Le Primitivisme Dans La Photographie
Le Primitivisme Dans La Photographie
Le Primitivisme Dans La Photographie
org/307
Le primitivisme dans la
photographie : Hannah Höch
– Orlan
VALENTINE A. PLISNIER
Résumé
L’impact des arts extra-européens sur la création photographique du XXesiècle n’est pas
seulement né de la fascination exercée par les objets. Leurs images, telles qu’elles ont
paru au sein de publications, eurent également des répercussions profondes sur la
création. Durant la seconde moitié des années 1920, Hannah Höch, artiste dadaïste
berlinoise, entreprit une série de photomontages combinant des fragments
photographiques de masques et de sculptures non occidentaux aux caractères
stéréotypés du pouvoir, du statut de la femme ou d’événements sociopolitiques qui ont
marqué la presse illustrée de l’époque. Soixante-dix ans plus tard, l’artiste française
Orlan débuta la série Self-Hybridations-Refigurations, fusionnant par les nouvelles
technologies numériques l’image de sculptures précolombiennes et africaines à celle de
son propre visage. Cette intervention mettra en perspective deux œuvres extraites de ces
ensembles. Au regard des sources photographiques qui en sont à l’origine seront
réfléchies les opérations par lesquelles leur sens a été déplacé vers un questionnement
sur l’identité.
Entrées d'index
Mots-clés : photographie, primitivisme, Hannah Höch, Orlan, Fang, musée
ethnographique, hybridation, identité
Texte intégral
Fig. 1. Hannah Höch, « Die Süße » (La Douce), série « Aus einem
ethnographischen Museum » (issu d’un musée ethnographique), 1926.
Photomontage et papier aquarellé, 30 X 15 cm. Collection Museum Folkwang,
Essen.
5 Parmi les répercussions exercées par l’art non occidental sur la création
photographique du XXe siècle, H. Höch et Orlan se singularisent pour avoir
réagi, non pas à la suprématie des objets, mais à celle de leurs images. Un
retour sur les sources photographiques de ces photomontages et photographies
numériques nous invite à réfléchir sur les opérations par lesquelles leur sens a
été déplacé vers un questionnement identitaire. Les découpes des
photomontages de H. Höch par exemple sont essentiellementextraites – pour
l’iconographie non occidentale et la période de la seconde moitié des années
20 – de la revue d’art et de culture Der Querschnitt, fondée et dirigée par
Alfred Flechtheim. Ce mensuel, publié par les éditions Ullstein de 1921 à 1936
et dans lequel se sont exprimés de nombreux intellectuels, collectionneurs,
artistes, critiques et historiens d’art de cette époque, dont Carl Einstein, ne peut
être dissocié de la personnalité d’Alfred Flechtheim (1878-1936), éditeur,
collectionneur et marchand d’art. A. Flechtheim ouvrit sa première galerie à
Düsseldorf en 1913, puis des succursales à Cologne, Francfort, Vienne et Berlin,
et consacra de nombreuses expositions à l’art primitif. La politique de la revue
Der Querschnitt était manifestement animée par une volonté de ne pas établir
de hiérarchie entre les différentes formes d’art représentées. Gravure, peinture,
sculpture, danse, musique, design, littérature, cinéma et réalisations de
cultures étrangères figuraient en égale proportion, parfois au sein d’une même
double page, comme en témoigne le numéro de l’été 1924, d'où H. Höch a
extrait la photographie du masque fang présente dans le photomontage La
Douce (fig. 3)8.
Fig. 3. Der Querschnitt, 4e année, n° 2-3, été 1924, non paginé, entre les p. 136 et
137, légendé « Maske. Französische Congo. Sammlung Paul Guillaume, Paris. »
(Masque. Congo français [Gabon]. Collection Paul Guillaume, Paris).
Droits réservés.
Fig. 4. Der Querschnitt, 5e année, n° 1, janvier 1925, non paginé, entre les pp. 8 et
9, légendé « Idol des Bushongo-Stammes (Kongo) » (Idole de la tribu Bushongo
[Congo-RDC]), illustrant un article d’Albert C. Barnes intitulé « Die Negerkunst
und Amerika » (L’art nègre et l’Amérique), pp. 1-8.
Droits réservés.
Fig. 5. Dans Anthologie de l’art africain du XXe siècle, Paris, Revue Noire, 2001, p.
43. Photographie inversée horizontalement.
Fig. 6. Masque ngon ntang fang (Gabon). Bois, kaolin. H. 25 cm. Ancienne
collection Paul Guillaume (don de Mme Paul Guillaume en 1941 au musée de
l’Homme).
des objets dans un cadre critique ou autocritique pour être assimilées comme
symptomatique d’un détachement et d’une résistance. C’est l’un des constats
que permet la réunion de cet ensemble en regard de son importance historique,
dont l’intérêt dépasse la seule entreprise monographique pour rejoindre le
chapitre du primitivisme auquel la photographie a donné une dimension
inédite.
Bibliographie
Bourgeade et Orlan 1999 :Pierre Bourgeade, Orlan, Orlan (Self-Hybridations),
Romainville, Al Dante, 1999.
Dech 2002 : Jula Dech, « Fremde Schönheit – Aus einem ethnographischen Museum »
dans J. Dech, Sieben Blicke auf Hannah Höch, Hamburg, Nautilus, 2002, p 68-75.
Lavin 1993 : Maud Lavin, « From an ethnographic museum » dans M. Lavin, Cut with
the kitchen knife (The Weimar photomontages of Hannah Höch), New Haven &
Londres : Yale University Press, 1993, p. 159-183.
Makela 1997 : Maria Makela, « From an Ethnographic Museum : Race and Ethnography
in 1920s. Germany », dans The photomontages of Hannah Höch (cat. expo.,
Minneapolis, Walker Art Center, 1997), commissaires P. Boswell et M. Makela,
Minneapolis, 1997, p. 70-72.
Makholm 2004 : Kristin Makholm, « Ultraprimitivo y ultramoderno : De un museo
etnográfico, de Hannah Höch », dans Hannah Höch (cat. expo., Madrid, Museo
Nacional Centro de Arte Reina Sofia, 2004), commissaire J. C. Aliaga, Madrid, Aldeasa,
2004, p. 59-73.
Ohff 1968 : Heinz Ohff, Hannah Höch, Berlin, Gebr. Mann Verlag, 1968.
Orlan 2004 : Caroline Cros, Laurent Le Bon, Vivian Rehberg, « 1964-2003 –
Chronophotologie » dans Orlan, Paris, Flammarion, 2004, p. 172-181.
Orlan2007 : Orlan – Le récit (cat. expo., musée d’Art moderne de Saint-Étienne, 2007),
commissaires L. Hegyi et E. Viola, Milan, Charta, 2007.
Plisnier 2006 : Valentine Plisnier, « Le Primitivisme dans la photographie. L’impact des
objets cultuels de l’Afrique, de l’Océanie, des Amériques et de l’Asie sur la modernité
photographique : 1918-2006 », Tribal, n° 13, 2006, p. 78-94.
Plisnier 2007 : Valentine Plisnier, « JB und sein Engel », dans Hannah Höch. Aller
Anfang ist Dada ! (cat. expo., Berlin, Berlinische Galerie Landesmuseum für Moderne
Kunst Fotografie und Architektur, 2007), commissaire R. Burmeister, Berlin, Hatje
Cantz Verlag, 2007, p. 28-31.
Schaschke 2007 : Bettina Schaschke, « Ullstein & Co. – mehr als ein Broterwerb »,dans
Hannah Höch. Aller Anfang ist Dada ! (cat. expo., Berlin, Berlinische Galerie
Landesmuseum für Moderne Kunst Fotografie und Architektur, 2007), commissaire R.
Burmeister, Berlin, Hatje Cantz Verlag, 2007, p. 123-124.
Notes
1 Le nombre important de photographies projetées lors du colloque ne permet pas leur
publication dans le cadre de ces actes. En l’absence de cette iconographie, ce texte
présente une version remaniée et son contenu recentré sur la mise en perspective de
deux œuvres au sein desquelles figurent l’image de masques fang (Gabon), aujourd’hui
collection du musée du quai Branly : un photomontage réalisé par Hannah Höch, Die
Süße (La Douce) (fig. 1), daté de 1926 et une photographie numérique d’Orlan, Masque
de société d’initiation Fang (Gabo)n et visage de femme euro-stéphanoise (fig. 2),
réalisée en 2003. Des références bibliographiques relatives aux autres réalisations
mentionnées seront apportées en note, par ordre d’apparition chronologique. Pour un
aperçu général des répercussions des arts non occidentaux sur la photographie, voir
Plisnier 2006, p. 78-94.
2 Lavin 1993, p. 159-183 ; Makela 1997, p. 70-72 ; Dech 2002, p. 68-75; Makholm 2004,
p. 59-73; Plisnier 2007, p. 28-31.
3 Bourgeade et Orlan 1999.
4 Orlan 2004, p. 172-181.
5 Orlancatalogue 2007, p. 248-265.
6 Schaschke 2007, p. 123-124.
7 Orlan 1999.
8 Der Querschnitt, été 1924, non paginé [entre les p. 136 et 137].
9 Ohff 1968, p. 35.
Auteur
Valentine A. Plisnier
Valentine A. Plisnier, enseignante, poursuit des recherches doctorales. Elle prépare un
projet de publication et d’exposition sur leprimitivisme dans la photographie et l’impact
des arts de l’Afrique, de l’Océanie, des Amériques et de l’Asie sur la modernité
photographique de 1918 à nos jours.Elle travaille en étroite collaboration avec des
musées et des photographes sur la réalisation de monographies. Photographe, elle est
également l’auteur d’un travail sur l’image de la statuaire africaine.
Droits d’auteur
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