Quelles Mixités Construire À L'école
Quelles Mixités Construire À L'école
Quelles Mixités Construire À L'école
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SOMMAIRE
Journée animée par Geneviève DUCHÉ, Université Paul Valéry et Olivier BRUNEL,
Rectorat
OUVERTURE
Page 9. Jacques PELOUS, Directeur de l’IUFM
Page 10. Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des femmes et à
l’Egalité
Page 12. Olivier BRUNEL, Directeur du SAIO, représentant Christian NIQUE,
Recteur de l’Académie de Montpellier et Chancelier des Universités
Page 13. Cécile AVEZARD, Sous-Préfète de LODÈVE, représentant Francis
IDRAC, Préfet de la Région Languedoc-Roussillon, Préfet de l’Hérault
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TABLE RONDE : MIXITÉS PROFESSIONNELLE ET
SOCIALE
SYNTHÈSE
Page 75. par Nicole MOSCONI
CLÔTURE
Page 83. par Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des femmes et à
l’Egalité.
BIBLIOGRAPHIE
Page 85.
LEXIQUE
Page 93.
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AVERTISSEMENT
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OUVERTURE
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est liée d'une part, au fait que les PE, Professeurs des Ecoles stagiaires – qui constituent la
masse de nos effectifs – se trouvent en ce moment de l’année, en stage de responsabilité dans
leurs classes et, en ce qui concerne les PLC, Professeurs des lycées et des collèges, eux aussi
sont pris dans un engrenage de Formations extrêmement dense. L’on pourrait élargir le débat,
poser la question de la formation des enseignants qui va faire l’objet d’une des composantes
de la Loi d'Orientation sur l’école, laquelle va être discutée prochainement à l’Assemblée.
C’est une question complexe, difficile, et vous imaginerez probablement que pour un jeune
stagiaire, au moment d’entrer dans la profession, les questions qui vont être abordées
aujourd'hui n'apparaissent pas forcément comme une priorité absolue : ainsi sans vouloir les
excuser complètement, je vois là une des raisons qui peut justifier la faible présence de jeunes,
qui normalement pourraient être intéressés par cette manifestation.
L'organisation de la Journée va vous être présentée de façon plus détaillée : il y aura une
alternance qui elle aussi a fait ses preuves, avec des Tables rondes incluant des conférences et
des témoignages de terrain ; je crois que cette formule est intéressante dans la mesure où elle
montre la diversité d’approche des problèmes. En ce qui concerne l’IUFM, une des questions
que je livre au débat – bien qu’en feuilletant les textes, je n’aie pas trouvé trace de cette
interrogation qui m’occupe quotidiennement ou presque –, est le recrutement de départ du
corps enseignant. A savoir le problème que constitue le fait que dans nos effectifs, nous
comptons, pour les PE, Professeurs des écoles : 85% de femmes et 15% d'hommes ; la
question qui doit être posée probablement, compte tenu du thème de cette journée est de
savoir quelle influence a sur les questions que nous nous posons, cette dissymétrie de départ
du corps enseignant. Ce n'est pas l’objet du débat proprement dit, mais peut être que dans les
discussions, ces questions de féminisation / masculinisation vont être évoquées.
Pour terminer cette introduction, je dirai – raison pour laquelle nous participons à cette
manifestation en partenariat –, que dans le cadre de la Formation des maîtres, ces questions
qui sont évoquées à travers le genre en Education et les problématiques de mixités sont
des questions centrales du système éducatif. Il en résulte que l’Institut Universitaire de
Formation des Maîtres, lieu de formation, lieu d’ouverture, lieu de confrontation des idées sur
tout ce qui touche au système éducatif, a naturellement sa place dans ce genre de
manifestation. Je me réjouis de cette Journée ; j’espère que les débats seront fructueux et que
tous les participants y trouveront un profit et pourront, au-delà de la manifestation en elle-
même, bénéficier de nombreux apports en aval et des ressources que nous allons construire
ensemble pour diffuser au-delà de la présence ici, auprès des différentes Institutions et des
lieux d’exercice des uns et des autres. Il me faut conclure ; je vous remercie de votre
participation une dernière fois et je passe maintenant la parole à Madame Coline CONNEAU,
Déléguée Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité.
Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité : Monsieur
PELOUS, je vous remercie de nous accueillir dans ce très bel amphithéâtre, où vous nous
aviez déjà reçus l’année dernière à l’occasion du Colloque « Les violences sexistes à l'école ».
Je vais ainsi m'associer aux remerciements que vous avez déjà prodigués à un certain nombre
de nos partenaires et notamment à Monsieur le Recteur NIQUE, représenté par monsieur
BRUNEL. Monter un tel colloque représente un important travail de tous les partenaires ;
voilà déjà un an que nous préparons cette journée et je tiens à m'associer à vous pour
remercier Madame GAUTHIEZ-RIEUCAU qui a été vraiment présente pendant toute la durée
de nos réunions préparatoires, l’équipe de la DAFPI, Madame LEWILLION et Brigitte
CALA, Geneviève DUCHE de l’Université Paul Valéry, et aussi Alain BERTHEZENE qui
nous a épaulé au démarrage de cette aventure en tant que Directeur adjoint et qui – bien qu’il
bénéficie désormais de sa retraite – est quand même parmi nous aujourd’hui. Ma gratitude va
aussi à Madame CHAZE de l'AROEVEN qui nous a apporté un fort soutien.
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Je veux aussi remercier les associations qui se sont mobilisées et notamment « Citoyennes
maintenant », qui a fait partie du Comité de pilotage de ce colloque. Enfin les expert-e-s qui
vont communiquer, notamment Nicole MOSCONI qui ouvrira et accompagnera toute cette
Journée. Je remercie tous les enseignants, les élèves – parce que nous aurons des élèves qui
vont participer aujourd'hui – et si vous le permettez aussi, toute l’équipe de la Délégation
Régionale aux Droits des Femmes et à l’égalité, Simona MIGLIETTA et Sylvie NAKACHE
et les Chargées de mission dans leur département respectif.
Ce colloque, comme vous l’avez dit Monsieur PELOUS, s'inscrit dans la Convention
régionale qui a été signée en octobre 2000 pour une meilleure orientation des filles et des
garçons et pour une éducation au respect mutuel. Je précise que cette Convention a été
reconduite en 2003 et que nous fonctionnons toujours dans le cadre de cette Convention. Ce
troisième colloque, qui intervient après « L’inégale Egalité des chances » et après le colloque
« Les violences sexistes à l’école » s'inscrit dans les actions de sensibilisation et de réflexion
préconisées dans la Convention. Il doit aussi permettre de dégager des pistes d'actions.
Notre ministre Nicole AMELINE a fortement réaffirmé le 27 mai à Paris dans un colloque
intitulé « De la Mixité à l'Egalité dans le système éducatif » la priorité de cette
thématique de l’Egalité pour le XXIe siècle, priorité qui est une l’affaire de tous.
L’ensemble des intervenants déclineront « la » mixité et « les » mixités à l’école et
interrogeront les manières de passer de ces « mixités » à l'Egalité, ce qui n’a rien d’une
évidence.
Chacun peut encore constater que dans la vie professionnelle, les femmes sont concentrées
dans un certain nombre de secteurs professionnels et que les mentalités et les stéréotypes ont
du mal à évoluer ; sur cette question, l’Education nationale a un rôle prioritaire à jouer pour
l’ouverture des choix d’orientation des filles et des garçons. Dans la mise en œuvre de la
parité, dans la prise de décision économique, sociale et politique, il en est de même : les
mentalités évoluent lentement. On constate notamment que grâce à la loi, les femmes sont
entrées sur la scène politique, mais là où la loi ne s'applique pas, elles restent encore peu
nombreuses ; ainsi, dans le Conseil Général de l'Hérault, nous avons 5% de femmes environ.
Pourtant l’Education Nationale est le lieu où la mixité est la mieux représentée au départ de la
vie. Ce qui pose question à Sophie ERNST dans son livre intitulé Une mixité inaccomplie :
« Pourquoi les filles qui sont en principe éduquées dans un système mixte et égalitaire, qui
réussissent mieux, qui ont des performances équivalentes ou supérieures à celles des garçons
dans presque toutes les disciplines, qui pourraient choisir les filières les plus rentables,
finissent-elles par se diriger vers celles qui leur assurent le moins d'avantages, se retrouvant
sempiternellement dans les métiers les plus féminisés et les moins valorisés? ».
Toutes ces questions seront débattues au cours de la Journée : nous n'avons pas voulu
limiter cette Journée à la mixité garçons-filles, même si le genre demeure le sujet central,
nous avons aussi souhaité explorer comment les mixités sociale, culturelle, citoyenne et
professionnelle, interagissent avec la façon dont évolue l’Egalité entre les garçons et les
filles .L’intérêt de cette Journée sera de donner des exemples concrets ; vous verrez que dans
les Tables rondes alternent des expert-e-s qui donneront un regard plus distancié, mais aussi
des expériences innovantes de notre Région, qui ont lieu dans les établissements. L’intérêt
réel de ce colloque est de pouvoir ouvrir des pistes d'actions, de pouvoir donner des outils, et
que ces outils soient transférés ensuite dans un grand nombre d’établissements scolaires. Je
vous remercie de votre attention et je passe la parole à Monsieur BRUNEL.
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Olivier BRUNEL, Directeur du SAIO, représentant le Recteur de l’Académie de
Montpellier : Merci, il est évident que Monsieur le Recteur Christian NIQUE que je
représente ici, s'associe à tous les remerciements prononcés par Monsieur PELOUS et
Madame CONNEAU.
Monter un colloque est toujours une aventure et une expérience collective. Les thèmes
précédents, en 2002 « L’inégale Egalité des chances » et en 2003 « Les violences sexistes et
sexuelles à l’école. Eduquer au respect mutuel » situaient la question de la mixité, comme
étant essentiellement liée à la différence du genre. Cette année, nous avons choisi d'élargir le
questionnement sans pour autant quitter ce qui fait l’objet de la Convention, c'est-à-dire la
place des hommes et des femmes dans la société, que l'école contribue d'une certaine façon
aussi à construire.
Le pluriel du mot mixités a été choisi à dessein, mais cela a été un débat au sein de l’équipe
organisatrice, ce qui montre que la question du genre est au point de rencontre d'autres types
de mixités, que ces mixités soient citoyenne, culturelle ou sociale et professionnelle et l’on
aurait pu en décliner d'autres aspects… L’argument du colloque est bien celui-ci, à savoir que
la mixité se construit à partir de ces multiples dimensions ou ne se construit pas
véritablement.
La généralisation de la mixité s'est réalisée dans le cadre d'une politique qui a été impulsée par
l’administration publique de l’Education à partir des années 60, dans un contexte de forte
croissance démographique, d’accélération de l'exode rural et dans le cadre de l’allongement
de la scolarisation.
D’une certaine façon, c'est, avec la scolarité obligatoire, une forme de coéducation. qui
s'est mise en place en quarante années et de façon définitive et cette coéducation a plutôt
bénéficié aux filles. Dans les dernières décennies du XXe siècle, les filles ont rattrapé puis
dépassé les garçons sur le plan scolaire : tant sur le plan de la durée moyenne des études que
concernant le niveau moyen du diplôme obtenu, le taux de redoublement ou de retard scolaire,
le taux de réussite aux examens et le niveau moyen aux épreuves de contrôle et des acquis
scolaires. Cela se vérifie au niveau de l’enseignement primaire et secondaire, de même que
dans les deux premières années de l’enseignement supérieur. La place des filles dans l'école
n'est plus aujourd’hui contestée ni leur réussite.
Mais nous savons aujourd'hui que la mixité ne s'arrête pas à l'éducation en un même
lieu, et que le devenir des garçons et des filles, leur insertion sociale et professionnelle, les
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rôles de sexe qu’ils construisent peuvent être très, très différents malgré cette coéducation de
départ. Nous savons bien quels facteurs jouent un rôle dans cet état de fait : les interactions
entre professeurs et élèves – Leila ACHERAR en parlera sans doute –, des évaluations
pédagogiques différentes selon qu'il s'agit de garçons ou de filles, des préconisations
d'orientation qui ne sont pas exactement les mêmes, des réactions aux comportements
scolaires et sociaux qui ne sont pas non plus les mêmes. Bref nous avons identifié un certain
nombre de processus à l'oeuvre.
C'est tout le mérite de ce colloque de chercher à comprendre quels sont justement les
processus à l'œuvre expliquant que la mixité reste à bien des égards encore un chantier
ouvert. Les actions concrètes qui vont être présentées lors des Tables rondes, vont
permettre d'identifier ces processus et avec l'aide des experts, de porter sur eux un
regard réflexif. Je les remercie vivement de leur présence aujourd’hui et nous allons pouvoir
ensemble participer encore à cet effort de détermination des causes sur lesquelles il nous faut
encore agir au sein du système éducatif, et cela dans le cadre vraisemblablement d'une
deuxième Convention régionale, et même – s’il m’est possible d’émettre un pronostic –, sans
doute dans le cadre d’une troisième qui devra suivre.
L'éclairage de Madame MOSCONI permettra de prendre le recul nécessaire tout au long de
cette Journée et la mesure exacte des défis qui restent à relever et des Actes de ce colloque
seront dressés afin qu'un cercle plus élargi puisse en bénéficier.
En conclusion, je dirais que faire le pari de la mixité, ce n'est pas simplement faire le pari du
vivre ensemble – d'une certaine façon, dans l’école nous l’avons à peu près réussi –, mais c'est
faire le pari de la rencontre et du vivre ensemble dans la conscience des différences.
Alors de ce point de vue – vous me permettrez d'élargir ce propos –, ce n’est pas travestir les
choses que de dire que mixité et laïcité ont plus que partie liée : elles exigent parfois les deux,
la rencontre et le respect de ce qui est autre que soi. La mixité a un lien étroit avec l'idéal du
système éducatif, d’égalité des chances pour tous les enfants, quelles que soient leurs
différences et c'est un idéal laïque. En conséquence, la mixité comme la laïcité réclament le
mouvement, la recherche de progrès dont nous ne devons jamais nous satisfaire par rapport à
l'état dans lequel nous sommes car elles ne pourraient que souffrir de notre inaction. Enfin je
remercie les participants de ce colloque comme ceux qui l'ont monté, pour l'intérêt qu’ils
portent à cette thématique, non pas de la mixité, mais des mixités car elle va sans doute
au-delà, à travers les enjeux qu'elle porte, de la représentation que nous pouvons en avoir et
elle touche aux valeurs mêmes de la République. Je vous remercie.
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maternelle. Je crois que tout cela constitue un travail important. Ce travail s'est prolongé par
l'organisation d’un certain nombre de Colloques et je crois vraiment que l'on peut se féliciter
du fait que l’Education Nationale, en Languedoc Roussillon en particulier, a beaucoup investi
dans ce travail lié à la recherche de l’Egalité entre les filles et les garçons.
Aujourd'hui, ce colloque 2005 porte sur la mixité. Effectivement la mixité interroge le
mélange de populations d'origines différentes, et l’on peut la concevoir à travers différents
critères comme il a été dit, soit en terme social, culturel et bien sûr l’on doit explorer la mixité
en terme de genre. Il est vrai qu’aujourd'hui on a de plus en plus de mal à avoir une mixité
sociale et culturelle ; parfois on trouve des écoles qui sont très typées dés le départ, selon la
situation géographique notamment.
En revanche la mixité de genre, elle, jusqu'à un stade assez avancé dans les études, reste à peu
près certaine et plus souvent égalitaire, c'est-à-dire que, s’il y a un critère sur lequel il y a une
égalité numérique, c'est celle des naissances. Je crois qu’aujourd'hui, on compte autant de
filles que de garçons, donc on les retrouve statistiquement dans les écoles, tant que l’on reste
dans le cadre de l’enseignement général ; la mixité existe de fait à l'école depuis 1975.
Il s'est posé néanmoins, il y a quelque temps, la question de savoir, si après tout dans certaines
circonstances, la mixité était une bonne chose ou pas, et, je crois que c'est à cette occasion
sûrement, que les acteurs qui ont préparé ce colloque, se sont dit que c’était un sujet aigu et
urgent qu'il importait d’évoquer.
Je souhaite vous dire que l’école est un lieu d'expériences, de vie collective, pas seulement
dans la cour, dans toutes les situations de socialisation ; c'est aussi un lieu où l’on apprend
ensemble et où l’on construit ensemble. L'école est un lieu de projets, un lieu d'échanges et de
réflexion commune. Je crois qu'aujourd'hui, un certain nombre de témoignages nous le
démontreront.
Et puis la jeunesse est aussi une période cruciale de la construction de la personnalité ;
l’enfance et l’adolescence sont des moments importants de la vie de la personne : ce sont des
temps de construction de projets et donc bien évidemment, l’on ne peut que souhaiter que ce
lieu permette l'expérience de la mixité quelle qu’elle soit et tout particulièrement, celle liée au
genre, en préparation de ce que les jeunes vont vivre en tant qu’adulte, dans leur vie
personnelle, dans leur vie sociale, dans leur vie professionnelle et dans leur vie familiale.
Bref je pense que le sujet que vous traitez aujourd’hui est un vrai sujet : l'objectif est
d'apprendre à vivre ensemble, à se respecter, à se considérer, à travailler ensemble, à se situer
les uns par rapport aux autres.
L’école doit être à ce titre un modèle, une espèce de microsociété – si je puis dire – qui vit
relativement à part et dans laquelle, les élèves se rendent tous les jours ; quotidiennement ils
se déplacent de leurs familles respectives jusqu'à l’école où ils se rassemblent. Cette école,
c'est une société qui a son fonctionnement propre : je crois qu’elle devrait permettre aussi
l'apprentissage de la mixité et le modèle qui est donné de la mixité au sein de cette société est
un élément important du débat et du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite un bon colloque.
Geneviève DUCHÉ, Chargée de mission Egalité des chances à l’Université Paul Valéry :
L’annonce du déroulement précis de cette Journée sera faite ultérieurement. Je voudrais tout
simplement vous présenter maintenant Madame Nicole MOSCONI, Professeure de Sciences
de l'Education, qui est chargée aujourd'hui d’être notre « fil rouge » ; elle assurera la
cohérence de nos travaux et proposera une synthèse finale.
Ce colloque va interroger les mixités, terme employé au pluriel donc. Pour interroger les
mixités et en particulier la mixité de genre, qui est au centre de notre interrogation
aujourd'hui, nous allons la confronter à d'autres types de mixités, sociale, professionnelle,
culturelle et citoyenne... Pour ce faire, la mixité va être interrogée à partir de situations
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sociales et de pratiques diverses. Mais il ne faut surtout pas oublier que notre fil conducteur
demeure cette interrogation sur ce que peut produire – et où en est –, cette coprésence à l'école
de garçons et de filles et l’on verra peut être que la mixité est bien autre chose que la
coprésence de garçons et de filles dans un même lieu.
Madame MOSCONI va ainsi interroger les mixités et elle va en particulier le faire à partir de
la division socio-sexuée des savoirs.
Je lui laisse donc tout de suite la parole, non sans vous rappeler qu’une feuille verte circule
dans l'amphithéâtre. Merci d'y inscrire vos adresses de façon très lisible si vous souhaitez que
les Actes vous soient envoyés. Merci.
Nicole MOSCONI : Merci Geneviève. Effectivement je vais centrer mon intervention sur la
mixité garçon filles même si je pense que les mixités sont plurielles et que les questions qui se
posent sont toujours des questions de relation à l'altérité. Il est vrai que si l’on peut œuvrer
pour que la gestion de la mixité sexuée se fasse de manière plus égalitaire, je pense que la
gestion des autres mixités aussi pourrait être plus égalitaire.
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COMMUNICATION
INTRODUCTION
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L’exposé comportera trois grandes parties :
I Quelques données historiques et statistiques.
II La socialisation différentielle des sexes à l’école comme
transmission de stéréotypes sexistes
III Le « curriculum caché » dans la transmission des savoirs et
la division socio-sexuée des savoirs
I. 2 DONNÉES STATISTIQUES
Aujourd’hui les statistiques permettent de dégager deux grands
phénomènes : une meilleure réussite scolaire des filles par rapport aux
garçons (moins de redoublements, plus d’orientation vers l’enseignement
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général), mais des parcours scolaires très différenciés selon le sexe, de sorte
qu’après l’enseignement obligatoire du collège, très peu de sections ont une
mixité équilibrée.
D'une manière très schématique, on peut résumer la situation en disant que les filles
obtiennent à 70% un bac littéraire, économique, tertiaire ou services et les garçons, à 60%
un bac scientifique, technique industriel ou production.
Dans l'enseignement supérieur, les mêmes disparités se retrouvent évidemment1, avec
cependant des avancées des filles en droit (62%), et en médecine (56,3%).
On voit que, malgré certains progrès, les filles et les garçons ne suivant
pas les mêmes filières ni les mêmes cursus, n'accèdent pas aux mêmes
savoirs ni aux mêmes débouchés professionnels. La mixité est loin d’être
réalisée, si l’on entend par là une égale répartition des sexes dans toutes les
filières et donc un égal accès de tous et de toutes à tous les savoirs. J’ai
proposé l’idée que le système éducatif opère sans le vouloir une division
socio-sexuée des savoirs qui correspond à la division socio-sexuée du marché
du travail.
Comment expliquer ces orientations différentes ?
Je voudrais ici mettre l’accent sur le rôle que joue le système scolaire
dans cette ségrégation des sexes à travers la manière dont il socialise les
élèves garçons et filles.
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Note d'information n°01.30, juin.
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II. 1 Les stéréotypes de sexe
La psychologie sociale nous apprend que nous ordonnons le monde et en
particulier le monde social, en le catégorisant. Dans le monde social, les
catégorisations n’ont pas seulement pour but de différencier les groupes
sociaux mais aussi de marquer les rapports de pouvoir entre ces groupes. Il y
a des groupes dominants et des groupes dominés et la catégorisation tend à
valoriser le groupe dominant et à dévaloriser le groupe dominé. C’est ainsi
qu’on aboutit au stéréotype. Le stéréotype est un terme métaphorique qui
renvoie à une technique d’imprimerie : c’est, au départ, un moule qui permet
la reproduction du même modèle en un grand nombre d’exemplaires. En
psychologie sociale, la notion est apparue en 1922, à propos d’études sur le
racisme ; elle désigne un ensemble de croyances rigides voire caricaturales,
concernant un groupe social dominé (racisé), qui a pour fonction de
dévaloriser ce groupe social.
Les stéréotypes de sexe obéissent justement à ce fonctionnement dégagé
par la psychologie sociale. Ce sont des croyances qui contribuent à créer des
différences entre les groupes masculin et féminin et aussi - et surtout - à les
hiérarchiser. Les catégories du « masculin » et du « féminin » contiennent une
hiérarchie de valeur qui est conforme à l’ordre social des sexes en tant
qu’ordre inégal (avec un groupe masculin dominant et un groupe féminin
dominé).
La psychologie sociale (Marie-Claude Hurtig et Marie-Claire Pichevin) a montré
encore que ces stéréotypes de sexe orientent et altèrent le regard sur autrui,
les jugements, les interprétations, les attentes, les conduites aussi. Ces effets
se produisent sans que le sujet en ait une conscience claire, c’est la
« cognition sociale implicite ». En particulier, à l’école, les stéréotypes
orientent les interprétations, les jugements, les attentes et les conduites des
élèves et des enseignants.
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leadership dans la classe ; ils le font par divers moyens : les moqueries, la dérision, les
plaisanteries sexistes, les interruptions quand une fille parle.
Les stéréotypes gouvernent aussi les attentes des enseignant/es. Ils/elles ont des
attentes différentes vis à vis de chaque sexe.
Inconsciemment ils/elles jugent filles et garçons selon un « double
standard » : sur la discipline, d’abord : la dominance des garçons est
acceptée ; leur indiscipline est vue comme un comportement fâcheux mais
inévitable, alors qu’elle est rejetée parfois violemment quand elle se rencontre
chez les filles ; sur les attitudes : on s’attend à ce que les filles aiment
l’école et à ce que les garçons l’aiment moins, à ce que les garçons aiment les
mathématiques et à ce que les filles les aiment moins ; sur le travail
scolaire aussi : Ils/elles pensent souvent que les garçons réussissent parce
qu’ils ont des capacités et que les filles réussissent par leur travail. Ils/elles
pensent souvent que les garçons « peuvent mieux faire », c’est-à-dire
qu’ils/elles leur prêtent des capacités qui dépassent leurs performances
effectives ; les filles, elles, sont supposées « faire tout ce qu’elles peuvent » ;
elles n’ont pas de capacités virtuelles au-delà de celles dont elles font
réellement preuve.
Quand on songe au temps que les élèves passent en classe durant
toute leur scolarité, on a du mal à penser que ces expériences quotidiennes
n’ont pas d’effets sur la psychologie des élèves filles et garçons.
On peut donc supposer que les enseignant/es par leurs manières de
faire transmettent involontairement des message implicites qui
« apprennent » aux filles et aux garçons des choses différentes. Les garçons
apprennent à s’exprimer, à s’affirmer, à contester l’autorité adulte, à avoir
confiance en leurs capacités. Les filles apprennent à se limiter dans leurs
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échanges avec les adultes, à être moins valorisées par eux, à « prendre moins
de place », physiquement et intellectuellement, à moins exprimer
publiquement leur pensée, à se soumettre à l’autorité des adultes et à
supporter, sans protester, la dominance des garçons (ou de certains
garçons). On peut penser qu’elles en retirent l’idée qu’elles sont moins
« intéressantes » et moins importantes qu’eux. Ces jugements des
enseignants pourraient être un des facteurs explicatifs du moindre sentiment
de compétence et de la moindre estime de soi que toutes les enquêtes
observent chez les filles à l’adolescence par rapport aux garçons, à résultats
scolaires identiques. On peut supposer qu’il y a un effet Pygmalion, c’est-à-
dire un effet de prédiction auto-réalisatrice : puisque les enseignant/es leur
prêtent des capacités moindres, les filles sont persuadées qu’elles ont
effectivement des capacités moindres.
de faire dans leur classe exactement ce qui était prescrit par les programmes. D’où ils ont
distingué :
organisés en cursus ;
- curriculum réel, l’ensemble des situations réelles d’apprentissage, ce qui est effectivement
- Et ils ont rajouté encore une nouvelle distinction : le curriculum caché ou latent qui désigne
la différence entre les contenus, les finalités, les objectifs prescrits et « ces choses qui
figurer dans les programmes officiels ou explicites » (Forquin, 1985), sans que personne ne
veuille les enseigner. Par exemple, apprendre la compétition et non pas la coopération ; ou
encore, à l’extrême, apprendre à tricher dans les contrôles sans se faire prendre est une
« compétence » que certains élèves acquièrent, mais qui ne fait pas partie des objectifs
explicites de l’école !
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Cette notion de curriculum caché est précieuse pour comprendre la
socialisation sexuée à l’école. On peut faire l’hypothèse en effet que, en
même temps que sont transmis des savoirs et que se font des apprentissages
disciplinaires, s’opèrent, à travers les contenus d’enseignement des
apprentissages sociaux, se transmettent des modèles, des représentations,
des comportements, des rôles, des valeurs, qui contribuent à réinstituer les
rapports sociaux de sexe.
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à partir du lycée, elle va se prolonger en une bi-catégorisation sexuée des
cursus et des filières.
Une des premières manifestations de cette bi-catégorisation, ce sont
les préférences disciplinaires des élèves (G.Félouzis, 1996 Le collège au
quotidien) : les garçons « doivent » aimer les maths et les filles « doivent »
aimer les lettres. Mais cette bi-catégorisation existe aussi chez les
enseignants et les autres personnels de l’éducation, en particulier les
conseillers d’orientation, même s’ils s’en défendent le plus souvent. Une
preuve : ils s’attendent, en général, à une réussite meilleure des garçons dans
les matières scientifiques et techniques et des filles dans les matières
littéraires.
Effet Pygmalion là encore : filles et garçons apprennent à l’école à investir les disciplines
et les filières conformes à leur sexe.
Conclusion :
On a cru que la mixité suffirait à assurer l’égalité entre les sexes. Elle est sûrement
une condition nécessaire de l’égalité et elle représente un immense progrès par rapport à la
situation antérieure de séparation. Toutes les sociétés qui refusent la mixité scolaire sont des
sociétés qui refusent aussi l’égalité entre les sexes. Mais la mixité n’est pas l’égalité. On a vu
que la mixité s’était introduite tardivement dans l’école française, dans les années 1960-75.
Mais surtout elle s’est introduite sans réflexion politique et pédagogique préalable, sans que
soient énoncés à son sujet des finalités ou des objectifs précis, sans doute parce que la
société française était en conflit à leur sujet, comme elle l’est toujours aujourd’hui. Dès lors,
on peut penser que le modèle de relation entre les sexes qui est mis en œuvre dans le
système scolaire est un modèle proche de celui qui existe dans le reste de la société, comme
dans la famille ou l’entreprise : un modèle où l’égalité est affirmée en principe, mais n’est pas
qui, si elle était vraiment appliquée pourrait apporter des changements significatifs.
Contrairement aux textes précédents, elle ne s’intéresse pas seulement à l’orientation mais
- de « promouvoir une éducation fondée sur le respect mutuel des deux sexes » en
intégrant dans les programmes d’éducation à la citoyenneté une « réflexion sur les
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- de s’occuper d’une prévention des violences sexistes,
- de faire prendre en compte la dimension de l’égalité des chances entre les filles et
des chances,
l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux postes à responsabilité au sein
de l’éducation nationale.
Si toutes ces préconisations étaient réalisées, l’égalité pourrait l’être aussi. Mais le
veut-on vraiment ?
Baudelot Christian, Establet Roger (1992), Allez les filles !, Paris, Seuil.
Forquin (1985)
PUF.
Mosconi Nicole (1994), Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des
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TABLE RONDE : MIXITÉS CULTURELLE ET
CITOYENNE
Olivier BRUNEL : Nous aurons l’occasion de faire résonner les réflexions que Madame
MOSCONI a éveillé dans nos esprits tout au long de cette Journée et en particulier lors des
Echanges avec la Salle qui suivront.
Il est temps de passer à la première Table ronde ... . J’appelle Madame ROUSSEAU du
Collège de GANGES, Madame Leila ACHERAR qui enseigne à l’Université Paul Valéry,
Monsieur GLEYSE qui est Professeur à l’IUFM et les deux Jeunes – ils ont accepté de se
déplacer de loin – qui étaient membres du Conseil Académique de la Vie lycéenne l’an
dernier. Merci de bien vouloir nous rejoindre à la tribune – la Table, malgré la formule
consacrée, n’est pas ronde....
Il nous a semblé important de pouvoir faire alterner en une même Table des exposés
réflexifs avec des témoignages d’Actions de terrain. Au rang de ces témoignages de terrain,
vous trouverez des expériences vécues dans les établissements dont la plupart aujourd'hui sont
appelés des Projets innovants. Ces « Projets innovants » ont une exigence : en dehors du fait
d'être innovants, ils doivent être rédigés et bénéficient d’une aide afin que ces rédactions
soient mises au service de la communauté scolaire. Dans le cadre de la DAFPI – le I de
DAFPI veut bien dire Innovation et il est clair que l’innovation doit profiter à un maximum
d'établissements –, nous avons puisé au moins pour 3 expériences sur 4 parmi les Projets
innovants et d'une certaine façon, nous comptons les exploiter positivement dans le cadre de
cette Journée.
Le principe est le suivant : en premier lieu, un propos introductif d'expert suivi dans un
second temps d’un compte-rendu de terrain.
Nous commencerons par la Mixité culturelle avec l’exposé de Leila ACHERAR et nous
entendrons l’expérience du Collège de Ganges que vous trouverez sous l’intitulé « Tourisme
solidaire dans la vallée du Draâ ». Après ces travaux axés plutôt sur la mixité culturelle, nous
aurons la possibilité d'avoir un Echange de questions avec la Salle.
Nous réitérerons cet exercice autour la Mixité citoyenne cette fois-ci, avec un propos
introductif de Jacques GLEYSE, suivi d'un témoignage des deux délégués au CAVL, à qui je
vais demander de se présenter. puisqu'ils ne bénéficient pas aujourd'hui d'un chevalet, ce dont
je les prie de nous excuser. Sans plus attendre, je donne la parole à Leila ACHERAR.
COMMUNICATION
Leila ACHERAR : Je me suis interrogée longtemps ce matin pour savoir comment j'allais
introduire mon propos, et je me sentirais un petit peu malhonnête si je ne commençais pas par
vous dire ceci : quand on a travaillé à cette intervention, quand j'ai pris en charge la réflexion,
le défi, qui consistait à réfléchir sur le rapport qu’il pouvait. y avoir entre la scolarité, la
rencontre de l’autre et la question du genre, je ne me rendais pas compte à quel point cela
pouvait être difficile ; je ne dis pas cela comme un mea culpa, mais je ne me rendais pas
compte à. quel point cette question-là devait réveiller chez moi trois échos. Je vous les livre
tout de suite, un peu dans l’espoir de m’en débarrasser mais les échos – vous le savez – ça
continue à vivre… Tout au long de l'intervention je dirai trois échos, un peu à la manière
d'une métaphore…
Premier écho. Echo très personnel d'un voyage au Maroc, il y a 30 ans. Je suis algérienne, je
suis jeune, je vais au Maroc et c'est ma première visite dans un pays arabe qui n'est pas le
mien. Le Maroc… Je reviens irritée du Maroc. Je suis très en colère et je reviens – comme
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n’importe quelle jeune fille algérienne de 20 ans, dans les années 70 –, chez mes parents et je
dis à mon père « c'est insupportable, tu ne peux pas savoir, on passe notre temps à
marchander tout le temps, mais qu’ils nous disent le prix du tapis ! on a toujours le
sentiment soit de voler, soit d'être volé-e, ce qui est dans l'un et l'autre cas, désagréable ». Je
suis algérienne, je vais au Maroc : ce n'est pourtant pas si loin. On aurait pu penser que je
savais. Et mon père me dit : « tu as peut être oublié, depuis quand ce qui est important c'est le
prix du tapis ? Ce qui est important, ce n'est jamais le prix du tapis. Ce qui est important,
c'est toujours le temps que l' on accorde à l'autre, la condition de la dignité de l'autre, et le
temps qu'on lui accorde, et le temps qui lui est accordé pour nous parler”. Premier moment
d’apprentissage. Difficile de parler de solidarité, sans repenser à ce choc premier de mes
vingt ans, où je me rendais compte tout d'un coup, que je venais de m’immerger dans une
culture dont j'avais oublié moi-même le sens, et qui m'était ainsi brutalement rappelé.
Deuxième choc. J'arrive en France, il y a dix ans ; ma fille a cinq ans, elle arrive en plein mois
de janvier. Rentrée en classe maternelle. La scène se passe à l’école, première semaine de
classe. Dounia rentre à la maison. Je suis absente mais je l'apprends par la suite, elle dit son
indignation : « tu te rends compte, à l’école ils ont refusé de me donner de la charcuterie ! ».
Je lui demande de s’expliquer : la dame de la cantine avait décidé que puisque Dounia était
algérienne, elle ne mangeait donc pas de porc. Ma Dounia a répondu du haut de ces cinq ans :
“mais madame, moi-même, en Algérie j'en mange !” La petite est passée pour une menteuse à
l’école. Il a fallu rectifier, expliquer que, contrairement à ce qu'on imaginait, les Algériens
étaient de culture très hétérogène et variée, et que quand bien même ils étaient de culture
musulmane, ils pouvaient avoir des rapports avec Dieu très distants.
Troisième métaphore et je m'arrêterai là. C’est celle qui est revenu comme une sourdine, et
qu' on va retrouver à la fin de ce propos. C'est celle que, petite fille, on entend toujours dans
les contes de mon pays. C'est celle qui, en Algérie, fait que, les petites filles et les petits
garçons entendent des contes qui sont ponctués par cette phrase. Je vous la dis, elle est assez
émouvante, et je la dis en français : « la clé du trésor, dit le conte, c'est le trésor ». Nous
allons voir ce que cela veut dire.
Tout cela pour dire, en intellectualisant, que penser notre rapport à l'autre, c’est penser
la question de la construction du rapport solidaire à l'autre à l’école…..Cela renvoie à la
conception construite à l'école, et cela renvoie à la conception véhiculée par la société. De
quel autre parle- t-on, quand on dit nous, quand on dit ils ? Quand nous parlons de solidarité,
parle-t-on d'un autre égal ? Parle-t-on d'un autre pauvre ? Parle-t-on d'un autre étranger ?
Dautant plus étranger peut-être, qu'il est pauvre. Cette question-là est la première question que
l'on a à se poser me semble-t-il, quand on parle de solidarité.
La deuxième question qu'il me semble être nécessaire de poser, consiste à se demander : quel
type de relation dois-je entretenir avec l'autre ? Qu’est-ce que cela veut dire une question de
solidarité ? Comment je peux concilier la solidarité avec l'égalité, avec ce que cela suppose :
de donner à l'autre le droit à la parole ; de donner à 1’autre le droit de parole sur lui-même ; le
droit de produire sa propre analyse sur ce qu’il est, ce qu'il a vécu ; le droit de prendre
1’initiative. Bref, la capacité de donner à l'autre ; de se défaire des hiérarchies imposées d'une
part, et des injonctions à cette relation dissymétrique qu'implique le caritatif, jamais très
éloigné de la solidarité, d'autre part. Or, l'enjeu de l'école, me semble-t-il, y compris avec
l'autre d'autant plus exotique qu'il est étranger, demeure toujours sa capacité à permettre à
tous, y compris à l'autre éloigné, l'accès à la citoyenneté, c'est-à-dire à l'Egalité des droits
et des obligations. Et je rappelle au passage, que l'autre n'est pas désincarné, il n’est pas
seulement masculin, que l’autre signifie aussi : des hommes et des femmes pris dans des
rapports de domination.
La deuxième étape que je vais vous proposer est un moment où je vais me poser la question
de l'école : quels sont les rapports à l’autre qui sont mis en place dans l’école de France ?
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Sont-ce des rapports à l'autre marqués par la solidarité ? Quel type de rapport est né en classe?
Et en particulier, je fais l’hypothèse que les rapports à l'autre, en particulier l’autre
postulé comme étranger – parce quil faut bien s'entendre dire, qu’être étranger en France, ce
n’est pas une position administrative, c'est aussi une incitation à être –, sont marqués aussi et
essentiellement, par ce que j'appelle le relativisme culturel.
En conclusion, l’on va essayer d’engager quelques pistes de réflexion pour voir ce que serait
une école soucieuse des qualités de solidarité.
Pour ne pas être longue par rapport à la solidarité, par rapport à la représentation de l'autre, –
Olivier Brunel nous parlait de la nécessité d'aller à la rencontre de l'autre –, il est bien évident
que partout, pas seulement en France, la perception de l'autre est toujours prise en étau
entre des mesures de rejet – voir en France le débat sur l'immigration, forcément
clandestine, sur les sans-papiers –, et des idéaux de solidarité.
On peut chercher dans le dictionnaire de langue arabe, ce à quoi renvoie le terme solidarité :
les idéaux de solidarité habillent aussi bien en arabe qu’en français des formes de
transactions monétaires, qu'appelle l'obligation monétaire de porter assistance à un autre,
auquel on est lié dans un rapport qui est souvent marqué par la hiérarchie, tant et si bien
que les actions solidaires qui sont habituellement déclinées et mises en oeuvre par les
Professionnel-le-s de l'action sociale marquent généralement le passage de la sphère du privé,
de la philanthropie à celle du public, de l'Etat. Dans ce contexte, le rapport à l’autre pauvre,
est marqué dans notre société par une oscillation entre solidarité et bienfaisance, c’est-à-dire
par une exigence morale qui signe un rapport de hiérarchie à l'autre, de hiérarchie de l’un sur
l'autre, de hiérarchie qui s'accompagne dans le même temps – et cela mérite d’ être interrogé –
, d'une dépolitisation de la critique. La solidarité permet ainsi de parler et de traiter du
collectif c'est-à-dire du bien commun, de manière qui évite de lier le monde civique
notamment la question de la représentation et de la politique qui ne peuvent pas être séparées.
L'appel à la solidarité s'accompagne souvent d'un phénomène de moralisation de
l'espace social, c'est-à-dire de dépolitisation de l'espace social ; l'appel à la solidarité,
souvent, ne remet en cause ni le partage politique, ni les inégalités économiques, ni les
identités assignées. Il use cependant d'une rhétorique de l'obligation, vis à vis d'autrui,
qui préserve paradoxalement l'autorité de l’un et de l'autre ; dans le même temps, il
opère un déplacement de l’autorité du politique vers la dignité.
Dans ce contexte, comment gérer dans l'école des rapports de solidarité qui soient en même
temps des rapports d'égalité ?
Ce n’est pas une question simple, à partir du moment où pèse sur nous le poids des
représentations autour de cette notion de solidarité. Il me semble que pour le faire, il nous faut
éviter deux écueils.
Le premier est celui qui consiste à naturaliser les différences entre les hommes et les femmes,
entre les riches et les pauvres, les uns et les autres : pouvoir être solidaire de l'autre, c’est
considérer l’autre comme étant le produit des rapports sociaux, en évitant de naturaliser, en
évitant de s'extasier devant l'exotisme de l'autre, parce que la pauvreté, souvent, est exotique.
Le deuxième écueil, c'est celui qui est corrélatif à ce premier aspect, qui consiste à occulter le
poids des effets des luttes sociales et politiques dans la construction des différences culturelles
et en particulier qui ignore le poids des rapports de domination à l’oeuvre dans tout rapport à
l’autre.
Eviter ces écueils signifie conscientiser qu'on ne peut construire un rapport de solidarité qu'en
prenant en compte la dimension du pouvoir, qu'en acceptant d'interroger la distribution du
pouvoir et des rapports de domination à l'œuvre dans le rapport aux autres.
Mais l'écueil le plus grand est, me semble-t-il, aujourd'hui à l'école, celui du relativisme
culturel.
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Le relativisme culturel est cette attitude qui consiste, au nom du respect des cultures
différentes, à éviter de s'immiscer dans les rapports inégalitaires, qui traversent cette
culture.
L'exemple de Dounia, relaté en début d’exposé est symptomatique : dans l’école française, les
questions du relativisme culturel apparaissent relativement souvent, en particulier à l'occasion
d'un certain nombre de dispositifs.
Difficile de les analyser indépendamment des orientations différenciées des filles et des
garçons, surtout chez des garçons et des filles qui sont d'une autre origine, en particulier
quand ils sont de cette origine qu'on appelle maghrébine – ce qui a bien fait sourire
1’Algérienne qui arrivait en France il y a 10 ans. Parce que maghrébin en arabe, cela veut dire
occidental ; j'arrivais en France et j’entendais tout le monde parler des maghrébins, or nous en
Algérie, on connaît les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, éventuellement les
Constantinois mais l’on ne connaissait pas, en Algérie les maghrébins : le terme maghrébins
correspond à une catégorie franco-française qui est très bouleversante ; pour moi, observer
une société qui parle des occidentaux d'en face interroge. Donc cela ne s’explique pas du fait
des cultures, du fait de ce que nous sommes ; l’on dirait que l'étranger en France n'est pas
nommé étranger.
N'est pas nommé étranger n’importe quel étranger. Force est de constater que l’on est
d'autant plus étranger que l'on est pauvre. Face à ces pauvres étrangers,
majoritairement arabes, voire issus des anciennes colonies, quels dispositifs met-on en
place ?
Le premier dispositif que j'ai rencontré il y a dix ans était le dispositif des grands frères. C'est
curieux le dispositif du grand frère dans l'école de la République : un dispositif qui s'autorise à
dire que chez les musulmans, l'autorité est détenue par les hommes et qu'il faudrait revaloriser
l’autorité masculine.
Les jeunes filles que nous avons interrogées estimaient que l'autorité des grands frères
était une autorité régressive dans la mesure où les grands frères passaient une partie de leur
temps à l’intérieur des collèges à les surveiller, à leur interdire de s'émanciper y compris : à
leur interdire de flirter avec un garçon tout simplement, surtout quand il n’était. pas d'origine.
Les grands frères appellent en général, dans l'ordre scolaire, la norme la plus traditionnelle
mise en place dans les sociétés communautaristes qui s’appuient sur la tradition.
Premier temps de réflexion : la mise en place des grands frères non interrogés à double titre,
non interrogés d'abord au plan politique.
Qu'est-ce que cette école de la République qui délègue à des représentants de communautés
une partie de ses missions ? Et que signifie une école de la République qui délègue aux
hommes de la communauté la mission d'autorité sur l'ensemble du groupe et en particulier sur
des filles ? Ce n’est pas sans effet.
Deuxième moment important, moi j'ai été frappée en venant ici, de voir comment, face aux
personnes d'origine musulmane, maghrébines, les enseignants se trouvaient en difficulté de
dire ce qui se passait en classe et l'on a financé, parfois très mal, ce que l'on appelle des
médiatrices entre l’école et les familles. Les médiatrices entre l'école et les familles, sont en
général des femmes issues des communautés, en outre souvent très mal payées, qui sont
censées traduire aux familles – qui ne peuvent pas naturellement se déplacer à l’école –,
l'ordre scolaire.
La question aiguë qui se pose est d'arriver à comprendre ce que signifie ce choix-là, qui au
niveau de l'intention, est un choix respectueux de la culture de l’autre ; qui s’affiche comme
un choix respectueux des familles. Le relativisme culturel est toujours justifié dans l'école au
nom du respect des cultures différentes : mais c’est précisément toujours la démarche qui va
consister à respecter le fort dans la culture de l'autre, au détriment du faible.
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Le relativisme culturel et le respect des cultures de l'autre qu'il implique, est souvent,
lorsqu’il est mis en place dans l'école, une démarche qui va interdire au plus faible, au
dominé, l’accès à l'émancipation auquel il a droit.
D’autres très nombreux exemples de relativisme culturel existent dans l'école et posent la
question de savoir ce qu'est notre rapport à l'autre ici et maintenant.
Evoquons les voyages scolaires : dans de telles conditions, que peut être notre rapport à l'autre
quand il est étranger, quand il faut passer la frontière pour aller le rencontrer ?
Il est marqué par cet imaginaire de la solidarité, il est marqué aussi par l'illusion que la
rencontre affective peut amener les savoirs.
Il me semble que rencontrer 1’autre est un défi qui oblige d'abord à se retourner vers les
savoirs. On rencontre l’autre parce que l'on connaît la langue de l’autre, parce que l'on connaît
l'histoire de l'autre, parce que l’on connaît le poids des effets politiques, sociaux,
économiques, parce que l'on a lu la littérature de l’autre.
Il me semble que connaître l'autre relève d'abord et indissolublement du champ des
savoirs. Dans ces conditions, connaître l'autre suppose un effort, mais qui est un effort positif
d'apprentissage, qui nécessite un effort de travail en classe, qui oblige à aller voir derrière
l'exotisme pour retrouver la culture de l'autre : culture produite, culture écrite, culture savante
aussi. Et c'est en ce sens que je me suis amusée en reprenant la métaphore de ce conte qui
disait qu’en fait, la clé du trésor c’est le trésor peut-être. Autrement dit, rencontrer l'autre c'est
d’abord faire l’effort nécessaire pour connaître ce qu’est l’autre, et cet effort passe d'abord par
les savoirs savants.
Olivier BRUNEL : Merci à Leila ACHERAR qui nous a tenu un discours d'experte et un
discours fondé tout à la fois sur l’expérience et nous enchaînons avec Sylvie Rousseau.
EXPÉRIENCE DE TERRAIN
Sylvie ROUSSEAU : Je crois que je vais commencer par raconter notre expérience
pédagogique, ce qui permettra ensuite de répondre aux questions de la Salle. Connaître l'autre
passe par le savoir mais le savoir est indissoluble de l’expérience. Ils vont de pair : c'est la
leçon que nous retenons, en ce qui nous concerne, de l'expérience qui a consisté à aller voir
directement les Marocains chez eux, dans un village du sud du Maroc.
Il s’agit d’un projet pluriannuel mené avec une classe du Collège Louise Michel de Ganges,
sur deux années, correspondant au niveau 4ème et 3ème , projet qui est l’objet d’un partenariat
avec une Association située à PUECHABON, un village proche de SAINT GUILHEM.
Cette Association s’appelle « la route des sens » : elle met en place ce type de voyages
solidaires et fonde son action sur le concept de tourisme équitable.
L'objectif éducatif et pédagogique du projet était de sensibiliser les élèves sur la question
des inégalités nord sud et la nécessaire solidarité qu'elles impliquent, de les faire
réfléchir sur les différentes formes prises par le tourisme contemporain et aussi de
transformer leurs représentations de l’immigration en France.
Dès la première année, c'est-à-dire durant la classe de 4ème, nos élèves ont pratiqué des
échanges de messages et de documents avec ceux du Collège Ennakhil situé dans le sud du
Maroc, à AGDZ , entre Ouarzazate et Zagora, un endroit qui n’intéresse pas le tourisme
traditionnel : personne n’y passe ou l'on ne s'y arrête pas. Au contraire, nous avons fait le
choix de nous y arrêter, c’était le principe même du projet. Pour les gens de là-bas, on était
atypique parce que c'est l'autoroute qui court vers le désert.
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La deuxième année, le voyage scolaire a eu lieu. On était très clair sur le fait qu’on ne posait
pas à l'entrée de la 4ème le voyage en soi comme objectif : l’on posait comme objectif la
rencontre et la solidarité.
Nos élèves étaient réunis une fois par quinzaine en Conseil de projet et ce sont eux qui
géraient avec leur président de séance et un secrétaire les décisions et la mise en place
progressive du Projet. Il a fallu attendre mars ou avril de la première année pour que les
élèves envisagent enfin leur déplacement au Maroc, ce que l’on espérait tous, l’équipe
pédagogique et les gens de l'Association qui maîtrisaient tout le dispositif.
Nous y sommes donc allés la deuxième année, un peu plus d’une semaine, en avril et nos
élèves étaient passés en classe de 3ème.
Au début à la demande des élèves marocains, nous avons collecté des livres que nous leur
avons envoyés. Les élèves ont travaillé en technologie : ils ont créé un dossier informatisé
avec des photos numériques qu’ils ont également adressées. En retour, les élèves marocains
ont envoyé aussi une présentation de leur groupe et de leur Collège.
On a rencontré un musicien de l'Afrique du Nord pendant un cours de Musique car celui-ci
travaillait en collaboration avec le Professeur de musique. Nos élèves ont écrit des poèmes sur
cette musique : cela participe de la rencontre culturelle ; c'est-à-dire qu'il s’est passé quelque
chose de magique autour de ce musicien.
Nous avons réalisé aussi un film avec une Association locale, film qui comportait un aperçu
du pays, le marché, la vallée de la Draâ et cette cassette était destinée à nos amis marocains.
Ce qu'on peut ajouter concernant la préparation de la rencontre, lorsqu’une fois par quinzaine,
on se réunissait pour décider du projet et du « qui faisait quoi » : c’est qu’il a fallu tantôt
trouver des sources de financement et tout mettre en place sur le plan concret et tantôt, une
autre fois par quinzaine, animer une heure éducative réservée aux échanges et discussions.
Parmi les échanges intéressants, par exemple, il y a eu, à la suite de la projection d'une
émission de Thalassa qui montrait le tourisme pratiqué par de richissimes touristes
américains, un débat sur le respect de la culture des régions visitées. C’était peu de temps
avant notre départ et ce jour là, les élèves ont réalisé des choses essentielles : ce que cela
voulait dire « aller dans un autre pays ». Des informations ont été données par une
intervenante de l’Association qui a expliqué ce qu’était « le tourisme solidaire » et comment
les retombées économiques étaient directes pour les familles locales d’hébergement.
A l’issue d’une discussion sur la culture, la vie quotidienne, le « comment c’est là-bas ? », une
élève, qui avait déjà payé des arrhes pour le voyage …revient sur sa décision et nous dit : « je
n'y vais pas » ! Elle avait réalisé qu'il n’y avait pas de supermarché, de piscine : le voyage ne
l’intéressait plus ! Malgré notre insistance pendant la discussion, elle n'y est pas allée.
Il y a eu aussi des discussions autour du « qu'est-ce qu'on amène ? » C 'est important parce
que les cadeaux, c’est signifiant. « Qu’est-ce qu’on fait pour ne pas choquer ? », pour ne pas
tomber dans cette solidarité de surface, pour éviter les écueils de la solidarité paternaliste,
condescendante. Tous ces aspects ont été discutés. « Le côté vestimentaire » aussi : il a fallu
dire aux filles que si elles arrivaient dans un village avec les épaules dénudées, le nombril à
l’air, elles ne pouvaient pas passer, qu’elles se coupaient d'entrée de jeu de la communication
avec les gens du village. Cela a été dur à faire comprendre mais le débat a été riche en même
temps.
Concernant la question de la participation, il faut savoir que tous les élèves ne sont pas allés
au Maroc : aucun élève n'a été empêché d'y aller pour des raisons financières car le Fonds
social collégien a fait en sorte que même les enfants des familles défavorisées qui le voulaient
sont partis ; ceux qui n’ont pas participé au voyage ne sont pas partis à cause de l’opposition
parentale pour des motifs qu'on a pas pu toujours bien comprendre. A noter aussi les
oppositions comme celle de Katia que « le voyage n’intéressait pas » ou le cas des enfants très
intéressés qui participaient à toutes les actions mais qui n'étaient jamais partis si loin, si
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longtemps de chez eux et « qui ne pouvaient pas » comme une fille « qui n’avait jamais dormi
en dehors de chez elle » mais qui avait envie de partir. Cela lui a été impossible.
Maintenant je vais essayer de décrire la rencontre au plan culturel.
Voici certaines phrases que l’on a entendues au Maroc du côté de nos élèves : « ils ne sont pas
comme nous », « ils n'ont pas tous ce que nous avons » mais aussi « ils sont tellement
joyeux », « nous, parfois on se plaint mais à côté d'eux, on a pas à se plaindre », « moi je ne
savais pas qu'il y avait des pauvres comme ça ».
Du côté des élèves marocains, il semble que d’ordinaire, au Collège, les garçons et. les filles
ne se parlent pas. Il se trouve que la venue du groupe français dans le Collège a fait que le
groupe d'accueil marocain qui était un groupe mixte – ils nous avaient préparé des danses, une
pièce de théâtre –, a noué des relations inhabituelles entre garçons et filles. Bref l’arrivée des
Français avait fait avancer les choses.
L’accueil que les Marocains nous ont fait, leur hospitalité, a beaucoup surpris : cela a donné
des moments forts de commentaires – quand on se retrouvait entre nous – ; tel élève nous a dit
textuellement « je n’en reviens pas de cet accueil qu’ils nous ont fait ! » Il y a vraiment eu le
choc de la rencontre.
Ce qui était manifeste, c'est que, des deux côtés, français et marocains, les moments préférés
étaient quand les élèves se parlaient entre jeunes de ce qui les rapproche, sans les professeurs,
en dehors du programme prévu : de leur musique, du sport… Nous ne savons pas tout ce qui
s'est dit ! D'ailleurs, à leur demande nous avons modifié le programme prévu, pour organiser
des rencontres sportives, match de football pour les garçons et de basket pour les filles. (Rires
dans la salle)
Leur rapprochement a été spontané, simple ; le contact s'est fait directement, alors que le
groupe était plutôt passif et la rencontre plus difficile dans les moments plus scolaires de
visites, de découvertes des environs de la petite ville de AGDZ, de la palmeraie, de la casbah.
Autre aspect important : la prise de conscience que la vie est différente pour les filles.
Quand nous sortions du Collège le soir, après le repas, nous rencontrions dans la petite ville
les garçons que nous avions côtoyés dans nos activités toute la journée : mais pas une fille.
La réalité était là, flagrante, plus grande encore dans un des villages où était organisé notre
accueil en gîte chez l'habitant. Lors de la discussion avec nos hôtes, nos collégiens découvrent
les mariages précoces : dans ces villages, certaines filles sont mariées à 15 ans, leur âge. Cela
résonne fort. Il est évident, qu’après cela, au cours de la rencontre, par l'expérience
vécue, ces vérités ont une autre portée que tout ce qui peut être appris en cours, au
Collège ou grâce aux médias.
Et puis, il y a ce soir où l’on se réunit entre Français pour décider de l’organisation de la
cérémonie d'adieu. On a été tellement merveilleusement accueilli par ces gens modestes, que
ça a été pour nos élèves un vrai choc. « Mais comment on va faire ? on a rien à offrir, nous ! »
dit Manon. Et voilà que nos jeunes nantis, qui sont arrivés avec leurs baladeurs, leurs CD,
s'aperçoivent qu'ils sont démunis.
Nous avons été reçus avec de la musique traditionnelle parfaitement possédée, nous avons
marché sur des chemins avec des percussions qui nous suivaient partout, et maintenant qu'il
faut offrir en retour quelque chose de notre culture, c'est le vide. Il n’y a pas cette unité
culturelle portée par la tradition. Comment se positionner ? Chanter, danser, faire un discours
devant une assemblée d'adolescent-e-s et d'adultes, ça fait peur.
Lorsqu'il s'agissait d'écrire des lettres et des mails, les énergies se mobilisaient, mais la culture
du don par la parole et le chant devant un public s'est estompée chez nous. Nos collégiens
découvrent l'importance des rituels d'accueil et d'adieu. Finalement, ils ont réussi par faire
quelque chose : ils ont chanté la chanson Manhattan, la chanson de Renaud, mais avec la
musique enregistrée derrière. S’ils avaient pu se scotcher au mur, ils l’auraient fait, c'était un
moment difficile.
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Les élèves qui sont restés à Ganges ont tous été invités aussi à faire un bilan écrit sur les trois
points qui étaient nos objectifs : les formes de tourisme, la question de l’immigration, les
différentes cultures.
En ce qui concerne le bilan autour du tourisme : pour ceux qui sont restés en France , cela
n'a pas changé leurs représentations du tourisme ; pour les autres, la différence est évidente.
Voici des éléments d’appréciation : le tourisme standard donne « une fausse image », « c'est
un paradis, mais on ne voit pas la vraie vie » ; le tourisme solidaire permet lui de voir « la
vérité en face, il ouvre les yeux, il rend possible l’échange avec les marocains, l’amitié, car on
vit chez l'habitant, dans les mêmes conditions que lui » ; le tourisme solidaire « favorise
l'échange entre les peuples, il aide les petits villages et profite aux habitants ». Un des élèves
de la classe résume assez bien la situation : « si je gagne un voyage au Club med, je ne
cracherai pas dessus » dit-il mais il reconnaît avoir vu la différence, avoir changé d'avis,
préféré le voyage solidaire « cent fois mieux, parce qu'il respecte la culture du pays ». Bilan
sans appel.
Il y a même une élève qui, interrogée par l'intervenant de l’Association qui lui demande si elle
a envie de retourner au Maroc répond : oui, à condition que ce soit à AGDZ.
Elle « s’est fait des amis là-bas » et « si elle y retourne, ce sera au même endroit ».
Sur le thème de l'immigration, l'évolution est nette pour ceux qui sont partis, alors que les
élèves qui sont restés disent ne pas mieux la comprendre. Un élève dit même « les immigrés
n’ont rien à faire chez nous, il y a assez de monde en France ».
Les réponses de ceux qui sont partis, sont significatives du changement.
Voici l’analyse de cinq élèves. L’une constate : « ils veulent quitter le pays pour une vie
meilleure, ils pensent que c'est une solution pour éviter la galère ». Une autre dit « c'est
surtout la vie des filles là-bas qui m'a fait comprendre pourquoi les gens rêvent d'une vie
meilleure ». Une troisième est nuancée : « d'un côté, je trouve qu’ils ont raison de venir en
France pour le travail et le niveau de vie, mais d'un autre côté, je ne comprends pas parce que
c'est un pays magnifique, riche en bonheur, moi je préfère le Maroc, c'est bête de laisser un
beau pays sans habitant ». Un autre élève s’exprime ainsi : « j’ai compris que les Marocains
en France et les marocains au Maroc ne sont pas du tout les mêmes. Et une cinquième
pense à l’éducation: « maintenant que j'ai vu comment ils vivent, je comprends qu'ils aient
envie de venir en France, pays riche et je pense qu’ils viennent aussi pour les études car au
Maroc il n' y a pas beaucoup d'écoles ».
A noter aussi sur l’objectif de la rencontre des cultures, une expérience qu’ils avaient faite
avec un calligraphe qui est venu leur montrer la calligraphie arabe : cela a été une expérience
intéressante parce que, dans leur manière de s’exprimer, les élèves ont bien montré qu’ils
avaient eu une perception très personnelle, avaient vécu une expérience très intérieure du
travail ; nous, on a. une civilisation qui est beaucoup plus dans la spontanéité et pas dans le
travail long, répétitif, en calligraphie on retient le souffle, on pratique le recentrement… A ce
sujet, l'intervenant a bien fait sentir la densité de pensée d'une culture attachée à ce travail ;
cela a été un moment très important, un ressenti très fort lié à la rencontre sur place.
Il faut s’arrêter un temps sur la relation complexe avec les familles. Certains élèves sont
tiraillés entre deux pôles dont les options sont différentes. Par exemple, nous organisons une
brocante pour gagner des sous et nous sommes très efficacement aidés par les parents les plus
investis dans le projet. Il est facile pour ces élèves de participer au projet : il est cohérent, les
valeurs défendues par les professeurs sont les mêmes que celles des parents. Mais dans
d’autres familles, on n’a pas instauré le même rapport à la rencontre et à l'échange :
Emmanuelle, par exemple, sachant qu’elle ne partira pas au Maroc a tendance à ne plus venir
aux réunions du Conseil de projet, alors qu'elle avait été la première en 4ème à accepter une
fonction. Quand je rencontre sa mère, j’insiste sur le fait qu’Emmanuelle s'exclut du groupe
classe, en se mettant à l'écart. Emmanuelle revient parfois mais elle est de toute évidence
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partagée. Sa fidélité au discours parental et son attitude de respect du travail scolaire,
divergent : le résultat est que son bilan, en fin d'expérience, n'est pas positif ; « ce projet »
dit-elle « ne lui a rien apporté ».
Au sein de l’équipe pédagogique, nous faisons le pari avec ce projet de faire évoluer les
mentalités de nos élèves et pourquoi pas, grâce à l'impact du voyage, celles des adultes qu'ils
côtoient. Pas si simple.
En guise de conclusion, le bilan montre effectivement que la transformation s'est opérée de
façon très nette pour ceux qui se sont déplacés. Le retour a été incroyable.
L'élève qui disait « y’a pas de piscine » s’est mordue les doigts de ne pas être venue : même
en restant, les choses ont bougé dans sa tête à elle aussi.
Ceci dit, même si ce bilan à chaud paraît trop positif, qui sait s’il ne va pas se produire
peut-être dans dix ans, quinze ans, quelque chose pour certains qui sera le prolongement de
l'expérience vécue à 15 ans, personne ne peut le mesurer. Ce que l'on sait, c’est que la
rencontre se prolonge. Comme on a l’occasion de voir nos anciens élèves qui sont maintenant
lycéens, nous apprenons que des correspondances durent encore et que dans une famille un
voyage au Maroc se prépare. C'est un bilan positif. Hakim qui est un fils d’émigré dit « ça a
permis de faire changer d'avis ceux qui méprisaient les émigrés ; ils ont découvert en eux des
qualités » et Manon conclut : « je ne croyais pas que ça allait vraiment aboutir à quelque
chose de solidaire, il y a eu beaucoup d'échanges d'adresses, de numéros, je ne pensais pas
qu'il y aurait tant de liens et d'amitié, tout ce que je pensais avant, j’en pense tout le contraire
aujourd'hui, et je préfère ».
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Sylvie ROUSSEAU : Je pense répondre en précisant simplement le mode d’hébergement. On
a été hébergé de nuit dans l’infirmerie de l’établissement, un Collège de campagne où il y a
d’ordinaire mille élèves dont beaucoup d'internes ; c'était pendant une période de vacances
scolaires mais l’équipe pédagogique était présente pour nous accueillir. Nous avons été
nourris en partie dans ce Collège, et quand nous étions en visite à l'extérieur, nous étions
hébergés dans des gîtes dans le cadre du tourisme solidaire : notre Association « La route des
sens » travaille en partenariat avec des Associations locales marocaines qui mettent en place
des lieux d'accueil, disponibles aussi en dehors de cette Association, ouverts à des adultes en
continu sur l’année. C’était la première fois qu'ils accueillaient des adolescents et cela n’était
pas évident. Habituellement ils accueillent des groupes d'adultes pour qui ce voyage et ce
choix de tourisme équitable sont l’aboutissement d'une réflexion ; pour nous, le voyage était
au contraire le moteur de la réflexion, ce qui fait que nos Jeunes n'étaient pas obligatoirement
aussi respectueux qu'on l'aurait voulu et que l’étaient habituellement les adultes de passage.
Ce sont les risques de l'opération.
Geneviève DUCHÉ : Je pense qu'il faut effectivement se recentrer sur la mixité et sur la
mixité de genre et je voulais compléter cette intervention en vous posant deux questions
Pourriez-vous nous rappeler la composition du groupe et nous dire comment filles et garçons,
chacun-e à leur manière, ont vécu ce voyage, cette expérience : je crois que c'est extrêmement
important pour nous.
Quant à la deuxième question : je me disais paradoxalement que cette difficulté de la vie des
filles au Maroc, nous en connaissons quelque chose en France, ici même car nous sommes en
contact constant, direct avec ces problèmes-là. La question qui m’occupe est de comprendre
comment il se fait que l’école ne transmette rien. Que rien ne se parle, que rien ne se
voit, que rien ne se travaille ? Et que ce soit à l'occasion d'une expérience comme celle-là,
que « tout d'un coup » …on semble découvrir le gouffre alors que nous y sommes tous et
toutes confronté-es au quotidien.
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Maintenant il est vrai que sans faire tous ces kilomètres, voir ce qui se passe à côté de chez
soi, est une vraie question.
Ma réponse est que cela a déjà changé dans le Collège. Une fille qui n'est pas partie mais a
participé au Projet dressait ce bilan : « j'ai toujours entendu certains dire « Mohamed »
presque comme une insulte d'élève à élève, mais depuis que la classe est revenue du Maroc,
ils disent « Mohamed » sans moquerie et en parlent normalement, ils l'aiment bien, c'est pour
ça que le racisme peut changer grâce aux voyages comme ça ».
Je pense en tant que Professeur que ce type d'expérience peut modifier les relations à
l’intérieur d'un Collège. La perception des élèves français d'origine marocaine a été modifiée ;
le voyage a été le moteur de la transformation de la perception.
Je veux indiquer aussi que le Projet pluriannuel continue entre les deux mêmes Collèges mais
avec d’autres élèves. L’année dernière, avec une classe de troisième, on a échangé sur le
thème de l’eau. On a appris beaucoup de choses sur l'eau, étudié l’intermittence de l’oued, les
barrages et l’irrigation…De notre côté, on a visité la station d'épuration de Ganges. Les élèves
se sont envoyé des documents sur le thème de l'eau et tous les problèmes de pollution, de
pénurie…Cette année, nous espérons la visite du groupe de correspondants marocains : ils
sont en train d'essayer d'obtenir les papiers nécessaires, ils ont déjà reçu l'autorisation de leur
Académie. On les attend pour le début du mois d’avril.
Parmi les inscrits, en l’état, on compte 3 filles, c'est une grande nouvelle. Nous préparons
l’accueil : nous nous occupons actuellement de la recherche de gîtes, puisque les filles
marocaines ne viennent que si elles ne quittent pas leurs professeurs, à la condition d’être
hébergées dans un gîte avec leurs professeurs. Les garçons eux seront hébergés dans des
familles françaises.
Leila ACHERAR : J'écoute sincèrement l'expérience qui m'émeut, parce que j’admets
qu'évidemment le vécu transforme les représentations des uns et des autres, mais je n'arrête
pas de me poser la question de l’émotif et du cognitif, de me dire que nous sommes à l’école,
que transformer la représentation de l’autre relève à la fois d’une démarche éthique et
d’une démarche scientifique. Dans l'école, on a travaillé la relation à l'autre mais il faut
travailler aussi la culture de l'autre et la connaissance de l'autre.
On ne peut pas pacifier, socialiser, transformer tout d'un coup de magie : par exemple les
peuples, français, marocains, allemands devenant aimables par simple cohabitation. La
question est de vraiment former des citoyens en capacité demain de faire des choix, chaque
fois que la vie des autres est en jeu. Il faut maîtriser quels sont les paramètres, les critères, les
savoirs sur lesquels je peux m'appuyer pour choisir, il ne suffit pas d'avoir rencontré les autres
aimables pour avoir envie de choisir. Même si je comprends cette démarche, c'est une activité
que je pratique aussi personnellement, néanmoins je pense que du côté de l'école, le voyage se
situe d’abord à l'intérieur des savoirs. Tel est le rôle exigeant de l’école.
Geneviève DUCHÉ : Merci. Il nous faut continuer et aborder le second aspect de cette
matinée : la mixité sous l’angle de la citoyenneté. Monsieur Jacques GLEYSE va nous
proposer un exposé théorique autour du concept de citoyenneté métisse. Et puis les élèves
nous parleront de l'expérience des garçons et des filles élu-e-s au Conseil Académique de la
Vie Lycéenne.
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COMMUNICATION
Jacques GLEYSE, Professeur des Universités en Sciences et Techniques des Activités
physiques et sportives : Je ne suis pas absolument certain que mon intervention soit en phase
avec l'introduction non plus qu’avec les propos que tiendront ensuite Mélodie et Nicolas du
Conseil Académique de la Vie Lycéenne.
Pour ma part, les travaux que je dirige portent sur les rapports de la chair et du verbe, et en
conséquence ont à voir avec la problématique du genre et du sexe, fondamentalement ancrée
sur les rapports de la chair et du verbe.
Il est un livre qui dit « Au commencement était le Verbe et le Verbe se fit chair ».
Mon travail consistera à montrer l’inverse : « Au commencement était la Chair et la Chair se
fit verbe ». Mon apport va consister à utiliser le concept du métissage pour tenter
d’éclairer la notion de mixité et les rapports de genre. [planche 1]
Pour ce faire, je voudrais commencer par une idée qui est la suivante : un certain nombre de
choses s’inscrivent dans le Verbe et un certain nombre de choses sont du Verbe qui s’inscrit
dans la chair.
Pour illustrer l'introduction de mon propos [planche 2], je voudrais donner deux images de
corps de femmes. La première est un tableau de Renoir qui est censé représenter « la femme
idéale » en 1880. Ce corps de femme a certaines caractéristiques : peau blanche, hanches
larges, relativement peu de masse musculaire mais du corps adipeux en quantité.
Ce corps-là nous dit un certain nombre de choses, il nous parle.
C'est le « corps idéal » parce que « la »femme est une bourgeoise bien nourrie : elle montre
par ses formes amples qu'elle n'est pas maigre comme le serait une ouvrière ; elle a la peau
blanche ce qui traduit qu’elle ne travaille pas dehors. Elle offre au regard un bassin large
parce qu'elle doit procréer et que son rôle essentiel est de porter des enfants.
Elle peut être le corps idéal parce qu'elle est idéale : une bourgeoise jeune, promesse de
fécondité.
La jeunesse est un archétype presque transhistorique.
De manière caricaturale, j’ai choisi pour seconde image de « femme idéale » contemporaine
une publicité pour les maillots de bain datant de la fin du XXème siècle. On y voit une jeune
femme dont le corps présente des caractéristiques quasiment inversées par rapport au corps
précédent. « La » femme a le corps quasiment à l’opposé : c'est-à-dire très musclé, avec peu
de corps adipeux donc et présente un bassin étroit, des épaules larges et une peau colorée. J’ai
sciemment choisi une femme noire pour accentuer le fait que la peau blanche n'est pas
valorisée nécessairement en cette fin de siècle : puisque les femmes sont censées être dehors,
elles ont le droit de bronzer. Prendre l’air, la pluie, le soleil ne sont pas seulement le lot ou
l’apanage des ouvrières ; même l’archétype bourgeois s'est transformé.
Je vais ouvrir une parenthèse : une erreur s’est glissée dans mon résumé introductif et le
hasard a fait que les mensurations de la poupée Barbie, le tour de hanche et le tour de taille
sont inversées. Pour extraordinaire que cela paraisse, ce matin, les deux personnes qui m'en
ont fait la remarque étaient deux femmes : ce qui aurait tendance à confirmer l'idée que c’est
un système colonisateur. Est-ce qu'il s'agit d'un modèle colonisateur ou pas ? la question est
ouverte pour discussion.
Mais depuis les années 60-70, on constate que ce modèle-là prime. Dans tous les cas de
figures, quand j'interroge les jeunes femmes actuelles, 80 à 90% d’entre elles répondent
qu’elles ont joué avec une poupée Barbie. Ce qui signifie qu'en fait, si l’on admet que le jeu
est un moyen d'accéder, d'une certaine manière, à un capital culturel, à quelque chose qui est
de l’ordre de la norme culturelle ou relève de l'inquisition culturelle, force est de constater que
les jeunes filles qui ont joué avec une poupée Barbie ont peu ou prou intégré ce modèle.
Lequel modèle, lorsqu’on l’étudie précisément, ne représente que 0.004% du corps possible
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des jeunes femmes, selon les statistiques de l’INSERM, parmi la population des 18-25ans et
un chiffre encore bien moindre pour la population plus âgée.
Il faut préciser que Barbie [planche 3] est censée mesurer 1m7O, offrir 90cm de tour de
poitrine, 60cm de tour de taille et 85cm de tour de hanches. Bien évidemment, à l’origine elle
est blonde et affiche des yeux bleus. Les premières poupées Barbie ont été l’objet de critiques
sur le site des poupées Barbie : la ligne a changé, l’on s'est mis à faire des poupées Barbie
différentes, parce que « les colonisés » n'ont pas apprécié que les poupées Barbie soient toutes
blanches, blondes avec des yeux bleus.
Nous sommes ici dans un modèle que l’on retrouvera également dans le domaine des
activités physiques avec les sports anglo-saxons, un modèle de domination des corps, de
« colonisation corporelle » mais parfois le colonisateur fait retour vers le colonisé : ainsi
des poupées Barbie plutôt métisses, plutôt noires sont donc apparues à la vente.
On a changé les critères, mais ce qui n’a pas changé, c'est la structure corporelle de la poupée
Barbie : elle demeure toujours une nantie, qu'elle soit blanche, noire ou jaune et sa structure
corporelle, ses mensurations sont toujours identiques. La question posée est, en terme de
pouvoir : s’agit-il d’un modèle de colonisation ? Je le pense pour ma part.
Je crois que les poupées Barbie sont des modèles de colonisation qui illustrent la
contrainte parfaite du verbe dans la chair.
Le Verbe dit à ce moment-là : « voilà la normalité d'une femme, voilà la norme de « la »
femme, et je vous invite à ressembler à cette norme ». On sait (GARCIA, 1996) ce que cette
contrainte peut provoquer chez les jeunes filles, notamment à l’adolescence, – il y a eu un
mémoire de maîtrise qui a été réalisé sur ce sujet il y a quelques années –, anorexie, boulimie
voire suicide, puisqu'il s'agit de coller à un modèle qui n’est un modèle atteignable que pour
0.004% de la population française.
Je sais que le mixage peut paraître un peu baroque, mais je suis obligé d'avancer par des
illustrations successives. Au fur et à mesure du temps, on peut dire qu'il y aura un
changement dans le verbe ; des normes prescriptives différentes vont conditionner les
changements dans la chair.
Je vous présente [planche 4] trois corps de femmes dans des pratiques d'activité physique,
pour montrer comment se fait l’évolution. En 1900 les femmes ont un bassin assez large, des
hanches assez larges, même en pratiquant la gymnastique ; en 1936, le bassin est plus resserré
et la musculature est devenue plus importante ; enfin, en 2000, une sportive de haut niveau,
une sprinteuse américaine du 200m, élancée, offre un stéréotype de corps qui s'est rapproché
du stéréotype de corps de la poupée Barbie.
La question de savoir si ces mutations corporelles sont également ou inégalement partagées
auprès des hommes peut faire discussion. Voici [planche 5] deux modèles de corps d'hommes
1900-2000... Jamais dénudés, barbus, pour un certain nombre des hommes ventripotents qui
auraient eu l’apparence physique « d'un notaire bien installé » à la fin du XIXème siècle ; de
l'autre côté à la fin du XXème siècle, l’homme présente de nouveau donc de façon assez
conforme à la femme contemporaine l'image de quelqu'un de plutôt svelte, élancé.
En revanche, si l’on considère le domaine des pratiques physiques [la planche 6], ce qui est
intéressant, c'est de s'apercevoir que les deux corps masculins qui sont présentés fin du
XIXème-début du XXème et fin du XXème siècle, sont des corps relativement similaires : les
cheveux ont changé, le port de la moustache est plus moderne que la barbe, mais si l’on
regarde la musculature et la structure du corps, elles se sont moins modifiées que pour les
femmes.
Selon ma théorie, l’on peut se demander si le Verbe a agi autant sur le corps des hommes que
sur le corps des femmes ? C'est la première question : est-ce que dans un cas, on est dans un
système de colonisation total, et dans l’autre, dans un système de colonisation atténué ?
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Ou plutôt corporellement, qui est-ce qui colonise l’autre et est-ce que les corps des femmes se
sont rapprochés des modèles musclés de corps des hommes ? Deuxième question.
Que l’on réponde par l’affirmative ou la négative, il y a un débat que je ne souhaite pas
trancher.
Mais il demeure une colonisation très claire des corps des femmes qui suivent un certain
modèle stéréotypé ; les corps des hommes semblent moins marqués par la norme dominante.
En même temps se posait la question de la mixité, telle une injonction de deux mondes, de
deux sociétés. Le domaine des pratiques physiques, dans le contexte global de la réussite
scolaire supérieure des filles à l’école paraît paradoxal : il y a un endroit où les filles échouent
massivement, c'est l’Education Physique et Sportive car dans le domaine du Sport il en va de
même.
Il serait intéressant de comparer les pratiques physiques des garçons et des filles [planche 6],
et surtout des modèles de corps, qui sont donnés dans cette sphère. Pour les filles, le modèle
qui est donné, dans le domaine des pratiques physiques, pendant pratiquement tout le XXème
siècle jusqu'aux années 70, mais qui fonctionne encore très, très bien, c'est l'esthétique, la
grâce, la soumission. Voilà une image d'une jeune femme qui pratique de la
gymnastique rythmique qui est le modèle parfait de la gymnastique pratiquée par les
filles pendant tout le XXème siècle. De l'autre côté, le modèle qu'on donne pour les garçons
est un modèle fondé sur la force, l'énergie, la violence, la virilité et surtout un système de
domination. Nicole Mosconi nous a montré que c'est ce type de comportement qui existe
dans le curriculum caché : pour les garçons, on valorise les éléments de l’ordre de la
domination, de l'ordre de l'agressivité, et pour les filles, plutôt des éléments de l'ordre de la
soumission.
Ceci se retrouve dans les pratiques physiques, de manière très, très nette. Ce système-là
fonctionne de manière apparente jusqu'aux années 70-80 dans le domaine des pratiques de
l'Education physique à l’école, mais il disparaît, à partir des années 80 avec la prétendue
installation de la mixité.
Intéressant : comme s'il y avait deux mondes complètement exogènes qui, tout d'un coup,
disparaîtraient. On prétend alors que l’Education physique est unisexe ; en réalité, c'est à
ce moment-là qu’apparaît de manière très nette, le curriculum caché, c'est-à-dire quelque
chose qui est dissimulé aux yeux des acteurs mais qui en fait continue de fonctionner de la
même manière.
On constate en fait [planche 7] cf. en rose les pratiques masculines et en blanc les activités
physiques féminines sauf la course en durée, en bleu parce qu'elle n'existe pas au niveau
fédéral…qu'en Education physique, les garçons et les filles pratiquent des activités
physiques, qui sont très majoritairement des activités masculines. Cela, les programmes
officiels ne l’expliquent jamais. Après 1980, le système de colonisation des filles par les
garçons est dissimulé derrière les activités qui sont à dominance masculine.
On est de nouveau dans un système de colonisation, seulement, c'est un système de
colonisation qui est caché cette fois-ci, et qui se traduit dans l’évaluation : il aboutit à une
différence de notation très importante entre les garçons et les filles. La moyenne des notes
des filles au bac en EPS [planche 8] est inférieure de 0,8 à 2,3 points selon les années
(distribution sur plus de 300 000élèves) En fait les notes des filles sont très inférieures à
celles des garçons. On est dans un système de colonisation corporelle qui veut faire rentrer les
filles dans le système de pratiques corporelles des garçons. Cela n'est pas exprimé mais
fonctionne de manière totale ; l’EPS est exemplaire car il s’agit d’un des rares domaines où
les filles ne réussissent pas comme les garçons et c'est un très bon indicateur de ce qu'on
essaye d'apprendre aux garçons et aux filles et de la manière dont s'instaure le système de
domination.
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Le corps est fait social total, c'est-à-dire que dans le corps, tout est marqué et les pratiques
d'Education physique nous disent tout du curriculum caché dans l’école : un système de
colonisation qui fonctionne de manière dissimulée.
L'explication en est très simple: ou bien le test n'est pas très adapté ou bien, les populations
sont hétérogènes. La thèse que je défends est que le test n'est pas assez adapté, c'est-à-
dire qu'on a voulu faire rentrer les filles dans des pratiques physiques qui ne leur
correspondaient pas.
Et à cela je ne vois que trois solutions possibles :
-redéfinir les règles des sports actuels (à dominante masculine)
-utiliser des activités féminines et masculines à 50/50
- ou utiliser des activités non connotées (jeux traditionnels ignorés des élèves).
Qu'en est-il du domaine du Verbe et des autres matières scolaires [planche 9]?
Les livres scolaires véhiculent des stéréotypes de genre, et l’école elle-même dans sa
globalité, à commencer par les enseignants de l’école maternelle. J’en veux pour exemple la
maîtrise de Sciences de l’éducation faite par Karine SERVEN, qui montre qu'en fait les
enseignantes de l'école maternelle adoptent des attitudes très différentes envers les garçons et
envers les filles. Nicole MOSCONI aussi l’a très bien décrit.
Il y a un lieu où les stéréotypes de genre sont monstrueusement caricaturaux : c'est celui des
TICE, des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Je crois que l’on a
un travail énorme à faire dans ce domaine, à en croire l’excellent mémoire de Maîtrise
soutenu par Alexandra DORIGNY qui a étudié 13 logiciels éducatifs, de manière très
détaillée. Sur 13 logiciels éducatifs, l’on trouve 11 héros qui sont donc des garçons – je passe
sur les comportements corporels des garçons qui sont les héros de ces jeux éducatifs –, 1
robot-garçon, 1 seule héroïne fille, la princesse Aminékée qui est elle même soumise à des
stéréotypes de genre, les pires caricatures qu'on ait vues dans les manuels scolaires des années
1970. Il faut ouvertement dénoncer ces logiciels éducatifs.
Le verbe diffère dans la constitution de la citoyenneté.
La citoyenneté c'est du verbe, mais c’est du verbe qui fait corps à un moment donné. Il s’agit
de comprendre jusqu'à quel point la citoyenneté signifie simplement dire les choses dans
l'espace d'un discours ou bien mettre des gens ensemble qui sont susceptibles corporellement
de tenir un discours différent.
Il y aura le témoignange de Mélodie et Nicolas, un garçon et une fille, cela semble très
bien. L’école est censée fonctionner sur la base de la mixité, mais il faut aller plus loin et
se poser la question de savoir si toutes les mixités sont respectées. Autrement dit : est-ce
qu'on est dans un processus de colonisation d'un certain groupe dans les Conseils de la
Vie Lycéenne ou est-ce qu'on est dans un système de métissage authentiquement
citoyen?
Je me suis amusé pour mettre en vis-à-vis deux éléments qui sont constitutifs de la base de la
citoyenneté et de la mixité [planche 10]. Tout le monde connaît les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits, toute distinction sociale ne peut être fondée que sur
l’utilité commune, mais beaucoup moins de monde sait qu'en 1792 Olympe de Gouges a écrit
un autre texte, qui était en vis-à-vis, la Déclaration des droits de la femme et qui
commençait ainsi la femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits et les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Article II : Le but de toute
association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme
et de l’Homme… Article III : Le principe de la nation réside dans la réunion de la femme et
de l’homme.
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Quand on pense que la citoyenneté se construit sur cette base inégalitaire, à droite et non
pas sur cette base à gauche, on conçoit que la constitution de la citoyenneté est biaisée dès
le départ.
Je pose la question suivante : S’agit-il d’un système de colonisation ou d’un système de
métissage ?
Je voudrais préciser qu'Olympe de Gouges sera guillotiné en 1793, tous les clubs féminins
interdits par les Jacobins, en raison du fait qu'ils étaient considérés comme des propagandistes
d’idées malsaines pour la société.
Le verbe diffère dans la constitution de la citoyenneté scolaire également, cela a été décrit
par Nicole Mosconi. Au XIXème siècle, les filles ont subi un siècle d’éducation “sur les
genoux de l’église”. J’ajoute seulement une citation de Jules Simon, un républicain notoire,
qui affirme en 1888 : “Seul un esprit d’homme mûr peut étudier la chimie pratique”. On ne
saurait imaginer qu'une femme en fasse de même.
Je voudrais questionner la citoyenneté, essayer de l’approcher à partir de plusieurs
concepts qui instaurent des rapports de pouvoir.
La colonisation suppose l’imposition d'un modèle ou de plusieurs modèles : quelqu'un qui
est dominant par la force, par les armes, par l’argent, ou encore par le langage. Quelqu'un qui
est dominant impose un modèle à quelqu'un d'autre mais l’impose par violence réalisée. Je
cherche à comprendre où l’on en est dans le processus de “colonisation” dans le domaine de
la mixité. Est-ce qu'on est dans un processus de colonisation ?
Le deuxième niveau concerne l’impérialisme : une imposition de civilisation et de modèle
culturel. Il me semble que des mécanismes de ce type fonctionnent dans la mixité entre les
garçons et les filles parce qu'à part une violence symbolique, il n’y a pas de violence réelle qui
impose des modèles : l'impérialisme semble être une autre façon de penser les choses.
Le troisième niveau est l'hégémonisme : un développement qui ne laisse pas la place à
l’autre. L’hégémonisme ne signifie pas que l’on cherche à imposer les choses : on est
tellement puissant, comme l'Empire romain à un moment de l’Antiquité, comme “l'empire
américain” aujourd'hui, que de fait, on impose ses propres modèles sans même chercher à les
imposer.
Il existe heureusement une alternative à ces modes d’organisation du pouvoir : à savoir le
modèle du métissage. Le métissage est une acceptation des logiques de toutes les parties
prenantes sans se fonder sur une pureté originelle.
Le métissage suppose dès le début deux races effectivement mélangées. Le risque dans le
métissage culturel serait de croire qu'au départ, il y a eu une race pure et une race impure. Or
tous les travaux sur le métissage montrent au contraire qu’en amont, il n’y a pas de pur et
d’impur : ce qui veut dire, par rapport à la logique des femme et des hommes, qu’il ne faut pas
penser en terme de modèles. Un modèle féminin, structuré, définitif – par exemple, “la
femme” aimerait la danse, elle aimerait l'esthétique – ne fonctionne pas et est voué à l'échec.
Il en va de même pour “l'homme” – qui, par exemple, serait censé à 1'inverse aimer le rugby –
Je crois que cette référence à un modèle prétendrait définir une pureté en amont. Or tous les
travaux sur le métissage montrent que la pureté n’a pas d’existence de facto.
Il y a peu de temps s’est tenu un colloque organisé par LAPLANTINE et NOUSS
“Métissages. De Arcimboldo à Zombi” (édition Pauvert, 2003) sur le thème de la peinture
métissée. Arcimboldo est un peintre du XVIème siècle qui peint des personnages composés
par exemple de fruits disparates. On trouvera parmi ses œuvres des tableaux représentant la
terre, l’eau, l’air et le feu qui sont constitués avec des objets séparés : des crustacés et
poissons pour l’eau, des oiseaux pour l’air, des canons ou des armes par exemple pour
construire le feu. Les toiles sont formées à partir de modèles préexistants mais qui sont
redistribués d’une manière différente.
42
Je pense qu’il peut en être de même pour le modèle de la citoyenneté, composée à
l’origine d’éléments séparés mais qui sont suceptibles de se réajuster dans une troisième
image inexistante au départ. Il me semble que c’est ainsi que se pose la problématique de
la mixité qui doit tendre vers une nouvelle configuration, sans nier mais en essayant de
les dépasser tous les problèmes de domination, colonisation, impérialisme qui existent
réellement.
Zombi concentre également un jeu de rôles qui essaie d’intégrer tous les jeux de rôles
traditionnels préexistants, par exemple les traditions celtes, le seigneur des anneaux …
D’où l’intérêt sur ce sujet de deux autres ouvrages : GRUZINSKI, dans La pensée métisse
(Edition Fayard, 1999) explique que le métissage est toujours un mélange d’éléments
“impurs” au départ car “une culture pure” originelle n’existe pas ; AMSELLE dans
Logiques métisses (Payot et Rivages, 1999) développe la même thèse.
Pour les raisons que je viens d’exposer, il me semble que le concept de métissage peut
éclairer la notion de mixité et les rapports de genre.
EXPÉRIENCE DE TERRAIN
Geneviève DUCHÉ : Merci. Je voulais donner la parole en premier lieu à Mélodie mais il
semble que « le projet ne soit pas celui-ci ». Qui doit parler en premier ?
Nicolas DOMENECH : On m'a demandé de venir avec Mélodie pour parler de mon
expérience de lycéen à travers les différentes institutions et pour témoigner de la vie
académique lycéenne. Le Conseil de la Vie Lycéenne – pour ceux qui ne savent pas – est élu
au lycée : on organise tous les deux ans une élection parmi les Délégué-es de classe pour
mener à bien des Projets internes dans notre lycée. Avec Mélodie, nous venons de deux lycées
différents.
Et le Conseil Académique de la Vie Lycéenne se structure au niveau de la Région.
On nous a demandé de dire comment on avait perçu la mixité à travers notre vie d’élève…
Je veux développer trois thèmes : la question de la motivation et de la participation des filles
et des garçons au plan numérique, à savoir le nombre des candidat-es et le nombre de ceux qui
s’investissent, filles ou garçons pour créer les Projets et finalement je voudrais poser la
question du pouvoir. Qui a le pouvoir ?
Voilà ma constatation : les filles sont plus nombreuses à se présenter que les garçons et
elles sont plus motivées. Je me rappelle, il y a deux ans dans mon lycée, pour les élections au
CVL, il y avait 7 filles élues pour 3 garçons. Cette année, en retournant au lycée, j’ai constaté
la même chose. On vit en mixité, on est censé penser un peu pareil…Alors je me suis
demandé si cela était dû à une question de maturité ou si c'était dû à une différence de
mentalité entre les hommes et les femmes. Il y a des experts qui pourraient répondre à cette
question, je pense …
Quant à la participation réelle des élèves à la vie citoyenne : ceux qui sont élus ont besoin des
personnes qui sont derrière eux pour pouvoir faire des projets… Il y avait des réunions où l'on
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convoquait soit l’ensemble des Délégué-e-s, soit l'ensemble des élèves : en tant que Président
du CVL, il m’arrivait souvent de convoquer à des réunions mais il n’y avait pas grand monde
qui venait…il y avait fréquemment plus de filles présentes. On ne sait pas où ils étaient les
garçons… On les cherchait…
Par exemple j’ai voulu être le Président d’une autre Association que le CVL : pour fonder
cette autre Association La Maison des lycéens, sur 62 élèves convoqués, il y en a 13 qui sont
venus : sur les 13 présents, on a compté 11 filles et 2 garçons ! Il fallait élire un Bureau de 6
élèves : 4 filles ont été élues et 2 garçons … Voilà. Cela montre bien l’intérêt des garçons
pour cette vie citoyenne !
Pour ce qui concerne les rôles de pouvoir maintenant…Moi, je me suis toujours intéressé à la
vie citoyenne …il y avait plus de filles au CVL mais je présidais …je ne sais pas
pourquoi…et c'était encore moi qui étais Président de la Maison des lycéens. C’est moi qui
dirigeais un peu tout, en fait…
Quand j'étais Président de la Maison des lycéens, j'avais pas mal d’avantages matériels
comme un bureau, j’avais des droits que d'autres élèves n'ont pas…Et cela m’a beaucoup
étonné : j'ai des amis masculins qui se sont rendu compte de ces avantages, qui m’ont envié et
qui, par des processus divers …alors qu’ils se fichaient royalement de la vie lycéenne ont
réussi à garder le pouvoir et à se faire élire aux postes de dirigeants.
Donc j'ai une conclusion très simple : les filles s'intéressent plus, les filles participent
plus et les filles n'ont pas le pouvoir.
(vifs applaudissements dans la Salle)
Mélodie El Khaddari : Moi je voudrais aborder la mixité au niveau des élections, les
élections au Conseil de la Vie Lycéenne et au Conseil Académique de la Vie Lycéenne. Il faut
savoir que j'ai été élue au CVL pour deux ans ; j’avais deux suppléantes.
Est-ce qu'on peut parler, au niveau des élections, d'égalité entre les garçons et les filles ?
Même si on a posé le problème de la motivation pour conclure que les filles sont plus
motivées…
Est-ce qu’il y a autant de chances pour les filles de passer que pour les garçons ?
A mon avis, la réponse est non, parce qu'il y a plusieurs facteurs qui font que non : le facteur
physique est très important à notre âge au lycée. Nous, on était trois filles avec Leila et
Alexandra, mes suppléantes…bref, tout à l’heure, on a parlé des poupées Barbie et cela
compte.
Il y avait aussi le facteur d’origine, qu'il ne faut pas négliger, sachant que je n'ai pas du tout
une tête de marocaine mais que je suis franco-marocaine et que mon nom commence par El
Khaddari El Idrissi : c'est un peu long mais c'est assez maghrébin ! Tout cela pour vous dire
que lors des élections, en regardant sur la liste, les lycéens ne se sont pas posé la question de
savoir s'ils nous connaissaient ou pas ; ils ont voté en voyant El Khaddari et en pensant « c'est
une marocaine, elle va faire des trucs pour les arabes » D'autres ont voté Alexandra Perrin en
se disant « c'est une élève sérieuse, elle est en S, alors on va voter pour elle » et pour Leila,
« elle, elle est en Sciences Economiques et Sociales, c'est une maghrébine aussi, c'est bon on
va voter pour elle ». Ceux qui la connaissaient, en plus, ont pensé « elle est super gentille et
puis elle a une très grande gueule, elle dit tout haut ce que les gens pensent tout bas » Je pense
que beaucoup ont voté pour nous sur ces facteurs-là.
Ensuite il y a la popularité : c’est un facteur important dans un grand lycée, « je la connais, je
vote pour elle » ; dans la cour, il faut se faire voir, connaître beaucoup de monde…
Et en dernier vient la motivation qui ne passe qu'en quatrième facteur malheureusement, alors
que pour moi, en tant que candidate, le plus important, si l’on veut être élue au CVL, c’est
quand on veut créer certaines choses, qu’on a des convictions et qu’on est motivé-e : c’est
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cela qui importe pour les candidat-es. C'est dommage que ceux qui votent ne s'en rendent pas
compte.
Il est vrai qu'il y a eu beaucoup de filles qui ont été élues alors que certains garçons auraient
pu faire ce que nous, nous avons fait : plus de filles ont été élues alors que cela devrait être
pareil ! Là je pourrais revenir à la question du mandat.
Une fois qu'on est élu au niveau du lycée, on peut participer aux élections pour le CAVL, au
niveau académique. Au CAVL ce n'est plus le facteur d'origine, le facteur physique ou de
popularité qui jouent mais vraiment la motivation, cela ne s'adresse plus du tout aux mêmes
personnes ; donc, ce ne sont plus sur les mêmes critères que l’on se place aux élections. On ne
vote plus pour des facteurs « bidon » mais pour des objectifs réels, des faits concrets. Je ne
parlerais pas d'inégalité entre les hommes et les femmes pour ces élections.
Je vais en venir à la question du mandat. Moi, est-ce que je vis bien mon mandat au CAVL
en tant que fille ?
Je dirais que non : je n'ai pas d'avantages ni d'inconvénients particuliers ; je pense qu'il n’y a
pas de différence entre les hommes et les femmes au niveau du CAVL. Une parole féminine
équivaut à une parole masculine. On a abordé par exemple le thème du handicap : la fille a
une vision plus sensible et le garçon un regard plus matériel ; on est complémentaire à ce
niveau-là.
Geneviève DUCHÉ : Je voudrais d’abord vous remercier et dire mon impression tout de
suite : je pense qu’en fait, un grand politicien n'aurait pas mieux rendu compte du processus
démocratique réel ou des limites du processus démocratique pour ce qu’il en est du genre en
particulier.
Nicolas DOMENECH : il y a une question que je me pose. Pourquoi encore un colloque sur
la mixité à notre époque ?
S’il y a un colloque sur la mixité, c'est que les femmes estiment qu'elles ne sont pas assez les
égales de l’homme. Or les femmes ne peuvent être égales à l’homme, je ne parle pas
péjorativement : on est différent physiologiquement, on réfléchit différemment. Comment
aspirer à ce que les hommes et les femmes soient égaux ? C’est. quelque chose que je ne
comprends pas : d’après moi, on ne peut pas être égaux !
Geneviève DUCHÉ : Je vous remercie pour cette question car elle est d’une importance
capitale. C’est une question que l’on entend souvent, à tous les âges, partout, et à laquelle il
incombe que l’école réponde expressément.
J’ai même envie d’ajouter : mais comment se fait-il qu’à votre âge, a fortiori compte-tenu
de votre responsabilité d’élu, comment se peut-il que l’école n’ait pas encore répondu à
votre question ? Peut-être avez-vous encore à y réfléchir.
Nicole Mosconi va répondre à cette question majeure.
Nicole MOSCONI : A une question aussi importante, il faut apporter une réponse claire et
nette. Pour moi, la réponse va être très simple : c'est qu'il faut faire très, très attention aux
concepts !
L’opposé d'égalité : c'est inégalité. L’opposé d'égalité n'est pas : différent.
Ce qui s'oppose à différence : c'est similitude (autrement dit : le contraire de différent est
identique) ; ce n’est pas inégalité.
Le couple différence / inégalité est un couple absurde.
L'opposé d'égalité, c'est inégalité.
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Donc si vous dites : « les hommes et les femmes ne peuvent pas être égaux » ou « les femmes
ne peuvent pas être égales aux hommes », cela signifie que vous dites « que les hommes et les
femmes sont inégaux ».
Or les hommes et les femmes peuvent être égaux. Je suis d'accord, ils ne le sont pas
complètement, mais ils le peuvent, c'est écrit dans la Constitution. Peut-être qu'un jour cela
se réalisera.
Ils peuvent être égaux, cela ne les empêche pas d'être différents. On peut être à la fois égal et
différent.
Et ce que nous recherchons ce n'est pas à assimiler les hommes et les femmes, c'est au
contraire, de permettre :
- que les hommes entre eux soient différents et que les femmes entre elles soient
différentes,
- mais que les hommes et les femmes soient égaux entre eux.
(Vifs applaudissements)
Jacques GLEYSE : Tous les sociologues de la domination qui ont travaillé dans l’école de
Pierre BOURDIEU prennent comme informateurs, en général, les gens qui sont dominés,
parce qu’il ressort que pour avoir une information précise sur le dominant et le dominé : la
meilleure façon de les avoir est toujours de passer par les dominés.
Quand on les a du côté du dominant, on a des informations largement déconstruites et
organisées sur la logique du dominant. Prenons l’exemple d’une guerre : ceux qui ont
gagné la guerre ont toujours une raison pour justifier cette victoire. C'est toujours la logique
du vainqueur qui, à un moment donné, s'impose et il y a tout un débat à avoir sur la question
de savoir d'où doivent provenir les informations. Actuellement il y a un sociologue qui mène
une recherche sur l’intégration maghrébine ; il a comme source d’informations un maghrébin
de la deuxième génération pour essayer de comprendre les problèmes sociologiques qui se
posent. Il me semble qu'il n’aurait pas pu avoir les informations qu'il a obtenues, si justement
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il ne s'était pas adressé à un maghrébin de 2ème génération mais s'il avait pris un occidental de
3ème ou 4ème génération dans la même cité.
Geneviève DUCHÉ : Je dirais que la reconnaissance de l'autre sans égalité pose aussi
quelques problèmes.
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communément. Or on constate le contraire au vu des statistiques et si l’on se confronte aux
réalités de terrain : les filles s'en sortent beaucoup mieux que les garçons et je voudrais
souligner ce côté très fort de résilience que possèdent les femmes par rapport aux hommes.
C’est tout.
Olivier BRUNEL : Les formes de réaction ne sont pas exactement les mêmes, on note dans
beaucoup d'études que les femmes retournent souvent la violence contre elles-mêmes.
Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des femmes et à l’Egalité : Juste un
petit commentaire qui fait suite à l’expérience des élèves délégués au CAVL et plus
particulièrement au témoignage de Mélanie El Khaddari.
Quand vous avez parlé des échanges au sein du CAVL, en citant l’exemple des handicapés –
mais le propos valait pour n’importe quel thème – vous avez évoqué une complémentarité
entre les filles et les garçons et la sensibilité qui serait plutôt du côté des femmes et l’esprit
concret, du côté des hommes.
Je crois que c'est sûr, il y a des domaines sur lesquels on est plus sensible que d'autres,
entre hommes et entre femmes mais j’attire l’attention sur le fait qu’il s’agit là de
prendre en compte toute une culture et que cela est grandement le fruit d’une éducation,
familiale et scolaire.
Je suis aussi concernée par ce qu’il en est de la vie politique ou de la vie des élus. On voit
qu'il y a encore très peu de femmes maires, conseillères générales…Il y a eu des progrès
signifiants seulement dans les communes de plus de 3500 habitants ou au niveau des Régions.
Je voudrais faire remarquer qu’il faut effectivement, dans ses différentes fonctions, de
mairesses en particulier, s'occuper aussi bien de l'assainissement du village, s’occuper des
ordures ménagères que travailler à l’insertion des handicapés et sur tous les aspects de la vie
sociale. Ainsi je crois qu'en tant qu’homme ou femme, on peut s'occuper des deux
dimensions humaines et matérielles : on n'est pas toujours obligé, en tant que femmes
d’œuvrer dans la vie sociale et en tant qu’hommes dans tout ce qui est technique.
C’est en se positionnant ainsi que l’on véhicule les stéréotypes et qu’on les transmet au sein
de l'Education nationale : dans ce cas, les filles continueront à se diriger vers les métiers
sociaux et les hommes vers le technologique. Je crois que, peut-être, on a des sensibilités
différentes, mais nous, femmes, nous pouvons aller sur toute la palette des occupations
différentes : je crois que ce n'est pas Madame la Sous-préfète qui me contredira. Elle s'occupe
aussi sur un champ très, très vaste des divers aspects de la vie locale. Les femmes peuvent
avoir accès – avec leurs sensibilités différentes –, à l'ensemble du panel d’activités ; or on
voit que les femmes sont souvent orientées sur un aspect des choses, et les hommes de l'autre
côté.
C’est bien là que se pose la question : est-ce qu'il y a égalité des chances pour accéder à
certains métiers pour les filles ? et cette tendance se pose avec la même force pour les garçons
mais à l'inverse pour d’autres métiers.
Mélodie El Khaddari, Déléguée au CAVL : Moi ce que je voulais exprimer, c'est cette
différence d’approche. On parle avec des avis toujours différents. Et parfois, pour arriver au
même résultat !
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Madame CHAUVET, Professeur dans un LEP : dans mon lycée professionnel, il y a
effectivement une majorité de garçons. Quant à moi, je tenais à vous féliciter et à vous
remercier pour la vision très franche que vous donnez de la façon dont vous avez été élue. Je
trouve que vous avez fait une analyse très pertinente du « pourquoi les élèves sont si peu
motivés pour s'engager en tant que délégués ».
Au Lep où j’exerce, certains élèves refusent de rester le soir pour participer à des réunions, à
des Conseils de classe : il en résulte qu’on n'a pas le temps de parler des problèmes de
cantine, des problèmes divers de la vie lycéenne. Mais si on leur demande de participer à des
réunions en les libérant d'un cours, ils vont y aller. Alors je vous félicite d’avoir compris
l'importance de vos actions et vous dis bravo pour avoir mené à bien vos projets.
Geneviève DUCHÉ : Nous allons retravailler cette proposition autour de la Formation tout au
long de cette Journée.
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Geneviève DUCHÉ : J'oserais dire en tout premier lieu à l’Université et à l’IUFM : puisque
c'est là que nous formons des enseignants, il va falloir effectivement réagir.
Leila ACHERAR : Je me rends compte de la montée des questions qui nous interrogent sur
la différence des sexes et sur les différences culturelles et sociales de tous ordres entre les
individu-es.
On comprend aujourd'hui que c'est l’une des difficultés particulières que nous pouvons avoir
– du côté de la sociologie de l'éducation mais pas seulement –, à faire entendre que la
différence des sexes n'est pas naturelle mais qu’elle est acquise et que la différence des
sexes est le produit de rapports de domination.
Si l’on veut comprendre pourquoi les filles et les garçons sont différents, malgré la singularité
de chacun et de chacune, il faut aussi en tenant compte des brassages culturels, interroger les
rapports de domination à l'œuvre dans la société. Interroger les rapports de domination
aujourd’hui – c'est ma conviction – implique que l’école ne doit pas être le lieu de la
compassion : on a pas à s'apitoyer sur ces « pauvres filles » ou ces « ces pauvres arabes » ; ils
n’en ont pas besoin, ni les filles, ni les arabes. Ils ont besoin non de compassion mais de
respect et surtout d’outils pour se construire et se socialiser sur un objectif plus égalitaire.
Ce qui importe au contraire est d’éduquer l'esprit critique. Il faut se donner les moyens
pour que ce monde qu’est l’école change aussi et les deux sexes en tireront socialement
bénéfice, pas seulement les filles.
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TABLE RONDE : MIXITÉS SOCIALE ET
PROFESSIONNELLE
Olivier BRUNEL : Merci pour votre ponctualité. Notre après-midi va être structuré de façon
symétrique à la matinée : à partir d’une Table ronde nous allons écouter comme ce matin un
exposé d’expert introductif sur la problématique questionnée suivi du témoignage d’une
expérience de terrain et puis dans un troisième temps nous donnerons la parole à la Salle.
Ce scénario va se répéter sur la thématique de la mixité sociale et ensuite sur la
thématique de la mixité professionnelle.
Je vous propose une présentation sommaire des intervenants à la table ; il faut leur
laisser la liberté d’en dire plus eux-mêmes sur leur identité professionnelle.
Michèle ZANCARINI-FOURNEL qui enseigne à l’IUFM de Lyon, historienne de formation
interviendra sur le genre et la mixité sociale ; à titre d’illustration de cette problématique,
l’expérience de terrain intitulée « Romano modo » sera relatée par Monsieur Jean BRUNON
du collège Pablo Casals de Cabestany.
Ensuite Françoise VOUILLOT qui enseigne au CNAM-INETOP de Paris interviendra sur le
masculin/féminin au travail et à titre d’expérience, nous entendrons deux intervenantes,
Madame QUELLIER et Madame BLANC du collège Via Domitia de Poussan, autour du
projet innovant qui s’intitule « comme des garçons ».
A l’issue de la table ronde, nous tenterons une synthèse : Nicole MOSCONI nous aidera à lier
la gerbe en fin de journée. La clôture de la Journée appartiendra à Madame la Déléguée
Régionale aux Droits des femmes : le sujet ne sera pas épuisé mais j’espère que nous
repartirons toutes et tous plus conscient-e-s et plus informé-e-s.
Je cède tout de suite la parole à Michelle ZANCARINI-FOURNEL.
COMMUNICATION
Michelle ZANCARINI-FOURNEL :
Pour introduire mon propos sur la mixité de genre et la mixité sociale, je voudrais
souligner trois points :
1- Je me place du point de vue d’une historienne du temps présent spécialiste
en histoire des femmes et du genre, ayant connaissance des travaux en
Sciences de l’éducation, Psychologie sociale et Sociologie, ce qui signifie
avoir un regard sur le présent en n’oubliant pas le passé.
2- Je ne prétends donner de leçon à quiconque même si les constats peuvent
paraître pessimistes ; il ne s’agit ni d’être prescriptive par rapport à
l’Education nationale et par rapport aux expériences qui sont absolument
fondamentales et ne se réduisent pas à un compte-rendu écrit ou oral, ni de
désespérer quelque initiative que ce soit. Il nous faut conserver de
l’optimisme dans l’action.
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3- Le genre est la construction sociale de la différence des sexes, c’est la
construction du masculin et du féminin. On ne parlera pas simplement
« des filles » et « des garçons » mais du masculin/féminin pour chaque
individu : pas seulement du groupe de filles et du groupe de garçons car ils
sont par définition des groupes improbables. La construction du genre par
les individus se fait dans des conditions spécifiques ; on pourra porter ici la
réflexion sur le contexte scolaire.
Il faut l’affirmer pour commencer : la société française reste très loin d’un idéal de
mixité, mixité sociale et culturelle, comme de la mixité sexuée.
La mixité sociale recueille une majorité de suffrages en particulier auprès des intellectuels et
des politiques, mais se heurte aux choix concrets et aux pratiques individuelles d’une
écrasante majorité, y compris de ces mêmes intellectuels et de ces mêmes politiques.
Nous devons donc nous demander comment définir cette mixité et quelles modalités mettre en
œuvre pour essayer d’approcher cette utopie d’une plus grande mixité.
Avant de commencer il faut peut être souligner qu’il est injuste de charger l’école de toutes
les inégalités présentes dans la société ; dans son principe, elle n’est pas faite pour corriger
les inégalités.
Comme le démontre de façon implacable un livre récent d’Eric Maurin, intitulé Le ghetto
français. Essai sur le séparatisme social (ed. Seuil, 2004) s’intéressant au voisinage à partir
des dernières Enquête-emploi de l’INSEE : la société française reste très loin d’un idéal de
mixité sociale. Si l’on peut faire des réserves sur l’usage inconsidéré et ahistorique du terme
ghetto, ce livre a l’immense mérite de déconstruire les discours en apparence égalitaires que
l’on trouve dans tous les espaces politiques, médiatiques et scolaires pour s’attacher aux
réalités de ce que l’auteur appelle « la séparation sociale » qui contribue, pour les différents
groupes sociaux en particulier, mais pas seulement, dans le domaine scolaire aussi à un
séparatisme de fait par rapport au groupe considéré comme immédiatement inférieur à lui et
qui creuse les fractures territoriales et verrouillent l’avenir social des individus, en les
assignant à des destins sociaux écrits par avance et confortés par la ségrégation urbaine. Le
séparatisme scolaire pose des questions fortes aux Etablissements et à l’Education nationale.
Nous sommes là donc au cœur de nos interrogations sur les questions de mixité sociale et
culturelle. Et il faut bien se garder d’un discours incantatoire sur le thème de l’égalité
républicaine, ce discours que nous tenons tous, en apparence égalitaire car ces vingt dernières
années montrent de fait un séparatisme qui se creuse.
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On peut tenter d’examiner la question en s’appuyant sur l’histoire et en essayant de pointer ce
qui change ou ne change pas et ce que l’on peut raisonnablement faire dans ce contexte.
Le questionnement sur les inégalités sociales dans le système scolaire a été initié à la
fin des années 1960 par les démographes Girard et Bastide de l’INED, l’Institut national
d’études démographiques, qui se sont interrogés sur le devenir d’une cohorte d’élèves entrés
en 6e en 1962. Les résultats de cette enquête ont été publiés en 1970. L’interrogation ne
portait alors que sur le statut professionnel du père. Plus tard, au moment où la mixité s’inscrit
dans la loi sont venues les interrogations sur ce que signifiait être fille de milieu populaire ou
de classes moyennes, en lien avec le statut professionnel et les attentes des mères pour le
destin scolaire et professionnel de leurs filles
Le concept de mixité est récent ; il apparaît pour la première fois dans une circulaire de 1957.
Une parenthèse : l’histoire de la mixité est une histoire complexe. Si elle a été établie par la
loi en 1976 et si la norme de non mixité est restée jusqu’à cette période-là, les pratiques
réelles de mixité ont été beaucoup plus diverses. La norme était la séparation des sexes
dans la société et à l’école mais l’école rurale était depuis le début, la loi GUIZOT de 1833,
une école mixte ; certes les filles étaient au fond de la classe, certes il y avait une cloison qui
les séparait des garçons mais il y a eu des pratiques de mixité.
Quant à « l’école maternelle », terme sur les limites duquel il ne faut pas manquer de
s’arrêter : elle est mixte depuis le début, mais les normes sont différentes.
Le deuxième point à souligner concerne le terme de « co-éducation » : on l’emploie
aujourd’hui pour signifier « la participation des parents dans l’espace scolaire ». Or ce terme a
changé de sens complètement.
A l’origine, il se réfère au développement d’une pédagogie égalitaire, c'est-à-dire au fait de
mettre les filles et les garçons ensemble certes mais en s’intéressant aux conséquences. Il y a
eu un débat à la fin du XIXème siècle sur ce qu’était la co-éducation à l’école primaire, et les
personnes qui étaient le plus à l’avant-garde sont les instituteurs et les institutrices qui ont
discuté en Congrès, par exemple à Lille en 1905 et en particulier dans leurs Amicales
professionnelles, des enjeux éducatifs et sociétaux qui se posaient à mettre des filles et des
garçons ensemble. Il est faux de dire comme l’a écrit Michel Fize que la co-éducation n’a
jamais été discutée.
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La question de la mixité sociale s’ancre dans l’histoire de l’enseignement. S’il faut choisir
une date de départ dans l’histoire de l’enseignement c’est 1959, avec l’ordonnance Berthoin
qui met fin à la séparation entre l’ordre du primaire et l’ordre du secondaire en vigueur depuis
un siècle et demi.
Jusqu’à 1959, le secondaire est réservé à une élite de garçons comme de filles, même si
pour les filles le phénomène est plus récent et plus complexe que pour les garçons. A partir
des années soixante, on entre dans un paysage nouveau avec la création des CES, en 1963, qui
deviennent mixtes dès l’origine.
La dynamique de rattrapage des filles est ancienne ; elle s’engage dès le début du siècle
dans les milieux plus favorisés mais plus tardivement chez les enfants d’ouvriers.
Du point de vue du social, il y a des pionnières qui appartiennent aux élites bourgeoises qui,
dès le début du XXème siècle, par des moyens très divers, avant que le programme du
baccalauréat ne soit le même, avant le décret Bérard de 1924 donc, ont accédé à une éducation
identique à celle des garçons. Ces pionnières ont manifesté une détermination sans faille mais
elles bénéficiaient du soutien de leur famille
Le rôle de la guerre de 1914-18 a été déterminant au plan des mentalités en matière de
rattrapage et même dans l’ouverture postérieure des écoles d’ingénieurs aux filles. Durant la
grande guerre, les garçons n’étaient pas là, des filles sont allées dans les lycées de garçons,
des femmes professeurs sont allées enseigner dans les lycées de garçons : la grande guerre a
favorisé l’établissement de relations différentes entre les sexes. Mais les arguments
traditionnels « contre » ne manquaient pas : « les femmes réduites aux rôles de « mères-
épouses » devant s’occuper de leur ménage et l’exercice professionnel devant être réservé aux
hommes »; en outre l’on jugeait dangereux pour les femmes le contact avec les ouvriers.
Cette dynamique de rattrapage des filles qui est essentielle est donc amorcée plus tardivement
pour les filles d’ouvriers.
Aujourd’hui, on méconnaît ce qui était de l’ordre de l’enseignement post-primaire, terme
qui par ailleurs peut paraître péjoratif et on a tendance à négliger les formations
professionnelles faites dans l’entre-deux-guerres pour les filles : il faut savoir, même si le
chiffre peut surprendre qu’en 1939 il y avait plus de filles que de garçons qui obtenaient le
CAP. Puis Vichy a remis les femmes à l’enseignement ménager et l’enseignement
professionnel n’a pas été reconstitué à l’identique après la seconde guerre mondiale : d’une
certaine façon les filles en ont profité puisqu’elles se sont dirigées vers l’enseignement
général.
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L’instauration de la mixité par la réforme Haby avec la création du « collège
unique » a creusé l’écart de réussite entre filles et garçons : au plan macroéconomique,
l’on constate que les milieux populaires orientent plus les fils d’ouvriers vers l’enseignement
professionnel que les filles. Or cet enseignement professionnel a été très plombé par la crise
des années 70, parce qu’il correspondait en partie à des filières via des branches industrielles
qui se sont effondrées avec la crise économique et qu’une partie des formations ont vu leurs
débouchés se réduire après 1973. D’où la rénovation de l’enseignement technologique qui a
suivi.
La réussite scolaire des filles est flagrante et bouscule les analyses en termes de domination
masculine. Si sur un siècle les résultats sont évidents et ont été bien démontrés par Christian
Baudelot et Roger Establet dans “ Allez les filles ” (Seuil 1992) et si le renversement
historique des inégalités sexuées est un constat acquis, il ne s’agit pas cependant d’une
évolution linéaire. On note dans certaines périodes des ralentissements voire une stagnation.
Actuellement la répartition sexuée des filières plus littéraires pour les filles qui sont aussi
aspirées vers les filières de secrétariat et de services, plus techniques et scientifiques pour les
garçons est une donnée massive. Le constat de la ségrégation sexuée des filières de formation
est évident. Mais les interprétations de ces données sont divergentes : « anticipations
raisonnables »de l’avenir en terme de vie privée liées au contexte professionnel, effet strict de
la domination masculine (Bourdieu) ou au contraire refus de la compétition et d’un
surinvestissement dans la carrière pour une autre aspiration existentielle globale. Catherine
Marry explique par exemple dans Les femmes ingénieurs les motifs nuancés de filles évitant
les classes préparatoires.
Des constats similaires peuvent être faits sur le cas des enfants de familles ayant
immigré. Si ces élèves encourent plus de risques d’échec scolaire, l’examen des parcours
montre, qu’à niveau social égal, les enfants de familles ayant immigré réussissent mieux. En
effet l’investissement des familles dans les aspirations éducatives et les demandes
d’orientation ambitieuses, en particulier pour les filles, sont plus nombreux.
La politique des ZEP, Zones d’éducation prioritaire, instituée en 1981 par Alain
Savary voulait corriger l’inégalité sociale par le renforcement sélectif de l’action éducative
dans les zones et les milieux sociaux où le taux d’échec scolaire était le plus élevé . C’est
l’introduction en France de ce qu’on appelle à tort la “ discrimination positive ”, premier
élément de la territorialisation de politiques éducatives, se voulant adaptation de l’institution
scolaire à la diversité de ses publics. Vingt ans après on ne peut que constater que l’écart entre
les résultats des ZEP et ceux des autres établissements a peu diminué.
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Si l’on prend un autre angle de vue, celui des établissements scolaires on peut noter ce que
Jean-Paul Payet a dénoncé “ l’ethnicisation ” des collèges de banlieue c’est-à-dire une
accentuation de la ségrégation sociale.
Cette hypothèse s’appuie sur la question de la déstabilisation sociale et économique à la suite
de la crise. Elle a contribué à répandre ce concept dangereux et erroné «d’ethnicisation de la
société », accélérant les processus de fuite de certains groupes sociaux plus favorisés.
La relative stabilité des filières d’élite
En quatre décennies s’est effectuée la massification de l’enseignement secondaire puis de
l’enseignement supérieur. Elle a ouvert l’accès aux études longues au plus grand nombre,
mais la possibilité d’effectuer des parcours d’excellence a peu évolué. Je citerai simplement le
cas des Grandes écoles qui se sont pérennisées. Et je citerai l’exemple de la réforme de l’IEP
de Paris qui devient la voie royale pour accéder aux carrières supérieures d’encadrement.
L’admission récente des meilleurs élèves de ZEP à l’IEP de Paris, si elle peut être utile aux
bénéficiaires, ne sert qu’à masquer l’ampleur du processus de ségrégation sociale et scolaire.
En matière d’inégalités de genre, il faut rappeler, si l’on excepte la création de l’ENA en
1945, mixte dès l’origine, que la plupart des grandes écoles ne s’ouvrent progressivement aux
filles qu’à partir des années 1970
Pour exemple, l’on citera l’école polytechnique ouverte aux filles par la loi du 19 juillet 1970
(comptant six filles en 1972, dont la majore)
La ségrégation territoriale est ancienne : de verticale au XIXe siècle (dans les immeubles
haussmanniens, les plus pauvres logent en haut et les bourgeois habitent au premier étage ;
ensuite, la situation s’inversera avec l’installation des ascenseurs) elle devient horizontale et
de plus en plus diffractée au XXe siècle. Dans la Région parisienne, les moins riches sont
rejetés de plus en plus loin dans « des banlieues » où se posent les problèmes de ségrégation
scolaire. Forme de ségrégation longitudinale.
Un exemple historique : les « Grands ensembles » dotés de cuisines et sanitaires types qui
étaient synonymes de modernité dans les années 1960 (car l’on quittait les « vieux » quartiers
urbains) prennent plus tard le sens inverse : ils deviennent synonymes de crise urbaine dans
les années 1980-1990.
L’on pourrait s’arrêter aussi sur la contraction de l’expression : on ne parle plus de « quartiers
difficiles » mais de « quartiers » et interroger le sens de cette euphémisation.
L’étude récente (2004) de Maurin traduit en fait une réalité plus nuancée.
57
Car les frontières de voisinage se sont durcies. Les quartiers dits « sensibles » ne sont que
la face apparente d’un mouvement profond de ségrégation urbaine : si la ségrégation sociale
est ancienne, elle bouge de façon spécifique depuis la crise et en particulier depuis vingt ans ;
il y a un tropisme vers « l’autre soi » ; on habite « avec les gens qui nous ressemblent ».
Selon Maurin, les dynamiques de cloisonnement sociétales montrent que « les revenus
supérieurs » (10% de la population qui ont plus de 35oo euros net par mois) bénéficient
d’attributs identitaires durables, permettant de se projeter dans l’avenir : formant des « ghettos
de riches » ou des « enclaves chics ». Le terme de « ghetto de riche » pouvant se discuter,
dans la mesure où il ne se réfère plus au même sens historique.
Les riches et les diplômés d’une part, les pauvres et immigrés d’autre part forment les
deux pôles extrêmes de la ségrégation territoriale
Les clivages sociaux ne se posent plus entre classes au sein d’une même entreprise : ils sont
surtout plus nombreux et plus diffus sur le territoire : résultat de cette recherche éperdue de
« l’entre soi »
D’autre part, la question de la mixité sociale et spatiale pose le problème du statut des
filles dans certains quartiers où leurs conduites et leurs déplacement sont « sous contrôle ».
Mais le phénomène est complexe et il faut se garder d’une trop grande systématisation et
généralisation de ces phénomènes.
L’on peut tenter de dresser un constat. Dans les ZEP créés en 1981, l’on comptait au
départ l % d’élèves issus des couches moyennes et supérieures de la société : ce n’est pas
nécessairement faible au moment du classement d’un établissement en ZEP. Mais ce
pourcentage tend à diminuer une fois le classement fait : conséquence soit d’une fuite des
couches moyennes soit d’un évitement de ce secteur ( selon l’étude de 2003 de Roland
Bénabou, Francis Kramarz et Corinne Prost, CREST citée par Maurin page 28)
Sont scolarisés en ZEP 8% des élèves en 1982 et 20% des élèves et des collégiens
aujourd’hui soit environ 1,5 millions d’enfants.
Il n’est pas possible de nier les inégalités de fait dans la qualité des scolarités
obligatoires selon les quartiers : le taux de retard des élèves à l’âge de 15 ans est quatre fois
plus élevé dans un voisinage où l’échec scolaire est la règle. Le rôle du voisinage dans la
construction des identités de genre et l’importance des groupes de pairs sont des éléments
centraux de la socialisation :
58
- le collège est le moment clé où se construisent au plan identitaire chez l’adolescent-e les
relégations les plus définitives et les humiliations les plus marquantes.
La formation professionnelle est plus valorisée par les parents pour les garçons et la
formation générale pour les filles, même si les aspirations scolaires pour les filles sont aussi
élevées que pour les garçons. Jugements et attentes des parents influent sur le comportement
des filles et des garçons. Pour les filles est mis en avant le caractère épanouissant d’une
profession tandis que pour les garçons, c’est la sécurité de l’emploi – lequel est vécu pour lui
comme nécessité – et les perspectives de carrière qui sont visées.
La ségrégation interne existe au sein des établissements : elle se manifeste par la création
de classes protégées pour éviter la fuite de certaines familles et de classes de relégation, en
particulier au sein des quartiers de relégation.
On aboutit ainsi à un décrochage scolaire de certains garçons, surtout de garçons et de filles
issus de milieux populaires (les garçons sont numériquement plus nombreux) descendants en
particulier de familles ayant immigré, mais perdure un refus de l’Institution de l’exprimer
clairement
Les politiques publiques sur l’égalité centrées uniquement sur l’école semblent n’avoir qu’une
portée limitée
Les adolescentes n’échappent pas aux conduites violentes et au rejet de l’école : l’on peut se
référer à l’étude – fondamentale en matière d’exclusion sociale et de genre – de Stéphanie
Rubi menée dans des collèges des quartiers nord de Marseille (2003).
D’autre part il faut évoquer la difficile construction des masculinités aujourd’hui
« construction relationnelle et identitaire qui fluctue avec le temps » en crise surtout dans les
milieux populaires mais pas seulement : le sociologue Hugues Lagrange le démontre dans des
quartiers ouest de Paris et en Bretagne (1999).
Je dois rappeler aussi que se pose effectivement la question du sexe des enseignant/e/s : à
savoir que l’irrespect, les relations inégalitaires ne touchent pas sociétalement que les jeunes
et les élèves mais aussi les adultes dans l’Institution ; il ne faut négliger ni les humiliations
scolaires viriles ni les atteintes à la dignité de professeurs femmes. Il y a une relative
singularité aussi voire une difficulté dans le contexte des « savoirs sexués » et des
représentations stéréotypées à vivre le métier de professeur de mathématiques en tant que
femme.
59
Les préconisations de Maurin (p 76) sont les suivantes :
- lutter contre la précarité de la santé et du logement dont souffrent enfants et adolescents
défavorisés pour améliorer leurs performances à l’école
- diminuer la taille des classes et passer de 22 à 18 élèves par classe maximum en ZEP
Une étude de Thomas Piketty démontre qu’on peut diminuer de 40% l’écart de performances
au CE2 entre les élèves de ZEP et les autres.
Il ne faut pas accepter le fatalisme du déterminisme social ni basculer dans le pessimisme
mais il importe de réfléchir à cet exemple paradoxal : la réforme du service militaire a conduit
à diminuer le pourcentage de garçons continuant leurs études après 18 ans parmi les fils des
classes populaires ; la baisse également des salaires d’embauche amène à poursuivre des
études, résultat d’arbitrages réalisés par les étudiants et leurs familles. Il faut dépasser le poids
des interactions de voisinage et du contexte immédiat sur les destins sociaux afin que la
ségrégation sociale et spatiale ne verrouille pas l’avenir et ouvre un horizon d’attente.
EXPÉRIENCE DE TERRAIN
Jean BRUNON : D’avance je vous prie de m’excuser pour l’aspect assez narratif de mon
exposé. Si je suis ici c’est pour vous relater une expérience réalisée dans le Collège Pablo
CASALS de CABESTANY qui compte environ 650 élèves ; il se trouve dans une banlieue
tout à fait « normale » de Perpignan : entendons ni riche, ni pauvre, un milieu moyennement
aisé, sans réels problèmes.
Notre expérience intitulée « Romano modo » était à l’origine une expérience strictement
disciplinaire. Je suis enseignant de Lettres classiques. Comme chaque année s’est posé le
problème de la motivation des élèves qui rentraient en classe de 5ème en tant que latinistes
débutants. Nous sommes chaque année confrontés à la même question : comment arriver à les
60
maintenir dans cet enseignement pendant 3 ans et réussir à les envoyer en section latin au
lycée. Il nous faut pour cela essayer de rompre avec l’image classique du latin qui est une
matière trop souvent ressentie comme intellectuelle, voire « poussiéreuse », « ennuyeuse ».
Notre objectif premier était donc disciplinaire.
L’angle d’attaque qui a été choisi consistait à consacrer une partie de notre emploi du temps, à
savoir la moitié du temps soit 1 heure sur les 2 heures hebdomadaires à des activités de
travaux manuels : des réalisations pratiques sur le thème de la civilisation gréco-romaine.
Nous avions besoin de personnes capables de réaliser un certain nombre de pièces techniques
et il se trouve qu’à CABESTANY existe une Segpa, une Section d’enseignement général et
professionnel adapté. Les collègues n’ont pas pu venir aujourd’hui. Nous étions partis sur
l’idée de fabriquer des pièces d’équipement de l’armée romaine et pour ce faire, nous avons
pris contact avec les professeurs de la Segpa / mécanique.
Mais rapidement les deux équipes d’enseignants qui n’étaient pas accoutumées à se fréquenter
ni à entretenir des relations pédagogiques étroites, ont entrevu la possibilité d’un Projet plus
ambitieux qui viserait à faire travailler en commun leurs élèves qui, a priori, n’avaient pas
envisagé d’être amenés à se fréquenter, sinon dans la cour… et encore.
Cette expérience pédagogique et éducative s’est déroulée sur 3 ans et s’est terminée
provisoirement à la fin de l’année scolaire 2003-04.
L’année 2001/2002 a été axée sur un Projet que nous avions baptisé « le Projet tortue » en
référence à la formation militaire de la tortue : les élèves latinistes concevaient des boucliers
et les élèves de la Segpa / construction mécanique s’occupaient de fabriquer tout ce qui était
métallique. Les réalisations ont été diverses : outre les boucliers, nous avons eu de
magnifiques lances, modèle pilar romain. Une sortie d’une journée commune à la classe de
5ème latiniste et à la classe de Segpa a eu lieu et en conclusion un défilé commun a bien illustré
le travail. C’était une première : cela ne s’était jamais vu dans le Collège. Entre temps, une
équipe de FR3 est venue filmer tous les élèves en train de travailler et si pour les latinistes,
cela a été bénéfique, les élèves de Segpa ont été littéralement transformés par l’approche qui a
été faite, la mise en valeur de leur travail dont ils considéraient que c’était un « travail de
laissé-pour-compte » dans lequel ils étaient enfermés faute de mieux. Leur regard a changé
sur leur propre travail au sein de la Segpa et sur eux-mêmes.
L’année 2002/2003 a été axée sur un autre projet. Les niveaux concernés se sont élargis : nous
avons travaillé avec les 5èmes plus les 4èmes latinistes et deux niveaux de Segpa correspondants
de 4ème et de 3ème. Les réalisations ont continué sur la même lancée, sur le thème de l’armée et
de la civilisation romaine. D’autres Ateliers ont été créés : débouchant sur la réalisation de
bijoux, de maquettes, de masques de théâtre avec l’objectif d’une pièce de théâtre en fin
d’année et nous avons participé à un repas romain, le repas romain étant cuisiné par les filles
de la Segpa.
( vives réactions dans la Salle)
Je vous l’accorde : c’est un des points négatifs de l’expérience. Mais il faut savoir que la
section mécanique ne comporte que des garçons et que la section bio-services n’est composée
que de filles ! Ce n’est pas une volonté de notre part : au contraire, nous travaillons contre la
ségrégation. C’est le sens du Projet.
La dernière année 2003/2004 a concerné les 4 mêmes classes quant aux niveaux et a vu naître
d’autres ateliers : des constructions de maquettes, une construction commune de mosaïques,
un repas romain fait par les filles de nouveau et un voyage romain en Provence qui a duré
plusieurs jours. Voilà pour l’historique du Projet.
Maintenant l’on peut tenter une réflexion critique. L’expérience a bien fonctionné, en vertu de
l’objectif que l’on s’était donné, sur le principe du travail commun et tous les projets ont été
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réalisés grosso modo et menés plus ou moins bien. Mais qu’est-ce qu’il en était, ce qui est
crucial, au plan de la mixité sociale et au plan du genre, entre filles et garçons ?
Premièrement sur le plan de la mixité sociale, il faut connaître notre point de départ :
populations de collège traditionnel et de Segpa sont deux populations totalement opposées et
parfois antagonistes. Vous pouvez me croire d’expérience ; ce sont des populations parfois
même conflictuelles : actuellement par exemple, nous traversons un conflit, banal, mais un de
plus ! Les élèves latinistes ont un parcours que l’on peut qualifier de « normal » dans la
mesure où globalement ils ne posent pas de gros problèmes ou forment une certaine élite
tandis que les élèves de Segpa sont des élèves en difficulté, quant à leur milieu et à leur
scolarité qui sont recrutés dans tout le département, à l’inverse des latinistes dont le
recrutement est plutôt local. La population de Segpa se sent rejetée et a tendance à s’enfermer.
Il faut dire que le regard des autres sur eux n’est pas toujours tendre : la manière de certain-e-s
de prononcer « Segpa » est révélatrice !
Pour nous, il s’agissait de mêler ces deux populations. Est-ce que c’était possible ? et par
quelles pratiques ? cela peut paraître étrange mais il nous aura fallu ces 3 ans pour
comprendre ce qu’il aurait fallu faire.
Les causes de ces difficultés résident dans le fait qu’il y a non seulement une ségrégation
entre les élèves de Segpa et les autres mais que cette séparation existe aussi entre les
enseignants de la Segpa et les enseignants du Collège. Ce sont deux cultures pédagogiques
différentes : on se côtoie, on n’échange pas. Ce n’est vraiment pas évident de réaliser un
travail en commun mais nous aurons essayé. Il a été difficile d’aménager des plages
communes. Cela vient du fait que les emplois du temps sont différents, que nous avions
chacun nos impératifs et nos contraintes ; il y a eu difficulté parce que l’administration n’a pu
aligner les emplois du temps des différents participants sur 3 ans. Nous n’avons pas pu
travailler ensemble sauf pour les voyages et c’est bien dommage.
…En réalité, nous commençons officieusement à le faire cette année car des amitiés se
sont nouées. Maintenant nous arrivons à faire des cours communs, à réaliser des projets plus
approfondis….
La grande difficulté a donc été de trouver des créneaux communs : cela signifie une
nécessaire réflexion en amont, une compréhension parfaite entre les deux administrations,
celle de la Segpa et celle du Collège et entre les deux équipes d’enseignants. Cela signifie
aussi une réflexion approfondie sur la conduite des activités communes car elles sont difficiles
à mettre en place : sur deux séances, une seule a fonctionné car en réponse à l’agressivité,
pendant l’une d’elles, il a fallu séparer les élèves ! Cela signifie côté enseignants beaucoup
d’efforts en amont pour comprendre en quoi les publics sont différents. Moi je me suis rendu
compte que je n’avais aucune expérience du public de Segpa et j’ai constaté que les
enseignants ne comprenaient pas nos objectifs.
Le négatif, c’est cette difficulté à aménager les plages communes. Il n’y a pas eu réellement
de fusion dans la bonne humeur et cela est resté une utopie : pour les latinistes c’était un
prolongement de leur activité mais pour les élèves de Segpa, c’était comme un cheveu dans la
soupe (les aspects particuliers de l’enseignement du latin étant très éloignés de leurs
préoccupations et priorités éducatives). Pour ce qui est de la mixité sociale, après l’analyse
des points négatifs, l’on peut s’interroger sur les points positifs : ce sont les réalisations
communes et la reconnaissance réciproque qui ont pu en résulter. Désormais pour les
latinistes, les autres élèves « existent » parce qu’ils ont contribué au Projet par leurs
compétences, pas seulement techniquement et que leur travail est apparu indispensable. Du
côté des élèves de Segpa, il y a une valorisation : ils se sont vus reconnaître comme élèves à
part entière : le reportage à la télévision et aussi un article dans le journal local ont été pour
62
eux extraordinaires. L’image générale pour les uns comme pour les autres s’est améliorée. Et
l’inclusion de la Segpa dans un des projets de l’établissement est positive.
Pour ce qui est de la mixité filles et garçons, toutes les expériences avaient été conçues de
façon à ce que le travail soit partagé entre les filles et les garçons – je parle des latinistes parce
que pour les Segpa, cela se pose en termes différents –, cependant la première année, heureuse
surprise, ce sont les filles qui se sont révélées plus motivées par le Projet « armée romaine »
que les garçons. La deuxième année nous avons éclaté les ateliers et constaté une tendance à
un regroupement sexué, filles d’un côté et garçons de l’autre, par pôles d’intérêt parce que ce
n’était pas le même public : ils ne s’agissait plus d’enfants de 5ème mais des élèves de 4ème et
de 3ème plus âgés. Enfin la troisième année nous avons fait des activités telle le théâtre qui
imposaient la mixité : la séparation par sexe s’est estompée. S’il faut tirer un enseignement, le
point négatif essentiel, c’est ce regroupement sexué spontané contre lequel on ne peut rien, ce
risque de regroupement de filles d’un côté et de garçons de l’autre d’où la nécessité de penser
les activités en amont de façon à ce que ce type de regroupements sexués soit impossible.
Geneviève DUCHÉ : Même si les rapports sociaux de sexe sont fondateurs, constituent la
matrice des rapports de domination et de violence, je pense que dans ce Colloque où le thème
a été choisi en collaboration avec plusieurs partenaires et en particulier, à partir de riches
expériences pédagogiques, il faut comprendre notre objectif. Nous ne faisons que respecter
l’expérience quotidienne, le vécu des enseignants, à savoir la difficulté à gérer, à
organiser, à dépasser l’ensemble des rapports de domination qui peuvent être des rapports
entre les communautés culturelles différentes, des rapports de mixité de genre mal vécue, de
mixités sociales problématiques. Notre volonté est d’enrichir le débat en permettant le
63
croisement de ces différentes mixités, l’analyse croisée de ces différents types de rapports
sociaux. Ce serait un autre Colloque en soi que de se concentrer uniquement sur les rapports
sociaux de sexe, la question du genre à l’école et la mixité filles et garçons.
Michelle ZANCARINI-FOURNEL : On n’a pas employé le mot « ethnie » et j’en suis fort
aise : je pense que s’il y a un terme à bannir de notre vocabulaire et de nos explications liées
aux classifications et aux catégories, c’est bien le terme « ethnie ». Il a été question ce matin
d’histoire de la décolonisation : il importe de réfléchir sur ce terme hiérarchisant « d’ethnie ».
Certes les rapports sociaux de sexe sont fondamentaux mais si on ne cherche pas à voir la
complexité de leurs interactions avec d’autres catégories et d’autres situations, d’autres
contextes, on ne comprendra rien. Quant au « politiquement correct », on aurait pu
effectivement ne parler que de la mixité de genre, que des filles et des garçons, mais l’on
travaille aujourd’hui à partir d’autres expériences vécues et d’autres réflexions théoriques :
pour ma part, je ne suis pas spécialiste des identités mais de l’histoire des femmes et du
genre et je suis à ma place pour discuter de la mixité sociale.
Intervenant : Oui. Ces exemples qui ont été donnés sont appelés « Projets innovants » or les
projets innovants sont loin d’être la norme, ils ne reposent que sur la bonne volonté de
certains. Je voudrais porter une réflexion plus institutionnelle. Comment faire pour
développer, institutionnaliser ces projets ? or, au vu de ce qui a été présenté – pour être
volontairement un peu sarcastique – « voyage au Maroc et soi-disant collaboration entre
élèves de Segpa et latinistes » : c’est bien, mais après ?
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Jean BRUNON : Cette année, hors du cadre « Romano Modo », nous mettons quelque chose
au point en commun. L’expérience se poursuit officieusement et peut-être plus profondément
pour chacun des enseignants.
Intervenante : Est-ce que le fait de redémarrer une expérience de façon officieuse, non
institutionnelle, vous donne plus de liberté pour penser les actions et mobilise davantage les
jeunes qu’avec leur étiquette scolaire ?
Jean BRUNON : Pour les jeunes, cela ne change rien. Ils connaissent leurs enseignants : ce
sont les mêmes. Pour nous, les enseignants, nous nous sentons plus libres effectivement mais
le problème majeur, c’est l’argent ! Cela aura été notre boulet pendant 3 ans.
Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité : Il y a d’un
côté la volonté institutionnelle, marquée par la Convention interministérielle de février 2000
qui met l’Institution dans la volonté d’agir au service des Actions innovantes allant dans le
sens de l’Egalité entre les hommes et les femmes.
Je tiens à souligner qu’on en compte davantage que celles qui sont visibles aujourd’hui.
L’action théâtrale « Futur composé » pour ne citer qu’elle dure depuis plusieurs années et a
conquis de nouveaux établissements ; elle concerne une quinzaine de Collèges, soit plusieurs
centaines d’élèves. Cela reste numériquement peu mais c’est un bon départ. On voit des
résultats effectifs.
D’autre part, nous avons l’intention cette année 2005 de réaliser en partenariat avec le
Rectorat un Vade-mecum à l’usage des établissements comportant des fiches techniques sur
ces Actions pour les transférer et les proposer à l’ensemble des collèges.
Dès lors cela dépendra des bonnes volontés et des moyens financiers qui seront dégagés.
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Intervenante : (à l’adresse de jean BRUNON) Selon votre expérience, vous nous prouvez
que la mixité des actions marche : on arrive à créer quelque chose en commun mais par
contre, au niveau de la mixité de la relation entre les personnes, cela n’a pas marché…
Intervenante : Pour l’instant. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour y arriver ?
Jean BRUNON : Cela aurait pu consister pour nous à concevoir dès le départ des plages avec
des activités communes : en EPS, en Arts ou en travaux manuels : Technologie…Dans ces
domaines, le Projet est réaliste.
Cela pourrait aller jusqu’à établir une « non ségrégation » d’emblée entre le Collège et la
Segpa, à concevoir et à mener un Projet d’établissement allant dans ce sens-là. Cela pourrait
permettre de rendre cette mixité plus efficace, plus réelle : il y a potentiellement tant de
choses à faire. Mais cela signifie que l’administration doit s’impliquer plus profondément : on
constate une certaine frilosité de l’administration qui peut s’expliquer par rapport aux frictions
que cela pourrait susciter du côté des Parents d’élèves pour lesquels la ségrégation peut être
quelque chose de positif « nos enfants ne fréquentent pas les autres et c’est très bien comme
cela ! » C’est un des aspects sérieux du problème social.
D’autre part, du côté des acteurs, le Projet était tellement prenant sur le terrain que l’on a
peut-être pas pu se poser et réfléchir à ce que l’on aurait pu faire autrement au plan social
comme du genre. On y réfléchit maintenant a posteriori.
Geneviève DUCHÉ : Nous sommes nombreux à affronter des difficultés sur le terrain mais
nous sommes nombreux aussi à vouloir continuer à expérimenter. Je vais tout de suite donner
la parole à Madame Françoise VOUILLOT sur le thème « le féminin/masculin au travail ».
COMMUNICATION
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troisième temps je souhaite faire des propositions, à l’usage de ceux ou celles qui souhaitent
des évolutions, sous réserve donc que cette volonté de changement existe.
Car force est de constater que beaucoup de personnes autour de nous ne voient pas où est le
problème ; la pensée commune est que « les filles et les garçons ne vont pas dans les mêmes
filières, parce qu’ils ne s’intéressent pas aux mêmes choses, n’ont pas les mêmes goûts » et
cela leur semble « naturel ». Certains vont même jusqu’à penser qu’ils n’ont pas les mêmes
aptitudes. Sans vouloir prendre le risque de hiérarchiser l’intelligence ou les formes
d’intelligences : on dira communément qu’ils ne sont pas faits pour les mêmes choses.
Une précision : je n’aime pas tellement le terme de « mixité », non pas quant à l’objectif que
l’on poursuit avec ce terme, mais c’est le terme lui-même qui me pose problème depuis que
j’ai lu dans le dictionnaire cette définition : mélange d’éléments de nature différente. Il serait
préférable d’utiliser un autre terme. Michelle ZANCARINI-FOURNEL a évoqué la co-
éducation par exemple. La co-éducation me semble être un meilleur objectif que la mixité qui
peut se contenter de signifier dans le système scolaire la seule juxtaposition des filles et des
garçons, éventuellement issus de milieux sociaux différents, mais sans que l’on se préoccupe
de la manière dont cela fonctionne.
Quant au titre de mon intervention « Le féminin / masculin au travail », il est à entendre de
deux manières différentes, même si elles sont en lien. La première approche « descendante »
est que le travail implique l’orientation dans le système scolaire.
S’il y a une forte division sexuée de l’orientation c’est parce qu’il y a une forte division
sexuée du travail et non pas l’inverse. L’orientation est une conduite d’anticipation. Et une
projection à terme de la production. Le travail et l’orientation sont donc des révélateurs
efficaces de la question du genre : de la construction du « système » du masculin et du
féminin.
On peut entendre aussi « Le féminin/masculin au travail »en observant comment le système
met en œuvre, comment le système « travaille », fabrique les conduites d’orientation des
enfants, adolescent-e-s et des adultes tout au long de leur vie, si tant est qu’ils aient de
nouveau des phases de (ré)orientation, de (ré)insertion à gérer. On se situe alors dans une
perspective « ascendante ». Il est clair que les deux approches vont de pair : la division sexuée
de l’orientation prend ses racines dans la division sexuée du travail et au-delà dans les
rapports sociaux de sexe.
67
Je voudrais m’arrêter sur la construction de cette division sexuée. Dans la pensée commune,
« c’est parce qu’ils sont mâles et femelles au départ » que les jeunes évoluent de telle ou telle
manière. Or la recherche nous apprend que l’on devient une fille-femme ou que l’on devient
un garçon-homme à partir des modalités de la socialisation familiale, scolaire selon des
prescriptions socioculturelles. Souvent ces différences de sexe dont nous parlons beaucoup
maintenant sont vus comme l’expression d’une différence de nature entre le mâle et la
femelle : de là découle la pensée que les filles et les garçons n’ont pas les mêmes intérêts et
peut-être pas les mêmes compétences ; ce n’est malheureusement pas une idée complètement
obsolète. Je l’entends beaucoup autour de moi et dans le champ de l’orientation : il y a des
professionnels de l’orientation qui me disent « mais enfin, écoutez, si c’est ce « qu’ils »
veulent ou si c’est ce « qu’elles » veulent ». Elles veulent faire un BEP sanitaire et social ;
elles veulent faire des Lettres ; quant aux garçons, ils sont censés vouloir faire des
mathématiques, de la technique. « Alors pourquoi changer cet ordre des choses ? »
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Et ce besoin de reconnaissance mutuel est un sacré moteur de nos conduites ! Au moment où
le nourrisson apparaît à la vie et même avant à savoir pendant la gestation, on nous attend en
tant que fille(s) ou garçon(s) et nous allons être socialisé-e-s à partir de cette attente, en
fonction de cette projection parentale.
En grandissant, chacun et chacune va prendre parfois, un peu, beaucoup, de liberté, de
distance par rapport à ces normes de sexes mais pas trop …parce que le risque est trop grand.
Si je me distancie trop de ces normes de sexe, de cette culture de sexe qui m’est assignée : le
risque pour la personne que je suis est d’être désintégré du groupe, marginalisé et il faut avoir
les épaules larges pour assumer cela.
Faire un projet d’orientation, c’est faire une projection de soi ; c’est l’image de soi possible
que l’on projette, que l’on voudrait réaliser : il s’agit d’une forme vraiment identitaire. Les
choix d’orientation sont donc extrêmement impliquants pour la personne. Mais cette forme
identitaire que l’on veut réaliser est sexuée : c’est bien une image en tant que fille / future
femme ou garçon / futur homme que je suis en train de mettre devant moi. Or être reconnue
comme fille « normale » ou garçon « normal » est extrêmement important et notamment
pendant l’adolescence. Notre système veut que l’on demande à l’adolescence aux filles et
garçons « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras plus grand ou plus grande ? » Pour les
moins favorisés, c’est paradoxalement le plus tôt, autour de l’âge de 15 ans qu’on leur
demande « Veux–tu être plombier, maçon ou être électrotechnicien ? » ou s’il s’agit d’une
fille « Veux-tu être auxiliaire de puériculture ou coiffeuse ? » La question de l’orientation est
posée à cet âge-là où se construit la puberté, où il y a à s’approprier pour les filles et les
garçons cette mutation physique et physiologique importante qui en fait un mâle mature ou
une femme mature. Ce n’est pas une affaire simple même si la difficulté n’est pas exprimée
explicitement par l’adolescent-e. Les choix d’orientation ont trop souvent lieu au moment où
il y a nécessité de s’affirmer, de pouvoir se confirmer à soi-même son identité de sexe.
D’autre part, la reconnaissance doit être double : il va falloir que je me fasse reconnaître ainsi
des membres de l’autre groupe de sexe mais aussi de mon groupe de sexe : il va falloir que je
fasse preuve de ma « masculinité » ou de ma « féminité » pour rester une personne qui
continuera à avoir des relations harmonieuses. Dans une société où les normes
d’hétérosexualité sont assez prégnantes, il y a nécessité de montrer que je peux être objet-sujet
de désirs de membres du sexe opposé.
En même temps, l’on me demande de faire des choix d’orientation or la projection identitaire
que le sujet doit réussir est celle d’une identité sexuée qui ne se fait pas dans un univers libre :
il est occupé par des filières de formation, des métiers sur lesquels je peux me projeter dont la
plupart sont sexués au plan des représentations et aussi au plan numérique ; il n’est donc pas
étonnant que les filles veuillent aller là où il y a des filles et les garçons là où il y a des
garçons ! « Si je suis une fille et que je vais là où il y a des garçons, je vais sacrément me
démarquer et si je suis un garçon qui veut faire « un truc de fille », je me démarque beaucoup
aussi ». Cela a une signification profonde : Est-ce qu’à mes propres yeux, je reste une fille ou
un garçon « normal-e » ?
Et surtout : Qu’est-ce que je vais perdre de ma légitimation aux yeux des autres, en terme
d’interactions harmonieuses avec les autres, pour citer ERIKSON, de la reconnaissance que
peuvent m’apporter les autres, de leur estime, de leur amour dont j’ai tellement besoin pour
être en harmonie avec moi-même, selon la formule d’Axel HONNETH ?
La transgression des rôles de sexe traditionnels via les choix d’orientation risque d’être assez
coûteuse ; dans cette projection, il y a un enjeu identitaire très fort de l’identité sexuée. Le
masculin/féminin est un système conservateur qu’il faut entendre sous deux sens : il est
conservateur voire apparemment protecteur pour la personne c'est-à-dire qu’il préserve une
qualité psychique à la personne et conservateur dans la mesure où il est peu propice au
changement social. Il maintient les choses en l’état. Et parce que nous adhérons fortement à
69
ces rôles de sexe, féminin et masculin, nous pérennisons cet état. Cette prescription de
construction identitaire est peu propice à la rébellion, à la transgression, à la subversion de
l’ordre établi.
On ne peut pas en vouloir aux adolescents et aux adolescentes d’être si peu transgressifs
quand on voit le coût identitaire et social que cela représente pour eux : il y a une espèce
d’économie dans cette mise en jeu du choix d’orientation par l’adolescent. Si je mise, il va
falloir que cela me profite.
EXPÉRIENCE DE TERRAIN
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Violette BLANC, Professeur de français : Le projet s’intitulait « Comme des garçons » ; je
ne vous cache pas qu’il y avait avec un petit côté provocateur qu’on avait voulu avec eux !
Pour l’intitulé d’aujourd’hui, on a préféré « Cherche mixité professionnellement » pour faire
un autre petit clin d’œil, en référence au film « Cherche Suzanne désespérément ». Une
expression bien connue qui évoque « l’énergie du désespoir » : je vous assure que toute
l’équipe a dû puiser beaucoup d’énergie pour mener ce Projet à bien.
Nous avons donc construit ce Projet à l’intention d’une classe de 3ème d’insertion. Des élèves
majoritairement en difficulté, âgés de 13 à 15 ans pour lesquels il était urgent de penser à
l’orientation professionnelle : la plupart se dirigent vers des CAP et quelques-uns, les
meilleurs, vers des BEP. Il fallait les aider à ouvrir leur champ, très fermé : on savait qu’on
irait pas très loin intellectuellement et toute l’équipe avait la volonté éducative de leur
demander un respect mutuel : à savoir entre filles et garçons, entre les plus âgés et les plus
jeunes, entre les plus forts physiquement et les plus faibles. Nous avons l’habitude d’employer
des métaphores guerrières entre enseignants : nous savions que nous allions constituer un
commando et que nous partions pour un parcours du combattant, accepté par nous et imposé
aux élèves. Donc travailler la mixité sur le terrain, imposer le respect de l’autre : tel était notre
Projet.
En amont, à l’origine du Projet, dès le mois de septembre pour cette classe d’insertion et sans
que cela coûte énormément, nous avons fait une sortie de deux jours pour consolider la
cohérence du groupe. Cette classe comptait 15 jeunes au départ : 10 garçons et 5 filles ;
heureusement d’une certaine façon, un garçon particulièrement difficile a fait beaucoup de
bêtises explicitement et a été exclu ; deux autres garçons ont été sanctionnés pour absentéisme
par une mesure d’exclusion. Donc nous avons travaillé avec 7 garçons et 5 filles, ce qui
réduisait le déséquilibre. Nous avons fait une sortie à St Guilhem-le-désert en dormant une
nuit en gîte : il fallait faire la cuisine et nous, nous avons refusé que les filles s’en chargent
seules. Les chambres étaient évidemment séparées et il fallait partager équitablement les
tâches ménagères : un collègue, un professeur homme a exigé que tous les garçons mettent la
main au balai, à la serpillière et à la vaisselle. Cela a suffi pour entraîner des refus : nous
avions déjà deux réfractaires, Jérémy et Yannick. Premier combat. Avec le temps, cela s’est à
peine amélioré…
Le projet pédagogique démarrait en Français par l’écriture d’une brève pièce de théâtre : je
voulais une écriture collective à partir d’une trame que j’avais construite, parce que je voulais
introduire certains métiers masculins et féminins précis. L’objectif était de bousculer les
représentations qui sont très fortes chez ces élèves-là. Ils ont une identité de sexe assez figée,
pré-construite sur l’identité de leurs parents : sur la position de leur père et de leur mère au
sein de la famille. Notre but était de lutter contre cette image précoce de la femme et de
l’homme et de faire des contre-propositions.
J’ai écrit une trame très simple : un journaliste va faire une enquête relative à un accident de
scooter et il est amené à interviewer différentes personnes et différents corps de métiers. Nous
avons débattu sur les différents métiers possibles et finalement abouti à ce schéma : on a « le
patron de presse », un homme ; un journaliste homme et une journaliste femme ; un « homme
en congé parental » – j’insiste sur la formule car j’ai dû la leur imposer – et une « femme au
foyer ». Le journaliste va interviewer « la fille au scooter » ; il la rencontre mais « le frère de
la fille au scooter » arrive ; le journaliste va interroger le chauffeur de bus témoin de
l’accident ; le « cafetier » discute avec « le client chômeur » et cela se termine par la scène
entre « l’agent de police » qui est une femme et « le chauffard ». Une intrigue très simple
mais 7 scènes à écrire, par groupe de 3 , soit 2 garçons et une fille dans chaque groupe. Ils se
sont lancés dans cette écriture, modeste au début mais c’était déjà un travail de mixité et au
moment de l’écriture, les garçons soufflaient les répliques que « la femme » pouvait avoir et
inversement.
71
Je vous propose la lecture d’un bref extrait qui me semble signifiant.
Le patron de presse envoie son journaliste Christian et la journaliste Mireille lui porte la
réplique :
- P : « Vous, vous allez enquêter sur l’accident qui a eu lieu au rond point.
- M : Et moi, qu’est-ce que je fais ?
- P : Si ça ne vous dérange pas, allez classer les dossiers des enquêtes précédentes !
- M : Si, ça me dérange
- P : Pourquoi ça vous dérange ?
- M : Ben moi aussi j’aimerais aller sur l’affaire, pourquoi c’est lui ?
- P : J’ai peur que vous soyez trop sensible.
- M : N’importe quoi, vous allez peut-être me dire femme au volant mort au tournant !
- P : Tout à fait, et maintenant tu retournes à ton rangement ! »
Ce sont les élèves qui ont écrit cela ! D’une certaine façon, le pari était gagné. Chaque séance
d’écriture a été une phase de création, une innovation pour eux puisqu’on leur demandait de
se mettre dans la peau des personnages. Ils ont évolué au plan des identités sexuées : ils ont
joué avec les rôles de sexe. Ils sont allés chercher « ce qu’il … »ou « ce qu’elle » aurait pu
dire dans telle ou telle situation. Et le Projet d’écriture se doublait de l’aspect théâtral : la
façon de lire, de dire exprimait leurs sentiments, avec le corps, avec la voix, de manière
réactive, vivante.
Je leur ai fait profiter aussi d’une opportunité. Il se trouve que par hasard, je suis tombée sur
une émission en cours où il était question d’hommes qui exerçaient des métiers dits
« féminins ». J’enregistre et le lendemain j’arrive avec la cassette : il était question d’une
femme qui parlait de son métier « docker dans un port de pêche » et qui soulevait des caisses
fort lourdes de poissons à la grande admiration des hommes dockers et d’un « homme
assistant paternel » ; je précise qu’il sortait d’une période de chômage. Les garçons qui
n’avaient pas regardé cette émission ont sourcillé. Ils ont plissé le nez. Ils ont réagi avec des
mots forts :
-« il est pédé ! »
-« il est homo ! ».
J’ai pu construire en classe à partir de leurs réactions. Et autre aspect positif : cette vidéo a
alimenté ensuite la scénette avec « l’homme en congé parental ». Des répliques sont
réapparues lors de l’écriture.
Nous avons partagé ensemble une surprise, un autre plaisir en janvier, car notre vécu
comporte aussi des réussites et des joies : un jour, sans en avoir jamais parlé, arrive Julie qui
avait tapé sur son ordinateur les 7 scènettes, à partir de tous les textes manuscrits. Cela a été
une émotion.
Le Projet reposait sur un travail d’équipe transdisciplinaire : la technologie donc, les Arts,
l’EPS… Mais dans cette discipline, il y a eu un obstacle notoire : Jérémy, toujours réfractaire,
a refusé de jouer au tennis de table avec l’élève qu’on lui désignait parce que cet élève était
une fille et notre professeur d’EPS, un homme grand, musclé, n’a pas réussi à le lui imposer.
Le Professeur Principal aussi a tenu un rôle prépondérant, soutenu par une personne
contractuelle dont on disposait au collège : cette personne qui s’est beaucoup investie
participait à l’éducation aux métiers et à l’orientation. J’ouvre une parenthèse parce qu’il faut
le dire : ce genre de contrat n’est plus renouvelé et quand ce genre de personne utile voit sa
fonction disparaître, c’est très préjudiciable pour les enfants. Parenthèse fermée.
On terminera par l’histoire émouvante de Cécile, une fille passionnée de mécanique qui a tenu
à faire un stage dans ce domaine et qui nous a raconté l’attitude changeante des garçons. Mais
au mois de juin, elle a changé d’avis et de Projet d’orientation. Elle a dit « je ne veux pas,
parce que cette école est trop loin, je serais obligée d’aller en internat : mon père qui est
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divorcé, élève seul ma sœur et si je pars, j’ai peur que mon père ne le supporte pas ». Voilà
un exemple de liens familiaux très forts qui font barrière ; bien que cette jeune fille soit
passionnée par ce métier jugé « masculin » et capable, elle va se mettre elle-même une
barrière « il faut que je reste à la maison pour m’occuper de mon père ».
Parcours du combattant, parcours individualisés…L’autre réfractaire, c’est Yannick,
passionné d’armes. Il a été un obstacle toute l’année, faisait résistance à toutes les réflexions
sur l’Egalité des chances, s’opposant à l’acceptation des femmes. Un jour, il a dit
- « Y’en a marre, moi je ne veux pas réfléchir à ça, moi, tant que j’ai de quoi manger et que
mon sexe va bien, tout va bien pour moi ». J’ajoute qu’il a cru bon de montrer où se trouve
son sexe. Heureusement, à ce moment-là, comme il était allé trop loin, il y a eu une cohésion
masculine forte qui s’est désolidarisée de lui. Les autres garçons ont répliqué :
- « tu exagères un peu, il n’y a pas que ça dans la vie ». Sinon je me serais sentie seule, un
instant, dans ce combat difficile pour le respect mutuel. Je termine sur cette note réaliste.
Voilà, je passe le micro à Marie-Chantal.
73
l’inverse les forcer à aller vers un métier qui ne serait pas dans leur « feeling » ou leur
ressenti. Il fallait respecter leurs goûts, leur désir et ce choix devait être évalué : tout le monde
est donc passé à la fois derrière la caméra et ensuite devant : nous avons eu alternance de
garçons et de filles, en comédien et comédienne. Je repasse la parole un instant à Violette
pour préciser cet aspect autour du théâtre.
Violette BLANC : Oui. Ce serait dommage de passer à côté de cet apport particulier du
théâtre. Le Projet était donc de jouer lors du fabuleux concours académique « Futur
composé » : merveilleuse stimulation ; il fallait accepter de monter sur scène ; pour une
population de 3ème d’Insertion, c’était un formidable pari ! Et la représentation théâtrale se
terminait par le clip musical que Marie-Chantal nous fera écouter après son exposé.
La question est de savoir en quoi ce travail théâtral a pu aider les élèves à déconstruire
leurs représentations du masculin-féminin et des métiers qui sont traditionnellement
« connotés ».Le fait qu’une comédienne de métier vienne dans leur classe leur demander de
jouer les rôles qu’ils avaient composés eux-mêmes était très valorisant. Des exercices étaient
en fait dé-sexués ou asexués : il était question par exemple, de marcher, non en tant que fille
ou garçon mais rapidement ou lentement, en fonction du rythme. Le travail consistait à
bousculer et à déconstruire les représentations.
Le théâtre a été un enrichissement fabuleux pour lutter contre les représentations car il permet
d’inverser les rôles de sexe : à tel point que Jérémy, le « réfractaire » dont nous avons déjà
parlé a joué… le rôle du « père en congé parental » ! Voilà une anecdote qui peut vous
permettre de sentir le vécu et la portée éducative. Jérémy nous a demandé de changer une
réplique. Il n’arrivait pas à dire :
- « pour garder mon bébé »
Il a donc proposé :
- « pour garder mon gamin »
Evidemment nous avons accepté avec énergie : il était à ce moment-là dans la peau du père à
la maison ! Ce sont de petites victoires mais on veut croire que cela peut durer. C’est ainsi
peut-être que l’on a pu faire évoluer leurs représentations.
Un autre levier significatif. Les comédiens se sont tirés les cheveux pour avancer pendant les
répétitions car il y avait un certain absentéisme ; tout le monde n’était pas toujours là. Alors
certains jours, des filles ont joué des rôles de garçon pour donner la réplique et inversement.
Dans ces moments-là aussi, cela pouvait être formateur.
Pour finir, il y a eu le spectacle et la compétition. Ce fabuleux concours a donné lieu à des
émotions ; on en a encore des frissons. Filles et garçons étaient réunis dans le même trac et la
même envie de gagner. Dans les coulisses, j’ai entendu « le mot de Cambronne » circuler
entre eux tous…Cela a été aussi gratifiant que le spectacle lui-même !
Marie-Chantal QUELLIER : Pour dresser un bilan du Projet innovant, nous avons tenté de
lister les objectifs qui ont assez bien fonctionné :
- la transdisciplinarité en soi
- un certain nombre d’objectifs pédagogiques plus particulièrement : le fait d’être allés
jusqu’au bout de leur écriture collective ; le fait d’avoir approché des techniques
différentes, le graphisme, la vidéo, le décor : on ne peut pas faire cela avec une heure
hebdomadaire, dans le cadre « normal » ! ; nous avons eu aussi la chance de pouvoir
travailler avec une comédienne extérieure
- une vraie dynamique de groupe entre les élèves et les adultes
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- l’objectif artistique en liaison avec la socialisation, le jeu théâtral accompagnant la
voix et la parole : lors des répétitions (et de la représentation) pour « Futur composé »,
non seulement les élèves faisaient de la représentation mais ils étaient en
représentation, un peu comme MAGRITTE avec sa pipe.
Je vais conclure sur l’objectif citoyen : avoir connu la possibilité de mener à bien et de
finaliser un Projet avec cette classe d’Insertion quel qu’il soit, le fait pour les élèves d’avoir su
écrire, le fait d’avoir su se positionner, le fait d’avoir su « exister autrement », c’était déjà
pour l’équipe pédagogique des objectifs atteints. Les arts qu’ils soient littéraire, théâtral,
gestuel ou plastiques furent le lien commun mis au service d’une création stimulante et
transversale. Le spectacle lui-même a été la cerise sur le gâteau !
Il est temps maintenant de visualiser et d’écouter le clip que les élèves ont réalisé.
Clip
Olivier BRUNEL : Merci pour ce moment que nous aurions aimé prolonger…
Comme nous l’avions prévu Madame MOSCONI va essayer de lier les apports de notre
Journée en gerbe, et puis l’on s’accordera à l’issue de sa Synthèse, un petit temps de
questions ; enfin, Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des Femmes et à
l’Egalité conclura cette Journée sur « Les mixités ». Je laisse la parole à Madame MOSCONI.
75
SYNTHÈSE
Nicole MOSCONI : Vous imaginez bien, compte tenu de la richesse qu’a représenté cette
Journée que prétendre à une synthèse est délicat ; c’est un peu une gageure mais je vais
essayer de mettre en relief certains points.
I . La première chose que je voudrais dire est qu’à mesure que j’écoutais les débats,
s’est imposée à moi l’idée d’une très grande cohérence dans cette Journée autour de la
notion de mixité même si l’on peut effectivement discuter le mot . Il est vrai que des points
communs existent entre les différentes mixités, sexuées, culturelles, sociales,
professionnelles : ils se focalisent autour de la question des rapports de domination, des
rapports de pouvoir entre des groupes sociaux différents et concernent les effets qu’ont ces
rapports de pouvoir sur les individus, sur la manière dont ils construisent leur identité, sur la
manière dont ils produisent leurs représentations, sur la manière dont ils se conduisent aussi.
Il importe de clarifier la question majeure de l’égalité et de la différence entre filles et
garçons, hommes et femmes et d’analyser les rapports entre les différentes formes d’égalité et
de différence. Je voudrais clarifier de nouveau les oppositions entre les deux termes :
« égalité », cela s’oppose à « inégalité » et cela, dans tous les domaines, dans le domaine
culturel aussi bien que dans le domaine sexué tandis que « identique » qui se réfère à
l’identité, cela s’oppose à « différence » et l’on peut être à la fois différent et égal.
C’est d’ailleurs là que réside l’objectif premier de l’école publique. C’est ce que notre
système scolaire essaie de réaliser et les analyses croisées entre ces différentes formes
d’inégalités m’ont paru extrêmement riches.
Je voudrais rajouter la nécessité de regarder les choses dans l’Histoire parce que l’on
comprend des choses dans la perspective historique que l’on ne comprend pas si l’on reste
seulement dans le présent : pour les jeunes aussi l’Histoire est souvent éclairante, en
particulier pour expliquer l’importance du contexte socioéconomique – comme l’a rappelé
Michelle ZANCARINI-FOURNEL –, pour expliquer les questions d’inégalités sexuées dans
le travail, les questions de territoires et de polarisation qui se manifestent de plus en plus dans
les quartiers et expliquent aussi la division du travail. Par exemple, les jeunes n’ont pas
conscience de la profondeur historique et du caractère récent d’un certain nombre de progrès
pour les femmes.
L’on peut s’arrêter aussi sur la question du relativisme culturel posée par Leila
ACHERAR. A force de vouloir respecter la culture de l’autre dont on se fait une image assez
stéréotypée et très souvent imaginaire, on en arrive à renoncer à voir ce qu’il y a dans ces
cultures en matière d’inégalités et d’injustices, contre lesquelles nous sommes tenus, en tant
que nous faisons partie d’une Démocratie qui cherche l’égalité et la justice, de réagir. Il faut
oser la critique et c’est ce que fait admirablement l’Association « Ni Putes, ni Soumises » que
préside Fadela AMARA. Et je dirais que cette question générale du relativisme culturel peut
de la même façon se mettre en analogie avec ce qu’on pourrait penser du relativisme culturel
relativement aux rapports entre les sexes : Françoise VOUILLOT nous a parlé de « culture(s)
masculine(s) » et de « culture(s) féminine(s) ». Dans le domaine sexué, c’est-à-dire en matière
de genre, on est très souvent dans des positions de relativisme culturel et on oublie que ces
« cultures » construisent, produisent et réinstituent sans cesse des rapports d’inégalités :
il est clair que par rapport à cela, nous avons des devoirs et des obligations dans le
système scolaire. Il faut revisiter ce que l’on prétend figé : telle « culture masculine » ou telle
« culture féminine ».
La complaisance que nous avons à plaindre ces « pauvres filles » de quartiers en racontant
leurs situations dramatiques me paraît d’une certaine manière juste mais je pense aussi que
c’est un « cache sexe » ; je veux dire que c’est une façon pour nous de nier la question
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quotidienne, locale, immédiate du genre autrement dit d’oublier que des situations
d’inégalités entre les hommes et les femmes, il y en a dans toute la société française. Il est
bon de regarder au loin mais sans oublier de regarder au plus près !
77
On a travaillé ainsi sur « la mixité » qui ne consiste pas à asseoir des filles et des garçons sur
les mêmes bancs et on a préféré le terme de « coéducation » qui incarne l’objectif égalitaire de
la mixité.
On a travaillé aussi sur les quartiers et parlé de « ghettos » : je dois dire que la
« ghettoïsation » ne relève plus seulement de l’euphémisation mais que l’on est confronté là à
des modes de stigmatisation actuels d’un certain type de populations. Ce n’est pas forcément
parce qu’elles sont « maghrébines » que ce terme est utilisé à leur encontre mais
effectivement parce qu’elles sont pauvres. C’est vrai aussi qu’il peut être utile de s’arrêter sur
le terme « ghetto de riche » : il est très important de réfléchir aux mots que l’on utilise ; cela
peut déboucher sur une réflexion authentique et permettre un renversement de la pensée.
Revenons à ce que disait Leila ACHERAR à propos des « grands frères » : elle nous a
montré tous les effets pervers que l’invention des grands frères pouvait avoir. Cela peut nous
inviter à réfléchir plus avant sur la devise de notre République ; on n’a pas réussi à passer à la
devise « Liberté, égalité, solidarité » comme certains l’avaient réclamé dans les années 70 –
parce qu’on ne va pas mettre le terme opposé de sororité – : on est toujours affublé de la
devise « Liberté, égalité, fraternité ». En fait cela traduit qu’il y a des imaginaires sociaux qui
sont sous-jacents aux pratiques très concrètes que nous vivons. On dit à tort que ce sont les
mentalités qui retardent : c’est inexact ; souvent les mentalités reflètent la réalité, les
conduites, les comportements et dans ce cas précis, en l’occurrence si l’on a inventé le mot
« grand frère », cela n’est nullement anodin mais révèle à l’évidence que l’on est encore dans
un système politique où le masculin est dominant.
III . Je tiens à souligner la positivité des quatre expériences de terrain que nous
avons décrites tout au long de cette journée : le voyage au MAROC, l’expérience des deux
jeunes gens qui participent au Conseil académique de la vie lycéenne, les réalisations
communes d’élèves de Segpa et de latinistes, cette pratique théâtrale de classe d’Insertion qui
travaille sur les représentations du masculin et du féminin et les connotations de genre des
différents métiers… Je pense que c’est pour nous vraiment important, très important parce
que ce sont des ouvertures stimulantes. Cela montre que l’on peut faire des choses, que « la
liberté laisse la place à toutes les pressions sociales » certes, pour reprendre l’excellente
formule de Françoise VOUILLOT mais qu’il y a aussi des formes de liberté qui luttent
contre ces pressions sociales.
Ces formes de liberté, ces formes de créativité des enseignants qui proposent des expériences
nouvelles, qui inventent de nouvelles façons de gérer les rapports entre les élèves et aussi avec
eux, professeurs, ce sont des ouvertures auxquelles il faut sans cesse revenir. Cela prouve
qu’en fait rien n’est figé, que des mutations sont possibles, que l’on peut faire des choses
pourvu que nous, les adultes, nous acceptions le mouvement. Car j’adhère à l’idée de
Françoise VOUILLOT : si nous ne bougeons pas dans nos représentations, dans nos attentes,
dans nos conduites, sans doute nous n’aiderons pas les jeunes à bouger mais j’ajoute : si nous
bougeons, si les enseignants qui « sont aux premières loges » parce qu’ils sont en contact
avec les jeunes, bougent dans leurs représentations, s’ils refusent les stéréotypes, s’ils
acceptent les transgressions des rôles de sexe, je pense qu’ils aideront les jeunes à
devenir plus souples dans leurs constructions identitaires et qu’ils leur ouvriront des
espaces de liberté.
Pour finir, un espace de liberté qui m’a paru frappant, c’est la capacité d’analyse
qu’ont eue chacun à leur manière, Mélodie et Nicolas, quand ils nous ont décrit d’une manière
très précise, très réaliste comment se construisent les rapports de pouvoir et de domination
masculine dans un groupe qui n’était pourtant même pas paritaire au départ puisqu’il y avait
plus de filles que de garçons. Mélodie a analysé aussi avec une extrême lucidité la manière
dont se font les élections des Délégué-e-s. Je crois que ces ouvertures nous montrent que les
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jeunes sont capables de différents niveaux de prises de conscience et d’analyse et qu’ils ne
nous font pas désespérer du futur.
Olivier BRUNEL : Merci à Nicole MOSCONI qui nous a fait revisiter cette Journée : nous
allons disposer d’un moment pour poser les questions que les interventions de cet après-midi
ont fait naître.
Jacques GLEYSE : Ce n’est pas une question. J’interviens pour poursuivre la réflexion que
j’ai exposée ce matin par rapport à la problématique du métissage et à propos des
interventions concrètes et pratiques qui ont été avancées.
Concernant l’expérience « Romano modo », en Education physique : si l’on veut rentrer dans
une perspective de métissage, quand les filles font du rugby, il faut que les garçons fassent de
la danse. Et dans la perspective du métissage culturel, c’est-à-dire dans la logique du
dominant et du dominé : il faudrait réfléchir dans ce type d’actions pédagogiques, à avoir une
action qui aille des « élèves de classe d’Insertion » vers le latin et de l’autre côté, une action
qui aille des « latinistes » vers les élèves de la classe d’Insertion. Autrement dit, je pense
qu’il y aurait une action à penser dans le sens inverse : c’est-à-dire, qui consisterait à aller
d’un système culturel dominant vers un système culturel dominé ; dans le binaire, pour qu’il y
ait métissage, il faut qu’il y ait les deux phases du binaire et les deux sens de fonctionnement.
D’autre part, je ne voudrais pas oublier de remercier les organisateurs de ce Colloque et les
autres participants pour m’avoir invité à communiquer.
INTERVENANT : Je constate que l’on est tous d’accord pour dire que les Personnels de
l’Education nationale sont des rouages de la transmission de ces inégalités. Or nous nous
trouvons à l’IUFM.
J’ai entendu dire aujourd’hui que dans un IUFM sur 2, la problématique des inégalités de
genre, de la mixité était abordée et que les Professeurs stagiaires recevaient 6 heures de
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Formation initiale soit le temps consacré à cette Journée. Ce qui supposerait que tous les
Professeurs d’école, de lycées et de collèges ont reçu ici leur Formation sur ce thème des
inégalités : c'est-à-dire qu’ils seraient capables de maîtriser les représentation stéréotypées et
de maîtriser de nouvelles pratiques de classe…capables d’avoir fait ce travail de
déconstruction et de reconstruction qui leur éviterait de reproduire ces inégalités dans le
système scolaire … S’ils y arrivent, je dis bravo….
Il faudrait peut-être aller vers une vraie professionnalisation des métiers de l’Education
nationale et qui dit professionnalisation, dit autre Formation. Les professeurs enseignent 15h à
18h devant les élèves et à côté, il faudrait qu’ils aient du temps pour faire autre chose : cette
autre chose serait peut-être de continuer à réfléchir et à travailler sur cette problématique
essentielle. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut évoquer concrètement la question de la
Formation initiale et continue. Je vous remercie.
(Vifs applaudissements)
INTERVENANTE, Professeur : Lorsque l’on est enseignant-e, on fait cours 15h à 18h
effectivement devant les élèves mais l’on travaille en plus 15h à la maison : c’est quand
même difficile de faire une Formation supplémentaire.
INTERVENANTE : Je remarque que tous les enseignant-e-s qui sont présents à cette
Journée y sont justement pour continuer à se former. Moi je voudrais dire que quand j’étais
jeune Professeur, j’étais persuadée que j’allais intéresser et motiver tous mes élèves.
Maintenant je me dis « si j’apporte au moins quelque chose à l’un de mes élèves, j’ai gagné ».
Je pense que le voyage au Maroc et toutes les activités innovantes qui nous ont été présentées
ont sûrement enrichi les élèves et je dis bravo à tous les enseignants qui se sont
considérablement impliqués dans ces actions.
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Olivier BRUNEL : Je peux apporter une parole institutionnelle. Il est clair que le temps de la
Formation transversale en IUFM est un temps très compté mais tout est demandé…
Néanmoins il y a un deuxième temps qui est celui qu’on appelle le temps des T1 et T2 qui est
en train de se mettre en place en 1ère et 2ème année, même si c’est un peu hésitant et qui doit
vous permettre en tant que jeune enseignant-e titulaire de faire appel pour un temps de
Formation à des compléments de ce type.
Ce qui est moins compréhensible, c’est qu’alors même qu’on a consacré l’essentiel du temps
en IUFM à la place de l’enseignant dans sa classe, les demandes en T1 et T2, lors de la
deuxième année d’exercice d’activité en responsabilité, continuent à être des demandes
centrées sur l’acte d’enseignement de la Discipline, alors que c’est à ce moment-là que l’on
devrait être plus réceptif à embrasser les problématiques transversales comme celles que nous
analysons aujourd’hui.
Je n’ai pas parlé de l’Orientation qui m’est chère personnellement puisque c’est mon métier
mais je suis de ceux qui revendiqueraient une place pour l’orientation à l’IUFM un peu
plus importante, en Formation initiale. A défaut, si l’on peut distribuer les temps
différemment, il faut que nous profitions du T1 et du T2 pour apporter des éclairages. Je ne
dis pas là qu’il faut évacuer cette approche de la Formation initiale : il faut absolument avoir
une base dans le transversal mais que les compléments nécessaires peuvent être apportés en
T1 et T2. C’est ma conviction.
Geneviève DUCHÉ : Je me sens très concernée par cette question en tant que Chargée de
Mission à l’Egalité des hommes et des femmes à l’Université Paul Valéry. Je crois que les
expériences se multiplient, nous avançons, nous comptons de plus en plus de Groupes de
recherche sur le Genre en France et au CNRS également.
Mais il faut bien se rendre compte que l’introduction d’un enseignement sur le genre, la
demande de reconnaissance d’un Groupe de recherche sur le genre sont des enjeux
extrêmement lourds, extrêmement forts dans chaque Université puisque justement ils
interrogent immédiatement les rapports sociaux de sexe que ne veulent pas voir encore la
majorité des universitaires, constat parmi ceux que je fréquente. Comment donc faire prendre
en compte cette demande ? Chaque fois que l’on demande la création d’un enseignement,
d’un séminaire, on se heurte pour le moins à un silence glacial. Dès lors que l’on pose cette
demande, on se positionne au cœur du fonctionnement des rapports sociaux de sexe, au centre
du rapport de domination et on se heurte à un interdit.
81
Alors tous ceux qui sont en charge de prendre des décisions dans nos institutions éducatives,
doivent faire l’effort d’aider à surmonter cette interdiction, doivent participer à ce
développement. Je pense aussi à toutes les instances, aux syndicats qui sont une instance
majeure pour que les choses se débloquent et l’on ne voit pas cette prise en compte dans la vie
syndicale des rapports sociaux de sexe, des rapports de domination. Je crois qu’à tous les
niveaux, il faut réfléchir, travailler et lever un certain nombre d’obstacles.
Coline CONNEAU : Le travail en réseaux continue à prouver son efficacité, je peux vous
l’assurer. La Convention régionale d’octobre 2000 est toujours en cours à ce jour, la
Convention ayant été reconduite par tacite reconduction en 2003. Le travail en partenariat se
poursuit comme en témoigne cette Journée.....
La prochaine Convention sera signée début 2005. J’ai souhaité avec le Rectorat que nous
l’élargissions à davantage de partenaires. Des exigences plus grandes en matière d’actions
concrètes et de résultats seront contractualisées. J’entends que cette nouvelle Convention
élargie soit encore plus partenariale.
82
Olivier BRUNEL : Vous avez vu que même dans les logiciels, en matière de représentations
du masculin et du féminin, c’est perverti.
Nicole MOSCONI : Juste un mot pour dire que même avec des manuels sexistes, si les
enseignants travaillent de manière critique avec les élèves et mettent en relief les
représentations sexistes du manuel, on peut faire des choses a contrario.
Olivier BRUNEL : Sans doute. Mais en même temps, nous sommes toutes et tous ici
présents des familles. Il est temps de conclure et de rendre la parole à Madame Coline
CONNEAU.
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CLÔTURE
Coline CONNEAU, Déléguée Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité : Je vais
conclure cette Journée en rappelant la phrase de Françoise VOUILLOT, si profondément
vraie, « ça commence tôt cette affaire là ! » : elle commence avant la conception et elle nous
accompagne jusqu’à la fin de la vie !
Il a été dit avec justesse que tout interagit sur tout.
Notre Ministère nous a missionnées pour contribuer à la mise en place de l’égalité entre les
filles et les garçons, entre les hommes et les femmes, dans l’ensemble des politiques
publiques. Vous imaginez l’immensité du champ sur lequel nous nous penchons : il s’agit
évidemment de l’Education depuis l’école maternelle en partenariat avec le Rectorat et tous
les acteurs ; cela couvre le champ professionnel et tous les aspects de la politique sociale et
économique.
J’irai dans le sens de Madame MOSCONI qui soulignait l’importance qu’il y a à ce que les
enseignant-e-s connaissent l’Histoire des hommes et des femmes et certaines avancées
qui sont en fait très récentes. Ainsi, en 2005, nous célébrerons les 60 ans du premier vote
des femmes ; d’autre part, c’était hier, c’est en 1975 que la mixité a enfin été instaurée dans
les lycées. Personnellement, l’enseignement secondaire que j’ai suivi dans des établissements
publics ne m’a été dispensé qu’avec des filles : or il n’y a pas si longtemps ! Pour prendre un
autre exemple, les femmes de la génération de ma mère avaient besoin de l’autorisation de
leur époux pour aller travailler. Et ce jour même, lors d’une conférence de presse avec les
femmes conjointes d’artisans, nous avons rappelé qu’une minorité seulement parmi elles ont
un statut reconnu dans leurs métiers, alors qu’elles travaillent toute la journée et toute leur vie.
Avec l’Education nationale, nous avons réalisé durant les 3 premières années de la
Convention un certain nombre d’actions, passionnantes mais souvent ponctuelles : mon seul
regret est que l’on ne puisse encore sensibiliser tous les élèves. Dans le cadre du Concours de
théâtre « Futur Composé », j’ai eu beaucoup de plaisir à échanger avec les enseignants, à
assister aux pièces de théâtre et à remettre, en présence de Monsieur le Recteur, les prix. Cela
a été un moment émouvant ; j’ai eu la confirmation que les actions mises en œuvre dans le
cadre des politiques publiques sont réellement utiles : en 2004, quelques 150 élèves ont pu
participer à cette réflexion sur l’Egalité. Nous les avons questionnés sur leur vécu de l’année
et ils nous ont assuré que « cela se passait mieux entre filles et garçons ».
D’autres actions sont très positives : il est important de les montrer et les promouvoir à titre
d’exemplarité pour permettre à d’autres enseignants de s’impliquer.
Parmi celles-ci, le Prix de la Vocation scientifique et technique qui vise à valoriser leurs
aptitudes scientifiques et à diversifier les projets d’orientation et de vie des filles.
Autre exemple, le partenariat avec l’université Paul Valéry permet de sensibiliser les étudiants
et les professeurs. L’an dernier, une semaine entière a porté sur le thème Liberté, égalité,
sexualité et je sais, Geneviève DUCHÉ, que vous allez mener prochainement une Journée
d’information et de prévention sur les violences sexistes.
Ainsi, peu à peu, tous ces éléments comme dans un puzzle se rassembleront pour créer une
société beaucoup plus égalitaire pour les hommes et les femmes de demain.
84
Olivier BRUNEL : Merci à Madame la Déléguée régionale aux Droits des femmes et à
l’égalité. Comme convenu au début de cette Journée, nous nous donnons toutes et tous
rendez-vous autour des Actes à paraître et encore merci à tous les intervenants présents à la
Table et à tous les participants.
85
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92
93
Dominique Gauthiez-Rieucau / Chargée d’études et de projet Genre et mixité
dominique.gauthiez-rieucau@montpellier.iufm.fr
94
ADELPHITE : mot qui désigne un sentiment entre fraternité et sororité. En français, frère et
sœur proviennent de deux mots différents. Florence Montreynaud a formé le mot adelphité
sur la même racine grecque adelph qui a donné les 2 mots grecs signifiant frère et sœur. Ce
terme neutre a été inventé dans une perspective genrée qui permet de dépasser la logique
binaire de la domination du masculin : sous la forme adverbiale, adelphiquement peut
s’employer à la place de fraternellement.
95
BSRI : BEM Sexual Roles Inventory, Premier Inventaire des « rôles de sexe »conçu en 1974
par Sandra BEM à partir d’items masculins et féminins indépendants (et non complémentaires
comme le MMPI d’Hathaway et McKinley de 1942 ou le CPI de Gough de 1957).Les
échelles de masculinité et de féminité traditionnelles ne permettaient pas de décrire
l’androgynie psychologique de la personne (voir les adaptations ultérieures de chercheurs
comme Cendrine MARRO dans des classes de 3ème : L’Orientation scolaire et
professionnelle, n°4, 2002, pages 545-563) ni de dénoncer ipso facto la prégnance des rôles
de sexe dans la famille, à l’école et dans la société.
96
CORPS-CORPORÉITÉ : le corps est le lieu du truchement entre intériorité et extériorité ;
l’expression enveloppe corporelle prend sens en référence à l’âme, à l’esprit, au moi ;
traditionnellement, la plupart des systèmes occidentaux de pensée fondaient le sujet sur le
dualisme du corps et de l’esprit issu de la démarche platonicienne de la (sur)valorisation de
l’Idée ; au dualisme corps/esprit se rajoutaient d’autres « oppositions » simplificatrices homme/femme,
jeune/vieux…La pensée contemporaine s’attache au contraire à comprendre les liens étroits
tissés entre le corps et la vie intérieure : Michel Bernard, dans son ouvrage « Le corps » (Ed.
Delarge, 1972-Rééd.coll Points, Seuil) dépasse le caractère « machinal », anatomique et
mécaniste du corps pour décrire la pluralité des dimensions corporelles et l’expressivité du
corps.
La découverte de l’inconscient [apports de la psychanalyse et du surréalisme], la physique
quantique et la relativité, la médecine psychosomatique, la pratique de spiritualités
multiculturelles usant du corps [méditations orientales, initiations africaines], l’écologie, la
philosophie dite postmoderne des déconstructions-reconstructions débouchent à l’orée du
XXIème siècle sur une autre dynamique discursive, osant la question symboliquement
chargée : peut-on changer son être (sa vie) en changeant son corps ?
Nancy Midol, « Danse, sport, mode…le corps ambigu ou l’injonction contradictoire » dans
L’invention des possibles, Cultures en mouvement, 2005 se penche sur des facteurs
contemporains révélateurs de la transgression et de la quête identitaire : la « queer
generation », le body-art [techniques de tatouage, percing, implant…], les jeux sur le genre et
les fantasmes du cybernaute, les modèles du « cyborg », la reproduction extra-utérine, les
manipulations des codes génétiques, les bio-technologies visant le clonage, les banques
d’organes animales et humaines, certaines chorégraphies d’avant-garde [Pina Bausch, Daniel
Larrieu..], les sports « fun » de l’extrême [surf, saut à l’élastique, plongée en apnée…]
explorent les limites. Les sciences modernes s’appuient sur des défis mettant en jeu les
exploits corporels [astronautes dans la conquête de l’espace, chasseurs d’ouragan en météorologie]
Dans le domaine du body-art, Nancy Midol évoque les expériences [greffe d’un troisième bras
assisté par ordinateur] militantes [« la peau est une mauvaise interface entre l’environnement, l’espace et la
conscience »] du performer australien maximaliste [« modifier son ADN, sortir de sa corporéité »]
Sterlarc.
Mais la construction identitaire de chaque individu-e se heurte paradoxalement à des
injonctions culturelles et politiques qui ont trait à la corporéité ; l’exemple de l’Histoire
chinoise en est caricaturale [la femme dans la Chine impériale signalait son rang par la mutilation de ses
pieds ; la femme maoïste, démultipliée à l’identique comme outil de production, devient asexuée, cheveux
obligatoirement courts, elle s’habille de vêtements de travail mixtes ; dans la Chine contemporaine « de
l’ouverture libérale », elle est invitée au débridage des yeux, à l’éclaircissement de la peau et à des interventions
chirurgicales sur les membres inférieurs en vue d’augmenter sa taille].
Il en va de même des injonctions socio-économiques : la quête obsédante du plaisir à tout prix
dans les sociétés consuméristes, la tyrannie de rester jeune et de l’apparence. Dans le domaine
de la mode, Fabienne Martin-Luchat [Confusion publicitaire des genres : quelles valeurs communiquées ?
2004] rappelle les manipulations équivoques du « porno-chic » et l’androgynie de certains
modèles : émancipation ou brouillage à risques des repères identitaires ?
Philippe Liotard analyse comment le corps peut devenir un kit sur lequel on bricole son
identité [« Corps en kit ». Quasimodo, n°7]. D. Le Breton [La peau et la trace. Sur les blessures de soi.
Métaillé. 2003 ] explore comment le corps peut devenir un pâle brouillon des blessures
psychiques.
Entre être et paraître, le sujet « joue sa peau » selon que son corps parle ou non de son moi.
Dans les collèges, nombreux sont les adolescent-e-s victimes du « modèle anorexique » et de
« la dictature des marques » socialement discriminante.
97
COUPLE MONO (ou) BIACTIF : un (ou les) 2 conjoint(s) dudit couple a (ont) un emploi
fixe. En France, les femmes peuvent depuis la réforme des régimes matrimoniaux de 1965
exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari ; et un statut de femme
d’agriculteur voit le jour. En 1972 l’égalité de rémunérations pour les deux sexes est inscrite
dans la loi…mais non respectée. En 1982 les femmes d’artisans ou de commerçants peuvent
choisir entre trois statuts (collaboratrice, salariée ou associée). La loi dite Roudy de 1983
édicte l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (inscrite dans le code du
travail). En 1994 la loi autorise le-a conjoint-e collaborat-eur-rice à exercer une activité
salariée concomitante à son activité dans l’entreprise familiale, ce qui permet de constituer
des droits propres complets, notamment en matière de retraite. La loi de 2001 sur l’égalité
professionnelle dite Genisson vient renforcer les dispositifs de la loi Roudy. Des
Observatoires de l’égalité fondés sur des statistiques différenciées se multiplient dans nombre
d’écoles supérieures (Ensa, Universités [où des OVE, Observatoires de la vie étudiante voient
aussi le jour]…) et certaines entreprises, publiques ou privées (un label Egalité des chances
peut être décerné).
CURRICULUM CACHE : acquis et représentations à différencier des acquis inscrits dans les
Programmes scolaires officiels ou « ensemble de valeurs et d’attitudes qui vont des
automatismes intellectuels de base jusqu’à la conception que l’on se forge de soi-même de par
la confrontation quotidienne avec les autres » (Michèle Ferrand, Féminin Masculin, La
découverte 2004, p 58).
L’absence de conscientisation du curriculum caché par les professeurs et personnels de
l’éducation nationale contribue à induire une surestimation des garçons, à les favoriser en
matière d’évaluation diagnostique et participe en conséquence des choix inégalitaires de
filières et orientations sexuées, en particulier à partir du cursus basique dit « d’excellence », à
savoir maths-physique et carrières scientifiques (opus cité, pages 60-65).
98
Quant au débat littéraire connu dans des réseaux d’expert-e-s, c’est « la relative invariance
depuis Bloomsbury jusqu’aux paysans kabyles des structures symboliques sur lesquelles
repose notre représentation de la division du travail entre les sexes » qui l’a amené à décrypter
« des métaphores typiquement phallocentriques » jusque chez Virginia Woolf. Pierre
Bourdieu est clairement amené à préciser que « la domination masculine est une forme
accomplie de violence symbolique comparable à la domination d’une ethnie ou d’une classe
sociale sur une autre. (d’après « Nouvelles réflexions sur la domination masculine » dans le n°
33 des Cahiers du genre [L’égalité, une utopie ?] avec l’introduction de Dominique
Fougeyrollas).
DIFFERENCIALISME : courant théorique dit aussi essentialiste qui fonde les différences
voire les causes des inégalités entre hommes et femmes sur la nature originelle, donnant une
part essentielle au biologique. Le courant théorique opposé est l’UNIVERSALISME dit aussi
matérialiste ou égalitariste qui pose l’égalité des sexes de manière axiomatique (comme
postulat originel) : principe de base de la praxis égalitariste. Il existe une « troisième voie »
théorique, liant d’un seul tenant (seamless web, D.Gardey) le biologique et le culturel à
travers l’Histoire « le naturel étant variable, induit-construit par la culture » (Ilana LÖWY) et
historiquement situé, prenant donc en compte l’état des sciences de la vie et des techniques de
contraception et de procréation, y compris la compréhension des corps, des comportements et
l’interprétation que chacun-e fait de ses sensations corporelles.
EGALITE : pour dépasser certaines impasses ou confusions théoriques et politiques entre les
concepts d’identité-d’égalité-d’équité, l’on peut se référer au Dictionnaire critique du
féminisme, coordonné par Helena Hirata, PUF, 2004, pages 54-59. Deux personnes dont
l’identité de sexe est différente peuvent prétendre à l’égalité de droits et de situations (Nicole
Mosconi, Actes du colloque « Mixités »,IUFM de Montpellier, novembre 2004) Le débat peut
être approfondi en référence aux Cahiers du Genre, n° 33, 2002, « L’égalité, une utopie ? »
EGALITE DES CHANCES : Ensemble des mesures visant la réduction des inégalités entre
les filles et les garçons, les hommes et les femmes, d’après la CONVENTION
INTERMINISTERIELLE de février 2000, regroupant 6-8 Ministères (selon les
Gouvernements) et prorogée jusqu’en 2006.
99
ENVEFF : Enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France lancée par le
Ministère des affaires sociales et le service des Droits des femmes sous la ministre Nicole
Péry, réalisée par une équipe de chercheuses sous la direction de Maryse Jaspard et présentée
sous la ministre déléguée à l’égalité professionnelle et à la parité Nicole Ameline. (cf.
Population et sociétés, n° 364, janvier 2001 et Les violences envers les femmes en France, La
documentation française, 2003, 370 pages) L’enquête se fonde sur un protocole élaboré
d’interrogation par téléphone de 6970 femmes âgées de 20 à 59 ans, explore les violences
physiques, sexuelles et psychologiques, dans l’espace public, au travail et dans le couple. Les
résultats surprennent (poids des violences domestiques, en particulier du harcèlement moral et
importance des agressions sexuelles qui concernent une femme sur dix) et lèvent le voile du
silence (la moitié des femmes victimes déclarant n’en avoir jamais parlé avant l’enquête).
L’ENVEFF fait l’objet d’une vive polémique entre chercheurs (Analyse critique du
démographe Hervé Lebras et de la juriste Marcela Iacub in Les Temps modernes, janv-mars
2003) , relayée par les médias. Un article, co-signé par Maria De Koninck et Solange Cantin
dans Nouvelles Questions Féministes, Vol 23, n°1, 2004 porte réponse à cette critique. Il
demeure que Nicole Belloubet-Frier, Rectrice, auteure des Trente propositions pour lutter
contre la violence sexuelle dans les Etablissements scolaires cite l’ENVEFF lors du Colloque
de Montpellier, janvier 2003 « Les violences sexistes à l’école. Eduquer au respect mutuel ».
L’on peut se reporter au n° 35 des Cahiers du genre « La violence, les mots, le corps »,
L’Harmattan, 2003.
100
FEMINISME : le terme apparaît en 1872 sous la plume de Alexandre Dumas fils ; emprunté
au langage médical, il désigne un défaut de virilité chez des hommes d’apparence féminine.
Le sens politique du mot s’impose au XIXème siècle sous la double référence à Fourier (qui
va puiser dans l’étymologie latine le radical femina pour désigner la doctrine qui propose
d’étendre le rôle des femmes dans la société) et à Dumas : celle de la pensée utopique
socialiste et celle de la pensée républicaine libérale. L’utilisation du néologisme
« féminisme » coïncide avec l’avènement de la IIIème République.(d’après Geneviève
Fraisse). Léon Abensour (dans son Histoire générale du féminisme, 1921) prend en compte ce
polymorphisme dans sa définition « cas d’aspiration collective vers l’égalité ».
La première militante à se déclarer ouvertement féministe est Hubertine Auclert en 1882. Le
mot devient à la mode au début du XXème siècle et se diffuse largement dans les années
1960. « A des silhouettes évanescentes oeuvrant dans l’ombre d’appartements privés et dans
l’intimité des correspondances , a succédé une ère organisée d’associations déclarées, dotées
de statuts, de sigles, de périodiques, de dirigeantes stables et repérables, de photographies de
Congrès, et d’archives »(d’après l’introduction de Michelle Perrrot au Siècle des féminismes).
La réalité des féminismes correspond en fait à une multiplicité de groupes [mis ou non en
réseaux] et de mouvements idéologiques et historiques [alliés ou concurrents] à travers le
monde, qui sont l’objet de nombreuses études internationales [Maghreb, Iran, Amérique
latine, Inde..] et donne déjà matière à un questionnement historiographique (d’après « Le
siècle des féminismes » Eliane Gubin, Catherine Jacques, Florence Rochefort, Brigitte Studer,
Françoise Thébaud, Michelle Zancarini-Fournel Dir, Editions de l’Atelier, 2004).
Pour la France, M Z-F y résoud « l’apparent paradoxe beauvoirien [son point de vue de 1949
sur la non-autonomie par rapport au pouvoir masculin], en examinant comment, au cours du
long XXème siècle, des féministes, individues singulières, ont construit des espaces
d’autonomie, mais en même temps, des liens avec des associations, des partis, des syndicats
ou des groupes confessionnels ou laïcs » ; elle interroge aussi la question de la mixité ou non
mixité des mouvements féministes (chapitre 13). Dans la mesure où nombreux sont les
hommes qui s’inscrivent, proféministes ou non, dans une démarche intégrée d’égalité des
chances, revisitant des perspectives parfois initiées à l’origine dans le militantisme.
GARÇONNE : Le mot doit son succès au roman de Victor Margueritte La Garçonne, 1922 :
il désigne dans l’entre-deux-guerres les jeunes femmes qui manifestent leur volonté
d’indépendance par leur aspect physique et revendiquent des Droits à l’égalité avec les
hommes. La garçonne porte généralement des cheveux courts.
101
GENRE : Geschlecht en allemand, genere en italien ou gender en anglo-américain sont des
termes spécifiques utilisés en sciences humaines sans ambiguïté. Mais en français surgit un
obstacle sémantique spécifique dans la mesure où le terme, traduit littéralement, s’inscrit en
premier lieu dans le domaine grammatical pour qualifier un substantif dit de genre masculin
ou féminin cad exprime une dualité, évoque un monde binaire hiérarchisé en absolue
contradiction avec le sens du terme genre, tel que traduit de l’américain [Ann Oakley, Sex
Gender and Society, 1972] entendu comme un instrument heuristique transdisciplinaire et
un outil progressiste de développement de la personne indépendamment du sexe civil.
La transposition des gender studies implique un choix voire un débat entre les disciplines ou
entre les chercheurs et l’utilisation préférentielle par certain-e-s de différences de sexe ou de
rapports [sociaux] de sexe.
Mais le mot sexe a une signification à dominante biologique ; il apparaît que le terme de genre
se réfère à la dimension économico-sociale [Christine Delphy, L’ennemi principal] ou
sociologique [Nicole-Claude Mathieu, L’anatomie politique. Catégorisations et idéologies …]
du sexe ; dans sa complète signification le concept de genre intègre la dimension sociétale
plénière du sexe, bio-construite historiquement dans une société donnée, incluant tous les
aspects culturels, croyances, représentations, mentalités, comportements. [Cahiers du genre
n° 34 « La distinction entre sexe et genre, une histoire entre biologie et culture »].
Le genre présente l’avantage [s’il est explicité] d’intégrer le postulat ontologique de l’égale
dignité de la personne humaine, quel que soit son sexe : l’Histoire genrée étudie les
relations humaines. Fabrice Virgili préconise de passer « d’une histoire sans les femmes,
naguère [cf lexique : l’invisibilité] à une histoire du monde sexuée, de nos jours [p5]…à une
histoire des relations entre les sexes qui ne soit pas seulement celle de la domination
masculine [p 10]», sachant que « des historiens écrivent sur les femmes et des historiennes sur
les hommes, en utilisant les uns comme les autres le genre comme catégorie
d’analyse ».(d’après « L’histoire des femmes et l’histoire des genres aujourd’hui », Vingtième
siècle, n° spécial 75, juillet-sept 2002)
L’Harmattan a publié en 2003 une étude pluridisciplinaire qui compare en Sociologie,
Histoire et Littérature « Le genre comme catégorie d’analyse » sous la direction de
Dominique Fougeyrollas, Christine Planté, Michèle Riot-Sarcey et Claude Zaidman.
Margaret Maruani le confirme [p 12 opus cité], « Le genre n’est pas un domaine spécialisé,
c’est une grille de lecture de la société. Que l’on s’intéresse à l’école, à l’emploi, à
l’immigration, à la famille, à la santé, aux retraites le cas échéant [ie en pays économiquement
développés] ou à tout autre problème social, le genre est un des axes essentiels de la
connaissance, un outil indispensable à l’intelligence du monde social. La variable sexe n’est
pas contingente, elle est nécessaire » : l’ouvrage collectif qu’elle dirige, Femmes, genre et
sociétés l’Etat des savoirs, Ed La Découverte, 2005, 480 pages, rassemble 58 auteur-e-s
appartenant aux différentes disciplines des sciences humaines et sociales : sociologues,
démographes, historien-ne-s, économistes, statisticien-ne-s, philosophes, anthropologues,
juristes, politologues, épidémiologistes, ergonomes.
102
GROUPE : les statistiques différenciées sont nécessaires à la démarche intégrée de réduction
des inégalités de sexe. Cependant l’expression « groupe improbable » s’applique aux groupes
supposés « groupe-hommes » et « groupe-femmes » : pour les chercheurs qui ont intégré
l’évidence de la construction sociale et culturelle du genre, différente et multiforme dans
chaque société, il s’agit de fait d’un « groupe introuvable » à partir d’une certaine finesse
d’analyse. A fortiori, les analyses multicritères débouchent sur l’unicité de chaque personne.
L’expression « groupe-agrégat » et celle de « groupe-collection » font référence au ressenti
supposé de chaque individu-e dans son groupe de sexe (d’après Fabio Lorenzi-Cioldi) et à son
degré de conscientisation individuelle : dans le contexte scolaire, il serait plus élevé chez les
garçons que chez les filles.
IDENTITE SEXUEE : degré d’adhésion (de conformité) que les individus manifestent à
l’égard des différentes catégories de rôles de sexe prescrits à leur sexe biologique (d’après
Françoise Vouillot)
103
laquelle suppose un consentement collectif implicite des deux sexes. « Marianne » rend
l’inclusion invisible : elle est l’image visible qui masque le vide féminin dans la vie politique
Dans le domaine du maintien de l’espèce humaine, Annick Jaulin éclaire l’inclusion
normative dévalorisante qui consiste à réduire la pro-création féminine à savoir la production
de subjectivités (d’êtres de chair et d’esprit doté-e-s chacun-e d’unicité) à la fonction de « re-
production » et dénonce la supercherie sémantique. Il en résulte une banalisation de la
fonction sociale.
INVISIBILITE : l’Histoire de l’humanité a très majoritairement été écrite par des hommes.
Des femmes intègrent l’Université à partir des années soixante : elles investissent et fécondent
les champs de la recherche depuis une trentaine d’années (d’après Michelle Perrot Les femmes
ou les silences de l’histoire, 1998 et l’ouvrage de Françoise Thébaud Ecrire l’histoire des
femmes).
MANUELS : la lutte contre le sexisme dans les manuels scolaires débute avec Françoise
Giroud en 1975, autour de l’année proclamée « internationale de la femme ». Secrétaire d’état
104
à la condition féminine, elle commandite à l’INRP une recherche sur les stéréotypes dans les
manuels de la petite enfance. En 1981 Yvette Roudy crée une Commission de contrôle des
manuels. Mais l’édition relevant du domaine de l’entreprise privée tient inégalement compte
des recommandations. L’Etat se tourne alors vers les enseignants (arrêté de juillet 1982, note
de service de novembre 1983) afin qu’ils exercent une vigilance dans le choix des manuels,
relativement à toutes les disciplines et luttent contre les représentations et préjugés sexistes à
l’école.
En mars 1997, deux parlementaires, Simone Rignault et Philippe Richert remettent leur
fameux Rapport au Premier Ministre. En avril 2004, Annette Wieviorka dépose au Conseil
économique et social le Rapport intitulé « Quelle place pour les femmes dans l’histoire
enseignée ? »(Auditions de Michelle Zancarini-Fournel en particulier sur les programmes, de
Catherine Marand-Fouquet et de Michelle Perrot : analyse critique des manuels du primaire et
du secondaire p 13-20)
Pour travailler à partir des Langues, l’on peut se référer à l’analyse critique pertinente de
Anne GRIFFATON , « Images des femmes dans les manuels d’anglais », Les Cahiers
pédagogiques, n° 372, mars 1999. En SES, Sciences économiques et sociales, Jane MÉJIAS
dénonce les illustrations et contenus stéréotypés implicites, surreprésentation côté hommes,
tradition et dévalorisation côté femmes, parfaitement incohérentes avec un discours explicite
qui déplore les inégalités [étude comparative à partir de 5 manuels parus en 2000, SES classe
de Seconde, à paraître Idées 2005]
MATRIARCAT : mot créé par opposition à patriarcat ; il apparaît en 1894 dans la Grande
Encyclopédie pour désigner une société dans laquelle la femme tiendrait la première place.
Parmi les érudits qui exploitent cette notion se trouve l’allemand Johann Jacob Bachofen,
auteur de « Das Mutterrecht », pour lequel régnait aux origines de l’humanité la gynécocratie,
synonyme emprunté aux Grecs. En fait le matriarcat n’a jamais existé dans l’Antiquité
(d’après Maurice Sartre).
105
MIDINETTE : au XIXème siècle, ouvrière d’une usine textile (ou vendeuse, dans la couture,
dans la mode…) qui se contente d’une dînette à midi, d’où ce surnom. Par extension, terme
péjoratif.
MISOGYNE : adjectif et nom littéralement emprunté au grec « qui hait les femme ». La
première occurrence date de 1564 dans « Bonté et mauvaiseté des femmes »de Marconville.
Le substantif misogynie ne se répand qu’au XIXème siècle. (à différencier des termes
employés à partir des années 1960 : le machisme [emprunté au mexicain] et son synonyme la
phallocratie [= système de domination des hommes sur les femmes]). Le contraire de la
misogynie est la misandrie, terme employé dans les années 1970 à partir de l’adjectif
misandre applicable dès 1920 à une femme hostile aux hommes.
MIXITE SCOLAIRE : *le combat pour la coéducation des sexes, qui culmine en 1905
[Amicale des Instituteurs-trices au Congrès de Lille], ne rencontre un écho dans la classe
politique que lorsque la coinstruction permet de réaliser des économies : installation dans
l’entre-deux-guerres des classes rurales géminées avec la loi de février 1933.
Il faut entendre que les classes géminées qui regroupent des élèves du même âge installent de
fait côte à côte des enfants de sexe opposé mais sans que le système ait été réellement pensé,
non plus que l’objectif sociétal anticipé.
*la cohabitation des filles et des garçons dans une même classe est instaurée à partir de
1957 en France dans les Etablissements secondaires. La réforme Berthoin de 1959 légalise les
lycées mixtes nouvellement construits ; c’est le cas aussi en 1963 pour les CES. La mixité ne
sera rendue obligatoire dans les Etablissements primaires et secondaires publics qu’en 1975
[en 1976, décrets d’application de la loi Haby ] (d’après Michelle Zancarini-Fournel)
Les études des années 9O (A. Durand-Delvigne, Claude Zaidman, Nicole Mosconi) révèlent
que la cohabitation se manifeste en réalité par une socialisation différentielle voire une
confirmation des inégalités de sexe. Sauf à souhaiter un retour en arrière, comme le
préconisent certains chercheurs (Forest, 1992) qui veulent multiplier les espaces non mixtes,
ces recherches visent plutôt en France la mise en œuvre de pédagogies anti-sexistes.
L’expression critique de « mixité unisexe » évoque la discrimination de genre visible de fait
dans la cour de nombreux établissements scolaires et dans les salles de classe.
L’évolution multiforme des relations entre filles et garçons à l’école qui ne va pas sans poser
problème, les résultats supérieurs des filles dans l’Institution scolaire et a contrario le
maintien de filières d’orientation sexuées confirme que le système n’a pas été réellement
pensé en terme de genre, non plus que l’objectif sociétal anticipé : l’enjeu éducatif et
pédagogique rejoint l’enjeu démocratique.
La mixité est un concept nouveau et une pratique émergente : elle doit se (re)fonder de
nos jours sur la conscientisation historique des rôles de sexe et le fait d’évaluer-orienter-
enseigner à partir du respect mutuel des deux sexes dans une dynamique républicaine
revisitée.(Revue VEI Ville Ecole Entreprise, Les filles et les garçons sont-ils éduqués
ensemble ? n°138, septembre 2004)
NANA : diminutif de l’héroïne d’Emile Zola dans le roman éponyme Nana publié en 1879.
Le mot est popularisé vers 1949 comme nom commun pour désigner non « une femme
entretenue » ou la « concubine d’un souteneur » mais une femme. Terme argotique. Il évolue
avec le siècle, devient un peu moins péjoratif (associé au mot sexué de même sonorité néné)
vers le mot trivial : nénette.
106
NEGOCIATION : dans la famille moderne où le couple-duo est majoritairement biactif, la
(re)négociation des tâches éducatives et domestiques est le mode approprié de régulation
« une fois identifié et étudié ce que les hommes et les femmes ne veulent plus vivre, les
violences masculines domestiques et autres formes de régulations sexistes, homophobes et
discriminantes »(d’après Daniel Welzer-Lang). L’enquête de Christine Bouissou (2004,
Cannes) révèle « paradoxalement des résultats comportementaux de partages des tâches dans
le couple qui vit en conjugalité voire concubins ou pacsés [transport de l’enfant à l’école ;
cuisine ; entretien ménager…] plus traditionnels que les objectifs d’égalité » proclamés. La
renégociation s’y joue différemment lors de la primoparentalité et dans la famille nombreuse
installée. Pour Irène Théry « Etablir de nouveaux repères communs qui lient les sexes et les
générations de façon signifiante, signifie interroger le masculin, impliquer les hommes dans la
sphère domestique en repensant totalement l’articulation des sphères sociales »(d’après Le
piège de la parité, arguments pour un débat (Collectif) coll.Pluriel, Hachette, 1999) Geneviève
DUCHÉ résume son ambition : « faire émerger un modèle de mixité permettant de lier
l’égalité et la différence des sexes »(in L’égalité entre les femmes et les hommes, état des
lieux, inédit 2004)
107
Ce qui fera
culture où elle est déclinée et structurée par le langage [d’après Le Totémisme aujourd’hui, 1961]
proclamer à Pierre Bourdieu, dans la mouvance de 1968 « l’ordre symbolique, on s’en
fout ! ».
Pour Michel Foucault, l’ordre symbolique expose aussi la personne au risque
d’assujettissement voire d’aliénation. L’on peut en déduire que l’ordre symbolique n’est pas
figé dans chaque société et qu’il diffère chez chaque indivudu-e.
La psychanalyse traditionnelle a mis en relief la prégnance du nom du Père (patronymique).
En 2002 la loi dite Gouzes, reflet de l’évolution sociétale (à savoir la scolarisation des filles et
l’accès des femmes au monde du travail) traduit logiquement non seulement la nouvelle
donne dans la sphère privée domestique mais reflète le nouvel ordre intimiste et symbolique
émergeant, fondé sur un égal respect des parents des deux sexes : elle autorise l’usage et la
transmission du nom du Père ou de la Mère ou des deux noms patronymiques des parents
accolés sur la base d’un accord commun.
PATERNITE : la petite enfance entre dans la culture de la nouvelle paternité. (d’après Gérard
Neyrand, L’enfant, la mère et la question du père, PUF, 2003). « Pour être père, on se réfère
plus au soi sujet et moins à la communauté ou à la nation [les modèles traditionnels
apparaissent trop coûteux qui demandent un sacrifice de soi et sont en perte de légitimité, le
pater familias, patriarche rural ou industriel qui transmet la filiation, le chef de famille
autrefois prêt au sacrifice de sa vie]…La famille moderne est plus centrée sur l’enfant, moins
sur le père …Les masculinités plurielles permettent une culture du sujet, l’émergence d’une
parole intimiste, d’un ressenti individuel authentique au-delà des sentiments et rôles de sexe
imposés »(d’après Christine Castelain-Meunier). La puissance paternelle est remplacée dans
par l’autorité paternelle et une plus libre expression de la subjectivité individuelle de chaque
membre de la famille. Les droits de la paternité sont amenés à être précisés en termes
juridiques (d’après Marcela Iacub). Ainsi de la loi d’expertise en paternité de 1990, de
l’élargissement des conditions d’accès au congé parental et de la création d’un congé paternel
à la naissance de l’enfant en 2002.
108
PARITE : *Loi constitutionnelle française de 1999 sur l’égalité entre les femmes et les
hommes : « égal accès…aux mandats électoraux et fonctions électives »
*Loi du 3 mai 2000 sur la mise en œuvre de la parité politique aux différents
scrutins électoraux.(soit équilibrage paritaire des candidat-e-s sur les listes municipales,
régionales, sénatoriales, européennes ; pour les législatives, la subvention publique perçue par
les partis sera diminuée si « l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe dépasse 2%
du total des candidat-e-s »). Mais les modalités de la mise en œuvre, souvent incitatives,
varient : les avancées signifiantes se traduisent surtout lorsque la parité est obligatoire [dans
les communes de plus de 3500 habitants] en particulier obligatoire avec alternance stricte
[dans les Conseils Régionaux et au Parlement européen]. cf. opus cité Tableau p 473 de
Femmes, genre et sociétés, Margaret Maruani, 2005.
PARITE ALTERNEE : Modalité d’alternance systématique d’un-e candidat-e sur les listes
électorales par nom ou par tranche numérique.
PETROLEUSE : le mot, créé durant la Commune de Paris (1871), désigne les femmes
communardes. Terme péjoratif qui les transforme en incendiaires. Par extension, le terme
dévalorise des femmes militantes à qui l’on reproche leur combativité.
PIN-UP : mot emprunté à l’américain to pin up = épingler (affiches de jolies femmes dans les
chambrées de soldats américains) lors de la seconde guerre mondiale. Par extension, femme
séduisante (au physique de mannequin ou d’actrice) correspondant à des canons médiatiques.
PLAFOND DE VERRE : métaphore évoquant le fait que les femmes, non seulement
gravissent plus difficilement l’échelle sociale que les hommes, à compétences et diplômes
équivalents, mais se heurtent à un moment donné à un quasi-blocage dans leur carrière, dans
leur ascension socio-professionnelle. La traduction graphique se manifeste par un moindre
pourcentage de femmes parmi les cadres du privé et du public [Education : minorité de femmes
Personnels de direction ou Rectrices, Marlaine Cacouault) et les plus hautes fonctions dans tous les
domaines, même le secteur féminisé de l’enseignement [toutes disciplines confondues, chiffres 2004 :
15 % seulement de femmes Professeures des universités et 37 % de Maîtresses de conférences] .
109
D’autres métaphores sont signifiantes : la notion de « sol de plomb » fait allusion aux
situations de précarité-médiocrité que les femmes parviennent plus difficilement à quitter ; le
phénomène dit de « l’entonnoir » qui évoque la déperdition croissante à mesure que l’on
s’élève dans la hiérarchie caractérise par exemple l’érosion du nombre des étudiantes,
bachelières plus nombreuses au départ mais qui s’évaporent au fur et à mesure des cycles de
l’enseignement supérieur.
QUEER : (litt « bizarre » =transgression du sexe biologique et social par la mise en scène
du corps, vêtements, modifications physiques, gestuelle et créativité « transgenres »).
Mouvement polymorphe dit postféministe dénonçant le concept de la femme comme sujet du
féminisme historique face à celui d’un éternel masculin et luttant contre certaines dérives
jugées trop normalisantes des gender, gay et lesbian Studies.(terme utilisé en 1990 par Teresa
de LAURETIS in Differences ; voir aussi post Judith BUTLER dans Gender trouble, 1990
[entendre : le genre est trouble, innombrable et non pas double, binaire]). Le mouvement
queer « parodique du donné sexué déterminé » propose « une indécidabilité sexuée » comme
« instance critique, alternative à la loi phallique du tout » et il entre en résonance en Europe
avec le déconstructionnisme ou recontructionnisme, critique philosophique du structuralisme
inaugurée par Michel Foucault et élaboré par Barthes, Deleuze, Derrida (d’après la philosophe
Françoise COLLIN, Revue Contretemps, mai 2003).
L’on peut citer les expressions signifiantes de philosophes du postmodernisme « la pensée
nomade » (BRAIDOTTI, 1985) , une politique des déplacements plutôt que des affrontements
ou le vocable de « differrance-différance » (DERRIDA, 1992), le sexe n’étant pas
substantifiable, ni « un », ni « deux », ni « masculin », ni « féminin » stricto sensu mais « un
mouvement de différer ». L’arrachement à la logique binaire aboutit à une alternative, à une
troisième voie non figée. Il participe au phénomène social et idéologique de brouillage du
genre entendu au sens binaire et hiérarchisé et sert indirectement la promotion du concept de
personne, la notion d’épanouissement du sujet, indépendamment du sexe civil.
RAPPORT DE MASCULINITE : dit encore rapport des sexes ou taux de masculinité. C’est
le rapport démographique indiquant le nombre de naissances masculines pour 100 naissances
féminines. En Chine, il est de 119-100 (5ème recensement général de la population 2002), dû à
la pratique de l’échographie à fins d’avortement sélectif et à la préférence pour l’enfant mâle.
Les « naissances manquantes » des années 1980-2010 vont impliquer le célibat forcé et des
conséquences psychosociologiques. En 1994 la loi « interdit la sélection du fœtus par le
sexe ». De même en Inde « la loi sur les techniques de diagnostic prénatal » (en vigueur
depuis 1988 dans l’état du Maharashtra) étend l’interdiction à l’ensemble du
territoire.(Courrier international n° 727, octobre 2004).
110
ROLES DE SEXE : chaque personne est invitée par la pression sociale à obéir, en fonction de
normes collectives déclarées ou inconscientes [ ce que le philosophe Cornélius Castoriadis
nomme la signification imaginaire sociale dans L’institution imaginaire de la société, Seuil,
1975], à des règles physiques et mentales, d’apparences et de comportements qui sont
différentes selon le sexe et qui investissent la vie privée et publique. Les rôles de sexe varient
en fonction de l’espace géographique et de la période historique. « Ils définissent donc les
modèles de la masculinité et de la féminité dans une culture donnée et aussi les rôles sociaux
et activités réservés à l’un et l’autre sexe » (d’après Françoise Vouillot et Cendrine Marro,
L’orientation scolaire et professionnelle, vol 31 n°4).
SCOLARISATION des filles et des garçons : Antoine Prost (1986) a identifié le phénomène
dit d’inversion : l’état napoléonien forme des élites de garçons et les fils du peuple ont accès à
l’instruction plus tardivement soit un mouvement du haut vers le bas. L’histoire des scolarités
féminines suit un mouvement inverse : du bas vers le haut. « Le droit d’accès des filles à
l’éducation part de la base et le retard de scolarisation est d’autant plus important que le
niveau d’éducation est élevé et à visée plus professionnelle que générale ».
L’on peut se référer à l’ouvrage générique de Françoise et Claude Lelièvre « Histoire de la
scolarisation des filles », Nathan, 1991.
D’après Catherine Marry ( « Les femmes ingénieurs », 2004, pages 30-42), la scolarisation
des filles est une révolution silencieuse qui se réalise sans but égalitaire explicite voire dans le
contexte d’une visée politique de maintien de l’ordre patriarcal des sexes : ce sont les femmes
qui œuvrent dans le sens de leur émancipation personnelle puis professionnelle.
La scolarisation des filles est l’histoire d’un décalage dans le temps : de plusieurs décennies
pour le primaire (loi Guizot, 1833 et loi Victor Duruy, 1867) car la loi Falloux qui proclame
l’école « obligatoire » pour les filles ne concerne que les communes de plus de 8OO ha ;
décalage de presqu’un siècle pour le secondaire entre les lycées de garçons napoléoniens et
l’action de Camille See en faveur des filles (1880-82, création du premier lycée de filles,
lycée Clemenceau à Montpellier, malgré l’opposition véhémente de catholiques) ; décalage
de près de 2 siècles pour les Grandes Ecoles (Polytechnique / garçons date de l’ancien régime
et Polytechnique / Filles de 1925) L’ENA est mixte dès sa création en 1945 mais les filles
n’accèdent à la mixité dans la plupart des Grandes Ecoles qu’à la faveur des années 1970.
Enfin la scolarisation des filles en France n’est pas compréhensible à qui n’intègre pas le fait
que les programmes des filles au Baccalauréat ne sont alignés sur ceux des garçons que très
tardivement, par le décret Bérard en 1924 : difficile de ne pas considérer qu’il s’agit là de
résistances sociétales fortes marquées par un élément masculiniste. Le phénomène dit de
rattrapage est nettement daté : c’est en 1972 que le nombre des bachelières dépasse le
nombre des bacheliers.
111
SEXISME : nom masculin apparu vers 1960 (Larousse lexis) ; le terme est ajouté au Petit
Robert en 1978 (d’après la préface de Simone de Beauvoir au livre Le sexisme ordinaire, Le
Seuil, p7). Il est utilisé stricto sensu pour qualifier une attitude ou situation de domination
masculine, discriminatoire à l’égard des femmes.
STEREOTYPE : terme issu de l’imprimerie, le stéréotype est l’image qui, à partir d’un
ensemble de caractères fixes, permet de répéter l’impression. La première utilisation pour
« les images cérébrales » remonte à 1922 sous la plume du journaliste Walter Lippman in
Public opinion. Les stéréotypes constituent un ensemble de représentations inconscientes ou
de croyances (et non de connaissances) qui parasitent la réflexion (induisant les préjugés) et
les comportements (outils au service du-des groupe-s dominant-s) car ils induisent des scripts
descriptifs pseudo-cognitifs et même prescriptifs . La recherche contemporaine s’applique à
faire ressortir comment l’école joue un rôle important dans la transmission des stéréotypes de
sexe, d’où la nécessaire conscientisation de ses acteurs (d’après Jeanne Fine et Jean-Paul
Filiod dans « Ecole et mixités », introduction de Annik Houel, PUL, 2001). Les stéréotypes
tels qu’analysés dans Sciences humaines (revue) n°139, juin 2003 sous l’angle de
l’élaboration et de la transmission deviennent des leviers de résistances sociétales qu’il faut
réduire et modifier par des méthodes appropriées : outils a contrario pour les formateurs,
enseignants et éducateurs.
SUFFRAGETTE : emprunt à l’anglais. Le mot est inventé en Grande Bretagne en 1906 pour
désigner, péjorativement, les militantes du droit de vote féminin (qui se radicalisent au
tournant du siècle).
112
relayée par les femmes elles-mêmes. Elle interroge aussi la fonction féminine de
reproduction, susceptible d’une instrumentalisation : représentée dans l’imaginaire social en
tant qu’outil technique, sous l’angle de l’emprise masculine possible.
L’article de Michelle Perrot (1983) « Femmes et machinismes au XIXème » questionne aussi
les formes symboliques et matérielles des rapports de sexe. Une partie de la sociologie et de
l’histoire des techniques actuelles [imaginaire de la mondialisation des transports, de la conquête de
l’espace] reprend cette idée d’une mâle dominance assise sur une maîtrise des artefacts
(Lerman, Mohun et Oldenziel, 1997)
Nombre de chercheurs concluent sur une construction mutuelle des techniques et du genre.
Une partie de la sociologie des techniques marquée par la sociologie des sciences concerne les
rapports de sexe. Il s’agit des deux tendances qualifiées de constructivistes : le programme
SCOT, Social construction of technology (Bijker et Pinch, 1989) et la théorie dite de l’acteur-
réseau (Michel Callon, 1989) qui analysent comment le social et le technique se construisent
conjointement.
En matière de constructions des identités de genre, on peut citer Wajcman (1991) « Le
manque de compétence technique des femmes devient réellement partie intégrante de
l’identité de genre féminine, en même temps qu’il est un stéréotype de genre ».
Berner (1997) étudie la culture technique masculine dans les écoles d’ingénieurs [ dont la mise à
l’épreuve physique de soi et la confrontation aux machines] et comment elle devient un élément quasi-
constitutif de l’identité masculine.
Dans toute société visant une réduction des inégalités de genre, il y a donc nécessité de
conscientiser les liens qui unissent techniques et genre.
TRICOTEUSE : mot datant de la Révolution ; femme qui assiste en tricotant aux débats
masculins des séances des Assemblées. Par extension, terme péjoratif évoquant une femme
aux opinions révolutionnaires (ou progressistes).
113
VAGUES : l’historiographie récente amène désormais à nuancer la vision métaphorique des
trois vagues de l’histoire traditionnelle des luttes féminines : la 1ère vague des suffragettes
axée sur le vote et la visibilité, la 2de dans les années 70 visant l’autonomie du sujet et
l’émancipation sexuelle, enfin la troisième contemporaine (d’après Françoise Thébaud dans
« le siècle des féminismes » p 38 qui se réfère aux travaux sur l’entre-deux-guerres [de
Christine Bard ] Participe de cette vision plus nuancée, la métaphore géologique de Karen
Offen = mouvement de fond permanent avec ses éruptions et ses trêves : il y a sans doute plus
de continuité d’une vague à l’autre que les oublis de la mémoire le laissent croire, à savoir des
temps forts et des reflux.
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Des outils de Formation
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