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Entretien sur la musique antique
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Entretien sur la musique antique

Abstract

En guise de préambule à l'ouvrage "Des lyres et des cithares, musiques et musiciens de l'Antiquité", collection Signets Les Belles Lettres, Paris 2010. Attention ! cet ouvrage est plein d'erreurs, de traduction et de grec. Je n'en cautionne aucunement le contenu.

Annie Bélis Directeur de reherches au CNRS – École Normale Supérieure. 1) Vous êtes spécialiste de la musique ancienne et vous dirigez l’Ensemble Kérylos, un ensemble de musique antique. De quels musiciens est-il composé, et quels types de pièces jouez-vous ? Depuis a création en 1990, l’ensemble Kérylos compte des chanteurs et des instrumentistes, de manière à pouvoir interpréter en concert ou sur CD tout ce que l’Antiquité grecque et romaine nous a laissé de partitions. Nous utilisons des répliques d’instruments antiques, fabriqués sur mes strictes indications par des luthiers. Notre « organarium » d’instruments à cordes, à vent et à percussion, s’est constitué peu à peu. Lyres, des cithares grecques, une cithare romaine, un aulos transversal, un luth romain, deux tympanons, un percussion à pied, appelée kroupeza. D’autres sont en cours de construction. 2) Possède-t-on beaucoup de partitions anciennes, grecques et romaines ? Sont-elles toutes déchiffrables ? On pourrait dire qu’il y a peu de « partitions » (soixante ou soixante-dix...), si tant et tant d’œuvres poétiques et musicales n’avaient pas totalement disparu : pas une note d’Eschyle ni de Sophocle, rien de Pindare ou d’Hésiode, pas une ligne de musique de comédie... Les partitions, que ce soit des inscriptions, des manuscrits médiévaux, ou des papyrus, sont d’une lecture toujours longue et ardue : elles sont endommagées, fragmentaires. Il faut établir les textes, rassembler les fragments, et identifier la nature de la partition. La transcription elle-même n’est pas « difficile » : les tables de signes compilées par le musicographe Alypius, parfaitement détaillées, permettent une transcription précise, puisque le système musical nous est connue par les traités de théoriciens. 3) La musique était-elle essentiellement écrite, ou le répertoire se transmettait-il oralement ? Peut-on savoir s’il existait de la musique improvisée ? Il n’ y a pas vraiment à employer de « ou » : ce que nous savons, c’est que les Grecs, ces maniaques de l’écriture, ont très tôt mis au point un système pour noter la musique, parce qu’ils voulaient que leur patrimoine musical pût perdurer à travers les siècles et être transmis à travers l’espace. Les musiciens se constituaient des cahiers de papyrus, dont des feuillets sont parvenus à nous. Mais parallèlement, bien des musiciens enseignaient sans lire des partitions, procédant ad orecchio : le maître joue ceci, l’élève s’efforce de mémoriser et de reproduire. Cela dit, l’archivage restait une nécessité absolu. C’était le domaine propre de notateurs formés ad hoc. Je n’affirmerais pas que « l’improvisation » au sens moderne du mot, ait été beaucoup pratiqué. Nous savons que les artistes, avant de jouer une pièce du répertoire, « préludaient » librement. Le fameux « nome pythique » des concours delphiques semble avoir été constitué de thèmes obligés successifs, sur lesquels le compétiteur devait ou pouvait broder en intégrant à chaque partie les éléments techniques requis par les règlements. Je tiens à le souligner : les partitions venues jusqu’à nous sont toutes, sans exception, très belles— textes et musiques. Il est clair qu’on a voulu sauver ce que l’on considérait comme le plus précieux. 4) Les partitions sont-elles suffisantes pour savoir quel était le son de la musique ancienne ? La part d’interprétation est fondamentale dans la musique. C’est en particulier le cas de la voix : peut-on savoir comment cette musique était jouée et quelle technique vocale était utilisée ? Ce ne sont pas les partitions, mais les traités de musique et les témoignages sur les virtuoses, qui nous livrent les informations les plus précises sur le travail vocal et les performances instrumentales. Les partitions, elles, nous donnent la tessiture (parfois énorme, des chanteurs. J’ai parlé de virtuoses, et ils l’étaient, chanteurs et instrumentistes. Des textes de toutes époques décrivent les exercices de phônaskia auxquels se soumettaient quotidiennement les citharèdes : montée progressive puis redescente de la voix, travail pour augmenter la puissance et le souffle, exercices d’articulation pour la clarté de la diction, vélocité, nuances.... Tout y est. Ne croyons pas qu’on chantait d’un petit filet, à voix blanche. 5) Vous avez travaillé sur les instruments antiques. A partir de quelles sources avez-vous pu les reconstituer ? J’ai fait appel à tout ce qui peut se trouver : vestiges d’instruments, témoignages de musicographes (pour les échelles), et sources iconographiques, qu’il a fallu, naturellement, recouper, en prenant garde à ne pas commettre d’anachronismes. Tout était à faire, en réalité : aucun instrument à peu près jouable n’a survécu. Les textes fournissent des indications sur les matériaux, ainsi que les vestiges. L’iconographie, elle, est seule capable de donner les proportions, la taille, et la tenue de l’instrument. Le travail avec les luthiers consiste ensuite à déterminer (et à limiter) les moyens techniques de fabrication : pas question d’utiliser des mécanismes dont nous savons que ni les Grecs ni les Romains ne disposaient. 6) Peut-on parler d’ne spécificité de la musique ancienne ou existe-t-il des différences notables entre les diverses régions et périodes de l’Antiquité, en particulier entre la musique grecque et celle de l’Empire romain ? Sur une période qui avoisine les dix siècles, et dans une superficie qui a pu atteindre quelques millions de kilomètres carrés, les disparités ont été gigantesques. Chaque époque, chaque grande région (je parle ici de la période impériale), avait eu son répertoire, ses instruments de prédilection, ses goûts esthétiques. Le « grand répertoire », lui, a traversé les siècles. Entre les Grecs et les Romains, la première des différences est la prédilection des premiers pour la musique, tenu pour un art suprême, et pour l’aptitude inlassable à la théoriser, et, à l’opposé, le peu de goût des Romains à la pratique musicale, et sa presque totale impuissance à y réfléchir par écrit. Finalement (c’est un résumé schématique), ils s’en sont remis, là-dessus, aux Grecs — ce qui a pu déplaire, voyez Juvénal. Mais j’ajoute que les artisans romains ont su perfectionner les instruments de musique, à cordes et à vent, comme aucun Grec ne l’avait jamais fait. Ce qu’ils ont accompli, en organologie, est tout simplement merveilleux. 7) On sait que les théories harmoniques et rythmiques grecques ont eu une grand influence sur les théories ultérieures. En est-il de même pour la pratique musicale elle-même ? La musique ancienne présente-t-elle une spécificité qui s’est éteinte à la fin de l’Antiquité ? Pensez-vous qu’elle puisse avoir quelque parenté avec certaines musiques actuelles ? Pour la théorie, oui, pour la pratique musicale elle-même, non. La question de l’extinction, assez brutale, de la musique gréco-romaine, tient à des facteurs historiques et religieux. J’en vois trois (pour schématiser). Il y a d’abord la brutalité des invasions, qui dévastent tout. Et puis, l’empire une fois devenu chrétien, on interdit purement et simplement la pratique de la musique « païenne ». Les artistes ne peuvent plus se produire sur scène sous peine d’excommunication. Et enfin, il ne se trouve plus personne pour savoir lire les signes de la notation. Quant aux possibles traces de la musique antique, soit dans les musiques traditionnelles de Grèce ou ailleurs, dans le bassin méditerranéen, le musicologue Samuel Baud-Bauvy s’est efforcé naguère de les repérer. Mais les résultats de ses investigations restent limitées : entre le quatrième ou cinquième siècle et notre vingt-et-unième siècle, combien d’autres influences musicales ont pénétré la Grèce, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ?








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