Psychomotricit PDF
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Psychomotricit PDF
Autres ouvrages :
sous la direction de
André CALZA
Psychanalyste, psychomotricien, psychologue,
hôpital Lenval, Nice
Maurice CONTANT
Psychologue clinicien, psychomotricien,
I.E.P.S., Saint-Jeannet,
hôpital Lenval, Nice
3e édition
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DANGER pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine
universitaire, le développement massif du «photocopillage».
Cette pratique qui s’est généralisée, notamment dans les
établissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des
achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs
de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement
est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans
LE autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites.
* Dans le cadre de cet ouvrage, tous nos collaborateurs ont une expérience
clinique de psychomotricien et ont participé à l’évolution de la recherche en
psychomotricité.
PROLOGUE
du temps, qui, cependant, perd tout son intérêt dès lors qu’elle ne s’ins-
crit pas dans la dimension relationnelle. La seconde conception tient
compte de la relation transférentielle, mais néglige la dimension de
l’espace et du temps en la réduisant à des contenus symboliques.
L’espace et le temps se trouvent ainsi occultés des rythmes biologiques
qui scandent les premiers échanges mère-enfant dans une double circu-
larité d’échanges corporels. De manière générale, plus qu’un pare-exci-
tation, la mère joue, pour le nourrisson, le rôle de synchronisateur de
plusieurs rythmes, permettant à ceux-ci de s’accorder et de s’harmoni-
ser. Il est question de genèse de la fonction en deçà de l’étayage du psy-
chique sur le biologique, période à laquelle pourrait se rattacher
l’origine des troubles instrumentaux.
Puisse cet ouvrage répondre aux interrogations que la psychomotri-
cité soulève depuis de nombreuses années. Le choix des auteurs et col-
laborateurs de cet abrégé devrait y contribuer, la qualité de leurs écrits
en atteste. Ils ont été sollicités en raison de l’intérêt que représente pour
la thérapie psychomotrice leur grande expérience clinique et leur
réflexion théorique affirmée. L’ambition de ce livre réside dans la dou-
ble perspective qui consiste à apporter quelques éléments de réponses,
à l’intérieur d’un domaine de recherches qui pour rester ouvert doit
rebondir vers d’autres questionnements.
Il s’agit bien là d’une opposition dialectique entre le positif et le néga-
tif, conditions nécessaires pour penser le corps, et la psychomotricité.
1
Eléments d’histoire et
d’épistémologie
Généralités sur l’investigation
et la thérapie psychomotrice
A. CALZA, M. CONTANT, O. MOYANO
Les précurseurs
Le concept de psychomotricité était apparu au début du siècle der-
nier, avec les découvertes fondamentales des neurophysiologistes
(K. Wernicke, C.S. Sherrington, etc.). Tout en conservant un ancrage
dans la neurobiologie, la psychomotricité allait bénéficier de l’apport
des éléments fournis par les travaux intéressant la psychologie généti-
que (J. Piaget, A. Gesell), et surtout pouvoir étendre ses recherches
grâce à la contribution capitale d’Henri Wallon.
Les travaux d’H. Wallon, personnalité marquante de la psychologie
française, sont à l’origine de la psychomotricité par les perspectives
qu’il a ouvertes, tant à travers ses recherches sur l’évolution psycholo-
gique de l’enfant, qu’en raison de l’importance qu’il a accordée aux
émotions et aux tonus dans le développement et l’accès à la communi-
cation chez l’enfant. De nombreux auteurs, tels que J. de Ajuriaguerra,
se sont d’ailleurs inspirés de ses travaux.
Les continuateurs
Les travaux de J. de Ajuriaguerra et de son équipe viendront ensuite
compléter et élargir les bases de la notion de psychomotricité en y inté-
grant différents apports, tant du domaine de la neurophysiologie que de
celui de la psychanalyse. J. de Ajuriaguerra propose une nouvelle défi-
nition du trouble psychomoteur : « Les syndromes psychomoteurs ne
répondent pas à une lésion en foyer donnant des syndromes neurologi-
ques classiques ; ils sont plus ou moins activés, plus ou moins subis,
plus ou moins voulus, liés aux affects mais attachés au soma par leur
fluence à travers la voie finale commune, ils ne présentent pas pour cela
uniquement des caractéristiques du dérèglement d’un système défini. »
(Ajuriaguerra et Bonvalet-Soubiran, 1960).
Cette perspective ouverte par J. de Ajuriaguerra va susciter chez les psy-
chomotriciens un intérêt toujours plus vif pour la psychanalyse. Ajoutons
qu’en même temps, le somatotropisme des psychothérapeutes va aussi ali-
menter de multiples confusions entre les champs de compétences respectifs.
Tout d’abord, il faut se demander quelle est la place du corps dans la
psychanalyse : on en soulignera l’importance dans sa genèse. S. Freud a
besoin du corps pour parler du fonctionnement psychique de l’inconscient.
Le corps réel, symbolisé dans la première théorie des pulsions par les
besoins du corps biologique, s’estompe peu à peu pour faire place à la
libido, tandis que parallèlement le moi devient métaphore du corps.
« Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement une
entité de surface, mais il est lui-même la projection d’une surface.3 »
P. Fédida précise, quant à lui, que le moi est « une entité toute en sur-
face, une projection du corps » (Fédida, 1977, pp. 19 37). F. Gantheret
indique : « Cette projection marque une distance ; dérivation : un che-
min et une transformation de l’un à l’autre — du biologique au psychi-
que, du corps réel au corps dans le fantasme. Cette élaboration, il me
semble que c’est celle du symbole. » (Gantheret, 1971, pp. 135-146).
3. FREUD S., Le Moi et le Ça, cité par Sami-Ali (1984), p. 139, note 3.
Éléments d’histoire et d’épistémologie 5
P. Fédida remarque aussi que « le corps est ce par quoi le moi peut
exister comme effet : le moi est alors entité du corps », et il ajoute : « Là
où le moi veut désigner le corps, n’existe en fait qu’un jeu d’apparences
qui participent d’une existence imaginaire (fantasmatique), renvoyant
au sens inconscient. » (Fédida, 1977).
Pour les psychanalystes, par conséquent, le corps se définit relative-
ment au désir inconscient et aux fantasmes qu’il détermine. Pourtant, « la
psychanalyse, en semblant ne pas s’intéresser au corps, a bien (…) été
perçue par les contemporains de Freud comme une menace portant sur
l’institution du corps (dissimulée dans le concept d’organisme ou celui de
personnalité) et comme le risque de lui donner droit d’exister » (Fédida,
op. cit.). Dans la pratique psychanalytique, le corps n’est pas traité direc-
tement. Le patient ne présente pas son corps malade à un praticien qui ten-
tera de faire disparaître la douleur et les symptômes qui s’y rattachent.
Le symptôme corporel est, pour S. Freud, « le substitut d’un conflit
inconscient qui est lui-même de l’ordre de la représentation d’un discours;
(…) il est traité comme un élément du discours » (Pagès, 1982). Le seul
corps qui peut donc entrer en relation avec le praticien est le corps imagi-
naire, corps représenté par le discours. « Le corps est alors l’effet d’une
élaboration secondaire et c’est ce qui fait que la psychanalyse ne peut s’en
soucier sans le traiter comme le contenu manifeste d’un rêve » (Gantheret,
1971). Le corps devient dès lors l’objet d’un décodage.
F. Gantheret (op. cit.) observe que « dans la clinique, comme dans la
théorie, nous sommes amenés à considérer que le champ psychanalyti-
que s’établit dans une coupure qui laisse à l’un de ses bords le corps
biologique, pour en assurer de l’autre côté la reprise dans un langage,
dans un système de signes. »
Il nous faut préciser, sur les traces de J. P. Valabrega4, que la distinc-
tion primordiale pour la psychanalyse « entre corps anatomique ou ana-
tomophysiologique et corps fantasmatique, bien qu’elle apparût déjà
indispensable dans les études sur l’hystérie, n’a pourtant jamais reçu un
statut théorico-clinique suffisamment précis et solide. »
Mais surtout, cet auteur constate : « A-t-on suffisamment souligné
déjà que tout le problème de fonctions et significations du corps en psy-
chanalyse provient de l’hystérie et y fait nécessairement retour? ».
Pour la psychanalyse freudienne, cette situation de l’hystérie est un
fait capital aussi bien dans les implications théoriques que cliniques et
métapsychologiques qui en découleront.
J.-P. Valabrega insiste donc sur ce qui nous semble fondamental :
« L’hystérie, assurément, est l’observation princeps, mais en deux sens :
1870 NEUROLOGIE
LANDOIS
(Centres psychomoteurs)
1909 NEUROPSYCHIATRIE
INFANTILE
PSYCHIATRIE
«Charte de 1960»
1960
1980
L’INVESTIGATION PSYCHOMOTRICE5
tion, puisqu’il existe des cas mixtes pour lesquels nous avons à donner
un avis tant pour l’observation que pour une éventuelle prise en charge.
En tant que pratique spécifique portant sur le corps, la thérapie psy-
chomotrice que nous définissons par ailleurs se doit d’en rester au
niveau des données fournies par l’examen psychomoteur. La première
rencontre entre sujet et thérapeute doit donc permettre au sujet de con-
naître implicitement ou explicitement le champ sur lequel il va pouvoir
s’engager avec le thérapeute. En effet, celui-ci, par son écoute et son
implication active, est amené à préciser au sujet ses possibilités d’inves-
tigation en même temps que ses limites. Car, en fait, il va s’agir d’une
réciprocité d’échanges dans une interaction patient-thérapeute, tout en
n’oubliant pas de considérer que l’une des parties — plaignante —
requiert l’aide de l’autre. Nous écartons le terme de « bilan » qui nous
paraît faire référence à une expertise des retards dont le sujet est censé
être porteur, ce qui renvoie inévitablement à une dimension de rattra-
page et donc, exclusivement, à une rééducation qui ne pourrait tenir
compte du sens pris par le symptôme corporel dans l’histoire du sujet.
Cependant, en tant que spécialiste, le psychomotricien se doit d’ouvrir le
questionnement du sujet par rapport à une incapacité de celui-ci qui le
rend « demandeur », suscite une « demande » de la part de son entou-
rage. L’examen psychomoteur semble, par conséquent, être le lieu privi-
légié pour travailler cette « demande », inscrite dans « l’itinéraire » du
sujet, un cheminement qu’il est nécessaire d’approfondir avec lui, de
façon que sa présence puisse prendre un sens autant pour lui que pour
son entourage. La thérapie, elle-même, ne peut recevoir sa pleine
signification que parce qu’il y a projet et désir à son égard, et ce, simul-
tanément à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle de psychomotri-
cité. Le sujet a ainsi la faculté de se déterminer en fonction des désirs des
uns et des autres. Cet examen psychomoteur reposant essentiellement
sur une interaction, c’est-à-dire en prenant compte des échanges émo-
tionnels, ne peut donc prétendre à une dimension objective. Il ne peut,
de ce fait, être considéré ni comme un bilan ni comme une expertise, ce
qui n’empêche pas qu’il soit nécessaire d’y inclure des éléments
d’objectivation dans la relation à l’autre, éléments qui constitueront
d’indispensables repères au démarrage d’une thérapie.
Le symptôme ou son expression physique prend ainsi une place
importante, car il apparaît comme le véhicule d’un mal-être réel dans
l’ici et le maintenant. C’est autour de lui que va pouvoir s’établir une
dialectique entre le corps réel, porteur du symptôme, et le corps imagi-
naire signifié de l’histoire corporelle du sujet. C’est autour du symp-
tôme que va pouvoir se déterminer le type de prise en charge, le projet
thérapeutique. C’est par sa présence, sa mise au jour, que la référence
au social va s’établir. De même qu’à l’extérieur, il joue le rôle de déno-
14 Éléments d’histoire et d’épistémologie
Méthodologie
Elle s’appuie sur trois éléments fondamentaux à l’articulation du
corps réel et du corps imaginaire : la problématique du visage, le rêve
et ses équivalents, ainsi que les maladies organiques passées ou présen-
tes, afin de saisir la variabilité symptomatique qui permettra d’articuler
les troubles psychomoteurs au champ des psychonévroses ou aux
phénomènes de somatisation non hystérique. Examinons maintenant
ces différents points fondamentaux :
Somatisations et psychomotricité
l’unité (M. Contant, A. Calza, 1989). En fait, cette unité ne peut être
obtenue que grâce à une conception qui puisse englober à la fois la
diversité des phénomènes observés et les ramener à des coordonnées
maniables. Par conséquent, pour parvenir à établir l’unité d’une patho-
logie observée sous ses différents aspects, il est nécessaire de rattacher
troubles instrumentaux et troubles névrotiques à la notion plus générale
de structuration de l’espace et du temps.
En évitant d’isoler aspect névrotique et aspect instrumental, et en exa-
minant comment cet ensemble de troubles s’inscrit dans une structura-
tion de l’espace et du temps, autrement dit, en prenant l’espace et le
temps comme coordonnées fondamentales de l’investigation, on pourra
réussir à obtenir une certaine vision unitaire de son fonctionnement.
Partant, on peut multiplier les variables entrant dans le champ de
l’investigation et donc arriver à comprendre de quel genre de pathologie
il s’agit : a-t-on, par exemple, affaire à une pathologie de l’échec du
refoulement ou, au contraire, à celle du refoulement réussi? Les acquisi-
tions spatio-temporelles ne sont-elles pas, en fait, une sorte de placage
masquant l’impossibilité d’accéder à la vie onirique ? On s’efforcera
également d’établir une coordination avec les maladies organiques que
l’on peut constater lors de l’examen du patient — allergie ou non — en
conservant naturellement les mêmes critères d’observation.
Une prise en charge séparée, segmentée, aboutit, si l’on ne tient pas
compte de cette unité psychosomatique et que l’on se contente de noter
l’ensemble des symptômes, à un « polydualisme », autrement dit à la
fragmentation d’un problème qui ne pourra donc trouver de solution,
puisque celle-ci ne dépend pas de la multiplication des interventions,
mais qu’elle tend au contraire à percevoir l’unité à travers cette multipli-
cation. Il faut déplorer que les psychanalystes ne s’intéressent que peu
ou prou à la question de l’espace et du temps, sinon pour relever qu’il
s’agit de contenus symboliques. Sami-Ali est le premier à avoir mis en
évidence l’importance de cette notion d’espace-temps pour l’investiga-
tion et notamment lorsqu’elle concerne l’investigation psychosomati-
que, parce qu’elle permet d’établir une coordination des phénomènes
relevant des différents champs d’observation et de parvenir de ce fait à
une vue plus sûre de l’ensemble des fonctions. On s’attache également à
bien distinguer une fonction constituée d’une fonction en voie de cons-
titution — la première rendant possible un symptôme névrotique corres-
pondant par définition à l’inhibition d’une activité psychomotrice
achevée quant à son étayage neurophysiologique, et la seconde dési-
gnant la genèse malaisée de cette même activité.
Les troubles psychomoteurs s’observent aussi bien dans les psycho-
névroses que dans la pathologie de l’adaptation.
Praxis psychomotrices 21
PRAXIS PSYCHOMOTRICES
6. Olivier MOYANO.
22 Éléments d’histoire et d’épistémologie
coup. Pour l’un, il élabora à travers les dires d’un parent — le petit Hans
—, et pour l’autre — le Président Schreber —, le modèle de la paranoïa
émergea d’une réflexion sur les écrits de Schreber lui-même).
Le sujet névrotique, dans le dispositif artificiel de la cure, « fabriquait »
sa névrose de transfert en actualisant sur la personne de l’analyste des
conflits inconscients, des contenus psychiques refoulés, des fantasmes et
scénarios imaginaires, des affects… le transfert était présent.
Lorsque nous, psychomotriciens, nous employons le terme de trans-
fert, c’est que nous le rattachons, consciemment ou non, à ce fonction-
nement. Le postulat de base étant, donc, qu’un transfert de contenus
psychiques s’établit. Selon la psychopathologie du patient ce postulat
sera aménagé : on parlera volontiers de transfert psychotique, de rela-
tion à caractère transférentiel, d’aspect transférentiel, de transfert litté-
ral, mais quelles que soient les variations autour du thème, ce qui
semble immuable, c’est que dans tous les cas considérés un transfert
s’installe, la magie de la thérapie opère, et c’est au sein de cette magie
que le psychomotricien devrait agir.
Mais en sommes-nous bien sûrs? Et si, en psychomotricité, il s’agis-
sait plutôt de tout autre chose ? Recevons-nous toujours les mêmes
pathologies ayant le même type de fonctionnement que celles pour les-
quelles la psychanalyse est une indication ? Peut-on, finalement, appli-
quer le modèle et la technique freudienne pour des pathologies qui
n’ont pas contribué à son élaboration?
Si non, comment considérer le cadre thérapeutique et la valeur des
troubles psychomoteurs, quel sera le statut du transfert dans ces autres
cas de figure?
En guise de conclusion
Nous avons scindé notre présentation en deux parties. Si nous con-
sidérons en premier lieu les troubles psychomoteurs en regard de leur
inscription dans la perspective psychopathologique, nous constatons
que leur valeur n’a aucune commune mesure avec le symptôme psy-
chonévrotique. En résumé, la portée sexuelle ou présexuelle du trou-
ble psychomoteur n’est pas démontrée. En conséquence, le trouble
psychomoteur ne constitue pas une adresse à l’autre à travers un corps
donné d’emblée comme symbolique et fantasmatique. En vertu de ce
constat, le transfert (entendu dans son contexte historique et concep-
tuel le plus strict) ne peut pas être présenté comme un outil cohérent
et logique dans l’abord thérapeutique du trouble psychomoteur. Le
transfert nous semble un « concept nomade » (Anzieu, 1990) à l’égard
duquel les psychomotriciens doivent se montrer des plus humbles et
lucides, avertis, bien sûr, mais professionnellement prudents quant à
la revendication de ce concept comme d’un outil thérapeutique allant
de soi.
En deuxième lieu, il est vrai que l’on peut inclure certains troubles
psychomoteurs comme faisant partie d’un tout regroupant la défaillance
précoce du contenant psychique, sa défaillance dans le processus pro-
gressif de différenciation soi/non-soi, ou un défaut de symbolisation du
processus même qui s’origine dans l’activité corporelle. État limite par
excellence, quand les limites de soi et d’autrui ne sont pas définies,
venant grever le fonctionnement narcissique lui-même et plus tard la
capacité de se représenter, par défaut d’appropriation de soi (Berger,
1996). Dans ce cadre, définir la relation revient aussi à la définir comme
une relation d’implication. Dans cette relation le thérapeute en psycho-
motricité sera situé plutôt du côté du moi-auxilliaire que du sur-moi. La
relation avec le patient devient horizontale et non plus verticale, à type
34 Éléments d’histoire et d’épistémologie
Processus thérapeutique7
La clinique met avant tout en évidence l’existence d’un point com-
mun à la plupart des cas qu’on a orientés vers la thérapie psychomo-
trice, orientation intervenant généralement à l’instigation de médecins,
psychologues, psychothérapeutes, instituteurs ou spécialistes divers,
soit en raison de leurs convictions personnelles, soit par suite du désis-
tement d’autres catégories de thérapeutes précédemment consultés.
L’examen des cas ainsi présentés concernant les troubles instrumen-
taux, qu’il s’agisse de troubles moteurs, caractériels, hyperkinétiques,
spatio-temporels ou de dysharmonies graves, et autres, fait ressortir une
quasi « absence » de la fonction imaginaire. Les sujets examinés
paraissent coupés de toute forme de représentation, de symbolisation.
Ils sont caractérisés par un intérêt pour l’agi, l’immédiateté des échan-
ges. Dans cette problématique, on doit donc s’attacher à repérer de
quelle façon la dialectique s’est bloquée entre l’utilisation du corps et
la construction de l’espace.
Chez les enfants, on observe a priori une incapacité à s’impliquer
dans le champ ludique. On a l’impression qu’ils sont à même d’y accé-
der sans pourtant pouvoir jamais y parvenir. L’intervention de l’adulte
ne fait qu’aggraver cet état de choses, car il se produit alors un « effet
parasite », tandis que de prime abord, on serait tenté de croire que
l’adulte est invité à participer à cette activité ludique. Le peu d’intérêt
manifesté par ces enfants pour le dessin et la pauvreté de leurs réalisa-
tions, semblent procéder du même type de difficultés.
Au niveau du corps, ce qui ressort, c’est la maladresse, avec des
gestes impulsifs ou très lents, un dysfonctionnement tonique, une
motricité fine ou globale désadaptée, cependant que les perceptions
spatio-temporelles présentent des lacunes considérables. Les repères
spatiaux sont confondus au niveau du vécu. Les passages explosifs à
l’acte ou les inhibitions intenses proviennent d’une absence de pro-
jection qui, ne permettant pas la délimitation claire d’un au-dedans et
Illustration clinique
(En fait, ce qu’il ne supporte pas, c’est de voir l’ensemble de l’équipe soignante
adopter une conduite unitaire à son égard pour ce qui concerne les sorties, visites, etc. :
« Qu’est-ce que c’est que cette équipe, ils sont tous d’accord » — ce qui contraste avec
ce qui se passe chez lui.)
Au sujet du placement temporaire de Yann, le père nie ses actes de violence, en dépit
de la décision du juge : « soi-disant que le gosse était martyrisé. (…) Je n’ai pas tapé, il est
trop faible, et puis, si je veux, je n’ai pas besoin du juge pour lui donner des baffes ».
De son séjour précédent à la maison de l’enfance, Yann ne verbalise que des vécus
d’agression : « Il y a un copain qui met du parfum dans ma chambre… après, je tousse
et je fais une crise », « Quand ils reviennent du sport avec de la poussière, ils se
secouent près de moi. »
Au cours de l’hospitalisation de Yann en psychiatrie, le projet qui émerge est de faire
se briser le cercle vicieux de l’angoisse dans la relation de Yann à ses parents et dans celle
qui englobe la maison de l’enfance. Le discours que Yann prononce sur sa mère est très
agressif : parlant du regard, il dit se sentir observé par sa mère lorsqu’il regarde la télévi-
sion et sentir ce regard « méchant » qu’elle porte sur lui. Plus tard, à propos du visage, il dit
qu’il ressemble à sa mère, puis, se ravisant, il fait porter sa ressemblance sur plusieurs
personnes successivement, signifiant par là l’identité de tous les visages.
La prise en charge psychomotrice a été décidée en synthèse, à partir de tensions
corporelles repérées à l’examen en liaison avec les crises d’asthme. L’organisation de
l’espace est déficiente. La chronologie de l’histoire de Yann reste des plus floue. Il ne
parvient pas à réorganiser la succession de ses divers placements. Le discours est banal,
uniquement axé sur des faits concrets de la vie quotidienne dans le service.
Il n’arrive pas à parler de son vécu, ce qui se confirme à travers les séances de relaxa-
tion qu’on lui propose. L’expression de ce vécu est pauvre et répétitive. Les dessins du
corps qu’on lui fait exécuter demeurent identiques d’une séance à l’autre. Pour tenter de
contrecarrer cette pauvreté de l’imaginaire, il lui est proposé un travail avec la vidéo : les
séances seront filmées et l’exercice sera ensuite discuté. Ce projet l’intéresse.
Yann vit dans un état d’indifférenciation totale par rapport aux gens, ce qui se
répercute même au niveau de son propre corps : il ne parvient pas, en position allongée,
à différencier les parties de son corps en contact avec le sol de celles qui ne le sont pas.
Le travail consiste alors à lui faire prendre conscience de ces différenciations, grâce au
contact des mains sur les parties du corps qui ne touchent pas le sol. La séance se pour-
suit alors par une relaxation plus classique : il lui est proposé un travail sur l’imaginaire
à travers la respiration dedans-dehors. La peau étant considérée comme zone frontière,
limite entre les deux, Yann se trouve à ce moment mis en difficulté et, se redressant,
demande d’arrêter la séance, car, dit-il, il a très mal aux yeux avec les yeux fermés, et il
veut retourner dans le service (alors que la salle de psychomotricité se trouve à l’inté-
rieur même du service, mais elle est vécue par lui à cet instant comme extérieure). Lors
de la séance suivante, il pourra parler de ce qu’il avait alors ressenti et dit au thérapeute :
« C’est quand vous avez parlé de la peau que ça a été difficile ».
Aux séances suivantes, le thérapeute lui propose de continuer ce travail, en l’enve-
loppant dans un drap constituant une seconde peau protectrice. C’est alors qu’apparaît
pour Yann une série de rêves (jusqu’à ce moment, il ne rêvait pas) qu’il désigne comme
des cauchemars. Il raconte : « J’étais mort d’un accident (…) on m’a mis dans un
cercueil. (…) J’avais un accident de voiture, je tapais dans un camion-citerne de gaz
qui s’enflammait et j’étais défiguré (…) on me mettait dans un cercueil avec un petit
coussin dans le dos, et on me mettait dans la terre. Il y avait mes parents, mes frères, ma
sœur, mes copains, toute la famille. Ils faisaient la prière (…) ». À propos du rêve, Yann
Praxis psychomotrices 39
précisera qu’il y assistait, comme si c’était dans un miroir. La séance suivante amène
quelques modifications au déroulement du rêve : à la suite du même accident de voiture,
l’ambulance le transporte défiguré, mais vivant, et le conduit à l’hôpital. C’est là que
viennent le voir sa femme et ses enfants.
Plusieurs séances vont être consacrées à ces rêves ou équivalents de rêves, laissant
apparaître un récit qui se modifie par rapport au premier rêve. Yann semble moins inquiet
que lors du premier rêve, mais il commence son récit par : « C’est pareil que la dernière
fois ». Effectivement, l’axe du rêve reste l’accident, mais des modifications sont appor-
tées à la narration : par exemple, Yann est transporté à l’hôpital, on lui bande la tête, et sa
famille lui rend visite à l’hôpital (sa « femme », ses « enfants », un « copain »…).
Un autre rêve fait ensuite son apparition : celui de la « relaxation », au cours duquel il
s’abandonne au risque de ne plus se réveiller, au moment où le thérapeute lui propose, à la
fin de la séance, d’ouvrir les yeux. Il rêve qu’il ne se réveille pas, que le thérapeute appelle
le surveillant qui va le transporter dans un autre service dans lequel il se réveille enfin.
Dès ce moment, les crises d’asthme vont cesser, mais Yann va passer d’un compor-
tement affable à un comportement tout à fait différent : « Il est enquiquinant » disent les
infirmiers. En fait, il devient agressif, gifle les plus petits, entre en conflit avec les
adultes sur le plan verbal, et même refusera de continuer le travail en relaxation, en
disant : « Je me soigne seul maintenant ! ».
Cette série d’échanges permettra, à travers l’expression d’un vécu souvent axé sur
l’agressivité, de constater que Yann, contrairement à ce qui avait été observé au cours
des séances précédant la série de rêves, a de nouveau accès au corps imaginaire, et qu’il
s’investit dans ce travail où il faut imaginer la position qu’on lui indique, qu’il associe à
une représentation, et qu’en retour, il donne au thérapeute une position toujours sous-
tendue par une représentation.
Le cas de Yann, adolescent asthmatique, est caractéristique de la
structure allergique en plusieurs points. Ainsi, la problématique du
visage apparaît de façon très nette dans l’attitude qu’il adopte à l’égard
de tous : il ne marque aucune distance, s’adresse aux diverses person-
nes du service sans marquer la moindre distance, ce qui est typique de
la relation allergique, laquelle, sous un aspect « très sociable » et « très
adapté », est le signe d’une absence de réactivité à l’étranger, dont l’ori-
gine est l’absence d’angoisse du huitième mois devant l’étranger. Yann
essayera d’adopter différents visages pour y parvenir.
40 Éléments d’histoire et d’épistémologie
Contre-transfert et transitionnalité9
ce n’est que dans un deuxième temps qu’il va pouvoir faire l’objet d’une
subjectivation dans la mesure où l’enfant peut le formaliser comme un
double identique et narcissique.
Cette étape est fondamentale car elle permet au sujet de continuer à
penser (il s’ouvre au sentiment de continuité de lui-même), à s’identi-
fier dans un jeu de « mêmeté » d’être et de différenciation. À cet égard,
la référence à la paradoxalité et à la transitionnalité dans la perspective
proposée par D.W. Winnicott s’avère indispensable.
L’expérience que fait l’enfant à cet instant de la thérapie s’articule
avec celle de la capacité à être seul en présence d’un autre. Cette pré-
sence-absence continue décrite par D.W. Winnicott permet un détache-
ment sans perte d’attachement.
Phase orale dans laquelle le corps est à la recherche d’un sentiment
d’unité, mais aussi dans laquelle chaque partie du corps peut tour à tour
devenir le tout rassembleur.
Ce qui persiste malgré tout, c’est la dépendance à l’autre, avec peu à
peu une plus grande différenciation, mais qui prend la forme d’une
résistance à l’illusion incontestée jusqu’alors du trouvé-créé.
L’intersubjectif et l’intrapsychique s’entrecroisent selon que l’on est
observateur ou que l’on s’identifie au vécu infantile. Ces deux temps
s’alternent et scandent le travail thérapeutique.
Cette phase orale qui se caractérise par le fait de se sentir uni comme
un tout, de créer l’objet, puis de l’intérioriser et enfin de s’en détacher
se subsume dans l’expérience de détruit-trouvé (l’expérience de la des-
tructivité) qui propulse l’enfant hors du narcissisme primaire. Cette
phase essentielle s’appuie de plus en plus sur la relation à l’autre et
notamment sur l’expérience maintes fois renouvelée de la non-destruc-
tivité de l’objet (le psychomotricien dans son cadre) capable de conte-
nir l’agressivité de l’enfant sans rétorsion ni retrait. Encore faut-il
formuler à l’adresse du sujet des propositions de reconstruction concer-
nant les réalités historiques, y compris des hypothèses motrices, en
incluant tous les canaux de communication.
En pathologie clinique, cette expérimentation doit logiquement per-
mettre à l’enfant de se recentrer et favoriser l’accession du moi-corps
au sentiment de continuité10 de lui-même. La sortie du narcissisme pri-
11. Retournement qui ne porte pas directement sur la pulsion comme dans le
fantasme, mais qui procède par actes, par comportements, et s’apparente à
l’identification projective, à l’externalisation d’une partie de soi : le sujet fait
vivre-sentir à l’objet visé par le comportement, ce qu’il a le sentiment d’avoir
subi et de continuer à subir.
Praxis psychomotrices 45
BIBLIOGRAPHIE
1. Albert CICCONE.
Quelques données pour une représentation de la naissance à la vie psychique 53
• Examen neuromoteur
Il se pratique lorsque le bébé se trouve dans un état optimum d’éveil,
selon les états 2 et 3 définis par H.-F. Prechtl et R. Beintema (1964, 74)
(yeux ouverts, peu de mouvements; yeux ouverts, activité motrice fran-
che, pas de pleurs). Il comprend :
L’examen clinique du crâne. — Il consiste à inspecter la fontanelle
antérieure et les sutures, ainsi qu’à mesurer le périmètre crânien qui,
reporté sur une courbe de croissance céphalique déterminant la norme,
donne des indications sur un développement pathologique
(microcéphalie, hydrocéphalie) ou au contraire normal.
Une appréciation du développement sensoriel. — Elle se fait
autour de la fixation et de la poursuite oculaire, obtenues à partir de
34 semaines d’âge gestationnel, et du réflexe cochléo-palpébral qui
consiste en un clignements des paupières du bébé lorsqu’on tape des
mains à environ 30 cm de son oreille.
L’observation de la posture et des activités motrices
spontanées. — Elle se fait autour :
– du réflexe tonique asymétrique du cou spontané. C’est la posture
dite de l’escrimeur quand l’enfant est couché sur le dos, la tête tournée
de côté, les bras comme un escrimeur. Il est normal les trois premiers
mois, inconstant entre trois et six mois et absent après six mois chez
l’enfant normal;
– de l’hypertonie anormale des extenseurs du cou qui est observable
lorsque le bébé au repos, ne peut rester couché à plat sur le dos sans
qu’il n’y ait un espace libre entre le cou et le plan du lit ;
64 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma
Anomalies Normalisation
PREMIER TRIMESTRE
Hyperexcitabilité
Anomalies du tonus axial 2
(déséquilibre entre extenseurs mois
et fléchisseurs de la tête)
Contrôle de la tête
normal à 3 mois
Hyperexcitabilité
Persistance des réflexes primaires 7
Pas de relaxation du tonus passif mois
des membres inférieurs
Anomalies du tonus axial
Pas de station assise Relaxation MI
(échec en arrière) Station assise normale
Redressement global persistant Apparition des réactions
posturales à une date
normale ou un peu retardée
lance dans lequel celui-ci se trouve. Cette échelle décrit six états qui
reflètent à la fois la vigilance du nourrisson, son niveau d’excitation
motrice et la qualité de son vécu affectif. Il y a ainsi trois niveaux de
sommeil (profond, léger et assoupissement) et trois niveaux d’éveil
(calme, actif et les pleurs-agitation). C’est au cours de l’éveil calme que
le nouveau-né est le plus attentif et réceptif à son environnement.
L’appréciation d’ensemble mettra en lumière la variabilité des états qui
nous renseigne sur les capacités d’autorégulation du nourrisson. Ainsi
l’observation d’un bébé qui se met à se désorganiser (cris, pleurs, agita-
tion) face à des stimuli pénibles sera, dans l’esprit de cette évaluation,
une appréciation de la façon avec laquelle le bébé va tenter de réguler ses
propres états, puis éventuellement de la manière avec laquelle il peut
venir chercher une aide pour être soulagé de ses tensions. Le bébé
bénéficie de sa propre capacité de filtrage qui est appréciée et qui le pro-
tège d’un trop plein d’excitations. Le système nerveux central se déve-
loppe ainsi en mettant en place des mécanismes d’inhibition de
l’excitation motrice ou végétative. Ainsi, le jeune bébé va non seulement
développer une capacité personnelle afin de réguler ses propres rythmes
(alimentaire ou nycthéméral) mais aussi trouver une capacité à s’apaiser
lui-même en portant ses doigts à la bouche et en les suçotant. Nous ver-
rons en quoi dans les parties qui vont suivre on peut lire dès ces premiers
mouvements une amorce de ce que S. Freud avait postulé — à savoir que
le bébé à l’origine ne distingue pas les excitations internes et externes et
que c’est à partir du primat de plaisir érogène de la zone buccale que va
s’organiser une forme de distinction entre objet interne et externe. Nous
pouvons parler « d’évaluation » dans la mesure où il s’agit de distinguer,
à partir de la nature de ses besoins, l’habileté, la qualité avec laquelle il
inscrit sa corporéité au service d’un signe (moteur, neuro-végétatif avec
la coloration de la peau, par les cris ou pleurs etc.) qui devient message
afin d’être reconnu par un extérieur attentif.
Nous citerons simplement les 26 items qui composent cet examen en
demandant aux intéressés de se reporter aux documents plus dévelop-
pés (T.-B. Brazelton, 1983, 61-96) afin de saisir la complexité de cette
évaluation et de trouver les lieux de formation indispensable pour avoir
la rigueur nécessaire à cette passation et transformer l’examen en
« évaluation » tel que nous l’envisageons :
1. Diminution de la réaction à des stimuli visuels répétés.
2. Diminution de la réaction au hochet.
3. Diminution de la réaction à la cloche.
4. Diminution de la réaction au coup d’épingle.
5. Réponse orientée à des stimuli visuels inanimés.
6. Réponse orientée à des stimuli auditifs inanimés.
Clinique psychomotrice du nourrisson 75
• Illustration clinique
Nous relaterons une situation clinique, déjà développée dans un de nos articles (J.-
B. Guillaumin, 1989, 33-34), où l’évaluation par cette échelle s’est constituée en média-
teur à la relation entre une mère et son nouveau-né.
Il s’agit d’un jeune bébé de six jours, né avec un pied-bot, et de sa mère. Le service
de maternité nous demande de recevoir cette mère en présence de son bébé. En effet, les
auxiliaires de puériculture s’inquiètent car cette mère laisse le bébé dans le berceau
toute la journée, qu’il y ait des visites ou pas, recouvert d’un drap : seul son visage est
en relation avec l’extérieur.
Pendant l’entretien, nous laissons, comme à chaque fois, la mère parler de ce
qu’elle a vécu autour de l’accouchement avant de nous pencher sur le bébé. Elle parle de
76 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma
sa souffrance sur le plan narcissique, sans parler réellement du bébé : « cette naissance
m’a déchirée… j’ai énormément saigné… j’ai cru que je me vidais… ». Ces vécus nous
permettent de saisir l’atteinte dont elle est l’objet et nous donnent une première indica-
tion sur la façon dont nous allons pouvoir travailler avec elle. Par cette évocation de ses
souffrances, sur un mode hémorragique, elle nous amène à penser comment notre atten-
tion thérapeutique devra être avant tout au service de la constitution d’une enveloppe,
susceptible de contenir les vécus émotionnels et psychiques traumatisants. Notre souci,
sachant qu’elle n’est là que pour cinq jours, sera aussi de permettre à cette mère de ne
pas trop se vider afin qu’elle puisse repartir comme elle est venue.
Dans cette situation, nous ressentons comment cette mère pourrait nous amener à
oublier le bébé, ce qui nous semble en lien avec le fait que cette mère ne puisse pas, en
référence à M. Soulé « …fournir le stock narcissique que toute mère trouve dans son
corps pour en faire don à son enfant… » (M. Soulé, 1982, 67). Nous partirons de ce que
cette relation partielle et limitée (avec un enfant-visage) nous permet afin de trouver une
aire de rencontre qui tienne compte et respecte les impossibilités pour cette mère. Nous
proposerons au nouveau-né les items relatifs aux interactions visuelles et auditives.
Nous approchons le visage, il « s’accroche » au regard en fronçant les sourcils… Nous
lui parlons en prenant soin de sortir de son champ de vision… il nous suit sur un arc de
90°. La mère observe et demande à prendre cette place. Nous avons le sentiment qu’elle
vient prendre appui sur le soutien que nous lui avons offert : elle peut alors affronter
cette réalité qui, jusqu’alors, était insoutenable. Le nouveau-né, de son côté, les yeux
grand-ouverts, met tout en œuvre pour attirer l’attention de sa mère. Il est remarquable
dans son pouvoir d’attraction : il vient ainsi ramener le regard perdu dont il a besoin
pour se relier à sa mère. Nous pensons qu’il existe des enfants qui, face à une situation
de risque d’abandon sur le plan psychique, mettent tout en œuvre pour ne pas se voir
laisser tomber.
Par la suite, la mère découvre (dans les deux sens du terme) le bébé, nous invitant à
partager cette réalité difficilement soutenable sur le plan narcissique : elle parle de
« désolation »… avant de nous faire part de son refus de toute visite extérieure et des
questions qu’elle pourrait se poser pour l’avenir.
tenait son enfant collé à elle, la tête enfouie dans sa poitrine, disait
alors : « …tout ce qu’il ressent, je le ressens… il est bien comme ça ».
Elle exprimait les fantasmes d’arrachement de la peau symbiotique
commune ainsi : « …les gens ils ne savent pas te prendre… », sous-
entendu « …sans que ça nous déchire… ».
Nous assistons, en référence à M. Mahler (1968), à l’absence des
premières étapes du processus de séparation-individuation dans une
forme d’immuabilité de la phase symbiotique normale où « …le trait
essentiel de la symbiose est une fusion psychosomatique toute-puis-
sante, hallucinatoire ou délirante à la représentation de la mère, et en
particulier l’illusion délirante d’une frontière commune à deux indivi-
dus réellement et physiquement distincts. C’est vers ce mécanisme que
régresse le moi dans les cas des troubles les plus graves d’individuation
et de désorganisation psychotique, que j’ai décrits en termes de
« psychose symbiotique de l’enfant » … » (Ibid, 21). L’enfant souffrant
de ce type de troubles psychotiques resterait clos dans une « membrane
symbiotique commune ». Uni à sa mère et « séparé avec elle » du
monde extérieur, il projetterait au delà de cette membrane-frontière
toutes les perceptions internes et externes, ressenties comme désagréa-
bles. En effet, nous savons que les mécanismes de maintien en jeu relè-
vent d’une impossibilité psychique à internaliser la représentation de
l’objet maternant. Il nous semble par ailleurs que le développement du
tonus axial dépend de l’intériorisation chez le bébé d’un « phallus
interne » qui, à notre avis, relève également de l’intériorisation de la
dimension paternelle. Cette intériorisation de la dimension paternelle
avec une mère qui a « suffisamment le père en tête » favorise, d’après
nous, le détachement progressif du bébé et le développement du tonus
axial, le tout participant à son « éclosion au monde ». Il nous semble
que l’hypotonie du bébé vient confirmer, dans l’interaction, une forme
d’annulation de ce qui pourrait faire différence, du désir de « tendre
vers », en plaçant au premier plan, le besoin de conserver le « bon »
objet dans une indistinction corporelle. Lorsque Julien est revu à trois
ans, il demeure dans cette membrane symbiotique afin de préserver une
toute puissance qui lui permet de fusionner avec la partie bonne, en
laissant en dehors toute possibilité d’accepter la moindre partie mau-
vaise. L’extérieur devient alors support de l’angoisse.
L’hypertonie et les troubles autistiques secondaires
Nous nous appuierons sur l’évaluation d’Emilie, bébé de 5 mois. La
mère a eu un important accès dépressif à la naissance. Elle sera suivie
par un psychiatre d’adultes. La puéricultrice et l’assistante sociale de
secteur s’étonnent que nous soyons amenés à voir l’enfant car elles pen-
sent qu’elle a un très bon développement. Elle serait selon ces dernières,
« en avance sur son âge » car elle se redresse pour se tenir debout.
86 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma
Introduction
Depuis une vingtaine d’années, les thérapeutiques qui s’adressent au
bébé dans le champ de la psychomotricité n’ont cessé de se développer
(Rivière, 1999). Initialement centrées exclusivement sur le bébé, ces
thérapeutiques ont paradoxalement montré qu’elles avaient de surcroît
un effet bénéfique sur le développement et la qualité des relations
parents-bébé (Rodriguez, 2002).
Cependant, force est de constater, à la lecture des quelques trop rares
articles et ouvrages qui leur sont consacrés, que la place des parents
dans le dispositif de soin en psychomotricité demeure insuffisamment
élaborée, et constitue un point aveugle dans l’élaboration des thérapeu-
tiques psychomotrices qui s’adressent au bébé et au jeune enfant.
À partir d’une expérience de plus de quinze ans comme psychomo-
tricien dans un centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) qui
accueille des bébés, des jeunes enfants et leurs parents, nous avons sou-
haité élaborer et rendre compte des principes qui guident notre travail
auprès des bébés et jeunes enfants présentant des troubles précoces du
développement psychomoteur.
La thérapie psychomotrice parents-bébé (TPPB) propose de faire
une large part à la place des parents dans le dispositif de soin en psy-
chomotricité et s’appuie sur l’hypothèse, communément admise, que
les parents, par leurs réponses ou leurs attitudes, influent directement
sur l’évolution de la motricité du nourrisson (Myquel, 1989).
Nous proposons, dans le cadre de ce chapitre, d’élaborer le cadre thé-
rapeutique de ce travail, de souligner la spécificité des processus théra-
peutiques à l’œuvre, et d’en dégager la spécificité en regard des autres
dispositifs thérapeutiques qui accueillent des bébés et leurs parents.
Les bébés qui nous sont adressés dans le cadre des consultations psy-
chomotrices ont pour particularité de présenter des « difficultés » dans
leur premier développement psychomoteur. Ces difficultés, pour l’essen-
4. Marc RODRIGUEZ.
88 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma
tiel, concernent des retards dans les acquisitions posturales et/ou des
troubles des fonctions tonicomotrices et sensorielles. Ces bébés nous
sont adressés au CAMSP par des pédiatres, des médecins généralistes,
des médecins de PMI ou plus occasionnellement à partir de consultations
spontanées des parents.
Les retards et troubles du développement psychomoteur constituent
une large part des indications qui amènent les bébés et leurs parents à
consulter au CAMSP. Si la prévalence des troubles psychomoteurs est
relativement élevée, elle masque cependant une disparité à la fois clini-
que et étiologique qui nécessite dans un premier temps une investiga-
tion pluridisciplinaire (pédiatre, pédopsychiatre), où l’observation
psychomotrice occupe une place centrale.
Illustration clinique
Pierre nous est adressé au CAMSP à l’âge de sept mois par le pédiatre qui le suit
pour un retard postural important, qui s’accompagne sur le plan clinique d’un schéma
en hyperextension et d’une stagnation pondérale. L’importance de son retard de déve-
loppement global inquiète la kinésithérapeute et la psychiatre qui le reçoivent en
première intention. Après plusieurs entretiens, une thérapie parents-enfants est
proposée, mais sera refusée, notamment par la mère qui n’acceptera qu’une observation
ponctuelle par la kinésithérapeute de l’évolution motrice de son fils. Infirmière de son
état, Mme A. se décrit comme une femme dévouée à ses deux enfants « malades » et à sa
propre mère, diabétique. Elle gère d’une main de maître les soins de sa famille et laisse
peu de marge aux professionnels de santé dont elle dit ouvertement se méfier. Le père,
un homme plutôt effacé, ne semble pas avoir son mot à dire sur la santé de son enfant et
se réfugie derrière la compétence de sa femme. La souffrance de Mme A. face au retard
94 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma
de développement de son fils est palpable et empiète sur les modalités interactives
jugées rigides et parfois inadéquates. Après bien des péripéties, M me A. acceptera, non
sans réticence, de me rencontrer pour une observation psychomotrice de son fils. Celui-
ci vient alors d’avoir deux ans. D’emblée elle donne le ton et me signifie qu’elle ne
s’engage à rien de plus que se faire un avis, et se réserve la possibilité d’accepter ou non
un suivi ultérieur. J’acquiesce bien évidemment à sa proposition et le premier temps
d’observation psychomotrice s’engage dans un climat pour le moins hostile. M me A.,
malgré mes tentatives de l’impliquer activement, se campe dans une position d’observa-
trice attentive et résolument passive. Malgré mes commentaires à haute voix, elle
demeure impassible et ne répond que très sèchement à mes interrogations sur les obser-
vations que je peux faire sur son fils. Les séances se suivront mais rien n’y fera. Épuisé
par cette présence « hostile », je finirai, dans une réaction contre-transférentielle non
maîtrisée, par lui demander de me laisser voir son fils seul. À mon grand étonnement
elle acceptera, mais à la séance suivante je découvrirai amèrement le prix à payer pour
ce passage à l’acte. Mme A., visiblement très contrariée, me fait part des difficultés
récentes de Pierre à la crèche. Il pleure, manifeste à la séparation, ce qu’il ne faisait pas
auparavant - bref, elle m’impute ces « nouvelles » difficultés, prétextant qu’il est
perturbé depuis qu’il est venu seul en séance. Je fais marche arrière et lui demande
d’assister de nouveau aux séances, ce qui semble l’apaiser et lui permet d’accepter de
poursuivre les séances. Au final, elle acceptera un suivi, suivi dans lequel elle sera
présente et campera durant de longs mois dans cette même attitude passive d’observa-
tion attentive.
De ce long temps de silence et d’observation passive, qui finira par céder, Mme A.
ne reparlera que bien des années après, et singulièrement au moment de l’évocation du
relais de Pierre dans une autre structure de soin. Entre-temps les choses ont bien évolué,
à la fois pour Pierre et pour sa mère, qui lors de notre dernière séance évoque non sans
une certaine émotion nos premières rencontres. Elle parlera alors longuement et pour la
première fois de son silence initial et de l’incapacité dans laquelle elle était d’accepter
toute aide. Elle se décrit alors comme totalement sidérée par l’état de son fils, comme si
elle ne pouvait plus penser cet enfant autrement que comme un enfant malade. De ces
longs silences et de ce temps d’observation si pesant pour moi, elle me dira que cela
avait été nécessaire et important pour elle, d’une part pour accepter de me faire
confiance, et d’autre part pour lui permettre de voir à distance son enfant comme si cette
trop grande proximité ne lui permettait plus de le penser.
Retissant le fil de nos rencontres elle évoquera, à mon grand étonnement et avec
une grande précision, une séquence de jeu que j’avais eue avec Pierre bien des années
plus tôt. Comme à son habitude Pierre manifestait des moments d’effondrement tonique
où il s’affaissait sur le tapis, le regard dans le vide, immobile quelques secondes avant
de se relever tel un ressort et poursuivre ses déambulations désorganisées habituelles.
J’avais alors interprété cela comme une tentative de symboliser les absences épilepti-
ques dont il était l’objet, et joué à grand renfort de sirènes les « pompiers » qui venaient
à son chevet. Cela l’avait d’abord étonnée, me précise-t-elle, puis interrogée sur un
comportement qu’elle pensait vide de tout sens et dont elle mesurait la part traumatique
qu’il pouvait contenir. Dans l’après-coup de cette reconstruction, il lui avait semblé que
ce comportement « étrange » lui était adressé. C’est certainement, au-delà des interpré-
tations que l’on peut donner de cette séquence, tout l’intérêt de ce dispositif qui vise à
soutenir les processus de subjectivation.
Il nous a fallu du temps, et la capacité de certaines de ces mères à
verbaliser leur ressenti dans un après-coup souvent éloigné de ces pre-
mières rencontres, pour comprendre l’état de sidération psychique dans
lequel ces parents se trouvent plongés par la blessure narcissique pro-
Clinique psychomotrice du nourrisson 95
fonde que constitue cet enfant « qui ne se développe pas comme les
autres ». Au-delà des craintes et fantasmes que mobilise chez les
parents toute thérapeutique supposée accéder à un savoir sur l’enfant et
son corps, nous avons été frappé par le désir de ces mères d’observer
attentivement leur enfant aux prises avec un autre adulte. Cette posture,
qui n’est pas sans mobiliser une certaine ambivalence vis-à-vis du thé-
rapeute, consiste à observer « de l’extérieur » un enfant dont elles décri-
vent après coup la difficulté qu’elles ont eue à le « déchiffrer ». La
blessure narcissique que constitue la rencontre avec un enfant « qui ne
se développe pas comme les autres » rend particulièrement vulnérables
et sensibles ces mères aux échecs de la relation primaire. Les mécanis-
mes de défense particulièrement à l’œuvre lors de cette période (déni,
projections paranoïdes, etc.) constituent une lutte contre la menace ini-
tiale d’effondrement narcissique. Observer leur enfant dans la manière
dont il peut « être-avec » le thérapeute, constitue pour ces parents une
tentative de se représenter eux-mêmes les multiples facettes d’« être-
avec » leur enfant.
La rivalité et la problématique œdipienne qui l’accompagne ne nous
semblent pas être au cœur de ce processus, et nous rejoignons en cela
les observations de D. Stern (1997) à propos de la « constellation
maternelle ». Ce n’est pas la position œdipienne qui semble ici primer
mais bien plutôt le sentiment profond d’une faillite de la relation pri-
maire à son bébé, les questions sous-jacentes à cette problématique
étant : Puis-je déchiffrer mon bébé? Puis-je répondre au mieux à ses
besoins? Puis-je jouer naturellement avec lui?
Cette posture d’observation attentive des mères correspond à un
désir profond de se mettre à distance de leur enfant, comme pour mieux
l’appréhender et le penser. Elle ne dure bien évidemment qu’un temps,
mais, de la capacité du thérapeute à contenir et transformer ce temps
d’observation chargé d’angoisses mortifères et destructrices, dépendra
pour une large part la suite du processus thérapeutique. C’est en effet
autour de ce premier temps d’observation que se noue ou se dénoue
l’alliance thérapeutique.
Dans notre expérience, ce n’est qu’une fois cette première phase pas-
sée que nous qualifions de « réanimation psychique » que la dimension
conflictuelle et ambivalente des parents peut s’exprimer. Lors des séan-
ces, cette ambivalence et cette dimension conflictuelle vont de pair avec
un engagement plus actif des parents dans le travail thérapeutique. Les
parents alors en confiance se permettent, souvent sur le ton humoristi-
que, de commenter les ratés qui ne manquent pas d’advenir lors des
séances entre l’enfant et le thérapeute. Nous accueillons cette « reprise
en main » des parents comme une évolution positive du travail théra-
peutique. Cela marque la sortie de la phase de sidération initiale et
96 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma
Illustration clinique
Lorsque je le rencontre pour la première fois, Paul a treize mois ; il m’est adressé
par la psychiatre du service pour un retard psychomoteur global, que j’évalue au BLR à
trois mois. Paul est le deuxième enfant de la famille et l’aîné est déjà suivi au CAMSP
pour des troubles du comportement.
C’est sa mère qui l’accompagne en le tenant serré dans ses bras. Paul est visible-
ment inquiet et ne me regarde que de manière très fugace. Je suis frappé par l’inquiétude
qui se dégage de ce nourrisson qui s’agrippe à sa mère, et il faudra de longues séances
pour qu’il accepte enfin d’être posé au sol sur le tapis et de s’intéresser aux jouets que je
mets à sa disposition.
Bébé peu sécure et au style hypertonique, Paul ne manifeste aucun désir de dépla-
cement et se montre particulièrement déstabilisé à la moindre tentative de mobilisation.
Cette insécurité gravitationnelle et l’hypersensibilité sensorielle qui l’accompagne sont
renforcées par l’intensité des angoisses maternelles qui se manifestent au moindre
mouvement de Paul. Les projections mortifères maternelles, du style « j’ai peur qu’il se
fasse mal », qui occupent le devant de la scène, ne font cependant l’objet d’aucune asso-
ciation. Le discours de Mme R. est assez pauvre et répétitif, accompagné de plaintes sur
son mari, ses enfants, discours d’où se dégage un profond sentiment de lassitude et de
résignation. Son intérêt pour le travail psychique en tant que capacité à tolérer, traiter,
négocier l’angoisse, la dépression, les conflits intrapsychiques et interpersonnels semble
étonnamment réduit. Sur le plan interactif, cela se traduit par un débordement de la
fonction pare-excitations maternelle et des difficultés comportementales à apaiser et
contenir Paul. Le style de maternage est chaotique, et M me R. oscille entre des phases
symbiotiques de collage, où Paul est collé contre son corps, et des phases de rejet où elle
le « dépose » brusquement au sol, visiblement très agacée, sans qu’aucune verbalisation
ne vienne accompagner son geste.
Comme je l’ai déjà souligné, je me place néanmoins toujours résolument du côté
de la mère et cela d’une manière d’autant plus nette qu’elle s’y prend mal. Ce n’est qu’à
cette condition qu’il devient alors possible pour le thérapeute d’entrer en relation directe
avec le bébé. Je n’engage aucune action directe avec celui-ci sans qu’au préalable je
n’aie demandé formellement l’assentiment des parents. Cela peut paraître parfois lourd
mais cela vient souligner le fait que rien ne sera possible sans cet assentiment.
Dans le cas de Paul, Mme R. acceptera sans aucune difficulté mes propositions.
Dans un premier temps il va s’agir de lui proposer d’expérimenter sur un gros ballon des
modifications posturales qui reprennent les niveaux d’évolution motrice (NEM) de son
Clinique psychomotrice du nourrisson 101
forme de jeu du détruit-trouvé mais dont l’enjeu, cette fois, est de se détruire tel qu’on a
été fait, assemblé, par l’autre, pour pouvoir se trouver fait/unifié par soi » (Roussillon,
1995, p. 195). La dernière partie de la séquence vient parachever ce mouvement d’unifi-
cation du corps propre autour du jeu du miroir, où Paul vérifie par l’image spéculaire
que lorsque le cube disparaît, tombe, il demeure unifié, érigé devant le miroir.
Conclusion
La TPPB a pour double objectif d’aider au développement des capa-
cités instrumentales et représentatives de l’enfant, tout en proposant un
soutien à la parentalité. Notre expérience souligne l’étonnante capacité
des bébés et jeunes enfants à modifier les comportements interactifs et
les représentations parentales. Le bébé est un partenaire direct et cen-
tral de ce dispositif thérapeutique; nous pensons même que dans cer-
tains cas où il y a impossibilité de travailler directement sur les
représentations parentales, cette approche demeure la seule envisagea-
ble pour permettre une évolution du bébé mais également une meilleure
adaptation des modalités interactives parentales. Nous ne devons pas
perdre de vue que le temps du bébé n’est pas celui de l’adulte, et qu’il
n’est pas toujours possible d’attendre un changement des parents.
Il nous paraît nécessaire de reconsidérer la croyance habituellement
cultivée en une méthode thérapeutique « tous azimuts », et urgent,
comme le souligne A. Guédeney, de développer des techniques adap-
tées aux spécificités psychologiques de chaque période et de chaque
situation clinique. La TPPB offre un cadre particulièrement adapté aux
bébés « qui ne se développent pas comme les autres » et à leurs parents.
Afin que cette forme de thérapie, que nous pensons prometteuse, puisse
prendre toute sa place dans l’offre de soin qui s’adresse aux bébés et à
leurs parents, il nous paraît nécessaire que dans l’avenir la TPPB puisse
faire l’objet de travaux et de recherches spécifiques afin d’en dégager
tout l’intérêt mais également les limites.
BIBLIOGRAPHIE
1. Françoise C ANCHY-GIROMINI.
106 L’enfant : de l’agi au représenté
– Ainsi, lorsque l’enfant paraît, on peut dire qu’il est un corps et,
qu’en tant que vivant il est animé d’un certain nombre de mouvement -
corps réel.
– Ainsi, lorsque l’enfant paraît, on peut dire qu’il a un corps, parce
que quelqu’un le regarde et fait de ce corps un certain corps (celui de
son enfant, par exemple) — corps imaginaire.
– Ainsi, lorsque l’enfant paraît, on peut dire qu’il va être nommé, et
que cette nomination lui donne corps en quelques sorte — corps sym-
bolique.
Le nouage entre les fonctions motrices et la psyché va s’effectuer par
l’intermédiaire d’un certain regard chargé de désir. A partir de ce
nouage, nous pouvons dire que la fonction motrice va devenir un acte
et que la psyché va être le lieu de la représentation de cet acte.
Il y a bien alors interdépendance entre les deux ; autrement dit il
n’existe pas d’acte sans représentation, et pas de représentation sans
acte.
Il n’y a pas de fonction transitive entre l’acte et sa représentation : il
y a immanence.
Cette interdépendance des fonctions psychomotrices et de la psyché
nous renvoie à la question de l’identité du sujet.
Rappelons brièvement qu’au moment de l’identification l’enfant fait
une relation entre : l’image qu’il voit en face de lui, son corps, et le
regard. Il fait l’expérience d’une relation entre deux objets : l’objet-
corps et l’objet-image (entre 6 et 18 mois). Nous savons que cette rela-
tion sera entifiée par la nomination de lui-même, et qu’ainsi l’identité
(moi-je) sera acquise (vers deux ans). Ainsi, acte et représentation se
nouent ensemble de façon solide, insécable.
Il convient, à présent, de s’interroger sur la façon dont travaille le psy-
chomotricien quand, de « l’agi au représenté », il se trouve au bord du
représenté pour avoir à dire l’agir du patient. Nous savons que le terme
agir connote aussi bien le geste que l’acte : en effet, le geste peut être le
lieu de la prise de possession de l’espace par le corps ; nous pouvons
alors considérer l’acte dans le champ étroit de la mise en mouvement du
corps (actes involontaires ou automatiques ; on peut penser à l’expé-
rience surréaliste de l’écriture automatique); ce seraient alors des actes
« inconscients », donc ratés, manqués, nécessairement. Ces actes, au
moment de leur effectuation sont hors du champ de la représentation,
puisque le terme représenter suppose de rendre sensible, présent, ce qui
ne l’était pas auparavant. Et c’est quelque chose qui renvoie à la cons-
cience du sujet, à l’image. La représentation se fait alors dans l’après-
coup de l’acte; au cours d’un travail d’élaboration, par exemple.
Clinique psychomotrice de l’enfant 107
2. Jacques DEITTE.
108 L’enfant : de l’agi au représenté
demeure omniprésent dans l’esprit des étudiants, il faut bien dire que
les modèles jusqu’alors immuables qui s’en veulent les référents, de
Guilmain à Bergès en passant par Harris ou Ozeretski, commencent à
prendre des rides et j’espère même — sans pour autant mésestimer les
services qu’ils ont pu rendre — qu’ils deviendront bientôt franchement
anachroniques.
Pour pondérer ce propos très subjectif, je dirai que ce n’est pas tant la
technique du bilan psychomoteur qui doit être remise en cause que la
manière dont nous pouvons le pratiquer : cet examen ordonné,
quantifié, étalonné, transcrit (dont il existe des « formulaires-types »)
qui permet de dépister, d’évaluer, de juger et de concrétiser des troubles
dits spécifiques, est en effet généralement proposé à l’occasion d’une
première rencontre avec le patient; première rencontre qui met en pré-
sence deux réactions émotionnelles, dont l’une — celle du
thérapeute — est tempérée par ce que l’on peut appeler expérience pro-
fessionnelle, habitude de la pratique et du contact avec les patients,
maîtrise du contre-transfert… par le seul fait qu’il est « du bon côté de
la barrière », c’est-à-dire en position de pouvoir, de savoir et de juger,
que ce soit dans la réalité de la situation ou dans l’imaginaire du
malade, porteur quant à lui de l’autre réaction émotive et qui occupe au
contraire à ce moment là la place la plus angoissante : celle d’une situa-
tion d’examen. Et si cette inquiétude peut se désarmorcer parfois par la
qualité de la relation et des échanges verbaux auprès des patients adul-
tes, il en va tout autrement avec les enfants.
Il est en effet généralement admis que le premier examen psychomo-
teur, qui doit nous permettre de situer précisément, sinon la nature pro-
fonde de la souffrance ou du mal-être de l’enfant, du moins les
manifestations, les signes cliniques induits par cette souffrance ou ce
mal-être, il est donc généralement admis que cet examen se pratique à
l’occasion de notre première rencontre avec le jeune patient. Or, com-
ment pourrions-nous prétendre à une estimation objective, par exemple
des qualités de tonus, d’adresse manuelle, ou encore des possibilités
d’attention d’un enfant nécessairement en état d’inquiétude, sinon
d’angoisse, ou pour le moins en questionnement de ce que peuvent être
cet homme ou cette femme qui le reçoit, dans ces locaux intégrés dans
un contexte toujours plus ou moins médicalisé, pour ces épreuves qui le
placent, qu’on le veuille ou non, en situation d’examen c’est-à-dire
d’échec possible, faisant ainsi tout ce qu’il convient pour provoquer
réactions de prestance, manifestations tonico-émotionnelles parasites,
instabilité ou inhibition, etc., et ceci d’autant plus que cette consulta-
tion pourra éventuellement devenir le préliminaire à un suivi thérapeu-
tique et constitue, dans ces conditions, un engagement bien
compromettant dans la relation de transfert.
Clinique psychomotrice de l’enfant 109
expliquer qu’une séance au CMPP coûte cher et que son prix est rem-
boursé au centre par la Sécurité sociale — c’est-à-dire par leurs propres
cotisations de salariés — la consultation est souvent considérée comme
un service public gratuit et l’implication nécessaire dans un travail
assidu et engagé, sans culpabilité, est parfois difficile à signifier. Or la
valeur effective du travail thérapeutique nécessite non seulement cet
engagement de l’enfant et de ses parents à « jouer le jeu », mais aussi
que des repères stables soient reconnus et admis, tels le cadre et le
temps des rendez-vous. En revanche, l’enfant et sa famille sont en droit
d’attendre de l’équipe du centre en général et du thérapeute en particu-
lier, certaines garanties qu’il convient de leur signifier, parfois dès le
premier entretien, sinon au cours de la cure.
Pour ce qui me concerne — chacun ayant le loisir d’aménager le pro-
tocole qui lui convient ou dans lequel il peut travailler sereinement —
le contrat que je propose à l’enfant peut se résumer ainsi : « Ici, on peut
tout dire mais on ne peut pas tout faire! » et, bien que ce protocole soit
entendu le plus souvent implicitement, sans qu’il me soit nécessaire de
le verbaliser, il m’arrive de préciser : « On ne peut pas tout faire pour de
vrai, mais on peut faire comme si… ».
En contrepartie à cette loi que je propose, je prends beaucoup de soin
à expliquer à l’enfant que l’équipe du CMPP est toute entière tenue à ce
que l’on appelle le secret professionnel et que ses propos ne seront
jamais répétés à l’extérieur de mon fait. Parfois, le seul énoncé de ces
clauses contractuelles suffit à aider l’enfant à restructurer ses propres
repères sociaux et affectifs et justifie, à mon sens, cette double appella-
tion de contrat thérapeutique.
Cela dit, la mise en place d’un tel contrat ne suffit pas toujours à faire
accepter aux parents que le CMPP puisse représenter pour leur enfant
un « lieu de plaisir », ou pour le moins d’expression possible de leur
imaginaire, notions qu’il leur est souvent bien difficile d’associer à leur
souci d’efficience scolaire par exemple. C’est ainsi que j’ai pu remar-
quer que le premier témoin susceptible de déceler les prémices d’une
évolution positive de l’enfant et d’y réagir, est sa mère : bien souvent
celle-ci perçoit, avant le thérapeute, les signes annonciateurs du mieux-
être de son enfant, les modifications — fussent-elles infimes — de son
comportement plus autonome ou de sa personnalité mieux structurée,
de sa maturité en voie d’élaboration… et, inconsciemment, parce que
cet enfant « qui bouge » remet en question un équilibre précaire que la
cellule familiale a construit avec et par ses difficultés et ses carences,
parce que cet enfant pour lequel elle a généralement « tout fait », « tout
donné » pour qu’il aille mieux, choisit de s’éveiller avec un étranger et
hors du cadre familial, inconsciemment donc, cette mère peut à ce
moment de la cure, manifester une certaine opposition, voire une
Clinique psychomotrice de l’enfant 111
certaine agressivité, par son attitude ou ses propos qui deviennent alors
pour le thérapeute annonciateurs de l’évolution de l’enfant. Il est à ce
moment là bien entendu nécessaire de proposer des consultations au
cours desquelles on reprécisera aux parents la nature du travail effectué
avec leur enfant, les termes du contrat thérapeutique et le projet qui est
le nôtre pour mener la cure à bien.
La question de l’indication3
La demande de la famille dans les trois-quarts des cas est celle d’une
rééducation technique. Bien souvent, la famille a du mal à percevoir
que la symptomatologie présente (qu’il s’agisse de troubles instrumen-
taux ou somatiques) a un lien avec des difficultés de vie existentielle du
patient. Devons-nous accepter que la solution du problème soit d’abor-
der une rééducation technique ou bien pouvons-nous faire apparaître
aux patients que les difficultés se situent à un niveau psychologique?
Le psychomotricien, par l’intermédiaire d’un impact corporel, peut
faire toucher du doigt, petit à petit, que le problème prend sa source
ailleurs. Ce travail d’élaboration avec la famille est primordial. Il faut
tenir compte du jeu que représente le symptôme par rapport à la dyna-
mique familiale ; apprendre à gérer le symptôme par rapport à la
demande de la famille. L’enfant est pris dans une relation à trois dès le
départ, et faire une séparation entre l’enfant et sa famille (dans le sens,
ne pas tenir compte de ce qu’elle est), est un écueil à éviter. L’approche
des parents est très importante et va gérer notre travail sur le plan théra-
peutique. Faire le point de temps en temps avec eux, les conseiller pour
que notre travail thérapeutique puisse avoir des répercussions dans la
vie quotidienne de l’enfant, est primordial.
D’autres familles tentent de se débarrasser du problème de leur
enfant en ne demandant qu’une intervention corporelle très technique.
Un travail sur le plan rééducatif peut rentrer dans le fonctionnement de
la famille et il nous sera difficile d’intervenir à un autre niveau (cela est
particulièrement prégnant dans la pathologie de l’adaptation ; l’enfant a
souvent beaucoup de mal à se repérer dans le temps et dans l’espace et
une approche technique lui apportant des « trucs » pour remédier à ses
difficultés ne vient que renforcer son mode d’existence habituelle.
Aucune possibilité d’évolution autre lui est alors offerte).
L’enfant, lui, n’a généralement pas de demande très explicite. Celui-ci
peut plus facilement l’exprimer dans le cadre d’un travail psychothérapi-
que qu’en orthophonie ou en psychomotricité. Au cours des entretiens
3. Anne GATECEL.
112 L’enfant : de l’agi au représenté
4. Geneviève PLATTEAU.
Clinique psychomotrice de l’enfant 115
A ce moment là, Adrien put occuper tout son espace, mettre lui-même des mots sur
ses symptômes corporels et oser commencer à s’approprier son thérapeute (après deux
ans) en proposant des jeux où l’on pouvait se toucher.
Il commença à se poser des questions sur la vie familiale, mais « en dehors » de la
maison. Il put affirmer son désir de continuer sa thérapie, même devant son père qui
tentait de dire qu’il n’avait plus envie de venir.
Ce cas illustre de nombreux points que nous retrouvons dans les
familles d’enfants ayant des troubles instrumentaux. Dans ces familles,
les parents s’expriment plus par le corps en ce sens que ce sont des
parents qui somatisent facilement, ou qui sont débordés par leur hyper-
activité ou qui cumulent les deux. C’est le corps qui traduit les affects
qui ne peuvent pas être nommés. « L’agi » est très important, voire
vital, « le senti » est dangereux. Si l’affect montré par le corps et la
parole vont dans le même sens, c’est vécu comme menaçant. Il y a une
grande distance entre les deux, et une non-congruence entre le contenu
et l’analogique. Il existe là, je pense, une angoisse de séparation sous-
jacente et archaïque dans ces familles. La parole, symbole de l’affect et
de sa représentation, montrerait une séparation, une relation plus dis-
tante puisque symbolisée : d’où l’on choisit que ce soit le corps qui tra-
duise et montre ou ne montre pas l’affect, ce qui maintient une relation
plus intime, plus proche, une famille plus unie.
Il y a dans la famille, comme chez l’enfant, un « mal être corporel »,
le corps est maladroit ou souffrant, mais sans lien avec l’intérieur. Ceci
engendre toutes les règles d’indifférenciation, de confusion, de limites
non définies dans le temps et dans l’espace, de frontières inexistantes.
Souvent nous retrouvons chez les enfants nous consultant des enfants
ayant été élevés par plusieurs personnes ayant des liens proches. Les
repères affectifs s’avèrent alors difficiles et en même temps, une agres-
sivité se révèle intensivement par rapport à la mère à qui à la fois
l’enfant fait inconsciemment des reproches, et par rapport à qui il
recherche une proximité « trop grande », donc intolérable.
Je pense à Thomas :
Cet enfant est élevé parallèlement par sa mère et sa grand-mère maternelle
(présente quotidiennement). Actuellement Thomas échoue à l’école alors qu’il est intel-
ligent.
L’examen psychomoteur montre de gros problèmes d’indifférenciation et de coor-
dination au niveau du corps.
Thomas, âgé de dix ans, dort toujours non seulement dans la chambre de ses
parents, mais dans le lit de ses parents à côté de sa mère. Thomas a, dans sa petite
enfance, présenté des vomissements pendant plusieurs mois. Actuellement, il dort avec
un seau à côté du lit imaginant toujours vomir.
Dans l’histoire familiale, les espaces étaient réduits et le temps n’était pas
« inscrit ».
Le père estime avoir eu une enfance heureuse, mais il a été élevé par ses grands-
parents paternels, ne sait pas qui est sa mère et a vu quelques fois son père. La mère a
été élevée par sa mère seule. Son père est parti quand elle avait cinq ans. Sa mère a
118 L’enfant : de l’agi au représenté
beaucoup travaillé pour s’en sortir seule. Son père est revenu, et a réépousé sa mère,
quand elle s’est mariée elle-même.
Les parents de Thomas en se rencontrant étaient avides de former une famille très
unie. Leur fille aînée fut à ce point colérique et difficile qu’ils ont attendu dix ans pour
faire leur second enfant et ont renoncé au troisième.
Le père se présente comme un « grand-père » et est peu présent. La différence des
générations est déniée. L’enfant fait partie d’une cellule familiale et semble plus consi-
déré comme « objet » que comme « sujet ». Son temps et son espace sont appropriés par
la mère qui elle-même ne fait rien pour elle. La famille n’a pas de liens extérieurs.
(M. Berger, 1990). C’est le cas du père de Thomas qui s’est contenté de
ce qu’on lui a présenté de sa famille mais n’a jamais cherché à connaî-
tre son histoire, c’est-à-dire celle de sa mère et celle de son père et qui
n’a donc jamais pu se représenter l’interaction de ses parents. Ce père
se décrit comme démissionnaire et incapable de liens propres.
Dans ces familles, le vécu du temps est souvent inadapté, ou seule-
ment fonction d’eux-mêmes, et non de la réalité extérieure. Il est par-
fois tout à fait nié pour éviter le vécu de « séparation ». Il y a une
confusion « dedans – dehors », puisqu’il semble qu’il n’y ait que le
« dehors » qui existe pour l’espace, et le « dedans » pour le temps.
L’image interne que la famille vit et l’image qu’elle montre se confon-
dent alors qu’elles sont très différentes. (Ce sont souvent des familles
qui demandent qu’on aille chez elles et ne veulent qu’un seul théra-
peute). Ces enfants en traitement confondent le lieu de la thérapie et
l’extérieur de ce lieu : ils ont besoin d’explorer les alentours de ce lieu;
il confondent « espace privilégié » correspondant plus à un espace
vécu, et « espace extérieur ». Il y a du reste dans ces familles des espa-
ces mal gérés dans le sens de « quel espace appartient à qui
précisément? ». Ce sont des familles portes ouvertes et il y a une confu-
sion des espaces, c’est-à-dire une sorte d’envahissement et d’intrusion
dans l’espace de l’autre. Il y a des limites qui ne sont pas claires entre
ce qui est réalisable ou pas, ou ce qui est permis ou pas, des frontières
très floues qui entraînent une confusion des repères, une confusion des
désirs ou non-désirs qui peuvent parfois entraîner une confusion de la
réalité. Ce sont souvent des parents qui ne peuvent pas mettre un
« stop » à leur enfant et ne jouent pas leur rôle de pare-excitation.
Par opposition, si les parents sont différenciés, ils deviennent beau-
coup plus une limite du corps qui protège et donne droit d’avoir son
propre corps à soi. L’image de soi est fragile, la seule image montrée
comme solide est l’image de l’unité familiale.
Dans les problèmes d’agressivité, les conflits sont montrés comme
inexistants : ils ne peuvent être nommés car ce serait dangereux et
menaçant pour l’équilibre familial, il y aurait un risque de différencia-
tion. Les seuls conflits « parlés » sont ceux des enfants entre eux, car
ces enfants étant vécus comme « objets » beaucoup plus que comme
« sujets », ces conflits ne sont pas vécus comme menaçants. Ils sont
maîtrisables pour les parents. Ces familles ont peu d’espace intérieur :
les individus ont beaucoup plus tendance à « agir » qu’à « intérioriser ».
On peut dire que ce sont des gens qui consultent et poursuivent leur
traitement car cela fait partie de leur action. Mais ces parents qui ont du
mal à considérer leur enfant comme sujet, comme être distinct d’eux-
mêmes, sont très souvent encore les enfants de leurs propres parents
avant tout, pour répondre aux désirs des grands-parents. Ils ont besoin
120 L’enfant : de l’agi au représenté
du corps de leur enfant pour se sécuriser dans leur peau, ils trouvent
chez leur enfant ce qu’ils n’ont pas reçu de leurs parents.
L’image familiale est donc fragile puisque non-identifiée ; il y a une
confusion des rôles, des normes, des limites et parfois des sexes. Les
relations sont mal définies. Personne n’a sa place ou tout le monde peut
avoir la même place. On pourrait parler comme le dit Bowen de
« masse indifférenciée de l’ego familial » (M. Bowen, 1984). Les trou-
bles sont marqués aussi bien dans le corps individuel que dans le corps
familial. L’enveloppe corporelle et l’enveloppe familiale sont fragili-
sées. Il y a un lien entre le manque de repères familiaux et le manque de
repères corporels. Ce sont deux systèmes différents imprégnés des
mêmes règles. Les difficultés psychomotrices de l’enfant sont souvent
dues à une indifférenciation entre son corps et celui de ses parents, son
psychisme et celui de ses parents. Il s’agit donc de comprendre les rela-
tions entre les corps comme des relations entre les formes : il faut
reconnaître les parties en tant que parties, et établir à partir de cette
base, la conception de l’unité du corps qui pourrait être séparé d’un
autre corps.
Le thérapeute vise donc à utiliser la famille dans sa totalité et chaque
membre du couple comme référent différencié et stable permettant des
repères familiaux clairs. Ceci permet de relancer les processus
d’identification, et d’enveloppe commune, en même temps.
« L’expérience du corps se conçoit dans l’opposition dialectique du
corps réel et du corps imaginaire. Le corps : à l’origine du contenu et de
la forme de l’imaginaire » (Sami-Ali, 1984). C’est cette dialectique
entre le corps réel et le corps imaginaire qui me paraît intéressante : elle
permet de comprendre les difficultés réelles du corps de l’enfant en ten-
tant de les relier à l’histoire mais aussi à l’imaginaire du corps familial.
Ce lien, entre la structuration dans l’espace et dans le temps du corps
individuel de l’enfant, et les fantasmes de l’histoire de la famille suggé-
rés par le même thérapeute, permet à l’enfant de laisser s’ouvrir
l’espace de « son propre imaginaire ».
C’est ce que démontra le petit David âgé de sept ans se présentant de
façon tout à fait destructurée tant au niveau psychique que physique.
Après quelques séances familiales où son histoire d’enfant colom-
bien adopté fut retracée avec les attentes fantasmatique des parents et
après une série de séances individuelles où j’ai proposé des jeux de bal-
lon structurés dans le temps et dans l’espace, des jeux de camp repré-
sentant la Belgique et la Colombie, David put me demander ce qu’était
un orphelinat et pourquoi sa maman de Colombie l’avait abandonné. Il
put me raconter tous ses fantasmes par rapport à l’abandon de sa
maman d’origine et me dire qu’il était fâché sur sa mère adoptive qu’il
imaginait l’avoir « enlevé » à sa première maman. Une série de jeux de
Clinique psychomotrice de l’enfant 121
Troubles psychomoteurs
obéir, il fait des caprices terribles, il me tient tête… mais je ne cède pas… Par moments,
il m’épuise, ce sont des rapports de force ! ». Elle le trouve remuant et maladroit et
remarque qu’il tombe très souvent.
– Notons encore que Thomas a une sœur aînée âgée de neuf ans, qu’on a récem-
ment opérée d’un défaut de convergence visuelle.
– Outre son instabilité, l’examen psychomoteur révèle chez Thomas une angoisse
sous-jacente qui ne peut s’exprimer qu’à travers un perpétuel mouvement du corps qui
empêche l’altérité du rythme. Du point de vue spatial, Thomas inverse systématique-
ment la représentation droite-gauche sur lui et sur autrui. La latéralité neurologique est
située à gauche pour l’œil et la main, à droite pour le pied.
La façon dont Thomas aborde l’arithmétique est bien significative de cette organi-
sation particulière. Ainsi, si on lui propose d’additionner deux nombres, comme par
exemple 10 + 3.
Ce que l’on constate avec les additions posées verticalement, c’est que le signe +
se trouve posé sous le chiffre des dizaines, donc à droite de l’opération, l’unité étant
inscrite sous le premier chiffre, donc à gauche de l’opération, par conséquent dans une
position spatiale inversée, en miroir. Néanmoins, le résultat est juste, Thomas effectuant
le calcul sur ses doigts.
Si l’addition est maintenant posée horizontalement, un autre fait significatif appa-
raît. Thomas ne parvient pas à placer un quelconque chiffre à droite du signe =. Il inscrit
le résultat à gauche du signe =, ce qui donne, par exemple :
2 + 24 = (au lieu de 2 + 2 = 4), ou encore :
3 + 36 = (au lieu de 3 + 3 = 6).
L’organisation spatiale chez Thomas renvoie à l’espace tridimensionnel qui doit en
principe permettre à l’enfant de briser le miroir de l’espace duel. Mais, chez l’enfant, la
séparation intervenue entre ses parents alors qu’il avait trois ans a fragilisé le développe-
ment des objets internes et sa capacité à maîtriser sa musculature. Il n’est pas à même de
supporter son agressivité généralement traduite sur un mode anal de mise à distance. La
séparation réelle a réactivé l’angoisse de séparation d’avec la figure maternelle et
s’accompagne d’une recrudescence de la culpabilité.
Chez Thomas, les dessins sont sexués bien que de manière rudimentaire au niveau
graphique. Ainsi, sur la partie gauche d’une feuille, son dessin s’accompagne du
commentaire : « Un petit garçon qui a perdu sa maman dans la forêt, sa maman s’est
retournée pour regarder derrière elle, et lorsqu’elle a regardé devant, il n’y était plus. La
police est prévenue, mais en reculant risque d’écraser le petit garçon ».
Sur la même feuille, une autre histoire apparaît séparée de la première par un arbre
immense. A droite de l’arbre : « Le papa, il voulait casser l’arbre et il s’est cassé la
voiture ». « Sur le toit, un voleur qui n’a pas pu prendre la voiture car elle était cassée ».
En haut de la feuille, à l’aplomb de l’arbre, un soleil-visage domine le tableau. Ce
dessin donne à penser que, bien que présents, les éléments fondateurs de la structuration
œdipienne restent séparés les uns par rapport aux autres, voire même parallèles.
Ici, nous constatons toute une série d’images du corps, projetées soit
à travers le dessin, soit à travers les additions, voire même à travers les
discours maternels, la motricité malhabile de Thomas et la latéralité.
On y trouve quelque chose de commun, tant au point de vue formel
qu’au point de vue dynamique. Ces images du corps — au sens clini-
que du terme — présentent des affinités et sont structurées sur un
même modèle, modèle actualisé dans chacune des images et non par
une des images.
Clinique psychomotrice de l’enfant 125
distingue en rien les uns des autres et ne laisse transparaître aucune subjectivité ni
aucune différenciation sexuelle. L’espace est structuré autour d’une relation bidimen-
sionnelle et pour Lionel il est régi par des rapports de symétrie reflétant la latéralité
perçue sur le corps de l’autre. Les confusions spatiales se rattachent à une expérience
singulière de l’espace en tant que forme d’organisation perceptive englobant le corps
propre et celui d’autrui en une totalité imaginaire. Quant à la relation à l’autre, elle ne
peut être modifiée, l’autre étant pour lui le point fixe absolu. Ce qui est un jeu semble
bien être ici l’impossibilité de passer de l’espace corporel à l’espace de représentation.
Le rythme corporel lui-même est désubjectivisé : il est ce qui résulte de l’adapta-
tion à des normes extérieures qui régissent le temps et l’espace du sujet. Il y a donc
surinvestissement de l’adaptation sociale et contre-investissement de l’imaginaire, lais-
sant le corps réel privé de son double imaginaire, situation qui prédispose à la somatisa-
tion. La corrélation positive entre corps imaginaire et somatisation qui apparaissait dans
le cas précédent cède la place à un mode de fonctionnement mettant en corrélation néga-
tive l’imaginaire et la somatisation.
En résumé, la pathologie de l’adaptation relève chez Lionel d’un conflit œdipien
ayant ceci de particulier que, par crainte d’avoir à affronter une figure d’autorité pater-
nelle aussi bien que maternelle, il doit annuler toute activité où il pourrait s’affirmer et
s’annuler par là-même dans son corps. Et l’imaginaire, en tant que lieu d’expression de
la subjectivité, en subit les conséquences.
Le discours où sont examinés les événements exprimés dans leur littéralité devient
banal. Les rêves, quant à eux, restent près du réel ou n’intéressent pas Lionel. Cette mise
à l’écart de l’imaginaire est favorisée ici par l’incapacité de la mère d’indiquer à son fils
une autre enfance que la sienne. Et ceci, pour des besoins de rendement scolaire, de
conformisme social, d’adaptation à des situations marquant le passage d’une génération
à l’autre. On peut dès lors constater que la fonction de l’imaginaire toute entière peut
subir un refoulement qui renvoie à l’œdipe aussi bien qu’à une période pré-œdipienne.
6. Maurice CONTANT.
Clinique psychomotrice de l’enfant 131
Elle établissait d’emblée un lien de pensée négatif entre Noé et la mort du père :
opération à l’âge de l’autonomie par rapport à la mère (opération ? mort du père?…).
Cet événement du passé, insuffisamment subjectivé, semblait revenir comme une rémi-
niscence, face à la position que j’incarnais, en « re-présentant », en « re-présentifiant »
un ailleurs (le père vivant?), un extérieur mettant initialement en danger la dyade (« Il ne
pouvait plus se séparer de moi »). Cet événement traumatique, inscrit dans la psyché
maternelle, organisait en quelque sorte ce que A. Carel (1989) nomme « la représenta-
tion de la causalité psychique ».
À l’issue de cette prise de contact, je me sentis quelque peu épuisé, démuni, et
immédiatement, pourtant, m’apparaissait la nécessité de « prendre appui dans le
corps » : corps de l’enfant, corps de la mère, corps du père/corps du thérapeute — en
suivant la formule de G. Pankow (1983) qui aimait à dire qu’avec les patients souffrant
de structuration, il fallait prendre appui « là où on a pied, c’est-à-dire le corps ». Bien
entendu, il faut entendre par là que l’appui se trouve dans les « représentants
psychiques ». J’ai pu alors mesurer à quel point le fait de me sentir « bombardé » par des
projections du monde interne de Noé et de sa mère dans mon espace psychique pouvait
être ressenti au niveau de mon propre corps, ce qui m’a permis de saisir la vulnérabilité
et la détresse de ce « lien mère-enfant » :
– d’une part, cette mère qui mettait en avant une causalité objective corporelle
(opération des yeux de son fils) à leur souffrance actuelle — « Je me sens partir en petits
morceaux », disait-elle au médecin,
– d’autre part, Noé, qui regardait du coin de l’œil en ne montrant pas son visage
(pendant plusieurs mois, il me fut d’ailleurs impossible de me représenter son visage).
Rappelons que N. Crémel et L. Mathie (1981) affirment que le visage constitue « le
lieu privilégié des représentations travaillées par le désir, où se noue l’identique et le
différent, le lieu où se joue l’identification et où se farde l’identité ». Il nous a semblé
important de ne pas « perdre de vue » ce support de l’identité — support des premiers
échanges par les yeux et par la bouche sur le mamelon.
À ce propos, G. Haag (1988) évoque ce qu’elle appelle « l’expérience de la double
interpénétration : celle de la bouche et du mamelon et de l’intense œil à œil des
premières rencontres de la vie du bébé » : cette expérience paraît être le tout premier
organisateur de la psychisation du bébé.
Pour Noé, on a ainsi deux séparations précoces difficiles : à deux mois, arrêt brutal
de l’allaitement au sein, à deux ans opération d’un strabisme — angoisse de séparation
(« Il ne pouvait plus se séparer de moi »).
On pouvait également noter l’importance du corps dans les agirs de Noé (« troubles
du comportement ») notamment réactivés en présence d’un tiers (« C’était mieux quand
on était tous les deux »). R. Roussillon (1993) rappelle que « l’agir, l’action est néces-
saire pour que la symbolisation puisse avoir lieu », et précise par ailleurs qu’il fallait
qu’il y ait eu « une présentification dans le transfert des difficultés de la symbolisation
des conflits historiques, de tout ce qui est en souffrance de symbolisation chez le sujet
(…) il faut que ça se présente et que ça se mette en acte transférentiel pour que la
symbolisation ait lieu » (ibid.).
Accepter de recevoir Noé supposait que je m’engage à me mettre à la disposition
de ses besoins et d’une nécessaire « répétition-agie » permettant à l’enfant de rejouer un
véritable état de détresse, autrement dit, favoriser la régression à une expérience anté-
rieure traumatique non symbolisée. (Le passage s’effectuant par l’acte psychique et
moteur, et la compulsion de répétition prise dans la relation transférentielle étant le
levier thérapeutique révélateur du trauma.) Mais toute la difficulté, telle qu’elle m’était
Clinique psychomotrice de l’enfant 141
apparue au départ, s’avérait dans ce que ces attaques, souvent violentes, constituaient en
même temps une espèce de destruction de mes facultés d’élaboration.
Pour Noé, qu’est-ce qui, à travers le bateau — et nous verrons par la suite l’impor-
tance de cet objet —, se transférait ainsi ? De l’accident dramatique en voiture du père à
l’accident de mer (mère) — le naufrage du Titanic — vers lequel il nous conduisait. Se
posait l’interrogation de ce que ce père avait emporté avec lui — Noé subjectivait-il la
mort de son père comme étant de son fait? Le vécu d’être à l’origine de la mort de son
père amplifiait le traumatisme, d’où son explication minutieuse de l’accident et cet inven-
taire détaillé des débris du navire au fond de la mer — une véritable « autopsie » du corps
du navire. Mais au-delà du père mort, se découvrait la mère, omniprésente, dévorante et
dévorée. Pour celle-ci, je ressentais déjà qu’un grand voile noir annihilait toute représen-
tation psychique de l’objet perdu, et qu’en aucun cas ce voile ne devrait être levé. Elle
insistait pour indiquer que son enfant souffrait déjà avant le décès dramatique du père.
Et le même scénario que lors de la première rencontre allait se reproduire les fois
suivantes. Noé était impatient : « Tu es encore en retard, il faut se dépêcher, il ne nous
reste que 3 heures… ». Et sa verbalisation de prendre un cours torrentueux comme s’il
était irréductiblement pressé, et de se lancer tête baissée dans de longues explications,
très détaillées, sur le Titanic, le Zéphir, un bateau garde-côte, un voilier, un paquebot, le
France, la caravelle de Colomb… qu’il s’appliquait à dessiner avec la plus grande atten-
tion et de façon précise, déchirant rageusement la feuille de papier s’il lui arrivait de se
tromper. Je devais être installé toujours à la même place, sans en bouger, sans parler,
Noé étant assis en face de moi, sur « sa » chaise. Très vite, Noé allait me considérer
comme un prolongement de lui-même.
Noé avait besoin de toutes les façons de me contrôler totalement en attaquant mes
processus de pensée10. Mes retraits narcissiques étaient des tentatives de défense contre
la qualité intrusive du désir de Noé de projeter sur moi des parties de lui-même, mais
aussi de lutter de mon vécu d’une véritable incarcération de la personne du thérapeute
soumis à son omnipotence.
L’appareil de langage pour Noé était devenu un appareil d’action, moins pour se
représenter que pour agir sur l’autre. À ce moment précis du travail, « l’appareil langage
est transformé en appareil d’action, retour à l’action » (Roussillon, 1993).
10. À relier avec ce que M. Berger (1999) décrit comme un besoin d’immobi-
liser l’objet menaçant — en l’occurrence, ici, le thérapeute.
142 L’enfant : de l’agi au représenté
Mais face à la répétition et aux passages par l’acte, que je pourrais avoir vécus
comme des attaques réelles adressées à ma personne (ce qu’elles étaient en réalité), il
demeurait fondamental de tenter, coûte que coûte de rester vivant et créatif face à cette
destructivité. Il me fallut m’adosser à un contre-transfert épistémologique afin d’éviter
les contre-attitudes de rejet, d’évitement phobique et de rétorsion, d’une part, et de solu-
tion masochique, d’autre part.
Je sentis là une transformation de ma position initiale, où Noé et sa mère me deman-
daient en quelque sorte d’agir (« Que pouvez-vous faire? ») comme un remède (du latin
re-medium), à une position que j’adoptai non sans peine et qui se référait à ce que R.
Roussillon (1991) décrit sous le concept de médium malléable, c’est-à-dire le représen-
tant-chose ou représentant-objet de la représentation de la fonction représentative.
Noé était furieux parce que j’étais en retard : « Où tu étais? ». Il avait apporté un
objet avec lui qu’il cachait derrière son dos : « Le bateau de l’armée du roi ».
Il commença à dessiner ce bateau tout en me demandant : « Pourquoi tu détestes la
fin de la séance? » et en me proposant un troc : il voulait échanger un paquebot (qui est
dans la salle) contre son bateau du roi.
Je lui fis remarquer que tous les objets de cette salle devaient y demeurer. Mais,
devant son insistance, je lui proposai de lui prêter ce paquebot en échange de son bateau
— reliant en paroles cet échange de prêts à la difficulté de se séparer. Il ajouta que, dès
qu’il le pourrait, il me rendrait le paquebot. Il voulait immédiatement aller voir sa mère
pour lui parler de cet échange. « Je vais te signer un contrat », me dit-il. Je rédigeai avec
lui ce contrat que nous signâmes tous les deux. Puis il ajouta : « Je fais un dessin pour
toi, pour que les jours où je ne viens pas, tu penses à moi… ».
Ensuite, me regardant : « Tu as un peu les cheveux de Pépé Atchoum » pour
évoquer mes cheveux grisonnants, puis il poursuivit en disant : « Pourquoi les pépés et
les mémés qui vont bientôt mourir, ils ont pas besoin de garder tout ce qu’ils ont - ils
donnent tout - ma mémé me donne tout ce qu’elle a - mon papa aussi il est mort… » et il
évoqua un souvenir (le premier) : « Une fois, mon papa et mes deux frères, on a fait les
fous - maman disait : “vous allez vous faire mal” (…) on rigolait bien, mais des fois
mon père me donnait des coups sur les fesses avec la brosse quand on était pas sages ».
À l’entrée de sa mère, il dit calmement : « Notre contrat est fait - on est en paix ».
À la séance suivante, Noé vint avec le paquebot emprunté et me dit : « J’ai bien
dormi », et il commença à dessiner sur le tableau le bateau Santa-Maria. Puis, il dessina
mon bateau : « De face ou de profil? ». Ensuite, il voulut dessiner un voilier miniature
qu’il avait eu lorsqu’il avait six ans, il se dessina sur le voilier avec une barbe en
remarquant : « Y a une tête de mort sur la voile. J’avais la barbe, maintenant je l’ai
rasée… ». Me regardant du coin de l’œil, il nota chez moi l’absence de barbe naissante
que j’avais la fois précédente. Il dit alors : « Mon père aussi il avait la barbe des fois ».
Puis continua par une série de questions : « Est-ce que tu es intéressé par les bateaux?
Est-ce que tu crois en Dieu? Est-ce que tu préfères la glace à la vanille ou celle au
chocolat? ». Puis, il s’exclama : « On est pareil ». Je lui fis alors remarquer sa grande
inquiétude lorsqu’il constatait une différence importante dans ce que nous pouvions
ressentir l’un et l’autre. À ce moment, il semblait proche de moi, détendu et en confiance.
En réfléchissant à l’ensemble des diverses manifestations qui se sont développées
au cours de ces séances, plusieurs remarques et hypothèses se sont présentées à moi :
– pour tenter de repérer son identité, Noé expérimente différence et similitude par
toute une série de questions « pareil/pas pareil » (Dieu, les bateaux, les glaces, etc.) ;
144 L’enfant : de l’agi au représenté
– il veut savoir beaucoup de choses sur moi : si comme lui, à sept ans, je faisais des
bêtises, si je détestais l’école. Il m’interroge sur les caractéristiques de mon logement en
cherchant ce qui est semblable au sien. Lorsqu’une différence lui apparaît, il est déçu et
se montre plus insécurisé. Il s’élabore ainsi une dialectique paradoxale : reconnaissance
à la fois de la différence et de la « mêmeté », de la continuité et de la discontinuité, de
l’identité et de l’altérité.
L’identité surgit de la répétition du même (et non répétition de l’identique)
(M’Uzan, 1970), et établit le même différent, grâce à un jeu analogique où tout est équi-
valent, soit non différent. Ce mouvement est la manifestation et la marque de la mise en
œuvre d’un processus de projection, qu’il existerait un dehors et un dedans psychique,
au moment même où l’équivalence établie entre le corps et l’espace extérieur au sujet
lui fournit les moyens de se représenter le fonctionnement du corps propre.
C’est à ce moment que je commence vraiment à imaginer l’enfant dans son cadre
familial, et à me rendre compte que je connais en fait peu d’éléments sur son histoire,
sachant bien que l’histoire est « le parcours obligé de la possibilité d’individuation »
(Gauthier, 1990). C’est elle qui me permet d’envisager le patient comme sujet.
Noé commença à me regarder en me montrant son visage, tout en évitant encore de
se regarder dans le miroir qui se trouvait dans la salle. Mon visage, différent du sien,
était mis en relation d’équivalence avec d’autres visages qui lui étaient familiers. D.W.
Winnicott (1975) nous a appris que le premier et véritable miroir, c’était le visage, et dès
lors, si l’enfant voit le visage de la mère, « il se voit dedans » et la réflexibilité psychique
est assurée. Il reste à « intérioriser » le miroir maternel et à l’« oublier ».
Pour M. Pinol-Douriez (1984), « le miroir du visage de la mère, loin de refléter le
“même”, le “semblable” ou l’“identique”, met en jeu ce que Bion a appelé la “fonction
alpha” ».
Pour Sami-Ali (1974) : « L’enfant commence d’abord à être sans visage, puis à
voir le visage de l’autre, le troisième temps du processus se définit par la perception du
visage de l’autre comme étant autre ». De plus, « sans visage, le sujet a d’abord, dès lors
que se met en place vers l’âge de trois mois la vision binoculaire, le visage de la mère ».
L’auteur insiste donc, pour ce qui est de la vision binoculaire, sur le fait qu’elle se cons-
titue en relation avec le premier objet qu’est la mère, c’est-à-dire les yeux mêmes que
l’enfant fixe dans ses yeux. Les troubles de la convergence (strabisme) renverraient à la
difficulté de cette première convergence qui, de toute façon, est sous-tendue par la ques-
tion de la distance optimale à établir avec l’objet primordial. Distance où se joue un
conflit centré sur la passivité et l’activité.
La problématique de la séparation semble bien avoir été relancée par la « réobjectivation
du traumatisme » (Roussillon, 1991).
Je ressens bien que les conditions sont réunies pour une transformation de la répé-
tition-agie en espace de jeu potentiel. Noé restait toujours en face de moi, s’exprimait
avec vivacité et abondamment. Il semblait investir son travail avec moi de plus en plus.
J’avais surtout l’impression qu’il m’était possible de parler, de penser et je commençai à
exister indépendamment de lui.
Reprenons l’évolution de ces deux séquences interactives. Je dirais d’abord que,
tout au long des séances précédentes, j’eus la conviction que cet objet-bateau — disons
plutôt ces objets, car il y a eu une multitude de bateaux, que ces bateaux représentaient
pour moi le corps psychique de Noé en relation « inclusion-réciproque » (Sami-Ali,
1974), avec le corps psychique de la mère, avec un surinvestissement des repères
spatiaux et des limites (précision quasi obsessionnelle et méticulosité des dessins et
descriptions, paralysés, pétrifiés) sur une mère déchaînée.
Clinique psychomotrice de l’enfant 145
Jusque-là, Noé avait évité les situations trop impliquantes qui risquaient de lui faire
perdre ses repères rigides qui s’avéraient être des boucliers inefficaces contre les coups
venus de l’objet.
D’ailleurs, son implication plus forte dans la relation thérapeutique était insoute-
nable. Pour me parler, il fallait réduire la distance entre lui et moi. Nécessité qui réactivait
son angoisse de perte, la distanciation psychique de Noé étant jusque-là remplacée par une
mise à distance spatiale. Les objets-bateaux étaient aussi indispensables qu’interchangea-
bles, dans une négation du temps et de la différence (tentative de réduction à l’identique).
C’est, de ce fait, la dynamique de l’espace qui allait permettre de « réparer les fissures dans
le réseau symbolisant » (Pankow, 1983) et introduire Noé dans le temps de son histoire.
Noé, dans l’espace de la séance, allait alors progressivement faire l’expérience de la
séparation d’avec sa mère sans trop s’exposer à la menace de rupture de lien et de perte
de l’objet. C’est lui qui mit en route et osa expérimenter l’espace de séparation.
Jusqu’alors, Noé m’avait confronté à ce paradoxe : de ne pouvoir me conduire à sa réalité
psychique que dans la suture ou la rupture. Encore fallait-il en saisir le sens, et l’opportu-
nité qu’elles pouvaient offrir pour que ces « failles » du processus thérapeutique puissent
se transformer en sources potentielles de la vie psychique et de l’élaboration mentale.
Il est également important de rappeler mon « retard » — mon tout premier —
absence réelle au début — qu’il avait immédiatement relié à la séance précédente.
« Pourquoi tu détestes la fin de la séance? ». Face à mon « passage à l’acte » d’absence,
il proposait un contrat — un échange qu’il fallait envisager doublement puisqu’un
contrat engageait les deux parties.
1.– Noé voulait me donner son bateau — objet du dehors de l’espace thérapeu-
tique, mais venant du dedans (représentation psychique interne) : un « fragment de la
mère » (Gutton, 1988). On peut assurément y voir le signe que Noé constituait là un
« représentant externe/interne de la symbiose primitive, représentant grâce auquel il
peut commencer à accepter de sortir de celle-ci » (Roussillon, 1991).
Lorsqu’il avait fait son échange et que son bateau était entre mes mains, « avant de
signer », Noé voulait aller immédiatement rejoindre sa mère pour lui en parler. Situation
de crainte, quant à l’existence ininterrompue de sa mère et, par là, de la sienne propre :
chaque « utilisation » interne d’un objet faisant courir le risque de détruire celui-ci.
C’est aussi pour lui l’expérience de la non-séparation, c’est-à-dire du lien
psychique décrit par G. Haag (1989), où, pour pouvoir se séparer, il faut en quelque
sorte suffisamment intérioriser la non-séparation — c’est-à-dire le lien, les liens. Et
c’est ce processus d’intériorisation du lien qui semblait fragile chez Noé. Dans la
mesure où il se séparait (psychiquement) de l’objet-mère, il devait impérativement véri-
fier dans la réalité que le lien n’était pas détruit.
D’autant qu’il allait se séparer réellement de cet objet. Tout se passait comme s’il
manifestait le besoin de vérifier que le lien n’était pas détruit, autrement dit : « qu’il n’a
pas détruit l’objet réel, ni provoqué sa désapprobation, que la mère — objet externe —
est toujours vivante et autorise la séparation » (Ciccone et Lhopital, 1991).
Le rapport ici/là-bas se trouve donc médiatisé par le rapport primordial dedans/
dehors.
Je voudrais préciser que, pour moi, à la suite de Sami-Ali (1974), la question de
l’espace me paraît inséparable de la problématique générale de la projection et de
l’introjection.
Mais, il faut tout de même souligner que ce mouvement ne devait pas se concré-
tiser et que mes paroles suffirent à le rassurer, à lui permettre de se représenter ou de se
146 L’enfant : de l’agi au représenté
re-présentifier sa mère. C’est ainsi que Noé commença à représenter dans l’espace
thérapeutique l’alternance de présence/absence de la mère auquel il était soumis, rappe-
lant le jeu de la bobine décrit par S. Freud (1920).
Ainsi, comme le note Ph. Gutton (1988), se trouve jouée ici « la permanence du
lien mère-enfant archaïque, au moment même où sa manipulation en met les éléments à
distance… il joue son passé ; son jeu actualise son passé ».
2.– En échange, je lui avais prêté le bateau-paquebot appartenant à l’espace thérapeu-
tique. On peut ici faire l’hypothèse que Noé, avec cet objet réel, récupérait pendant mon
absence les parties projetées en moi qui, au moment de notre séparation réelle, l’expo-
saient à des véritables angoisses « d’arrachement de sa peau psychique » et de perte
d’objet. Je me suis d’ailleurs interrogé, à ce moment-là, sur le statut des objets de l’espace
thérapeutique : à qui appartiennent ces objets? peuvent-ils sortir de cet espace? Je peux
répondre maintenant : à la symbolisation. Et, avec Noé, cette sortie (au-dehors) de l’objet
appartenant à l’espace thérapeutique est bien allée dans le sens de la symbolisation.
3.– Une phase, encore, mérite d’être évoquée : c’est lorsqu’il me faisait un dessin
en disant : « Je fais un dessin pour les jours où tu ne viens pas, tu penses à moi ».
À partir de cette trace, cette représentation graphique, il me demandait en définitive
de ne pas l’oublier, de ne pas l’abandonner, de ne pas le perdre de vue. J’entendis ce
« contrat » comme un contrat d’adoption psychique. Noé aussi m’interrogeait là sur la
symbolisation et me demandait si notre lien était fiable. Quelle était la nature de ce lien
(de l’investissement de l’autre, de mon investissement)?
En réfléchissant à l’ensemble des différents mouvements qui présidèrent à l’orga-
nisation de ces séances, je dirais comme R. Kaës (1990) que « le rétablissement de la
capacité de former des symboles d’union et d’utiliser des objets transitionnels suppose
la rupture de l’éprouvé du vide et du trop-plein. L’espace transitionnel est un espace de
présence et d’absence (ni trop de l’un, ni trop de l’autre, ni pas assez), jeu dans un cadre
de contenu dans un conteneur, de tension paradoxale, tension quand même… ».
Dans les séances, il s’agissait maintenant beaucoup plus de s’amarrer à des
moments de l’œdipe plutôt que de rester fixé sur la position narcissique primaire (avec
le contact des angoisses surgies directement de l’expérience sensorielle primitive), sans
pour autant perdre de vue les éléments organisateurs des premières séances.
Quant à Noé, je tiens à remarquer qu’à plusieurs reprises, il se mit à « perdre son
temps » avec un plaisir évident, en regardant et en classant tous les dessins qu’il m’avait
faits depuis le début, tout comme l’on regarde un album photos. De même, il mettait en
ordre mes notes — notre « cahier de bord » — il me demandait parfois de relire certains
passages de ce qu’on avait fait ensemble. Il semblait refaire l’histoire de sa thérapie -
thérapie, comme premier lien possible d’une histoire personnelle. Il s’inquiétait aussi de la
réalité de son thérapeute et demandait : « Que devient-on quand on grandit? ». Le problème
de la temporalité — du changement et de la continuité — demeurait omniprésent.
Son inquiétude et son impatience quant à la « perte de temps » revenaient certes
périodiquement, mais avec moins de prégnance qu’auparavant. Pour Sami-Ali (1974), le
temps qui se perd ou qui se gagne fait référence à l’origine même de la temporalité dans
le contrôle anal. Réflexions de Noé : « La psychomotricité avec toi, c’est trop rapide
pour moi », ou encore : « La psychomotricité c’est pas de la faire rapide qu’il faut ».
« Le temps, enveloppe de l’action réunificatrice et projective de la durée d’exis-
tence chez la mère subit les mêmes lois de l’espace winnicottien. » (Green, 1976)
Le problème de la constitution d’un espace de séparation entre nous réapparut,
mais pouvait maintenant se « jouer », se « mettre en scène », se représenter. Un scénario
Clinique psychomotrice de l’enfant 147
était construit à l’intérieur d’un espace bien précis. Dans la pièce, une frontière séparait
nos deux domaines respectifs ; si l’étendue de nos espaces respectifs pouvait encore
fluctuer en fonction de nos rapports fantasmatiques, cet espace nous permettait d’éviter
une confrontation permanente, bien que toute relation ait mis en tension nos espaces et
identités respectives, ce qui, à mon sens, définit parfaitement la structure spéculaire de
l’espace imaginaire (Sami-Ali, 1974).
Avant de conclure, je souhaiterais relater un court extrait d’une scène12 créée par
Noé, remarquable dans sa thématique du jeu des signifiants :
« Il était une fois… Un capitaine (Noé) et son matelot. Celui-ci n’a de cesse que de
venir espionner son capitaine par le trou de la serrure. Le capitaine s’énerve et explose
violemment en voyant son matelot “l’espionner”. Il fulmine, écume, suffoque. Le
matelot s’inquiète et s’enquiert de savoir si le capitaine n’a pas de soucis. Celui-ci
demande que le matelot appelle sa femme en lui disant : “Je suis tombé malade à cause
de toi”. Et il ajoute : “Ce matelot m’a donné le cancer !”.
« Lorsqu’il voit le matelot venir encore l’espionner, il lui crève les deux yeux :
“Comme ça je suis tranquille, il est aveugle… Le secret, je le cache et je ne veux pas
qu’on le découvre — je vais employer les grands moyens…”. Puis, le capitaine prend
son pistolet et tue le matelot… il cherche ensuite un autre matelot qui, lui aussi, va
l’espionner. Le capitaine entre en fureur et “s’épuise”.
« En haut, le capitaine a un beau lit avec de belles couvertures. Il a toujours son
coffre à trésor avec la clé de sa cabine sur lui. Il a aussi une grande belle lampe avec un
abat-jour et un superbe lustre…
« Le matelot reste toujours enfermé “en bas”, au fond de la cale dans le noir, “en
train de pleurer”. Son WC est ancien et fuit — “Tu es obligé de faire pipi, caca dans une
vieille jarre avec dedans de l’eau et du pipi et une toile d’araignée; ton lustre est cassé,
ça ne marche pas. C’est ça quand on est prisonnier…”.
« Puis, le matelot s’endort, bercé par les “grandes vagues qui voguent”. Mais il se
réveille car “il y a tellement de vagues que tu ne peux pas t’endormir”.
« “Pourquoi il y a des gens qui ont peur dans le noir et voient des monstres? Moi,
je n’ai pas peur. Avant, je faisais des cauchemars, maintenant, je ne rêve plus”. Puis le
capitaine arrive dans la cale avec une lampe : “Regardez, votre chambre est sale! pour-
quoi avez-vous peur ? je vous laisse un plan et tu pourras venir me voir !”.
« Le matelot téléphone au capitaine pour lui dire qu’il a peur tout seul : “Les
capturés sont isolés, c’est normal” dit le capitaine, “racontez-moi vos cauchemars,
cette odeur de cabinet, tout… le dernier, le plus horrible cauchemar que vous avez fait
avec l’odeur de cabinet…”. »
L’histoire vécue allait se poursuivre…
En réfléchissant à cette difficile « incarcération » au fond de cette « cale
crasseuse », j’appréhende d’être toujours à la merci d’une énorme lame de fond surgie
de la brume. Mais j’espère aussi qu’il devient peu à peu possible de jouer avec Noé sur
une de ces pentes douces qu’on nomme l’estran — ni la mer, ni la terre, la partie du
rivage qui se découvre aux basses mers et que l’eau recouvre à marée haute. La vie qui y
existe n’est ni celle de la terre ni celle de la mer. Elle participe des deux. Après les
vertiges des vagues déferlantes, l’accalmie et peut-être la possibilité de jeter l’ancre et
de débarquer sur la terre ferme, en sécurité…
Pour conclure
Comme on peut le constater, je me suis efforcé de montrer qu’il est
possible de penser autrement ces pathologies de la motricité en mouve-
ment — à l’aide des travaux sur la dialectique de la destructivité de R.
Roussillon, chez qui, assurément, la référence centrale reste l’œuvre de
D.W. Winnicott.
Dans cette optique, mon hypothèse de départ était la suivante.
L’hyperactivité a une fonction défensive ou protectrice — excitation
corporelle — pare-excitations, mais elle contient aussi, à l’état d’ébau-
che, une pensée ou une représentation-chose en train d’advenir ou à la
recherche d’une forme. La décharge pulsionnelle se traduit par une
extériorisation motrice en quête de liaison psychique.
Autrement dit, je pourrais maintenant reformuler l’hypothèse cen-
trale, en disant qu’à travers les agirs débordants de l’enfant instable, un
jeu potentiel est en souffrance, ce qu’il exprime inconsciemment à ce
moment-là. Et il y a ici non seulement le jeu potentiel du patient, mais
également la capacité du thérapeute à entrer en contact avec ce jeu
potentiel pour lui permettre de se déployer comme un jeu véritable.
L’enjeu devient alors l’intériorisation motrice et la liaison psychique à
partir de la prise en compte de ce qui s’y oppose. Ce travail de révéla-
tion de la potentialité ludique est donc un travail d’extraction de la
dimension inconsciente d’un comportement. Simplement, dans ce
comportement, ici d’agitation, ce sur quoi on met l’accent, ce n’est pas
le fantasme ou le désir, mais la potentialité de jeu existant et de symbo-
lisation primaire.
Il m’a dès lors paru souhaitable pour cette première expérience dans
le cadre d’un travail de recherche, d’essayer de mesurer la pertinence et
l’éventuel degré de validité de ces hypothèses, à partir de l’étude d’un
cas singulier : le cas Noé.
Ce qui, ici, se trouve avéré, c’est que la ou les modalités du jeu de
l’absence et de la présence et du rapport absence-présence concernant
la symbolisation, sont en voie de constitution. En effet, il n’y a pas de
symbolisation qui ne rencontre la question de l’absence et la question
du tiers conçu précisément comme la représentation issue de l’absence.
Par ailleurs, cette instabilité joue un rôle de pare-excitations prothéti-
que paradoxal, puisqu’il repose sur une enveloppe d’excitation (excita-
tion corporelle/pare-excitations psychique).
On remarque aussi que de tels comportements ne sont ni agression,
ni destruction ou attaque, mais qu’ils peuvent être considérés comme
Clinique psychomotrice de l’enfant 149
Troubles sensoriels
Psychomotricité et surdité13
Depuis 1950, des études multiples ont porté sur l’évaluation des trou-
bles psychologiques, psychomoteurs et intellectuels de l’enfant sourd.
Très parcellaires, n’explorant qu’un aspect particulier du comportement
de l’enfant sourd, en comparaison de l’enfant entendant; leurs résultats
sont souvent contradictoires (cf. l’ouvrage de D. Busquet et C. Mottier,
1978, qui décrit tous ces travaux avec une grande précision).
Un retard ou des conduites spécifiques aux sourds dans certains
domaines sont contrebalancés par des aptitudes particulières dans
• Troubles psychomoteurs
Les plus fréquemment rencontrés chez l’enfant sourd et qui ont fait
l’objet de publications diverses (D. Donstetter, 1980; M.-H. Herzog,
1981; B. Gris, 1985) portent sur :
Clinique psychomotrice de l’enfant 153
• Techniques utilisées
– Techniques de stimulation sensorimotrice du jeune enfant.
– Techniques d’expression picturale et graphique.
156 L’enfant : de l’agi au représenté
Conclusion
L’intérêt que présente la psychomotricité dans ses axes éducatifs et
thérapeutiques auprès de l’enfant sourd réside dans différents points :
– la prise en compte d’un discours corporel éminemment personnel
de l’enfant sourd,
– la possibilité de réintégration de la perte sensorielle à une véritable
unité psychosomatique,
– par le choix dynamisant qu’elle se donne, d’envisager au travers
d’un travail corporel, une autre façon d’appréhender la surdité non plus
comme attribut identitaire exclusif, mais comme le point de départ
d’une rencontre avec un sujet, qui en est porteur…
Les perspectives nouvelles apportées par les recherches individuel-
les, encore trop peu diffusées, des thérapeutes en psychomotricité, tra-
vaillant auprès des enfants et des adolescents sourds, montrent l’intérêt
que présente la surdité au plan clinique et sont très encourageantes pour
l’avenir de notre pratique psychomotrice.
L’enfant sourd semble pouvoir être envisagé au delà de sa surdité et
retrouver un statut de sujet parlant, à part entière…
Clinique psychomotrice de l’enfant 157
Polyhandicap14
Ceci nous amène à parler du fait que quand l’enfant est jeune, ces
séances se passent souvent avec les parents présents, certains parents se
libèrent de leur propre tension, ils parlent du corps de leur enfant, de
leurs difficultés dans les gestes quotidiens (portage, habillage, alimen-
tation), certains sont avides de gestes techniques ou d’un savoir,
d’autres sont dans un vécu dépressif qui « abolit la prime de plaisir
qu’on devrait rencontrer dans l’agir, le penser, le contact : c’est à cette
absence de plaisir que réagit l’infans, à cette impossibilité pour la mère
d’exprimer, signaler, manifester dans ses contacts avec son enfant,
qu’elle vit et partage une expérience de plaisir » (P. Aulagnier, 1986).
Clinique psychomotrice de l’enfant 159
Un bébé qui écarte brusquement les bras alors que sa mère s’éloigne,
rejoue avec ses membres la situation de séparation, etc.
Autre exemple : on peut facilement observer un bébé de 8 à 10 mois
sur sa chaise haute, nourri à la cuillère par sa mère et jouant à laisser
tomber un objet, que la mère ramasse inlassablement. Si l’on observe
de près la séquence, on s’apercevra que le bébé jette l’objet au moment
où il déglutit le bol alimentaire. On peut dire que ce mouvement de
laisser tomber l’objet est une projection dans l’espace de la représenta-
tion « excorporée » de la chute du bol alimentaire dans le corps. Le
bébé élabore dans son corps, par son corps, le processus d’incorpora-
tion. Il vérifie, par ailleurs, la survivance de l’objet. Il vérifie que
l’incorporation, et les éléments sadiques oraux que celle-ci mobilise
(notamment à cet âge-là), n’ont pas détruit l’objet, n’ont pas détruit la
mère nourricière. L’objet fait retour (la mère le ramasse), la mère a
donc survécu à l’incorporation. Autrement dit, le bébé fait l’expérience
que l’incorporation psychique, qui s’étaie sur l’incorporation orale, ne
détruit pas l’objet. C’est comme cela que s’acquiert, entre autres, la
notion de permanence de l’objet. Et l’on voit bien le rôle de l’environ-
nement dans le déploiement de ce processus. Le destin de cette expé-
rience est bien différent si l’environnement réagit autrement, ne permet
pas la retrouvaille, empêche le jeu.
Bref, l’identification ou l’imitation intracorporelle permet une psy-
chisation des expériences. Elle constitue l’intériorisation des expérien-
ces de lien aux objets, et participe à la construction des objets internes.
L’observation détaillée et attentive de ces mouvements corporels, de
ces manifestations dans le corps, donne des indications sur le déroule-
ment des processus psychiques d’intériorisation, de construction de
l’image du corps et des liens aux objets, et sur les pannes, les faillites,
les achoppements de ces processus.
Le mouvement centrifuge de projection dans l’espace et dans la réa-
lité externe est présenté par G. Haag dans ce qu’elle décrit des
« projections spatiales et architecturales de l’image du corps », et plus
particulièrement des constructions de « représentations de contenance »
et de « représentations de squelette » (G. Haag, 1997). On observe ce
travail de symbolisation primaire de l’image du corps chez le bébé,
mais on l’observe aussi de façon spectaculaire chez l’enfant autiste,
parce que justement l’image du corps échoue à se constituer, et l’enfant
reste agrippé de façon compulsive à ces représentations primaires, à ces
formes corporelles et géographiques qu’il tente d’intérioriser.
L’investissement des formes, des représentations spatiales et architec-
turales, concerne d’abord, comme le montre G. Haag, des
« représentants de contenant ». L’enfant investit des formes spatiales, des
représentants de contenant, représentant le mouvement de constitution
Clinique psychomotrice de l’enfant 163
main la ramenant sur le devant, à une position d’équilibre. Est-ce que le regard peut
attacher, retenir? Est-ce que la plongée dans le regard peut construire cette circularité
contenante et détoxiquer les angoisses de chute?
Alors que je mets en mots ce qu’elle semble montrer, elle retrouve un point d’équi-
libre et dessine des cercles fermés. La représentation architecturale de l’image du
corps, de la forme sphérique du Self, est bien en train de se constituer. Après avoir
dessiné plusieurs cercles, elle jette la feuille et n’y prêtera plus attention.
Voilà donc un exemple d’observation directe de ces tentatives
échouées de symbolisation primaire des fonctions de contenance.
On peut en voir bien d’autres exemples. G. Haag parle, par exemple,
des enfants autistes qui, lorsqu’ils sont angoissés, courent d’un mur à
l’autre, de façon affolée, en dessinant une sorte d’étoile dans la pièce.
Tout se passe comme si l’enfant tentait de maintenir en place les limites
d’un espace à trois dimensions, qu’il est très difficile pour lui de con-
server pendant un temps long, et surtout dans les moments de désorga-
nisation.
Outre les représentants de contenant, G. Haag décrit aussi les
« représentants architecturaux de squelette, ou des axes et articulations
du corps ». Il s’agit des projections spatiales des représentations du
moi-squelette, des axes corporels, une fois la contenance suffisamment
intériorisée. On voit cela, par exemple, dans la façon dont l’enfant
s’intéresse aux angles de mur, aux arêtes (se coller aux angles de mur,
être capté par les tuyaux qui descendent le long d’un angle de mur,
etc.). Tout se passe comme si l’enfant éprouvait la sensation de l’axe,
de la verticalité, mais aussi la sensation de la soudure entre deux parties
du corps. On peut évoquer, par exemple, toutes les obsessions concer-
nant la symétrie, les points d’attache (comme l’enfant qui passe son
temps à flairer la jonction des pages de n’importe quel livre). Tout se
passe comme si l’enfant cherchait à éprouver et représenter primaire-
ment la soudure des points articulés du corps. Cette soudure, là aussi,
se réalise dans la soudure du lien à l’objet.
C’est, en effet, vers 5 mois que le bébé joue avec ses mains, ses
pieds, en tirant dessus. Il éprouve la solidité de l’attache en même
temps qu’il élabore les expériences de séparation, de « séparabilité » de
l’objet (accès à la position dépressive, période de l’angoisse à l’étran-
ger). Il expérimente la solidité de l’attachement : l’objet qui s’absente
revient (voir l’exemple précédent du bébé sur sa chaise haute nourri par
sa mère et qui joue à jeter les objets).
L’idée d’une symbolisation primaire, corporelle et spatiale, des pro-
cessus psychiques, notamment des processus de constitution primitive
de l’image du corps et du Self, permet de construire un outil théorique
et méthodologique très utile dans le travail clinique auprès de patients
présentant des troubles graves du développement ou de la personnalité.
Une observation fine des comportements, des attitudes, du langage du
Clinique psychomotrice de l’enfant 165
que celui de son existence propre, sans lien par conséquent avec
d’autres objets. L’objet n’entre en relation avec rien, d’où l’élimination
du risque de destruction. Si l’on prend l’exemple : « Le mur est blanc »,
cette proposition deviendra pour la pensée — le mur est mur et le blanc
est blanc. L’espace se limite à un dedans et à un dehors immuables : le
dedans reste le dedans, et le dehors reste le dehors. Cette projection
uniciste vise à rendre tout échange impossible. Le dehors contre lequel
l’enfant se défend, c’est la figure maternelle ainsi que l’ambiance
maternelle. Il y a donc un « dedans » et un « dehors ». Ces deux termes
ne sont pas sujets, mais l’un est mauvais (le dehors) tandis que l’autre
ne l’est pas. C’est ainsi que l’enfant parvient à neutraliser le dehors qui
demeure extérieur, tandis qu’il reste au dedans.
Rappelons un exemple emprunté à Berthe Rehahla qui décrit cette
organisation du non-lien, en montrant un enfant qui dessine un cheval
au galop, en traçant trois cercles séparés et en expliquant que le premier
cercle, c’est lui, le second — le cheval, et le troisième — le galop. En
fait, l’intégration de la contradiction modifiant la structure de la pensée
relèverait de la solution psychotique, l’organisation spatiale se tradui-
sant par un espace constitué d’emboîtement ou d’inclusions récipro-
ques, dans lequel le dedans fait partie du dehors qui fait partie du
dedans. Il faut noter l’équivalence des dimensions : petit = grand, et
surtout, le tout est égal à la partie. On a donc là non un espace de repré-
sentation, mais un espace qui évite la perte, car si l’on perd, on
retrouve, et si l’on retrouve, on perd. Ainsi l’enfant se met à l’abri de
l’angoisse de perte.
La sculpture de Narcisse de Zadkine, créée en 1949, évoque chez
Pankow (1974), une conception du narcissisme rejoignant cette
analyse : « Ainsi », dit-elle, « Zadkine a-t-il saisi l’aspect de la dissocia-
tion dans le problème de Narcisse : une partie du corps devient le tout.
C’est cela qui signifie la destruction ». Le phénomène de dissociation
se conjugue avec le rejet (c’est ainsi qu’elle traduit « Verwerfung). Le
rejet d’une partie du corps suivant un « ordre nouveau », ou nouvelle
loi, suffit à ce que le corps soit tout entier objet de rejet.
Nous venons de voir que l’absence de langage dans l’autisme peut
être envisagée comme un évitement des liens à la figure maternelle.
Ceci nous amène donc à nous interroger sur le langage verbal dans ses
rapports à l’espace et à la pensée dans la psychose.
Le linguiste Benveniste (1966) établit une distinction entre symbo-
lisme linguistique et symbolisme de l’inconscient freudien. Pour lui, la
langue est un système, un instrument d’agencement du monde et de la
société, et chaque langue a sa spécificité et sa configuration propre du
monde. Mais, aucune langue n’échappe au principe de contradiction et
ne peut utiliser une même expression pour deux notions qui s’excluent
Clinique psychomotrice de l’enfant 169
17. Il est à noter que Wolfson se déplace dans un espace qu’il ne connaît pas, il
cherche son chemin et pour ce faire il élabore simultanément la configuration
spatiale d’un composé biochimique. Cette situation ne saurait être confondue
avec celle d’une personne écoutant une conférence d’une oreille distraite, se
laissant aller à des associations diverses par exemple.
Clinique psychomotrice de l’enfant 171
tale ou objectale inanimée à ce qui est en fait une idée, une représentation
mentale, une problématique humaine. L’anthropomorphisation corres-
pond à la façon projective dont se met en place la fonction symbolique
chez le jeune être humain dans son rapport au monde. D’après F. Dolto,
« un enfant ne peut pas prendre contact avec quoi que ce soit qui l’inté-
resse sans l’anthropomorphiser, sans l’humaniser et sans un transfert
même sur les objets ». Elle ajoute : « L’enfant prête une partie de son
image du corps à des objets, à des personnes (…) et il entre à ce moment-
là en communication ». Ainsi, l’image du corps elle-même peut-elle être
abordée comme fruit d’une projection de soi dans une représentation, tel
l’enfant de 18 mois pour qui l’étoile du berger brillant dans le cosmos
peut être un reflet du regard de la mère. Bernard Guilleraut (1989)
précisera : « C’est d’abord avec son corps que l’enfant représente pour
autrui, c’est d’abord son corps qu’il représente ».
Nous avons donc tenté d’esquisser dans les pages précédentes le sta-
tut du corps, du langage, dans l’autisme et la psychose, avec en déno-
minateur commun l’espace. Nous avons pu constater à la lumière des
travaux de différents auteurs, que ces trois facteurs déterminants étaient
très intriqués et dépendaient des aléas de la relation primordiale à la
figure maternelle en termes de liens ou de non-liens, de représentation
et d’émotion. On a là une problématique concernant le narcissisme et le
rôle de l’autre en tant que double du soi.
Ceci nous amène à considérer un sujet qui nous tient particulièrement
à cœur, tant au plan théorique que clinique : nous voulons parler de l’imi-
tation, qui est l’objet, à l’heure actuelle, de recherches importantes, en
particulier dans le domaine de l’autisme. C’est ainsi que par exemple, les
recherches sur l’imitation dans l’autisme, entreprises par Jacqueline
Nadel (1980), tendent à démontrer que les enfants autistes sensibles à
l’imitation, sont plus enclins à accéder au langage verbal que les enfants
qui y demeurent insensibles. Elle donne, en outre, un caractère de
« liant » à l’imitation qui apparaît comme un passage obligé à la commu-
nication. Marcelli (1989), reprenant Winnicott, établit un rapport entre
l’imitation et le visage de la mère en tant que miroir. Il a récemment émis
une hypothèse à propos de l’imitation qui, associée à une représentation,
permet l’identification secondaire. Il se place, à propos de l’imitation
précoce, dans cet en-deçà de la névrose infantile, des identifications
secondaires et des représentations d’images parentales. Au début, la
question sujet-objet ne se pose pas… La dyade mère-enfant s’identifie
dans un processus circulaire, grâce à ce jeu mimétique interactif incons-
cient. En 1983, dans un article paru dans la revue Neuropsychiatrie de
l’enfance et de l’adolescence, nous avions souligné, à la suite de Cramer,
l’importance des échanges imitatifs dans le dyade mère-enfant, soit 16 %
du temps des échanges entre la mère et l’enfant qui y étaient consacrés.
Clinique psychomotrice de l’enfant 173
titution de son espace propre. Tout semble se passer comme si l’enfant pouvait se
dédoubler pour suivre en un même temps une séquence verbale donnée conjointement à
une activité corporelle sensée, sans que l’une et l’autre n’entretiennent le moindre
rapport en commun (du moins manifeste).
Lors de notre seconde rencontre, Hugo m’interpelle à tout bout de champ « Olivier,
regarde… Olivier, comment on fait… » etc., comme si nous étions des connaissances de
longue date qui prennent un grand plaisir à se retrouver.
Je m’interroge en outre sur le trouble du regard que présente Hugo : il paraît
refuser de fixer le visage de l’autre lorsque les deux visages sont relativement proches.
En quoi cela peut-il prendre sens dans la mesure où, tout à la fois, Hugo ne peut pas me
regarder en face alors que la tonalité relationnelle qu’il induit est extrêmement chaleu-
reuse et semble synonyme de plaisir? La fuite du regard est si prégnante que l’épreuve
d’imitation de gestes est irréalisable, mon corps ne peut être accepté comme support
visuel pour l’enfant. La posture et le corps d’autrui, lorsque autrui est l’initiateur d’une
relation où l’imitation est de mise, sont alors soudainement projetés aux antipodes du
familier, et la sollicitation de l’autre renforce ce mouvement projectif19 qui délimite par
là même l’espace inverse du familier, l’espace de l’étranger. Le corps d’autrui, lorsque il
est sous-tendu par la sollicitation de l’autre ne peut constituer de modèle identificatoire
pour Hugo. Si la vision ne permet pas à l’enfant (mis à part, sans aucun doute, la vision
à la dérobée où deux regards ne se font pas face) d’appréhender le corps de l’autre, il
s’ensuit de graves perturbations dans la représentation de son propre corps. La cons-
cience corporelle de son dos, de l’arrière-plan, est balbutiante, il ne connaît pas les
parties de son corps. Je découvre également qu’il ne sait ni dessiner un bonhomme ni
envisager comment construire un bonhomme en pâte à modeler.
L’espace topologique est structuré mais paraît avoir évincé la question du corps
dans son étayage : nous sommes debout, face à face. Je demande à Hugo de nommer ma
position — « Hugo, derrière le terrain de foot » répond-t-il. Si j’insiste, il répond à
nouveau qu’il est derrière le terrain de foot. En revanche, en manipulant un taille-crayon
et en le disposant de différentes façons par rapport à un bonhomme Playmobil, Hugo
contre toute attente, retrouve « devant », « derrière », « dessus », « dessous », « à côté » et
« de l’autre côté ». Il peut situer la position relative d’un objet par rapport à un autre, ce
qui demande en soi une première décentration et nécessite une opération intellectuelle
(d’autant plus que le bonhomme Playmobil fait face à l’enfant, ne se plaçant donc pas
selon la même orientation que son corps propre, mais en direction inverse). La verbali-
sation de ma position par rapport à lui, dans une situation où nos deux corps en sont les
protagonistes, est impossible. Dans le cadre de cette relation, Hugo semble fuir pour se
réfugier aux confins de son espace imaginaire, « derrière le terrain de foot ».
Un espace éminemment imaginaire, un espace organisé autour de deux pôles, le
proche et le lointain, respectivement liés aux sentiments d’inquiétante étrangeté et
d’étrange familiarité.
C’est dans ce contexte que je rencontre désormais Hugo toutes les semaines,
pendant deux ans. Lors de la première année, un travail de « contenance » est proposé à
19. La projection dont il est question ici est sans aucun doute assimilable au
concept de projection sensorielle de Sami-Ali, projection à l’œuvre dans la
constitution de l’espace et des objets (traités alors comme des objets-images
du corps) dont le rôle est dévolu au corps propre comme schéma premier de la
représentation. La projection est alors sous-tendue par un mécanisme
s’étayant sur les modalités perceptives, en l’occurrence visuelle pour notre
exemple. Voir Sami-Ali (1970, 1974).
176 L’enfant : de l’agi au représenté
l’enfant. Hugo, très attiré par les jeux éducatifs (puzzles, Memory, jeu de cartes) qu’il
utilise sans cesse, permet de placer les séances sous le signe de la délimitation : à travers
toutes ces situations, il apprend et acquiert des repères qui balisent le champ de sa
pensée. Des repères cognitifs, des repères spatiaux, des repères temporels, des repères
corporels, le dessin du bonhomme se structurant en parallèle. Ces repères permettent de
délimiter une pensée qui peu à peu émerge et prend corps, la pensée est en train de se
structurer. Cette étape me semble après coup avoir été primordiale et incontournable.
Après coup seulement, parce que pendant cette première année, cha-
que séance a ressemblé aux autres. Cela n’a pas été sans provoquer
chez moi une certaine lassitude.
Séances répétitives, sensation d’absence de matériel psychique…
pourtant, c’est au sein de cette répétition que l’enfant construit sa pen-
sée. Si je ressens, moi, un affect s’éloignant de plus en plus d’un affect
positif au fur et à mesure des séances, il n’en n’est pas de même pour
Hugo. Il répète, et il répète dans le plaisir. La répétition n’est sûrement
pas là le reflet de la compulsion de répétition mais bien le signe que
quelque chose, une fonction, est en train de se constituer et qu’elle se
constitue dans l’association plaisir-répétition. Il me faut apprendre
alors à devenir le témoin patient de cette constitution, en accompagnant
l’enfant dans ce cheminement. Le thérapeute a une fonction qui ne se
résume pas comme le dit D. Anzieu à « interpréter dans le transfert les
failles et les surinvestissements défensifs du contenant et à « construire »
les empiétements précoces (…), mais à offrir à son patient une disposi-
tion intérieure et une façon de communiquer qui témoignent à celui-ci
de la possibilité d’une fonction contenante et qui lui en permettent une
suffisante intériorisation » (Anzieu, 1985). Lorsque Hugo propose un
jeu, il lui faut tout d’abord en apprendre les règles pour les utiliser, afin,
dans la répétition, d’en retirer des bénéfices en termes d’acquis cogni-
tifs. Petit à petit, dans la collaboration ou la compétition, la pensée con-
crète de l’enfant se structure; il apprend par exemple à compter lorsque,
après chaque partie de Memory, il désire savoir qui de nous deux a
gagné : il se saisit alors de nos tas respectifs et en compte les cartes.
C’est d’un besoin interne qu’a surgi la nécessité pour l’enfant de
compter, et non d’une exigence externe, qu’Hugo investit encore comme
une contrainte inutile ou dangereuse. C’est à ce titre sans doute qu’une
thérapie d’enfant, sans être galvaudée, permet un bénéfice en terme
d’acquis, d’apprentissages éducatifs, sans que cela ne soit ni, d’une part,
un but en soi, ni, d’autre part, une approche suffisante dans ce domaine
pour des enfants atteints à ce point dans leur fonctionnement cognitif.
La mise en chantier de la pensée et des représentations s’exprime à
tous les niveaux, la projection sensorielle se met cette fois au service de
la constitution d’un espace de la représentation. Le dessin du bonhomme
apparaît subitement, sans phase transitoire par le bonhomme têtard.
La répétition dans le jeu de l’enfant : au-delà de la compulsion 177
BIBLIOGRAPHIE
1. Un tel pattern de perceptions a été en partie confi rmé par les travaux de
J. Brooks-Gun et M.-P. Warren (1985), E.-D. Nottelmann, E.-J. Susman and
al. (1987), E.-B. Grief et K.-J. Ulman (1982)…
2. Le poids réel du garçon est supérieur à celui de la fille.
184 L’adolescent : le corps entre biologie et passion
une image corporelle. Or, le poids est un indice utilisé par les enfants
dès l’âge de 3 ans pour catégoriser autrui, mais les filles y sont plus
sensibles que les garçons (A. Worsley, 1981; D.-R. White, 1981; D.-R.
White, K. Mauro, J. Spindler, 1985). A 12/13 ans, les jeunes focalisent
leur attention sur leurs pieds, jambes, tronc, bras ; puis à partir de 15/
16 ans sur leurs poids et tailles (R. Canestrari, M.T. Magri,
F. Muscianesi, Picardi, 1980). Notons que cette focalisation pondérale
largement médiatisée, perdurera toute la vie au point de laisser insatis-
faits 32 % d’hommes et 70 % de femmes de nos sociétés industriali-
sées (A.-E. Fallon, P. Rozin, 1985). Quant aux filles les plus grandes et
aux garçons les plus petits, ils affichent une insatisfaction corporelle et
d’eux-mêmes (estime de soi). Récemment M. Choquet, S. Ledoux et
H. Menke (1988) retrouvent sur une population française scolarisée
âgée de 16 à 18 ans cette préoccupation constante par rapport au poids
avec :
– à 16 ans, un sujet sur quatre qui se perçoit trop gros ou trop petit
(26 % des filles se considèrent trop petites, 36 % trop grosses alors que
20 % des garçons se décrivent trop petits et 11 % trop gros).
– à 18 ans, l’image corporelle des filles ne se modifie pas tandis que
celle des garçons s’améliore (5 % se trouvent trop gros et 10 % trop
petits).
Même si les 16/18 ans se jugent comme ayant du charme, environ
un sur deux n’aime pas être photographié, ni se regarder dans une glace
d’où la nécessité de manier avec prudence en clinique psychomotrice
l’usage de tout extra feedback (photographie, film vidéo, miroir…).
Enfin la maturité génitale conduit :
– le garçon à s’intéresser à ses organes génitaux avec une note
d’anxiété et de fréquentes conduites de comparaisons avec les pairs,
– la fille à se focaliser sur les seins (M.-B. Rosenbaum, 1979).
En fonction du niveau de maturation pubertaire impliquant l’accès à
un certain type de raisonnement (pré-opératoire, opératoire), les désirs
et le statut du sujet se modifient au sein de la famille. Le point de conflit
maximum avec les parents correspond au moment des changements les
plus importants. Les relations sont alors plus difficiles avec la mère
qu’avec le père; cela d’autant plus que la puberté est précoce. Au fur et
à mesure se produit une distanciation émotionnelle et une autonomisa-
tion (S.-T. Hauser, W. Liebman et al. 1985; L. Steinberg, 1981, 1987).
In fine la traversée adolescente pousse la dynamique familiale dans un
rapport de co-création et co-évolution (R. Neuburger, 1987; L. Onnis,
1988) que le psychomotricien ne saurait ignorer dans la prise en charge
d’un jeune.
Image du corps et image de soi : de l'hétéro à l’auto-perception 185
3. Ce sont des artefacts pour objets extérieurs tenus et/ou portés (vêtures,
lunettes, boucles d’oreille,…).
4. Là, les transformations affectent le corps de manière plus ou moins réversi-
bles (tatouage, teinte des cheveux, chirurgie esthétique…).
5. Par exemple un laid peut sur-investir des activités intellectuelles et/ou
professionnelles, se dotant ainsi d’une reconnaissance d’un autre type
balayant le stéréotype sus-énoncé.
186 L’adolescent : le corps entre biologie et passion
« L’être-corps » adolescent
Dans ce creuset narcissique, le corps transparaît comme une inter-
face entre le monde externe, interne et fantasmatique avec un « Moi
peau » (D. Anzieu, 1985) en cours de ré-élaboration dans la quête d’une
néo-identité métabolisant chacun de ces appareils vivifiants potentielle-
ment porteurs d’un auto-engendrement (A. Birraux, 1990). Pris à la
croisée d’un système d’échanges et de communications, le corps a des
besoins; il désire, symbolise, suscite, tout en étant image et masse char-
nelle. Référence socio-culturelle, repère spatial et représentatif, le
corps se positionne dans une dialectique en laquelle le jeune se con-
fronte à un système de multicontraintes l’amenant de facto à réaliser
une action créative quelle que soit la voie empruntée (psychopatholo-
gie, passage à l’acte, création littéraire ou autres).
Confronté, comme le rappelle Ph. Jeammet (1991) à partir de
l’étayage kleinien travaillé par E. Jaques (1974), à une forte sollici-
tude de la position dépressive qui s’élabore de manière silencieuse ou
par touches discrètes ou encore fort bruyamment lorsque la perte objec-
tale apparaît, le jeune dispose de l'ambiguïté d’un corps méconnu
représentant de soi, des parents et des regards des autres. S’il peut
croire choisir sa pensée, cela devient très vite obsolète pour le corps.
S’adonner à une relation de plaisir avec son corps revient à l’accepter
comme représentant parental; bref à embrasser ce qu’il refoule le plus :
la dépendance. A partir d’une telle ambivalence, se reconnaître dans
son corps, et qui plus est dans son corps sexué entraîne un travail psy-
chique à étayage pulsionnel. Lorsque ce processus délicat achoppe,
notamment par un effacement des parents et/ou de leurs images dans la
constitution de son soi corporel, surgit une délibidinisation avec un cli-
vage entre corps externe et interne entraînant à terme un blocage des
identifications avec un corps mécanisé et maîtrisé. La transcription
symptomatique d’un tel clivage s’étend d’un masochisme basal 6 à
l’anorexie en passant par la dysmorphophobie et les pathologies der-
matologiques, (Ph. Jeammet, 1984 ; H. Chabrol, 1991). A côté de ces
attaques contre le corps, la pathologie de l’agir, fréquent reflet d’un
débordement des capacités d’organisation névrotiques, d’une angoisse
et d’une dépressivité, prend des formes diverses telle que la prise de ris-
ques en laquelle ils recherchent une sensation forte pour exister à la
– des addictions;
– des troubles sexuels.
Voies toujours à même de se conjuguer en divers cocktails quelque-
fois bien éloignés de la symptomatologie initiale de l’enfance (J. Bié-
derman, S.-V. Faraone, K. Keenan, M.-T. Tsuang, 1991; S. Mannuzza,
R.-G. Klein et al., 1991).
Par contre d’autres troubles psychomoteurs, sans être des contempo-
rains sensus scripto de l’adolescence, peuvent naître et/ou s’amplifier
en cette période; tel est le cas de la maladie des tics de Gilles de la Tou-
rette (M. Dugas, 1985; M. Schachter, 1986). Les premiers symptômes
de ce trouble apparaissent entre 2 et 21 ans soit sous la forme de :
– tics moteurs ou complexes intéressant surtout la tête (clignement
des yeux, etc.), le torse (haussement des épaules, etc.) et les membres
(secousses, etc.),
– tics vocaux simples (grognements, aboiements, reniflements,…)
ou complexes (coprolalie, écholalie, palilalie,…);
– tics multiples et associés (verbaux et moteurs).
Souvent c’est dans la phase péri-pubère que la maladie apparaît et
s’installe avec des phases de rémissions plus ou moins complètes
(G. Erenberg, R.-P. Cruse, A.-D. Rothner, 1987). Elle s’inscrit dans le
cadre des mouvements pathologiques psychomoteurs au même titre
que les tics moteurs isolés, les stéréotypies isolées et le syndrome cho-
réiforme. De plus, elle offre un ensemble d’hypothèses étiologiques
biologiques et biochimiques en cours d’études (J.-F. Leckman, J. Del-
tor, D.-J. Cohen, 1983; E. Shapiro, A.-K. Shapiro, et al. 1989)
Enfin il est des troubles psychomoteurs :
– moins spectaculaires et / ou classiques que ceux sus développés
mais qui traversent l’adolescence avec une intensité variable engen-
drant un désavantage10. Il suffit de rappeler les impacts des difficultés
d’orientation et de projection spatiales, des dysgraphies, des inhibi-
tions, des déficits visuo-perceptifs… pour mesurer le caractère poten-
tiellement invalidant de tels troubles dans la vie quotidienne, scolaire et
professionnelle (A. Fernandez-Zoïla, 1987 ; B. Gillet, 1987, A. Rault,
1987);
– littéralement spécifiques de la période adolescente ; il s’agit de
ceux affectant le corps dans ses réalités, ses images et ses symboles.
Ces troubles se retrouvent dans diverses modalités corporelles allant du
11. Il est clair que l’être-corps est avant tout une notion clinique opération-
nelle qui établit le lien entre le concret et le psychique via une théorisation
conceptuelle.
192 L’adolescent : le corps entre biologie et passion
16. Elle n’est pas à proprement parlé une phobie compte tenu qu’elle a un objet
permanent, plus ou moins localisé, et internalisé. D’ailleurs le DSM III-R lui
préfère le terme de « dysmorphie ». D’autres, comme V. Mirabel (1982), propo-
sent d’employer le terme « dysmorphesthésie » pour désigner ces troubles de
l’apparence liés à la distorsion de la perception esthétique de l’image de soi.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 195
20. 0,35 % de T.S. chez les adolescents contre 0,19 % dans la population
générale.
198 L’adolescent : le corps entre biologie et passion
Essai de définition
Malgré la multitude des références à l’examen psychomoteur, il
règne une polysémie constituant une véritable aporie ! Cette situation
conduit à forger une définition opérationnelle étayée à la fois sur les
données de la clinique armée (P. Pichot, 1978) et de la clinique psycho-
motrice (J.-J. Guillarmé, 1982; Ph. Pham-Van, 1990). Ainsi il semble
pertinent d’appeler examen psychomoteur :
– une rencontre singulière avec un sujet (en l’occurrence adolescent)
et ses contextes de vie; le tout en privilégiant l’entretien clinique dans
un cadre transférentiel;
– une pluralité d’observations et d’évaluations cliniques référencées
d’une part à des stades développementaux, d’autre part à une percep-
tion de la situation bio-psycho-socio-culturelle et familiale du sujet;
– un ensemble de situations expérimentales (tests psychométriques,
questionnaires, check list,…) standardisées, servant de stimuli à des
comportements qui seront évalués par une comparaison (statistique ou
autre) à ceux d’autres sujets placés dans la ou les mêmes situations ;
– des liaisons ponctuelles et/ou approfondies avec les entourages
(familial, scolaire, professionnel, amical, …) du sujet.
L’intrication de ces quatre points en un même espace-temps confère
à cette modalité sa raison d’être et sa force.
Objectifs principaux
Avec l’adolescent, il apparaît totalement obsolète de se focaliser sur
la seule recherche de symptôme et/ou syndrome. En fait l’examen psy-
chomoteur s’ouvre sur :
– la connaissance globale du jeune et de son vécu, notamment par
rapport à l’être-corps,
– l’observation de ses comportements, de ses conduites, de sa plasti-
cité adaptative, de la qualité de ses relations interpersonnelles et grou-
pales,
– l’appréciation objective de ses performances et aptitudes psycho-
motrices, cognitivo-affectives et sociales,
– la suggestion d’examens et/ou d’explorations complémentaires,
– l’intelligibilité de la situation et des difficultés présentées,
200 L’adolescent : le corps entre biologie et passion
Rencontrer l’adolescent
L’enjeu d’un tel processus d’investigation requiert non pas une mais
plusieurs entrevues d’autant que nombre de travaux tendent à démon-
trer que les représentations, forgées par le ou les praticiens, des difficul-
tés des patients se modifient considérablement au cours des cinq ou six
premiers rendez-vous (A. Dazord, P. Gerin et coll., 1989 ; P. Gerin,
A. Dazord, 1992). Par ailleurs, la variété de l’examen psychomoteur
fournit au jeune une diversité de miroirs en lesquels il peut se percevoir
sans risque de succomber à la dépendance d’un tiers (Ph. Jeammet,
1980; J.-L. Donnet, 1983). Sa plasticité inhérente à l’exploration de ce
temps de vie n’abolit pas une certaine rigueur de mise en forme : la
trame POEMS. Modulable à souhait en fonction des contextes clini-
ques, cette trame évite tout fonctionnement routinier ; l’examen devient
ainsi une aventure et une création à deux (J.-L. Sudres, 1991). En clair,
la trame POEMS comprends un temps de :
Psychométrie (P)
23. Nombre d’outils vont de l’enfance à l’âge de 12-13 ans ; d’autres débutent
selon le champ considéré à 15 ou 16 ans. D’où la nécessité de réaliser des
adaptations en certains cas de suivis thérapeutiques et de jongler avec
plusieurs outils.
Examen psychomoteur de l’adolescence… 203
Observation (O)
Elle se déroule tout au long de l’examen et consiste à apprécier par la
vue, la palpation, la mobilisation passive et volontaire, la mise en acte,
les aspects suivants :
– la morphologie et l’esthétique,
– le niveau de développement pubertaire,
– la tenue vestimentaire et l’hygiène,
– le traitement de l’être-corps,
– la mimique et la motricité faciale,
– le langage tonico-émotionnel et le tonus musculaire,
– le jeu des communications non verbales, infra-verbales et cultu-
relles,
– le langage verbal,
– les conduites psychomotrices (marche, équilibre, coordination-dis-
sociation des mouvements, motricité manuelle, attitudes de compensa-
tion motrice, lenteur, impulsivité, hyperactivité, maladresse, etc.),
– l’orientation temporo-spatiale,
– les mouvements parasites (tics, stéréotypies, syncinésies, persévé-
rations…),
– les signes neurologiques patents (« hard ») et légers (« soft »),
– les signes somatiques de l’anxiété, de la dépression, de l’inhibition,
du mal-être corporel,
– le degré de fatigabilité et de concentration,
– l’autonomie socio-adaptative,
– les capacités d’élaboration et de créativité,
– les réactions cognitivo-affectives et socio-culturelles.
Ces points d’observations naturalistes, relativement classiques,
apportent une pondération capitale à la psychométrie. Ils peuvent, avec
l’accord du jeune, s’enrichir d’une éventuelle démarche sur le terrain
familial et/ou amical et/ou scolaire et/ou professionnel (M. Basquin,
1985; B. Durand, A. Gautrot, 1985; J. Hochmann, 1986).
Entretien (E)
Incluant, dépassant et prolongeant la simple rencontre dans le sens
où chaque entrevue va cheminer par et avec cette modalité d’équilibra-
tion qu’est l’entretien; soit ce qui « entre » se « tien ». Bien entendu, par
delà le recueil des données anamnestiques et de la symptomatologie, il
s’agit de :
– mesurer dans la vie quotidienne du sujet la valeur de la plainte et/
ou de la difficulté révélée ou non par une épreuve psychométrique;
204 L’adolescent : le corps entre biologie et passion
Conclusion
Entre corps réel et corps imaginaire, l’être-corps adolescent se
déploie dans des difficultés et/ou troubles infiltrant avec toute une
gamme de formes l’ensemble de la psychopathologie juvénile. Ne pas
tenir compte de cet état de fait revient à cheminer dans des conceptions
anachroniques des troubles psychomoteurs et secondairement à
octroyer un soin de moindre qualité aux jeunes.
La difficulté de fonder une psychomotricité de l’adolescent tient :
– d’une part à l’absence de statut pour cette période de vie qui fleurit
tous les discours de la modernité;
– d’autre part, au peu de place que la pratique psychomotrice
accorde à cette période de vie alors même qu’elle répond littéralement
à toutes ses ambitions.
C’est dans ce double paradoxe que le psychomotricien œuvre avec, à
chaque fois, la tentation d’une sur-spécialisation échappatoire et appau-
vrissante.
Le soin psychomoteur de l’adolescent constitue au sein des sciences
humaines et médicales une modalité novatrice, certes mal connue, mais
promise à un bel avenir dans nos sociétés industrialisées.
« L’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose ».
Marcel Proust (A l’ombre des jeunes filles en fleurs).
BIBLIOGRAPHIE
1. Anne GATECEL.
210 L’adulte : corps, affect et représentation
INDICATIONS2
2. Daniel VIGNE.
212 L’adulte : corps, affect et représentation
3. Françoise D ÉSOBEAU.
214 L’adulte : corps, affect et représentation
Principes de base
Dans la thérapie d’expression corporelle et émotionnelle, ce n’est
pas le corps du sujet qui est le lieu privilégié d’intervention, mais le
sujet dans son corps en relation. « Le corps humain est toujours
l’expression d’un moi et d’une personnalité, et il est dans le monde »
(P. Schilder).
Nous avons l’intention dans cette thérapie de saisir l’homme dans sa
globalité en interaction à son environnement. En partant du principe
fondamental que dès sa conception l’individu est un être en relation,
nous savons qu’il a à gérer des relations multiples en lui et à l’extérieur
de lui, pour survivre. Toute pathologie ou mal-être est un rétrécisse-
ment des possibilités de relation.
Dans un premier temps, le travail thérapeutique visera à une remise
en relations, un déclivage, une libération.
Pour illustrer notre travail, imaginons un schéma simpliste de la per-
sonne en relation.
Supposons trois sphères intriquées l’une dans l’autre : la sphère
mentale, la sphère affective, la sphère somatique. Chacune de ces sphè-
res contient la réalité mais aussi une charge du symbolique et de l’ima-
ginaire du sujet, entraînant dans toute relation ces trois dimensions.
N’oublions pas que l’individu est animé des mouvements conscients et
inconscients de son psychisme.
Dans la sphère mentale nous trouvons essentiellement la structura-
tion temporelle et spatiale, l’organisation des connaissances, l’imagi-
naire et la pensée, sans oublier la mémoire.
Dans la sphère affective se retrouvent les affects qui ont accompa-
gnés nos premières expériences vitales jusqu’à ce jour : plaisir, déplai-
sir, tendresse et colère, peur et courage, peine et joie.
216 L’adulte : corps, affect et représentation
Représentations
Émotions
Affects
Tonico-affectif
Soma
Le spirituel
Mémoire
imaginaire
Représentations
Connaissances
Sentiments
Émotions
Affects
Tonico-affectif
Soma
Modalités techniques
« Se sentir exister avec sécurité dans un corps autonome, représente
un état autonome de moins en moins répandu. Quand la règle de libre
parole tue le contact de l’échange, c’est du corps que la libre expression
se fraie son chemin » (D. Anzieu).
En prenant le langage corporel comme médiation de la psychothéra-
pie de l’individu, nous retrouvons les chemins, les traces de ses premiè-
res organisations ou désorganisations, de ses premiers investissements
libidinaux, de ses fixations, de ses souffrances. Les mouvements du
corps aussi bien que les sentis, modifient les échanges toniques et per-
mettent des états régressifs, qui libèrent le refoulé.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 219
Le mouvement
« Le mouvement ne ment pas » (M. Graham).
Centrées sur les ressentis de son corps, liées à tout ce qui s’y accro-
che, des intentions de mouvements surgissent : décharges des jambes,
blocage des mâchoires, rotations de la tête, poings qui se ferment, posi-
tion fœtale… Ce mouvement survient souvent à l’insu du sujet. L’inter-
vention du thérapeute, corporelle ou verbale, permet au sujet de se
regarder faire, de reconnaître son mouvement, soit à l’origine dans la
tension, soit déjà dans son expression. Il est alors invité à s’en saisir et
à l’amplifier.
« Les images acoustiques, visuelles, cénesthésiques et motrices du
mouvement, parviennent au système conscient du sujet et c’est alors, à
ce prix, que s’effectue la déliaison de l’énergie, ce qui rend possible un
remaniement personnel ».
220 L’adulte : corps, affect et représentation
L’expression de l’émotion
« Sachant que dans un mouvement de bascule la résistance par l’ins-
cription corporelle fera bientôt place à une expression émotionnelle qui
servira de levier, et permettra l’émergence de la représentation
manquante » (A. Lefèvre).
L’expression émotionnelle est maintenant liée au mouvement. Elle le
domine très vite; réveillée, c’est elle qui va entraîner la dramatisation et
l’expression corporelle.
Comment dire ce que je ressens au moment où je déborde d’émotion ?
Ce que je sens dépasse la parole, alors je joue, je mets en scène,
j’investis le plateau thérapeutique et tous les signes du corps traduisent
et transmettent mon émotion.
« Expression dramatique improvisée qui engage l’être entier dans
son corps et sa vie psychique ».
Engagement corporel en thérapie d’adultes 221
La verbalisation
Si la relaxation permet au sujet de lier sensations, mouvements et
émotions, l’émotion mise en jeu, au lieu de rester rivée au corps, per-
met le passage à la sphère mentale. Ce travail qui, au départ était
recherche, exploration, est devenu dans l’espace thérapeutique explo-
sion de projections, ressaisies et intériorisées : la représentation ouvre
et organise l’espace mental.
Respiration, voix, cris vont solliciter les représentations et permettre
que des mots viennent ponctuer le mouvement corporel et émotionnel.
Au-delà du confus, de l’inexprimé, du vécu figé, du mal-être, un che-
min se trace vers l’organisé, le dire, la parole, le discours verbal. Le cri
du nouveau-né était signal, décharge tonique et émotionnelle en dehors
de toute représentation. Ce cri appelait une réponse. C’est pourquoi le
mouvement dans sa qualité tonique est lié à la sensibilité du sujet qui
parle. Lié à l’activité motrice, peu à peu le verbal s’en détache pour
devenir lui-même, comme le mouvement, organisateur de cet « être au
monde ». L’un est organisateur de l’être, dans l’espace extérieur, l’autre
est organisateur de l’être dans son espace interne et mental. C’est le jeu
continu des échanges externes-internes, projections-introjections, qui
constituent la dimension de l’homme.
222 L’adulte : corps, affect et représentation
Fonctionnement
La relation thérapeutique
A. Jodorowsky, cinéaste, à qui l’on demandait de parler de l’autisme,
s’adressant à son auditoire, dit :
« Qu’est-ce qu’un thérapeute?
C’est un homme invisible, c’est un homme qui a complètement
sacrifié sa présence, pour entrer dans le problème de l’autre… Tant que
l’on n’est pas rentré dans la présence de l’autre, dans l’existence de
l’autre, on est autiste. On est dans son monde à soi ».
La thérapie corporelle est une situation de rencontre. Là en est
l’essentiel. Rencontre qui s’origine dans le langage corporel, souvent
dans le corps à corps, allant de l’infra-verbal au verbal. Cette relation
privilégiée et tous les mouvements transférentiels qui y sont liés, créent
le champ thérapeutique, c’est-à-dire le champ associatif.
Ce temps-espace est tout entier pour le sujet. Il lui appartient. L’atti-
tude fondamentale du thérapeute sera d’être pleinement en présence du
sujet : il va créer un espace, un lieu en lui, et, entre le sujet et lui, pour
le sujet. Ce champ de communications, d’échanges, va se charger des
projections du sujet qui se saisit du thérapeute, en en faisant son objet.
Là, dans cet espace, prennent sens les expériences multiples du sujet, et
s’organise une représentation de ses ressentis et de ses agis.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 223
Le cadre
Le groupe
« La psychothérapie de groupe est une forme particulière de traite-
ment qui s’est donné pour objectif de guérir aussi bien le groupe consi-
déré comme un tout, que ses membres par l’intermédiaire du groupe »
(J.-L. Moreno).
Comme dans tout groupe, les participants se distribuent les rôles en
fonction de ce qu’ils vivent eux-mêmes. Le groupe en tant que tel
existe, s’organise et se développe. Il devient support d’évolution de
chacun et développe sa personnalité propre. Aucun groupe n’a la
même.
Le thérapeute fait partie intégrante du groupe. Il est engagé dans
l’expression corporelle et émotionnelle de chacun. A tout moment, il
lui faut être disponible au décryptage des mouvements qui s’opèrent.
C’est de cette analyse que dépend son propre mouvement. Il est pour le
groupe objet d’identification et de projection, mais représentant de la
loi, et à ce chef, assure la protection du groupe et de chacun en son sein.
Le groupe permettra à chacun la prise de conscience de ce qu’il est
par l’établissement d’un réel contact avec ses sensations, ses émotions
et son imaginaire, grâce aux situations multiples vécues avec d’autres.
Le groupe est un espace de liberté, de dire vrai, de réalisation, de pro-
jection, d’introjection, et de rencontre. Le sujet se sentant suffisamment
en sécurité, peut relâcher son système de défense, trop coûteux ou mal
adapté, et par là remanier son économie libidinale. Le groupe est un
véritable outil thérapeutique, où l’on retrouve les interactions des
identifications variées, des transferts latéraux. Terrain d’affrontement,
miroir de soi, lieu de projection, il participe à la thérapie de chacun.
« Le groupe exerce des effets psychothérapeutiques sur les personnes
qui le composent. Il peut rétablir la situation fantasmatique intra-sub-
jective, et avec elle, les dispositions au jeu, à la créativité, à la symboli-
sation. Il peut défaire les identifications imaginaires, et reconstruire de
nouvelles identifications narcissiques et symboliques. Il permet, mieux
que la psychothérapie individuelle de retrouver et perlaborer les trau-
matismes précoces » (D. Anzieu).
On peut dire que le groupe en tant que tel participe à la fonction thé-
rapeutique. Il est témoin, contenant, garant de la continuité du discours
de chacun. Sans risque d’être détruit, il permet à chacun d’oser contre
lui ses mouvements agressifs ou de rejet, il gère les conflits intra-muros.
Pour chacun il est processus d’interactions et d’émotions partagées.
226 L’adulte : corps, affect et représentation
Conclusion
Si le sensori-moteur est à l’origine de l’activité mentale du jeune
enfant, on peut postuler que le blocage de l’activité sensori-motrice de
l’individu va entraîner un blocage de l’activité mentale.
L’inhibition des affects, ou une trop grande charge émotionnelle,
vont aussi bloquer la vie psychique et relationnelle du sujet. Le refoule-
ment de l’imaginaire est sans doute à l’origine de la somatisation, en
référence aux travaux de Sami-Ali, de même que le refoulement mnési-
ques des premières expériences de la vie. Sur ces blocages, signes de
souffrances, la thérapie corporelle et émotionnelle va opérer la restitu-
tion des liaisons entre le ressenti des tensions par le lâcher-prise, leur
mise en mouvement, l’explosion des émotions qui y sont liées, évo-
quant les images et les mots qui manquaient. La relation thérapeutique
permet un re-vécu des expériences en situations traumatisantes, un
remaniement, une réorganisation des représentations.
Il s’agit d’un travail thérapeutique à partir d’un matériel archaïque qui
n’a jamais été mis en mots, ni en soi, ni à personne, ni par personne : soit
parce qu’il n’y avait pas de mots pour révéler l’intolérable, soit parce
que l’interdit les bloquait, soit parce qu’il n’y avait personne à qui dire.
L’expression à quelqu’un de ce vécu, va libérer le sujet et le remettre au
contact de ses sources de plaisir, mobilisant ainsi sa vie pulsionnelle. Il
s’avère alors un remaniement de l’économie libidinale du sujet, de
l’investissement des objets ainsi que la réorganisation des représenta-
tions. Au cours de ces réorganisations le sujet est appelé à changer de
niveau d’expression ; c’est ainsi que la souffrance qui s’exprimait au
niveau somatique, trouvant sa représentation, se dira en mots. C’est
retrouver l’être dans toutes ses dimensions et sa capacité à vivre.
« Un corps est toujours l’expression d’un moi et d’une personnalité,
et il est dans le monde » (R. Schilder).
Être dans toutes ses dimensions, c’est appeler l’homme à vivre sa
dimension corporelle dans ce qu’elle a d’échanges continuels entre
milieu interne, milieu externe, dans sa relation au monde. Dans ses
limites personnelles, c’est-à-dire dans son espace à soi, toujours envahi
d’imaginaire.
Cette thérapie s’adresse aussi bien à des gens dits « normaux » qui
recherchent un épanouissement, un mieux vivre, une évolution person-
nelle, qu’à des gens « en souffrance », souffrance bloquée au niveau
somatique, ou affectif : relationnel ou sexuel, ou mental. Ils ont à vivre
« les angoisses de perte d’identité, d’inexistence ou de vide, ou encore de
perte de la réalité corporelle ». Les limites de cette psychothérapie sont
liées aux limites de conscience et de liberté de chaque être. Mais toute
thérapie est un plus de liberté et de conscience : soit un plus d’humain.
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 227
LA RELAXATION PSYCHOMOTRICE
ET L’« OMBILIC PSYCHOSOMATIQUE » :
PERSPECTIVES CLINIQUES ET THEORIQUES4
4. Olivier MOYANO.
228 L’adulte : corps, affect et représentation
une certaine qualité de relation vitale entre une fille et sa mère décédée.
Une communication persiste entre Mme Navel et un objet maternel, sur
le fond, on pourrait être conduit à le penser, de la persistance d’un lien
psychique ombiliforme. Dans sa personnalité psychotique, Mme Navel a
constitué et fait perdurer une sorte de cordon ombilical imaginaire qui
maintient une relation symbiotique perdue, dans la réalité. Après la
séparation du corps maternel à sa naissance, Mme Navel se trouve main-
tenant séparée de sa mère par la mort; c’est sans doute dans le déni de
cette ultime séparation que perdure cet ombilic psychique.
Lorsqu’elle aborde les sensations corporelles que lui apporte la séance
de relaxation, Mme Navel évoque des sensations de chaud et de picotement
sur le ventre, que ce soit en ma présence ou à la maison. Elle passe sa
main sur son nombril et cherche le nom de cet endroit. Elle ne le connaît
pas. Insistante, elle s’inquiète de ce nom qu’elle ne connaît pas, et me
demande de l’aider. Tout à son écoute et surpris de ce manque du mot, pris
également dans la sensation et de la relaxation et d’une pression sur le
nombril, j’ai moi aussi un manque du mot. Je me trouve dans l’impossibi-
lité de me souvenir du nom de cette zone corporelle. Plus je lutte en ten-
tant d’appeler ce nom dans ma mémoire, plus il m’échappe. La séance
suivante, je lui dirai enfin ce nom retrouvé, après avoir parlé de notre man-
que partagé de la fois précédente. Ainsi, je lui dirai que cet endroit du
corps qu’elle montrait de sa main s’appelle le cordon ombilical, ce qu’elle
accepte. Ce ne sera que lors de la séance de supervision ultérieure que je
m’apercevrai de mon lapsus, qui m’aura poursuivi jusque dans ma prise
de notes, dans laquelle j’ai écrit « cordon ombilical » sans que l’incon-
gruité de l’emploi de ce terme ne parvienne à ma conscience. J’ai con-
fondu le nombril et le cordon ombilical. Ou plutôt, pris dans une relation
transférentielle intense avec Mme Navel, je n’ai pu nommer, peut-être dans
une expérience d’hallucination négative partagée, cette zone cicatricielle
qui, par son existence, vient rappeler sans cesse la coupure primitive
d’avec le ventre maternel. Mme Navel, passant d’une sensation corporelle
à une représentation manquante, m’a entraîné dans ce même processus.
Il n’est pas rare de voir évoquer par un collègue ce partage d’idées, de
sensations, d’éprouvés corporels ou de douleurs au cours d’une séance
de psychothérapie ou de psychanalyse. C’est d’ailleurs le constat com-
mun de ces expériences, peut-être pas quotidiennes, certes, mais néan-
moins partagées par la majeure partie d’entre nous, qui m’a conduit à
réfléchir sur ces problématiques. M. N. Gros (2002) a mené à la Pitié-
Salpêtrière un travail de recherche visant à travailler l’hypothèse que
lors d’un travail de massage, il pouvait s’établir un échange d’éprouvés
entre le sujet massé et le masseur, que ce soit sous la forme de sensations
corporelles partagées, d’images identiques venant à l’esprit de chacun
des deux, ou bien de mots décrivant la situation thérapeutique.
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 231
L’ombilic psychosomatique
« Par exemple, les écrits de Wilfried Bion sur l’impact des fantasmes
maternels sur le nourrisson sont très fins et d’un grand intérêt clinique,
mais son explication du mécanisme de cette influence est confuse - un
peu comme si les fantasmes de la mère et ceux du nourrisson commu-
niquaient et s’affectaient l’un l’autre à travers un médium immatériel »
(Stern, 1995, p. 60).
Nous allons livrer maintenant nos premières réflexions sur ce sujet.
Considérant ma propre expérience auprès de Mme Navel, nous nous
trouvons dans une complexité pathologique particulière qui lie un trou-
ble psychosomatique assez invalidant à une psychopathologie elle aussi
marquée. Notre expérience commune va trouver son origine dans une
sensation corporelle autour du nombril, puis dans l’incapacité à évo-
quer ce nom; le sens de ce refoulement ou déni peut facilement être mis
en lumière par rapport à la problématique de Mme Navel. Je poursuivrai
ensuite notre illusion commune en proposant un lapsus quasi interpré-
tatif de la situation, mis à part qu’il n’aura eu aucun effet interprétatif,
ni pour Mme Navel, ni pour moi. Le lieu de l’interprétation ne corres-
pond manifestement pas au lieu de notre échange d’éprouvés et du par-
tage de représentations en difficulté. C’est là que se trouve sans doute le
point nodal de la compréhension de ce phénomène : pendant son dérou-
lement, il n’est pas possible de l’interpréter. De même que le symptôme
psychosomatique ne s’interprète pas, l’échange entre un patient et son
thérapeute d’éprouvés corporels ou de certains types de signifiants ne
semble pas non plus sensible à l’effet de l’interprétation.
Lorsque M. N. Gros décrit les signifiants échangés, ils semblent tout
à fait répondre aux critères que D. Anzieu (1985) donne pour définir les
signifiants formels. On les retrouve :
– sous la plume de G. Rosolato (1985), comme signifiants de
démarcation;
– chez B. Gibello (1985), comme représentants de transformation ;
– chez P. Aulagnier (1975), comme pictogrammes;
– chez S. Tisseron (1994), comme schèmes de transformation ;
– chez Ph. Claudon (2001), comme représentations corporelles d’action.
232 L’adulte : corps, affect et représentation
Noyau
psychosomatique OMBILIC PSYCHOSOMATIQUE Noyau
(lieu d’apparition des éprouvés
Isthme narcissique/échange d’éprouvés psychosomatique
corporels et psychiques,
signifiants formels)
Sujet A Sujet B
Figure 1.
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 235
BIBLIOGRAPHIE
Métamorphoses
De sa naissance à sa mort, l’homme est soumis au temps, limité par
lui, son corps en éprouve la durée, en connaît les métamorphoses. Si
nous nous intéressons à ces changements observables, au point de les
décrire, c’est dans la perspective d’une meilleure compréhension de
leur retentissement sur la relation de la personne âgée à l’égard de son
propre corps, à sa façon de le vivre, le sentir, l’investir ; relation
empreinte d’une profonde ambiguïté. Cette compréhension du vieillis-
sement se fera dans l’articulation du somatique, du psychique, en lien
avec l’environnement.
CLINIQUE PSYCHOMOTRICE
Indications
La chute avec son cortège funeste de conséquences, réelles et imagi-
naires, est redoutée. Il est vrai qu’il s’agit d’un des symptômes, en cli-
nique gériatrique, les plus fréquents et les plus graves, à l’origine de
Clinique psychomotrice 243
cas, plusieurs temps seront nécessaires, de même que les temps d’obser-
vations sur les lieux de vie, de soins, seront précieux. Au cours de
l’entretien, une relation, prémisse d’une alliance thérapeutique, va cher-
cher à se nouer. L’intérêt porté à la personne, les sollicitations dont elle
sera l’objet, vécues parfois comme de véritables mises en tension ou
éveil, lui permettront de se sentir plus vivante, intéressante, valorisée.
Anamnèse et biographie
Si l’étude du dossier médical renseigne sur l’anamnèse, elle sera
couplée avec les informations données par les différents praticiens
(médecin, infirmière, aide-soignant, kinésithérapeute, ergothérapeute,
orthophoniste, psychologue…) pour leur vision spécifique.
Puis l’écoute active du psychomotricien, dans un climat chaleureux
et respectueux, se portera sur la recherche d’éléments biographiques.
Seule une connaissance approfondie de la personne dans les différents
âges de sa vie (passé – présent – futur) et dans ses milieux de vie, per-
mettra une compréhension fine d’une histoire rendue souvent complexe
par sa durée. L’émergence de souvenirs vivaces et de leur contenu émo-
tionnel sera donc privilégiée. Lors d’une hospitalisation, d’une chute, il
sera également important de recueillir toutes les explications, motifs,
souvenirs de la personne. C’est-à-dire savoir si elle se repère dans la
chronologie de sa pathologie et comment elle la perçoit.
L’appréciation de la mémoire tant des faits passés que des faits
récents, ainsi que celle de l’orientation temporo-spatiale se fera natu-
rellement dès cette phase de l’entretien biographique. La connaissance
du contexte familial et social est également importante à connaître. Si
la présence de rôles à jouer, offerts à la personne, facilite son évolution,
leur absence la limite souvent à un rôle de malade fixé à sa dépendance
et à ses bénéfices secondaires. Les renseignements donnés par l’entou-
rage seront donc des éclairages complémentaires.
Ainsi la qualité du soin et l’élaboration d’un projet thérapeutique
souple, adapté, avec un choix d’approches appropriées, s’avère déjà, en
prise directe avec une compréhension globale de la personne, tant dans
ses aspects psychodynamiques que sociaux.
Observation
Visuellement autant que par une sollicitation active du corps, le psy-
chomotricien va procéder à une lecture statique et dynamique du corps
de la personne âgée. Présente dès le début de la rencontre, l’observation
s’intéresse à :
– la présentation (hygiène, tenue, esthétique…),
– la typologie, la morphologie,
Clinique psychomotrice 245
Techniques utilisées
BIBLIOGRAPHIE
Orientation, 12 Respiration, 12
Rêve(s) dans le rêve, 16
P — utile, 16
Parachute, 65 — -diagnostic, 16
Pathologie de l’adaptation, 113 — abondants, 16
Polydualisme, 20
Polyhandicap, 157 S
Posture, 63 Silhouette, 194
Potentialités psychomotrices, 153 Somatisation, 17
Pré-Moi corporel, 83 Stéréotypie, 188
Prise en charge du sujet âgé, 246 Surdité, 149
Problématique du visage, 14 Symbolisation
Processus, 12 — primaire, 136
— de latéralisation, 12
Symptôme psychomoteur, 188
— thérapeutique, 34
Syndrome hyperkinétique, 189
Psychométrie, 201
— psychomoteur, 189
Psychomotricité de l’autisme, 166
Synthèses - Interprétations, 205
Psychoses symbiotiques, 84
Psychothérapie de groupe, 225
T
R Technique, 36
Temps, 20
Réaction aux pressions latérales du
tronc, 65 Thérapie
— latérale d’abduction de la hanche, — psychomotrice parents-bébé, 87
69 Thérapie corporelle, 222
Redressement latéral de la tête et du Thérapie psychomotrice, 155
corps, 69 Tonus, 12
Rééducation, 155 — actif, 64
Réflexe(s) de Moro, 65 — passif, 64
— archaïques, 64
Trame POEMS, 201
— ostéo-tendineux, 65
Transitionnalité, 41
Regard, 12
Troubles autistiques secondaires, 85
Relation thérapeutique, 222
— de l’être-corps, 191
Relaxation de type J. de Ajuriaguerra,
219 — instrumentaux, 14, 21, 35, 123
— psychomotrice, 227 — lexico-graphiques, 121
Réponse à la traction des fléchisseurs — moteurs, 77
du membre supérieur, 65 — posturaux, 77
— posturales et vestibulaires, 65 — psycho-fonctionnels, 14, 35
252 Index