Les Encerclés
Par Johanna Gleise
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À propos de ce livre électronique
Puis j’ai rencontré le Cercle : un groupe secret, illégal, engagé, uni... et complètement fou.
Quand j’ai décidé d’y mettre un pied, je ne pensais pas qu’il me mènerait aussi loin.
Roman initiatique sur fond d’anticipation, situé dans une Provence sombre et décalée, Les Encerclés mêle adrénaline et philosophie pour nous entraîner dans une quête effrénée d’absolu et de liberté.
Faites le pas, entrez dans le Cercle...
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Aperçu du livre
Les Encerclés - Johanna Gleise
Les Encerclés
Johanna Gleise
Les Encerclés
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
Retrouvez l’univers du livre et de l’auteur sur:
johannagleise.wixsite.com/leverlesvoiles
Et sur la page Facebook Johanna Gleise
Couverture: Sur les toits d’Aix
(photo: Johanna Gleise)
© Les Éditions Chapitre.com, 2016
ISBN : 979-10-290-0456-8
Les hommes meurent parce qu’ils ne peuvent pas renouer leur fin à leur commencement.
Alcméon de Crotone
Prologue
Ce jour-là quand je me suis réveillé, je me suis souvenu.
Ça faisait six ans. Jour pour jour. Six ans que j’étais ici. Et six ans que je ne les avais pas revus...
Je suis sorti de la cabane pour boire mon café en regardant la lumière du matin s’installer sur la montagne. Dans leur parc, les filles, qui commençaient à s’agiter, se sont mises à bêler en m’apercevant. Le Vieux Loup dormait encore. On avait fini par apprendre à cohabiter, lui et moi.
Six ans... pourquoi est-ce que je n’arrêtais pas d’y penser ? Est-ce que cette vie me manquait ?
Je n’ai pas pu m’empêcher de jeter un regard vers le passé, vers le bas de la vallée embrumée, comme je le faisais souvent. Mais cette fois-ci, je me suis figé.
Ils étaient là. Tous les cinq.
J’ai d’abord cru qu’à force de penser à eux, j’avais réussi à ranimer tous mes fantômes. T’es devenu fou, mon pauvre vieux. Alors je me suis frotté les yeux, j’ai posé mon café, et j’ai regardé à nouveau.
Ils étaient bien là. C’étaient eux, sans aucun doute.
Comment est-ce qu’ils m’avaient retrouvé ? Et pourquoi revenir me voir ? Pourquoi maintenant, après tout ce temps ?
Mes jambes se sont mises à trembler, comme autrefois. Quelque chose d’incontrôlable, dans le fond de mon ventre, s’est remis à palpiter. J’ai senti qu’en un instant, toute la poussière de ma vie a envahi ce que la montagne avait nettoyé pendant six ans. Et j’ai retrouvé au milieu de ce bordel général l’extase brute qui m’avait manqué.
Est-ce que j’étais prêt ?
I
J’étais fait pour vivre, et
je meurs sans avoir vécu.
Jean-Jacques Rousseau
Avant la vie
1
C’était il y a environ six ans.
J’avais quinze ans à cette époque, et j’étais vraiment un garçon sans histoires. Fils unique, j’avais grandi au chaud dans une famille paisible, à Brignoles, une petite ville du Var encore plus paisible.
Jusqu’à présent, la vie avait toujours été facile pour moi. Ce qui m’avait réussi, dans ce monde-là, c’était de me plier aux règles sans efforts. Bon sang ! C’était il y a bien longtemps.
À l’école, j’étais le garçon gentil et moyen qu’on ne remarque pas. Discret et travailleur, docile, confident des filles, je vivais au rythme fade et serein des garçons sans histoires.
Tout ça était mon univers. Et cet univers était la parfaite image du monde extérieur : mensonger, faux, rectiligne et insipide. Car on avait traversé une époque difficile ; c’est ce que répétait toujours mon père. Le pays s’était fermé depuis que la Crise avait rendu les gens fous. Après la période des Grandes Émeutes, qui avaient failli mener à une guerre civile, la sécurité était devenue, pour les populations traumatisées, la valeur sûre à laquelle il fallait s’accrocher.
Maintenant, ces périodes de troubles étaient loin. L’ordre était revenu, et dans ce monde, l’ordre, c’était tout ce qui comptait. On avait désormais tout ce qu’il fallait pour nous rendre la vie facile : la sécurité, le confort, l’encadrement. Il nous manquait seulement un peu de liberté, cependant pour quelqu’un comme moi, ce mot n’évoquait qu’un lointain mythe démodé...
Mais un jour, j’ai grandi. N’allez pas imaginer que j’ai voulu faire la révolution du jour au lendemain ! Non. Dans un premier temps, si les choses ont changé, ça n’a pas été de ma faute. Il se trouve simplement qu’un jour j’ai eu quinze ans, et que j’ai dû entrer au lycée.
Mes parents voulaient le meilleur pour moi. Alors ils m’ont envoyé au lycée Jules Verne, de bonne réputation, où je pourrais apprendre l’autonomie sans risquer de m’écarter du chemin tout tracé. Seulement voilà, ce lycée était à Marseille ; on m’a donc placé en internat.
En août, quand est arrivée la rentrée des classes, j’ai ainsi préparé mes bagages pour faire ce grand bon dans le vide.
2
Ce nouveau monde sauvage et inconnu m’a aussitôt happé pour m’avaler dans ses entrailles. Au début, je me suis senti seul, effrayé, pris au piège.
À Marseille les gens étaient nerveux, l’air trouble, les rues sales et hostiles, les souffrances solitaires. On sentait que vous pouviez crever sur le trottoir et être tout juste remarqué. On vous aurait mis de côté, à la rigueur, pour vous empêcher de gêner la circulation. C’était comme ça, en ville. Il fallait être efficace et productif, se taire, respecter la loi, travailler et aimer ça.
Quand je suis arrivé là-dedans, et que je me suis retrouvé noyé dans la masse sombre des élèves du lycée Jules Verne, j’ai été persuadé que je n’arriverais jamais à aimer quoi que ce soit ici. Ni cette ville, ni ce lycée, ni personne.
Au lycée, les élèves étaient classés selon leur âge et leur « niveau d’intelligence ». Loin des aventures de l’écrivain célèbre, le lycée Jules Verne, situé à la Plaine, avait pour devise « Excellence et obéissance », ce qui impliquait une discipline des plus strictes. Le lycée et son internat incarnaient donc un microcosme qui concentrait la totalité des frustrations de la société.
Tout ce qui était interdit aux jeunes à l’extérieur l’était donc bien évidemment aussi à l’intérieur. Et les interdits étaient nombreux ! Car tant qu’on n’avait pas vingt ans, on n’avait pas le droit de conduire des automobiles, d’avoir des téléphones et gadgets électroniques, d’être inscrit sur des réseaux sociaux, de distribuer des tracts, d’avoir des relations sexuelles, de sortir dans les rues après 22h... Tout ça pour des raisons de sécurité, évidemment.
À minuit, un couvre-feu général interdisait à quiconque, hormis aux agents de la sécurité et de l’État, de sortir dans la rue. Ça faisait des années qu’on traînait le même gouvernement et que les choses se passaient ainsi. Car les gens n’avaient qu’une crainte, dans ce monde : perdre la sécurité que toutes ces chaînes maintenaient artificiellement. Et pour ça, ils étaient les premiers à s’attacher eux-mêmes ces chaînes. C’était donc un monde gris et rigide, mais c’était l’ordre qui voulait ça.
Malgré tout, des trafics avaient lieu, même au lycée. Des jeunes peu recommandables pouvaient vous vendre dans la plus grande discrétion tous les produits interdits par la loi, comme les drogues en tout genre, le tabac, l’alcool... et si vous vouliez vous attirer des ennuis, vous pouviez toujours y arriver. Mais les sanctions étaient si sévères qu’après une seule erreur, il était difficile de remonter la pente.
À l’internat, je partageais la chambre avec un autre garçon de mon âge qui s’appelait Stanislas, et que j’ai d’abord trouvé un peu bizarre.
Stanislas
1
Ce qui me tuait chez ce gars, c’est qu’il était aussi parfait que s’il sortait d’un programme informatique.
D’abord bien avantagé par la nature, il était en plus très soigné. Il veillait toujours à laisser dépasser de son polo parfaitement assorti à ses pantalons le col de sa chemise parfaitement repassée. Et même quand il portait l’uniforme du lycée, il avait l’air plus classe que n’importe qui.
De ses cheveux blonds et soyeux chutait une mèche qu’il avait l’habitude de ranger avec soin sur le côté de son front. Inutile de vous préciser qu’il avait toujours les dents blanches, un rasage précis, une peau nette, les ongles bien coupés, les oreilles propres, etc.
Moi, le Stanislas, je le trouvais balaise et, pour les mêmes raisons, un peu inquiétant. Cette droiture, cet air suffisant, cette impression que tout lui était acquis, que rien ne pouvait l’atteindre... ça devait cacher quelque chose, non ? Au mieux, il se protégeait en reniant sa nature imparfaite ; au pire, il venait réellement d’un autre monde.
La première semaine, comme il paraissait très occupé, on n’a échangé que quelques mots. Pas de quoi construire un début d’amitié.
2
Le premier week-end où je suis rentré à Brignoles, ça m’a fait un bien fou.
Mes parents ont ramassé ma mauvaise mine à la gare avec un air soucieux. Ils m’ont harcelé de questions sur mes premières impressions et ça m’a fatigué de devoir y répondre sans cesse négativement. Non, je ne me plaisais pas chez Jules Verne ; non, les cours ennuyeux ne m’enthousiasmaient pas ; non, je ne m’étais pas fait de copains parmi la masse sombre ; non, je ne m’étais pas trouvé de petite amie !
Mais où est-ce qu’ils croyaient que j’avais atterri ? À les entendre, on aurait dit qu’ils m’avaient envoyé dans un camp de vacances. Non, ils m’avaient envoyé dans le pire internat du pire lycée de la pire ville du pire monde qui puisse exister.
Le soir, j’ai entendu mes parents discuter entre eux à propos de moi.
– Je l’ai trouvé désorienté, disait ma mère.
– C’est normal, mais il va s’y faire. Il se fait à tout ce petit.
– Tu crois qu’on a bien fait de le mettre en internat ?
– Je pense que ça ne lui fera pas de mal de côtoyer d’autres garçons de son âge. Tu verras, bientôt, il nous ramènera plein de copains.
– J’espère qu’il ne va pas se faire de mauvaises fréquentations...
Je n’ai pas entendu la suite, et ça ne m’intéressait pas.
De mauvaises fréquentations ? Aucun risque ! Je ne fréquentais personne, et la masse sombre ne m’en donnait pas envie.
3
Quand je suis rentré dans ma chambre d’internat ce dimanche soir, Stanislas était déjà en train de déballer ses affaires. Il avait toujours un temps d’avance sur moi. Ça ne m’a pas surpris de voir que ses vêtements étaient parfaitement pliés dans sa valise. Moi, à côté de ce rangement impeccable, j’avais un peu honte de mes affaires enfoncées à la dernière minute dans mon sac.
Je lui ai dit « salut » en m’asseyant sur mon lit et il m’a répondu « salut » d’une drôle de voix. Mais c’est à sa mèche de cheveux, mal rangée sur son front, que j’ai compris que quelque chose ne collait pas.
– Ça va pas trop ? je lui ai juste demandé.
Stanislas a haussé les épaules. Pendant un moment il est resté silencieux, le nez planté dans ses affaires, puis, je ne sais pas pourquoi, il a fini par se lancer.
– Ce n’est rien, il m’a répondu avec un sourire vague. C’est juste que je me suis disputé avec ma petite-amie.
– Ah. Je savais pas que tu avais une petite amie.
Je me suis senti bête de lui avoir dit ça, mais c’était tout ce qui m’était venu. Pour moi qui avais toujours été le confident des filles, parler avec un autre garçon était comme me retrouver brusquement de l’autre côté.
– Euh... à propos de quoi est-ce que vous vous êtes disputés ? j’ai hasardé en sentant quand même que c’était indiscret.
– Écoute, il a soupiré en rangeant sa valise sous son lit, je ne te connais pas, et c’est un peu perso, alors...
– Je comprends. Mais parfois, on parle plus facilement à quelqu’un qu’on ne connaît pas bien.
Pendant un moment, on est chacun retourné à nos occupations en silence. Puis le Stanislas a craqué :
– Avec Alyssa, on s’aime vraiment. Ça fait plus d’un an maintenant qu’on est ensemble et là, depuis quelques temps, elle pense à... tu vois, elle m’aime et elle commence à me dire que... enfin tu vois, oui, elle... elle voudrait bien...
– Oui, oui, je vois.
Stanislas avait prononcé ses dernières paroles tout doucement, sur un ton de confidence. Les relations sexuelles étaient interdites aux jeunes de notre âge pour éviter les grossesses non désirées, les cœurs brisés, les maladies, les écarts de discipline, bref la dégradation de la jeunesse. Même s’il existait d’innombrables moyens d’enfreindre cette loi sans se faire prendre, les sanctions étaient si sévères qu’elles suffisaient à dissuader la plupart des jeunes de faire le pas.
Le Stanislas s’est senti obligé de justifier sa réticence auprès de moi, mais il ne savait pas à qui il s’adressait : moi, j’étais un professionnel de la lâcheté, un expert en matière de prudence, un récidiviste de la fuite ! Je n’avais aucune expérience et n’étais pas encore pressé de m’en faire.
– C’est pas que je ne veux pas, continuait Stanislas en agitant ses bras, mais tu vois, je préfère être prudent. Ce serait bête de tout gâcher pour... pour quoi ? Pour un petit moment de plaisir ? Non, ce n’est pas raisonnable. Elle est ravissante, ce n’est pas la question, mais je ne suis pas sûr que... dis, tu le répètes à personne tout ça, d’accord ?
– T’inquiète pas, je suis...
– Tu ferais quoi, toi ? Beaucoup de gars me disent que je suis fou de ne pas sauter sur l’occasion. Ils disent qu’avant qu’on aie vingt ans, elle s’en sera facilement trouvé un autre.
Je n’ai pas trop su quoi répondre. La dernière fois qu’une fille m’avait bien plu, j’avais onze ans, et j’avais attendu un moment avant d’aller lui parler. Finalement, elle m’avait répondu que j’étais un garçon très gentil, tellement gentil, même, qu’elle ne voulait pas de moi. C’est une jolie façon de dire à quelqu’un qu’il est minable. Bon. Vu mon expérience, je n’étais pas vraiment la meilleure personne pour donner des conseils en matière de relation.
– Hein, tu ferais quoi dans ma situation ?
– Pour être honnête, j’ai rétorqué, le jour où je serai dans ta situation, je te demanderai conseil.
Le Stanislas, ça lui a arraché un sourire.
Les jours suivants, on a partagé plus de choses, lui et moi. Liés par notre prudence ou notre lâcheté commune, on a commencé à bien s’entendre. Il m’a dit qu’il me présenterait son Alyssa. Et moi, j’ai cru voir une lumière percer la grisaille. Est-ce que, finalement, il y avait une place pour moi dans la masse sombre ?
Routine quotidienne
1
Stanislas a rapidement fait partie de ma routine quotidienne. Au fil des semaines, je me suis laissé entraîner, moi aussi, dans le flot de la masse sombre, pour devenir une ombre errante parmi les autres.
J’ai fini par m’habituer à mon nouveau rythme de vie. Le rythme, c’est ce qu’il y a de stable et de régulier dans une vie qui vous glisse entre les doigts. C’est pour ça que tout le monde s’attache à la routine quotidienne.
Et puis c’est un cercle duquel on n’arrive plus à se sortir.
Tous les matins, je me réveillais à 6h avec l’alarme du lycée, cette fichue sonnerie qui résonne encore dans ma tête. Le Stanislas, lui, se levait toujours du bon pied. Et il était déjà en train de se préparer quand moi je restais vaseux et incohérent, enfoncé dans mon plumard à renifler le vieux linge de l’internat.
Quand enfin j’émergeais, plus par obligation que par courage, j’enfilais une paire de chaussettes, toujours en premier, parce que je détestais marcher pieds nus sur le sol glacial de la chambre. Le rituel se poursuivait à la salle de bain. C’était quelque chose, cette salle de bain.
À l’internat, on partageait une salle de bain pour deux chambres. Les deux gars de la chambre d’à côté, ils étaient un peu spéciaux. Le premier n’avait aucune pudeur : il fermait rarement les portes, et jamais à clef, et moi, quand je me rendais dans la salle de bain, j’avais souvent de mauvaises surprises. L’autre gars, lui, mettait toujours une éternité à se préparer. Je n’ai jamais compris pourquoi, parce que chaque fois qu’il ressortait, il n’était pas plus soigné qu’avant.
À part ça ils n’étaient pas méchants, ces deux gars, et on s’amusait bien avec eux. Ah c’était quelque chose, la vie à l’internat.
2
À 6h45 précises, il fallait sortir de la chambre et s’aligner dans le couloir pour l’appel du matin. Après avoir vérifié que personne ne manquait, les sortes de gardes du bahut, qui étaient toujours postés un peu partout, nous laissaient accéder au réfectoire pour le petit-déjeuner.
Ces gars-là, on les appelait les Crabs, je ne sais pas pourquoi. On ne les aimait pas, mais on leur devait quand même le respect, parce qu’ils étaient de la police. Mais en bref, si vous suiviez le règlement sans faire le malin, vous n’aviez rien à craindre d’eux. Ils étaient là pour veiller à notre sécurité. Moi qui m’étais toujours plié aux règles sans poser de question, je pensais à l’époque ne jamais avoir affaire à eux, ce qui était une belle erreur.
Après l’appel, les Crabs nous faisaient passer un à un au détecteur de métaux, pour être sûrs qu’on n’allait égorger personne ni faire exploser le lycée. C’était la procédure pour quiconque entrait dans l’établissement ; les internes n’étaient pas épargnés. Puis à la fin de ma journée de cours et des heures d’études, je retournais à l’internat comme si je ne l’avais jamais quitté. Souvent, on se retrouvait avec les gars de la chambre d’à côté pour jouer aux cartes et se détendre jusqu’à l’appel de vingt heures trente.
Ainsi mes journées étaient toutes rythmées par la houle répétitive de cette routine que rien ne semblait pouvoir entraver.
3
Les cours ne m’emballaient pas mais je m’efforçais de rester assidu et de m’adapter aux exigences de l’école. De toute façon, j’avais compris depuis longtemps que dans la société plus encore que dans la nature, soit tu t’adaptes, soit tu crèves.
Seulement trois cours étaient communs à tous : la biologie, pour apprendre à maîtriser la nature, les mathématiques, pour apprendre à se maîtriser soi-même, et la langue, pour apprendre à maîtriser les autres. Tous les autres cours, nous devions les choisir nous-mêmes, mais bien sûr, un certain nombre minimum d’heures nous était imposé, selon notre niveau. Moi je me situais dans un niveau moyen, à l’étage invisible, comme toujours. Les élèves de ces niveaux étaient, je crois, destinés à des emplois de salariés et de petits fonctionnaires. Le Stanislas, lui, était au niveau juste supérieur au mien, ce qui le destinait à un statut de cadre ou de fonctionnaire plus important.
L’organisation épineuse due à toute cette diversité, au brassage des différents niveaux, des classes, des âges et des cours engendrait une arborescence extrêmement complexe dont les rouages échappaient même à l’administration, parce que tout était planifié par ordinateur. Ce bazar présentait donc tous les avantages et les inconvénients d’un système froid et efficace réglé par les machines.
Deux cours seulement me plaisaient bien : les mathématiques, et une option que j’avais choisie, « méthodologie métaphysique » : c’était en fait, je crois, le seul cours où on avait le droit de réfléchir vraiment. Le supprimer aurait causé trop de bruit, alors l’État avait trouvé un moyen plus subtil de l’anéantir : un nom pompeux, une mauvaise réputation, une valeur médiocre, des horaires inconfortables. Personne ne choisissait ce cours, et c’est pour ça que j’ai voulu le suivre.
Les premières semaines se sont ainsi succédé, identiques les unes aux autres. Jusqu’au jour où ma vie rectiligne a pris une courbe inattendue.
L’idée d’un pas
1
Un jeudi, on a eu un travail particulier à faire pour le cours de « méthodologie métaphysique » : un sujet à traiter par groupes de trois pendant plusieurs semaines. Les groupes ont été déterminés de façon aléatoire par le professeur. En un sens, c’est donc le hasard qui a déclenché toute cette histoire...
Les deux élèves qui constituaient mon groupe, je ne les connaissais pas. Il y avait un drôle de gars qui s’appelait Gui et une fille, Claudine.
Nous sommes donc allés à la bibliothèque de l’Alcazar ensemble pour commencer notre travail, et j’ai pu faire leur connaissance. En vérité, j’ai été plutôt surpris.
- GUI -
Gui était un type très grand et fin, qui n’avait pas une mauvaise tête. Il avait une certaine dégaine. Voyez, le genre de gars qu’on remarque et qu’on n’oublie pas.
Cheveux bruns décoiffés, habits débraillés, style négligé, attitude assumée et assurance tranquille... Gui m’est apparu comme le parfait opposé du Stanislas. Désinvolte, fier, sûr de lui, il renfermait, malgré sa nonchalance typique, une incroyable énergie.
Gui n’était pas comme ces gars qui passent leur temps à lire, non. C’était un étudiant de l’expérience, un mec qui explorait la vie comme il faut, et qui ne perdait pas son temps dans des bouquins corrects. Ses yeux étaient grands et gris, et sous ses longs cils, son regard vous transperçait pour voir plus loin. Parfait écho de sa personne, son sourire était fou mais entier. Aussi, je pouvais le suivre sans crainte parce que je savais qu’il était vrai.
Si Stanislas était toujours rasé de près, même s’il était presque imberbe, Gui, lui, gardait sans cesse un rasage de plusieurs jours. Et si Stanislas avait toujours un temps d’avance sur moi, il m’a semblé que Gui, lui, en avait des éternités. Mais étrangement, il portait cette passion en lui qui, au lieu de vous écraser derrière vos limites, vous donnait envie de sauter le rejoindre. C’était comme si un voile d’émulation fiévreuse l’enveloppait et vous donnait le sentiment, en sa présence, que tout devenait possible.
Il semblait faire ce qu’il voulait, comme si le monde lui appartenait. Il n’avait peur de rien et se fichait des règles ou des normes, ce qui le rendait imprévisible, attrayant et effrayant. Irrespectueux, arrogant, impertinent, il n’obéissait qu’à un seul maître : son instinct.
Gui avait dix-sept ans, et je ne sais pas pourquoi il s’était retrouvé en classe avec moi. Je crois qu’il avait foiré tous ses examens d’entrée. L’école, d’ailleurs, il semblait n’en avoir rien à faire. Il répétait que tout ce qu’il pouvait apprendre de la vie était là-bas, dehors.
Il faisait partie des rares lycéens à travailler en dehors du bahut. Il touchait un peu d’argent pour un boulot bizarre. Mais le plus bizarre dans cette histoire, c’est que ce boulot bizarre, c’était par plaisir, et non par nécessité, qu’il l’exerçait. Il travaillait dans un cimetière en tant qu’assistant funéraire. Il aidait à enterrer les morts, à préparer les chambres funéraires, à décorer les tombes, à faire ce que personne ne voudrait faire. Pour quelqu’un plein de vie, ce job était surprenant. Mais croque-mort était selon lui un métier qui rassemblait deux conditions idéales : des clients parfaitement dociles et la sécurité de l’emploi!
Gui vivait dans un appartement au Chapitre avec son père, la nouvelle copine de son père, son frère, la fille de la copine de son père et le nouvel enfant de son père et sa copine. Un peu compliqué, tout ça, pour moi qui avais toujours vécu dans un atome simple.
C’était quelqu’un, Gui. Ma rencontre avec lui a sans aucun doute changé ma vie, et c’est surtout après, dans la suite des événements, que j’ai appris à le connaître. Et il a fallu qu’il entre en scène par la porte formelle de l’école, lui ! Lui qui allait m’ouvrir une porte sur de tout autres horizons !
- CLAUDINE -
Claudine. Claudine. Cette fille-là, je l’ai tout de suite trouvée différente. Elle était belle, belle sans le vouloir, et c’est ça qui changeait tout. Elle avait du charme. Elle avait de la vie. Elle avait des couleurs... Elle avait quelque chose.
Au départ, Claudine, je me suis dit qu’elle devait être comme toutes les filles brillantes que j’avais connues: réservée, supérieure, amère. Il ne m’a pas fallu plus de quelques secondes pour comprendre combien je m’étais trompé ! Car au contraire, Claudine était surprenante, dévouée, sucrée.
Et en plus de cette douceur qui faisait de n’importe qui son allié et serviteur, elle avait dans les yeux cette lueur malicieuse qui me ravageait. Elle est entrée dans ma vie comme une belle surprise qui a dispersé ma grisaille.
Ses cheveux étaient roux, courts et bouclés. Et parfaitement assortis à cette petite folie naturelle, quelques taches de rousseur venaient chatouiller ses joues roses. Elle était un vrai souffle de vie dans sa manière d’exister, de se déplacer, d’entrer en relation avec les autres. Colorée, vive, limpide et impulsive ; elle était une œuvre d’art à elle seule.
Elle avait forcément le rire facile, Claudine. Un rire franc et évident, qui m’entraînait toujours avec lui. Et comme sa colère était aussi facile que son rire, sa façon de s’emporter incendiait souvent son entourage. Moi, j’aimais sa colère autant que son rire.
Cette fille arrivait à me rendre heureux en toute circonstance. Avec elle, j’avais toujours la sensation d’être du bon côté du monde. En plus de son charme, elle avait de l’esprit. Maligne, curieuse, habile, joueuse. La vie avec elle était comme un jeu gigantesque auquel je perdais systématiquement avec un plaisir fou.
Claudine n’essayait pas, comme moi, de résoudre les difficultés en s’adaptant : c’était une actrice de la vie, et je l’ai compris dès que je l’ai rencontrée. Si quelque chose ne lui convenait pas, elle agissait pour qu’il en soit autrement. Elle refusait de se résigner ou de plier, en se fiant toujours à ce qu’elle trouvait juste.
Claudine, c’était un caractère perçant dans une âme sereine. Un équilibre absolu entre la violence et la paix, la fureur et la douceur, l’instinct et la raison, l’homme et la nature.
J’ai appris qu’elle aussi était à l’internat, mais à l’étage des filles, au-dessus du mien. Elle était comme moi une exilée des campagnes. Son petit frère et ses deux parents, qui étaient artisans, habitaient Forcalquier, un village des Alpes de Haute Provence.
Claudine n’avait pas tellement d’amies, elle traînait plutôt avec des garçons. Elle affirmait que les filles étaient entre elles perfides et fourbes, ce qui m’étonnait un peu. Et j’aurais préféré qu’elle fréquente plutôt des filles, car la voir toujours avec ces horribles mecs, ça me rendait affreusement jaloux.
Bref j’ai compris assez vite, et vous l’avez compris encore plus vite, que j’étais tombé raide dingue de Claudine. Amoureux... oui, moi. Moi ? Amoureux ! Moi !
J’ai préféré dans un premier temps n’en parler à personne. En attendant je profitais de voir Claudine à la bibliothèque sans rien faire d’autre que m’imprégner de rêves, sans rien dire à personne, et sans demander de conseils au Stanislas. Surtout pas à lui, d’ailleurs !
2
Pendant plusieurs semaines, j’ai donc retrouvé Gui et Claudine à l’Alcazar pour avancer notre travail de groupe.
Durant ces moments-là, on avait parfois des conversations assez mouvementées. Une fois on a même été expulsés de la bibliothèque parce qu’on parlait trop fort. Mais entre l’impertinence de Gui et la détermination de Claudine, le ton des discussions montait rapidement. Moi, au début, je n’osais pas trop affirmer ce que je pensais ; peut-être parce que je ne savais pas quoi penser.
Un jour, la discussion a dérivé je ne sais pas comment sur nos ressentis de la vie ; non pas de la Vie suprême, non, mais de la vie qu’on menait, cette espèce de reliquat des grands rêves dont plus rien ne restait qu’une braise éteinte, la vie de tous les jours, quoi. Moi qui avais jusque-là trouvé mon confort routinier satisfaisant et qui m’étais attaché à mes habitudes, j’avais au début du mal à concevoir que la vraie vie pouvait être ailleurs. J’avais toujours pensé qu’on la savourait plus dans le confort et la sécurité que dans le danger et l’instabilité.
Mais Claudine et Gui, eux, pensaient qu’on ratait tout de la vie pendant qu’elle filait entre les doigts de la routine. Et ce rythme, toujours le même, auquel notre cœur battait, était bien loin de la pulsation originelle.
Claudine parlait avec sagesse et Gui, avec passion. Il avait l’air intéressé par le sujet et prenait le débat très à cœur. On aurait dit qu’il avait déjà mûrement réfléchi à toutes ces questions ; et avait même l’air d’y avoir trouvé des solutions catégoriques. Il affirmait qu’un seul pas pouvait suffire à faire découvrir la vraie Vie. Ces paroles ont fini par me faire réfléchir. Car au fond, je sentais qu’il y avait du vrai là-dedans.
Quand je suis reparti, ces mots ont trouvé un écho dans ma conscience. J’entendais cette voix me répéter qu’une vie meilleure, plus intense, plus vraie, était possible... et qu’il suffisait d’un pas, oui, d’un seul, pour expérimenter cette alternative. Mais quel pas ? Je tenais là une question qui allait foutre en l’air tout ce que j’avais passé des années à ne pas bâtir.
3
Lors de notre dernière entrevue, torturé par cette question, j’ai pris Gui à part et je lui ai demandé des précisions :
– De quoi est-ce que tu parles quand tu dis qu’il suffit d’un pas pour sortir de cette misère ? De quel pas est-ce qu’il s’agit ?
Un sourire satisfait a illuminé le regard de Gui.
– Ça t’intéresse ? il a lancé. Tu veux vraiment le savoir ?
– Eh bien je... oui, je voudrais savoir. Tu dis que la vraie vie est ailleurs, je voudrais savoir où.
– Tu n’es pas encore prêt.
J’ai tiqué.
– Comment ça, je ne suis pas prêt ? Tu peux bien répondre à ma question, non ? Tu parles d’un seul pas à faire, tu peux bien me dire lequel ! J’aimerais savoir, voilà tout.
Gui n’a rien dit d’un moment, puis il a murmuré presque à lui-même :
– Je ne peux pas te le faire savoir... mais je peux te montrer.
– Qu’est-ce que tu...
– Plus tard, plus tard. Quand tu seras prêt. Tu verras.
Avancées à reculons
1
Après ça, je n’ai plus revu ni Gui, ni Claudine pendant un moment. Mes questions en ont profité pour grandir et faire germer dans ma tête une mauvaise herbe coriace : le doute.
Un soir, j’en ai parlé au Stanislas.
On s’était retrouvés dans la chambre après une longue journée épuisante et pluvieuse. Stanislas était assis sur son lit, j’étais étendu sur le mien. Même s’il avait l’air fatigué et pas très disposé à discuter, je me suis lancé :
– Tu sais, j’ai annoncé, Gui m’a dit que...
– Gui, c’est le gars avec qui tu travaillais à la bibliothèque, c’est ça ?
– Oui. Il m’a dit qu’on vit dans l’erreur, que notre routine est programmée, mais que la vraie vie, qui nous est cachée, peut s’expérimenter. Et que pour la vivre, il n’y a qu’un pas à franchir. Mais je me demande...
– C’est n’importe quoi, a coupé Stanislas. Il délire, ce mec. Gui, c’est ça ? J’ai déjà entendu parler de lui. À ce qu’on raconte, il n’est pas très fréquentable. Tu devrais faire attention. Traîner simplement avec lui pourrait t’attirer des ennuis.
J’ai froncé les sourcils.
– Je n’ai pas trouvé qu’il avait l’air dangereux.
– Parce que tu es naïf, a poursuivi Stanislas. C’est bien que tu aies choisi cette option, méthodologie de je sais pas quoi, mais méfie-toi quand même un peu... la plupart des gens qui ont ce genre de discours ne font qu’essayer de te manipuler. On veut te faire croire que notre monde n’est pas le bon. Mais crois-moi, c’est le bon. Mes parents ont beaucoup voyagé, et je peux te dire que partout ailleurs c’est pire.
– Mais tu n’as pas l’impression que c’est l’inverse ? Je veux dire, qu’on nous manipule plutôt pour nous faire croire que ce monde est le bon ? Sauf qu’on est manipulé depuis tellement longtemps qu’on ne s’en rend même pas compte.
– Je comprends rien à ce que tu racontes. Si on était manipulé, on le saurait, non ?
– Mais regarde toute cette police, cette surveillance, ces interdits, ces...
– Réfléchis une seconde, a enchaîné Stanislas. Tout ça est devenu nécessaire justement à cause de gens qui parlaient comme toi. La Crise en a rendu fous plus d’un, je t’assure ! Les gens se sont mis à douter de tout, même de leur propre gouvernement, celui qu’ils avaient eux-mêmes élu, tu te rends compte ! Ce sont leurs révoltes et leurs émeutes qui ont engendré tout ça. Le monde d’aujourd’hui est strict et pas très amusant, c’est vrai, mais il est bien mieux que le chaos et l’anarchie auxquels nous auraient conduits ces rebelles.
– Je sais pas trop... j’ai marmonné sans arriver à expliquer ce que je ressentais.
– Tu aurais dû choisir l’option Histoire. Tout est expliqué dans le manuel. Bon, excuse-moi mais j’aimerais me coucher maintenant, j’ai besoin de dormir pour être en forme demain.
Stanislas s’est allongé dans son lit et a fermé les yeux.
Moi, j’ai réfléchi un instant à notre conversation puis ai voulu changer de sujet.
– Et sinon, Claudine, tu la connais ? j’ai lancé.
Stanislas avait déjà la tête enfoncée dans son oreiller, mais j’ai quand même réussi à comprendre son grognement:
– Vaguement; elle venait à la piscine en même temps que moi, le mercredi après-midi. Chaque fois que j’y allais,