
dans le courant du siècle, l’aulète Pronomos aurait inventé un moyen de moduler. Lequel ?
Aucune précision ne permet de le dire. D’autres auteurs donnent le nom de certains
mécanismes sans les décrire avec assez de précisions claires pour en permettre une
identification assurée: Aristote explique ainsi comment les syringes permettent à l’aulos
d’octavier. A l’époque de Démosthène, un aulète réputé du nom de Téléphane de Mégare, a
refusé d’en doter ses auloi, préférant utiliser un instrument moins performant, mais plus
conforme au style musical de son choix. S’agissait-il de coulisses ? On a tout lieu de le penser.
Les textes à leur sujet restent très obscurs, mais des découvertes récentes ou moins récentes
d’instruments en bon état de conservation et encore inédits (aulos à tiges de Pergame, auloi
découverts au Tadjikistan), permettront sans doute d’élucider prochainement cette question.
La précision de la facture et la complexité des dispositifs mécaniques dont étaient dotés les
instruments à vent grecs puis romains méritent d’être soulignées. Jamais les virtuoses de
l’Antiquité n’ont eu à se servir d’instruments rudimentaires, à la justesse approximative: ils
ont toujours été fabriqués par des luthiers, les aulopoioi, travaillant dans des ateliers
spécialisés. L’un d’entre eux, le seul connu à ce jour, a été identifié non loin du sanctuaire
d’Apollon à Délos (cf. Bélis, 1988 [2]). Certains étaient immensément réputés et s’attiraient la
clientèle des meilleurs musiciens du moment: un aulète thébain aussi riche qu’il était
renommé, Isménias, paya la somme astronomique de 7 talents à un atelier corinthien auquel il
avait passé commande de ses auloi. Travaillés dans des matériaux rares et précieux,
minutieusement réalisés par des ouvriers hautement qualifiés, dotés de mécanismes ingénieux
et fabriqués sur commande, un à un, par l’artisan sur les recommandations détaillées de
l’instrumentistes, les auloi grecs et les tibiae romaines constituaient des instruments
performants, puissants, précis, qui nous montrent à quel point de perfection la technologie
antique avait su parvenir.
BIBLIOGRAPHIE
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