À la rencontre de Colette Joanny
qui avait son bureau et finalement c’était là où on allait
Alors j’ai été reçue par une psychologue, c’était une
ce que ça donnait et elle avait ajouté « je vais m’en aller,
relations intimes avec le directeur et que finalement elle
Colette Joanny (à gauche) avec son équipe
chargée de la formation continue et de la gestion des cadres
à Roanne (Giat) dans les années 1970
c’était intéressant de se mélanger comme ça, et puis on a
la psychologie du travail », ça faisait une différence avec les
Colette JoAnny interrogée par Philippe SArnin
sant, cette dame était intelligente, ça l’a intéressée de voir
Présentation de l’interviewée
C’était durant quelle période ?
Colette Joanny, psychologue du travail retraitée, a fait
une longue carrière au sein de GIAT Industries. Elle nous
parle de sa formation de psychologue et de ses expériences auprès des salariés. Toujours attentive à la profession et à la formation des psychologues du travail, elle a,
au cours de sa carrière, assuré de nombreux cours à l’Université Lyon 2 et a régulièrement accueilli des stagiaires
psychologues au sein de son entreprise.
Je sais que j’ai terminé la licence de psychologie en
1954, oui je crois que c’est à peu près ça. J’avais fini le
diplôme d’éducateur et on m’a proposé un poste, parce
que je passais pour une éducatrice chevronnée, mais je me
suis dit qu’il valait mieux que je finisse carrément la licence
de psychologie, alors j’ai fait deux certificats par an, il y
avait quatre certificats.
Il y avait quels cours à l’époque ? Psychologie sociale, psychophysiologie, psychologie de l’enfance...
Pouvez-vous me parler de vos études de psychologie ?
...et psychologie générale ainsi que neurophysiologie.
Cours qui étaient communs avec la licence de philosophie et c’est comme ça que j’ai connu Monique latreille2.
C’était très théorique. Et j’ai fait ça avec l’idée que j’allais
reprendre médecine. Mais je n’ai pas repris, parce que je
me suis dit que je m’étais embarqué dans quelque chose
d’intéressant sur l’Homme. On n’était pas très nombreux,
on était une vingtaine ! Je n’ai pas eu de mention sauf en
psychologie sociale, parce que j’avais eu 20/20 en statistique. Ça m’avait donné, vous savez, une certaine autorité,
pour une psychologue ! Être bonne en maths, c’est un peu
bizarre, mais le peu que j’avais fait en médecine, j’avais
quand même appris des statistiques et tout ce qui était
physiologie. J’avais une avance de ce côté-là.
À ce moment-là de mon parcours, j’ai commencé à
avoir des médecins, des pédopsychiatres qui me demandaient de venir les aider pour faire les examens des enfants
avant qu’ils les voient. Et un beau jour, il y a un professeur
de psychologie de l’enfant qui m’a téléphoné et qui était au
Centre de pédagogie. Au bout de la rue, il y avait Léon Hus-
Alors mes études : j’ai commencé médecine. Nous
étions six femmes dans les amphis, avec tous les garçons
qui chahutaient derrière nous, alors on se tenait bien comme
on pouvait. Et donc, à l’époque, ayant été malade j’ai dû
m’arrêter. J’ai aidé une de mes sœurs à élever ses enfants
pendant deux ans. Puis, un beau jour, j’ai dit à mon père « ça
suffit, il faut que je reprenne mes études ». Je me disais que
j’allais devenir « assistante sociale », seulement, à la catho1,
on venait de créer une formation de psychologie avec des
psychologues de Suisse, directeurs de l’école normale de
Genève et je me suis inscrite là en « éducateur ». Quand
j’ai passé l’examen de première année d’éducateur, c’est le
professeur de philosophie qui m’a dit « ne vous arrêtez pas
là, il faut faire la licence de psychologie, c’est une nouvelle
licence ». J’ai donc fait ma deuxième année et j’ai eu mon
diplôme d’éducateur spécialisé. Puis, j’ai fait le certificat de
psychologie de l’enfant en suivant une formation légère,
grâce à ce que j’avais appris pour être éducateur. En même
temps, j’ai fait aussi le certificat de psychologie sociale à
l’université des sciences humaines de Lyon.
1
2
Monique latreille a été assistante en psychologie pour la
formation des psychologues du travail à Lyon 2.
Institut Catholique de Lyon.
Canal Psy n°116
à me dire : « faut faire comme ci, comme ça ». Et donc j’ai
12
Psychologie du Travail
pas le même, alors ça a été une année très laborieuse et
gens au poste et non pas adapter les postes aux gens, ça
, c’est comme ça que s’appelait le
certificat, je sais plus comment ça s’appelle maintenant. Et
pas. Je leur ai proposé qu’on fasse ensemble l’étude, ça les
qui avait mis en place le certificat d’études psycho
techniques, alors j’ai fait le certificat de
radômes, c’est métallique et ça se met au bout du canon.
(1911-1996) a été directeur du laboratoire de
(1901-1988) a dirigé le Laboratoire de
Colette
une longue carrière au sein de GIAT Industries. Elle nous
1954, oui je crois que c’est à peu près ça. J’avais fini le
riences auprès des salariés. Toujours attentive à la profes
versité Lyon 2 et a régulièrement accueilli des stagiaires
étions six femmes dans les amphis, avec tous les garçons
pendant deux ans. Puis, un beau jour, j’ai dit à mon père « ça
suffit, il faut que je reprenne mes études ». Je me disais que
diplôme d’éducateur spécialisé. Puis, j’ai fait le certificat de
temps, j’ai fait aussi le certificat de psychologie sociale à
suis dit qu’il valait mieux que je finisse carrément la licence
de psychologie, alors j’ai fait deux certificats par an, il y
avait quatre certificats.
phie et c’est comme ça que j’ai connu Monique
C’était très théorique. Et j’ai fait ça avec l’idée que j’allais
son3 qui avait son bureau et finalement c’était là où on allait
pour certains cours. Nous allions à la fac uniquement pour
ce qui était commun avec la philosophie et puis pour certains cours que des professeurs préféraient donner là-bas.
C’était l’un des professeurs qui m’avait téléphoné en me
disant « vous savez, on demande un psychologue à l’arsenal d’Irigny, vous devriez y aller, vous présenter ».
Alors j’ai été reçue par une psychologue, c’était une
Strasbourgeoise, pendant la guerre on les avait envoyés sur
Clermont-Ferrand, elle avait suivi les cours d’un professeur
de Strasbourg qui écrit des bouquins, qui est bien connu
et donc elle avait travaillé avec lui. Ce qui l’intéressait était
d’embaucher une psychologue formée à Lyon pour voir
ce que ça donnait et elle avait ajouté « je vais m’en aller,
vous prendrez ma place ». Et puis j’ai vu qu’elle avait des
relations intimes avec le directeur et que finalement elle
ne partait plus ! Donc j’ai été embauché pour trois mois.
Je me suis dit « je peux toujours faire un mois, on verra
bien », et puis je me suis dit « quand même c’est bien payé
la psychologie du travail », ça faisait une différence avec les
autres postes. Et puis au bout des trois mois on m’a dit « on
vous embauche, si vous voulez on vous fait un contrat »,
du coup je suis restée. Surtout que ce n’était pas inintéressant, cette dame était intelligente, ça l’a intéressée de voir
les études que j’avais faites et elle m’a proposé de rester.
Moi, au début, ce qui m’a intéressé c’est que je m’attendais
à ce qu’on me fasse faire passer des tests, mais pas du
tout ; nous allions beaucoup dans les ateliers et il y avait
une école d’apprentissage. La psychologue m’a envoyée à
l’école d’apprentissage en me disant : « vous ne connaissez rien à la mécanique ». Alors, pendant que les apprentis
étaient en vacances, j’ai appris à ajuster, à limer, etc. J’avais
tous les moniteurs qui étaient autour de moi, à me regarder,
à me dire : « faut faire comme ci, comme ça ». Et donc j’ai
appris la mécanique ! Et cette dame, elle m’avait dit on ne
va pas embaucher des gens, parce qu’on faisait des examens d’embauchage que ce soit pour les ouvriers, les techniciens, elle m’a dit : « on va voir sur quels postes on les
met, on va étudier les postes ». À ce moment-là, il n’y avait
pas encore le côté ergonomie qui est venu après, il s’agissait davantage d’une connaissance du travail. Et après on
s’est dit « il faut préparer les postes, il faut que les postes
soient aptes aux gens ». On était drôlement en avance !
c’était un peu en parallèle, ce n’était pas la Sorbonne, et
la Sorbonne c’était Fraisse5, etc. C’était tous ceux dont on
connaît les bouquins ! J’ai eu Fraisse, j’en ai eu d’autres, j’ai
eu oléron6, donc j’ai eu un certain nombre de sommités et
ce qu’il y a eu d’intéressant c’est que nous sommes allés
à un colloque à Moscou. Je trouvais que c’était le moyen
de continuer à me former. Alors je suis allée à Moscou, là
tout le monde est venu, et pour un peu nous avons eu peur
de ne pas revenir, c’était en 1966. J’ai retrouvé tous les
professeurs avec nous et c’était intéressant parce qu’on a
discuté un peu d’égal à égal à ce moment-là. Pour la petite
histoire, j’étais revenue à Lyon, en 1966, et le directeur m’a
dit « il faut que vous fassiez un exposé ». C’était extraordinaire à l’époque d’aller à Moscou, alors j’ai fait un exposé
pour dire ce qu’on nous avait fait voir sur le monde du travail. J’avais trouvé deux psychologues qui étaient plutôt
orientés psychologie de l’enfant. Un de Lyon et un de Lille,
c’était intéressant de se mélanger comme ça, et puis on a
séché quelques cours, quelques séances, on est allé à Yaroslavl, on a fait quelques périples que je n’aurais jamais pu
faire toute seule. Je les avais rencontrés à l’époque à Orly
et l’avion était plein justement de gens de la psychologie.
Cela a été très intéressant d’un point de vue relationnel. On
était parti quelques jours avant et on était resté quelques
jours après, alors on avait demandé à aller voir la maison de
Pavlov, la guide touristique nous avait dit : « mais bien sûr »
et puis après elle était revenue vers nous elle nous avait dit :
« vous savez je me suis renseigné ce n’est pas possible ».
D’accord, donc vous travailliez à l’administration
centrale en même temps que vous suiviez les cours ?
Ensuite, j’ai été envoyée à Paris, à l’administration centrale parce que je crois qu’il y avait une chef de service qui
s’est étonnée que cette dame ait pu embaucher quelqu’un
comme moi. Et donc ils m’ont fait venir à Paris et c’est là
qu’il y a encore une dame - ce qui n’est pas mal de voir
qu’il y avait tant de femmes -, qui m’a dit : « il faut faire
des diplômes à la Sorbonne ». Alors je me suis inscrite en
psychologie industrielle, c’est comme ça que s’appelait le
certificat, je sais plus comment ça s’appelle maintenant. Et
donc j’ai fait psycho industrielle et c’est Raymond Bonnardel4 qui avait mis en place le certificat d’études psychotechniques, alors j’ai fait le certificat de Bonnardel, mais
Oui, ils ne se gênaient pas pour m’envoyer faire du recrutement. Mais ce que j’ai fait de bien dans les études
c’est d’apprendre à faire des études de postes. À Tarbes,
c’était un atelier de chargement et là j’ai fait beaucoup
d’études de postes et il y avait, parmi les gens qui étaient
avec moi, un autre qui faisait le diplôme aussi. Tous les deux
on essayait de mettre en application ce qu’on apprenait
en cours. C’était la dame qui m’avait fait venir, la chef de
service, elle ne m’enlevait rien comme travail, il fallait que
j’aille à Tarbes, il fallait que j’aille à Bourges, à Rennes, etc.
Mais c’était intéressant parce que j’ai fait le tour de tous
les arsenaux et manufactures. Le travail n’était évidemment
pas le même, alors ça a été une année très laborieuse et
on m’a demandé de créer un service de psychologie du
travail à l’arsenal de Lyon. Alors à Lyon, où l’on fabriquait
des obus, j’ai fait des études de postes ; l’objectif c’était
de bien mettre les gens au bon poste, donc adapter les
gens au poste et non pas adapter les postes aux gens, ça
c’était le deuxième temps. J’ai commencé à Lyon parce
que je faisais équipe avec le médecin et l’ingénieur sur une
nouvelle fabrication qu’on avait vue et qu’on ne connaissait
pas. Je leur ai proposé qu’on fasse ensemble l’étude, ça les
a beaucoup intéressés, on a donc fait cette étude sur des
radômes, c’est métallique et ça se met au bout du canon.
3 Léon Husson (1897-1982) a dirigé l’École Pratique de Psychologie
et de Pédagogie (EPPP) de 1953 à 1967.
5
Paul Fraisse (1911-1996) a été directeur du laboratoire de
psychologie expérimentale de l’université Paris Descartes.
4
Raymond Bonnardel (1901-1988) a dirigé le Laboratoire de
Psychologie appliquée de l’EPHE.
6 Pierre oléron (1915-1995) a été Professeur à l’université Paris
Descartes.
évolutions et horizons
13
Printemps 2016
C’était peu connu comme fabrication, l’arsenal de Lyon
avait remis ce type de fabrication en route. Et puis, après
les radômes, je continue à aller dans toute la France selon
les besoins. Avant l’arsenal de Lyon, à Irigny, on faisait du
décolletage, on avait hérité de machines américaines. Je ne
savais même pas ce que c’était le décolletage quand je suis
arrivée, vous vous rendez compte en sortant de l’université,
de la psycho de l’enfant !
mation continue7. Alors, j’ai mis en place la formation continue, vous vous rendez compte quand il y a tant de monde !
J’avais pris une assistante parce que j’avais trop de travail
et on avait embauché une psychologue, ils ont demandé
que ce soit une étudiante en psychologie, qui venait faire
un stage en étant mon adjointe et puis après j’ai réussi à la
faire embaucher.
il y en aura d’autres ». J’ai trouvé ça intéressant de voir
Et vous avez toujours gardé un lien avec l’université ?
C’était la fin des années 1950 ?
En 1968, on m’a proposé un poste d’assistante à la fac.
J’ai dit si je suis assistante à la fac et que j’ai plus de service, je n’aurais plus rien de concret, ce sera les bouquins,
alors j’ai refusé. J’ai refusé, j’ai préféré continuer à travailler. Mais je vous parlais de la formation permanente avec
Jacques delors, c’est une des plus belles parties de ma
carrière. Nous avons monté un stage avec le CESI8. Avec
Chantal B., à l’époque, nous avions dit, « nous allons dans
les ateliers, nous allons expliquer en quoi va consister le
stage ». Nous parlions d’un stage de « connaissance de
l’établissement » parce que les gens ne connaissaient que
leur machine. Le chef d’atelier nous y avait autorisés, il avait
réuni tout son atelier et j’ai expliqué ce qu’on allait faire, en
quoi allait consister le stage et Chantal complétait aussi un
peu. Après, tout le monde voulait suivre le stage. Le chef
d’atelier nous avait dit « je crois que vous l’avez commencé
votre stage ! ». Je trouvais ça intéressant que le chef d’atelier ait bien compris ce qu’on voulait faire. Alors évidemment on n’a pas pu tous les prendre, on en a pris un certain
nombre, peut-être une trentaine quand même. Après on a
fait un deuxième stage, et j’étais ravie, je leur ai donné du
travail pendant plusieurs années comme ça. C’était passionnant de faire ça, c’est peut-être de la formation continue qui date par rapport à ce qu’on fait maintenant, mais
moi ça m’a beaucoup intéressé.
Ensuite nous avons démarré les stages, ça durait bien
sûr très longtemps, nous faisions venir tous les cadres, y
compris le directeur que nous avons fait venir à la fin, nous
avons fait la conclusion du stage avec lui.
C’était encore un peu l’après-1968, les ouvriers avaient
rempli les paperboards de tout ce qu’ils trouvaient qui n’allait pas, mais en faisant des propositions d’amélioration.
Alors le directeur, qui est un directeur très bien, a admiré
ça, a posé des questions, a dit que c’était très intéressant
et après ça a été suivi parce qu’on avait un ingénieur, à qui
ça a bien plu, un polytechnicien qui était chef de groupe et
qui a dit « il y a plein d’idées à prendre ». Il est retourné à
Lyon, je pense, cet ingénieur, et vraiment il en a gardé un
souvenir extraordinaire.
Cela a été une période de ma carrière que j’ai beaucoup
aimé. Je faisais en même temps la gestion des cadres,
c’était facile quoi, je les embauchais, je disais à peu près à
quel endroit on pouvait les mettre, je leur faisais passer des
Là, c’était les années 1955. Parce que je suis allée à
Paris en 1957-1958.
Du coup, quand vous travailliez à arsenal, vous étiez
fonctionnaire ?
Non, j’étais ingénieur sous contrat. Parce qu’ils ne titularisaient plus et les fonctionnaires c’était les postes administratifs, vous savez comme à la fac. J’ai fait tout le parcours jusqu’en haut de l’échelle.
Vous étiez peut-être la seule sur Lyon à avoir fait
des études de psychologie industrielle ?
Bien sûr, et d’avoir déjà ce bagage d’études de postes,
d’ergonomie, puisque je suivais tous les congrès d’ergonomie. Je faisais ergonomie et psychologie. Quand je suis
revenue, l’arsenal de Lyon avait fermé et on m’a proposé
Paris ou Roanne : Paris c’était pour faire de la recherche
avec des médecins, donc je me suis dit « bof » et autrement
c’était Roanne. J’ai eu envie de travailler dans un grand établissement parce que là c’était énorme, je me suis dit il faut
voir ce que c’est que de travailler dans un grand établissement. J’ai débarqué là-dedans, ce qui correspondrait au
chef des ressources humaines, on disait un chef de groupe
manœuvre, était un ingénieur, un polytechnicien. Il avait
monté ce service pour s’occuper justement des hommes
au travail alors il m’avait dit : « j’ai demandé à avoir un psychologue parce que ça manquait dans mon équipe », donc
j’étais vraiment demandé en tant que psychologue. Il avait
créé un service de psychologie pour moi, un service où je
faisais du recrutement, de l’étude de postes, etc. Et puis on
me laissait un peu libre, donc j’ai travaillé avec les médecins,
il y en avait un qui était un peu parano, c’était embêtant.
Un jour, pendant une réunion, alors qu’évidemment je lui
ai tenu tête et que le médecin s’est fâché, le directeur a dit
« ce n’est sans doute pas ce que Melle Joanny a voulu dire ».
J’ai répondu « si, si c’est bien ce que j’ai voulu dire ». J’étais
obligée de leur tenir tête parce qu’il disait des aberrations.
Tout le monde autour de la table était ravi parce que les
autres auraient voulu dire ce que je disais, mais ils n’osaient
pas le dire. J’étais toujours la seule femme ! Je crois que
la première femme que j’ai vue faire partie de l’équipe de
direction à Roanne c’était à l’informatique. C’est pour vous
dire, j’étais toujours avec des hommes. C’était passionnant
à Roanne. Puis Jacques delors est arrivé, il a créé la for-
7 La formation professionnelle continue est née en France avec
la loi du 16 juillet 1971. Jacques delors, alors conseiller du Premier
ministre gaulliste de l’époque, Jacques cHaBan-delmas, crée la
«formation professionnelle continue» dans le cadre de «l’éducation
permanente» qui devient une «obligation nationale». La loi se veut
vecteur d’émancipation de l’homme, de développement personnel,
d’épanouissement du citoyen.
8
Canal Psy n°116
14
CESI : Centre d’Études Supérieures Industrielles à Écully.
Psychologie du Travail
défilait, derrière la CGT, la CFDT... les trois syndicats. Ils sa
comme ça ! Ils disaient : « il faut plus qu’on monte le char
de cette façon », parce qu’on leur avait parlé des équipes
semi-autonomes. Alors ils ont voulu faire pareil et ça a très
façon, je ne peux pas discuter avec autant de monde, vous
huit ans à Saint-Étienne et j’ai dû finir à Satory. Satory c’était
me suis dit « mais où je suis tombée ? », je n’ai jamais vu ça
carrière, c’est intéressant parce que ça a été un bouclage,
ça, on a fait les améliorations qui étaient proposées, qui
avait été quand même très très dur pour lui, mais enfin il
intéressant. Alors voilà, ça a été la fin de ma carrière de
niste. Pour vous dire, quand je suis partie, - parce qu’à la fin
C’était la fin des années 1950 ?
votre stage ! ». Je trouvais ça intéressant que le chef d’ate
travail pendant plusieurs années comme ça. C’était pas
sionnant de faire ça, c’est peut-être de la formation conti
moi ça m’a beaucoup intéressé.
Ensuite nous avons démarré les stages, ça durait bien
compris le directeur que nous avons fait venir à la fin, nous
chologue parce que ça manquait dans mon équipe », donc
après-1968
ça, a posé des questions, a dit que c’était très intéressant
et après ça a été suivi parce qu’on avait un ingénieur, à qui
ça a bien plu, un polytechnicien qui était chef de groupe et
permanente» qui devient une «obligation nationale». La loi se veut
il m’a dit : « mais si vous partez il n’y aura plus d’humanisme
dans nos établissements », je lui ai dit : « si, vous verrez,
il y en aura d’autres ». J’ai trouvé ça intéressant de voir
que la CFDT c’était cette représentation qu’ils avaient, à
travers moi, cela concernait la psychologie du travail quand
même ! Donc vous voyez j’ai vraiment fait des choses très
passionnantes, parce qu’elles ont été très variées.
tests. Quand j’ai quitté l’arsenal, j’ai appelé les ingénieurs
en question et je leur ai demandé s’ils voulaient leur dossier
d’embauchage. Il n’y avait pas de raisons que je les garde,
que je les laisse surtout.
Alors après Roanne, il y a eu Saint-Étienne, c’est moi
qui ai demandé parce que l’ingénieur qui s’occupait de ce
qu’on appelait les relations sociales partait. Il est passé aux
ressources humaines et il avait la formation hygiène sécurité, la médecin, le recrutement et ainsi de suite, et le service
du personnel aussi.
Saint-Étienne c’était le FAMAS. Un jour on était en réunion avec le sous-directeur, puis on voyait tout l’atelier du
FAMAS de loin, à travers les fenêtres, en mouvement, qui
défilait, derrière la CGT, la CFDT... les trois syndicats. Ils savaient qu’on était en réunion, donc ils arrivent et ils disent :
« on est là parce qu’il faut enlever le chef d’atelier, il est
nul ». Alors le sous-directeur est très embêté : « De toute
façon, je ne peux pas discuter avec autant de monde, vous
en désignez trois ou quatre » alors le gars de la CGT : « un
tel, un tel, un tel, vous rentrez dans le bureau, les autres au
travail ». Donc j’ai vu tous les ouvriers repartir au travail, je
me suis dit « mais où je suis tombée ? », je n’ai jamais vu ça
à Roanne. Je me suis dit « c’est la CGT qui commande ici ».
C’est vrai qu’avec des syndicats puissants ce n’est pas du
tout la même ambiance. Alors je me suis dit « que faire ? »
J’avais déjà fait des réunions au début, histoire de m’occuper un peu, des réunions de chefs d’ateliers et puis j’avais
vu qu’ils étaient assez remontés contre la direction. Je me
suis dit si on enlève ces chefs d’ateliers on démolit tous
les autres services, alors j’ai proposé de faire des réunions
avec les ouvriers, le chef d’atelier, et j’ai dit qu’il fallait que
l’ingénieur-chef de service vienne aussi. Alors on a fait des
réunions, où les gens parlaient et expliquaient. Je leur avais
dit « il faut que vous en désigniez au moins une dizaine, et
voilà ce qu’on va faire : on dira ce qui ne va pas, ce qu’on
pourrait améliorer ». J’avais aussi demandé au chef d’atelier
de surtout mener la réunion avec moi, je m’étais préparée,
lui il tremblait parce que c’est vrai qu’il était nul, les ouvriers
avaient raison. Donc on a fait plusieurs réunions comme
ça, on a fait les améliorations qui étaient proposées, qui
n’étaient pas idiotes du tout. Le chef d’atelier a gagné en
prestige un peu quand même. Mais quand il y a eu, six mois
après, une proposition pour une mutation, il l’a prise. Ça
avait été quand même très très dur pour lui, mais enfin il
avait bien coopéré avec l’atelier.
Je crois que j’ai gagné auprès de certains de la CGT parce que j’ai toujours été très amie avec la CGT -, le gars
de la CFDT était bien aussi. Du coup, les syndicats venaient
me trouver en me disant « vous savez les jeunes qui sont
sortis d’apprentissage cette année sont très mal utilisés, on
ne les met pas aux postes qu’il faut pour qu’ils continuent
à se former ». Alors je leur avais demandé ce qu’ils en pensaient, ce qu’ils voudraient et après j’ai donné suite à ce
qu’ils demandaient. C’était passionnant de travailler avec
les suggestions des syndicats. La CFDT c’était plus humaniste. Pour vous dire, quand je suis partie, - parce qu’à la fin
j’ai été muté à la gestion des cadres au siège à Satory -, je
vois le gars de la CFDT qui traverse toute l’immense pièce
pour venir jusqu’à moi et il m’a dit « c’est vrai que vous partez ? » je lui ai dit : « oui je prends ma retraite cette fois » et
évolutions et horizons
J’ai l’impression qu’il y a eu pas mal d’innovation
sociale, comme la formation continue...
La mise en place de la formation continue a été une
période extraordinaire. Et puis voir les ouvriers se bouger
comme ça ! Ils disaient : « il faut plus qu’on monte le char
de cette façon », parce qu’on leur avait parlé des équipes
semi-autonomes. Alors ils ont voulu faire pareil et ça a très
bien marché. On a fait des équipes avec des métiers différents pour monter le char. J’ai fait douze ans à Roanne et
huit ans à Saint-Étienne et j’ai dû finir à Satory. Satory c’était
intéressant parce qu’on venait de passer à GIAT industries.
Et Satory, vous y êtes allé en quelle année ?
J’ai pris ma retraite en 1992, donc en 1988. Le responsable était très content de m’avoir dans son service, il disait :
« ma psychologue » en me présentant. On avait demandé à
l’ingénieur « gestion des cadres » d’organiser un séminaire
pour les équipes de direction. J’ai vu le contenu du séminaire, je suis allée trouver les ressources humaines, je leur ai
dit : « si vous voulez faites ce programme, vous pouvez être
sûr que vous n’aurez personne ». Alors il m’a regardé, il m’a
dit : « bon, alors faites-moi un autre projet » et moi je lui ai
dit : « je ne fais pas un autre projet sans rencontrer ceux que
l’ingénieur veut trouver dans ce séminaire ». Alors j’ai fait le
tour de tous les arsenaux que j’avais fait au début de ma
carrière, c’est intéressant parce que ça a été un bouclage,
je suis allée voir tous les directeurs, ils m’ont tous dit ce
qu’ils pensaient et ce qu’ils aimeraient trouver, parce qu’il
pensaient bien qu’il fallait une véritable entreprise pour faire
de l’armement. On exportait beaucoup et avec l’argent qui
était gagné on faisait de la recherche, il y a des industries
qui s’y prenaient autrement bien sûr. Après avoir vu tous
ces directeurs, j’aménageai un tout autre séminaire et je
l’ai proposé au responsable des ressources humaines qui a
dit « bon c’est bien, c’est ce qu’on va faire ». Le séminaire
a eu lieu, j’ai participé à tout le déroulement, c’était très
intéressant. Alors voilà, ça a été la fin de ma carrière de
psychologue du travail, pour quelqu’un qui avait voulu faire
médecine et s’occuper ensuite d’enfance inadaptée... mais
je ne regrette rien.
Finalement, quels seraient vos conseils pour les
étudiants en psychologie ?
Je crois qu’il faut rester en contact avec des gens qui
n’ont pas la même formation, mais qui sont dans un milieu de travail et voir eux ce qu’ils font, comment ils voient
les choses... je crois aussi qu’il faut, au début, rester en
contact avec l’université, parce qu’il y a quand même toujours des cours qu’on peut suivre. Je pense que les dix pre-
15
Printemps 2016
mières années il ne faut pas arrêter de se former, après on
peut prendre un peu plus de distance. Et puis si on change
de ville, raison de plus, on voit des choses nouvelles. Avec
le groupe franco-allemand de psychologie du travail9, par
exemple, il est possible de se former, de se réunir entre professionnels, de rencontrer des gens. Sinon, il est toujours
possible, quand on parcourt les journaux, de repérer des
choses intéressantes auxquelles on peut s’inscrire. Je crois
qu’il faut vraiment avoir l’esprit très ouvert pour ne pas se
limiter à son domaine. Parce que le monde du travail, il est
très très vaste.
Autre conseil : Il faut s’abonner à des revues de psychologie, c’est important. En ce qui me concerne, j’ai fait
partie de la Société Française de Psychologie. Ce que je
trouve intéressant aussi dans les congrès, c’est la rencontre
avec les autres pays. J’ai un souvenir : en 1968, on était
sur la place du Dam à Amsterdam quand les psychologues
de Prague ont appris que les Russes venaient d’entrer à
Prague, ils en pleuraient, ils disaient « on s’était cru libre,
on croyait que c’était fini, qu’on allait pouvoir enfin faire ce
qu’on pensait », ils se demandaient même s’ils allaient pouvoir rentrer chez eux. Je trouve que ça, si vous n’avez pas
été à côté des gens, vous n’en avez pas conscience. J’ai
quelques images comme ça, quelques flashs. Berlin m’a
beaucoup touchée aussi, avec le groupe franco-allemand,
c’est là qu’on a eu un exposé d’un professeur de l’Allemagne de l’Est et il nous avait dit qu’eux ils n’avaient pas
le droit de parler de motivation, ils avaient fait venir lePlat,
l’ergonomie, etc., mais ils ne pouvaient pas parler de tout
ce qui touchait à la pensée !
Colette Joanny
Psychologue du travail retraité
Philippe sarnin
Professeur de psychologie du travail
et des organisations
9 Groupe informel qui organise plusieurs fois par an des rencontres
entre psychologues du travail français et allemands [http://www.
wirtschaftspsychologie-bdp.de/fachgruppen/deutsch-franz-ak/]
de ma région (la Lorraine). Je dois cette connaissance
à mon père qui y a travaillé toute sa vie. Dès 1970, à
l’âge de 17 ans, il travailla pour les industries de Wendel,
C’est pourquoi tout étudiant allant le temps d’un mois
l’aciérie. Puis en 1973, suite à la fermeture des industries
de Wendel, il fut employé à Sollac (aujourd’hui connu sous
le moyen d’augmenter celle-ci en modifiant la façon de
dédiée aux règles de sécurité. Les employés, quant à eux,
Mais au-delà d’un travail particulièrement difficile, c’est
jusqu’en 2007. Il exerça tout d’abord au laminoir à froid, où
il travaillait la tôle fine, puis il passa contrôleur métallurgie
et enfin, intégra une nouvelle équipe avec l’ouverture de la
ligne de galvanisation en 1991.
ligne. C’est avec camaraderie et entre-aide que chacun
occupait son activité. Et l’usine tentait de conserver cette
générations de lamineurs s’y succédaient. Les enfants de
C’est donc en mon nom et avec ma vision personnelle
chacun. En effet, ils passaient huit heures par jour entre eux
et étaient amenés à se côtoyer plus de huit ans d’affilés. De
plus, ils se devaient d’avoir une confiance mutuelle les uns
La première fois où je suis arrivée à l’usine, nous
fine épaisseur, comparé au laminoir à chaud qui intervient
sa forme). Tout d’abord, il est clair que la ligne n’attire
vienne nous chercher. Tous étaient assignés à travailler
dans les bureaux et nous avons vu défiler de nombreuses
s’il nous connaissait déjà. C’était mon chef et il se trouve
le plus difficile d’exercer, c’est au creuset (se trouvant sur
la ligne de galvanisation) ; ce poste consiste à écumer
savions sur lui. Tout de suite nous avons été accueillis par
demi-heures afin d’y enlever les impuretés. Et ce n’est
les étudiants étaient des enfants du personnel). C’était ça
l’esprit de famille qui régnait sur la ligne. Esprit de famille
l’usine de Florange, notamment à travers les nombreux
Canal Psy n°116
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Psychologie du Travail